Utilisation de la théorie des systèmes
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Utilisation de la théorie des systèmes
P. Caillé, P. Abrahamsen, C. Girolami, B. Sörbye Traitement de l’anorexie mentale Utilisation de la théorie des systèmes dans le traitement de l’anorexie mentale∗ Philippe Caillé∗∗, Pâl Abrahamsen, Charlotte Girolami et Bente Sörbye Cet exposé clinique risque de causer quelque frustration au lecteur non habitué à la pensée systémique : il pourra ressentir qu’on ne lui donne pas une explication satisfaisante des raisons pour lesquelles le symptôme apparaît et disparaît. Il peut aussi sembler que les thérapeutes n’assument pas le contrôle du développement du processus thérapeutique vers un but défini. Ceci vient de ce que la pensée systémique n’est pas une pensée déductive, linéaire et explicative. Elle cherche à rendre justice à la complexité des interactions simultanées, des réactions circulaires en chaîne qui sont à la base de la réalité écologique. Il peut être utile, dans un effort de compréhension, de comparer un traitement effectué dans une perspective systémique avec l’essai d’amélioration des conditions de vie dans une vallée de montagne à partir de considérations écologiques. On cherchera à empêcher certaines interactions malencontreuses entre implantation industrielle et activité agricole, entre faune et flore, entre réserve d’eau et atmosphère, tandis que l’on encouragera parallèlement d’autres chaînes de réactions bénéfiques. Le but est d’accorder aux différentes plantes et espèces animales les conditions de vie optimales dans le cadre des conditions ambiantes. Personne ne peut prédire à l’avance l’état de la vallée lorsque ce travail sera terminé. Les facteurs sont si nombreux qui ne cessent de s’influencer réciproquement, que tant les mesures à prendre que les objectifs à atteindre doivent être maintes fois réévalués et modifiés en cours de route. Nous avons la même attitude au cours de notre travail thérapeutique avec les familles. Elles représentent des systèmes humains extrêmement compliqués qui peuvent se fixer dans des modèles d’interactions inopportuns et destructifs. Si nous voulions emprunter une analogie imagée assez grossière et simpliste, nous pourrions dire qu’une partie de notre travail thérapeutique consiste à bloquer des parcours anciens, usés, et à créer quelque confusion dans la signalisation. Les réactions de routine étant devenues difficiles ou impossibles, la famille se trouve poussée à trouver des alternatives, à essayer de nouvelles solutions sur lesquelles nous pourrons à nouveau travailler jusqu’à ce que le besoin d’aide extérieure ait disparu. APPROCHE SYSTEMIQUE Selon la théorie des systèmes, un groupe humain stable, dans le cas présent la famille, doit en quelque sorte être considéré comme un organisme en vie. De même qu’un individu, cet organisme vivant a son passé, ses données de vie actuelles et un futur. Il possède aussi des modes de fonctionnement spécifiques relativement stables. Ces particularités ne relèvent pas de l’influence de l’un ou de l’autre des membres du système, mais dépendent en fait de l’interaction dynamique entre les participants. Un principe général valable pour tous les systèmes est qu’ils sont plus que la somme de leurs composants. On apprend ainsi bien peu sur une famille par l’étude individuelle successive de chacun de ses membres. ∗ Article publié originellement dans Fokus pà Familien, revue norvégienne de thérapie familiale n° 2/77. Cet article a paru dans le n° 1 des Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, Paris, 1979. Traduction française publiée avec l'aimable autorisation de L'évolution psychiatrique d'où ce texte est repris (tome XLIII, fascicule III, 1978). ∗∗ Dr Caillé, Centre de thérapie familiale de Sagène. Drobakgate, I - Oslo 4 (Norvège). 1 P. Caillé, P. Abrahamsen, C. Girolami, B. Sörbye Traitement de l’anorexie mentale L’appartenance à un système permet la satisfaction de besoins individuels fondamentaux comme la confirmation de l’identité intrinsèque, la place des réactions émotionnelles ainsi qu’un certain degré de sécurité et de prévisibilité. Paradoxalement, cette même appartenance implique la limitation, éventuellement l’abandon, de certaines facultés originales de l’individu. Cette contradiction interne, qui est à la base même des systèmes humains, explique que la structure et les règles d’un système ne peuvent être considérées que comme plus ou moins satisfaisantes, jamais comme parfaites ou totalement condamnables. La stabilité du système, son homéostasie, est protégée par des règles. Si ces règles permettent la reconnaissance dans des limites raisonnables des traits caractéristiques et de la maturation progressive des différents participants, le système est viable et fonctionnel. Si le rapport interne à un groupe humain se laisse redéfinir de façon flexible avec reformulation parallèle des règles relationnelles, l’apparition de troubles psychiatriques ou psychosomatiques y est peu probable. Tout au contraire, une telle symptomatologie est fréquente dans les systèmes fermés où les forces de dissolution sont ressenties comme menaçantes, ce qui suscite un degré d’angoisse élevé. Les besoins individuels des participants sont ici perçus comme une menace contre l’ensemble. Ils doivent s’effacer au détriment d’une idéologie commune oppressante qui exige l’observance de comportements ritualisés, de règles compliquées, de styles de communication sibyllins et de secrets familiaux. Certaines personnes sont volontiers rendues responsables du malaise général ressenti par tous. Tout système vivant peut devenir à certaines périodes dysfonctionnel ou fermé. De telles périodes de crises encouragent souvent la découverte de solutions nouvelles et permettent le passage à de nouveaux niveaux de fonctionnement, mais il peut aussi s’établir un état de dysfonctionnement chronique où l’intervention d’une assistance extérieure est souhaitable. Dans notre approche systémique, nous concentrons notre observation sur la répétition des séquences de comportement et de communication, et tâchons de cette façon de définir les règles qui dirigent le système et sous-tendent son homéostasie. Le but est d’aider la famille à changer ces règles et, par là même, sa relation interne. Cela ne s’obtient pas par des explications ou par des interprétations. Il est utile de se rappeler que les règles non énoncées qui s’exercent dans un système fermé sont ressenties par les intéressés comme nécessaires, indispensables à la survie du groupe. D’après les lois de l’homéostasie, le fait d’encourager un changement résulterait d’un renforcement des règles existantes. Au contraire, l’assurance exprimée par les règles actuelles, observées sans modification aucune, actualise la nécessité d’un changement. Tous en effet ressentent ou souffrance, ou insatisfaction, sous une forme ou sous une autre. La famille commence alors à élaborer des solutions inédites et met en route un processus que les thérapeutes vont consolider et guider par leurs interventions, les adaptant toujours aux plus récents développements. Nous espérons que le jeu dynamique entre l’activité des thérapeutes et les contributions originales de la famille sera visible dans notre présentation clinique. On peut naturellement employer l’approche systémique dans une situation de psychothérapie familiale habituelle à un ou deux thérapeutes. Si cette thérapie a lieu dans un contexte d’enseignement ou de recherche, il est cependant préférable que les séances se déroulent sous la constante supervision d’observateurs, grâce à l’emploi d’une glace sans tain. Il est en effet facile pour un thérapeute inexpérimenté de se laisser influencer par les règles du système et de perdre ainsi le contrôle de la situation. L’observateur n’ayant pas à répondre aux signaux qui proviennent de la famille peut plus librement concentrer son attention sur la répétition des séquences d’interaction. Il pourra aider le thérapeute à se dégager du jeu systémique et l’assister dans le choix d’interventions appropriées. Cette supervision continue peut être une condition nécessaire pour le travail thérapeutique lorsqu’on traite des groupes très dysfonctionnels, par exemple certaines familles de psychotiques. La thérapie de famille qui va être décrite a été menée par un groupe de recherche comprenant quatre thérapeutes, deux femmes et deux hommes. Deux d’entre eux, un de 2 P. Caillé, P. Abrahamsen, C. Girolami, B. Sörbye Traitement de l’anorexie mentale chaque sexe, conduisent les entretiens avec la famille dans la salle de traitement, tandis qu’aux deux autres est dévolue la tâche d’observateurs derrière la glace sans tain. Ces rôles sont stables au cours d’un même traitement, si bien qu’une famille rencontrera toujours le même couple de thérapeutes. Ce dispositif thérapeutique particulier est inspiré de l’important travail de recherche effectué par le Pr M. Selvini Palazzoli et ses collaborateurs à Milan. Les séances thérapeutiques ont lieu toutes les trois semaines. Chaque séance comporte trois phases : d’abord un entretien entre famille et thérapeutes d’une durée de soixante à quatre-vingt-dix minutes, ensuite une discussion interne entre thérapeutes et observateur pendant que la famille attend dans la salle de traitement ou dans le hall, et enfin une phase terminale où les deux thérapeutes annoncent à la famille les conclusions de l’équipe et leurs recommandations pour la période qui va jusqu’à la séance suivante. La phase de discussion interne est extrêmement importante ; sa durée est habituellement de 15 à 30 minutes. Si elle se prolonge trop, la famille peut être informée qu’elle recevra commentaires et instructions sous forme de lettre à lire en commun. LA FAMILLE Les parents ont tous deux 46 ans. Ils sont mariés depuis dix-huit ans et, autant qu’on peut le savoir, ce foyer n’a pas été marqué de crises importantes. Ils ont donné le jour à quatre enfants : Kristian 17 ans, Ingrid 14 ans, Fredrik 11 ans et Olav 5 ans. Ces enfants, nés sans tare, doués, n’ont apparemment jusqu’ici causé aucune inquiétude à leurs parents. La famille du père compte de nombreux instituteurs. Il a lui-même réussi une brillante carrière universitaire et est devenu un journaliste connu. Dans la famille de la mère, on rencontre également de nombreux universitaires, surtout dans le domaine des sciences. Elle a elle-même poursuivi une formation technique supérieure, mais renonça à ses ambitions après la naissance de son deuxième enfant. Le travail domestique et l’éducation des enfants suffisent, dit-elle, à occuper tout son temps. Le père rentre rarement à la maison avant une heure tardive. Durant l’été 1975, Ingrid, jusqu’ici considérée comme une écolière douée, accomplie et saine, commence à maigrir et perd rapidement 15 kilos. D’un poids normal de 54 kilos pour une taille de 1 m 64, elle descend rapidement à 39 kilos. A l’automne, ses règles disparaissent. Elle s’isole de ses camarades de classe. A la maison, elle est muette et distante. Par ailleurs, elle est toujours consciencieuse dans son travail scolaire et montre du zèle à participer aux activités physiques. Ingrid et sa famille prennent contact pendant deux mois avec une consultation externe pour enfants et adolescents. On l’hospitalise ensuite en milieu psychiatrique et on essaye une diète alimentaire appropriée, avec surveillance à la fois au cours des repas et immédiatement après. Après quatre semaines d’hospitalisation, l’état d’Ingrid, de même que son poids, sont inchangés. Ingrid est extrêmement hostile à la poursuite du séjour hospitalier et les parents prennent contact avec notre groupe de recherche sur le conseil du médecin traitant. Ils s’étonnent de ce que le traitement nécessite la participation de tous les membres du groupe familial, mais sont disposés à faire la tentative de tout ce qui est supposé pouvoir aider. Ingrid est, pour sa part, après le séjour hospitalier, entièrement rétive à toute forme de traitement. Notre traitement va consister en sept séances étalées sur une période de huit mois. De façon générale, les traitements que nous avons effectués selon ce modèle ont duré en moyenne un an, et comporté dix à douze séances. Nous avons, par ailleurs, dans ce cas particulier, effectué un premier contrôle trois mois après la séance terminale, et nous contacterons à nouveau la famille douze mois après l’arrêt du traitement pour un deuxième contrôle. Ces deux contrôles systématiques font partie de notre plan de recherche. 3 P. Caillé, P. Abrahamsen, C. Girolami, B. Sörbye Traitement de l’anorexie mentale PREMIERE SEANCE La famille se présente à l’heure convenue. Tous sont présents. Dans le hall, Ingrid s’isole dans son rôle de dissidente. Elle est assise un peu à l’écart, tendue et silencieuse. Elle ne semble pas avoir remarqué notre arrivée jusqu’au moment où elle nous accorde, hésitante, du bout des doigts, une poignée de mains réservée et chuchote son nom. Dans la salle de traitement, elle indique qu’elle n’est pas présente en ignorant toute question directe. Elle nous paraît très amaigrie, quoiqu’elle cherche à dissimuler au mieux son corps. Ses cheveux cachent son visage et les vêtements de couleur indéfinissable sont trop amples. Elle blottit ses mains dans ses manches et ses jambes sont bien repliées sous la chaise. Le reste de la famille forme un contraste frappant. Ils participent tous activement à la conversation et contribuent volontiers par d’abondants renseignements à la prise des données anamnestiques. Les parents expriment étonnement et inquiétude lorsqu’ils nous décrivent le comportement bizarre d’Ingrid, mais ne montrent aucune réaction émotionnelle marquée. Il pèse une certaine impression d’irréel sur la situation, ce qui peut provenir du contraste entre la jeune fille amaigrie, silencieuse, hostile, et le groupe familial si sociable et harmonieux dans son apparence. La détermination montrée par la famille de participer en commun à un essai de traitement est l’objet d’un commentaire favorable de la part des thérapeutes. Cela démontre qu’il existe un esprit de solidarité dans le groupe familial, et qu’enfants et parents se portent les uns aux autres un intérêt réciproque. Il a fallu obliger Ingrid à se soumettre à plusieurs programmes de traitements qui lui ont déplu. Cela n’a malheureusement pas pu être évité. Il est cependant extrêmement important pour notre traitement que son opposition ne soit pas cachée, mais s’exprime au contraire clairement de la façon qui est la plus naturelle pour elle, c’est-à-dire en réduisant sa prise d’aliments et en révélant le moins possible de sa vie intérieure. Les autres membres de la famille ne doivent de leur côté en aucune façon modifier leur comportement actuel, afin que nous ayons le temps de nous faire une idée exacte de la situation existant dans la famille. Ces instructions doivent être suivies jusqu’à la prochaine séance. Si un des membres de la famille « s’oubliait », par exemple si Ingrid devenait plus loquace, le devoir des autres est d’intervenir immédiatement et de rappeler l’accord que nous avons passé. Le ton de la conversation devient brusquement beaucoup plus animé. « Est-ce que je ne dois pas non plus exiger qu’Ingrid mange ? », demande une mère indignée. Les thérapeutes trouvent opportune cette question qui va aider à un éclaircissement. Quand Ingrid ne « veut » pas manger, le fait de rabâcher les mêmes arguments ne peut naturellement pas avoir le moindre effet. Nous sommes cependant d’accord sur le fait qu’aucun ne doit pour le moment modifier artificiellement son comportement et, donc, la mère doit absolument continuer à essayer de tenter Ingrid par des suggestions culinaires variées. Analyse. Les thérapeutes prennent facilement contact avec une famille qui aspire à paraître idyllique et sans problèmes. Ingrid joue le rôle de dénonciateur et évoque quelque difficulté cachée. Pourquoi, autrement, se comporterait-elle de façon tellement bizarre dans un groupe aussi harmonieux ? Elle est, en revanche, définie comme malade par le groupe familial qui défend de cette façon son secret contre cette tentative de dévoilement. Il serait cependant totalement vain de presser la famille de questions. Les thérapeutes imposent au contraire à parents et enfants de ne rien changer à leurs façons actuelles de se comporter. Les raisons données pour que le comportement de chacun reste inchangé ne sont cependant nullement en rapport avec l’existence de conflits cachés par la famille. Nous avons seulement dit qu’Ingrid avait besoin d’exprimer son opposition à un traitement importun, et que les thérapeutes avaient à évaluer de façon réaliste la situation actuelle de la famille. Imposé par les thérapeutes, le comportement de chacun perd 4 P. Caillé, P. Abrahamsen, C. Girolami, B. Sörbye Traitement de l’anorexie mentale cependant sa qualité de communication indirecte concernant les problèmes familiaux. La famille va donc ressentir le besoin de trouver d’autres manières de négocier ses difficultés. Cela peut avoir pour conséquence un passage à un mode de communication plus authentique dans la famille. Il importe cependant que les thérapeutes paraissent sceptiques devant l’éventualité de tout changement, et prennent de cette façon soin des tendances homéostatiques pendant que la famille commence la quête de sa solution spécifique au conflit familial. DEUXIEME SEANCE Nous commençons par informer la famille de ce que nous allons cette fois nous entretenir d’abord avec les enfants, ensuite avec les parents. La division de la famille en ces deux sous-groupes naturels peut, dans certains cas, provoquer angoisse et résistance et avoir ainsi une valeur de test. Notre initiative est ici bien acceptée si l’on excepte quelques signes naturels de surprise. Kristian tient les fonctions de rapporteur au cours de notre entretien avec les enfants. Il nous décrit Ingrid quelque peu changée depuis la séance précédente. Elle paraît plus vivante et s’alimente mieux. Les thérapeutes montrent quelque contrariété et rappellent à Kristian l’accord passé de s’entraider à ne rien changer dans leurs comportements. Les enfants écarquillent les yeux. Les thérapeutes étaient sérieux dans leurs propos. Kristian dit, pour sa défense, que les changements survenus chez Ingrid n’étaient pas importants au point qu’il lui ait paru nécessaire d’intervenir. S’adressant alors directement à Ingrid, les thérapeutes lui disent qu’ils commencent à avoir l’impression qu’elle a, par sa façon d’être, essayé d’aider sa famille en quelque chose qu’elle, Ingrid, a ressenti être un problème pour tous. C’est pourquoi ils doivent lui demander à nouveau de ne rien changer dans son comportement, même si elle avait quelques souhaits bien compréhensibles de le faire. Les parents donnent plus tard la confirmation qu’est effectivement survenu un certain changement dans le comportement d’Ingrid et se font, comme les enfants, rappeler l’accord en vigueur. La mère trouve quelques excuses, tandis que le père, paraissant indigné, s’exclame qu’on lui demande en pratique de donner à sa fille l’ordre de se taire. Les thérapeutes concèdent sans réticences que la convention imposée à la famille est difficile à observer dans la réalité journalière. Dans la suite de la conversation, la mère se définit clairement elle-même comme la seule responsable de la maison. Elle se charge de toutes les tâches pratiques et ne s’attend à recevoir ni remerciement ni aide. Quant au père, il s’entend à discuter et jouer avec les enfants. D’un point de vue fonctionnel, il appartient partiellement à leur sous-groupe. Les thérapeutes terminent par un court entretien avec la famille réunie. Il est demandé à chacun, et cela concerne spécialement Ingrid, de ne rien changer à son comportement jusqu’à la séance suivante. Le père devra par ailleurs, une fois par semaine, inviter sa femme à une sortie en ville. Cela doit être une surprise pour elle, si bien qu’elle ne doit savoir à l’avance ni quand ils sortiront ni où ils se rendront. Tous doivent noter la façon dont ils réagiront à une situation aussi artificielle. Cette tâche sera certainement ressentie comme bizarre et incompréhensible par rapport aux inquiétudes actuelles de la famille, mais les thérapeutes souhaitent vivement qu’elle soit exécutée. Analyse. La maladie d’Ingrid peut être interprétée comme une façon d’empêcher l’intégration du père dans le sous-groupe des enfants, ce qui impliquerait une intimité menaçante pour elle, et aussi comme un essai de rapprocher les parents l’un de l’autre. En ce qui concerne la recommandation de ne pas changer de comportement, nous avons déjà expliqué comment une telle prescription a un effet paradoxal sur l’homéostasie du groupe. Chacun des participants se trouve poussé à trouver un nouveau mode relationnel. 5 P. Caillé, P. Abrahamsen, C. Girolami, B. Sörbye Traitement de l’anorexie mentale La deuxième partie de la prescription est de nature structurante. Il s’agit d’introduire une situation qui a une valeur de communication implicite et met, de ce fait, à l’épreuve quelques règles familiales. Est-il possible que le père offre une surprise à son épouse et prenne sur lui la responsabilité d’une soirée réussie ? La mère apparaît jusqu’ici comme l’organisatrice de la famille, tandis qu’il revêt le rôle du père séduisant, mais dans une certaine mesure épisodique et imprévisible. Seront-ils en état, un soir par semaine, d’échanger leurs rôles complémentaires ? Le fait qu’une famille rejette une telle prescription implique le plus souvent que les règles qui gèrent actuellement la dynamique familiale interdisent la reconnaissance du conflit évoqué par la prescription. TROISIEME SEANCE Nous nous trouvons en présence d’une famille avec des parents très agressifs. Le père a tenu son contrat, mais d’une façon qui démontrait qu’il ne voulait pas prendre la responsabilité du contenu implicite. Il a « surpris » sa femme trois fois. La première surprise fut cependant de l’emmener chez ses parents à elle, et la deuxième fois chez des voisins. Quant à la troisième sortie, elle se passa au cinéma, et encore dut-elle choisir le film ellemême. La mère mène l’attaque et veut connaître la raison pour laquelle on leur impose des tâches aussi incompréhensibles. L’allégation « Ingrid possède la clé de nos problèmes » est jetée en passant, et replace cette dernière dans son rôle de perturbatrice de la famille. Le père appuie prudemment les dires de la mère, ce qu’elle accueille avec un petit sourire douloureux. Kristian, Fredrik et Olav baissent le nez et ne disent pas grand-chose. Ingrid est à nouveau indifférente et lointaine. Les thérapeutes enregistrent la réaction de la famille à l’instruction donnée et s’allient ensuite aux forces homéostatiques. Ils acceptent l’entière responsabilité d’avoir recommandé une expérience qui se montra dépourvue de sens et d’intérêt pour les impliqués. Il est très compréhensible que les parents soient irrités d’avoir été exposés à un stress bien inutile. Les thérapeutes enregistrent la réaction d’incapacité et une certaine confusion et cessent, de ce fait, de menacer l’homéostasie. La tension se relâche au point que les parents soulignent même certains aspects positifs du contrat thérapeutique en cours. Ils trouvent aussi naturel que les thérapeutes n’aient pas encore une connaissance suffisamment précise de leur situation familiale. Il ne nous paraît donc pas à ce point déraisonnable de demander que la famille se rassemble un quart d’heure chaque jour pour discuter ce qui, au moment même, préoccupe le plus chacun d’entre eux. Le père est chargé d’établir un compte rendu où il notera les déclarations qui pourraient être d’intérêt pour les thérapeutes. Analyse. La famille a réagi par une combinaison d’angoisse et d’agressivité à une prescription structurante qui attirait l’attention sur le rapport entre les parents. La nouvelle prescription structurante implique une participation symétrique de tous. Elle peut inspirer une famille qui attache du poids aux prestations intellectuelles. On donne une responsabilité particulière au père, mais sa tâche est ici abstraite et peu menaçante. Il s’agit de rapporter des propos, et non pas d’agir. De plus, la famille est indirectement laissée libre de décider de ce qui est à considérer comme information d’intérêt pour les thérapeutes. QUATRIEME SEANCE La famille est, cette fois-ci, quelque peu confuse et très coopérante. La prescription fut exécutée, mais pas aussi bien que les parents l’auraient souhaité. L’arrangement luimême fut ressenti comme un peu astreignant. Par contre, ils ont aussi eu, disent-ils, de bons et longs moments de conversation en dehors du programme. 6 P. Caillé, P. Abrahamsen, C. Girolami, B. Sörbye Traitement de l’anorexie mentale Ingrid est maintenant très changée. Elle a nettement pris du poids. Ses vêtements sont choisis avec soin. Elle participe attentivement à la session avec une physionomie vivante. Kristian s’est peu à peu révélé comme responsable, dévoué et modeste. Fredrik apparaît comme un être sans complications, blagueur et désarmant. Olav est le petit cadet séducteur et quelque peu gâté. L’antagonisme entre les parents apparaît plus clairement. En tant que puissance organisatrice de la maison, la mère détient un grand pouvoir, mais elle semble s’en trouver assez isolée. Le père la met en échec sur un mode complémentaire en se reconnaissant superflu comme éducateur en présence d’un conjoint si compétent. Il restreint donc son engagement à un contact presque fraternel avec les enfants, et se consacre par ailleurs à ses occupations intellectuelles en dehors de la maison. Vers la fin de la session, les thérapeutes attirent l’attention de la famille sur Kristian et ses traits de caractère tels qu’ils ont été décrits au cours de la conversation, et aboutissent en guise de conclusion à une supposition : « Ingrid paraît être une jeune fille extrêmement sensible et responsable. Elle a remarqué l’importance majeure que Kristian attache à ne décevoir en aucune façon les espérances de ses parents et de ses grands-parents. Ceux-ci, à leur tour, sont habitués à attendre beaucoup de Kristian, et Ingrid a craint que cette attente ne soit une entrave aux besoins de Kristian de trouver son propre chemin et de marquer son indépendance. Dans son désir d’aider son frère, elle a choisi de détourner l’attention sur ellemême, ce qu’elle a obtenu par son silence et son refus d’alimentation. Cela ne veut cependant pas dire que les thérapeutes partagent entièrement l’opinion d’Ingrid. Elle est, en fait, beaucoup trop sensible. Il ne semble pas que Kristian soit tellement gêné de l’attention que lui prêtent parents et grands-parents. Sa modestie apparente peut, tout au contraire, être une façon de s’attirer encore plus d’attention ». Cette déclaration soulève comme prévu une certaine indignation, spécialement chez la mère. Les thérapeutes ont cependant clairement dit qu’il s’agit d’une impression éprouvée par Ingrid. Seule, cette dernière peut rejeter la supposition émise et elle se tait. Les thérapeutes renouvellent la prescription précédente pour la période à venir, mais demandent à la famille d’orienter ses conversations sur la position des enfants en général, mais plus particulièrement sur Kristian, dans le groupe familial. Analyse. Le problème de l’antagonisme entre les parents est trop menaçant pour la famille et ne peut être abordé de façon directe. Afin de retirer à Ingrid son rôle de dissidente et de la remettre en position symétrique à l’intérieur du cercle familial, les thérapeutes déplacent temporairement l’étiquette de malade sur un membre de la famille assez robuste pour ne pas vraiment s’en sentir menacé : dans le cas présent, Kristian. La description paradoxale donnée par les thérapeutes implique qu’Ingrid est, en fait, observatrice et attentionnée. Elle souhaite protéger Kristian, et indirectement toute sa famille, contre une tendance malheureuse. Les symptômes d’Ingrid perdent parallèlement une partie de leur pouvoir, lorsque par son silence elle accepte tacitement l’interprétation qui leur donne une signification d’aide à la famille. Il lui sera maintenant difficile de les employer comme menace ou punition. Ingrid se trouve aussi indirectement libérée d’un engagement trop intime dans le conflit entre les parents. Il existait une alliance apparente entre fille et mère, puisqu’Ingrid n’avait soi-disant aucun secret à l’égard de sa mère. Le père semblait cependant très proche des enfants sur le plan affectif, et une alliance secrète entre sa fille et lui paraissait probable. Ingrid s’affirme à présent comme une personne responsable qui a élaboré son propre plan de sauvetage de la famille, et se trouve par là même libérée de l’attente d’alliance indéfectible avec l’un ou l’autre des parents. 7 P. Caillé, P. Abrahamsen, C. Girolami, B. Sörbye Traitement de l’anorexie mentale CINQUIEME SEANCE Kristian prépare un examen et est absent. Les parents remarquent un peu ironiquement qu’il prend le travail scolaire trop au sérieux. Il apparaît qu’ils ne souhaitent pas assumer la responsabilité de son absence. Ingrid semble maintenant florissante de santé et est élégamment habillée de couleur rouille. Tous paraissent de bonne humeur, sauf la mère qui affiche une expression triste et un peu résignée. Les thérapeutes ne laissent pas la discussion s’orienter sur le membre absent de la famille, bien que ce sujet facile paraisse tenter les participants. L’attitude de la mère est interprétée, en tant que communication non explicite, comme une permission de s’intéresser à sa situation dans la maison. Le père dit qu’il lui arrive d’aider, certains après-midi, son épouse dans ses tâches ménagères. La mère le contredit d’un ton moqueur et ironique, et laisse tomber la remarque qu’il rentre tard de son travail presque chaque soir. Sans fixer une seconde son regard sur Ingrid, elle complimente celle-ci sur l’aide constante qu’elle lui apporte. Fredrik se risque à quelques vantardises et se fait remettre à sa place de manière affectueuse et souriante. La mère raconte ensuite qu’elle abandonna son travail lors de la naissance d’Ingrid. Il n’apparaît pas clairement si elle regrette d’avoir eu à renoncer à sa carrière ou non, mais Ingrid paraît anxieuse et fixe de grands yeux noirs sur sa mère. La suite de la conversation concerne les plans de vacances de la famille. Le père projette un voyage en Suède avec les deux aînés, tandis que la mère pense séjourner dans l’ouest de la Norvège avec les deux plus jeunes. Les thérapeutes aboutissent à la conclusion paradoxale qu’il existe une bonne entente dans la famille, mais, à vrai dire, d’un genre spécial, car tous apportent à la communauté des contributions très individuelles et bien différentes. La mère se couche de bonne heure et travaille mieux de bon matin. C’est l’opposé en ce qui concerne le père. Kristian est consciencieux et porte la responsabilité de maintenir un contact stable avec les grands-parents. La contribution de Fredrik est faite, au contraire, de plaisanteries et de rires. Quand tous sont aussi occupés par des tâches différentes, il peut être difficile pour eux de poursuivre leurs entretiens quotidiens. La famille a raconté qu’ils ont par ailleurs de longues conversations amicales. Il suffira que tous notent quelques mots-clés de ces conversations, et de cette façon en transfèrent en partie le contenu aux séances. Analyse. La tentative de déplacer l’étiquette de malade d’Ingrid à Kristian est en partie contrecarrée par l’absence de ce dernier et par l’alliance entre les parents au début de la séance. La mère quitte le rôle de la femme impavide et efficace, et donne aux thérapeutes l’accès à l’état de tension, jusqu’ici nié, entre les époux. Les thérapeutes utilisent cette ouverture, mais prennent finalement soin de l’homéostasie en soulignant que le fait de garder ses distances, d’être loin l’un de l’autre, peut aussi être une façon de protéger la continuité d’une union. Par ailleurs, il apparaît rapidement aux thérapeutes, après la séance, que la prescription donnée représente une menace sérieuse contre l’homéostasie de la famille et aurait donc dû être évitée. Les conversations intimes de la famille sont une contre-mesure à l’égard des entretiens organisés imposés par les thérapeutes. En révéler le contenu impliquerait une renonciation aux secrets cachés de la famille, ce qui est impensable dans une telle structure systémique. SIXIEME SEANCE La famille est cette fois-ci au complet. Les thérapeutes proclament d’emblée que la prescription donnée la fois précédente était malencontreusement choisie et avouent qu’ils espèrent que la famille a omis de la suivre. La famille confirme avec un soulagement évident 8 P. Caillé, P. Abrahamsen, C. Girolami, B. Sörbye Traitement de l’anorexie mentale que cela a été leur réaction naturelle. Ingrid a même dit qu’elle garderait un silence total si cette prescription devait être suivie. Le père conduit maintenant l’entretien au nom de la famille. Il se dit incertain du but de la continuation du traitement. Sans qu’ils sachent exactement pourquoi, Ingrid est maintenant entièrement transformée. Elle mange bien, se comporte normalement et travaille si bien à l’école que les professeurs lui conseillent de sauter une classe lors de la rentrée prochaine. Les garçons ne posent aucun problème. Les époux se réjouissent à la pensée des vacances et sont en accord sur la plupart des questions. Ils voudraient connaître l’avis des experts. La mère ajoute, un peu hésitante, qu’il serait peut-être rassurant d’avoir une séance après les vacances. La conclusion donnée par les thérapeutes est cette fois ambiguë du fait qu’ils sont apparemment en désaccord. La thérapeute-femme dit que son opinion, qui est partagée par les deux observateurs, est qu’il n’y a aucune raison pour la famille de poursuivre le traitement après les vacances. Elle reprend, point par point, les arguments utilisés par le père qui démontrent que c’est une famille sans problèmes qui aborde l’été. Le thérapeutehomme concède qu’il existe logiquement d’importants arguments en faveur d’un arrêt du traitement, mais il ne peut se libérer d’un certain doute sur la justesse d’une telle décision. Le père vient à la rescousse des thérapeutes en disant qu’il est rassurant que l’incertitude de la famille soit partagée par les experts. Tout paraît aller bien, mais il lui semble souhaitable d’avoir une séance après les vacances d’été. La séance se termine dans une atmosphère détendue et joyeuse. Analyse. Par son attitude initiale, la famille abandonne aux thérapeutes la responsabilité de justifier la poursuite du traitement. Il peut y avoir plusieurs raisons à une ouverture de ce genre : d’un côté, il s’est produit une amélioration : la répartition des rôles entre les époux est plus symétrique du fait que le père assume maintenant une responsabilité accrue ; d’un autre côté, il nous faut tenir compte de ce que la dernière séance a pu sérieusement menacer l’homéostasie de la famille, malgré la tentative faite par les thérapeutes de corriger leur erreur. Ce type de situation pose un difficile problème. Si les thérapeutes trouvent le traitement indiqué pendant que la famille montre un doute évident, ils perdent tout contrôle sur le développement ultérieur ; la famille pourra constamment exiger des preuves de l’effet bénéfique du traitement. S’ils déclarent que le traitement n’est plus nécessaire, ils risquent d’être pris au mot. C’est pourquoi les thérapeutes défendent ici des points de vue contradictoires, imposant ainsi à la famille de reprendre la responsabilité de la nécessité du traitement. SEPTIEME ET DERNIERE SEANCE Deux mois et demi se sont passés depuis la séance précédente. Les époux contribuent tous deux activement à donner une description détaillée du déroulement des vacances. Tous paraissent satisfaits. La mère, qui séjournait sur la côte ouest du pays, et le père, que son travail a apparemment retenu à Oslo à l’exception du voyage prévu en Suède, n’ont pas eu beaucoup de contact l’un avec l’autre. Ingrid saute une classe à l’automne, non pas du fait d’ambitions académiques, mais, selon la terminologie familiale, pour satisfaire son besoin de fréquenter des individus plus mûrs. Les parents conduisent fermement l’entretien pendant que les enfants paraissent plus détendus. Personne n’est maintenant considéré comme malade ou difficile. Les parents laissent clairement entendre que c’est la dernière séance du traitement, mais désirent connaître le jugement porté par les thérapeutes sur la famille. La conclusion donnée par les thérapeutes est à nouveau ambiguë. Bien que tous aient montré au cours des séances sincérité et désir de collaborer, il n’en reste pas moins vrai qu’il demeure beaucoup de questions en suspens après ce contact de durée 9 P. Caillé, P. Abrahamsen, C. Girolami, B. Sörbye Traitement de l’anorexie mentale relativement courte avec la famille. Le groupe a cependant consigné un certain nombre d’observations, mais n’a pu se mettre d’accord sur l’importance à accorder aux différents faits. Pour commencer par le positif, on peut dire qu’ils forment une famille sympathique et unie. Nous n’avons pas noté l’ombre d’une critique, la moindre expression de jalousie ou d’envie. Il ne semble pas exister de différences importantes d’opinion. Des sentiments comme ceux de l’entente et de la solidarité ont une grande importance dans cette famille. Sur le plan négatif, on peut mentionner que Kristian est exagérément consciencieux et un peu gêné. Ingrid est très sensible et réservée. Elle a toujours quelques problèmes de poids, car elle est maintenant un peu trop rondelette. Il peut exister une certaine insécurité derrière l’aspect plaisantin et charmeur de Fredrik. Olav demande beaucoup d’attention et devrait peut-être mieux se débrouiller seul à son âge, mais il n’est pas rare que le cadet soit un peu trop gâté. Quelle que soit l’importance que l’on veuille attacher à ces observations, personne dans l’équipe thérapeutique n’est en désaccord avec la décision prise par la famille de terminer le traitement. C’est à elle de reprendre le contact avec nous si elle le désirait. Cette déclaration est bien acceptée par les parents. La mère veut savoir si l’on doit être très malade pour pouvoir à nouveau solliciter de l’aide. Notre réponse est que les raisons qui amènent à établir un contact thérapeutique sont extrêmement variables. Le désir de recevoir de l’aide est plus important que le caractère de gravité du symptôme. Analyse. Le traitement ne peut se poursuivre lorsqu’aucun nouveau conflit n’est révélé. La famille doit garder la responsabilité de l’interruption, de façon à se sentir libre d’établir à nouveau un contact si cela se montrait nécessaire. La déclaration des thérapeutes est en grande partie une communication au niveau implicite ou métacommunication. La description des côtés positifs de la famille implique en même temps que celle-ci emploie idéalisation et accord de surface comme défenses contre l’angoisse. De plus, l’énoncé que seuls les enfants présentent quelques particularités inquiétantes attire l’attention sur le fait que les parents, eux, ont besoin de conserver l’illusion d’un rapport sans problèmes. Les thérapeutes laissent la famille faire la somme des aspects évidents et cachés de leur évaluation. Quant à la possibilité d’établir un nouveau contact, elle reste concrètement possible et dépend uniquement du désir de la famille. CONTRÔLE Un des thérapeutes téléphone à la famille trois mois après l’arrêt du traitement. C’est la mère qui prend le téléphone et donne les informations désirées. Tout semble aller pour le mieux. Les enfants se plaisent bien à l’école et semblent pouvoir se parler entre eux plus facilement qu’avant. Il lui paraît aussi qu’elle et son mari se sont ces derniers temps rapprochés l’un de l’autre. CONCLUSION Il est toujours difficile de dire si une thérapie de famille est terminée. La famille, en tant que système vivant, continue sa route marquée de nouvelles divergences d’intérêts et de nouveaux conflits qui peuvent parfois menacer son existence même. Notre curiosité professionnelle pourrait nous inciter à poursuivre le traitement et par exemple, dans ce cas, à tâcher d’éclaircir la nature du rapport conjugal. Cela doit être considéré comme dangereux lorsque l’on sait que la plupart des familles vont heureusement sans aide extérieure à travers leurs crises et leurs phases de séparation. Un traitement considéré comme utile par les thérapeutes, mais non par la famille, risque de causer plus de dommages que de bien. En 10 P. Caillé, P. Abrahamsen, C. Girolami, B. Sörbye Traitement de l’anorexie mentale mettant les choses au mieux, ce type de relation thérapeutique mettra bientôt la famille en fuite et compromettra définitivement les chances de rétablir un contact ultérieur. Sous la perspective de la théorie des systèmes, une psychothérapie familiale est une constante interaction entre les thérapeutes et la famille en tant que système humain. La famille est en quête d’aide, parce que les règles du système se sont développées de telle manière que tous souffrent sans que personne ne soit en état d’y changer quoi que ce soit. Les thérapeutes qui sont en dehors du système peuvent introduire des éléments nouveaux qui dérangent la balance du système. Le système réagit alors par une adaptation qui doit être évaluée avant que ne soient faites de nouvelles interventions thérapeutiques sur l’équilibre homéostatique du système. Le jeu conjugué des initiatives prises par les thérapeutes et des adaptations homéostatiques de la famille se continue jusqu’à ce que le besoin d’aide ne soit plus ressenti par la famille. L’approche systémique n’est ni explicative, ni normative. La famille ne pourra après l’arrêt du traitement donner de bonnes explications logiques sur la façon dont l’amélioration s’est éventuellement produite. Ce processus thérapeutique n’est pas, sous cet aspect, sans présenter quelques similarités avec le processus d’initiation dans le bouddhisme Zen. Le maître challenge son disciple par des réponses peu conventionnelles à ses questions, jusqu’à ce que ce dernier n’ait plus d’autre alternative que de découvrir sa propre vérité. Nous sommes souvent frappés par l’ingéniosité et l’originalité des solutions que nos familles trouvent à leurs problèmes. BIBLIOGRAPHIE 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. BATESON (G.) : Steps to an ecology of mind, Intertext books, London, 1972. BERTALANFFY (L. von) : General System Theory, Penguin university books, 1975. CAILLE (P.) : « Qu’est-ce que le syndrome psychiatrique ? », Annales de psychothérapie, 1976, VIII, p. 22-28. JACKSON (D.D.) : «The Question of Family Homeostasis», Psychiat. Q., 1957, 31, p. 79-90. MINUCHIN (S.) : Families and Family Therapy, Harvard University Press, Cambridge, Mass., 1975. SELVINI PALAZZOLI (M.) et coll. : Paradosso e controparadosso, Feltrinelli, Milano, 1975. SELVINI PALAZZOLI (M.) : Self-Starvation, Chaucer Publishing C., London, 1974. 11