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Scholars, Professors and Experts on Asia and the Pacific
COMMERCE ET PRODUCTION DANS LES STEPPES D'ASIE ORIENTALE À LA
PÉRIODE ANTIQUE
PRODUCTION AND EXCHANGES IN THE STEPPES OF EASTERN ASIA DURING THE
ANTIQUITY
Guilhem André
CNRS
Thématique A : Dynamiques migratoires, enjeux post-coloniaux
Theme A: Migration dynamics, post-colonial challenges
Atelier A02 : Transferts et interactions dans la très longue durée
en Asie centrale et méridionale
Workshop A02: Long-term relationship and interactions in Central and Southern asia
4ème Congrès du Réseau Asie & Pacifique
4th Congress of the Asia & Pacific Network
14-16 sept. 2011, Paris, France
École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville
Centre de conférences du Ministère des Affaires étrangères et européennes
© 2011 – Guilhem André
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COMMERCE ET PRODUCTION DANS LES STEPPES D’ASIE ORIENTALE À LA
PÉRIODE ANTIQUE
Guilhem ANDRE
Mission archéologique française en Mongolie
Il serait évidemment illusoire de penser épuiser la question du commerce et de la
production dans les steppes d’Asie orientale à travers une unique contribution, même
s’agissant d’une période particulière de l’histoire. En raison de la fréquence des découvertes
récentes en contexte funéraire, il semble intéressant d’examiner l’apport de cette archéologie
spécifique dans le cadre chronologique de l’époque xiongnu qui se limite à l’intervalle du IIIe
s. av. n. ère au IIIe s. de n. ère. Ce découpage couvre l’essentiel de la culture xiongnu à la fois
sur un plan historique et archéologique. L’une des particularités du sujet réside en effet dans
la possibilité de comparer ces sources, toutes deux abondantes et parfois contradictoires. Les
textes antiques, relativement nombreux, font déjà l’objet de nombreuses études historiques
contemporaines, nous les évoquons donc ici simplement pour mémoire.
Il convient d’indiquer que les Xiongnu sont nommés dans les textes historiques
chinois à l’occasion d’une première mention en 312 av. n. ère. Deux siècles vont passer avant
que l’historien chinois Sima Qian (145-86 av. n. ère) porte la confédération des Xiongnu à la
postérité. Dans ses « Annales historiques » ou Shiji, il leur consacre un chapitre complet puis
plus tard d’autres textes viennent également narrer les vicissitudes de leur fortune1. Il faut
bien sûr se référer à ces documents avec précaution mais aussi dans certains cas reconnaître
leur grande précision, s’appuyant principalement sur les archives impériales et sur des
enquêtes de terrain effectuées dès cette époque. Décrits comme des cavaliers intrépides et
aguerris, les Xiongnu apparaissent de manière soudaine à travers les textes qui donnent la date
de 209 av. n. ère pour la fondation d’un Etat qui s’apparente à un royaume ou à un empire,
doté d’une administration structurée, d’une force armée puissante et s’appuyant sur une
stratégie spécifique. Les formes de cet Etat demeurent sujettes à de nombreuses incertitudes
mais l’on sait qu’il entretient des relations diplomatiques et commerciales avec les
populations voisines. Au faîte de sa puissance, le territoire contrôlé s’étend de la Manchourie
à l’Altaï, du lac Baïkal à la Mongolie intérieure. La confédération de clans xiongnu subsiste
jusqu’à la fin du Ier s. de notre ère en Mongolie et l’existence de ce peuple se serait
poursuivie sous forme de dynasties éphémères jusqu’au Ve s. dans l’actuelle Chine du Nord
et de l’Ouest.
Les relations entre les Xiongnu et leurs voisins, peuples des steppes, des oasis ou de la
Chine han sont souvent décrites sous l’angle des rivalités et des conflits. Ces liens ont
également pu être pacifiques et des relations commerciales tissées en direction de l’Asie
centrale et de la Chine en particulier ; les informations de terrain en témoignent et offrent en
effet un regard complémentaire à celui produit par l’examen des textes. Les sites sédentaires
demeurent considérablement moins riches d’informations attestant des relations
internationales que les monuments funéraires et parmi ces derniers, ce sont les plus grandes
sépultures qui procurent l’essentiel des données. Deux domaines principaux de l’archéologie
1
Les principaux textes sont les Annales historiques史記, chap. 110, les Histoires de la dynastie Han 漢書, chap.
94a et 94b, les Histoires de la dynastie des Han orientaux 後漢書, chap. 79 ainsi que le Discours sur le sel et le
fer 鹽鐡論. Atelier A02 / Transferts et interactions dans la très longue durée
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funéraire xiongnu fournissent la grande quantité de connaissances sur le commerce, les
relations internationales et les échanges entretenus avec l’étranger d’une manière générale,
l’étude des monuments et celle du mobilier, nous examinerons la seconde catégorie en faisant
si possible appel à des données récentes.
Signalons toutefois que le mobilier ne reflète pas de manière absolument objective la
réalité de ces échanges. En effet, pour l’essentiel il provient de sépultures appartenant à l’élite
sociale ou économique et le mobilier somptuaire est susceptible de ne représenter qu’une part
des échanges réels. En outre, la typologie des pièces retrouvées relève de choix délibérés liés
à des rites funéraires spécifiques et ne visent pas à représenter avec exactitude une situation
objective. Il demeure donc délicat d’évaluer précisément ces échanges uniquement à l’aune
des dépôts funéraires même si certaines informations précieuses découlent d’une telle étude.
Trois catégories principales de mobilier sont à distinguer en fonction de leur lien avec
l’étranger et de leur traitement sur place : des pièces de fabrication locale, du mobilier
exotique et des pièces imitées ou transformées.
Le mobilier de fabrication locale, présentant peu ou pas de trace d’influence étrangère
constitue une catégorie dont la réalité est attestée par de rares ateliers mis au jour récemment.
L’aire de diffusion de cette production Xiongnu reste encore à déterminer. La majeure partie
de ce mobilier peut-être regroupée en deux ensembles principaux : les récipients réalisés en
céramique d’une part et les éléments de harnachement, souvent métalliques, d’autre part.
Certaines catégories, importantes sur un plan culturel, demeurent rares dans les découvertes2.
Les sépultures comprennent très majoritairement de la vaisselle de céramique en petite
quantité et dans de rares cas d’autres objets tels que des lampes. La vaisselle, à destination
visiblement culinaire à en juger par les restes d’ossements animaux qu’elle contient parfois
forme une typologie assez réduite constituée de jarres et de pots qui diffèrent surtout dans
leurs dimensions. La faible variabilité des formes est probablement à mettre en relation avec
le régime alimentaire Xiongnu comprenant peu de produits agricoles et principalement centré
autour de la viande d’ovinés ou de bovinés. L’essentiel de la vaisselle est donc constitué de
récipients d’usage et leur examen révèle une fabrication moins raffinée que celle mise en
œuvre chez les Han à la même période. On constate notamment le petit nombre de techniques
employées, tandis que parallèlement, l’empire han propose déjà une variété de techniques :
terre cuite peinte ou à décor de cuisson, glaçure, voire grès porcelaineux à couverte
feldspathique. Les pièces empruntent peu à des objets de fabrication étrangère et sont très
rarement importées, quelques rares exemples sont à rapprocher du monde chinois han. A
comparer avec certaines pièces plus anciennes des IVe-IIIe s, telles que celles découvertes
dans des tombes Saka de Chandman Uul dans la province d’Uvs par exemple, on constate des
progrès techniques3. Ces pièces uniquement montées au colombin dans des dimensions
toujours réduites demeurent souvent mal cuites. En revanche, pour les créations xiongnu, on
remarque l’utilisation systématique du tour lent permettant de créer des formes plus hautes.
La fabrication est sériée comme l’indique l’usage de formes répétitives ainsi que le caractère
systématique du dégraissage des pâtes et de la réalisation des décors. La pose de marques sous
le pied, éventuellement lues comme des caractères chinois, révèle pour certains la présence
2
Il n’est pas possible d’évoquer ici l’ensemble des catégories existantes, qu’il s’agisse du mobilier local ou
importé, nous avons choisi une typologie représentative. 3
D. TSEVEENDORJ, Chandmanii soël. Mongolyn arkheologiin toch tol’, Sh. U. A., Oulan-Bator, 2007. Atelier A02 / Transferts et interactions dans la très longue durée
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d’artisans Han dans les ateliers xiongnu qui auraient justement pu porter ces progrès
techniques.
Les pièces de harnachement participent du même groupe de mobilier d’origine locale,
peu influencé par une production étrangère, on les trouve dans l’ensemble des tombes,
modestes ou somptuaires. Les principales différences à noter des une aux autres sont d’une
part la quantité variable d’éléments déposés et d’autre part les différents matériaux employés.
Dans les tombes modestes, on relève au plus un unique ensemble comprenant mors, aiguilles,
boucles et anneaux, tandis que dans les tombes somptuaires on en exhume parfois en grande
quantité comme dans la tombe T20 de Gol Mod4. Ainsi que l’ont montré de récentes études
comparées sur la métallurgie5 la production de ces pièces est locale. Leur type est
spécifiquement xiongnu et elles se trouvent en plus grande quantité que dans les tombes Han
contemporaines. S’agissant des matériaux, les éléments de harnachement sont réalisés en
matériaux organiques voire en fer dans les tombes modestes. En revanche, dans les tombes
princières, hormis éventuellement de la sellerie dont seuls deux cas sont connus, les pièces de
harnachement en matériaux organiques sont absentes. En plus des pièces en fer, on y trouve
des éléments en bronze et en argent parfois doré. Ceux-ci ne possèdent pas de rôle purement
fonctionnel mais plutôt décoratif, probablement lié à la parade6.
Le mobilier exotique regroupe principalement des artefacts retrouvés dans des
quantités importantes dans les tombes de grandes dimensions, plus rares voire absents des
tombes de petites dimensions. Pour cette catégorie, les matériaux concernés et les sources
d’approvisionnement sont divers, on reconnaît des objets finis ou des matériaux bruts
d’importation centrasiatique ou han.
Le mobilier importé d’Asie centrale comprend des objets finis en matériaux
organiques ou en métal avec parfois des incrustations minérales7. Signalons trois catégories
principales : des tapisseries, des éléments de parure et des objets plus purement décoratifs liés
à la vaisselle. Les textiles de laine d’origine centrasiatiques forment un premier groupe,
uniquement connu en Mongolie par les découvertes de Noyon Uul. La tombe n°6 fouillée en
1924-1925 mais aussi des découvertes plus récentes dans les tombes 20 et 31 en 2006-2009
les ont révélés8. Ces textiles qui apparaissent désormais clairement comme une production
Sogdiane ou Bactriane se rapportant à la population Yuezhi9 portent un répertoire décoratif
dérivé du monde gréco-romain comprenant notamment des motifs de palmettes, de griffons,
de putti, de personnages vêtus à la mode locale avec parfois une recherche de représentation
du volume. Dans la perspective des réseaux commerciaux, il convient de mettre ces textiles en
4
G. ANDRÉ, J. HOLOTOVÁ-SZINEK, H. MARTIN « Chevaux et Xiongnu en Mongolie. Où donc trouver les
cavaliers nomades ? », Monumenta Serica, Monograph Series, Miscellanea Asiatica, Vol. LXI, Mélanges en
l’honneur de Françoise Aubin, Monumenta Serica Institute, Sankt Augustin, Steyler Verlag, Nettetal, 2010.
5
PARK J.-S., GELEGDORJ E. CHIMIDDORJ Y.-E., « Technological traditions inferred from iron artefacts of
the Xiongnu Empire in Mongolia », in Journal of Archaeological Science, 37, Elsevier, 2010. 6
G. ANDRÉ et alii., 2010. 7
La turquoise et le verre font aussi partie de ces matériaux. 8
D. TSEVEENDORJ, N. ERDENE-OCHIR, N. V. POLOS’MAK, E. S. BOGDANOV, « Noyon Uulyn
khünnügiin yanzguurtni bulshny 2006-2009 ony arkheologiin maltlaga sudalgaany ur dungees », Arkheologiin
sudlal, 29, Sh. U . A., Oulan-Bator, 2010. 9
La production de ces textiles était auparavant attribuée tantôt à la Bactriane ou la Sogdiane, tantôt à la Syrie. Atelier A02 / Transferts et interactions dans la très longue durée
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relation avec ceux découverts récemment dans l’actuel Xinjiang chinois, sur le site de
Shanpula et datés pour certains du Ier s. de. n. ère10.
De même pour les éléments de parure, l’existence de contacts avec l’Asie centrale probablement la Bactriane - est notable par la présence de bractées en or ou argent doré
incrustées de turquoise dans certaines sépultures. La forme des objets, circulaires, en forme de
gouttes ou de motifs quadrifoliés l’emploi de turquoise ainsi que la technique de granulation
sont révélateurs d’un caractère exotique. Un grand nombre d’objets similaires du point de vue
formel ou technique ont ainsi été exhumés en Afghanistan sur le site de Tillia Tepe, dans la
tombe 1 datée du Ier s par exemple11.
Il semble que l’Asie centrale soit également une source d’approvisionnement
prioritaire pour le mobilier somptuaire d’argent : vaisselles et objets d’amateurs. Ainsi, trois
fragments ou exemples complets de vaisselle en argent ont été découverts, deux à Gol Mod en
Mongolie et un à Shangsunjiazhai en Chine12, portant un répertoire décoratif végétal
centrasiatique comparable à celui que l’on connaît sur le textile, la pierre ou le métal. Autre
type d’objet en argent très rare et destinée à un fond de coupe, une plaque circulaire
vraisemblablement fabriquée en Bactriane avant de parvenir en Mongolie centrale à Noyon
Uul où elle a été retrouvée dans la tombe 20, datée du Ier s. Le décor mythologique de cette
pièce en argent, représente Dyonisos et une nymphe de son thyase13 (Fig. 1). Il s’agit d’un
objet fini, peut-être réalisé d’après des modèles en plâtre ou emblema de style gréco-romains.
De tels emblema ayant pu servir à des artisans locaux pour créer des œuvres comparables ont
été découverts dans la chambre 13 à Begram au nord de l’Afghanistan par la mission Hackin
en 1939 et datés du Ier-IIe s. de n. ère14. D’autres pièces en argent proches de celle-ci et
provenant de Bactriane assurent qu’il s’agit bien d’une importation provenant de la même
zone15.
10
XINJIANG WEIWU’ER ZIZHIQU BOWUGUAN, Zhongguo Xinjiang Shanpula, Xinjiang Wenwu
Chubanshe, Urumqi, 2011. 11
V. I. SARIANIDI, The Golden Hoard of Bactria : from the Tillya-tepe excavations in northern Afghanistan,
New-York : H. N. Abrams ; Leningrand: Aurora Art Publishers, 1985. 12
G. ANDRE, « Une tombe princière Xiongnu à Gol Mod, Mongolie (campagne de fouilles 2000–2001), in Arts
Asiatiques, 57, EFEO / Musée Guimet, Paris, 2002. 13
D. TSEVEENDORJ, 2010, op. cit. Identification proposée par H.-P. Francfort. 14
J. HACKIN, J.-R. HACKIN, Recherches archéologiques à Begram : chantier n°2, MDAFA, vol. 9, Paris
1939. 15
F. BARATTE, « Orient et Occident : le témoignage d’une trouvaille d’argenterie d’époque parthe en Asie
centrale », in Journal des savants, Paris, 2001. Atelier A02 / Transferts et interactions dans la très longue durée
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Fig. 1 Médaillon de fond de coupe en argent à décor mythologique, tombe n°20, Noyon Uul, Ier s. de n. ère.
Découverte de la mission russo-mongole (2006-2009), Institut d’Archéologie Oulan-Bator. (© J. Van Alphen)
La seconde source d’importation de mobilier et peut-être la plus importante du point
de vue numérique demeure la Chine des Han. Comme pour les autres catégories de mobilier
exotique, les objets Han sont principalement exhumés des plus grandes tombes. On distingue
cinq types d’objets : des soieries, de la vaisselle de laque, des miroirs en bronze, des objets en
jade et des chars en matériaux composites (bois laqué, bronze, textile). On pourrait
évidemment dire beaucoup de ce groupe d’objets étant donné la richesse des informations
textuelles et archéologiques, en Mongolie et en Chine.
Le mobilier transformé ou procédant par imitation constitue la catégorie probablement
la plus difficile à détecter et par conséquent la moins bien étudiée car elle nécessite
préalablement à son identification une bonne connaissance du mobilier d’origine étrangère et
des techniques artisanales xiongnu. Ces objets sont constitués de matériaux organiques autant
que métalliques voire minéraux.
Ainsi, dans la tombe T1, la centaine de fragments textiles exhumés comprenait près de
80 % de pièces laine, le reste regroupant des éléments de feutre ou de soie. Le feutre est
clairement de fabrication locale, la matière première et la technique étant disponibles sur
place. Rien n’indique toutefois que les pièces en laine sans décor aient quant à elles été
importées de Sogdiane ou de Bactriane à l’instar des textiles bordés que nous avons
mentionné. En outre, des fusaïoles ont été retrouvées dans certaines tombes de Mongolie
centrale, ce qui rend plausible l’existence d’une industrie textile en Mongolie permettant la
création de ces sergés de laine.
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S’agissant des objets en laque, il semble qu’ils ont également fait l’objet d’imitations
en Mongolie. Ainsi, dans la sépulture T79 de Gol Mod datée du premier siècle, plusieurs
fragments de coupes ont été retrouvés dans la chambre funéraire. L’une d’entre-elles est
clairement chinoise et relève de la période d’inhumation du défunt. Tandis que d’autres
fragments d’un autre récipient en bois étaient revêtus d’une épaisse couche pulvérulente au
rouge de cinabre semblant imiter le laque chinois mais comportant un décor de hachures
typiquement Xiongnu conforme à celui que l’on connaît sur la céramique. Il s’agit
apparemment là d’une rare tentative d’imitation du laque chinois.
Dans le domaine des minéraux, plusieurs objets en jade découverts en Mongolie
laissent penser que des artisans spécialisés imitaient ou adaptaient les produits chinois. Cette
hypothèse s’appuie à nouveau sur les découvertes de grandes tombes de l’élite, en particulier
à Noyon Uul et à Gol Mod. On remarque que le jade, non disponible localement, a fait l’objet
d’importation sous deux formes : le matériau brut et l’objet fini. Des pièces de qualité
inférieure sont réalisées par découpage ou adaptation d’objets Han, ce qui permet aussi une
multiplication du nombre de pièces. On ne connaît pas la source étrangère pour
l’approvisionnement en jade mais, s’agissant du matériau brut, il est possible que les relations
privilégiées entretenues avec les régions de l’actuel Xinjiang, Khotan en particulier aient
permis d’obtenir de la néphrite16.
Mentionnons également un exemple dans le domaine du métal avec le décor des
cercueils. Dans certaines tombes où les constructeurs cherchent à mettre spécifiquement en
valeur le statut du défunt, le mobilier comprend en effet un décor particulier sur les panneaux
latéraux et le couvercle du cercueil. Il s’agit de bandes croisées enserrant des motifs
quadrifoliés, rivés dans le bois. L’origine de ce décor n’est pas locale mais bien étrangère et
renvoie à des précédents à la fois en Chine et en Asie centrale. Toutefois, le traitement sous
forme métallique, en fer, en bronze voire en or relève, lui, d’une adaptation proprement
xiongnu. Comme l’ont montré les analyses pratiquées au C2RMF sur du mobilier en or issu
de plusieurs inhumations17, ce travail de métallurgie est local et s’inscrit dans un artisanat
dont l’approvisionnement puisait par orpaillage aux ressources des rivières.
L’étude des monuments et de la provenance des dépôts apporte des informations
importantes et le point essentiel est d’abord l’existence d’une production xiongnu dont
récemment encore on sous-estimait l’importance. Elle s’inspire à divers degrés des créations
étrangères et en particulier celles de la Chine han, à la fois sur un plan technique et esthétique.
Un phénomène d’imitation a également été mis en lumière et les denrées importées font
souvent l’objet de transformations locales pour permettre une adéquation aux besoins :
découpages, ajouts etc. De nombreuses questions se posent encore et d’abord celles des
sources d’approvisionnement qui demeurent souvent à identifier précisément. Le fer par
exemple, retrouvé en grande quantité dans les vestiges, est frappé d’interdit commercial par
les Han et aucune industrie minière ou atelier de fabrication n’a encore été mis en lumière en
Mongolie pour ces productions locales, sur le terrain, la découvertes de fabriques est encore
malheureusement trop rare. Comment convient-il d’envisager le phénomène d’importation de
biens exotiques dont nous avons parlé ? Il ne constitue apparemment pas une réponse directe
à une nécessité d’accumulation mais s’explique probablement par le fait que les catégories
sociales élevées de cette société appuyaient leur pouvoir sur leur aptitude à entretenir des
16
L’état actuel des connaissances ne permet pas de trancher sur cette question. M. F. GUERRA, « L’analyse des éléments en or du site de Gol Mod », in Mongolie le premier empire des
steppes, Actes Sud/MAFM, Arles, 2003. 17
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relations avec les pays étrangers. Leur puissance s’illustre ainsi par une capacité de
redistribution des biens que l’on retrouve donc dans les sépultures de l’élite en particulier.
Autre question, celle de la monnaie d’échange utilisée par les Xiongnu dans les
circuits commerciaux, même s’il semble qu’ils n’employaient pas de monnaie physique, les
sources chinoises mentionnent effectivement le troc. A la fin du premier siècle avant notre
ère, un passage des « Discours sur le sel et le fer » 18 indique que les Xiongnu échangeaient
des animaux en grand nombre : mulets, ânes, chameaux, chevaux de qualité, mais aussi des
produits tels que des fourrures de vair, d’hermine, de renards ou de blaireaux, ainsi que des
tapis et vêtements de feutre et de laine colorés et décorés ainsi que des matières précieuses :
jade, pierres, coraux et verres qui invitent, en regard des découvertes, à reconsidérer ces
réseaux commerciaux. On suppose souvent que les Xiongnu jouaient le rôle d’intermédiaires
et commercialisaient vers l’Ouest la soie chinoise, reçue par les routes du Xinjiang et qui à
l’extrémité occidentale, atteignait la Grèce puis Rome. Pour certains auteurs19, ce n’est en tout
cas pas leur rôle économique mais bien des décisions politiques qui ont déterminé l’empire
Han à prendre possession du Xinjiang. L’une des clés réside probablement dans le fait de
parvenir à une meilleure compréhension de la relation entre les Xiongnu et les autres peuples
de la région, Yuezhi en particulier, eux aussi impliqués dans la production ou le commerce
transfrontalier.
BIBLIOGRAPHIE
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the Xiongnu Empire in Mongolia », in Journal of Archaeological Science, 37, Elsevier, 2010.
18
Discours sur le sel et le fer, Li Geng, t. 1, chap. 2, 3. N. DI COSMO, Ancient China and it’s Enemies. The Rise of Nomadic Power in East Asia History, Cambridge
University Press, Cambridge, 2002. 19
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