Révision par l`ombudsman de Radio-Canada d`une

Transcription

Révision par l`ombudsman de Radio-Canada d`une
1
Révision par l’ombudsman de Radio-Canada d’une plainte à propos d’une
entrevue accordée par Mme Johane Despins, animatrice de l’émission
L’épicerie, le 10 mars 2013.
LA PLAINTE
Un auditeur, M. Simon Carrier, se plaint d’une entrevue accordée le 10 mars 2013 par
me
M Johane Despins, animatrice de l’émission L’épicerie, dans le cadre de l’émission de variétés
Tout le monde en parle, diffusée à la Télévision de Radio-Canada. M. Carrier soutient que
M
me
Despins a pris position en affirmant faussement qu’il n’y a aucune différence entre les
aliments biologiques et les aliments conventionnels.
Voici ce qu’il écrit :
me
« M Despins a énoncé le fait que l’alimentation de produits certifiés
biologique était uniquement ‘’idéologique’’ et ne comportait aucune
différence avec l’alimentation conventionnelle.
Cette affirmation est fausse et induit la population en erreur sur ce point.
(…)
L’alimentation biologique est largement reconnue dans le monde entier. Des
organismes indépendants attestent la mention ‘‘biologique’’ sur les produits
vendus. »
LA RÉPONSE DE LA DIRECTION DE L’INFORMATION
La réponse de la direction de l’Information, dont relève M
me
Despins, est venue de
M. André Dallaire, directeur du Traitement des plaintes et Affaires générales.
M. Dallaire rappelle d’abord au plaignant le mot à mot de l’échange entre d’une part
me
M Despins et le coanimateur de l’émission L’épicerie, M. Denis Gagné, qui était aussi
interviewé, et d’autre part l’animateur de Tout le monde en parle, M. Guy A. Lepage.
Et il conclut de ces propos qu’ils sont « plus nuancés que l’impression » qu’en a retenus le
plaignant et qu’ils n’induisent en rien la population en erreur.
LA DEMANDE DE RÉVISION
La réponse de M. Dallaire n’a pas complètement satisfait M. Carrier qui m’a demandé de réviser
le dossier. Il estime entre autres que certains propos de M
M. Dallaire.
me
Despins n’ont pas été relevés par
2
Et il considère toujours que M
me
Despins « a induit la population en erreur » et que la définition
qu’elle a donnée « de l’alimentation biologique est totalement fausse ». À tel point, écrit-il, « qu’il
a fallu l’intervention du coanimateur de son émission pour la corriger ».
Et il ajoute :
« L’agriculture biologique n’a jamais garanti des taux de gras et de sucre
inférieurs. L’alimentation biologique s'applique aux aliments issus de
produits respectant les standards de l'agriculture biologique, et transformés
selon des méthodes elles aussi standardisées qui excluent notamment
l'usage d’engrais chimiques de synthèse et de pesticides de synthèse, ainsi
que d'organismes génétiquement modifiés. »
LA RÉVISION1
Pour les besoins de cette révision et la bonne compréhension du lecteur, je reproduis ici
me
l’échange sur les aliments biologiques qu’ont eu M Despins et le coanimateur de l’émission
L’épicerie, Denis Gagné, en réponse à une question de Guy A. Lepage :
GUY A. LEPAGE : « Les produits bio, est-ce que c’est si tant meilleur?»
JOHANE DESPINS : « Bien, pas nécessairement. Côté valeur nutritive, non.
Il faut vraiment que tu le fasses pour des raisons idéologiques parce qu’il y a
plein de produits biologiques qu’on teste régulièrement, qui sont plus sucrés,
plus gras, plus salés que les produits réguliers parce qu’on a voulu
camoufler certains goûts, on a voulu le rendre aussi attrayant, ou soit plus
attrayant. Mais je ne dis pas que c’est pas intéressant les produits bio… »
DENIS GAGNÉ : « Non, parce que ça garantit quand même… »
J. DESPINS : « …mais faut le faire pour les bonnes raisons. »
D. GAGNÉ (à la blague) : « On va avoir une chicane là… (rires). Non mais
ça garantit quand même… »
J. DESPINS : « Je suis contente parce que quand je suis arrivée à L’épicerie
c’est moi qui était pro-bio, et puis là …»
D. GAGNÉ : « Non mais, ça garantit quand même que t’as pas d’insecticide
ni de pesticide… »
J. DESPINS : « C’est ça! »
1
Le mandat de l’ombudsman : http://blogues.radio-canada.ca/ombudsman/mandat
3
D. GAGNÉ : « … dans les fruits et les légumes que tu manges. »
Je rappelle d’abord que Tout le monde en parle est une émission de variétés, et non
d’information, dont le ton léger et l’humour ambiant appellent nécessairement les journalistes qui
y sont invités à s’écarter du flegme et du stoïcisme que leur impose l’exercice ordinaire de leur
métier de journaliste, à Radio-Canada en particulier.
Mes prédécesseurs dans la fonction que j’occupe, et plusieurs observateurs des médias, ont
souvent souligné, en parlant de « mélange des genres », le danger qu’il y avait pour les
journalistes de sortir de leur rôle habituel en participant à ce genre d’émissions. Pour établir
l’impartialité des journalistes, des reporters et analystes en particulier, les règles déontologiques
réclament qu’ils maintiennent une distance certaine à l’égard des sujets et des individus dont ils
traitent.
C’est pour cette raison que les Normes et pratiques journalistiques (NPJ) de Radio-Canada
2
établissent que ses journalistes « n’expriment pas leurs opinions personnelles ».
« Cela, y lit-on, a pour but de protéger l’impartialité du diffuseur public et de
permettre aux journalistes d’explorer un sujet avec ouverture et sans parti
pris. »
On peut donc comprendre que de participer à une émission de variétés représente un défi pour
un journaliste. Il doit en effet, pour faire bonne figure, sortir de sa réserve habituelle tout en
évitant d’exprimer des opinions personnelles.
Dans le cas qui m’est soumis, le risque était d’autant plus relevé que l’échange à bâtons rompus
entre Guy A. Lepage et ses deux invités faisait partie d’une entrevue qui appelait des réponses
brèves à une série de questions rapides, comme le veut la formule de l’émission.
Il faut bien convenir aussi que les questions s’adressaient aux deux animateurs de L’épicerie,
dont les réponses se complétaient.
me
Le plaignant n’a pas apprécié que M Despins dise que seules des raisons « idéologiques »
pouvaient motiver la consommation de produits biologiques.
Il ajoute qu’elle a affirmé faussement qu’il n’y avait aucune différence entre les aliments
biologiques et les aliments conventionnels.
Je crois que, pour rendre justice à M
contexte.
2
me
Despins, il faut analyser ses propos et les remettre en
http://www.cbc.radio-canada.ca/fr/rendre-des-comptes-aux-canadiens/lois-etpolitiques/programmation/journalistique/opinion/
4
À la question de M. Lepage qui lui demandait si les produits biologiques étaient « si tant
meilleurs », elle répond d’abord : « pas nécessairement ». Cette entrée en matière, déjà
nuancée, appelle des précisions qu’elle apporte ensuite en expliquant qu’il n’y a pas de
différence de « valeur nutritive » entre produits biologiques et conventionnels.
Pour appuyer cette affirmation, elle cite les nombreux tests comparatifs menés entre autres par
L’épicerie qui démontrent même que certains produits biologiques contiennent plus de sucre et
de matières grasses que leurs équivalents conventionnels.
me
M
Despins termine cette partie de son intervention en disant : « Je ne dis pas que ce n’est pas
intéressant, les produits bio. Mais faut le faire pour les bonnes raisons, faut le choisir pour les
bonnes raisons ».
3
La valeur d’impartialité des NPJ, qu’on trouve dans leur chapitre d’introduction, établit que le
jugement professionnel des journalistes de Radio-Canada « se fonde sur des faits et sur
l’expertise », et qu’ils ne doivent pas défendre « un point de vue particulier dans les questions qui
font l’objet d’un débat public ».
me
À mon avis, l’intervention de M Despins est beaucoup plus nuancée que la perception qu’en a
eue le plaignant, je suis d’accord avec M. Dallaire sur ce point.
La journaliste dit en essence que les aliments biologiques ne sont « pas nécessairement » « si
tant meilleurs », pour reprendre le superlatif de M. Lepage, en tous cas, pas au plan de la valeur
nutritive; que les consommateurs de produits biologiques le font par choix « idéologique »; que
les « produits bio » sont quand même intéressants; et qu’il faut les choisir pour les bonnes
raisons, ce qui implique, compte tenu de ce qu’elle vient de dire, qu’il ne faut pas les choisir parce
qu’on croit que leur valeur nutritive est toujours plus élevée que celle des aliments
conventionnels.
me
Tout ça me convainc que M Despins n’a pas, comme le croit le plaignant, affirmé qu’il n’y avait
aucune différence entre les aliments biologiques et les aliments conventionnels.
J’ajoute qu’elle s’est conformée à la valeur d’impartialité des NPJ, son commentaire étant fondé
« sur des faits et sur l’expertise », puisque appuyé sur des tests comparatifs et sa connaissance
du milieu de l’alimentation, et qu’en conséquence elle n’a pas défendu un « point de vue ».
Par contre, j’admets que l’emploi du terme « idéologique » était certainement imprécis et sans
doute inadéquat, et qu’il a pu choquer les tenants de l’alimentation biologique. Mais, dans le
contexte de la phrase, je le comprends comme signifiant que le choix de consommer des produits
biologiques est d’abord une question de principe.
3
http://www.cbc.radio-canada.ca/fr/rendre-des-comptes-aux-canadiens/lois-etpolitiques/programmation/journalistique/
5
D’autre part, M
me
Despins n’a pas eu le loisir d’expliquer ce qu’étaient ces « bonnes raisons »
qu’elle a évoquées pouvant motiver le choix de consommer des produits biologiques.
Dans le feu de l’échange, en effet, son coanimateur et comparse pour l’entrevue, Denis Gagné,
semblait impatient d’intervenir pour ajouter à l’explication de sa consœur, qu’il trouvait
manifestement incomplète.
me
Et M Despins de souligner à la blague que lorsqu’elle a commencé son travail de coanimatrice
de l’émission L’épicerie, elle était « pro-bio », laissant entendre avec joie qu’elle pouvait ne plus
être la seule.
Le dernier mot sur cette question est donc revenu à Denis Gagné qui a ajouté que la certification
biologique garantissait au moins l’absence d’insecticide et de pesticide dans les aliments,
me
notamment dans les fruits et les légumes. Et M Despins d’acquiescer en disant : « c’est ça! ».
Encore une fois, il n’est pas aisé pour des journalistes de s’inscrire dans le format d’une émission
de variétés. Les risques d’y déraper hors des balises fixées par les NPJ sont réels et nombreux.
Je considère toutefois que, dans ce cas-ci, M
me
Despins et M. Gagné ont su éviter les embûches.
CONCLUSION
me
L’animatrice du magazine d’affaires publiques L’épicerie, M
Johane Despins, n’a pas enfreint
les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada, le 10 mars 2013, lors d’une entrevue
sur l’alimentation biologique accordée dans le cadre de l’émission Tout le monde en parle.
Pierre Tourangeau
Ombudsman des Services français
Société Radio-Canada
Le 12 avril 2013

Documents pareils