commerce et production dans les steppes d`asie orientale à la
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http://www.reseau-asie.com Enseignants, Chercheurs, Experts sur l’Asie et le Pacifique Scholars, Professors and Experts on Asia and the Pacific COMMERCE ET PRODUCTION DANS LES STEPPES D'ASIE ORIENTALE À LA PÉRIODE ANTIQUE PRODUCTION AND EXCHANGES IN THE STEPPES OF EASTERN ASIA DURING THE ANTIQUITY Guilhem André CNRS Thématique A : Dynamiques migratoires, enjeux post-coloniaux Theme A: Migration dynamics, post-colonial challenges Atelier A02 : Transferts et interactions dans la très longue durée en Asie centrale et méridionale Workshop A02: Long-term relationship and interactions in Central and Southern asia 4ème Congrès du Réseau Asie & Pacifique 4th Congress of the Asia & Pacific Network 14-16 sept. 2011, Paris, France École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville Centre de conférences du Ministère des Affaires étrangères et européennes © 2011 – Guilhem André Protection des documents / Document use rights Les utilisateurs du site http://www.reseau-asie.com s'engagent à respecter les règles de propriété intellectuelle des divers contenus proposés sur le site (loi n°92.597 du 1er juillet 1992, JO du 3 juillet). 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Any opinions expressed are those of the authors and do.not involve the responsibility of the Congress' Organization Committee. COMMERCE ET PRODUCTION DANS LES STEPPES D’ASIE ORIENTALE À LA PÉRIODE ANTIQUE Guilhem ANDRE Mission archéologique française en Mongolie Il serait évidemment illusoire de penser épuiser la question du commerce et de la production dans les steppes d’Asie orientale à travers une unique contribution, même s’agissant d’une période particulière de l’histoire. En raison de la fréquence des découvertes récentes en contexte funéraire, il semble intéressant d’examiner l’apport de cette archéologie spécifique dans le cadre chronologique de l’époque xiongnu qui se limite à l’intervalle du IIIe s. av. n. ère au IIIe s. de n. ère. Ce découpage couvre l’essentiel de la culture xiongnu à la fois sur un plan historique et archéologique. L’une des particularités du sujet réside en effet dans la possibilité de comparer ces sources, toutes deux abondantes et parfois contradictoires. Les textes antiques, relativement nombreux, font déjà l’objet de nombreuses études historiques contemporaines, nous les évoquons donc ici simplement pour mémoire. Il convient d’indiquer que les Xiongnu sont nommés dans les textes historiques chinois à l’occasion d’une première mention en 312 av. n. ère. Deux siècles vont passer avant que l’historien chinois Sima Qian (145-86 av. n. ère) porte la confédération des Xiongnu à la postérité. Dans ses « Annales historiques » ou Shiji, il leur consacre un chapitre complet puis plus tard d’autres textes viennent également narrer les vicissitudes de leur fortune1. Il faut bien sûr se référer à ces documents avec précaution mais aussi dans certains cas reconnaître leur grande précision, s’appuyant principalement sur les archives impériales et sur des enquêtes de terrain effectuées dès cette époque. Décrits comme des cavaliers intrépides et aguerris, les Xiongnu apparaissent de manière soudaine à travers les textes qui donnent la date de 209 av. n. ère pour la fondation d’un Etat qui s’apparente à un royaume ou à un empire, doté d’une administration structurée, d’une force armée puissante et s’appuyant sur une stratégie spécifique. Les formes de cet Etat demeurent sujettes à de nombreuses incertitudes mais l’on sait qu’il entretient des relations diplomatiques et commerciales avec les populations voisines. Au faîte de sa puissance, le territoire contrôlé s’étend de la Manchourie à l’Altaï, du lac Baïkal à la Mongolie intérieure. La confédération de clans xiongnu subsiste jusqu’à la fin du Ier s. de notre ère en Mongolie et l’existence de ce peuple se serait poursuivie sous forme de dynasties éphémères jusqu’au Ve s. dans l’actuelle Chine du Nord et de l’Ouest. Les relations entre les Xiongnu et leurs voisins, peuples des steppes, des oasis ou de la Chine han sont souvent décrites sous l’angle des rivalités et des conflits. Ces liens ont également pu être pacifiques et des relations commerciales tissées en direction de l’Asie centrale et de la Chine en particulier ; les informations de terrain en témoignent et offrent en effet un regard complémentaire à celui produit par l’examen des textes. Les sites sédentaires demeurent considérablement moins riches d’informations attestant des relations internationales que les monuments funéraires et parmi ces derniers, ce sont les plus grandes sépultures qui procurent l’essentiel des données. Deux domaines principaux de l’archéologie 1 Les principaux textes sont les Annales historiques史記, chap. 110, les Histoires de la dynastie Han 漢書, chap. 94a et 94b, les Histoires de la dynastie des Han orientaux 後漢書, chap. 79 ainsi que le Discours sur le sel et le fer 鹽鐡論. Atelier A02 / Transferts et interactions dans la très longue durée en Asie centrale et méridionale Commerce et production dans les steppes d'Asie orientale à la période antique Guilhem André / 2 funéraire xiongnu fournissent la grande quantité de connaissances sur le commerce, les relations internationales et les échanges entretenus avec l’étranger d’une manière générale, l’étude des monuments et celle du mobilier, nous examinerons la seconde catégorie en faisant si possible appel à des données récentes. Signalons toutefois que le mobilier ne reflète pas de manière absolument objective la réalité de ces échanges. En effet, pour l’essentiel il provient de sépultures appartenant à l’élite sociale ou économique et le mobilier somptuaire est susceptible de ne représenter qu’une part des échanges réels. En outre, la typologie des pièces retrouvées relève de choix délibérés liés à des rites funéraires spécifiques et ne visent pas à représenter avec exactitude une situation objective. Il demeure donc délicat d’évaluer précisément ces échanges uniquement à l’aune des dépôts funéraires même si certaines informations précieuses découlent d’une telle étude. Trois catégories principales de mobilier sont à distinguer en fonction de leur lien avec l’étranger et de leur traitement sur place : des pièces de fabrication locale, du mobilier exotique et des pièces imitées ou transformées. Le mobilier de fabrication locale, présentant peu ou pas de trace d’influence étrangère constitue une catégorie dont la réalité est attestée par de rares ateliers mis au jour récemment. L’aire de diffusion de cette production Xiongnu reste encore à déterminer. La majeure partie de ce mobilier peut-être regroupée en deux ensembles principaux : les récipients réalisés en céramique d’une part et les éléments de harnachement, souvent métalliques, d’autre part. Certaines catégories, importantes sur un plan culturel, demeurent rares dans les découvertes2. Les sépultures comprennent très majoritairement de la vaisselle de céramique en petite quantité et dans de rares cas d’autres objets tels que des lampes. La vaisselle, à destination visiblement culinaire à en juger par les restes d’ossements animaux qu’elle contient parfois forme une typologie assez réduite constituée de jarres et de pots qui diffèrent surtout dans leurs dimensions. La faible variabilité des formes est probablement à mettre en relation avec le régime alimentaire Xiongnu comprenant peu de produits agricoles et principalement centré autour de la viande d’ovinés ou de bovinés. L’essentiel de la vaisselle est donc constitué de récipients d’usage et leur examen révèle une fabrication moins raffinée que celle mise en œuvre chez les Han à la même période. On constate notamment le petit nombre de techniques employées, tandis que parallèlement, l’empire han propose déjà une variété de techniques : terre cuite peinte ou à décor de cuisson, glaçure, voire grès porcelaineux à couverte feldspathique. Les pièces empruntent peu à des objets de fabrication étrangère et sont très rarement importées, quelques rares exemples sont à rapprocher du monde chinois han. A comparer avec certaines pièces plus anciennes des IVe-IIIe s, telles que celles découvertes dans des tombes Saka de Chandman Uul dans la province d’Uvs par exemple, on constate des progrès techniques3. Ces pièces uniquement montées au colombin dans des dimensions toujours réduites demeurent souvent mal cuites. En revanche, pour les créations xiongnu, on remarque l’utilisation systématique du tour lent permettant de créer des formes plus hautes. La fabrication est sériée comme l’indique l’usage de formes répétitives ainsi que le caractère systématique du dégraissage des pâtes et de la réalisation des décors. La pose de marques sous le pied, éventuellement lues comme des caractères chinois, révèle pour certains la présence 2 Il n’est pas possible d’évoquer ici l’ensemble des catégories existantes, qu’il s’agisse du mobilier local ou importé, nous avons choisi une typologie représentative. 3 D. TSEVEENDORJ, Chandmanii soël. Mongolyn arkheologiin toch tol’, Sh. U. A., Oulan-Bator, 2007. Atelier A02 / Transferts et interactions dans la très longue durée en Asie centrale et méridionale Commerce et production dans les steppes d'Asie orientale à la période antique Guilhem André / 3 d’artisans Han dans les ateliers xiongnu qui auraient justement pu porter ces progrès techniques. Les pièces de harnachement participent du même groupe de mobilier d’origine locale, peu influencé par une production étrangère, on les trouve dans l’ensemble des tombes, modestes ou somptuaires. Les principales différences à noter des une aux autres sont d’une part la quantité variable d’éléments déposés et d’autre part les différents matériaux employés. Dans les tombes modestes, on relève au plus un unique ensemble comprenant mors, aiguilles, boucles et anneaux, tandis que dans les tombes somptuaires on en exhume parfois en grande quantité comme dans la tombe T20 de Gol Mod4. Ainsi que l’ont montré de récentes études comparées sur la métallurgie5 la production de ces pièces est locale. Leur type est spécifiquement xiongnu et elles se trouvent en plus grande quantité que dans les tombes Han contemporaines. S’agissant des matériaux, les éléments de harnachement sont réalisés en matériaux organiques voire en fer dans les tombes modestes. En revanche, dans les tombes princières, hormis éventuellement de la sellerie dont seuls deux cas sont connus, les pièces de harnachement en matériaux organiques sont absentes. En plus des pièces en fer, on y trouve des éléments en bronze et en argent parfois doré. Ceux-ci ne possèdent pas de rôle purement fonctionnel mais plutôt décoratif, probablement lié à la parade6. Le mobilier exotique regroupe principalement des artefacts retrouvés dans des quantités importantes dans les tombes de grandes dimensions, plus rares voire absents des tombes de petites dimensions. Pour cette catégorie, les matériaux concernés et les sources d’approvisionnement sont divers, on reconnaît des objets finis ou des matériaux bruts d’importation centrasiatique ou han. Le mobilier importé d’Asie centrale comprend des objets finis en matériaux organiques ou en métal avec parfois des incrustations minérales7. Signalons trois catégories principales : des tapisseries, des éléments de parure et des objets plus purement décoratifs liés à la vaisselle. Les textiles de laine d’origine centrasiatiques forment un premier groupe, uniquement connu en Mongolie par les découvertes de Noyon Uul. La tombe n°6 fouillée en 1924-1925 mais aussi des découvertes plus récentes dans les tombes 20 et 31 en 2006-2009 les ont révélés8. Ces textiles qui apparaissent désormais clairement comme une production Sogdiane ou Bactriane se rapportant à la population Yuezhi9 portent un répertoire décoratif dérivé du monde gréco-romain comprenant notamment des motifs de palmettes, de griffons, de putti, de personnages vêtus à la mode locale avec parfois une recherche de représentation du volume. Dans la perspective des réseaux commerciaux, il convient de mettre ces textiles en 4 G. ANDRÉ, J. HOLOTOVÁ-SZINEK, H. MARTIN « Chevaux et Xiongnu en Mongolie. Où donc trouver les cavaliers nomades ? », Monumenta Serica, Monograph Series, Miscellanea Asiatica, Vol. LXI, Mélanges en l’honneur de Françoise Aubin, Monumenta Serica Institute, Sankt Augustin, Steyler Verlag, Nettetal, 2010. 5 PARK J.-S., GELEGDORJ E. CHIMIDDORJ Y.-E., « Technological traditions inferred from iron artefacts of the Xiongnu Empire in Mongolia », in Journal of Archaeological Science, 37, Elsevier, 2010. 6 G. ANDRÉ et alii., 2010. 7 La turquoise et le verre font aussi partie de ces matériaux. 8 D. TSEVEENDORJ, N. ERDENE-OCHIR, N. V. POLOS’MAK, E. S. BOGDANOV, « Noyon Uulyn khünnügiin yanzguurtni bulshny 2006-2009 ony arkheologiin maltlaga sudalgaany ur dungees », Arkheologiin sudlal, 29, Sh. U . A., Oulan-Bator, 2010. 9 La production de ces textiles était auparavant attribuée tantôt à la Bactriane ou la Sogdiane, tantôt à la Syrie. Atelier A02 / Transferts et interactions dans la très longue durée en Asie centrale et méridionale Commerce et production dans les steppes d'Asie orientale à la période antique Guilhem André / 4 relation avec ceux découverts récemment dans l’actuel Xinjiang chinois, sur le site de Shanpula et datés pour certains du Ier s. de. n. ère10. De même pour les éléments de parure, l’existence de contacts avec l’Asie centrale probablement la Bactriane - est notable par la présence de bractées en or ou argent doré incrustées de turquoise dans certaines sépultures. La forme des objets, circulaires, en forme de gouttes ou de motifs quadrifoliés l’emploi de turquoise ainsi que la technique de granulation sont révélateurs d’un caractère exotique. Un grand nombre d’objets similaires du point de vue formel ou technique ont ainsi été exhumés en Afghanistan sur le site de Tillia Tepe, dans la tombe 1 datée du Ier s par exemple11. Il semble que l’Asie centrale soit également une source d’approvisionnement prioritaire pour le mobilier somptuaire d’argent : vaisselles et objets d’amateurs. Ainsi, trois fragments ou exemples complets de vaisselle en argent ont été découverts, deux à Gol Mod en Mongolie et un à Shangsunjiazhai en Chine12, portant un répertoire décoratif végétal centrasiatique comparable à celui que l’on connaît sur le textile, la pierre ou le métal. Autre type d’objet en argent très rare et destinée à un fond de coupe, une plaque circulaire vraisemblablement fabriquée en Bactriane avant de parvenir en Mongolie centrale à Noyon Uul où elle a été retrouvée dans la tombe 20, datée du Ier s. Le décor mythologique de cette pièce en argent, représente Dyonisos et une nymphe de son thyase13 (Fig. 1). Il s’agit d’un objet fini, peut-être réalisé d’après des modèles en plâtre ou emblema de style gréco-romains. De tels emblema ayant pu servir à des artisans locaux pour créer des œuvres comparables ont été découverts dans la chambre 13 à Begram au nord de l’Afghanistan par la mission Hackin en 1939 et datés du Ier-IIe s. de n. ère14. D’autres pièces en argent proches de celle-ci et provenant de Bactriane assurent qu’il s’agit bien d’une importation provenant de la même zone15. 10 XINJIANG WEIWU’ER ZIZHIQU BOWUGUAN, Zhongguo Xinjiang Shanpula, Xinjiang Wenwu Chubanshe, Urumqi, 2011. 11 V. I. SARIANIDI, The Golden Hoard of Bactria : from the Tillya-tepe excavations in northern Afghanistan, New-York : H. N. Abrams ; Leningrand: Aurora Art Publishers, 1985. 12 G. ANDRE, « Une tombe princière Xiongnu à Gol Mod, Mongolie (campagne de fouilles 2000–2001), in Arts Asiatiques, 57, EFEO / Musée Guimet, Paris, 2002. 13 D. TSEVEENDORJ, 2010, op. cit. Identification proposée par H.-P. Francfort. 14 J. HACKIN, J.-R. HACKIN, Recherches archéologiques à Begram : chantier n°2, MDAFA, vol. 9, Paris 1939. 15 F. BARATTE, « Orient et Occident : le témoignage d’une trouvaille d’argenterie d’époque parthe en Asie centrale », in Journal des savants, Paris, 2001. Atelier A02 / Transferts et interactions dans la très longue durée en Asie centrale et méridionale Commerce et production dans les steppes d'Asie orientale à la période antique Guilhem André / 5 Fig. 1 Médaillon de fond de coupe en argent à décor mythologique, tombe n°20, Noyon Uul, Ier s. de n. ère. Découverte de la mission russo-mongole (2006-2009), Institut d’Archéologie Oulan-Bator. (© J. Van Alphen) La seconde source d’importation de mobilier et peut-être la plus importante du point de vue numérique demeure la Chine des Han. Comme pour les autres catégories de mobilier exotique, les objets Han sont principalement exhumés des plus grandes tombes. On distingue cinq types d’objets : des soieries, de la vaisselle de laque, des miroirs en bronze, des objets en jade et des chars en matériaux composites (bois laqué, bronze, textile). On pourrait évidemment dire beaucoup de ce groupe d’objets étant donné la richesse des informations textuelles et archéologiques, en Mongolie et en Chine. Le mobilier transformé ou procédant par imitation constitue la catégorie probablement la plus difficile à détecter et par conséquent la moins bien étudiée car elle nécessite préalablement à son identification une bonne connaissance du mobilier d’origine étrangère et des techniques artisanales xiongnu. Ces objets sont constitués de matériaux organiques autant que métalliques voire minéraux. Ainsi, dans la tombe T1, la centaine de fragments textiles exhumés comprenait près de 80 % de pièces laine, le reste regroupant des éléments de feutre ou de soie. Le feutre est clairement de fabrication locale, la matière première et la technique étant disponibles sur place. Rien n’indique toutefois que les pièces en laine sans décor aient quant à elles été importées de Sogdiane ou de Bactriane à l’instar des textiles bordés que nous avons mentionné. En outre, des fusaïoles ont été retrouvées dans certaines tombes de Mongolie centrale, ce qui rend plausible l’existence d’une industrie textile en Mongolie permettant la création de ces sergés de laine. Atelier A02 / Transferts et interactions dans la très longue durée en Asie centrale et méridionale Commerce et production dans les steppes d'Asie orientale à la période antique Guilhem André / 6 S’agissant des objets en laque, il semble qu’ils ont également fait l’objet d’imitations en Mongolie. Ainsi, dans la sépulture T79 de Gol Mod datée du premier siècle, plusieurs fragments de coupes ont été retrouvés dans la chambre funéraire. L’une d’entre-elles est clairement chinoise et relève de la période d’inhumation du défunt. Tandis que d’autres fragments d’un autre récipient en bois étaient revêtus d’une épaisse couche pulvérulente au rouge de cinabre semblant imiter le laque chinois mais comportant un décor de hachures typiquement Xiongnu conforme à celui que l’on connaît sur la céramique. Il s’agit apparemment là d’une rare tentative d’imitation du laque chinois. Dans le domaine des minéraux, plusieurs objets en jade découverts en Mongolie laissent penser que des artisans spécialisés imitaient ou adaptaient les produits chinois. Cette hypothèse s’appuie à nouveau sur les découvertes de grandes tombes de l’élite, en particulier à Noyon Uul et à Gol Mod. On remarque que le jade, non disponible localement, a fait l’objet d’importation sous deux formes : le matériau brut et l’objet fini. Des pièces de qualité inférieure sont réalisées par découpage ou adaptation d’objets Han, ce qui permet aussi une multiplication du nombre de pièces. On ne connaît pas la source étrangère pour l’approvisionnement en jade mais, s’agissant du matériau brut, il est possible que les relations privilégiées entretenues avec les régions de l’actuel Xinjiang, Khotan en particulier aient permis d’obtenir de la néphrite16. Mentionnons également un exemple dans le domaine du métal avec le décor des cercueils. Dans certaines tombes où les constructeurs cherchent à mettre spécifiquement en valeur le statut du défunt, le mobilier comprend en effet un décor particulier sur les panneaux latéraux et le couvercle du cercueil. Il s’agit de bandes croisées enserrant des motifs quadrifoliés, rivés dans le bois. L’origine de ce décor n’est pas locale mais bien étrangère et renvoie à des précédents à la fois en Chine et en Asie centrale. Toutefois, le traitement sous forme métallique, en fer, en bronze voire en or relève, lui, d’une adaptation proprement xiongnu. Comme l’ont montré les analyses pratiquées au C2RMF sur du mobilier en or issu de plusieurs inhumations17, ce travail de métallurgie est local et s’inscrit dans un artisanat dont l’approvisionnement puisait par orpaillage aux ressources des rivières. L’étude des monuments et de la provenance des dépôts apporte des informations importantes et le point essentiel est d’abord l’existence d’une production xiongnu dont récemment encore on sous-estimait l’importance. Elle s’inspire à divers degrés des créations étrangères et en particulier celles de la Chine han, à la fois sur un plan technique et esthétique. Un phénomène d’imitation a également été mis en lumière et les denrées importées font souvent l’objet de transformations locales pour permettre une adéquation aux besoins : découpages, ajouts etc. De nombreuses questions se posent encore et d’abord celles des sources d’approvisionnement qui demeurent souvent à identifier précisément. Le fer par exemple, retrouvé en grande quantité dans les vestiges, est frappé d’interdit commercial par les Han et aucune industrie minière ou atelier de fabrication n’a encore été mis en lumière en Mongolie pour ces productions locales, sur le terrain, la découvertes de fabriques est encore malheureusement trop rare. Comment convient-il d’envisager le phénomène d’importation de biens exotiques dont nous avons parlé ? Il ne constitue apparemment pas une réponse directe à une nécessité d’accumulation mais s’explique probablement par le fait que les catégories sociales élevées de cette société appuyaient leur pouvoir sur leur aptitude à entretenir des 16 L’état actuel des connaissances ne permet pas de trancher sur cette question. M. F. GUERRA, « L’analyse des éléments en or du site de Gol Mod », in Mongolie le premier empire des steppes, Actes Sud/MAFM, Arles, 2003. 17 Atelier A02 / Transferts et interactions dans la très longue durée en Asie centrale et méridionale Commerce et production dans les steppes d'Asie orientale à la période antique Guilhem André / 7 relations avec les pays étrangers. Leur puissance s’illustre ainsi par une capacité de redistribution des biens que l’on retrouve donc dans les sépultures de l’élite en particulier. Autre question, celle de la monnaie d’échange utilisée par les Xiongnu dans les circuits commerciaux, même s’il semble qu’ils n’employaient pas de monnaie physique, les sources chinoises mentionnent effectivement le troc. A la fin du premier siècle avant notre ère, un passage des « Discours sur le sel et le fer » 18 indique que les Xiongnu échangeaient des animaux en grand nombre : mulets, ânes, chameaux, chevaux de qualité, mais aussi des produits tels que des fourrures de vair, d’hermine, de renards ou de blaireaux, ainsi que des tapis et vêtements de feutre et de laine colorés et décorés ainsi que des matières précieuses : jade, pierres, coraux et verres qui invitent, en regard des découvertes, à reconsidérer ces réseaux commerciaux. On suppose souvent que les Xiongnu jouaient le rôle d’intermédiaires et commercialisaient vers l’Ouest la soie chinoise, reçue par les routes du Xinjiang et qui à l’extrémité occidentale, atteignait la Grèce puis Rome. Pour certains auteurs19, ce n’est en tout cas pas leur rôle économique mais bien des décisions politiques qui ont déterminé l’empire Han à prendre possession du Xinjiang. L’une des clés réside probablement dans le fait de parvenir à une meilleure compréhension de la relation entre les Xiongnu et les autres peuples de la région, Yuezhi en particulier, eux aussi impliqués dans la production ou le commerce transfrontalier. BIBLIOGRAPHIE G. ANDRE, « Une tombe princière Xiongnu à Gol Mod, Mongolie (campagne de fouilles 2000–2001), in Arts Asiatiques, 57, EFEO / Musée Guimet, Paris, 2002. G. ANDRE, J. HOLOTOVÁ-SZINEK, « Menggu Xiongnu guizu mudi chubu yanjiu », in Kaogu xuebao, 1, Zhongguo Shehuikexueyuan, Pékin, 2009. G. ANDRÉ, J. HOLOTOVÁ-SZINEK, H. MARTIN « Chevaux et Xiongnu en Mongolie. Où donc trouver les cavaliers nomades ? », in Monumenta Serica, Monograph Series, Miscellanea Asiatica, Vol. LXI, Mélanges en l’honneur de Françoise Aubin, Monumenta Serica Institute, Sankt Augustin, Steyler Verlag, Nettetal, 2010. F. BARATTE, « Orient et Occident : le témoignage d’une trouvaille d’argenterie d’époque parthe en Asie centrale », in Journal des savants, Paris, 2001. T. J. BARFIELD, The Hsiung-nu Imperial Confederacy: Organization and Foreign Policy, in The Journal of Asian Studies, Vol. 41, No. 1, Ann Arbor, 1981. N. DI COSMO, Ancient China and it’s Enemies. The Rise of Nomadic Power in East Asia History, Cambridge University Press, Cambridge, 2002. M. F. GUERRA, « L’analyse des éléments en or du site de Gol Mod », in Mongolie le premier empire des steppes, Actes Sud/MAFM, Arles, 2003. J. HACKIN, J.-R. HACKIN, Recherches archéologiques à Begram : chantier n°2, MDAFA, vol. 9, Paris 1939. J.-S. PARK, GELEGDOR, J E. CHIMIDDORJ Y.-E., « Technological traditions inferred from iron artefacts of the Xiongnu Empire in Mongolia », in Journal of Archaeological Science, 37, Elsevier, 2010. 18 Discours sur le sel et le fer, Li Geng, t. 1, chap. 2, 3. N. DI COSMO, Ancient China and it’s Enemies. The Rise of Nomadic Power in East Asia History, Cambridge University Press, Cambridge, 2002. 19 Atelier A02 / Transferts et interactions dans la très longue durée en Asie centrale et méridionale Commerce et production dans les steppes d'Asie orientale à la période antique Guilhem André / 8 V. I. SARIANIDI, The Golden Hoard of Bactria : from the Tillya-tepe excavations in northern Afghanistan, New-York : H. N. Abrams ; Leningrand: Aurora Art Publishers, 1985. D. TSEVEENDORJ, Chandmanii soël. Mongolyn arkheologiin toch tol’, Sh. U. A., Oulan-Bator, 2007. D. TSEVEENDORJ, N. ERDENE-OCHIR, N. V. POLOS’MAK, E. S. BOGDANOV, « Noyon Uulyn khünnügiin yanzguurtni bulshny 2006-2009 ony arkheologiin maltlaga sudalgaany ur dungees », Arkheologiin sudlal, 29, Sh. U . A., Oulan-Bator, 2010. J. VAN ALPHEN (dir.), A passage to Asia, 25 centuries of exchange between Asia and Europe, BOZAR, Bruxelles, 2010. XINJIANG WEIWU’ER ZIZHIQU BOWUGUAN, Zhongguo Xinjiang Shanpula, Xinjiang Wenwu Chubanshe, Urumqi, 2011. Atelier A02 / Transferts et interactions dans la très longue durée en Asie centrale et méridionale Commerce et production dans les steppes d'Asie orientale à la période antique Guilhem André / 9