Famille, je vous hais : aux sources du conflit électoral gabonais

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Famille, je vous hais : aux sources du conflit électoral gabonais
Famille, je vous hais : aux sources du conflit électoral gabonais
Extrait du Presse-toi à gauche !
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Famille, je vous hais : aux
sources du conflit électoral
gabonais
- International - Afrique -
Date de mise en ligne : mardi 6 septembre 2016
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Famille, je vous hais : aux sources du conflit électoral gabonais
5 septembre 2016 | tiré de mediapart.fr
En toile de fond de la crise postélectorale au Gabon entre Ali Bongo Ondimba et Jean Ping,
on trouve un mélange de relations familiales compliquées et de luttes pour le contrôle du
pouvoir et des ressources du pays. Retour sur les racines du conflit qui oppose les deux
principaux protagonistes de cette crise,
Lorsque l'on scrute à la loupe le conflit qui a éclaté après l'élection présidentielle du 27 août au Gabon, on est assuré
de découvrir un étonnant panorama : un écheveau de relations familiales compliquées, de batailles d'héritiers et
d'histoires de gros sous. Il faut le démêler si on veut comprendre une partie des racines et ressorts du conflit.
Au centre de cet enchevêtrement, il y a évidemment Ali Bongo Ondimba, désigné vainqueur de la présidentielle le 31
août par la commission électorale (il faut encore que la Cour constitutionnelle se prononce), et Jean Ping, qui
dénonce des fraudes, se présente comme le « président élu » et possède le soutien de Paris. Les deux hommes
viennent nénamoins du même monde : ils ont été façonnés par Omar Bongo Ondimba, qui a dirigé le Gabon pendant
quarante et un ans jusqu'à son décès, en 2009. Le premier, Ali Bongo Ondimba, 57 ans, est l'un des fils d'Omar, et
le second, Ping, 73 ans, peut être considéré comme l'un de ses gendres, puisqu'il a été le compagnon de sa fille
aînée, Pascaline Bongo, dont il a eu deux enfants.
Omar Bongo les a associés de près à la direction du pays, qui compte aujourd'hui 1,8 million d'habitants : ils ont
siégé pendant longtemps au gouvernement. Il faut rappeler qu'Omar Bongo, installé à la présidence par la France,
avait bâti son pouvoir sur un système de gestion à la fois familial et clientéliste.
Tout comme Ali, qui était ministre de la défense au moment de sa mort, en 2009, sa fille Pascaline occupait un poste
stratégique : elle était sa directrice de cabinet et tenait les cordons de sa bourse. Un autre de ses fils, Christian, était
directeur de la Banque gabonaise de développement. Plusieurs de ses ex-compagnes ont aussi joué un rôle
important au coeur de l'État, comme Marie-Madeleine Mborantsuo, présidente de la Cour constitutionnelle depuis
1991. Issu d'une ethnie minoritaire, Omar Bongo a en outre veillé à respecter un savant équilibre : il s'est constitué
une clientèle politique et administrative parmi les cadres des différentes régions du pays, faisant en sorte que tous se
sentent représentés et que les ambitions financières et politiques des uns soient contenues par celles des autres.
Au fil des années, le nombre de ses clients a grossi pour devenir pléthorique, la taille de sa famille aussi : Omar
Bongo a multiplié les conquêtes féminines et eu plusieurs dizaines d'enfants - il en a reconnu une cinquantaine, dont
plusieurs qu'il a adoptés. Il a même élargi le cercle familial au-delà des frontières gabonaises : il a épousé en 1990 la
fille du président du Congo, Denis Sassou-Nguesso. Ce dernier a donc aujourd'hui deux petits-enfants qui sont aussi
les demi-frère/soeur d'Ali Bongo Ondimba (dit aussi « ABO ») et les demi-oncle/tante des enfants de Jean Ping. Ce
n'est pas pour autant que les relations entre Sassou-Nguesso et ABO sont bonnes.
Pendant longtemps, la petite élite dirigeante dont faisaient partie ABO et Ping a vécu dans l'opulence grâce à l'argent
du pétrole et des forêts (exploités par des entreprises françaises), dont elle a profité avec appétit, confondant
gaiement caisses publiques et personnelles. Dans ce petit univers, on buvait du champagne millésimé sans compter,
on circulait à bord de belles cylindrées, on habitait des villas cossues, on partait pour des week-ends « shopping » à
Paris, on se faisait soigner en Europe, on envoyait sa progéniture étudier à l'étranger, on se retrouvait dans les loges
franc-maçonnes, on renforçait les alliances matrimoniales, on partageait le magot national avec la classe politique
française pour avoir la paix...
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On faisait aussi de nombreuses affaires plus ou moins douteuses, en suivant l'exemple de la famille Bongo
Ondimba, qui est devenue actionnaire d'une ribambelle d'entreprises gabonaises et étrangères implantées au Gabon
comme l'a montré « l'affaire Delta Synergie ». Rien d'ailleurs de bien original à cela : dans la région, les entreprises
françaises savent depuis longtemps comment s'y prendre pour s'assurer faveurs et passe-droits dans les États au
fonctionnement patrimonial et clientéliste, qu'elles ont contribué à fabriquer et entretenir. Il leur suffit ainsi de faire
entrer dans leur capital des membres de l'élite dirigeante des pays dans lesquels elles évoluent. Dans ce deal, tout le
monde est gagnant.
Évidemment, les Gabonais ordinaires n'ont jamais eu droit à autre chose qu'aux miettes tombées des assiettes
remplies de cette joyeuse bourgeoisie gabonaise. Mais c'était toujours mieux que rien. Aujourd'hui, un quart des
Gabonais vit sous le seuil de pauvreté malgré un PIB par habitant parmi les plus importants d'Afrique.
Au fur et à mesure qu'Omar Bongo a pris de l'âge, les murs de son édifice ont cependant commencé à se lézarder :
dans son entourage, les coups bas sont devenus nombreux entre ceux qui se voyaient lui succéder. Au sein du parti
présidentiel, longtemps parti unique, le Parti démocratique gabonais (PDG), les batailles se sont faites de plus en
plus dures. Ali Bongo en été l'un des acteurs : avec son alter ego de l'époque, André Mba Obame, il a bousculé la
vieille garde du PDG, en y menant un mouvement « réformateur » qui a poussé vers la sortie plusieurs hiérarques.
Sous leur pression, Zacharie Myboto, secrétaire général du PDG depuis 1972 et ministre, a ainsi quitté le parti en
2001. Il s'est présenté en 2005 à l'élection présidentielle contre Omar Bongo. À l'époque, il y avait déjà un peu de
confusion familiale dans l'air puisque la fille de Myboto a eu un enfant d'Omar Bongo.
À la mort d'Omar Bongo, en juin 2009, la lutte pour le contrôle du pouvoir est devenue plus féroce encore entre ses
héritiers, spirituels et de sang. ABO a bataillé pour s'imposer face à sa soeur Pascaline, et au sein du PDG. Lors de
la présidentielle organisée en août 2009, il a dû affronter son ex-ami de vingt-cinq ans, Mba Obame, qui s'est
présenté face à lui avec le soutien de quelques ténors du PDG, passés pour l'occasion à l'opposition. Bénéficiant de
l'appui indispensable de la France, Ali Bongo a remporté ce premier round : il est devenu président - après des
élections contestées par ses concurrents et une crise postélectorale.
« Sous Omar Bongo, les dirigeants s'enrichissaient à la pelle, sous Ali Bongo, c'est au tractopelle »
À partir de ce moment, tout a changé pour une partie de l'insouciante troupe qui évoluait autrefois autour de Bongo
père. Très vite, après sa prise de fonctions, le nouveau chef de l'État a en effet donné un violent coup de pied dans
la fourmilière du « palais du bord de mer », la résidence présidentielle. Il a supprimé une vingtaine de ministères (il y
en avait cinquante), des dizaines de postes dans la haute administration, il a aussi limogé des directeurs
d'entreprises publiques, remercié plusieurs centaines de « conseillers », qui étaient au service de son père depuis
plusieurs décennies. Il a justifié ces mesures, qui ont fait l'effet d'un électrochoc, par la nécessité de réduire les «
charges de l'État » et d'affecter l'argent public « en priorité aux dépenses d'intérêt national ».
Avec cette politique, il s'est bien sûr fait de nombreux ennemis au sein du PDG et de l'establishment de Libreville. La
pilule a été d'autant plus difficile à avaler pour ses nouveaux adversaires que certains des collaborateurs choisis par
ABO sont d'origine étrangère, comme son directeur de cabinet, Maixent Accrombessi, et se sont révélés aussi bons
dans les magouilles et les affaires que leurs prédécesseurs. « Sous Omar Bongo, les dirigeants s'enrichissaient à la
pelle, sous Ali Bongo, ils s'enrichissent à la tractopelle », explique un journaliste gabonais.
Résultat, les Gabonais ont assisté entre 2009 et 2016 à un phénomène singulier, qui s'est accéléré avec l'approche
de l'élection présidentielle du 27 août : de nombreuses figures du PDG ont migré vers l'opposition, pour en devenir
les principales têtes de proue. Au passage, elles ont réduit à néant l'opposition historique, plutôt de gauche et
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longtemps dirigée par Pierre Mamboundou, mort en 2011.
Le changement de paradigme imposé à l'oligarchie par ABO a atteint son noyau familial : s'il a conservé près de lui
certains de ses frères et cousins, d'autres se sont retrouvés sur la touche. Ses relations avec Pascaline sont
devenues chaotiques. Les querelles autour de l'héritage d'Omar Bongo Ondimba ont aggravé les fractures : une
partie de sa fratrie accuse ABO de vouloir s'octroyer la plus grosse part de cet énorme patrimoine financier et
immobilier. Aujourd'hui, sont ouvertement contre lui son frère Christian Bongo, son cousin Léon-Paul Ngoulakia et
Onaïda Maïsha BongoOndimba, sa soeur et la petite-fille de Myboto, qui a alimenté ces derniers mois une
controverse sur son identité.
Même s'il y a eu pendant son septennat quelques avancées (le réseau routier a par exemple été amélioré), une large
alliance d'intérêts s'est peu à peu constituée contre le président gabonais. Elle réunit aujourd'hui :
1- les ex-cadres du PDG frustrés ;
2- les membres de la famille Bongo Ondimba s'estimant lésés ;
3- les Gabonais qui sont las de voir une petite minorité s'enrichir sur leur dos et d'être dirigés par la même famille
depuis près de cinquante ans ;
4- certains milieux politiques et d'affaires français qui jugent qu'ABO met en péril leurs intérêts et ceux de la France,
comme Mediapart l'a expliqué dans des articles précédents.
Jean Ping n'a cependant pas fait tout de suite l'unanimité au sein de l'opposition gabonaise new look. Il l'a d'ailleurs
rejointe tardivement : ce n'est que début 2014 qu'il a claqué la porte du PDG. Pas pour des raisons idéologiques : «
J'ai créé un bureau de consulting et on a tout fait pour que je ne travaille pas avec le Gabon. Même mes enfants, on
leur a dit : "Exilez-vous ! " », a-t-il déclaré, accusant implicitement son ex-beau frère.
Entre les deux hommes, il y a apparemment un ancien et fort ressentiment. Au début des années 2000, Ping se
plaignait déjà, en privé, des méthodes de voyou du tandem que son beau-frère formait alors avec Mba Obame, selon
une source qui le fréquentait à l'époque. En 2012, leurs relations se sont sérieusement détériorées : Ping a reproché
à ABO de ne pas l'avoir suffisamment soutenu lorsqu'il a brigué un second mandat comme président de la
commission de l'Union africaine (UA) - qu'il n'a finalement pas obtenu. En réalité, ses chances étaient faibles : « Il
apparaissait de plus en plus comme l'instrument de la Françafrique aux yeux des pays anglophones et l'Afrique du
Sud ne voulait plus de lui. Or, on ne peut pas lutter contre Pretoria », explique une source proche de ce dossier.
Ping a fini par devenir le principal rival d'ABO à la présidentielle grâce au désistement de dernière minute de deux
autres candidats, eux aussi rescapés du régime de Bongo père. C'est, entre autres, Paris qui a, semble-t-il, obtenu
leur retrait. Parmi eux, l'ex-premier ministre Casimir Oyé Mba, qui avait un poids électoral potentiellement important
puisqu'il est fang, la communauté ethnique la plus forte en nombre - Ping est issu d'une petite minorité par sa mère
et est chinois par son père. En 2009 déjà, Oyé Mba s'était retiré de la course à la présidence au bénéfice de Mba
Obame sous la pression d'au moins deux chefs d'État, dont Teodoro Obiang Nguema, de la Guinée équatoriale.
On connaît la suite : la colère des partisans de Ping à l'annonce de la victoire d'ABO par la commission électorale,
les accusations de fraude, les émeutes et la répression des forces de sécurité pendant trois jours... Depuis, le calme
semble à peu près revenu à Libreville, les forces de sécurité ont repris le contrôle de la situation. Le blocus du QG de
campagne de Ping, où se trouvaient plusieurs de ses collaborateurs et alliés, a été levé samedi 3 septembre. Mais «
une bonne partie des commerces de la ville ont été attaqués et pillés », rapporte un habitant. Surtout, il y a eu au
moins cinq morts et des centaines d'arrestations.
Si le principal pic de violences semble passé, c'est en réalité parce que aucune des parties en conflit n'a pris
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l'avantage sur l'autre : ABO a toujours les forces de sécurité avec lui et Ping a le soutien de la France - qui possède
une base militaire de 450 hommes à Libreville. Du coup, la crise a changé de registre : il est désormais question de
négociations. Et « il n'est pas exclu qu'elles aboutissent à un accord politique et un partage du pouvoir », dit un
analyste qui suit de près l'évolution de la situation.
La famille Bongo Ondimba et des anciens du parti présidentiel va-t-elle se retrouver à nouveau pour partager le
gâteau gabonais, sans oublier d'en faire profiter l'ex-puissance coloniale ? Ce n'est pas improbable : on a déjà
assisté dans le passé à des retournements de situation surprenants au sein du microcosme politique gabonais. On
peut d'ailleurs remarquer qu'il y a eu, au cours de la campagne électorale 2016, très peu de « déballages » sur les
casseroles des uns et des autres, comme si chaque camp savait que s'il s'aventurait sur ce terrain, le retour de
boomerang pourrait être violent. Les intérêts des uns s'entremêlent donc toujours avec ceux des autres et dépassent
les rancoeurs personnelles.
Quant à la France, elle est, grâce à cette crise, de nouveau en position de force pour imposer ses exigences aux
hommes politiques gabonais et à ABO en particulier. Dans l'entourage du président gabonais, on a d'ailleurs la
certitude d'être avant tout victime de la Françafrique, après, ô ironie, qu'Omar Bongo l'a abondamment nourrie.
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