Le recours au fluor chez les nourrissons et les enfants

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Le recours au fluor chez les nourrissons et les enfants
Document de principes
Le recours au fluor chez les
nourrissons et les enfants
J Godel; Société canadienne de pédiatrie
Comité de nutrition et de gastroentérologie
Paediatr Child Health 2002;7(8):579-82
Affichage : le 1 octobre 2002 Reconduit : le 1 février 2016
L’ajout de fluor à l’eau potable en 1958 a suscité une
réduction remarquable du taux de carie dentaire [1].
Par la suite, les suppléments de fluor ont été
recommandés pour les enfants dont l’eau n’était pas
fluorée et, à l’heure actuelle, presque tous les
dentifrices contiennent du fluor. Cependant, les
multiples sources de fluor, telles les dentifrices fluorés,
les suppléments de fluor (sous forme de gouttes et de
pastilles) et le fluor naturel, ont contribué à une
augmentation de l’incidence de fluorose. Le défi
consiste à trouver la bonne quantité de fluor de
manière fiable et sûre. Le fluor est efficace pour
prévenir la carie, mais aucune étude contrôlée n’en a
évalué la dose optimale.
Les recommandations relatives à l’usage du fluor
publiées en 1995 dans un énoncé de la Société
canadienne de pédiatrie (SCP) [2] différaient
considérablement de celles de l’Association dentaire
canadienne (ADC). L’ADC [3] prônait qu’à part le fluor
contenu dans l’eau, la principale source de fluor
devrait provenir du dentifrice fluoré, et que les
suppléments ne devraient pas être utilisés chez les
enfants de moins de trois ans. La SCP affirmait qu’un
bon brossage de dents, surtout dans les populations à
haut risque, pouvait être difficile à instaurer, que le
report des suppléments à l’âge de trois ans
augmenterait le taux de caries et que les suppléments
devraient être administrés dès l’âge de six mois [2].
Des études plus récentes sur les actions du fluor ont
entraîné la modification de ces deux positions. La
position présentée dans le présent énoncé respecte
les principes convenus à la conférence consensuelle
cana-dienne de 1997 sur le recours au fluor [4].
La fluorose
La fluorose dentaire, un trouble associé au
développement anormal de l’émail, a été remarquée
pour la première fois dans des collectivités dotées de
taux élevés de fluor naturel dans l’eau potable, mais il
s’est observé par la suite chez des personnes qui
ingèrent du fluor provenant d’autres sources.
Ce trouble, constaté surtout chez les enfants de moins
de sept ans, s’associe à une détérioration de la
biosynthèse de la matrice dentaire. Les manifestations
peuvent osciller entre des changements minimaux
(effet toxique [ET] de 1), qui incluent de 80 % à 90 %
des cas et n’être remarquées qu’après un examen
dentaire minutieux et, pour de plus rares individus, des
marbrures et des picots nombreux et inesthétiques sur
les dents, des stries sur l’émail et, dans les cas
graves, des « calottes neigeuses » et des dents d’un
blanc crayeux (ET d’au moins 2) peuvent être très
disgracieux et exiger un traitement esthétique. Les
dents secondaires sont les plus à risque de fluorose
entre 15 et 24 mois [5].
La prévalence de fluorose a augmenté depuis 1945 [6],
ce qui correspond à l’augmentation des sources
possibles de fluor, y compris l’eau, le dentifrice, les
aliments et les boissons composés à partir d’eau
fluorée et les suppléments de fluor, comme les
gouttes, les rince-bouche et les pastilles. La
prévalence de fluorose est inversement proportionnelle
au contrôle de la carie. Dans une vaste étude menée
par Heller et coll. auprès de 18 755 enfants [7], la
diminution la plus marquée de surfaces cariées, vides
ou obturées s’observait par suite de l’augmentation
des concentrations de fluor dans l’eau de 0 ppm à 0,7
ppm, tandis que peu de bénéfices supplémentaires se
produisaient au-delà de cette concentration. La
prévalence
de
fluorose
augmentait
avec
l’augmentation des concentrations de fluor dans l’eau,
passant de 13,5 % des enfants exposés à de l’eau
contenant moins de 0,3 ppm de fluor, à 41,4 % de
ceux exposés à plus de 1,2 ppm. Le recours aux
suppléments ajoutait à l’effet et s’associait à une
COMITÉ DE NUTRITION ET DE GASTROENTÉROLOGIE, SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE |
1
réduction supplémentaire de la carie, aux dépens
d’une augmentation de la fluorose. Un compromis
acceptable entre la carie et la fluorose est atteint
lorsque le taux de fluor correspond à 0,7 ppm [7].
D’autres études [8]-[10] démontrent également une
prévalence de fluorose supérieure à 40 % lorsque
l’exposition au fluor augmente, même si seule une
petite proportion des changements dentaires
découlant de la fluorose soient assez perceptibles
pour qu’on envisage un traitement. Une récente étude
de la fluorose chez 2 435 enfants de sept à 13 ans
menée à Toronto, en Ontario [11], a permis d’établir
qu’une fluorose dentaire modérée (indice de surface
dentaire de 2 – fluorose de gra-vité moyenne) atteint
14 % des enfants de sept ans, 12,3 % de ceux de 13
ans et 13,2 % des deux groupes combinés, ce qui
entraîne une prévalence semblable à la plupart des
études récentes exécutées à Toronto.
Le mode d'action du fluor
Le fluor prévient surtout la carie grâce à son effet
topique [12]. La carie dentaire se produit lorsque la
plaque, une pellicule collante de bactéries à la surface
de la dent, s’alimente de sucre et de résidus
alimentaires pour produire de l’acide, qui dissout la
surface de la dent (c’est la déminéralisation). Le fait de
badigeonner la surface de la dent avec une quantité
aussi minime que 1 ppm de fluor entraîne une
diminution marquée de la solubilité de l’émail. Le fluor
ingéré, par contre, a peu d’effets sur la carie, mais il
contribue énormément au développement de la
fluorose.
Le développement de l’émail se caractérise par trois
phases :
• Pendant la phase sécrétoire, une matrice protéique
se forme, et le dépôt de minéraux commence.
• Pendant la phase de transition, la protéine est
retirée et remplacée.
• Pendant la phase de maturation, la protéine est
remplacée à 95 %, et la minéralisation est
terminée.
Le fluor appliqué systématiquement aux dents influe à
la fois sur les phases de transition et de maturation. Le
développement de l’émail est particulièrement sensible
au fluor systémique pendant la phase de transition. La
matrice devient poreuse tandis que le fluor et d’autres
ions s’accumulent. Pendant la phase de maturation,
des dépôts de minéraux altérés se produisent. Cet
effet du fluor provoque une interférence avec les
2 | LE RECOURS AU FLUOR CHEZ LES NOURRISSONS ET LES ENFANTS
dépôts de cristaux, la modulation des cellules altérées
et le report de la maturation osseuse.
Le fluor topique agit de trois façons principales pour
prévenir la carie dentaire [12].
• Il inhibe la plaque. Le fluor peut tuer ou inhiber les
bactéries et les rendre moins aptes à produire des
acides tirés des hydrates de carbone.
• Il inhibe la déminéralisation. Le fluor est intégré à
des cristaux à la surface de la dent, qui rend cette
surface plus résistante à l’acide.
• Il favorise la reminéralisation de l’émail. Le
processus
de
déminéralisation
et
de
reminéralisation de l’émail est constant. Le fluor
accroît la vitesse du processus, et l’incorporation
du fluor dans le minéral le rend moins soluble à
l’acide.
Le dentifrice
Le dentifrice est offert avec ou sans fluor. Les tubes de
dentifrice qui renferment du fluor sont maintenant
étiquetés et contiennent environ 0,5 mg de fluor par
gramme de dentifrice. Sur certains tubes, il est
conseillé de couvrir de dentifrice les soies de la brosse
à dents. Une portion de la taille d’un pois pèse environ
0,75 g et contient environ 0,4 mg de fluor, tandis
qu’une portion qui couvre toutes les soies pèse
environ 2,25 g et contient environ 1,0 mg de fluor.
Ainsi, deux brossages de dents quotidiens
transmettent de 0,8 mg à 2,0 mg de fluor, selon la
quantité utilisée. Si le dentifrice est avalé, la quantité
de fluor peut être excessive et contribuer à l’apparition
de fluorose.
Les considérations sous-jacentes
• Le principal mécanisme d’action du fluor pour
prévenir la carie dentaire est topique (catégorie
II-3, recommandation B) [11][13][14].
• La fluoration de l’eau constitue un mode de
transmission efficace de fluor topique (catégorie
II-1, recommandation B) [1].
• Le dentifrice fluoré représente un mode de
transmission efficace de fluor topique (catégorie I,
recommandation A) [15].
• L’ingestion de plus que la dose quotidienne
recommandée de fluor s’associe à une
augmentation du risque de fluorose dentaire
(catégorie II-2, recommandation E) [2][16].
• En l’absence d’exposition convenable au fluor
topique (p. ex., dentifrice ou eau fluorée), des
produits fluorés supplémentaires peuvent être
administrés sous forme de gouttes, de comprimés
à croquer et de pastilles. L’efficacité de ces
produits pour prévenir la carie dentaire est faible
chez les enfants d’âge scolaire (catégorie II-2,
recommandation C) et n’a pas été évaluée chez les
nourrissons et les tout-petits (catégorie II-3,
recommandation C) [8].
• Certaines personnes peuvent être susceptibles au
« problème carieux ». En raison d’une
prédisposition génétique ou environnementale à
une forte prévalence de caries [17]-[21], le fluor
topique seul peut être insuffisant pour prévenir la
carie (c’est-à-dire qu’il se peut que l’ajout de fluor
n’apporte aucun bénéfice net et que d’autres
mesures, comme un traitement antibactérien et des
modifications au régime, peuvent être nécessaires)
(catégorie II-3, recommandation C) [22].
Les recommandations
Il n’y a aucun doute que le recours au fluor réduit la
carie dentaire. Par contre, il est clair que l’ingestion
d’une trop grande quantité de fluor peut entraîner
divers degrés de fluorose. Ainsi, en pratique,
l’administration de fluor devrait permettre d’établir un
équilibre entre les deux situations.
• La position présentée dans le présent énoncé
respecte les principes convenus à la conférence
consensuelle canadienne sur le recours au fluor,
tenue en 1997 [4].
• Il faut continuer d’ajouter du fluor dans
l’approvisionnement municipal en eau, lorsque les
concentrations naturelles sont inférieures à 0,3
ppm. Un compromis convenable entre la carie
dentaire et la fluorose s'observe à environ 0,7 ppm.
• Il faut continuer d’imprimer un avis sur la
concentration de fluor sur les tubes de dentifrice, et
il faudrait préciser la quantité contenue dans une
portion de la taille d’un pois.
• Les concentrations de fluor devraient être
indiquées sur tous les aliments ou toutes les
boissons qui en contiennent.
• Les enfants ne devraient utiliser qu’une portion de
la taille d’un pois et être invités à ne pas avaler
l’excédent de dentifrice.
• Puisque l’action du fluor est topique, le fluor ne
devrait pas être administré avant l’apparition des
dents.
• Les suppléments de fluor ne devraient être
administrés (tableau 1) qu’à compter de six mois,
et seulement si les conditions suivantes
s’appliquent :
– la concentration de fluor dans l’eau est
inférieure à 0,3 ppm;
– l’enfant ne se brosse pas les dents (ou ne les
fait pas brosser par un parent ou un tuteur) au
moins deux fois par jour;
– si, de l’avis d’un dentiste ou d’un autre
professionnel de la santé, l’enfant est
susceptible à une forte activité carieuse
(antécédents familiaux, tendances et modèle
carieux dans la collectivité ou la zone
géographique).
• Les suppléments de fluor devraient être
administrés dans des préparations qui maximisent
l’effet topique, comme les rince-bouche ou les
pastilles. Les gouttes, si elles sont utilisées, doivent
être diluées dans l’eau, et il faut les laisser tomber
sur les dents.
TABLEAU 1
Concentrations recommandées de suppléments de fluor pour les enfants
Concentration de fluor
âge de l’enfant
<0,3 ppm
>0,3 ppm
De 0 à 6 mois
Aucun
Aucun
>6 mois à 3 ans
0,25 mg/jour
Aucun
>3 à 6 ans
0,50 mg/jour
Aucun
>6 ans
1,00 mg/jour
Aucun
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COMITÉ DE NUTRITION
Membres : Margaret Boland MD (présidente); Robert
Issenman MD (administrateur responsable); Alexander
Leung MD; Valérie Marchand MD; Anthony Otley MD
Conseillers : Claude Roy MD; Reginald Sauve MD;
Stanley Zlotkin MD
Représentants : Anne Kennedy, Institut national de la
nutrition; Marilyn Sanders, Comité canadien pour
l’allaitement; Donna Secker; Rosemary Sloan,
Direction générale de la santé de la population et de la
santé publique, Santé Canada; Christina Zehaluk,
Direction générale des produits de santé et des
aliments, Santé Canada
Auteur principal : John Godel MD
Aussi disponible à www.cps.ca/fr
© Société canadienne de pédiatrie 2017
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