Harmonisation comptable et mondialisation

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Harmonisation comptable et mondialisation
Harmonisation comptable et mondialisation
Alain B urlaud,
Professeur au Conservatoire national des arts et metiers
Christian Hoarau,
Professeur a l'Institut d'administration des entreprises de Paris
La mondialisation des marches financiers entraine une pression accrue des International Accounting Standards (IAS) sur les modeles comptables des differents
pays du monde. A titre d' exemple, la France, dans le cadre d'une profonde reforme de son droit comptable 0), a recemment prevu d'autoriser les entreprises
cotees a deroger aux regles nationales en matiere de consolidation et a adopter
celles de l' International Accounting Standards Committee (IASC). L'Union europeenne a renonce a preparer un ensemble de regles qui lui seraient propres.
L'IASC considere que ses normes devraient s'appliquer a toutes les entreprises,
petites ou grandes, nationales ou multinationales. II recommande egalement que
les normes nationales, s' il y en a, soient developpees apartir des normes intern ationales. Une telle conception pose la question de l'utilite de normes nationales.
Autrement dit, peut-on agir dans un cadre national si la communaute des affaires
se refere a un cadre mondial.
Notre reponse est affirmative. Les deux systemes de normes, national et international, peuvent etre differents sans etre mutuellement exc1usifs. lIs n' ont pas les
memes objectifs, ne s'adressent pas aux memes entreprises et ne prennent pas en
compte les interets des memes categories d'utilisateurs.
1. Le besoin d 'harmonisation
Les comptes annuels peuvent parfois etre deconcertants. Par exemple, DaimlerBenz, en 1993, a publie en Allemagne un benefice consolide de + 615 millions de
DM. Mais, pour le marche financier americain, le groupe a pub lie la meme annee
des comptes prepares selon les normes IAS et faisant apparaitre une perte de
- 1.8 milliards de DM ! Pour Hoechst, une autre entreprise allemande, les memes
chiffres pour l'annee 1995 furent respectivement de + 1.7 milliards de DM et
- 57 millions de DM. D'autres exemples comparables peuvent etre trouves dans
d'autres pays. Par exemple, en France, une societe recemment privatisee comme
France Telecom, a publie en 1996 un profit de + 2.1 milliards de francs selon les
normes franc;aises mais une perte de - 33.9 milliards de francs selon les IAS.
Dans ces conditions, Oll est l'image fideIe? Quelle est la situation financiere
«reelle» de ces entreprises? Pourquoi les resultats sont-ils a ce point differents?
(1)
Art. 6 de la loi du 6 avril 1998 dont les conditions d' application sont toujours en discussion au Comite de la reglementation comptable.
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Quel impot sur les societes ces entreprises devraient-elles payer? Quel interessement faut-il verser aux dirigeants? Quelle est la valeur de ces entreprises?
Les comptes sont profondement modifies par le fait que I' on comptabilise ou non
la fiscalite differee, que les depenses de recherche et developpement soient considerees comme des charges ou des actifs, que les engagements de retraite soient
provisionnes ou pas, etc. Par exemple, lorsque France Telecom a publie pour la
premiere fois des comptes consolides selon les IAS, il a fallu comptabiliser 37.5
milliards de francs de provisions pour retraites. Peut-on en conc1ure que certains
referentiels comptables sont superieurs a d'autres? Les normes allemandes sontelles «meilleures» que les normes franc;aises ou inversement? N ous ne le pensons evidemment pas. Ce serait aussi peu pertinent que de dire qu'une langue est
«superieure» aune autre. Les normes comptables sont simplement apparues dans
des societes et des contextes differents et repondent a des besoins differents.
Neanmoins, ces exemples montrent l'importance de normes comptables mondiales pour un marche financier mondial. Mais, par ailleurs, chaque pays a sa propre
fiscalite et il est peu probable que I' on ait un jour une fiscalite mondiale. Les
equilibres econorniques et sociaux sont si differents d' un pays a un autre que la
fiscalite doit etre adaptee aux situations locales. Or le resultat fiscal est un «sousproduit» de la comptabilite. C' est pourquoi il y a aussi un besoin de normes
comptables nationales.
Afin de resoudre ce conflit, on peut imaginer differentes solutions. Par exemple,
les societes nationales pourraient utiliser les normes nationales et les multinationales les IAS. Mais il est difficile de definir ce que sont des societes nationales ou
multinationales. On pourrait egalement imaginer que les societes cotees utili sent
les IAS et les autres le referentiel local. Mais la plupart des societes cotees ont
aussi des filiales qui ne le sont pas. Il faudrait alors que ces dernieres preparent
deux jeux de comptes dont run pour les besoins de la consolidation. Mais ne
cherche-t-on pas precisement a eviter cela?
La solution adoptee par la plupart des pays d'Europe continentale consiste a presenter des comptes sociaux ou individuels selon les regles nationales sous la forte
influence des contraintes fiscales. Mais les comptes consolides presentes par des
societes faisant appel a l'epargne publique peuvent etre prepares selon les IAS.
De ce fait, il n'y a pas conflit entre les referentiels mais des champs d' application
distincts.
2. Des societes differentes
Les entreprises ou plus generalement les entites qui ont apreparer des comptes
annuels sont extremement differentes quant aleur taille, leurs objectifs (certaines
sont a but lucratif et d'autres pas) ou quant a leur impact sur l'economie du ou
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HARMONISATION COMPT ABLE ET MONDIALISA TION
des pays d' accueil. En simplifiant un peu, on peut definir quatre categories d' entites parmi les personnes morales:
- les petites et moyennes entreprises;
-les entreprises qui doivent publier des comptes consolides;
-les entreprises faisant appel a l'epargne publique et
- les entites sans but lucratif.
Le role et I' importance de chacune de ces quatre categories peut varier con siderablement d'un pays a un autre, d'un systeme economique a un autre.
Par exemple, en France, les PME qui sont definies comme etant des entreprises
employant de lOa 500 salaries, representent 80 % des entreprises recensees et
emploient les 2/3 de la population active. Elles assurent donc une part tres importante de 1'activite economique du pays et les normes comptables ne peuvent pas
ignorer leurs caracteristiques propres. La comptabilite satisfait quatre besoins
essentiels pour ces entreprises:
- suivre les comptes de tresorerie et les comptes de tiers;
- determiner le resultat fiscal et permettre le controle fiscal;
- servir d'instrument de preuve en cas de litige;
- informer les banques aupres desquelles des credits sont sollicites et/ou obtenus.
Les probIemes de gouvernement d'entreprise, d'information des investisseurs ne
sont habituellement pas essentiels dans ce type d' entreprise dans la mesure OU la
propriete et la direction sont entre les memes mains ou entre les mains d'une
meme famille.
En revanche, pour les grandes entreprises qui font appel al' epargne publique, le
role premier de la comptabilite est d'informer les marches. Pour ce type de besoin,
les comptes consolides sont souvent plus importants que les comptes sociaux.
Enfin, dans le secteur public ou sans but lucratif, les besoins sont encore differents. La determination du resultat fiscal ou l'information des marches financiers
n'ont pas de sens. En revanche, le controle de l'efficience ou le contr61e de legalite sont essentiels.
Ces observations militent en faveur de normes comptables locales et adaptees
aux differentes categories de situations rencontrees.
3. D'autres categories d'objectifs
Les nOlmes comptables nationales ne sont pas necessairement en conflit avec les
normes internationales: elles peuvent etre complementaires. L'exemple fran~ais,
qui n' est pas un cas unique, montre comment.
Les normes comptables frans;aises prennent essentiellement la forme de reglements du Comite de la reglementation comptable homologues par un arrete signe
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HARMONISATION COMPTABLE ET MONDIALISATION
par le ministre des finances. Le Plan comptable general (PCG) (2), qui en est le
cas le plus connu, inclut notamment un plan de comptes, des definitions de concepts et des etats financiers normalises. Comme on peut le voir, le PCG et I'IAS
constituent deux approches differentes de la normalisation. Le PCG definit la
comptabilite comme l' ensemble des procedures depuis l' enregistrement initial
des transactions (art. 120-1 du PCG) jusqu'a la presentation des comptes annuels. L'IASC ne s' interesse qu' a la nature des informations financieres publiees.
Les procedures en amont sont uniquement de la responsabilite de I' entreprise et
font, bien sur, I' objet d' un audit.
Le PCG normalise donc la tenue des comptes et son contenu precise, comme
nous I' avons vu, tant la terminologie que le plan de comptes avec les numeros de
code et les etats de synthese. Outre la determination du resultat, de la part
distribuable de celui-ci et le calcul de la situation nette, les comptes annuels ainsi
normalises permettent la production de statistiques macro-economiques.
Les objectifs legaux de la comptabilite renforcent l'importance des aspects formels. Les liens avec les autres branches du droit sont facilites: droit fiscal, commercial, civil et penal. Les normes comptables sont ecrites: loi comptable, decret, arrete (3). Quant a la forme, il s'agit donc d'actes de l'autorite publique.
Mais leur genese associe les differentes parties prenantes (stakeholders): representants des entreprises, de l'Etat, des salaries (syndicats), de la profession comptable (ordre des experts-comptables et compagnie des commissaires aux comptes) et l'universite a travers la presence de personnalites qualifiees. Les possibilites d'interpretation sont limitees et font 1'0bjet d'ecrits (notamment les avis du
CNC et du CRC).
L'IASC se desinteresse de I' ensemble du processus comptable en amont des etats
financiers. Les normes ne portent que sur les principes generaux de la comptabilite financiere dont l'interpretation est de la responsabilite des entreprises ou de
leurs auditeurs. Le rOle des normes se limite a assurer que les etats financiers
publies sont effectivement fiables et utiles pour les investisseurs. Leur preparation se fait dans une large mesure sous le contrOle des grands cabinets mondiaux
d' audit (les «Big Five»). L'interpretation des normes ne se fait pas dans un cadre
reglementaire mais re suIte de mecanismes de «socialisation» (diffusion des pratiques admises en particulier par les cabinets d'audit).
(2)
(3)
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Les arretes ministeriels du 22 juin 1999 homologuent deux reglements adoptes par le
Comite de la reglementation comptable (CRC):
- le reglement nO 99-03 du 29 avril 1999 relatif au PCG (reecriture a droit constant du
PCG de 1982) paru au Journal officiel du 31 juillet 1999 et
- le reglement nO 99-02 du 29 avril 1999 relatif aux comptes consolides paru au Journal
officiel du 21 septembre 1999.
Loi du 30 avril 1983 (integree dans le code de commerce), decret d'application du
29 novembre 1983 et reglements du CRC homologues par arretes du ministre des finances.
HARMONISATION COMPTABLE ET MONDIALISATION
4. Des moyens
adaph~s
aux besoins
Les PCG successifs (4) ont certainement contribue a une meilleure gestion des
PME et, du point de vue de l'Etat, a l'amelioration des contr6les fiscaux et des
statistiques macro-economiques. Ils ont egalement simplifie la diffusion des 10giciels comptables du fait de la normalisation des ecritures et permis d'utiliser
une main d' ceuvre faiblement qualifiee pour la tenue des comptes.
Mais, par ailleurs, le PCG permet une presentation de comptes annue1s compatibles avec les IAS acondition de faire usage des options appropriees de ces dernieres. Toutes les IAS font d'ailleurs l'objet d'un examen de conformite par le
Conseil national de la comptabilite (CNC).
Le contenu du PCG, dont la version 1999 prend une forme proche de celle d'un
code, est explicite. Sa connaissance suppose peu de connaissances implicites ou
tacites et illaisse place a peu d'ambiguYte. Son caractere operationnel1imite les
efforts d'interpretation, ce qui n'est pas le cas des IAS qui font appel a un niveau
eleve de capacites d' analyse. Leur emploi suppose, de ce fait, une longue periode
d'assimilation ou le recours a des cabinets d'audit. Destines essentiellement a
satisfaire Ies besoins des marches financiers et des grandes entreprises, les IAS
sont difficilement utili sables par les PME et encore moins par les entreprises des
pays en developpement ou des pays en transition (sauf les filiales des grands
groupes multinationaux qui y sont installes).
Conclusion
Les deux systemes de normalisation que nous avons decrits reposent sur deux
approches distinctes et s'adressent a deux populations distinctes. Mais le PCG
n'excIut pas les IAS. S'il s'agit de deve10pper rapidement un outil de gestion
pour les PME, le peG est de loin la solution la plus appropriee de par sa nature
operationnelle. Si, en revanche, I' objectif est de developper une capacite de reflexion sur les concepts comptables, de nourrir une production doctrinale, les
IAS sont a privilegier. Les options offertes, meme si elles sont progressivement
reduites, permettent ce travail.
La mise en ceuvre des IAS suppose de la part des entreprises un personnel comptable hautement qualifie ou le recours a des cabinets disposant de ces competences. En revanche, un peG compatible avec les IAS offre une possibilite d'application locale simple sous le contr6le de l'Etat qui est le garant legitime de l'interet public.
(4)
Le premier plan comptable «fran<;ais» remonte au 21 mars 1942. Mais la notion de plan
comptable n' est veritablement entree dans les mreurs qu' avec le peG de 1947 qui fit,
ulterieurement, l'objet de mises a jour regulieres (en 1957 et 1982), d'une reecriture en
1999 ou de developpements notamment avec la methodologie des comptes consolides
(en 1986).
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HARMONISATION COMPTABLE ET MONDIALISATION
La comptabilite est le miroir d'une societe au sens de civilisation. Differentes
societes utilisent des modeles comptables differents. Dans une economie de marche ouverte, il y a une forte demande de normes comptables mondiales. Mais un
pays n'est jamais ouvert a 100 % sur le monde. Il y a toujours des entreprises
locales, employant une main d'reuvre locale et vendant a une clientele locale.
C' est une limite importante a la normalisation mondiale. C' est pourquoi nous
pensons que la solution reside dans une normalisation mondiale completee par
des normes nationales.
Annexe 1
1. Daimler Benz A G
(en millions de DM)
1991
1992
1993
1994
1995
Benefice net consolide
selon les normes allemandes
1942
1451
615
895
(5734)
Benefice net consolide selon les
US GAAP
1 886
1402
(1 839)
1052
(5729)
(en millions de FF)
1995
1996
1997
Benefice net consolide selon les normes fran<;aises
9193
2107
14863
Benefice net consolide selon les US GAAP
14017
(33902)
14026
Source: Daimler Benz Annual Report on Form 20-F
2. France Telecom
Source: France Telecom Annual Report on Form 20-F
L' ecart de resultat en 1996 s' explique essentiellement par la comptabilisation des
engagements de retraite lors de la privatisation.
Annexe 2
Resultat en
millions de USD
Normes nationales
International Accounting
Standards
Daimler Benz 1993
+ 300
- 600
Hoechst 1995
+ 850
- 30
France Telecom 1996
+ 350
- 5 650
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