Voler comme une chauve-souris - Reflexions

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Voler comme une chauve-souris - Reflexions
Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Voler comme une chauve-souris
10/05/11
Depuis des milliers d'années, les animaux qui nous fascinent le plus sont sans doute les oiseaux et leur
étonnante capacité de vaincre la gravité terrestre. Quel tournant technologique dans l'histoire de l'humanité
que l'invention de la première machine volante ! C'était le 17 décembre 1903. Ce jour-là, deux Américains,
les frères Wright, parviennent à s'arracher du sol durant quelque 250 mètres sur une plage de Caroline du
nord. Les ailes du Wright flyer ne battent pas contrairement à celles d'un oiseau. Les ingénieurs ont compris
que la solution pour voler est plutôt dans la combinaison d'une propulsion thermique ou électrique avec des
ailes fixes assurant la portance de la machine. Toute l'histoire de l'aviation depuis 100 ans est restée basée
sur ce principe. Mais aujourd'hui l'homme met au point des avions de plus en plus petits : les drones. Or en
dessous d'une certaine taille, pour voler il faut nécessairement battre des ailes. D'où le regain d'intérêt des
ingénieurs en aéronautique pour les travaux des spécialistes de la locomotion animale. Des chercheurs de
l'université de Liège s'intéressent plus particulièrement au vol de la chauve-souris, qui est loin d'avoir dévoilé
tous ses secrets.
Dans le ciel d'une chaude soirée d'été, comment distinguer une chauve-souris d'un oiseau ? Le vol de la
première est beaucoup plus saccadé que celui du second. La chauve-souris opère des changements de
direction brutaux, rapides et répétés; les courbes de l'oiseau sont plus fluides, plus souples… « Le vol
de la chauve-souris est un mélange d'oiseau et d'insecte », résume le professeur Grigorios Dimitriadis,
du département d'Aérospatiale et d'ingénierie mécanique de l'ULg. Certaines grandes chauves-souris
sont capables de planer, comme des oiseaux, et d'autres battent des ailes avec une rapidité comparable
aux insectes. » Pour étudier le vol de la chauve-souris, Greg Dimitriadis s'est associé à des biologistes
de l'université de Manchester (James Gardiner, Jonathan Codd et William Seller), spécialisés dans la
locomotion animale. Il y a plusieurs manières d'étudier les animaux en vol. Par exemple, en les filmant dans
leur milieu naturel. Mais s'il est possible d'obtenir dans le ciel (depuis un avion par exemple) de très belles
images d'oiseaux en plein vol, elles ne sont pas toujours satisfaisantes pour la recherche scientifique.
C'est pourquoi les chercheurs inventent des techniques de laboratoire, plus standardisées, comme le vol
en soufflerie par exemple. Ce n'est pas une mince affaire. Il faut apprendre aux oiseaux à voler face à une
source de vent artificielle, de manière à annuler la vitesse de l'animal malgré les battements d'ailes. Ainsi en
mouvement, mais immobilisés, les oiseaux s'offrent à l'objectif d'une caméra durant de longues minutes. Et
en modifiant la puissance de la soufflerie, les chercheurs peuvent moduler un paramètre important : la vitesse
du vol. Certains laboratoires permettent aussi de moduler l'altitude en jouant sur la pression atmosphérique
à l'intérieur de la soufflerie. Les chercheurs peuvent ensuite analyser les images sous toutes les coutures
et éventuellement les numériser pour développer des modèles informatiques. A partir de ces modèles, il est
possible de faire varier d'autres paramètres que la vitesse ou l'altitude et répondre à des questions beaucoup
plus sophistiquées, comme par exemple : quel effort musculaire tel oiseau devra-t-il fournir pour accomplir
telle distance, à telle vitesse et à telle altitude ?
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Des chauves-souris au laboratoire
Si l'expérience a déjà été réussie
avec des grands oiseaux comme des oies, apprendre à voler à une chauve-souris face à une soufflerie est très
difficile. Le vol rectiligne, la discipline d'escadrille ne font pas partie du registre locomoteur de ce mammifère
volant. Qu'à cela ne tienne, se sont dit les chercheurs de l'ULg. Nous allons mettre une maquette de chauvesouris dans une soufflerie, un artefact qui ressemble le plus possible à l'animal. Ce sont les chercheurs de
Manchester qui ont réalisé cette partie du travail, un bricolage sophistiqué composé principalement de latex
pour reproduire la membrane des ailes et une armature en métal en guise de squelette. Le modèle est une
chauve-souris appelée plecotus auritus (l'oreillard commun), caractérisée par de très grandes oreilles. « C'est
une maquette statique, précise Greg Dimitriadis. Les ailes sont déployées mais elles ne battent pas. Nous
étudions la chauve-souris en position de vol plané, en quelque sorte. » Placé dans la soufflerie de l'ULg,
le modèle est soumis à des forces qui sont enregistrées par des capteurs de charges aérodynamiques. La
puissance de la soufflerie peut aller jusqu'à 60 mètres par seconde (216 KmH), mais elle a été limitée à 10m/s
(36 KmH), ce qui correspond à la vitesse maximale du vol de cette chauve-souris. Une première campagne de
mesures a porté spécifiquement sur le rôle des longues oreilles de l'animal. « Cela va de soit qu'elles jouent
un rôle aérodynamique, explique G. Dimitriadis. Mais lequel ? Notre étude a montré qu'en position horizontale,
les oreilles ajoutent de la portance à l'animal. Elles complètent le rôle des ailes. En position verticale, elles
servent de frein. Et en position différentielle, c'est-à-dire une oreille levée et l'autre horizontale, elles permettent
de tourner encore plus rapidement. » Ces résultats ont été publiés en 2008 dans le revue spécialisée Acta
Chiropterologica.
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Une seconde campagne de mesures a porté sur la queue et les pattes de l'animal, qui ont la particularité
d'être très courtes et reliées aux ailes. L'étude, publiée dans le revue PLoS ONE (1), a montré que les jambes
et la queue participent à la stabilisation dynamique du vol de la chauve-souris (la stabilité est la propension
d'un objet à revenir spontanément dans sa position initiale si son équilibre est perturbé) mais aussi à sa
manoeuvrabilité. La chauve-souris en vol, c'est comme un crayon installé sur sa pointe, instable quelle que
soit sa position. Mais à la différence du crayon, qui a toutes les chances de se coucher une fois pour toutes,
la chauve-souris multiplie les manœuvres de rééquilibrage grâce aux mouvements de son corps. « Il est donc
plus juste de parler de stabilité dynamique que d'instabilité, précise Greg Dimitriadis. » La chauve-souris, en
termes aéronautiques, est plus proche d'un avion de chasse que d'un Airbus A 380 ! Une petite turbulence
n'a pratiquement aucun effet sur la position d'un gros avion de transport, qui retrouve sans aucune force de
correction sa position initiale. L'avion de chasse, au contraire, est très vite déstabilisé et ne conservera sa
trajectoire qu'au prix de multiples corrections très rapides calculées par l'ordinateur de bord.
Le mythe d'Icare revisité
Le vol des chauves-souris pourrait-il intéresser l'industrie aéronautique ? Dans la mythologie grecque, Icare
tente de fuir le palais de Cnossos sur l'île de Crète par les airs, en se collant des plumes d'oiseau sur les
bras avec de la cire. Volant trop près du soleil, il fait fondre la cire, perd ses plumes une à une et est précipité
dans la mer. Dans le droit fil de ce mythe antique, les premières machines « volantes » battaient des ailes,
mais toutes se sont brisées sur une réalité : l'homme est trop grand pour s'envoler à la seule force de ses
bras, fussent-ils transformés en ailes. Dans la nature, d'ailleurs, il n'y a pas d'oiseau de la taille et du poids
de l'être humain (des oiseaux fossilisés comme l'Argentin magnifique - Argentavis magnificiens - pesaient
près de 80kg mais on ne sait toujours pas s'ils pouvaient battre des ailes ou s'ils planaient). En inventant le
moteur à explosion, les ingénieurs ont trouvé un mode de propulsion suffisamment puissant pour arracher un
homme à la gravité terrestre, sans devoir battre des ailes. Toutes les études en cours sur le vol des oiseaux,
des chauves-souris ou des insectes ne sont donc d'aucune utilité pour développer l'avion de demain, qu'il
soit militaire ou civil, de chasse ou de transport. Mais la course à la miniaturisation depuis quelques années
change la donne. Car le modèle standard de l'aéronautique, des ailes statiques et des hélices, est de moins
en moins efficace à mesure que la taille de l'aéronef se réduit. Et en dessous d'une certaine dimension, aucun
objet ne peut voler sans battement d'ailes. Dans la nature, d'ailleurs, plus le volatil est petit, plus les ailes
doivent battre rapidement pour rester en l'air : celles d'un grand oiseau battent moins de 10 fois par seconde,
celles du colibri jusqu'à 80 fois et celles de la mouche plusieurs centaines de fois !
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La mise au point de drones pourrait bénéficier dans les années qui viennent de nouvelles recherches sur les
battements d'ailes. Les drones sont des petits avions sans pilote qui peuvent réaliser des tâches militaires ou
civiles (surveillance de territoire, espionnage, surveillance de sites pollués…). Les modèles existants ont une
envergure de un à deux mètres. Mais les drones de demain ne seront peut-être pas plus grand qu'une main. Et
pour mettre au point des drones de si petite taille, les chercheurs doivent réintroduire le battement d'ailes dans
le système. Des chercheurs travaillant pour le compte de la NASA ont ainsi mis au point un « entomoptère »,
sorte de gros insecte mécanique candidat à un voyage sur la planète Mars, où l'atmosphère est si peu dense
qu'aucun avion classique ne pourrait y voler. Il faudrait des ailes dix fois plus grandes que sur la Terre et
l'aéronef serait impossible à transporter dans un quelconque véhicule spatial.
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Frankenbird à l'université
C'est dans ce contexte de regain d'intérêt scientifique pour les battements d'ailes qu'un chercheur de
l'équipe de Greg Dimitriadis, Norizham Abdul Razak, a mis au point un outil tout à fait exceptionnel : un
oiseau robot, que les chercheurs liégeois hésitent à baptiser « Frankenbird » de peur de lui coller une
mauvaise réputation. Car la machine n'est pas destinée à terroriser la population, mais bien à simuler le
fonctionnement d'un oiseau en vol. Frankenbird - deux ans de travail - ressemble à un gros suppositoire
ailé, d'un mètre d'envergure et de 60 centimètres de long. A l'intérieur du robot, un moteur électrique et une
mécanique de haute précision permettent d'imprimer aux ailes deux mouvements différents, un mouvement
de haut en bas et un mouvement de torsion. « Dans la nature, la combinaison de ces deux mouvements
augmente l'efficacité du vol », explique Greg Dimitriadis. Avec cette machine exceptionnelle, les chercheurs
liégeois vont pouvoir étudier le vol sous presque toutes ses coutures. « Nous pouvons, par exemple,
modifier le rythme des battements, la combinaison des mouvements et bien entendu la forme et la taille
des ailes. » Frankendird est conçu pour voler avec des ailes de quelques dizaines de centimètres, jusqu'à
un mètre environ. « Il a bien fallu faire un choix, explique Greg Dimitriadis. Dans la nature, les plus grands
oiseaux ont une envergure de trois ou quatre mètres et les plus petits de quelques centimètres. Nous avons
choisi un modèle intermédiaire. »
Formidable outil de recherche, Frankenbird aidera peut-être les ingénieurs en aéronautique à mettre au
point les drones de demain. Il pourrait, à l'inverse, apporter aussi quelques lumières sur un lointain passé
et plus particulièrement sur les ancêtres des oiseaux, les dinosaures. Une des grandes questions de la
paléontologie animale est précisément de savoir comment volaient certains animaux préhistoriques comme
les ptérosaures. Battaient-ils des ailes? Pouvaient-ils décoller en courant ou se lançaient-ils d'une falaise?
Les chercheurs de l'université de Manchester sont en train de reconstituer sur ordinateur un modèle de
ptérodactyle à partir d'un véritable squelette. Les logiciels utilisés permettent d'extrapoler des données
biologiques telles que la musculature, la masse graisseuse, la peau et même la cinétique de l'animal. La
forme et la taille des ailes seront calculées. « A partir de ce modèle informatique, explique Greg Dimitriadis,
nos collègues de Manchester vont fabriquer des ailes de ptérosaure, que nous pourrons tester avec notre
Frankenbird. » Le vol d'un animal ayant vécu il y a plusieurs centaines de millions d'années reproduit en
laboratoire par un robot, la démarche est passionnante. Les travaux viennent de débuter.
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Gardiner James D, Dimitriadis Grigorios, Codd Jonathan R & al, A potential role for bat tail membranes in flight control, in PLoS ONE (2011), 6(3), 18214
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