interdit au public - Cours de theatre Paris

Transcription

interdit au public - Cours de theatre Paris
INTERDIT AU PUBLIC
De Jean MARSAN
PERSONNAGES : PIERRE, HERVE
PIERRE. Maman est partie ?
HERVE. Oui.
PIERRE. Elle t'a parlé ?
HERVE. Oui.
PIERRE. De tout ?
HERVE. Attends, je crois, oui. Le décor du deux, c'est réglé ! La traîne, c'est réglé !
Oui, je crois qu'on s'est tout dit.
PIERRE. Elle ne t'a parlé de rien d'autre.
HERVE. Non ! Tu vois autre chose ?
PIERRE Non ! Et toi ?
HERVE. Non ! Ah si ! J'ai à te parler d'autre chose. Tu as une seconde ? Viens.
Voilà. Je vais peut-être épouser Françoise.
PIERRE. Françoise ?
.
HERVE. Oui.
PIERRE. Bravo !
HERVE. Ah !... Ça ne t'ennuie pas ?
...
PIERRE. Je suis ravi, mon vieux papa.
HERVE. Tant mieux, tant mieux... Cependant... J'aimerais bien avoir ton avis...
Assieds-toi. (Il le fait asseoir sur le canapé, de façon que Pierre tourne le dos au
bureau où Hervé pose « L'Avare ». Pierre continue à rectifier, avec une pince, le diadème de Joséphine. Cependant, comme il entend son père feuilleter la brochure, il
lève la tête) Continue à travailler. (Pierre replonge dans son diadème. Hervé lit.) « Ah
ça ! Intérêt de belle-mère a part, que te semble de cette personne ? »
PIERRE. Ce qui m'en semble ?
(Pierre est tombé sur l'exacte réplique de Molière. Hervé adresse au buste ses
félicitations muettes, puis reprend le texte.)
HERVE. « Oui, de son air, de sa taille, de sa beauté, de son esprit ? »
PIERRE. Boff.
HERVE, ça ne correspond plus. « Boffe » ?... Non, ça va : « là. là », c'est boffe de
nos jours... (Sursautant.) Quoi. « boffe » ? Quoi, « boffe » ? Tu la trouves laide ?
PIERRE. Oh ! non, pas laide..., tarte.
HERVE. « Tarte »..., on s'éloigne.
PIERRE, je vais te parler en homme.... en homme..., en homme...
PIERRE Tu bafouilles. Tu m'étonnes.
HERVE, retournant à la brochure. Attends que je m'y retrouve. Il lit.) « J'ai songé
qu'on pourra trouver à redire de me voir marié à une si jeune personne. Cette
considération m'en faisait quitter le dessein...
PIERRE. Tas une façon de t'exprimer ! On dirait du Bernstein.
HERVE, à Molière : excuses muettes, puis, à Pierre.
Pierre, je suis très embêté. La petite m'aime... mais... Il lit.) J'ai fait, en la voyant,
réflexion sur mon âge...
PIERRE. Ton âge. mais t'es dingue ! Moi, je suis ravi d'avoir un père qui ravage les
moufflettes à quarante piges ! Ça me donne confiance pour l'avenir ! Vive papa !
HERVE, à part. On s'éloigne, on s'éloigne ! (Il rattrape son fils.) PIERRE ! Je suis
dans un pastis épouvantable : cette petite, je lui ai promis de l'épouser ; tu me
connais, toujours excessif, mais, au fond, j'aime Gisèle ! Et je suis sûr, tu m'entends,
je suis sûr que Françoise fait un transfert ! Que c'est toi qu'elle aime à travers moi !
Alors, je m'étais dit : « Si Pierre l'aime aussi, marions ces deux enfants ! »
Seulement, voilà : tu la trouves tarte...
PIERRE. Papa, je ne t'ai pas dit toute la vérité...
HERVE. Ha ?
PIERRE. Françoise, je l'avais repérée depuis un an, tu penses, au cours de maman.
HERVE. Ha?
PIERRE. Je t'ai dit que je ne la connaissais pas, mais je t'ai menti.
HERVE. Continue, mon grand, continue.
PIERRE. Je l'ai un peu baratinée, on a flirté gentiment, et ce qui devait arriver... (Il
freine au bord du précipice.) ... n'est pas arrivé. Françoise, pour moi, c'est un remède
contre l'amour... Je sais que je ne devrais pas dire ça au fiancé, mais si tu me parles
« mariage », moi, je te réponds : allergie ! (Il reprend son triturage de diadème)
HERVE, à Molière. Tu sais que t'es un peu dépassé, toi, mon petit père ! (A Pierre,
avec l'accent de Toulon ) Maounstre ! Petit maounstre ! Oh ! qu'il est menteur, cet
enfant.
PIERRE. Qu'est-ce qui t'arrive ?
HERVE. Tu sais bien que, quand je suis ému, je retrouve l'accent de Toulon.
Embrasse-moi, imbécile, je sais tout : Françoise, elle t'aime !
PIERRE.
C'est pas vrai !
HERVE.
Elle me l'a dit !
PIERRE.
C'est pas possible.
HERVE. Attention, Pierre ! Tu es un homme, maintenant, tu dois te conduire en
homme.
PIERRE. Et pourquoi tu me dis ça ?
HERVE. Tu te souviens de la petite Mireille, dis ? Qui était si gentille ! Je la vois
encore passer, toute bravette, avec son grand chapeau de paille ! Eh bien ! un
Espagnol l'a mise enceinte et maintenant elle fait le trottoir ! Tu veux que je te dise,...
PIERRE, eh bien ! l'Espagnol, c'était pas un homme ! Alors, tu vas pas en faire
autant, dis ?
PIERRE. Papa.
HERVE. Oui, mon petit, Françoise, elle attend un enfant de toi. (Pierre se jette dans
ses bras. Hervé le serre contre son cœur et constate pour le buste.) Pagnol, c'est
très bon aussi.
PIERRE Papa, je vais avoir un enfant ! Je vais épouser Françoise ! Oh !
Merci, papa !
HERVE. Ah ! tout de même ! Petit salaud ! Eh bien ! tu vas me faire le plaisir de
rompre avec Françoise immédiatement ! Cette fille est à moi !
PIERRE. Papa ! C'est un mensonge ignoble !
HERVE. C'est toi qui oses me parler de mensonge ! Il y a trente secondes, tu me
soutenais que Françoise était un remède contre l'amour et tu oses me parler de
mensonge ! Je t'interdis de revoir cette fille !
PIERRE.
Je la reverrai si je veux !
HERVE.
Je te coupe les vivres !
PIERRE.
Pour ce que tu me donnes !
HERVE.
Tu n'es plus mon fils !
PIERRE.
J'ai jamais eu de père !
HERVE. Je t'abandonne et tu finiras dans un café-théâtre !