Les pionniers du nouveau monde
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Les pionniers du nouveau monde
NAtURE Les pionniers du nouveau monde Les tractopelles, les haveuses et la dynamite ont fait leur travail. Une carrière est une réelle saignée dans le paysage. Sur des hectares, la roche est mise à nu et l’endroit, tel un cratère est maintenant exclusivement minéral. Puis, l’homme abandonne son œuvre et repart avec ses grands sabots. Comme la nature a horreur du vide, elle va reprendre ses quartiers et réinvestir le lieu. Doucement, progressivement, le travail des espèces Une ancienne carrière devenue un véritable refuge pour la biodiversité. En comparaison avec le paysage environnant, ça détonne ! Et les conditions de vie aussi sont radicalement différentes. Les parois rocheuses et le substrat minéral créent un microclimat plus chaud, plus abrité où l’ombre est rare. Le moindre trou se remplit d’une eau limpide et pauvre en éléments nutritifs ; des trous d’eau de profondeurs variables, plus ou moins temporaires, et qui offrent autant de petits habitats différents. Les éboulis de pierres sont nombreux et constituent les seuls refuges avec les quelques fissures des falaises. Bref, pour la faune et la flore du bocage voisin, ça ne ressemble pas à Byzance. Certes, l’écureuil du bois voisin risque de ne pas y trouver son compte… Mais pour d’autres, c’est une aubaine. La conquête de nouveaux habitats Les premières plantes à s’y risquer sont les pionnières, celles qui vont préparer le terrain pour l’avenir. C’est le travail des mousses et des lichens qui vont former progressivement un début de substrat pour des plantes annuelles qui à leur tour, créeront les conditions d’accueil pour les premières vivaces. Les sécrétions acides des racines et la matière organique de plus en plus présente rendront la roche plus accueillante et des végétaux ligneux à croissance rapide commenceront à s’installer. Pour la faune colonisatrice, ce sont également des espèces au cycle de vie bref qui s’installeront les premières, et particulièrement des animaux de petite taille. Puis, plus la végétation aura pris ses quartiers, plus les habitats proposés enrichiront la diversité faunistique. Plus ou moins longtemps après l’abandon de la carrière, un incroyable écosystème se sera mis en place. Les fronts 10 - Eau & Rivières Juillet 2014 n° 168 © Michel Riou © Michel Riou pionnières peut commencer. Le crapaud calamite, un pionnier qui fréquente les sablières. de taille des sablières abritent des colonies d’hirondelles de rivage et d’abeilles solitaires ; les falaises de roche massive accueillent des oiseaux (faucons, grand corbeau…) qui retrouvent là leur habitat originel. Parmi les éboulis, les reptiles prennent le soleil et les amphibiens trouvent refuge. Dans les eaux limpides, souvent chaudes et dépourvues de poissons, de nombreuses larves se développent : libellules, tritons, crapauds calamites… Ce nouveau monde si hostile au premier regard est devenu une vraie arche de Noé. En fracturant le paysage, l’homme a donc permis à de nombreuses espèces de réaliser leur cycle de vie. Drôle de morale… Haveuse Machine utilisée dans certaines carrières pour creuser des galeries afin d’extraire les matériaux. Végétaux ligneux à croissance rapide Chez nous, ce sont les saules, bouleaux, genêts, ajoncs, bourdaines… Habitats Fuir, pour un nouveau départ L’agriculture intensive et l’urbanisation laissent si peu de place et de répit à la nature et à nos paysages que l’on se retrouve face à ce paradoxe. L’uniformisation semble la règle. Routes – maïs – routes – maïs… Les ruisseaux débordent ? Catastrophe, il faut curer ! Les terres sont humides ? Drainons, remblayons ! Le bocage ? Un frein au développement économique ! Même les boisements ressemblent de plus en plus à des parcs où rien ne doit dépasser. Dans ces conditions, la nature cherche un nouveau monde à coloniser, là où tout repart de zéro. Avant que l’on en vienne à souhaiter des carrières partout, il est donc temps de penser nos paysages et nos modèles économiques d’une autre manière. Cela profitera à la biodiversité, et donc à nous. Alors, soyons les pionniers d’un nouveau monde ! Michel Riou Mares temporaires ou non, pelouses, saulaies, roselières, éboulis rocheux, friches… Un vrai patchwork ! Abandon Même en pleine activité, la carrière est déjà colonisée par certaines espèces.