un précurseur dunouveau président des États-Unis

Transcription

un précurseur dunouveau président des États-Unis
Aux évêques de France
Conférence des Évêques de France
OFC 2017, n° 2
Un précurseur du nouveau président des États-Unis ?
La personnalité et le caractère du nouveau président américain nourrissent des doutes sur ses capacités à tenir
son rôle de façon responsable. Ce n’est pas une nouveauté. Certains de ses prédécesseurs n’étaient pas des
modèles de pondération dans leurs jugements et leurs propos, et les États-Unis y ont apparemment survécu.
Il y a ceux dont les inconséquences et hypocrisies ont conduit à la Guerre de Sécession (1861-1865). Leurs
noms sont oubliés – Tyler (le premier menacé de destitution), Polk, Taylor, Fillmore, Pierce, Buchanan – et
aucun n’a été réélu. Même chose pour Andrew Johnson, le vice-président qui a succédé à Lincoln assassiné
et qu’on a aussi voulu destituer. Le suivant, Ulysse Grant, général victorieux des « rebelles » sudistes, est allé
péniblement au bout de son second mandat, déconsidéré par la vénalité manifeste dans son entourage.
Le républicain Warren Harding a été élu en 1920 pour remplacer le démocrate Woodrow Wilson malade, qui
ne se représentait pas et auquel était reproché son progressisme et son interventionnisme dans la Première
Guerre mondiale. Harding n’a pas simplement bénéficié d’une vague d’isolationnisme. Il n’avait pas
d’envergure nationale et a été propulsé par des businessmen qui ont acheté sa nomination à la convention
du parti. Le « retour à la normale » qu’il a incarné lui a valu de rester populaire jusqu’à sa mort soudaine en
1923. C’est après coup que les scandales éclatent. Il avait été traité en maison psychiatrique pour dépression.
Il se disputait tout le temps avec sa femme. Celui qui avait été son ministre de l’intérieur et d’autres de ses
collaborateurs vont en prison pour corruption. Il s’avère que gouvernement a dû payer une de ses maîtresses
pour qu’elle reste discrète. Une autre révèle qu’elle avait ses entrées à la Maison blanche et réclame de
l’argent pour la fille qu’il lui a donnée.
Mais le président dont les idiosyncrasies ressemblent le plus à
celles de Donald Trump, bien qu’évidemment elles ne soient pas
identiques, ne serait-ce qu’en raison de la différence des
époques, est Andrew Jackson (1767-1845), dont l’effigie orne les
billets de vingt dollars
Dans les années 1820 (cent ans avant Harding), contre l’establishment des partisans élitistes des « Lumières »
en Nouvelle Angleterre et en Virginie, qui ont été les « pères » de la jeune nation, il se positionne en
« populiste » avant la lettre, comme le champion des « petits », des travailleurs honnêtes que « le système »
pénalise et des pionniers courageux qui sont en train de conquérir le sud (la Floride, le Texas) aux dépens des
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Espagnols, en attendant l’ouest. Il s’est battu tout gamin contre les Anglais pendant la Guerre d’Indépendance
(1776-1783), puis a participé à la prise de la Nouvelle Orléans, où il s’est couvert de gloire, et aux combats pour
repousser les Indiens, envers lesquels il s’est montré impitoyable.
Entre ses campagnes militaires, il s’est lancé comme avocat avant d’investir dans une grande plantation avec
quantité d’esclaves dans le Tennessee, qui est alors un état à la « frontière » occidentale des États-Unis. Sa
position sociale et son prestige de soldat lui valent d’être élu sénateur. En 1824, il se présente à la présidence
et arrive largement en tête, mais sans majorité absolue, devant plusieurs candidats qui se maintiennent et
bloquent l’élection – jusqu’à ce que l’un d’eux, Henry Clay, apporte, contre la promesse d’un poste
ministériel, ses voix au notable et héritier qu’est John Quincy Adams, fils de John Adams qui avait été le viceprésident et successeur de George Washington. Jackson fondera alors le parti démocrate comme alliance des
minorités opprimées et prendra une éclatante revanche en 1828 en battant John Quincy Adams à plate
couture. Il sera réélu quatre ans plus tard contre Henry Clay, puis favorisera la victoire de Martin Van Buren,
son second vice-président, pour lui succéder.
Car sa présidence a été immédiatement gâchée par ce que l’on appelle « l’affaire des jupons ». La femme de
John Calhoun, son premier vice-président, monte une cabale contre celle de son ministre de la guerre,
soupçonnée d’avoir été une prostituée. Le gouvernement se divise et Jackson doit constituer un cabinet
parallèle, sans les « gardiens de la vertu ». Lui-même avait été accusé de bigamie, parce qu’il avait épousé
une femme qui se croyait divorcée alors que la procédure n’était pas achevée. Pour son second mandat, il
pourra enfin substituer des fidèles, dont Van Buren, à Calhoun et aux autres qui s’étaient opposés à lui (sans
que leurs femmes les y poussent) sur bien d’autres points, notamment la Banque fédérale, qu’il voulait
supprimer comme un monopole favorable aux riches (ce qui rend ironique l’hommage qui lui est rendu sur
les billets de vingt dollars).
Autrement, il instaura le système dit des dépouilles, par lequel le président élu octroie tous les postes
importants de l’administration fédérale à des amis à lui. Il poursuivit le refoulement des Indiens à l’ouest du
Mississippi, ce qui aboutit à un exode forcé où beaucoup moururent en route, sur ce qui est connu comme « la
piste des larmes ». Il réussit encore à extorquer au roi des Français Louis-Philippe Ier des dédommagements non
négligeables pour les navires américains, leurs équipages et leurs cargaisons saisis pendant le blocus continental
sous Napoléon Ier. Il resta populaire presque jusqu’au bout, grâce à sa démagogie, disaient ses ennemis. Mais
l’opinion se tourna contre lui en 1837 à cause de la crise financière imputée à sa politique bancaire qui obligeait
à payer en pièces d’or.
La brutalité ne lui faisait pas peur, qu’elle soit verbale ou même physique. Ses colères étaient fameuses. Avant
de devenir président, il s’était battu en duel d’innombrables fois et avait dans ce cadre tué au moins un homme.
Sur son lit de mort, il déclara que ses seuls regrets étaient de n’avoir pas réussi à faire fusiller John Calhoun et
pendre Henry Clay. Il fut aussi le premier président qu’on ait tenté d’assassiner. Il était au pouvoir quand Alexis
de Tocqueville visita l’Amérique et écrivit à son retour : « Le général Jackson, que les Américains ont choisi […]
pour le placer à leur tête, est un homme d’un caractère violent et d’une capacité moyenne : rien dans le cours
de sa carrière n’avait jamais prouvé qu’il eût les qualités pour gouverner un peuple libre ».
L’avenir dira jusqu’à quel point pourra resservir pour le successeur de Barack Obama ce jugement sur un
président qui n’a toujours, parmi les historiens, que des détracteurs condescendants ou bien des admirateurs
enthousiastes.
Jean Duchesne
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