L`exercice des compétences de la Cour pénale internationale.

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L`exercice des compétences de la Cour pénale internationale.
L’exercice des compétences de la Cour pénale internationale.
Par Dr. Doreid BECHERAOUI
Professeur de droit pénal à l’Université Robert Schuman de Strasbourg
Professeur visiteur à l’Université d’Innsbruck- Autriche
Ancien Substitut du Procureur de la République en France
Avocat à la Cour au Barreau de Beyrouth
Introduction :
La convention portant statut de la Cour pénale internationale a été adoptée le 17 juillet 1998
et ouverte à la signature des Etats le lendemain à la clôture d’une conférence diplomatique de
cinq semaines qui s’est tenue à Rome en juin et juillet 1998 et à l’issue d’un vote demandé par
1
les Nations Unies . Cent vingt Etats, dont la France et l’ensemble des pays de l’Union
2
3
européenne, avaient voté en sa faveur, sept contres et vingt un s’étaient abstenus .
Cet événement historique constitue un progrès décisif de l’effort fait par la communauté
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internationale pour mettre fin aux violations du droit international humanitaire . Il s’agit
d’une étape mémorable dans la lutte contre l’impunité de crimes abominables. Il y a quelques
années à peine, on aurait simplement rejeté comme irréalisable l’idée de créer une Cour à
vocation permanente destinée à juger des personnes physiques- et non pas des Etats- pour les
crimes atroces qu’elles ont commis comme le génocide, les crimes contre l’humanité et les
crimes de guerre. Or, aujourd’hui avec la création de la Cour pénale internationale, le statut de
cette juridiction constitue un grand pas en avant vers l’instauration de la primauté du droit
humanitaire sur le plan international et ce malgré les lacunes et les ambiguïtés qu’il contient.
Alors que la Cour pénale internationale trouve ses origines au début du 19ème siècle, la
première proposition sérieuse en ce sens avait été faite il y a plus de 130 ans par Gustave
MOYNIER, un des fondateurs du comité international de la Croix-Rouge, qu’il a longtemps
présidé, en réponse aux crimes de la guerre Franco- Prusse.
Lors d’une réunion du comité international de la Croix-Rouge, le 3 janvier 1872, MOYNIER
présenta une proposition visant à créer un tribunal international sur la base de la convention
1
Résolution 52/160 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, du 15 décembre 1997.
Etats-Unis, Inde, Israël, Chine, Bahreïn, Qatar, Vietnam.
3
Pour l’essentiel les pays arabes dont le Liban.
4
V. en ce sens : M. André DULAIT : Rapport d’information fait en France au nom de la commission des
Affaires étrangères, de la défense et des forces armées au Sénat sur la Cour pénale internationale ; Session
ordinaire de 1998-1999 ; rattache pour ordre au procès-verbal de la Séance du 8 avril 1999. Enregistré pour ordre
à la présidence du Sénat le 12 avril 1999. V. aussi : Jean-Paul BAZELAIN et Thierry CRETIN : « La justice
pénale internationale : son évolution, son avenir de Nuremberg à La Haye, éd. PUF, Coll. Criminalité
internationale, 2000- Juan-Antonio CARRILO-SALCEDO : La CPI : l’humanité trouve une place dans le droit
international, Revue Générale de droit international public, janvier-mars 1999, Numéro 1, p. 23.
2
1
5
de Genève de 1864 concernant les militaires blessés . Néanmoins, ce projet, comme bien
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d’autres, ne s’est pas concrétisé .
Jusqu’à ce que MOYNIER propose d’établir un tribunal international permanent, presque
toutes les affaires de violation du droit de la guerre étaient jugées par des tribunaux ad hoc,
constitués par un des belligérants- généralement le vainqueur- et non par des tribunaux
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ordinaires ou par un tribunal pénal international . Toutefois, quatre siècles devaient encore
s’écouler avant que l’idée de MOYNIER de créer une Cour criminelle internationale
permanente ne soit à nouveau envisagée sérieusement.
La proposition de MOYNIER n’ayant pas abouti, l’appel suivant de créer une Cour pénale
internationale est survenu après la première Guerre Mondiale avec le traité de Versailles de
1919. Les rédacteurs du traité proposaient la création d’une Cour internationale ad hoc pour
juger le Keiser et les criminels de guerre allemands.
Après la seconde Guerre Mondiale, les Alliés ont mis en place les tribunaux de Nuremberg et
Tokyo pour juger les criminels de guerre de l’Axe. La convention des Nations Unies sur la
prévention et la répression du crime de génocide de 1948 prévoyait déjà la compétence d’un
tribunal international pour juger le crime de génocide. Et, alors que la perpétration de ce crime
se multipliait, aucune instance internationale permanente de ce type n’a été créée.
Plusieurs tentatives, depuis la mise en place des tribunaux militaires de Nuremberg et de
Tokyo, tendaient à l’établissement d’un tribunal pénal international permanent. En 1950 et
1953, deux projets de statut ont été élaborés par la commission de Droit international de
l’ONU. Tout semblait prêt pour une concrétisation rapide des idées exprimées notamment par
DONNDIEU DE VABRES, procureur à Nuremberg, en faveur d’une Cour pénale
internationale permanente. Or, la guerre froide faisait barrage à la réalisation de l’idée de
créer une telle juridiction. Il fallut attendre la fin de cette guerre pour que les travaux
préparatoires de la rédaction d’une convention internationale servant de base juridique à
l’établissement d’une Cour pénale internationale reprennent au sein de la commission de
Droit international de l’ONU.
Ainsi, en 1994, la commission de Droit international de l’ONU présentait un projet de statut
portant création de la Cour pénale internationale. Entre temps, l’ampleur des crises
humanitaires – surtout dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda- ainsi que la gravité des
violations des droits humanitaires fondamentaux perpétrées à l’encontre des civils, ont amené
les Nations Unies, et spécialement le Conseil de sécurité, en vertu des ses pouvoirs de
5
Convention de Genève du 22 août 1864 pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en
campagne. V : Kaï AMBOS : « Les fondements juridiques de la CPI », Revue trimestrielle des droits de
l’Homme, 1999. Jean-Paul BAZELAIN et Thierry CRETIN : « La justice pénale internationale : son évolution,
son avenir de Nuremberg à La Haye, éd. PUF, coll. Criminalité internationale, 2000. Philippe WECKEL : « La
Cour pénale internationale, présentation générale », Revue générale de droit international public, 1998-4, p. 983993.
6
Le projet de Gustave MOYNIER fut publié dans le Bulletin international des Sociétés de secours aux
militaires blessés. V. Gustave MOYNIER : “ Note sur la création d’une institution judiciaire internationale
propre à prévenir et à réprimer les infractions à la convention de Genève », Bulletin international des Sociétés de
secours aux militaires », 1872, n° 11, p. 122 et s.
7
V. Christopher KEITHALL : « Première proposition de création d’une Cour criminelle internationale
permanente », Revue internationale de la Croix-Rouge, 1998, n° 829, p. 59-78 - Un tribunal arbitral a été crée
l’année précédant la proposition de MOYNIER à Genève conformément au Traité de Washington du 8 mai 1871
pour statuer sur les réclamations formulées par les Etats-Unis à l’encontre de la Grande-Bretagne en raison des
dommages causés aux navires nordistes par l’Alabama, bateau corsaire confédéré. Mais cet exemple de tribunal
arbitral, même s’il avait l’avantage d’être connu des gouvernements et du grand public en tant qu’organe ad hoc
destiné à régler les différends entre Etats, ne convenait pas exactement pour une Cour criminelle car il avait pour
objet de faire appliquer un droit coutumier mal défini, et non une convention.
2
maintien de la paix et de la sécurité internationale, à créer par deux résolutions adoptées sur la
base du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, deux tribunaux internationaux ad hoc
pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. La fonction de ces tribunaux internationaux
consistait à réprimer les actes pénaux violant les droits humains dans ces deux pays et à punir
les responsables des atrocités qui visaient principalement les personnes civiles8.
On cherchait à travers ces tribunaux à mettre fin à l’impunité qui avait permis aux guerriers de
commettre les plus exécrables violations des droits humains pour atteindre leurs buts
9
politiques . Or, leur compétence étant limitée aux crimes commis dans deux régions
particulières et à des moments précis, la tâche de ces tribunaux ne permettait pas de traduire
10
en justice tous les auteurs de crimes internationaux . C’est la raison pour laquelle il était
nécessaire d’adopter des nouvelles règles pour la création d’une Cour permanente à vocation
universelle : celle-ci aurait la qualité d’être stable et destinée à juger non seulement les
crimes commis dans une région déterminée, mais aussi tous les crimes les plus graves
qui violent le droit international humanitaire quelque soit le lieu de leur commission et
quelque soit la spécificité de la situation pénale visée.
Dès lors, le comité ad hoc, crée en 1995 par l’assemblée générale des Nations Unies pour
examiner les modalités d’établissement de la Cour pénale internationale, tenait deux réunions
de deux semaines au siège des Nations Unies. En décembre 1995, l’assemblée générale des
Nations Unies met en place une commission préparatoire de trois ans, de mars 1996 à avril
1998, pour finaliser le texte qui doit être présenté à une convention de plénipotentiaires. En
janvier 1997, l’assemblée générale appelait à la tenue d’une conférence diplomatique des
Nations Unies pour la création d’une Cour pénale internationale. Cette conférence qui
s’ouvrait à Rome le 15 juin 1998 a donné lieu à l’adoption d’une convention portant création
d’une Cour pénale internationale permanente et « compétente à l’égard des personnes pour
11
les crimes les plus graves ayant une portée internationale » à savoir les crimes contre
l’humanité, le génocide, les crimes de guerre et l’agression (art. 5 du Statut de Rome) .
Le Statut de la Cour pénale internationale détermine la compétence de cette juridiction et
énonce sa structure ainsi que ses fonctions. Il dispose qu’il entrera en vigueur soixante jours
12
après que soixante Etats l’aient ratifié ou y aient adhéré .
Le 60ème instrument de ratification fut déposé auprès du Secrétaire Général de l’ONU le 11
13
avril 2002, à l’occasion de la ratification simultanée de dix pays . Par conséquent, la Cour est
8
V : Bruce BROOMHAL : International justice and the international criminal court : between sovereignty and
the rule of law, Oxford: Oxford University, 2003, X, p.215 – David P. FORSYTHE: “ The United States and
international criminal justice”, November 2002, p. 974-991.
9
V. en ce sens : Julio Gorge URBANI : « La protection des personnes civiles au pouvoir de l’ennemi et
l’établissement d’une juridiction pénale internationale », Revue internationale de la Croix-Rouge, 2000, n° 840,
p. 857 et s. – V. aussi : Marco SASSOLI, « le rôle des tribunaux pénaux internationaux dans la répression des
crimes de guerre », dans F. Lattanzi/ E , Dai Tribunali penali internzionali ad hoc a una Corte permanente,
Editoriale scientifica, Napoli, 1996, p. 118.
10
V. en ce sens : Hélène DUMONT et Anne-Marie BOISVERT : « La voie vers la Cour pénale internationale :
tous les chemins mènent à Rome », Montréal, éd. Thémis, 2004 - Marie-Claude ROBERGE : « La nouvelle Cour
pénale internationale : évaluation préliminaire », Revue internationale de la Croix-Rouge, 1998, n° 832, p. 725 et
s.
11
Article 1 de la Convention de Rome du 17 juillet 1998.
12
La France a signé ce texte dès le 18 juillet 1998. Elle l’a ratifié le 9 juin 2000- Cette ratification a nécessité la
révision de la constitution. V. en ce sens : Marie-Hélène GOZZI : « La ratification du Traité de Rome portant
création de la Cour pénale internationale exige la révision de la Constitution française », Dalloz, 2000, somm., p.
111.
13
Au 3 mai 2004, le nombre de pays qui sont Etats parties du statut de Rome de la Cour pénale internationale
était de 94. Parmi eux 24 sont des pays d’Afrique, 26 sont membres du groupe des Etats d’Europe occidentale et
3
devenue, en principe, opérationnelle à compter du 1er juillet 2002, date à partir de laquelle
ceux qui commettent l’un des crimes réprimés par la convention de Rome du 18 juillet 1998
seront passibles de poursuites pénales devant cette instance internationale.
Le siège de la Cour est situé à La Haye aux Pays-Bas. Elle comprend la présidence, la
14
chambre des appels, la chambre de première instance et la chambre préliminaire . Dix huit
magistrats assurent les fonctions de cette juridiction internationale. Ils sont élus par
l’assemblée des Etats parties et doivent être hautement qualifiés dans les domaines du droit
pénal et du droit international et bien connus pour leur moralité. Ils doivent également exercer
leurs fonctions en toute indépendance et en toute impartialité.
La composition de la Cour pénale internationale doit être, en application de son statut,
représentative des différents systèmes juridiques, doit assurer une représentation
géographique équitable, ainsi qu’une représentation équitable entre les hommes et les
femmes.
Dès le 1er juillet 2002, suite à l’entrée en vigueur de la Convention de Rome de 1998, une
équipe intérimaire de la Cour pénale internationale s’est mise au travail. La Cour est devenue
donc à cette date une réalité. Il aura fallu au moins cinquante ans pour arriver à concrétiser ce
vœu d’une Cour criminelle, une Cour internationale permanente chargée de répondre, dans les
conflits de toute nature, aux exigences fondamentales de l’humanité.
Beaucoup de déceptions pourtant exposent le contenu du statut de la Convention de Rome aux
critiques et amènent les Etats parties à résoudre des problèmes juridiques fort complexes. En
raison de l’influence de certains « Etats puissants », qui considéraient la Cour pénale
internationale comme une menace à leur souveraineté tant politique qu’économique, des
compromis regrettables ont restreint considérablement les pouvoirs de cette juridiction
15
internationale . En effet, les pouvoirs confiés à cette juridiction ne lui permettent pas
d’exercer pleinement cette compétence.
L’efficacité de la Cour pénale internationale de défendre et de mettre en œuvre les exigences
profondes de l’humanité dépend en grande partie de son pouvoir d’exercer efficacement la
compétence que lui confie son statut. C’est pourquoi, la question de l’exercice de la
compétence de la Cour pénale internationale a fait l’objet des discussions les plus vives et les
plus tendues jusqu’au dernier jour de la conférence de Rome. Ces discussions ont donné lieu à
des compromis si bas que la Cour est aujourd’hui dotée d’une compétence qui n’assure pas
pleinement l’existence d’une justice internationale efficace16.
L’inefficacité de la Cour pénale internationale pourrait être attribuée d’une part aux strictes
conditions ( 1ère partie ) qui doivent être réunies pour que cette instance internationale puisse
autres Etats, 15 sont des pays d’Europe de l’Est, 18 sont des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, et 11 sont
des pays d’Asie. Parmi les pays arabes, seulement la Jordanie et le Yémen sont Etats parties du statut de Rome
de la Cour pénale internationale.
14
La Cour pénale internationale est une organisation internationale indépendante. En application de l’article 2 du
statut de Rome, elle est liée des Nations Unies par un accord qui fut approuvé par l’assemblée des Etats parties
lors de sa première session en septembre 2002 et conclu ultérieurement par le président de la Cour.
15
V. en ce sens : Le Rapport de la Fédération des Ligues des Droits de l’homme ( FIDH), « La Route ne
s’arrête pas à Rome », Analyse du statut de la CPI, Lettre bimensuelle de la FIDH, novembre 1998, n°266. V.
aussi : Cherif BASSIOUNI : « Introduction to international law », éd. : Ardsley, NY : Transnational publishers,
2003.- Cherif BASSIOUNI : CPI, ratification et législation d’application, Tououse, Erès, 1999.
16
V. en ce sens : Marie-Claude ROBERGE : « La nouvelle Cour pénale internationale : évaluation
préliminaire », Revue internationale de la Croix-Rouge n° 832, 31 décembre 1998, p. 725-739- Mirielle
DELMAS- MARTY : « La CPI et les interactions entre droit international pénal et droit pénal interne à la phase
d’ouverture du procès pénal », Revue de science criminelle et de doit comparé, 2005, vol., issue 3, p. 473-482.
4
exercer sa compétence, et d’autre part aux restrictions ( 2ème partie) à l’exercice de cette
compétence imposées par le statut de Rome.
Première partie : Les conditions d’exercice de la compétence de la
Cour pénale internationale.
En ce qui concerne les conditions d’exercice des compétences de la Cour pénale
internationale, plusieurs solutions ont été négociées lors de la conférence de Rome. La
Grande-Bretagne a proposé au départ que l’exercice de la compétence de la Cour soit
conditionné par la ratification du statut de Rome ou l’acceptation de la compétence de cette
juridiction par l’Etat qui détient la personne qu’on a l’intention de poursuivre pour un ou
plusieurs des crimes relevant de la compétence de la Cour et l’Etat sur le territoire duquel
l’acte incriminé a été commis. Mais elle n’exigeait par la suite que l’acceptation de ce dernier
Etat.
L’Allemagne, quant à elle, voulait que la Cour soit dotée d’une compétence universelle pour
les crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, adoptant ainsi le
principe de compétence universelle prévu par les conventions de Genève de 1949.
Selon une proposition présentée par les Etats-Unis, l’acceptation de l’Etat de la nationalité
du suspect conditionne l’exercice de la compétence de la Cour. La République de Corée a
présenté un projet d’article selon lequel la Cour aurait compétence si l’un des quatre Etats
concernés (Etat sur le territoire duquel le crime a été commis, Etat de nationalité de la victime
ou de nationalité du suspect, Etat sur le territoire duquel le suspect est détenu) a ratifié le
statut de Rome ou accepté la juridiction de la Cour pénale internationale.
Bien que le principe d’une juridiction universelle de la Cour ait été préférable, la proposition
Coréenne, si elle était admise, aurait pu conférer à la Cour pénale internationale de
compétences suffisamment larges pour en être en mesure d’accomplir pleinement ses
missions17. Or, comme nous allons pouvoir le constater ultérieurement, bien que cette
proposition ait été accueillie favorablement par un grand nombre d’Etats approuvant son
contenu, elle n’a pas été adoptée telle quelle.
Enfin du compte, et dans un souci de compromis, le Statut de Rome prévoit que pour que
l’exercice de la compétence de la Cour pénale internationale soit effectif, plusieurs conditions
doivent être remplies : les unes sont préalables à la saisine de cette instance internationale
(A), les autres sont relatives à la saisine même de la Cour (B).
A- Les conditions préalables à la saisine de la Cour pénale internationale.
Selon l’article 12 (£2) du Statut de Rome, avant que la Cour ne puisse exercer sa
compétence sur un crime, celui-ci doit avoir été commis sur le territoire d’un Etat ayant déjà
ratifié le Statut de Rome ou par un de ses ressortissants. La Cour pénale internationale sera
également compétente lorsqu’un Etat qui n’est pas partie au Statut de Rome a consenti à ce
17
V. en ce sens : Rapport de la Fédération de la Ligue des droits de l’homme, rapport de position n°3 : « La
route ne s’arrête pas à Rome », par Sophie FREDIANI, novembre 1998, n°266, p. 5 et s. – V. aussi : Mauro
POLITI : « Le Statut de Rome de la CPI : le point de vue d’un négociateur », Revue Générale de droit
international public, 1999, IV, p. 817.
5
que la Cour exerce sa compétence s’il s’agit de l’Etat où le crime a été commis (l’Etat du
territoire) ou de l’Etat de la nationalité du suspect. Ainsi, contrairement à la proposition
présentée par la République de Corée au cours de la conférence de Rome, l’Etat de la
nationalité de la victime et l’Etat de détention sont exclus.
Il en résulte que la compétence de la Cour pénale internationale est fondée sur le principe de
compétence pénale territoriale et non sur la théorie de l’universalité de la compétence
pénale18.
Une telle solution représente « une ombre obscure, peut être la plus obscure, planant sur
la juridiction de la Cour »19. En effet, ces conditions préalables à l’exercice de la
compétence de la Cour pénale internationale constituent un recul par rapport au principe de la
compétence universelle en vertu du droit international20.
Le régime prévu au Statut de Rome qui exige que l’Etat non partie à ce Statut et sur le
territoire duquel les infractions ont été commises ou dont l’auteur porte sa nationalité donne
son consentement avant que la cour puisse exercer sa juridiction, affaiblie considérablement la
Cour pénale internationale et rend ses pouvoirs très limités. Si l’on veut que la Cour soit
efficacement complémentaire des tribunaux nationaux (puisque la Cour n’exercerait sa
juridiction que dans les cas où les Etats n’auraient pas eux-mêmes pris les mesures
nécessaires), il ne faut pas que son action soit entravée par des obstacles supplémentaires, par
exemple l’obligation du consentement d’un Etat. En vertu du principe de la juridiction
universelle, tout Etat peut engager des poursuites pénales à l’encontre des personnes
soupçonnées d’avoir commis des crimes dont la nature est réputée toucher l’ensemble de la
communauté internationale (comme les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité…),
et aucun consentement n’est requis de la part d’aucun autre Etat21.
Ce principe ne fait que réaffirmer une notion fondamentale du droit pénal international : les
criminels de guerre ne sont pas à l’abri de poursuites ; les personnes responsables d’avoir
commis des crimes contre l’humanité ou des génocides doivent rendre compte de leurs actes
et doivent être traduites en justice, où qu’elles se trouvent.
Par conséquent, si la Cour ne doit intervenir que lorsque l’Etat concerné y a donné son
consentement avant qu’elle puisse exercer sa juridiction, l’objectif ne sera jamais atteint bien
qu’il s’agisse d’un Etat n’ayant pas ratifié le Statut de Rome. Ainsi, l’exigence du
consentement de l’Etat partie ou non partie au Statut de Rome rendrait le fonctionnement de
la Cour difficile, ou pourrait même lui donner de facto un caractère facultatif.
Le compromis obtenu à la conférence de Rome, consistant à obtenir préalablement à
l’exercice de la compétence de la Cour le consentement de l’Etat non partie au Statut de
Rome, restreindra les affaires traitées par la Cour. En ce qui concerne, par exemple, les crimes
commis lors de conflits internes, l’Etat de la nationalité du suspect et l’Etat du territoire seront
vraisemblablement les mêmes. Si l’Etat n’est pas un Etat partie et désire protéger le suspect, il
18
V. en ce sens : M. Cherif BASSIOUNI : International extradition : United States law and practice 356-367 (
3d ed. 1996) – International extradition : United States law and pratice, Oceana publications, 2002.
19
Flavia LATTANZI : « Compétence de la Cour pénale internationale et consentements des Etats », RGDIP,
n°2, 1999, p. 426-444 – V. aussi en ce sens : Alain PELLET : « Pour la CPI quand même ! Quelques remarques
sur sa compétence et sa saisine », L’Observateur des Nations Unies, N°5, 1998- Serge SUR , Luigi
CONDORELLI, Juan-Antonio CARILLO-SALCEDO : « La Cour pénale internationale en débat », Revue
générale de droit international public, 1999, p.5.
20
V. en ce sens : Gabriel DELLA MORTE : « Les frontières de la compétence de la Cour pénale internationale :
observations critiques », Rev.int.de droit pénal, 2002, vol.73, p.23 et s. V. aussi : Ph.WECKEL : « La Cour
pénale internationale, présentation générale », RGDIP, 1998, p. 983 et s.
21
V. en ce sens : Articles 49 (de la convention de Genève 1 ), 50 ( CG II), 129 ( CG III) et 146 ( CG IV).
6
ne consentira pas à ce que la Cour pénale internationale entame des poursuites contre son
ressortissant et fera obstacle à cette instance internationale. Ce n’est que si l’Etat concerné est
un Etat partie que la Cour pénale internationale pourra exercer sa compétence même sans le
consentement de cet Etat. Dès lors, cette disposition serait de moins en moins épineuse à
mesure que le nombre des Etats parties augmente.
Par ailleurs, les ONG réclamaient l’inclusion de l’Etat de détention parmi les Etats dont le
consentement ou l’adhésion au statut est nécessaire pour permettre à la Cour pénale
internationale d’exercer sa compétence. Il est ainsi regrettable que cette proposition n’ait pas
été acceptée. Elle aurait permis de soumettre un suspect en voyage à l’étranger à la
compétence de la Cour. En effet, dans la pratique, les Etats de détention peuvent aider
efficacement à poursuivre en justice les criminels de guerre et les auteurs de crimes contre
l’humanité ou de génocides, comme l’illustre le scénario imaginaire suivant : un individu
soupçonné d’avoir commis un crime de guerre au cours d’un conflit armé interne sur le
territoire de l’Etat X, dont il est ressortissant, s’est enfuie dans l’Etat Y. L’Etat X n’est pas
partie au Statut de Rome et refuse de reconnaître la compétence de la Cour pénale
internationale à l’égard du suspect. A défaut de compétence automatique, la Cour ne peut agir,
et des poursuites ne peuvent être engagées à l’encontre du suspect que si le Conseil de
sécurité défère l’affaire au procureur, ou si l’Etat y est disposé à- et peut- traduire le suspect
devant ses propres tribunaux22. Là encore, il n’est possible de sortir de cette impasse que si le
Statut de Rome est accepté par un grand nombre d’Etats.
Ces conditions préalables constituent alors un recul par rapport au principe de la compétence
universelle. En effet, si on prend en compte que les conflits ont de plus en plus un caractère
non international, les deux conditions préliminaires à l’exercice de la compétence de la Cour
prévues par l’article 12.2 du Statut de Rome ne se référent pas à des situations, sur le fond,
alternatives. Dès lors, on peut constater que l’hypothèse indiquée dans le projet d’article
Coréen « était plus considérablement plus large : non seulement le rappel à l’Etat de
nationalité de la victime aurait élargi la compétence de la Cour aux cas de crimes accomplis
sur le territoire d’un Etat non partie par des citoyens d’un autre Etat non partie ; mais il faut
aussi prendre en compte que la référence à l’Etat de détention aurait eu comme effet non
secondaire d’empêcher la libre circulation de la personne soupçonnée, au moins dans les
territoires des Etats parties au statuts »23.
Par conséquent, la règle sur l’application de la loi pénale dans l’espace prévue par le Statut
de Rome n’apporte aucune originalité. Aussi bien le principe de la territorialité que celui de la
personnalité active sont déjà admis sur le plan international et national. Ainsi, dans le cas où
un ressortissant d’un Etat non partie au Statut de Rome commet un crime sur le territoire d’un
Etat partie, il n’y a d’autres dispositions à mettre en œuvre que celles qui existent déjà dans la
pratique coutumière des Etats24et celles du Statut de Rome permettant au Conseil de sécurité
22
Cela suppose que la législation nationale de l’Etat y permet à ses tribunaux nationaux de juger un ressortissant
étranger pour des crimes commis dans un autre Etat (compétence universelle des tribunaux nationaux). A ce
jour, seul un petit nombre d’Etats ont adopté une telle législation. V. à ce propos : B. STERM : « La compétence
universelle en France : le cas des crimes en ex-Yougoslavie et au Rwanda », GYIL, Vol.40, 1997, p. 287.
23
Gabrielle DELLA MORTE : « Les frontières de la compétence de la Cour pénale internationale : observations
critiques « , Revue internationale de droit pénal, 2002, vol.73, p. 23 et s. – V. aussi en ce sens : Toni
PFANNER : « Création d’une Cour criminelle internationale », Revue internationale de la Croix Rouge, 31
mars 1998, p. 21-28- William BOURDON et Emmanuelle DUVERGER : « La Cour pénale internationale- Le
Statut de Rome », Coll. Essais, 2000, P. 364.
24
V. en ce sens : Cherif BASSIOUNI : « international extradition », United States and pratice 356-367 ( 3 ed.
1996)- « Note explicative sur le statut de la Cour pénale internationale », Revue internationale de droit pénal,
2002, p. 1 et s., V. notamment p. 9- Draft Statute ( of the) international Criminal Tribunal, Toulouse, Erès,
1992- Documents on the Arab-Israeli conflict, Ardsley, NY : Transnational Publishers, 2005.
7
de traduire l’affaire devant la Cour pénale internationale. Or, chaque fois que le Conseil de
sécurité ne sera pas intéressé à saisir la juridiction de la Cour pénale internationale, l’exercice
de sa compétence sera largement limité.
Dès lors, si l’objectif de la création d’une Cour pénale internationale est vraiment de faire en
sorte que les crimes de portée internationale fassent l’objet de poursuites pénales et soient
réprimés de manière efficace, l’instance internationale indiquée ci-dessus doit être dotée
d’une compétence inhérente pour juger les crimes fondamentaux que sont les crimes de
guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide.
A supposer que les conditions préliminaires à l’exercice de la compétence de la Cour soient
réunies, la Cour ne peut être saisie que selon des conditions propres à la saisine même de cette
juridiction.
B- Les conditions de saisine de la Cour pénale internationale.
Il n’entre pas dans les attributions de la Cour pénale internationale de se saisir d’office pour
exercer sa compétence à l’égard d’un ou de plusieurs crimes définis par le Statut de Rome.
Le Statut de Rome prévoit que la Cour ne peut être saisie que par les Etats parties ( 1 ), par le
procureur (2 ) et par le Conseil de sécurité (3).
1 ) Les Etats parties.
Aux termes de l’article 13 du Statut de Rome, la Cour pénale internationale peut exercer sa
compétence si un Etat partie saisit le procureur d’une affaire dans laquelle un ou plusieurs des
crimes visés à l’article 5 du même statut semblent avoir été commis. Ainsi, les Etats parties au
traité de Rome ont le droit de déférer au procureur tous les éléments qui font présumer qu’un
ou plusieurs crimes relevant de la compétence de la Cour ont été commis et de lui demander
d’enquêter sur cette situation en vue de déclencher des poursuites pénales à l’encontre de la
personne ou les personnes qui semblent être complices ou auteurs de ces crimes25. Cela étant,
l’Etat partie qui dénonce au procureur une situation pénale entrant dans le champ de sa
compétence, devra spécifier les circonstances de l’affaire et produire tous les éléments de
preuve et les pièces à l’appui26.
Il faut souligner que tous les Etats ne sont pas autorisés à saisir le procureur de la Cour pénale
internationale, mais seulement les Etats parties, c’est-à-dire ceux qui ont ratifié le Statut de
Rome27. A ce sujet, une erreur matérielle affecte le texte de l’article 12(3) du Statut de Rome
25
V. en ce sens : art. 14.1 du Statut de Rome. V. aussi : Alain PELLET : « Pour la CPI quand même ! Quelques
remarques sur sa compétence et sa saisine », L’Observateur des Nations Unies, N°5, 1998- Cherif BASSIOUNI :
« La Cour pénale internationale : histoire des commissions d’enquête internationale et des tribunaux pénaux
internationaux », 3ème édition, ouvrage rédigé en arabe, Egypte,2002, p. 165 et s.- Trois Etats ont déjà renvoyé
une situation pénale au Procureur de la Cour pénale internationale : L’Ouganda( le 29 janvier 2004 ), la
République démocratique du Congo ( le 19 avril 2004), la République Centrafricaine ( le 6 janvier 2005).
26
V. en ce sens : art. 14.2 du Statut de Rome- V. aussi : Hélène DUMONT et Anne-Marie BOISVERT : « La
voie vers la Cour pénale internationale : tous les chemins mènent à Rome », Montréal, Thémis, 2004.
27
Pour une étude approfondie du texte de l’article 14 du statut de Rome portant sur le pouvoir de renvoi des
Etats, V. : MARCHESI : Article 14- Referral of a situation by a state party, dans commentary on the Rome
Statue, p. 353-359.
8
qui traite de la compétence de la cour « à l’égard du crime dont il s’agit » par un Etat qui
n’est pas partie au statut de Rome.
Selon M. BASSIOUNI « le terme « crime » semble avoir été employé par inadvertance
par les rédacteurs non officiels de cette disposition au lieu du terme « situation » utilisé
pour les renvois par le conseil de sécurité ou un Etat partie… Très vraisemblablement,
leur volonté était de renvoyer à une « situation donnant naissance à un crime relevant de
la compétence de la Cour. Même si ces mots sont absents du texte, il peut être compris
de cette façon. Toute autre interprétation produirait ce résultat absurde selon lequel les
Etats non parties ont la possibilité de sélectionner quels « crimes » doivent faire l’objet
d’une enquête et quels crimes ne le doivent pas. Une telle disposition s’opposerait à tous
les principes de base fondant la compétence de la Cour »28.
Il en résulte que seulement un Etat ayant ratifié le Statut de la Cour pénale internationale peut
activer la compétence de cette dernière : les propositions tendant à reconnaître un tel pouvoir
aux seuls Etats en liaison directe avec les crimes commis (par exemple l’Etat où le crime a été
commis ou l’Etat de la nationalité de la victime) ont été rejetées29.
La disposition privant les Etats non parties au Statut de Rome de ce pouvoir de saisine avait
pour but l’établissement d’une différence entre les Etats qui ont ratifié le Statut et ceux qui ne
l’ont pas fait. En édictant cette condition de ratification, les rédacteurs du Statut voulaient
créer une raison valable pouvant convaincre ultérieurement les Etats non parties de ratifier le
traité de Rome. Jusqu’à présent, les Etats qui n’ont pas encore ratifié ce traité ne pourront en
aucune manière activer la compétence de la Cour pénale internationale. Ils pourront seulement
porter à la connaissance du Procureur de la Cour que certains crimes ont été commis, en
espérant que ce dernier choisit d’agir ex officio30.
Lorsqu’une affaire est déférée au Procureur de la Cour pénale internationale, que ce soit par
un Etat partie ou par le Conseil de sécurité, le procureur peut ouvrir une enquête s’il conclut
qu’il y a une « base raisonnable » pour poursuivre en vertu du statut de Rome31. Le procureur
peut aussi ouvrir une enquête s’il trouve que les renseignements qui lui ont été envoyés par un
Etat non partie sont objectivement fondés. Le « renvoi » par un Etat partie ou un Etat non
partie et par le Conseil de sécurité sont placés au même niveau. Ces trois sources de renvoi
ont simplement pour effet d’attirer l’attention du Procureur sur des faits incriminés pouvant
donner lieu à des poursuites pénales. L’enquête qui serait ouverte par le Procureur dira si les
éléments de preuve présentés constituent une « base raisonnable » pour poursuivre devant la
Cour pénale internationale. Mais le Procureur peut ouvrir une enquête en agissant de sa propre
initiative32.
2) Le procureur près la Cour pénale internationale.
28
Cherif BASSIOUNI : « Note explicative sur le Statut de la Cour pénale internationale », Revue internationale
de droit pénal, 2002, p. 1 et s. et notamment note n°65.)- « La Cour pénale Internationale », Op.cit, Egypte,
2002, n°50 et s. , p.166 et s.
29
V. art. 11.1 (options 1 et 2) du document U.N. , Doc. A/ CONF. 183/2/Add.1.
30
V. en ce sens l’article 15 du Statut de Rome- V.aussi : Luc WILLEMARCK : « La Cour pénale internationale
partagée entre les exigences de l’indépendance judicaire, de la souveraineté des Etats et du maintien de la paix »,
Revue de droit pénal et de criminologie, janvier 2003, n°1, p. 3-21.
31
Art. 53(1) du Statut de Rome.
32
V. Silvia A. FERNANDEZ DE GUMENDI : The Role of the international prosecutor , in Making of the
Rome Statute, 227 – 238 - Cherif BASSIOUNI: article précité, Revue internationale de droit pénal , 2002, p. 1
et s.
9
Le pouvoir attribué, par le statut de Rome, au Procureur de s’autosaisir et d’engager de sa
propre initiative des poursuites et des enquêtes restait un des points les plus controversés et
essentiels de la conférence de Rome.
Les participants à cette conférence sont convenus que le Procureur est habilité à ouvrir
proprio motu (c’est-à-dire de sa propre initiative) des enquêtes au sujet des quatre crimes les
plus graves prévus par le Statut de Rome (crime de guerre, crime contre l’humanité, crime de
génocide et crime d’agression). En vertu de l’article 15 de ce statut, le procureur de la Cour
peut ouvrir proprio motu une enquête en l’absence d’un renvoi par un Etat partie ou par le
Conseil de sécurité à l’encontre d’une personne ou plusieurs personnes portant la nationalité
d’un Etat partie au Statut de Rome et suspectées d’avoir commis un ou plusieurs crimes
relevant de la compétence de la Cour pénale internationale. Cependant, si on a accepté de
doter le Procureur de cette compétence de s’autosaisir proprio motu, cela n’a pas été sans
quelques conditions et restrictions. Il paraissait en effet inconcevable pour nombre de pays de
confier à une seule personne physique de prérogatives aussi étendues, l’indépendance et
l’action du Procureur devant être contrôlées. Ainsi, aux termes de l’article 15 du Statut de
Rome, si le Procureur décide d’ouvrir une enquête, il doit obtenir au préalable l’autorisation
d’une chambre préliminaire (composée de trois juges). Celle-ci examine le bien fondé des
éléments de l’affaire qui lui sont présentés par le procureur et donne ou non autorisation à ce
dernier d’ouvrir une information. Si la Chambre préliminaire n’autorise pas l’ouverture d’une
enquête, le Procureur peut par la suite présenter une nouvelle demande en se fondant sur des
faits ou des éléments de preuve nouveaux (art. 15(5) du Statut de Rome)33.
Toute victime ou son mandataire, organisation non gouvernementale, partie non étatique ou
organe de l’organisation de Nations Unies peut fournir des renseignements au procureur, qui
vérifie le sérieux de ces renseignements pour déterminer s’il y a lieu d’ouvrir ou non une
enquête. Le procureur de son côté peut rechercher des renseignements auprès de sources
dignes de fois, tels que les Etats, les organes de l’organisation des Nations Unies, les
organisations intergouvernementales et non gouvernementales. S’il conclut à l’absence
d’éléments justificatifs, il en informera la source34. Or, s’il décide qu’il y a de bonnes raisons
d’ouvrir une enquête, il présente à la Chambre préliminaire une demande d’autorisation en ce
sens. La fonction de contrôle s’effectue donc par la Chambre préliminaire après l’évaluation
des renseignements reçus mais avant l’ouverture de l’enquête35.
Si la Chambre préliminaire décide d’autoriser l’ouverture de l’enquête, le procureur doit le
notifier à tous les Etats parties, ainsi qu’aux Etats concernés. Ceux-ci disposent alors d’un
délai d’un mois, à compter de la réception de cette notification, pour informer le Procureur si
une enquête ou une procédure concernant l’affaire en question est déjà en cours sur le plan
national. Le procureur peut toutefois décider de demander à la Cour de statuer sur une
question de compétence ou de recevabilité.
La disposition accordant des pouvoirs proprio motu au Procureur de la Cour pénale
internationale est incontestablement un franc succès de la conférence de Rome. Quelques
Etats, particulièrement certains membres du Conseil de sécurité, désiraient limiter le pouvoir
d’ouvrir les enquêtes aux Etats parties ou au conseil de sécurité. Or, si ces Etats faisaient
valoir que l’indépendance du Procureur pourrait être à l’origine de poursuites à motivations
politiques, limiter ce pouvoir aux Etats parties et au Conseil de sécurité aurait indéniablement
33
V. Cherif BASSIOUNI : « La Cour pénale internationale », Op.cit, Egypte 2002, n°53, p.168 et s.Introduction to international criminal law, Op.cit, Transnational Publishers, 2003.
34
V. à cet égard : Gabrielle DELLA MORTE : Etude précitée, Revue internationale de droit pénal, 2002, vol.73,
p. 23.
35
Il faut noter que déjà à ce stade de la procédure les victimes peuvent, en vertu de l’article 15.3 du Statut de
Rome, adresser des représentations à la chambre préliminaire.
10
politisé le processus de renvoi devant la Cour. Les Etats sont généralement réticents à porter
plainte contre les ressortissants d’autres Etats, et lorsqu’ils le font, ils le font pour des raisons
politiques plutôt qu’humanitaires. Les pouvoirs proprio motu dont il est doté le Procureur de
la Cour et permettant aux intervenants non étatiques de fournir des renseignements à ce
dernier, aideront à déterminer plus équitablement les personnes passibles d’enquêtes ou de
poursuites devant la Cour pénale internationale. Par ailleurs, imposer au procureur qu’il
obtienne une autorisation d’une Chambre préliminaire pour toute enquête ouverte de son
propre chef permet de contrôler le pouvoir de ce magistrat international et de répondre ainsi
aux préoccupations de ces Etats qui craignent de voir les pouvoirs proprio motu provoquer
des affaires non fondées et à motivations politiques.
Cette solution préconisée à la conférence de Rome constitue donc un compromis entre les
Etats qui craignaient de se retrouver avec un procureur surchargé et « politisé », et ceux qui
souhaitaient que ce magistrat soit totalement indépendant et qui exigeaient la garantie d’une
Cour efficace et non politique. L’avenir seul le dira si le contrôle exercé par la Chambre
préliminaire facilitera la rapidité des enquêtes et garantira l’impartialité du Procureur.
3) Le Conseil de sécurité de l’ONU.
L’article 13 du Statut de Rome accorde un rôle spécial au Conseil de sécurité des Nations
Unies et ce suite à des négociations de longs débats souvent plus politiques que juridiques,
opposant, en particulier et sans surprise, les membres permanents du Conseil aux autres Etats.
Une large majorité d’Etats a appuyé la saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil
de sécurité. En effet, selon l’article 13 du Statut de Rome, le Conseil de sécurité pourra saisir
la Cour, sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Ainsi, pour que le Conseil
de sécurité puisse renvoyer une « situation » au procureur, celle-ci doit comporter une
menace à la paix et à la sécurité internationales. Cette disposition a pour fondement les
pouvoirs et devoirs du Conseil de sécurité de garantir l’établissement de la responsabilité
pénale individuelle dans le cadre de ses prérogatives de maintien de la paix et de la sécurité
internationales auxquelles la perpétration des crimes internationaux les plus graves porte
atteinte36.
Dans le cas où le Conseil de sécurité renvoie une « situation » à la Cour pénale internationale
en application du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, la Cour ne doit pas s’assurer
qu’elle répond aux conditions préliminaires prévues par l’article 12(2) du Statut de Rome, à
savoir que les crimes aient été commis soit par un ressortissant d’un Etat partie, soit sur le
territoire d’un Etat partie37. La seule exigence requise est que la situation (le ou les crimes qui
relèvent de la compétence de la cour) comporte une « menace à la paix et à la
sécurité internationales». Par conséquent, le Conseil de sécurité est le seul sujet compétent
pour renvoyer une « situation » au procureur de la cour pénale internationale indépendamment
de toute liaison entre l’Etat territorial ou de nationalité du suspect et le crime.
36
V. Lionel YEE : The international criminal Court and security council, in making of the Rome Statute issues
negotiations, results 1-40 ( Roy S. LEE ed., 1999- OTTO Trifftrer, Article 1: the Court, in commentary on The
Rome Statute of the international criminal Court: Observer’s Notes, Article by Article 51-64 ( OTTO Triffterer
ed. 1999). V. aussi : Sophie FREDIANI: “ La route ne s’arrête pas à Rome”, Rapport n° 3 de la FIDH, précité,
novembre 1998, n°266, p. 5 et s. – J.M. SOREL : « Le caractère discrétionnaire des pouvoirs du Conseil de
sécurité : remarques sur quelques incertitudes internationales », Revue Belge de droit pénal, N°2, 2004- Serge
SUR : « Vers une CPI : La convention de Rome entre les ONG et le Conseil de sécurité », Revue Générale de
droit international public », janvier-mars 1999, Numéro 1, p.29.
37
Cherif BASSIOUNI : « La Cour pénale internationale », Op.cit, Egypte, 2002, N°46, p. 165 et s.
11
Etant donné qu’à présent la plupart de conflits ont un caractère interne (raison pour laquelle
l’Etat territorial et celui de nationalité du suspect coïncident), le Conseil de sécurité est doté
de larges pouvoirs : il est le seul sujet capable de saisir le Procureur de la Cour d’une affaire
dans tout cas où un Etat, où se déroule un conflit ayant un caractère non international, n’a pas
ratifié le Statut de Rome. Dès lors, en particulier au cours des premières années de l’entrée en
vigueur du Statut de Rome38, le rôle pouvant être joué par le Conseil de sécurité sera d’une
grande importance39. Ainsi, en application de l’article 13 du Statut de Rome, le Conseil de
sécurité de l’ONU a déjà adopté, le 31 mars 2005, la résolution 1593 renvoyant une situation
pénale devant le procureur de la Cour pénale internationale et prévoyant que les suspects de
crimes contre l’humanité et de crimes de guerre au Darfour dans l’ouest du Soudan soient
jugés devant la Cour pénale internationale. De confection britannique, le texte permettra à la
Cour pénale internationale de poursuivre les responsables de meurtres, viols et pillages qui
ont ravagé la région soudanaise du Darfour40.
Toutefois, même dans le cas où il s’agit d’un renvoi d’une situation par le Conseil de sécurité,
le Procureur n’est pas tenu ipso facto d’ouvrir une enquête. En effet, il appartient au Procureur
seul le droit d’apprécier l’opportunité d’une enquête ou d’une information41. Le statut de la
Cour pénale internationale ne prévoyant pas l’obligation de l’exercice de l’action pénale,
laisse aux organes d’accusation de la Cour un large pouvoir d’appréciation quant à l’ouverture
d’une enquête ou au déclenchement des poursuites pénales42.Mais malgré ces larges pouvoirs
d’appréciation accordés au Procureur, l’autonomie de cet organe d’accusation et celle de la
Cour elle-même sont soumises au contrôle indirect et général exercé par le conseil de
sécurité43. Ceci montre que l’exercice de la compétence de la cour pénale internationale est
soumis à certaines restrictions qui méritent d’être examinées.
2ème partie : Les restrictions à l’exercice de la compétence de la
Cour pénale internationale.
38
Il est facile d’imaginer que les Etats qui auront ratifié ce Statut ne sont pas ceux les plus exposés à la
commission de crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale.
39
V. en ce sens : Gabrielle DELLA MORTE : Etude précitée, Revue internationale de droit pénal, 2002, vol. 73,
p. 23 et s. – V. aussi : Ph. WECKEL : Etude précitée, R.G.D.I., 1998, p. 983 et s- Jordan J. PAUST : « The
Reach of ICC juridiction Over Non Signat, « L’étendue de la compétence de la CPI à l’égard des ressortissants
des pays non signataires », Vanderbilt journal of Transnational law, vol.33, 2000,I, PP 10-11.
40
Le vote est intervenu après deux mois de tractations au Conseil de sécurité et entre les capitales, divisées sur
l’autorité à saisir pour les jugements des criminels de guerre au Soudan. Mais les Américains, hostiles à tout ce
qui pourrait légitimer l’autorité de la Cour pénale internationale, plaidaient pour l’établissement d’un tribunal en
Tanzanie adapté de celui qui a jugé les victimes du génocide Rwandais, idée jugée trop coûteuse et longue à
mettre en place par la France et les pays membres du Conseil ayant ratifié le Statut de la Cour pénale
internationale. Le vote a été enfin arraché au terme de longues discussions et aux prix d’une concession accordée
aux Etats-Unis, qui se sont par ailleurs abstenus avec trois autres pays ( Algérie, Brésil, Chine).
41
V. en ce sens : Serge SUR : « Vers une CPI : La convention de Rome entre les ONG et le Conseil de
sécurité », Revue Générale de droit international public, 1999, p. 5 – Cherif BASSIOUNI : « La Cour pénale
internationale », Op.cit, Egypte 2002, N°52, P. 16742
Selon le chef de la délégation anglaise lors de la conférence diplomatique de Rome, la relation entre le Conseil
de sécurité et la CPI est fondée sur trois piliers : « The positive pillian », qui consiste dans le pouvoir pour le
Conseil de renvoyer une situation à la Cour ; « the negative pillian », c’est-à-dire le pouvoir de sursis à enquêter
ou à poursuivre ; et enfin « the hidders pillian », c’est-à-dire le rôle du Conseil en relation avec la constatation
du crime d’agression. V. BERMAN : « The relation ship between the international criminal Court and the
Security Council, dans reflections on the international criminal Court, Revue internationale de droit pénal, 2002,
vol.73, p. 23 et s.
43
Le Conseil de sécurité peut, comme nous allons le voir, suspendre toute activité de la Cour et celle du
procureur dans les hypothèses où les exigences de paix et de sécurité internationales l’exigent (ce qui constitue
une restriction à l’exercice de la compétence de la Cour pénale internationale).
12
Plusieurs restrictions peuvent empêcher le fonctionnement normal de la Cour pénale
internationale. Les unes tendent à assurer l’impunité à une certaine catégorie de
délinquants (A) ; les autres ont pour but de priver dans certains cas la Cour de ses
pouvoirs de poursuite et de jugement (B).
A- Les restrictions tendant à assurer l’impunité à certains délinquants.
Sur ce plan, le Statut de Rome contient au moins une disposition pouvant restreindre
l’exercice de la compétence de la cour pénale internationale. Celle-ci est la plus choquante car
elle permet à un Etat partie de déclarer qu’il n’accepte pas la compétence de la cour pour les
crimes de guerre (1). On peut y ajouter, dans ce domaine, une deuxième restriction à la
compétence de la Cour pénale internationale. C’est celle consistant dans les dispositions de la
résolution 1422 de l’ONU qui visent à faire bénéficier de l’immunité les personnes
impliquées dans des opérations étatiques autorisées par les Nations Unies (2).
1- Le refus d’accepter la compétence de la Cour pénale internationale en
matière de crimes de guerre.
L’article 124 du Statut de Rome prévoit qu’un Etat partie au Statut a la possibilité
d’exclure, pour une période de sept ans à partir de l’entrée en vigueur du statut cité ci-dessus,
la compétence de la Cour pénale internationale relativement aux crimes de guerre commis sur
son propre territoire ou par un de ses ressortissants. Le Statut de la Cour pénale internationale
est donc hypothéqué par l’article 124, introduit en dernière minute par la France et qui permet
à un Etat, au moment où il dépose son instrument de ratification, de refuser la compétence de
la Cour s’agissant des crimes de guerre et ce pour protéger ses nationaux qui ont commis ces
infractions. Ainsi, même si les conditions préalables à la saisine de la cour sont remplies, un
cas de crime de guerre pourrait ne pas être de son ressort si l’Etat partie s’est prévalu de la
clause transitoire qui lui permet de se soustraire à toute poursuite pour une période de sept
ans. Cela revient à instaurer pour les crimes de guerre un régime différent de celui qui est
applicable aux autres crimes relevant de la compétence de la cour pénale internationale44.
Cette disposition de l’article 124 a été incluse dans le statut de Rome à la demande de la
délégation française. La proposition américaine pour une clause transitoire de 10 ans et
couvrant les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité a été rejetée. Mais un tel
compromis, qui renverse le principe d’acceptation automatique de la compétence de la Cour
pénale internationale en introduisant un « opting out » pour les crimes de guerre, représente le
résultat d’une négociation exténuante. Celle-ci s’accentuait autour de deux conceptions : la
première proposait une acceptation automatique parfaite de la compétence de la Cour pénale
internationale ; la seconde exigeait que les Etats parties au Statut de Rome expriment
successivement leur consensus sur les crimes qu’ils avaient l’intention de reconnaître. Ainsi
pour mettre en œuvre ce deuxième mécanisme, il fallait adopter une des techniques suivantes :
« l’opting in » qui consiste dans une déclaration avec laquelle les Etats désignent ( au moment
44
V. en ce sens : Patrick BAUDOUIN : « Cour pénale internationale ; la route ne s’arrête pas à Rome », Rapport
n°3 de la Fédération internationale de la ligue des droits de l’homme : analyse du statut de la cour pénale
internationale », Novembre 1998, n° 266, p. 2 et s.- Gabrielle DELLA MAORTE : « Les frontières de la
compétence de la Cour pénale internationale : observations critiques, article précité, Revue internationale du
droit pénal, 2002, vol. 73, p. 23 et s – V. aussi : Mirielle DELMAS-MARTY : « La Cour pénale internationale
et les interactions entre droit international pénal et droit pénal interne à la phase d’ouverture du procès pénal »,
Revue de science criminelle, 2005, Vol., issue 3, p. 473-482-
13
de la ratification) les crimes à inclure dans la compétence de la Cour pénale internationale45 ;
« l’opting out » qui donne aux Etats parties la possibilité de refuser la compétence de la Cour
en ce qui concerne certaines catégories de crimes ; le système « case by case » qui laisse aux
Etats parties le pouvoir de s’opposer à la saisine de la Cour chaque fois qu’ils estiment que
l’exercice de la compétence de la Cour est incompatible avec leurs intérêts46.
A la fin de la négociation, la clause proposée par la délégation française de restreindre la
compétence de la Cour en matière de crimes de guerre a été traduite dans la disposition d’un
« opting out » pour ces crimes.
Cet état de choses soulève la question suivante : pourquoi un Etat voudrait-il se prévaloir d’un
tel privilège ? A vrai dire, cela remet en question l’engagement d’un Etat à ne pas commettre
des crimes de guerre et donne l’impression que les crimes de guerre ne sont pas aussi graves
que les autres crimes « les plus graves » mentionnés dans le Statut de Rome. Or, le droit
international reconnaît déjà l’obligation des Etats de poursuivre les criminels de guerre, quelle
que soit la nationalité de ces derniers ou le lieu où le crime a été commis47.
Encore la disposition dite « temporaire » de l’article 124 du Statut de Rome est susceptible de
s’inscrire dans une plus grande durée puisque loin d’être considérée comme automatiquement
caduque au bout des sept années. En effet, il est simplement prévu que l’Assemblée des Etats
parties doit réexaminer cette disposition lors d’une conférence ultérieure de révision du traité
de Rome (après sept ans à compter de l’entrée en vigueur du statut de la Cour pénale
internationale). Dès lors, après les sept ans mentionnés par l’article 124 du Statut,
l’Assemblée des Etats pourrait bien choisir de renouveler la validité de cette disposition qui
serait de la sorte définitive. Mais, une telle décision dépendra du nombre et de l’influence des
Etats qui choisiront de profiter de la disposition de l’article 124.
La raison sur laquelle s’appuie un Etat partie au Traité de Rome pour exclure la compétence
de la Cour pénale internationale en matière de crimes de guerre consiste surtout dans la
volonté de protéger ses militaires au cours de leur mission à l’étranger. C’est la justification
présentée par la France48 qui était à l’origine du texte de l’article 124 du Statut de Rome et
« qui n’a pas craint de le présenter comme un « bon compromis » alors qu’il ne fait que
refléter les réticences de ce pays par rapport à la saisine de la Cour pénale internationale pour
les crimes de guerre »49. Or, ce « compromis » légalise la faculté offerte à un Etat partie au
traité de Rome de se donner unilatéralement le droit de tuer sans être jugé durant sept ans et
restreint largement la compétence de la Cour pénale internationale. La France, si elle agissait
conformément aux déclarations de ses représentants en déclinant la compétence de la Cour
pour les crimes de guerre, donnerait le mauvais exemple et il importe qu’il ne soit pas suivi, à
l’instar de l’Italie qui a déposé son instrument de ratification sans avoir opté pour l’article
124.
45
V. en ce sens : les articles 21.1 ( a ) et 21.1(b) du premier projet du Statut proposé par la CDI en 1994 (
U.N.Doc. A/49/10). En vertu de ce projet, il était prévu un double système de juridiction : pour le crime de
génocide, l’acceptation aurait été automatique ; pour les autres catégories de crimes- que prévoyait encore à cette
époque les Treaty crimes- il aurait fallu une déclaration d’acceptation de la part de l’Etat sur le territoire duquel
le crime a été commis ou de l’Etat de détention du suspect.
46
Une proposition similaire a été présentée par la délégation des Etats-Unis le jour précédant la fin de la
conférence de Rome ( V. le document A/CONF. 183/C.1/1.90 du 16 juillet 1998).
47
Flavia LATTANZI : «Compétence de la CPI et consentement des Etats », Revue Générale de droit
international public, avril-juin 1999, N° 2, p. 425.
48
V. la lettre du 15 avril 1999 adressée par le Président CHIRAC à la Coalition française des organisations non
gouvernementales pour la C.P.I. , dans BOURDON, La Cour pénale internationale, Paris 2000, p. 297.
49
Patrick BAUDOUIN : Avant-propos du rapport de la Fédération de la ligue des droits de l’homme n°3
analysant le Statut de la Cour pénale internationale, novembre 1998, n°266, p.2- V. aussi en ce sens : Philippe
WECKEL : « La Cour pénale internationale, présentation générale, R.G.D.I., 1998, p.988.
14
Ainsi dans l’intérêt de la justice pénale internationale, les Etats, souhaitant ratifier le Statut de
Rome, devraient être appelés à ne pas faire jouer la disposition de l’article 124 mentionnée
plus haut et le texte en question devrait, par la suite, être supprimé par la conférence de
révision.
2- L’immunité de la résolution 1422 de l’ONU.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté, le 12 juillet 2002, la résolution
1422/2002. Cette résolution qui est arrivée à expiration le 30 juin 2004 vise à empêcher la
Cour pénale internationale d’exercer sa compétence à l’égard des personnes impliquées dans
des opérations étatiques autorisées par les Nations Unies, lorsque ces personnes sont des
ressortissants d’Etats non parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Ainsi,
elle assure l’impunité devant cette Cour à tous les ressortissants de ces Etats et notamment
aux ressortissants américains participant à des opérations de maintien de la paix50.
Cette immunité, aux termes de la résolution 1422, concerne tous les personnels- Casques
bleus et autres- des pays n’ayant pas signé le traité de Rome. Accordée pour une durée d’un
an, le Conseil de sécurité a toutefois exprimé « l’intention » de la renouveler aussi longtemps
que cela sera nécessaire (…) le 1er juillet de chaque année pour une nouvelle période de 12
mois ».
L’unanimité avec laquelle ce texte a été voté ne peut faire oublier les difficultés de quelque
quinze jours d’intenses tractations diplomatiques, à New York comme dans les principales
capitales concernées, qui ont été nécessaires à sa mise au point. Dans ce contexte,
l’ambassadeur des Etats-Unis John NEGROPONTE, a pour sa part déclaré à la presse après le
vote que cette résolution « respecte ceux qui ont décidé de se soumettre à la Cour pénale
internationale et protège, pour une année, ceux qui ne s’y soumettent pas »51.
50
Amnesty International : International criminal Court : The Unlawful attempt by the security Council to give
US Citizens permnent impunity from international justice, 1 mai 2003 – J.M. SOREL: “ Le caractère
discrétionnaire des pouvoirs du Conseil de sécurité : remarques sur quelques incertitudes internationales »,
Revue Belge de droit pénal, N°2, 2004 – E. LAGRANGE : « Le Conseil de sécurité des Nations Unies peut-il
violer le droit international ? Revue Belge de droit international, N02, 2004- By MARGARET et E. Me
GUINNESS : « Case concerning Armed Activities on the territory of the Congo : The reparation, 9 janvier
2006, The American Society of International law.
51
Amnisty International : « La campagne américaine en vue d’obtenir l’immunité de juridiction pour les actes
de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre », Londres, Août 2003. Déjà Dès l’entrée en
vigueur, le 1er juillet 2002, du statut de Rome instituant la Cour pénale internationale, les Etats-Unis ont conclu
des accords bilatéraux avec divers pays afin de s’assurer que les ressortissants américains ou des personnes
travaillant pour le gouvernement américain à l’étranger ne soient pas remis à la Cour par l’Etat co-signataire
avec les Etats-Unis de l’accord bilatéral. Ces accords déclarent trouver leur base dans l’article 98 du Statut de
Rome. En effet, en vertu du second alinéa de l’article 98 « La Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une
demande de remise qui contraindrait l’Etat requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui
incombent en vertu d’accords internationaux selon lesquels le consentement de l’Etat d’envoi est nécessaire
pour que soit remise à la Cour une personne relevant de cet Etat, à moins que la Cour ne puisse au préalable
obtenir la coopération de l’Etat d’envoi pour qu’il consente à la remise ». Cet alinéa vise à résoudre
l’hypothèse d’un conflit éventuel entre les accords internationaux ou multilatéraux existants et le Statut de la
CPI. L’exemple type de ce genre de conflit serait celui existant entre le Statut de Rome et le Statut des forces ou
les SOFA’s de l’OTAN que les rédacteurs du Statut avaient bien à l’esprit. L’article 98-2 du Statut de Rome fait
référence au consentement de « l’Etat d’envoi » afin de remettre une personne de cet Etat à la CPI. Le
concept « d’Etat d’envoi » s’accordait bien avec les SOFA’s, qui visent à établir clairement quel pays est
responsable des poursuites du personnel envoyé d’un pays à l’autre durant une opération relevant strictement du
domaine militaire. Or, ce concept semble délibérément omis dans les accords bilatéraux. La conséquence de
cette omission est que tout ressortissant américain ou assimilé travaillant ou ayant travaillé sur le territoire de
l’Etat signataire de l’accord ne pourrait être livré à la CPI, sans engagement formel de soumettre l’affaire à ses
15
Dans leur premier projet de résolution, les Etats-Unis demandaient l’immunité systématique
et perpétuelle de poursuite devant la Cour pénale internationale de tout citoyen d’un pays
n’ayant pas signé le traité de Rome. L’enjeu du compromis était de taille : les Etats-Unis
ayant menacé que, si les Etats-Unis ne pouvaient pas obtenir pour leurs ressortissants une
protection jugée par eux suffisante, ils étaient disposés à mettre fin aux opérations de maintien
de la paix à travers le monde l’une après l’autre au fur et à mesure que leur mandat arrivait à
expiration52.
Protégeant les ressortissants d’Etats non parties au statut de Rome contre toute poursuite
devant la Cour pénale internationale lorsqu’ils participent à des opérations de maintien de la
paix, cette résolution constitue non seulement un obstacle à l’activation de la compétence de
la Cour pénale internationale mais aussi une atteinte directe à l’autorité de cette juridiction
récemment créée. De la sorte, elle assure l’impunité aux auteurs des crimes les plus graves
comme le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Ce qui est contraire
à toute justice internationale qui doit être générale et dissuasive53.
La Cour pénale internationale doit être un instrument essentiel de dissuasion pour tous ceux
qui violent le droit international humain et un mécanisme important de justice pour
sanctionner les crimes les plus graves et accorder des réparations aux victimes de ces crimes.
Le fondement et la raison d’être du statut de Rome s’opposent clairement à l’impunité afin
que nul- quelle que soit sa qualité officielle ou sa nationalité- ne reste impuni pour ces crimes.
La preuve en est dans les dispositions du Statut de Rome qui prévoient que la qualité de chef
d’Etat ou de chef de gouvernement ou toute autre qualité officielle n’empêche pas la Cour
d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne (art.27). Il en résulte qu’aucune immunité
ne pourrait être invoquée devant la Cour pénale internationale en matière d’agression, de
crime de génocide, de crime contre l’humanité ou de crimes de guerre.
Dès lors, chaque pays partie au traité de Rome, adoptant dans sa législation nationale une
immunité pouvant couvrir les crimes indiqués ci-dessus, devrait en principe adapter cette
législation aux dispositions du Statut de Rome applicable en la matière54. C’est dans ce but
autorités judicaires. Cette extension de l’impunité devant la CPI, dont bénéficie le personnel américain ou
assimilé à l’étranger, ne semble pas conforme à l’obligation de ne pas entraîner l’impunité en droit international.
V. N.E.SIMMONDS : « Entre positivisme et idéalisme », Cambridge law journal, vol. 50, 1991, p. 308 et pp.
311-318 - Hans-Peter KAUL et Claus KRESS : « compétence et coopération dans le Statut de la Cour pénale
internationale, principes et compromis », in Yearbook of international Humanitarian law, vol. 2, 1999, pp. 143165 – Kimberly PROST et Angelika SCHLUNCK : « Article 98 » in Otto Trifflerer, éd., the Rome Statute of
the international Criminal Court , Observs’ Notes, Article by Article, Nomos Verlagsgeselldchaft, Baden Baden,
1999, p. 1131. Ruth WEDGWOOD : « La Cour pénale internationale. Un avis américain », European Journal
of international law, vol. 10, 1999, pp. 93-103.
52
Philippe SHISHKIN : « L’Europe de l’Est est soumise aux pressions des Etats-Unis et de l’Union européenne
à propos de l’immunité de juridiction à l’égard de la CPI », The Wall Street Journal, 16 août 2002.
53
Le 13 août 2002, William R. Pace, président de la CCPI, déclarait que « la menace de suspendre l’assistance
militaire ainsi que les mesures prises récemment par le Conseil de sécurité afin d’obtenir l’immunité de
juridiction pour les membres des forces de maintien de la paix s’inscrivent dans les multiples efforts déployés
par le gouvernement américain pour réduire l’efficacité de la justice internationale et porter atteinte au droit
international et aux règles internationales de maintien de la paix… Une telle mesure constituerait une violation
du droit international ainsi que de la Charte des Nations Unies et du Statut de Rome. Le droit international ne
peut être subordonné à la volonté d’un pays », Extrait de Experts available : ( Des experts se prononcent face à
la menace des Etats-Unis de suspendre leur aide militaire en réaction à la mise en place de la CPI, des experts
contestent la légalité des accords d’immunité de juridiction proposés par les Etats-Unis), publié par la CCPI, 13
août 2002- V. également Accords bilatéraux proposés par le gouvernement américain, CCPI, 23 août 2002. Ces
deux documents peuvent être consultés sur le site web : http://www.iccnow.org
54
Pour résoudre ce problème lié aux immunités, plusieurs solutions peuvent être envisagées. Les Etats peuvent
modifier leur constitution pour que cette dernière devienne conforme au Statut de Rome. Cette solution a été
16
que la Fédération internationale de Ligues des droits de l’homme a recommandé aux autorités
françaises compétentes (le parlement) l’insertion dans la loi française d’adaptation les
dispositions suivantes dont le texte n’a pas été retenu par la France :
£1 : « Aucune immunité ne pourra être invoquée devant les juridictions françaises en
matière de crime d’agression, de crime de génocide, de crime contre l’humanité et de
crime de guerre ».
£2 : « Aucune immunité ne pourra être invoquée pour empêcher tout acte de contrainte
contre une personne poursuivie devant les juridictions françaises pour l’une des
infractions évoquées au paragraphe précédent ou faisant l’objet d’une demande
émanant de la Cour pénale internationale, et ce à moins d’une obligation
conventionnelle contraire dont l’appréciation est laissée à la cour pénale
internationale ».
En l’occurrence, il faut souligner que l’un des problèmes constitutionnels que soulève la
ratification du Statut de Rome concerne les immunités que la plupart des constitutions
européennes octroient au chef de l’Etat ou de gouvernement, aux membres d’un
adoptée notamment par la France et le Luxembourg. Ces Etats ont ajouté à leur constitution une disposition
prévoyant que les dispositions de la constitution ne font pas obstacle à l’approbation du Statut de la Cour pénale
internationale. Cette formulation permet ainsi à ces pays, et non seulement pour ce problème d’immunité,
d’éviter une ou plusieurs exceptions à des articles de leur constitution.
En outre, il est possible, pour éviter une modification constitutionnelle, que les Etats adoptent une interprétation
des dispositions constitutionnelles. En l’occurrence, ils devront alors considérer que l’immunité dont bénéficient
les personnes ayant une « qualité officielle » ne s’entend que des juridictions nationales et non internationales.
Ce système revient à conférer aux dirigeants politiques un double niveau de responsabilité : leur responsabilité
peut être retenue et sur le plan national et sur le plan international pour les crimes relevant de la Cour pénale
internationale. Les Etats auraient aussi la faculté d’admettre qu’il existe implicitement une exception aux
immunités dans leur constitution. En l’occurrence, ils pourraient inventer, dans le cas où la Cour exigerait à un
Etat de lui livrer un de ses dirigeants bénéficiant d’une immunité politique, une interprétation téléologique des
dispositions constitutionnelles permettant la livraison de la personne concernée à la Cour pénale internationale.
En effet, cette juridiction a pour mission essentielle de poursuivre et de juger les crimes les plus graves violant
l’ordre de l’Humanité. Dès lors, un chef d’Etat ou de gouvernement qui commettrait l’un de ces crimes violerait
des principes fondamentaux que l’on retrouve probablement dans sa constitution. Une dernière solution pourrait
être aussi retenue pour résoudre le problème de l’immunité dont bénéficient les chefs d’Etats ou de
gouvernement, les membres de gouvernements ou du parlement. Les Etats pourraient décider que la levée de
l’immunité de ces personnes est une pratique de droit international public. Ainsi, à titre d’exemple, dans l’affaire
relative à l’immunité du Général Pinochet, trois des cinq Law Lords de la House of Lords ont confirmé
l’évolution du droit international en ce sens. En effet, Lord Nicholls, exprimant l’opinion de la majorité de la
cour suprême, a ainsi annoncé : « le droit international a déjà établi que certains types de comportement,
incluant la torture et la prise d’otages, ne sont pas des conduites acceptables de la part de quiconque. Cela
s’applique autant aux chefs d’Etat. Une conclusion contraire tournerait en dérision le droit international »
(V. E. DAVID, THEMIS : « L’affaire Pinochet ou le crépuscule des dictateurs ? »,
www.ulb.ac.be.assoc/elsaulb/themis2.htm). Selon la décision de la House of Lords, le fait pour un dirigeant
politique d’agir en sa qualité officielle ne peut en aucun cas constituer un obstacle aux poursuites pénales. Ainsi,
l’immunité de juridiction d’un chef d’Etat ou de gouvernement ne peut jouer dans l’hypothèse de crimes de droit
international. C’est en ce sens que se prononcent le Traité de Versailles ( art. 227), la Charte du Tribunal de
Nuremberg ( art. 7), les travaux de la commission du droit international, les statuts du tribunal pénal pour l’exYougoslavie et pour le Rwanda et la convention pour la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948.
Enfin, on pense que la meilleure solution à adopter pour résoudre le problème de l’immunité et les autres
problèmes constitutionnels qui peuvent surgir au moment de la ratification par les Etats du Statut de Rome
consisterait dans l’insertion d’une nouvelle disposition dans la constitution de l’Etat concerné permettant de
régler tous les problèmes constitutionnels, en évitant d’inscrire des exceptions à tous les articles visés ; c’est
notamment le moyen employé par la France et le Luxembourg. V. à ce sujet : Nicolas LIGNEUL : « Le Statut
des personnes titulaires des qualités officielles en droit constitutionnel français et l’article 27 de la Convention de
Rome portant statut de la Cour pénale internationale », Revue internationale de droit pénal, vol. 70/4, p. 1004François LUCHAIRE : « La Cour pénale internationale et la responsabilité du chef de l’Etat devant le Conseil
constitutionnel », Revue de droit public, v. 115 (2), 1999, p. 457-479.
17
gouvernement ou d’un parlement, aux représentants élus ou aux agents d’un Etat. Ces
immunités peuvent contrevenir ainsi à l’article 27(1) du Statut de Rome qui prévoit que ce
statut « s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité
officielle ». Cette qualité ne les exonère donc d’aucune façon de leur responsabilité au regard
du Statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.
Autrement dit, les dirigeants politiques ne pourront invoquer leur immunité pour se soustraire
à leur responsabilité devant la Cour pénale internationale ou devant leurs propres tribunaux,
lorsqu’ils commettent un crime relevant de la compétence de la Cour pénale internationale.
Ainsi, pour pouvoir ratifier la convention de Rome, la France a ajouté à sa constitution une
disposition éliminant le bénéficie d’une immunité quelconque en faveur de ses dirigeants
(chef d’Etat, chef de gouvernement, membre de gouvernement ou député ou sénateur)
soupçonnés d’avoir commis un crime relevant de la compétence de la Cour pénale
internationale. Ce texte, devenu l’article 53-2 de la constitution, prévoit que « la République
française peut reconnaître la juridiction de la cour pénale internationale dans les
conditions prévues par le traité de Rome signé le 18 juillet 1998 »55. Le Luxembourg a
adopté la même formulation en ajoutant à sa constitution un texte disposant que « les
dispositions de la constitution ne font pas obstacle à l’application du Statut de la Cour
pénale internationale ( …) et à l’exécution des obligations en découlant dans les
conditions prévues par ledit Statut »56.
La Cour pénale internationale agit comme une juridiction de dernier recours quand les Etats
n’ont pas les moyens et la volonté de mener des enquêtes ou d’engager des poursuites à
l’encontre des personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité ou de crime de
guerre. C’est pourquoi, nul ne doit rester impuni pour les crimes les plus graves que la
communauté internationale connaît.
Dès lors, on peut affirmer que le fait d’inclure dans la résolution 1422 l’intention du Conseil
de sécurité « de renouveler la demande… dans les mêmes conditions le 1er juillet de
chaque année, pour une nouvelle période de 12 mois, aussi longtemps que cela sera
nécessaire », est contraire à l’article 16 du statut de Rome. Cet article prévoit expressément la
possibilité d’un sursis de 12 mois, à l’expiration duquel le Conseil de sécurité peut renouveler
sa demande dans les mêmes conditions. Ainsi, l’examen de toute proposition de
renouvellement doit encore une fois se faire cas par cas et à la date prévue pour le
renouvellement de la résolution. En exprimant son intention de renouveler la résolution 1422
de manière automatique, le conseil de sécurité manifeste qu’il ne tient pas compte du contenu
de l’article 16 et qu’il entend accorder une impunité, vis-à-vis de la Cour pénale
internationale, aux ressortissants d’Etats non parties au statut de Rome qui participent à des
opérations de la paix autorisées par les Nations Unies57.
Etant donné la nature exceptionnelle de l’article 16 ainsi que l’objet et la raison du Statut de
Rome- mettre un terme à l’impunité-, cet article doit être interprété de façon la plus restrictive
55
Article 53-2 de la constitution, rédaction de la loi constitutionnelle n°99-568 du 8 juillet 1999- Ainsi, après
révision de la constitution, la convention de Rome a été ratifiée (décret du 6 juin 2002). Elle est entrée en
vigueur le 1er juillet suivant – Sur ce sujet V. notamment : Jocelyne CLERCKY : « Le Statut de la Cour pénale
internationale et le droit constitutionnel français », Rev. Trim. Dr. pub. – 2000), p. 641-681- Benoît TABAKA :
« Ratification du Statut de la Cour pénale internationale » : la révision constitutionnelle française et rapide tour
du monde des problèmes posés, jurisweb.citeweb.net/articles/17051999.htm – Marie-Hélène GOZZI : « La
ratification du Traité de Rome portant création de la Cour pénale internationale exige la révision de la
Constitution française », Dalloz, 2000, somm., p. 111.
56
Loi du 8 août 2000 portant révision de l’article 118 de la Constitution, A- N°83, 25 août 2000, p. 1965.
57
V. en ce sens : Elisabeth BECKER : « Les Etats-Unis lient l’assistance militaire à l’immunité de juridiction
des troupes de maintien de la Paix », The New York Times, 10 août 2002.
18
possible. Dès lors, la tentative d’utilisation de l’article 16 pour interdire à la Cour pénale
internationale d’exercer sa compétence au-delà d’une certaine période, serait incompatible
avec l’objet du Statut de Rome qui veut s’assurer que tous ceux qui relèvent de la compétence
de la Cour soient dans tous les cas traduits en justice. C’est dans ce contexte que le Secrétaire
général de l’ONU Monsieur KOFIANANE a incité les Etats concernés à ne pas demander le
renouvellement de la résolution 1422.
Ainsi, après des semaines de négociations, et confronté à une opposition persistante, le
gouvernement des Etats-Unis a retiré sa demande de renouvellement de la résolution 1422 qui
visait à exempter de la juridiction de la Cour pénale internationale le personnel des missions
de la paix établies ou autorisées par l’ONU, ressortissants des pays n’ayant pas encore ratifié
la Statut de Rome.
Confrontés à une opposition grandissante contre le renouvellement du texte semblable à celui
de la résolution 1487 (texte renouvelant la résolution 1422), les Etats-Unis ont proposé un
texte de compromis pour modifier la résolution 1422 du Conseil de sécurité. Ce texte de
compromis, adopté le 1er juillet 2004, semble-t-il, indiquait que ce serait le tout dernier
renouvellement de cette résolution.
Beaucoup de gouvernements auraient été influencés par l’appel solennel du Secrétaire général
de l’ONU, selon lequel « prolonger l’exemption une fois de plus contredirait les efforts
des Nations Unies- y compris le Conseil- de promouvoir la primauté du droit dans des
affaires internationales ».
Les consultations informelles ont révélé que ce texte de compromis n’obtiendrait pas les
neufs voix nécessaires pour son adoption. Les Etats-Unis ont donc par la suite annoncé qu’ils
n’entreprendront pas d’action supplémentaire concernant la résolution. Dès lors, et faute de
renouveler le texte de la résolution 1422 de l’ONU, un des obstacles à l’exercice de la
compétence de la Cour pénale internationale est heureusement éliminé et les personnes
impliquées dans des opérations étatiques autorisées par l’ONU pourront désormais être
poursuivies devant la Cour pénale internationale même dans le cas où ils sont ressortissants
d’Etats non parties au Statut de Rome.
B- les restrictions tendant à priver la Cour pénale internationale de ses pouvoirs de
poursuite et de jugement.
Outre les dispositions de l’article 124, le Statut de la Cour pénale internationale comprend
deux dispositions pouvant paralyser cette juridiction internationale et la priver de ses pouvoirs
de poursuite et de jugement. La première disposition décevante tient au fait que la Cour reçoit
une compétence complémentaire ( 1 ) de celles des juridictions pénales nationales pour
juger, sans effet rétroactif, les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de
guerre et aussi les crimes d’agression. La deuxième disposition regrettable touche le rôle du
Conseil de sécurité (2) en lui octroyant le pouvoir d’imposer à la Cour de ne pas commencer
ou continuer des enquêtes ou des poursuites.
1-La complémentarité de la Cour pénale internationale.
Selon le Statut de Rome, l’exercice de compétence de la Cour pénale internationale est
« complémentaire » des systèmes juridiques internes de ses Etats parties (art. 1er et 17). Ainsi,
la Cour pénale internationale est une cour complémentaire qui n’agira qu’en l’absence de
mesures judicaires en fonction des systèmes nationaux. La compétence pénale nationale
19
prévaut donc sur la Cour pénale internationale58. Cette dernière n’ouvrira des enquêtes ou
n’entamera des poursuites que si le système juridique de l’Etat concerné est incapable de le
faire lui-même parce qu’il est effondré ou si le système juridique national refuse ou manque à
ses obligations juridiques d’enquêter et de poursuivre les personnes suspectées d’avoir
commis un ou plusieurs crimes relevant de la compétence de la Cour ou de punir celles qui
ont été jugées coupables (art. 17 et 18 du Statut de Rome).
Le préambule du Statut de Rome prévoit que les Etats parties conservent leur obligation de
poursuivre les personnes qui semblent être coupables de crimes internationaux, et que la Cour
pénale internationale est simplement complémentaire aux juridictions des Etats. Mais cette
complémentarité est énoncée d’une manière implicite et d’une manière explicite à la fois. Le
point 6 du Préambule dispose « qu’il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa
juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux », alors que le point 10
souligne que « la Cour pénale internationale est complémentaire des juridictions nationales ».
L’article premier du Statut de Rome réaffirme cette relation entre la Cour pénale
internationale et les juridictions nationales mais sans définir la complémentarité, en prévoyant
explicitement que la Cour « est complémentaire des juridictions nationales ». A cet égard, on
pourrait toutefois déceler la notion de la complémentarité de la Cour pénale internationale du
texte de l’article 17 du Statut de Rome. Selon ce texte, la Cour a le pouvoir de décider
l’irrecevabilité d’une affaire si : a) l’affaire fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la
part d’un Etat ayant compétence en l’espèce, à moins que cet Etat n’ait pas la volonté ou soit
dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites ; b) l’affaire a fait
l’objet d’une enquête de la part d’un Etat ayant compétence en l’espèce et que cet Etat a
décidé de ne pas poursuivre la personne concernée à moins que, comme dans la première
hypothèse, cette décision ne soit l’effet du manque de volonté ou de l’incapacité de l’Etat de
mener véritablement à bien les poursuites ; c) la personne concernée a déjà été jugée pour le
comportement faisant l’objet de la plainte ; et d) l’affaire n’est pas suffisamment grave pour
que la Cour y donne suite59. Une interprétation a contrario d’un tel texte démontre que la Cour
peut déclencher une poursuite pénale ou ouvrir une enquête dans deux hypothèses : si sur la
même affaire aucune poursuite ou enquête n’a été engagée par une juridiction nationale ; ou si
l’affaire a fait l’objet d’une enquête par un Etat ayant compétence en l’espèce et l’Etat a
décidé de ne pas poursuivre par manque de volonté ou de l’incapacité de l’Etat de mener
véritablement à bien les poursuites.
Un tel système n’est pas adopté ni par les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo, ni
par les tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda60. Le Tribunal de
Nuremberg, par exemple, a été établi dans le but de juger « the case of major criminals whose
have no particular geographical location » : tous les crimes qui n’étaient pas inclus dans cette
définition restaient en effet de la compétence des juridictions internes ou établies par les
forces d’occupation. ( A la suite de la seconde guerre mondiale, un grand nombre de
juridictions militaires ( au-delà des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo) ont exercé leur
compétence en Europe et ailleurs). Or, étant donné la nature juridique particulière et la
58
Cherif BASSIOUNI : « Introduction to international criminal law », op.cit, 2003- Bruce BROOMHALL : «
International justice and the international criminal Court : between sovereignty and the rule of law, Oxford :
Oxford University, 2003, X, 215.
59
Cette disposition a fait l’objet de nombreuses négociations justifiées par le fait que la CPI exerce sa
compétence seulement sur les « crimes les plus graves ayant une portée internationale » (art. 1 du Statut de
Rome).
60
Audrey SOUSSAN : « Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie », Revue Québécoise de droit
international, 2004, vol. 16, issue, p. 199-222- Eric MIRGUET : « Le Tribunal pénal international pour le
Rwanda », Revue Québécoise de droit international, 2004, voL ;16, p. 163-198.
20
spécificité spatiale et temporelle des tribunaux ad hoc, institués par le Conseil de sécurité, leur
juridiction est concurrente avec les juridictions internes des Etats. Ainsi, selon l’article 9 du
Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, celui-ci a la primauté sur les
juridictions nationales et il a le pouvoir de demander à ces dernières – à tout stade de
procédure- de se dessaisir en sa faveur.
2-Le pouvoir donné au Conseil de sécurité de surseoir à enquêter ou à
poursuivre.
En vertu de l’article 16 du Statut de Rome, le Conseil de sécurité est investi d’un autre
pouvoir, celui de surseoir à une enquête ou à une poursuite pénale. En effet, il pourra
demander à la Cour pénale internationale de ne pas engager ou de suspendre des enquêtes ou
des poursuites sur le fondement du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Cette
disposition proposée à l’origine par Singapour, est un compromis à l’option exigeant
l’autorisation du Conseil de sécurité pour chaque dossier pouvant être du ressort de la Cour61.
Les divers projets élaborés avant la proposition de Singapour se fondaient sur l’alternative
suivante : la Cour ne peut exercer ses pouvoirs si le Conseil de sécurité ne l’autorise pas. En
l’occurrence, les conditions d’exercice de la compétence de la Cour consistaient dans le vote
en faveur de l’action de cette juridiction internationale par la majorité des membres du
Conseil de sécurité et en particulier par l’absence de l’exercice du veto par un de membres
permanents.
Par contre, selon la proposition de Singapour adoptée en définitive par le Statut de Rome, la
Cour pénale internationale ne peut agir si le Conseil de sécurité en décide ainsi. Ainsi, le vote
du Conseil, au lieu de permettre l’activation de la Cour, lui empêche l’action. Le droit de veto
se transforme donc en instrument de garantie. (« C’est le cas, par exemple, d’un veto opposé
par un de membres permanents du Conseil de sécurité contre la volonté de la majorité du
Conseil qui envisage la suspension de l’activité de la Cour »)62. Cette disposition est un
compromis à l’option exigeant l’autorisation du Conseil de sécurité pour chaque dossier
pouvant être du ressort de la Cour.
L’option indiquée ci-dessus aurait radicalement limité le nombre de dossiers traités par la
Cour en raison du droit de veto dont aurait pu se prévaloir l’un des cinq membres permanents.
La proposition du Singapour, au contraire, détourne le droit de veto de façon à ce que les cinq
membres permanents doivent consentir (ou s’abstenir de voter) à surseoir à une enquête ou à
une poursuite pénale63.
Le pouvoir donné, en vertu de l’article 16 du statut de Rome, au Conseil de sécurité de
surseoir à enquêter ou à poursuivre tend à reconnaître à un organe politique un droit de
contrôle sur les activités d’un organe judicaire. Face à une possibilité d’un conflit entre les
61
Une disposition similaire avait déjà été proposée lors des premiers débats sur le statut de la Cour pénale
internationale. En effet, le projet présenté par la commission de droit international des Nations Unies prévoyait
un article qui interdisait toute activité de la CPI concernant une situation quelconque chaque fois que le Conseil
de sécurité s’occupe de la même situation, à moins que le Conseil ne donne l’autorisation à la cour d’enquêter ou
de poursuivre : V. l’article 23.3 du draft présenté par la CDI ( U.N. Doc. A/49/10 de 1994).
62
Cherif BASSIOUNI : « La Cour pénale internationale », op.cit, Egypte, 2002, p. 165 et s.- Gabrielle DELLA
MORTE : Article précité, Revue internationale de droit pénal, 2002, vol. 73, p. 23 et s.
63
Le Royaume-Uni a été le premier membre du Conseil de sécurité à soutenir la proposition du Singapour. La
France avait laissé savoir au début de la conférence de Rome qu’elle soutiendrait cette proposition, préparant la
voie à son adoption.
21
intérêts de la justice internationale et ceux du maintien de la paix et de la sécurité, on a choisi
de sacrifier les premiers et garantir les seconds64.
Dans ce contexte, on a cité65 l’exemple d’une intervention directe du Conseil de sécurité pour
établir un cessez le feu entre les parties d’un conflit à un moment où la Cour pénale
internationale est saisie de l’affaire dans le but de poursuivre les leaders des mêmes parties au
conflit pour des crimes rentrant dans sa compétence. Selon l’auteur66 de cette hypothèse, dans
le cadre d’un tel scénario, la poursuite pénale engagée par la Cour pourrait rendre vains les
efforts directs entrepris par le Conseil de sécurité au rétablissement de la paix.
Aussi, sur le fondement de ce type d’argumentation, les Etats parties au statut de Rome se
sont prononcés en faveur du maintien des propositions qui attribuent un pouvoir de sursis au
Conseil de sécurité. Il en résulte que face au risque éventuel d’une utilisation politique des
instruments judicaires internationaux, le Statut de Rome a mis en place un contrôle du même
type (un contrôle politique)67.
Mais, un examen approfondi du pouvoir du Conseil de sécurité de surseoir à enquêter ou à
poursuivre fait apparaître que celui-ci ne satisfait pas certaines garanties. En effet, ce pouvoir
pourrait empêcher la cour d’exercer librement sa compétence et constituer une entrave à la
justice pénale internationale. Cette faiblesse provient en fait de la rédaction de l’article 16 du
statut de Rome qui prévoit que le Conseil de sécurité, lorsqu’il agit en vertu du chapitre VII
de la Charte des nations Unies, peut surseoir à enquêter ou à poursuivre pour une période de
douze mois et que la demande peut être renouvelée par le Conseil de sécurité dans les mêmes
conditions. Ainsi, dans la mesure où le délai de douze mois peut être renouvelé sans limite, il
est permis de penser que le sursis à l’enquête ou à la poursuite ordonné par le Conseil de
sécurité pourrait durer indéfiniment et qu’on donne de la sorte aux criminels les plus
dangereux un brevet d’impunité. Dès lors, il est inadmissible de voir l’action de la cour pénale
internationale entièrement paralysée sur simple injonction du conseil de sécurité pour une
période pratiquement illimitée, et sans aucune possibilité pour le procureur d’accomplir, ne
serait-ce qu’à titre conservatoire, les investigations nécessaires, par exemple, pour éviter le
dépérissement des preuves ou recueillir des témoignages. Là aussi, la sphère d’action de la
Cour pénale internationale comme son autonomie même se trouvent largement battues en
brèche. C’est pourquoi, il est fortement souhaitable qu’on établisse une limite temporelle à la
faculté de sursis à enquêter ou à poursuivre68.
Conclusion :
64
Serge SUR : « Vers une CPI : la Convention de Rome entre les ONG et le Conseil de sécurité », Revue
Générale de droit international public, janvier-mars 1999, p. 5 et s.
65
BASSIOUNI : « per l’istituzione del tribunale penale internazionale permanente nel 1998 », No peace
Without justice ( ed), Roma , 1997, p. 68.
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BASSIOUNI : ibid
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« The drafting of article 16 gives rise to at least three comments First , political considerations were given as
much, if not more weight legal arguments in the determination of the appropriate role for the security council in
ICC proceedings. Secondly, the Security Council’s deferral power confirms its decisive role in dealing situations
where the requirements of peace and justice to be in conflict. Thirdly, article 16 provides an unprecedented
opportunity for the Council to influence the work of a judicial body “, V. BERGSMO et PEJIC, article 16Deferral of investigation or prosecution, commentary on the Rome Statute, p. 377.
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V. en ce sens les propositions d’amendement de l’article 16 du statut de Rome présentées par la délégation de
la Belgique et de l’Espagne, lors de la conférence de Rome et qui n’ont pas été adoptées : U.N. Doc.
A/CONF.183/C.1/L.7 du 19 juin 1998- U.N. Doc.A/CONF 183/C.1/L.20 du 25 juin 1998.
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A l’issue de cette étude, on doit prendre en compte la réalité suivante : la Cour pénale
internationale, à vocation permanente, attendue depuis si longtemps par tous ceux qui militent
pour renforcer le respect du droit humanitaire et pour assurer la mise en application plus
efficace de ses dispositions, a enfin vu le jour, et il faut se féliciter de ce premier pas
important.
Parmi les résultats les plus heureux de la conférence de Rome, on peut noter les dispositions
garantissant au Procureur de la cour pénale internationale la compétence d’ouvrir des
enquêtes sans avoir à obtenir au préalable l’accord des Etats ou du Conseil de sécurité des
Nations Unies et les dispositions incluant dans la compétence de la Cour les crimes de guerre
commis dans le cadre d’un conflit interne.
Par contre, il est à souligner que l’enjeu historique que représentait l’adoption du Statut de la
première juridiction pénale internationale, à vocation permanente, a amené les Etats à faire de
nombreux compromis restreignant largement les pouvoirs de cette juridiction et ce afin
d’aboutir à un texte acceptable par une minorité d’Etats dont la place, dans les relations des
nations, était considérée comme prépondérante.
Le Statut de la Cour pénale internationale comporte un certain nombre de faiblesses atténuant
l’efficacité de cette juridiction telles que le fait que les criminels ressortissants d’un Etat qui
n’a pas ratifié le Statut de Rome ni reconnu la Cour pénale internationale échappent à la
compétence de cette juridiction, les conditions préalables à l’exercice de la compétence de la
Cour pénale internationale, l’impossibilité de jugement par contumace, ainsi que la clause
dérogatoire de l’article 124 du Statut permettant à un Etat partie de décliner la compétence de
la Cour en matière de crimes de guerre pour une période de sept ans à partir de l’entrée en
vigueur du Statut.
Certains Etats qui n’ont pas ratifié le Statut de Rome, dont notamment les Etats-Unis,
cherchaient à se mettre à l’abri d’une éventuelle comparution de ses nationaux devant la Cour
pénale internationale. Dans ce contexte, le gouvernement des Etats-Unis continue à essayer,
par des moyens détournés, de limiter davantage les pouvoirs de la cour pénale internationale.
En effet, la délégation américaine a souhaité la réouverture des négociations sur la question de
la compétence de la Cour en oeuvrant en faveur de l’insertion dans le Statut de Rome d’une
formule interdisant toute poursuite pénale des ressortissants des Etats n’ayant pas ratifié ce
Statut. Les Etats-Unis craignent toujours comme d’autres pays de voir leurs nationaux mis en
cause devant la Cour pénale internationale sur le fondement de l’article 12 du Statut de Rome,
alors même qu’ils n’ont pas ratifié ce statut.
Mais les menaces qui pèsent sur l’universalité de la Cour pénale internationale ne
proviennent pas uniquement de la position des Etats-Unis et de celle des autres pays refusant
la ratification du Statut de Rome, mais aussi de l’article 124 du Statut de Rome.
Ces différents moyens tendant à limiter les pouvoirs de la Cour pénale internationale risquent
de transformer cette juridiction en une Cour « à la carte » en fonction de la volonté politique
de chaque Etat. De la sorte, chaque Etat pourrait se prévaloir des obligations qui lui
incombent en droit international pour refuser la coopération de ses autorités judicaires avec la
Cour.
Certes, on se félicite des avancées initiées par la France en particulier sur le rôle et le droit à la
réparation des victimes. Cela étant, le cumul des limites posés par l’article 124 et des
tentatives d’obstructions américaines laissent planer des doutes sur l’assurance d’une Cour
efficace, indépendante et universelle. La France est ainsi appelée à renoncer à son droit de
bénéficier des dispositions de l’article 124, car les risques d’atteintes à l’efficacité de la Cour
sont majeurs.
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L’entrée en vigueur du Statut de Rome, tel qu’il découle de la conférence de Rome, ne
suffira pas pour garantir un fonctionnement efficace dans la lutte contre les violations du droit
humanitaire. Il est vrai que le critère retenu à Rome et fixant la compétence de la Cour pénale
internationale n’empêchera pas la cour de contribuer à la lutte contre l’impunité des crimes de
droit international les plus odieux. Mais, il fait dépendre largement le succès ou l’échec de
cette juridiction de la bonne volonté des Etats. Dès lors, et pour que la Cour ne soit pas à la
merci des Etats, il serait nécessaire qu’elle soit dotée d’une compétence universelle et qu’elle
puisse agir quel que soit l’Etat sur le territoire duquel le crime s’est produit et quelle que soit
la nationalité de l’auteur de ce crime et de ses complices et coauteurs.
Pour pouvoir lutter efficacement contre les crimes à caractère international, il faut prendre
des mesures concrètes. La Cour pénale internationale ne pourra fonctionner pleinement et
efficacement que si, simultanément- ce qui n’est pas le cas maintenant-, la grande majorité
des Etats fait introduire dans leur législation interne les dispositions relatives à la compétence
universelle par exemple des quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 ou de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
du 10 décembre 194869. En outre, la Cour ne peut être l’instrument judicaire majeur que si les
Etats accélèrent le rythme de la ratification du Statut de Rome70 et que si ces derniers
incorporent dans leur ordre public interne les dispositions de la compétence universelle.
Cela donnerait une réelle crédibilité au désir de la communauté internationale de mettre un
terme aux crimes de droit international les plus odieux. Une Cour criminelle internationale,
indépendante et à compétence universelle, aurait un effet dissuasif efficace et permettrait, à
l’avenir, d’éviter à d’innombrables personnes l’horreur et la souffrance que de tels crimes
peuvent créer.
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En vertu de ces dispositions, les Etats sont dans l’obligation d’arrêter toute personne suspectée d’avoir commis
l’un des crimes visés par ces conventions et se trouvant sur leur territoire. Ainsi, ce sera le respect de cette
obligation, aux delà des injonctions de la Cour pénale internationale qui favorisera le niveau de coopération dont
cette dernière aura besoin pour garantir l’identification, l’arrestation et le jugement des suspects.
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V. en ce sens : Robert BADINTER : « De NUREMBERG à LA HAYE », Revue internationale de droit pénal,
12-19 septembre 2004, p. 699 et s.
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