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40 Dossier I Minorités et migrations en Bulgarie I Éléments de politique linguistique à l’égard des minorités en Bulgarie Par Gueorgui Jetchev, Maître de conférences en linguistique et sociolinguistique française et francophone à l’univesité Saint-Clément d’Okhrid, Sofia, Bulgarie, et membre du comité scientifique du réseau Dynamique des langues et francophonie de l’Agence universitaire de la francophonie Enfant Rrom, Sofia © Association Malki Tzigani Avant son indépendance en 1878, la Bulgarie faisait partie de l’Empire ottoman. Cette histoire explique que des minorités turques et rroms vivent sur son territoire. Ainsi, la question de l’enseignement des langues minoritaires a toujours été une question présente dans ce pays. D’abord laissé au bon soin des minorités, l’enseignement des langues minoritaires a ensuite été organisé par le régime communiste pour ensuite être interdit par ce même régime. Aujourd’hui, l’enseignement de ces langues est de nouveau organisé par l’État avec un succès certain pour le turc, mais nettement moindre pour le rromani. I hommes & migrations n° 1275 La Bulgarie présente deux grandes minorités linguistiques pour lesquelles l’État bulgare est obligé d’élaborer et de suivre des politiques cohérentes : les turcophones et les locuteurs du rromani. Selon les données du dernier recensement de 2001(1), les locuteurs du turc représentent 9,6 % et ceux du rromani 4,1 % de la population bulgare. Les Turcs du Sud-Est – la région des Rhodopes orientales – sont regroupés de manière assez compacte près de la frontière avec la Grèce, mais ils avoisinent la province grecque de Thrace où habite la minorité turque de Grèce, protégée comme minorité musulmane par le traité de Lausanne de 1923. Ils sont mélangés, des deux côtés de la frontière, avec des Pomaks, Bulgares islamisés, et avec des Rroms musulmans souvent trilingues, qui parlent rromani, turc et bulgare. Les autres groupes de Turcs sont loin de la frontière avec l’État parent – la Turquie – et occupent des villages ou des petites villes dans le Nord-Est du pays – la région du Ludogorié – où ils peuvent être majoritaires au niveau de la commune ou même de la région. Leur répartition géographique présente une plus grande discontinuité. Les Rroms sont dispersés sur l’ensemble du pays et habitent dans des quartiers en périphérie des grandes villes, des petites villes et des villages. Ils appartiennent à différents groupes linguistiques qui sont rattachés aux deux grands superdialectes du rromani, les O-dialecte et E-dialecte(2) ; des groupes hétérogènes de Rroms cohabitent parfois dans le même quartier, qui est alors traversé par des limites dialectales. Les Rroms appartenant au superdialecte “E” sont venus pour la plupart des principautés roumaines après l’abolition du servage au XIXe siècle et de la Serbie méridionale. Ils représentent dans ce sens des continuums transfrontaliers en même temps que des discontinuités internes à la Bulgarie. La diversité linguistique dans les terres bulgares sous l’Empire ottoman Au XVIIIe siècle, on assiste à une ouverture réciproque entre le monde occidental et les Ottomans, : cette ouverture se traduit par le rôle accru que joue au sein de l’Empire ottoman l’institution des drogmans et aboutit à l’ouverture à Istanbul, en 1827, de la première imprimerie en caractères arabes qui se met à publier de nombreuses traductions d’auteurs occidentaux en turc. Les drogmans sont des traducteurs-interprètes des ambassadeurs occidentaux, issus presque exclusivement des minorités chrétiennes de l’Empire ottoman. 41 42 Dossier I Minorités et migrations en Bulgarie I En 1669, Colbert fonde l’École des jeunes de langues à Constantinople, qui sera établie plus tard à Paris sous le nom d’École nationale des langues orientales, “les langues o”, devenue par la suite l’Inalco, l’Institut national des langues et civilisations orientales. Le poste de grand drogman, chef des services diplomatiques ottomans, était entre les mains des Phanariotes – Grecs ou autres orthodoxes de Constantinople : des Arméniens, Levantins ou parfois Bulgares, etc. – et les grands drogmans finissaient souvent leur carrière comme gouverneurs – ou hospodar – des principautés roumaines – de Valachie et de Moldavie. Voici deux exemples de Bulgares ayant fait une carrière dans la diplomatie ottomane : Stefan Bogoridi, un ancien du lycée Saint-Sava de Bucarest, occupe le poste de grand drogman en 1798 et accompagne la Ce choix francophone flotte ottomane en Égypte pendant la campade l’Éveil national gne contre Napoléon en 1812. En fin de carbulgare se confirme en 1865 quand le français rière, il se retrouve à la cour du gouverneur devient matière de Moldavie. Quant à Nedialko Popovič, un obligatoire dans les Bulgare de Vidin, il mène la correspondance écoles laïques. du pacha séparatiste de Vidin, Osmân Pazvanoghlu, avec le Directoire et est envoyé comme émissaire en 1801 auprès du Premier consul à Paris, où il rencontre Talleyrand. Ces deux exemples montrent que l’élite bulgare, qui s’était constituée au début du XIXe siècle, époque de l’Éveil national (Văzraždane(3)) bulgare, était plurilingue, maîtrisait le plus souvent, en plus du bulgare, le grec, le turc, l’arabe, le français et le russe(4). L’éducation dans l’Empire ottoman à l’époque des Tanzîmât(5) attribuait des droits aux minorités. Ainsi le firman(6) de réforme de 1856 laissait aux minorités (les millet(7)) le droit de gérer librement leurs affaires internes. Les Arméniens et les Juifs bénéficiaient pleinement de ces droits. Pour ce qui est de l’Église orthodoxe dans l’Empire ottoman, elle était dominée par les Grecs – le Patriarcat œcuménique de Constantinople –, ce qui fait que les clergés bulgare et roumain étaient assujettis au clergé grec. Le “débat linguistique” entre les années 1858 à 1860 dans la presse de langue bulgare (Bălgarski knižici, Bălgaria, Journal de Constantinople, Le Cygne danubien) portait sur deux modèles éducatifs linguistiques, mais, dans les deux, une place incontestable était réservée au bulgare, langue maternelle, et au français. Le débat concernait la place des langues classiques dans le système éducatif : faut-il enseigner le latin en plus du grec ancien ? Ce choix francophone de l’Éveil national bulgare se confirme en 1865 quand le français devient matière obligatoire dans les I hommes & migrations n° 1275 écoles laïques. Les statuts de l’Éducation nationale de 1869 introduisent le français à partir de la 4e année de l’école primaire. Cependant, le débat est relancé entre 1871 et 1873. Après la création de l’Exarchat bulgare (autonomie de l’Église orthodoxe bulgare) et la défaite française dans la guerre franco-allemande, la tendance était à favoriser l’allemand. État national et langues minoritaires Satchkova(8) distingue quatre périodes à orientation différente dans l’éducation des minorités après l’Indépendance de la Bulgarie (1878) : d’abord une première “période de ségrégation” (1878-1946), qui est aussi caractérisée, au dire de l’auteur, par un certain protectionnisme de l’État à l’égard des minorités. Vient ensuite une “période de pluralisme” (1946-1958), mais l’auteur précise que ce pluralisme est restreint par une tolérance sélective et qu’il va de pair avec l’étatisation des établissements privés gérés par les communautés ethnico-religieuses. Cette période de relative tolérance, plutôt brève – 12 ans –, est suivie d’une “période d’assimilation” (1958-1991) où l’orientation de la politique officielle du Parti communiste connaît un revirement radical, car l’objectif proclamé est l’homogénéisation ethnoculturelle de la nation. Enfin, depuis 1991, la Bulgarie traverse une “période d’intégration” des minorités qui, sous la pression des organismes européens comme le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, ont retrouvé leurs droits niés pendant la période précédente. Le protectionnisme à l’égard des minorités de la première période relève d’une tradition de coexistence ethnique, héritée de l’Empire ottoman. Le Bureau du Grand Mufti (glavno mjuftijstvo), chef spirituel des Musulmans de Bulgarie, jouait un rôle important pendant cette période et des députés turcs étaient régulièrement élus à l’Assemblée nationale bulgare. Les tribunaux religieux musulmans avaient compétence en matière de mariage, divorce, exercice des droits parentaux et pension alimentaire – et ceci jusqu’en 1938. L’éducation des enfants turcs s’appuyait sur un réseau autonome d’établissements privés gérés par les communautés musulmanes. Cependant, ce cantonnement de l’éducation des minorités dans l’enseignement privé avait aussi des effets ségrégationnistes : il menait souvent à l’échec scolaire, débouchait sur l’analphabétisme – on compte 88 % d’analphabètes parmi les Turcs en 1926 –, la marginalisation économique et sociale des enfants de minorités. La qualité de l’enseignement laissait à désirer. Des mesures ont été prises par le gouvernement du Parti agrarien (1920-1923) pour améliorer la situation. 43 44 Dossier I Minorités et migrations en Bulgarie I Après le coup d’État de 1934(9), on observe des tendances nationalistes : le nombre d’établissements gérés par des communautés turques diminue de 1 480 (en 1920) à 585 (en 1936-1937). Ce processus est accompagné par une opération de bulgarisation de toponymes (1 900 noms de localités) surtout dans le Nord-Est et le SudEst où les turcophones sont majoritaires. Langues minoritaires sous le régime communiste Pendant une première sous-période, quand la politique appliquée à l’égard des minorités pouvait être qualifiée de tolérance sélective, on assiste à la création d’une élite intellectuelle issue des minorités et fidèle au Parti communiste. Grâce à elle se développent la presse, la littérature, le théâtre en turc, des filières universitaires turcophones et la formation des maîtres pour l’enseignement du turc et en turc. Même si le turc ne souffrait pas de restrictions pendant cette période, une vague d’émigration de Turcs du Sud-Est – environ 150 000 – vers la Turquie eut lieu en 1950 à 1951, mais en 1951, le Bureau politique du Parti communiste adopta des mesures pour arrêter l’émigration(10). Ces mesures visèrent à élargir la représentation de la minorité turque au sein des organes du Parti, du Komsomol – jeunesses communistes – et du Front de la Patrie, coalition autour du Parti au pouvoir. D’autre part, le Parti se posa comme objectif de développer la coopération avec l’Azerbaïdjan, république soviétique turcophone. Des places aux concours d’admission et des bourses d’études supérieures furent réservées aux Turcs de Bulgarie, et une autonomie culturelle fut mise en place pour la communauté turque. En ce qui concerne la minorité arménienne, un choix fut opéré par les autorités bulgares quant à l’aménagement du corpus : c’est l’arménien de la République soviétique d’Arménie – représentant les variétés orientales de cette langue – qui fut introduit dans l’enseignement. Pourtant, certaines minorités n’étaient pas reconnues : les minorités grecque – y compris les Sarakatsans –, gagaouze, valaque, aroumaine. Dans le même temps, d’autres minorités furent créées de manière plus ou moins artificielle par les autorités. Ainsi, dans le Sud-Ouest, environ 200 000 Bulgares furent “encouragés” à se déclarer “Macédoniens” lors des recensements de 1946 et 1956. Par la suite, cette catégorie disparut. Un Plénum du Comité central du Parti communiste bulgare en 1958 proclama un revirement dans la politique à l’égard des minorités. La nouvelle politique eut pour I hommes & migrations n° 1275 objectif l’homogénéisation ethnoculturelle de la nation, le “ralliement” des minorités au peuple bulgare. Les établissements scolaires de la communauté turque dans les villes et villages mixtes perdirent leur autonomie et durent fusionner avec des établissements bulgares. Les Rroms musulmans furent orientés vers les écoles bulgares et, de 1969 à 1978, se produisit une nouvelle vague d’émigration – environ 130 000 Turcs – vers la Turquie, selon un accord signé en 1968 entre les deux gouvernements sur les réunions de familles séparées. Cette nouvelle tendance à la restriction de l’autonomie culturelle des minorités se vit consacrée par la Constitution de 1971, proclamée comme la “Constitution du socialisme vainqueur”. Le droit à l’apprentissage de la langue maternelle est reconnu seulement comme un droit individuel et non plus collectif. À partir de 1973 et 1974, les enseignements du turc et de l’arménien devinrent exclusivement facultatifs. Le début des années quatre-vingt marqua la fin du turc facultatif. Le ministère de l’Éducation annonça qu’il n’y avait plus de demandes pour les cours de turc. L’arménien facultatif subsista dans deux villes, très probablement parce que les enseignants étaient formés en Arménie soviétique, ce qui était rassurant pour le pouvoir. Plusieurs campagnes de changement forcé des noms et prénoms d’origine araboturque furent lancées par le parti unique de Todor Jivkov : de 1971 à 1974 dans les Rhodopes centrales et occidentales, région où habitent la plupart des Pomaks – bulgarophones islamisés –, et en 1981, auprès des Rroms musulmans. En 1984 et 1985, la plus grande action, appelée “processus de renaissance” par le gouvernement communiste de l’époque, eut lieu. Elle consistait à renouveler les pièces d’identité de quelque 850 000 Turcs et s’accompagnait de l’interdiction de parler turc en public, y compris à l’école. En juin 1989, un exode de 370 000 Turcs de Bulgarie vers la Turquie se déclencha dès l’ouverture de la frontière du côté turc. La “grande excursion” – appelée ainsi parce que les gens amassés à la frontière déclaraient vouloir visiter la Turquie en touristes – précipita la chute de Todor Jivkov par le coup d’État interne au Parti du 11 novembre 1989 et marqua le début du processus de démocratisation en Bulgarie. On estime à environ 150 000 le nombre des exilés turcophones qui sont revenus en Bulgarie depuis cette “grande excursion”. Politique à l’égard des minorités en Bulgarie après 1989 Dès décembre 1989, les députés du Parlement bulgare décidèrent le retour aux anciens noms et prénoms et la levée des interdictions à l’égard des minorités eth- 45 46 Dossier I Minorités et migrations en Bulgarie I niques. Celles-ci retrouvèrent leur droit de s’associer, d’avoir des publications, des stations radio et des chaînes de télévision en langue minoritaire. Le parti Mouvement pour les droits et libertés (MDL) – fondé par Ahmed Dogan, dissident et prisonnier à l’époque communiste, sur la base des structures clandestines de résistance au régime communiste qui existaient depuis 1984 et 1985 dans les zones à population mixte – bénéficia aux élections législatives et municipales du souSelon le principe des tien de la communauté turque, de la majorité quotas adopté par cette des Rroms musulmans et des Pomaks. Le coalition tripartite, parti MDL, qui a fêté les 15 ans de sa fondale MDL a aussi un tion, est fier de sa contribution au “modèle certain nombre de bulgare de gestion des rapports interethpréfets de régions. niques” qu’il considère comme une réalisation unique en son genre dans les Balkans. À l’issue des élections législatives de 2005, le MDL fait partie de la coalition tripartite au pouvoir ayant obtenu 34 sièges à l’unique chambre du Parlement bulgare, dispose de trois ministres au gouvernement, dont un vice-président du Conseil des ministres. Selon le principe des quotas adopté par cette coalition tripartite, le MDL a aussi un certain nombre de préfets de régions. Par ailleurs, 29 maires de communes – soit 11 % – et 549 maires de mairies – 21,5 % – sont issus des rangs du MDL à la suite aux élections municipales de 2003. Le nombre de maires candidats du MDL, ou élus avec le soutien du MDL, est passé à 43, après les élections municipales de 2007. Le parti dispose d’environ 200 conseillers municipaux. Un arrêt de la Cour constitutionnelle de Bulgarie de 1992, tout en admettant que la Constitution de 1991 est basée sur “l’idée d’unité de la nation bulgare”, rappelle que plusieurs de ses dispositions reconnaissent l’existence de “différences religieuses, linguistiques et ethniques entre les citoyens bulgares”. Ainsi, l’article 36, paragraphe 2, mentionne “les citoyens dont le bulgare n’est pas la langue maternelle” et l’article 54, paragraphe 1 affirme le droit de chacun “de développer sa propre culture, conformément à son appartenance ethnique”. Un deuxième arrêt de la Cour constitutionnelle de Bulgarie, datant de 1998, ouvre la voie à la ratification de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe. Le Rapport de la Bulgarie dans le cadre du premier cycle de suivi de la Convention-cadre – Doklad na Republika Bălgarija, 2003 – s’appuie sur un constat de la Cour constitutionnelle bulgare selon lequel “dans la mesure où l’existence d’une minorité ethnique, religieuse et linguistique spécifique en République de Bulgarie ne dépend pas d’une décision d’un organe de l’État mais requiert une preuve sur critères objectifs, ses membres sont des citoyens de la République I hommes & migrations n° 1275 de Bulgarie appartenant aux minorités ethniques, religieuses et linguistiques du pays”. Les formulaires du recensement de 2001 proposaient les réponses possibles suivantes aux trois “questions ethnodémographiques”(11) : - Groupe ethnodémographique : bulgare, turc, rrom (tsigane), autre, refus de s’identifier. - Langue maternelle : bulgare, turc, rromani, autre, refus de s’identifier. - Religion : orthodoxe, catholique, protestante, musulmane sunnite, musulmane chiite (Alaouites), autre, refus de s’identifier. Selon les données de ce recensement, 83,6 % des citoyens bulgares sont du “groupe ethnodémographique” bulgare, 9,4 % du groupe turc, 4,6 % du groupe rrom. D’après la langue maternelle, les citoyens bulgares se répartissent ainsi : 84,8 % ont le bulgare comme langue maternelle, 9,6 % le turc et 4,1 % le rromani. En outre, 83,87 % des citoyens bulgares s’annoncent comme chrétiens et 12,1 % comme musulmans(12). Une direction Questions ethniques et démographiques (QED) existe au sein de l’administration du Conseil des ministres. Le Conseil national de concertation sur les questions ethniques et démographiques(13) (CNQED), créé en décembre 1997, est un organe consultatif et de coordination auprès du Conseil des ministres. Il est “chargé d’assurer la consultation, la coopération et la coordination entre les institutions et les organisations non gouvernementales afin d’élaborer et d’appliquer une politique nationale sur les questions ethniques, démographiques et migratoires”. Jusqu’en octobre 2005, ce Conseil était présidé par un ministre sans portefeuille, Madame Filiz Hyusmenova, du parti MDL de la minorité turque, et, depuis que le parti MDL bénéficie d’un vice-président du Conseil des ministres, Madame Emel Etem : c’est cette dernière qui le préside. Dans la composition du CNQED entrent plusieurs vice-ministres – Affaires étrangères, Défense, Intérieur, Éducation, Emploi, Culture, Finances, Santé –, les directeurs de la Direction des cultes, de l’Agence pour les réfugiés, de l’Agence nationale pour les Bulgares à l’étranger et de l’Institut national des statistiques. 34 ONG de différentes minorités ethniques présentes en Bulgarie y sont représentés, dont 21 sont représentantes des Rroms, 4 des Turcs, 3 des Juifs, et 1 par minorité pour les Arméniens, les Valaques, les Aroumains, les Karakatchans – ou Saracatsans –, les Grecs et les Tatares de Bulgarie. Ce Conseil national est complété par des structures régionales : 28 Conseils régionaux des questions ethniques et démographiques (CRQED) présidés par le préfet de région et comprenant un ou deux experts en QED, des experts en QED auprès des municipalités – il y en a dans près de la moitié des 263 conseils municipaux de Bulgarie –, ainsi que des maires élus issus des minorités. Sur les 30 experts en 47 48 Dossier I Minorités et migrations en Bulgarie I QED des CRQED, 17 sont d’origine rrom. Au ministère de l’Éducation existe une Direction de l’intégration culturelle des minorités et un Conseil consultatif sur l’éducation des minorités. Le ministère de la Culture a créé un Conseil public pour la diversité culturelle auprès de la Direction “Politique culturelle régionale” et un Conseil public de la culture rromani. Le Programme-cadre pour l’intégration des Rroms dans la société bulgare de 1999 contient une Section V “Éducation” qui prévoit des mesures en vue de la déségrégation des “écoles rroms”, le principe étant que les enfants rroms ne doivent pas dépasser un tiers de la classe. Mais c’est une stratégie à long terme, complétée entre-temps par des mesures compensatoires comme la mise en place de l’institution des maîtres-auxiliaires issus de la communauté rrom et d’une classe préparatoire – équivalent de la grande section de maternelle – obligatoire. Enseignement actuel des langues minoritaires en Bulgarie La Bulgarie a signé la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe en 1997 et l’a ratifiée en 1999. Conformément à l’article 14 de la Convention-cadre, le gouvernement bulgare doit “garantir, dans la mesure du possible et dans le cadre de [son] système éducatif, que les personnes appartenant à des minorités aient la possibilité d’apprendre la langue minoritaire ou de recevoir un enseignement dans cette langue”. Plusieurs actes législatifs sont relatifs à l’enseignement des langues minoritaires en Bulgarie. La Loi sur l’éducation nationale stipule, dans son article 8, paragraphe 2 : “Les élèves dont la langue maternelle n’est pas le bulgare ont le droit d’apprendre, en plus du bulgare dont l’étude est obligatoire, leur langue maternelle dans les écoles municipales sous la protection et le contrôle de l’État.” Le Règlement d’application de la Loi sur l’éducation nationale (art. 5, paragr. 4) précise que “La langue maternelle au sens du présent règlement est la langue dans laquelle un enfant communique avec sa famille jusqu’à son entrée à l’école.” En 2002, des amendements de la loi sur les cycles d’enseignement, le niveau-seuil de l’enseignement général et les curricula garantissent la promotion de la matière langue maternelle à un statut supérieur : de matière facultative – subvention ponctuelle à demander au conseil municipal –, elle devient une matière à option subventionnée par l’État. L’avantage est qu’elle est désormais enseignée par des professeurs titulaires et que sa note est prise en compte dans la moyenne annuelle. Ceci valorise la langue maternelle aux yeux de la communauté et rend I hommes & migrations n° 1275 plus facile la création de classes de langue maternelle. Au ministère de l’Éducation, des experts sont nommés pour les langues minoritaires suivantes : turc, rromani, arménien, hébreu. Seul l’expert en turc est à temps plein, les autres étant recrutés sur contrat civil à mi-temps. Le roumain comme langue maternelle est du ressort de l’expert en langues romanes. Aucun expert n’est prévu pour le grec, qui est pourtant enseigné dans les aires habitées par des Karakatchans. Dans les Inspections régionales de l’Éducation, il y a des experts en langues maternelles uniquement dans les régions à forte présence de minorités, alors que dans les autres zones leurs fonctions sont assumées par les experts en gestion de l’éducation(14). Plusieurs établissements assurent la formation des maîtres pour la discipline langue maternelle. Pour le turc, ce sont l’université de Šumen Konstantin Preslavski et le Collège pédagogique de Kărdžali. Pour le rroLe pays a conservé mani, c’est l’université Saints Cyrille et un degré non Méthode, de Veliko Tărnovo, où existe négligeable depuis 2003 un département de pédagogie de multilinguisme primaire et de langue rromani. Pour l’arméet de multiculturalisme que d’autres pays de nien, l’université Saint-Clément d’Okhrid, la région des Balkans de Sofia, dispose d’un département d’études ont peut-être perdu. arméniennes. Les inscriptions en turc langue maternelle comme matière à option pour l’année 2003-2004 étaient au nombre de 30 500. Pour l’option rromani langue maternelle, il n’y avait que 1 300 élèves inscrits. La répartition des inscriptions aux cours de turc est inégale entre les régions : 80 % des inscrits sont concentrés dans 7 régions sur 28 : Kărdžali (7 600), Šumen (4 400), Burgas (3 900), Razgrad (3 700) N.-E., Tărgovište (1 800), Silistra (1 800) et Ruse (1 600). À part Kărdžali et Burgas qui se trouvent au Sud-Est, les cinq autres régions occupent le Nord-Est du pays. Le rromani est une langue “dépourvue de territoire”(15). Les Rroms de Bulgarie sont d’anciens nomades sédentarisés. Les différents groupes de Rroms sont arrivés dans les territoires de l’actuelle Bulgarie à des périodes différentes : à la fin de l’Empire byzantin et tout au long de l’Empire ottoman, la dernière vague importante datant enfin de la période qui a suivi l’abolition du servage des Rroms dans les principautés roumaines, en Valachie et Moldavie. Satchkova(16) relie le développement de quartiers ghettoïsés en périphérie des villes et villages habités par des Rroms sédentaires à l’industrialisation et à l’urbanisation de la Bulgarie communiste, qui a fait disparaître des villes les anciens quar- 49 50 Dossier I Minorités et migrations en Bulgarie I tiers turcs, arméniens et juifs. Les résultats d’une étude du Centre international sur les problèmes des minorités et des interactions culturelles (Imir) menée auprès d’élèves, de parents et d’enseignants de minorités fournissent des données sur les attitudes adoptées par rapport aux cours de langue maternelle à l’école. Pour ce qui est des enfants de la minorité turque, les attitudes s’avèrent plutôt positives : 19,5 % suivent les cours de langue maternelle ; 30 % déclarent avoir envie de les suivre… La situation est bien différente chez les enfants rroms. S’agissant des enfants rroms issus de familles chrétiennes, les pourcentages respectifs sont les suivants : 1 % suivent les cours de langue maternelle ; 6,1 % ont envie de les suivre. Par ailleurs, 6,8 % des enfants rroms issus de familles musulmanes ont envie d’apprendre le turc à l’école. Conclusion Des éléments de politique linguistique des institutions bulgares à l’égard des minorités linguistiques se sont construits progressivement, surtout après la ratification par le parlement bulgare de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, en 1998. Les mesures mises en place concernent surtout le domaine éducatif. Il est encore difficile de parler d’une politique cohérente des gouvernements bulgares en la matière. Mais en même temps, l’aperçu historique de la question minoritaire démontre qu’il y a eu une certaine continuité en Bulgarie : l’affirmation d’une identité nationale – celle de la majorité bulgare – est le plus souvent allée de pair avec une tolérance plus ou moins prononcée à l’égard des groupes minoritaires. Il en résulte que le pays a conservé un degré non négligeable de multilinguisme et de multiculturalisme que d’autres pays de la région des Balkans ont peut-être perdu. ■ I hommes & migrations n° 1275 Notes 1. Données disponibles en ligne sur le site du National Statistical Institute de la République de Bulgarie : , Census 2001. 2. Selon Courthiade, Marcel, “Structure dialectale de la langue rromani”, in Études tsiganes, vol. 22, 2005, pp. 14-26, le superdialecte “O” regroupe les parlers balkano-carpato-baltiques et le superdialecte “E” les parlers gurbet-ćergar et les parlers kelderaś-lovari-drizar. 3. Le même mot est utilisé en bulgare pour parler de la Renaissance occidentale. 4. Veselinov, Dimităr, Istorija na obučenieto po frenski ezik v Bălgarija prez Văzraždaneto, Izdatelstvo na Sofijskija universitet Sv. Kliment Ohridski, Sofia, 2003. 5. C’est le pluriel de tanzîm, qui veut dire “réforme, réorganisation”, en arabe. 6. Édit émanant d’un souverain musulman. 7. Mot utilisé en turc pour désigner les communautés confessionnelles ou ethnico-religieuses de l’Empire ottoman. 8. Satchkova, Elena, 2001, “Politique éducative et linguistique concernant les minorités en Bulgarie (1878-2000)”, Lengas, revue de sociolinguistique, vol. 49, 2001, pp. 145-163. 9. Coup d’État monté par le groupe “Zveno” – “la Maille” –, composé de militaires et d’intellectuels réunis autour d’un programme autoritaire mais républicain. 10. Büchsenschütz, Ulrich, Malcinstvenata politika v Bălgarij. La politique du PCB à l’égard des Juifs, Rroms, Pomaks et Turcs (1944-1989), Imir, Sofia, 2000. 11. “Ethnodémographique” est le terme utilisé dans les documents officiels du gouvernement pour éviter les termes de “minorité” et “minoritaire”, qui n’existent pas dans la Constitution de 1991. 12. Ce pourcentage comprend aussi les Bulgares islamisés qui constituent la communauté des Pomaks et les Rroms musulmans. 13. On peut consulter son site Internet à l’adresse suivante : www.ncedi.government.bg. 14. Doklad na Republika Bălgarija [“Rapport de la République de Bulgarie”, conformément à l’article 25, paragraphe 1 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales], 2003, p. 86. 15. Selon la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, art. 1, il s’agit de “langues pratiquées par des ressortissants de l’État qui sont différentes de la (des) langue(s) pratiquée(s) par le reste de la population de l’État, mais qui, bien que traditionnellement pratiquées sur le territoire de l’État, ne peuvent pas être rattachées à une aire géographique particulière de celui-ci”. 16. Satchkova, Elena, 2001, “Politique éducative et linguistique concernant les minorités en Bulgarie (1878-2000)”, Lengas, revue de sociolinguistique, vol. 49, 2001, pp. 145-163, pp. 155. Références bibliographiques • Büchsenschütz, Ulrich, Malcinstvenata politika v Bălgarij. La politique du PCB à l’égard des Juifs, Rroms, Pomaks et Turcs (19441989), Imir, Sofia, 2000. • Courthiade, Marcel, “Structure dialectale de la langue rromani”, in Études tsiganes, vol. 22, n° 2, 2005, pp. 14-26. 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