Out of Focus», un talent flou

Transcription

Out of Focus», un talent flou
28
•
LIBÉRATION LUNDI 4 JUIN 2012
CULTURE
PHOTO A la Saatchi Gallery de Londres, 39 artistes internationaux planchent sur les tendances de leur médium.
«Out of Focus», un talent flou
OUT OF FOCUS
Saatchi Gallery, Duke of
York’s HQ, King’s Road, Londres.
Jusqu’au 22 juillet.
Rens.: www.saatchi­gallery.co.uk
lus qu’une prise de
position, une mise au
point. C’est ainsi que
l’on peut appréhender l’exposition «Out of Focus»,
présentée à la Saatchi Gallery, l’un des lieux culturels
les plus courus de Londres. A
la base, une idée fédératrice:
montrer comment se pratique la photographie dans un
nouveau monde coincé entre
Internet et le marché de l’art.
Sans être un bilan de santé,
«Out of Focus» distingue
39 artistes internationaux,
censés représenter à eux
seuls un certain état d’esprit
via leurs surfaces sensibles.
Ambition déclarée, donc,
même si elle occasionne toujours une déception, tant il
est difficile de concilier les
multiples tendances de ce
médium si prisé qu’il est jalousé. Aujourd’hui, la photo
est un labyrinthe mystérieux
avec quelques issues aussi
larges que des autoroutes, et
plus de conducteurs en pleins
phares qu’en veilleuse.
Trottoirs. Il n’y a, par
exemple, aucun point commun entre les passants anonymes de Katy Grannan (née
P
Autoportrait en triptyque du Sud­Africain Mohau Modisakeng. COURTESY O THE SAATCHI GALLERY, LONDON. MOHAU MODISAKENG, 2010
en 1969, aux Etats-Unis) et
les rites vaudou vus par
Leonce Raphael Agbodjélou
(1965, Bénin). La première,
avec ses portraits à échelle
humaine, donne une réalité
physique, presque palpable,
aux trottoirs de Los Angeles,
tandis que le second, blotti
derrière son sujet, s’essaie à
convoquer la cérémonie des
masques. Confrontation pour
Grannan, littéralement au
corps à corps avec ses modèles ; repli pour Agbodjélou,
fils de Joseph Moïse Agbodjélou (1912-2000), portraitiste
réputé formé en France.
L’Américaine et le Béninois
se contentent de la reproduction primitive sur papier,
quand John Stezaker (1949,
Grande-Bretagne) a le style
d’un serial killer. Il n’hésite
pas à couper les visages en
deux, à les cuisiner, voire à
les aveugler par des plans
d’architecture. C’est un recycleur né, et son propos
teinté d’ironie a toute sa
place dans cette exposition
de groupe où règne l’indiscipline. On avait failli oublier
combien le collage est un
exercice enrichissant, même
s’il apparaît digne d’espièglerie, c’est là sa faiblesse intrinsèque et son meilleur
atout. Noémie Goudal (1984,
France), elle, est à la limite
du collage, avec ses drôles de
fonds, rideau ou papier,
qu’elle pose dans ses paysages comme des miroirs sans
tain. C’est très subtil, et
d’une grande fraîcheur.
Respirer. Signe des temps,
en plus des collages, il y a
beaucoup de tentations surréalistes dans «Out of Focus», mais l’histoire des
images ne vit que de cette
répétition perpétuelle. Depuis son invention, la photographie a déjà tout vu, y
compris l’impossible. Avec le
nu, sujet bateau par excel-
lence, JH Engström (1969,
Suède) compose de petits
chefs-d’œuvre. Il est l’un
des rares photographes à savoir approcher un homme
dévêtu sans le ridiculiser.
Comment fait-il? Il ne cherche pas à métamorphoser
son modèle, à le glacer, à le
transformer en objet de désir. Il le laisse respirer avec ce
qu’il est. Rien de facile dans
cette démarche, finalement
assez précieuse, car l’on est
habitué à consommer de la
viande fraîche au quotidien,
à longueur de publicité.
Mohau Modisakeng (1986,
Afrique du Sud) est le benja-
min de «Out of Focus». Plus
que n’importe quel pays du
continent africain, l’Afrique
du Sud sait valoriser ses artistes, grâce à ses galeries, et
à la recherche identitaire
qu’ont dû accomplir les
Noirs après l’apartheid, expérimentant soudain leur
territoire en hommes libres.
Modisakeng propose un triptyque, un autoportrait doué
d’une force incroyable et
d’une haute valeur symbolique, du chapeau melon incarnant l’oppresseur à l’imprimé léopard cher aux
guerriers zoulous. En s’exposant à la lumière, Modisakeng, qui manie aussi la vidéo, signifie-t-il qu’il
cherche plus que sa propre
vérité? Il fait irrésistiblement
penser à Maya Angelou, figure tutélaire de l’Amérique
du XXe siècle, écrivant «en
forçant les Noirs américains à
vivre comme des parias dans le
pays qu’ils ont contribué à bâtir, l’oppression avait fait
d’eux des orphelins» (1). Il
faudra faire avec moi, semble
dire Modisakeng, s’offrant
de tout son poids au regard
des autres. Comme une
épreuve de force.
Envoyée spéciale à Londres
BRIGITTE OLLIER
(1) Extrait de «Tant que je serai
noire» (titre original: «The Heart
of a Woman»), 1981.
ROCK Après «Summer Of Hate» en 2009 et «Sleep Forever» en 2010,
UN AUTRE REGARD SUR LA GRÈCE
MARDI 5 JUIN I 21H
VITRIOL
DE
Yannis Mavritsakis
LECTURE DIRIGÉE PAR
Olivier Py
Xavier Gallais, Matthieu Dessertine,
Olivier Py, Mireille Herbstmeyer, Philippe
Girard, Samuel Churin
AVEC
VENDREDI 8 JUIN 21H
BLITZ THEATRE GROUP
GUNS ! GUNS ! GUNS !
Une revue délirante de l’histoire du
XXe
siècle.
& AUSSI ITALIE
MER. 6 & JEUDI 7 JUIN I 21H I ABBESSES
FABRIZIO ARCURI
FATZER FRAGMENTS /
GETTING LOST FASTER
Une adaptation percutante de la pièce
de Bertolt Brecht.
chantiersd’europe
Grèce // Italie
4•15 JUIN 2012 • 3e ÉDITION
SPECTACLES • CONCERT • LECTURES
01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
le quintet californien malsain redonne de la voix et du son laminé.
Les Crocodiles aboient,
la caravane flashe
CROCODILES
ENDLESS FLOWERS
CD: Souterrain transmissions/ City Slang.
n jaquette, un Alien nu comme un
ver blanc évadé de Prometheus,
gris tumoral à la place du sexe et
en main un bouquet répugnant, Molinier croisé Schiele revu baron von Gloden, descend un escalier à brandebourgs d’inspiration vieille Europe
nazillarde. Au dedans, un retour du
même rock lysergique nasillant à guitares brûlées comme on aime, dûment siglé Endless Flowers. Ce pourrait être le
nouveau (et même) Black Rebel… Dans
l’orbe scintillant (comme on dit «scotome scintillant») de feu Jesus & Mary
Chain, c’est le troisième CD mercurisé
de Brandon Welchez de San Diego and
Co Crocodiles.
De vague descendance mélée Stone Ro-
E
ses, la chose déploie une gerbe de psychédélisme à distorsions, fleurons binaires délétères à plaisir. Sous titres
cabalistiques (Sunday (Psychic Conversation # n° 9)), morbides (Electric Death
Song ou Dark Alleys), les sons grésillent,
voix nasillent, nappes grisaillent, riffs
fuzzent et irisent. Chant se posant et
décadence olympique stonienne, font
la haie féline. D’ailleurs des hululements de rappel sur Welcome Trouble
évoquent le guêpard, en-dehors de savane à la plastique cynique dont le feulement asocial est un aboi. Trève de
noise rétro sixties, ledit Welcome Trouble
refonde le propos, via jappements de retour, entre autres riffs du
Des chœurs, dignes de la pochette même mêtal mordu cuirassés
De l’un à l’autre cepenen It’s Only Rock’n’roll du Pellaert BRMC.
dant, sirènes, cloches, la made la décadence olympique
chine tourne un poil à vide, pas
stonienne, font la haie féline.
forcément à dessein, en système D larsen-Farfisa-nasales
raffinant à la Suede (Brett Anderson) sur surfiltré. C’est le goût maison, retour du
Bubblegum Trash, dans My Surfing Luci- même «Je hais le mouvement qui déplace
fer, Crocodiles fait miauler, contre-na- les lignes» baudelairien sonique, sale et
ture, les guitares.
antistatique. La mort en fait d’amour,
C’est le grand moment de l’édition. Des et l’inverti qui passe avec sa (son ?)
chœurs, dignes de la pochette en It’s moule en lieu de sexe.
Only Rock’n’roll du Guy Pellaert de la
BAYON