Déclaration de la Commission de Venise sur des atteintes à l
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Déclaration de la Commission de Venise sur des atteintes à l
Déclaration de la Commission de Venise sur des atteintes à l’indépendance de la justice en Turquie La Commission de Venise a été contactée par des juges et des procureurs de Turquie, qui ont porté à son attention plusieurs affaires d’ingérence dans le travail de juges et de procureurs saisis d’affaires politiquement sensibles (voir annexe). Ces affaires font ressortir une ingérence répétée portant atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire en violation manifeste des normes européennes et universelles : des décisions de justice et des réquisitions de procureurs n’ont pas été exécutées en violation de la loi ; des procureurs ont brutalement été dessaisis d’affaires qu’ils instruisaient depuis longtemps ; des juges et des procureurs ont été mutés arbitrairement dans d’autres juridictions ; des juges ont été révoqués en raison de décisions qu’ils avaient rendues ; fait alarmant, des juges et des procureurs ont même été arrêtés pour des décisions qu’ils avaient rendues. La Commission de Venise souligne que les mesures visant les juges en raison des décisions de justice qu’ils ont prises ne peuvent être adoptées que s’il y a suffisamment d’éléments de preuve montrant qu’ils ont manqué à leur obligation d’impartialité et ont agi pour des motifs illégitimes. La Commission de Venise est particulièrement préoccupée de voir que le Haut Conseil des juges et des procureurs a pris des mesures directes et immédiates à l’encontre de juges et de procureurs en raison de décisions que ceux-ci avaient rendues dans des affaires en cours. Cette pratique est contraire aux principes élémentaires de l’état de droit. La Commission de Venise note que le 15 février 2014, la loi sur le Haut Conseil des juges et des procureurs a été révisée, renforçant les pouvoirs du Ministre de la Justice au sein du Haut Conseil. Cette mesure est revenue sur les acquis positifs de la réforme réalisée en 2010 à la suite du référendum constitutionnel. Dans un arrêt du 10 avril 2014, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelles beaucoup de ces modifications, mais le Ministre de la Justice avait remplacé, avant même cette décision, les principaux membres du personnel administratif du Haut Conseil et muté des membres du Haut Conseil à d’autres chambres. Ces décisions n’ont pas été annulées, étant donné que l’arrêt de la Cour n’a pas d’effet rétroactif. Les faits décrits ci-dessus montrent clairement qu’il n’y a pas de garanties suffisantes de l’indépendance de la justice en Turquie. La Commission de Venise appelle les autorités turques : à réexaminer les mesures prises contre les juges et les procureurs concernés ; à réviser à nouveau la loi sur le Haut Conseil pour réduire l’influence du pouvoir exécutif au sein du Haut Conseil ; à interdire toute ingérence du Haut Conseil dans les affaires pendantes ; à donner aux juges des garanties légales et constitutionnelles contre les mutations d’office, hors les cas de réorganisations des tribunaux. La Commission de Venise demande à son Président de suivre la situation du pouvoir judiciaire en Turquie. Venise, le 20 juin 2015 Annexe : Affaires portées à l’attention de la Commission de Venise Le premier groupe d’affaires concerne les procureurs Zekeriya Öz, Celal Kara, Mehmet Yüzgeç et Muammer Akkaş, et le juge Süleyman Karaçöl, qui menaient des enquêtes sur la corruption à haut niveau. En décembre 2013, les procureurs ont soudain été dessaisis de ces enquêtes et bien qu’elles soient légales et valides, leurs décisions n’ont pas été exécutées. Les quatre procureurs et le juge Karaçöl ont été mutés en dehors de la procédure normale dans d’autres juridictions au début de 2014, ils ont été suspendus d’office du Haut Conseil des juges et des procureurs en décembre 2014 et limogés par le Haut Conseil le 12 mai 2015. Le deuxième groupe d’affaires intéresse les juges Metin Özcelik et Mustafa Başer, qui ont fait droit le 25 avril 2015 à une demande de remise en liberté de représentants des médias et de fonctionnaires de police, placés en détention provisoire en raison de leur participation à des enquêtes anticorruption. Dans leurs décisions, les juges s’étaient référés à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Non seulement ces ordonnances de remise en liberté, qui étaient légales et valides, n’ont pas été exécutées, mais deux jours plus tard, le 27 avril 2015, les juges ont été suspendus par le Haut Conseil, qui a autorisé leur arrestation. Le Président de la deuxième chambre du Haut Conseil a déclaré : « Je présente mes excuses au grand public. Notre décision a été retardée par le week-end ». Le troisième groupe d’affaires porte sur les procureurs Süleyman Bağrıyanık, Ahmet Karaca, Aziz Takçi et Özcan Šišman, qui avaient ordonné en janvier 2014 d’arrêter et de fouiller des camions en partance pour la Syrie, présumés transporter des armes. A la suite de leurs décisions, les procureurs ont été mutés à d’autres postes. En janvier 2015, ils ont été suspendus par le HSYK et en mai 2015 le HSYK a autorisé rétrospectivement leurs arrestations.