PLACE DE LA MEDECINE LIBERALE AU MAROC

Transcription

PLACE DE LA MEDECINE LIBERALE AU MAROC
Syndicat National des Médecins
du Secteur Libéral
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Bureau National
PLACE DE LA MEDECINE LIBERALE
AU MAROC
1er Congrès National
Casablanca le 06-07 décembre 2003
1
SOMMAIRE
- INTRODUCTION
- HISTORIQUE
- STATISTIQUES
- PRODUCTIONS DE SOINS
- REGLEMENTATION DE LA PROFESSION ( Code déontologique )
- DIAGNOSTIC DES CAUSES DE LA RECESSION DU SECTEUR
LIBERAL
- Causes internes
- Causes externes
- RECOMMANDATIONS
- CONCLUSIONS
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I - INTRODUCTION
Le fait que le Syndicat National des Médecins du Secteur Libéral se penche sur ce sujet
témoigne de l’importance de la souffrance vécue par les médecins pratiquant dans ce secteur.
La rédaction de ce rapport est une manière de faire une autocritique, en même temps
d’interpeller la population marocaine à travers ses politiciens, ses élus, ses décideurs, et
également de débattre avec les médecins de ce secteur sur le rôle qu’on veut réserver à la
Médecine Libérale dans notre pays.
Le secteur libéral joue un rôle primordial dans la prise en charge de la santé du citoyen,
élément essentiel dans toute politique de développement économique et social du pays. Malgré
cet apport indéniable, ce secteur n’a pas bénéficié d’un code d’investissement capable
d’impulser le progrès de la médecine libérale.
II - HISTORIQUE
Jusqu’à la fin du 19ème siècle, la médecine au Maroc se pratiquait de façon traditionnelle
par des Toubibs guérisseurs qui basaient en grande partie leur pratique sur les plantes
médicinales. Les efforts de ces guérisseurs étaient récompensés moyennant des liquidités ou un
paiement en nature.
La pratique de la médecine publique et privée n’a vu le jour qu’à l’aube du 20ème siècle
avec l’ère du protectorat. La réglementation de la médecine libérale au Maroc trouve son
origine dans le dahir remontant au 12 mai 1914 intéressant la médecine vétérinaire, modifié par
celui du 23 avril 1927. L’ordre des médecins a été institué par le dahir du 1er juillet 1941
groupant praticiens marocains et français. Le dahir de 1927 se voit promulgué par celui du 19
février 1960 s’intéressant aux conditions générales de l’exercice dans le secteur privé des
médecins, pharmaciens, chirurgiens dentistes et sages femmes.
En 1959 sous la présidence effective de feu S.M. Mohamed V, a été organisée la
première conférence annonçant la naissance du système national de la santé se basant sur deux
déclarations :
- La santé de la nation incombe à l’Etat.
- Le ministère de la Santé Publique doit en assurer la conception et la
réalisation.
Au début vers 1956-57, le nombre des installations privées, pour la plupart réalisées par
des médecins étrangers, relayées par les infirmiers marocains formés dans les hôpitaux
assimilés à des médecins intermédiaires, atteignait 500 médecins français et 32 médecins
marocains à l’exception de l’ex zone du Nord, sous protectorat espagnol et la région
internationale de Tanger.
Vers les années 60, les premiers médecins marocains, formés en Europe, optaient pour
le privé. Les lauréats de la faculté de médecine de Rabat ont commencé à sustenter le marché
privé à partir de 65-68, mais le maximum des installations n’a été atteint qu’à partir des années
90.
III - STATISTIQUES
L’augmentation nette des médecins installés dans le secteur libéral est en rapport avec,
d’une part le grand nombre de médecins formés et non recrutés par le ministère de tutelle, ceux
qui quittent la santé publique pour des raisons d’équipement et de rémunération, et d’autre part
les docteurs en médecine de retour de l’étranger. En plus une disproportion s’installe entre les
régions, une diminution dans la capacité de recrutement des cabinets médicaux et des cliniques
ainsi qu’une anarchie dans les dispositions prises pour la lutte contre le phénomène de
fermetures des cabinets et cliniques.
Depuis 1990, l’afflux des prestataires privés n’a cessé de s’accroître dans les grandes
agglomérations groupant généralistes et spécialistes. Le milieu rural se trouve ainsi très
désavantagé par rapport au milieu urbain.
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De même un nombre important de cliniques privées a été construit en améliorant
l’équipement médical se basant sur la nouvelle technologie.
Jusqu’en 1998 ces installations ne dépassaient pas 109. Depuis, leur nombre a plus que
doublé pour totaliser 230 cliniques et dont la capacité atteint plus de 20% des lits
d’hospitalisation au Maroc, en plus de 13 polycliniques de la CNSS, 7 Cliniques Mutualistes, 3
cliniques de l’OCP et 4 appartenant au Croissant Rouge. Il est à noter que les cliniques du
Maroc emploient environ dix milles personnes et ont une capacité de 5500 lits. De leur coté,
les cabinets médicaux privés font survivre un nombre important de familles qui dépasse dix
mille.
Jusqu’à l’année 2002, le nombre de médecins dans le secteur privé représentait 6627
répartis en 3148 spécialistes et 3479 généralistes, celui de la santé publique 5812, celui des
FAR 768, celui des CHU 179. A noter aussi que le nombre des médecins exerçant dans le
« 5ème secteur » représenté par la CNSS, le Croissant Rouge Marocain, les Offices, les
Banques, les Assurances, les Entreprises, les Collectivités locales,…etc., était de 925.
Ces chiffres relatent bien l’importance du secteur privé dans le système de la santé au
Maroc. Cependant la répartition des cabinets et cliniques privés est faite de façon anarchique
ne respectant ni la densité ni le pouvoir d’achat de la population, ce qui leur posent des
problèmes sur le plan financier et rend actuellement le secteur privé de moins en moins
attractif.
Répartition des Médecins par Secteur et par Région
REGIONS
Casablanca
Chaouia, Ouardigha
Doukala, Abda
Fès, Boulmane
Gharb, Chrarda, Béni-Hssen
Guelmim, Es-Semara
Laâyoune, Boujdour, Sakia El Hamra
Marrakech, Tensift, Al Haouz
Meknès, Tafilalet
Oriental
Oued Ed-Dahab, Lagouira
Rabat, Salé, Zemmour, Zaer
Sous Massa, Daraa
Tadla, Azilal
Tanger, Tétouan
Taza, Al Hoceima, Taounate
TOTAL
Secteur Libéral Secteur Publique
2.305
963
230
204
274
213
357
286
329
275
19
106
21
64
385
422
302
406
383
343
2
22
945
1.223
339
389
153
158
468
399
115
239
6.627
5.812
TOTAL
3.267
534
487
643
604
125
85
807
708
726
24
2.168
728
311
867
354
12.439
IV - PRODUCTION DE SOINS
L’évolution rapide des techniques de l’imagerie médicale et de biologie, augmente les
frais d’équipement des cliniques et cabinets, et rend la concurrence plus acharnée, tout-ceci
pour une meilleure prise en charge du patient.
C’est ainsi que dans la majorité des grandes villes le secteur libéral est mieux équipé
que les hôpitaux publics, ce qui lui assure plus d’intérêt de la part de la population nantie. Il en
résulte de cet équipement sophistiqué un endettement lourd, car la demande est faible et les
taxes sont élevées particulièrement la patente.
La crise du secteur privé n’est qu’une partie de la crise générale de la santé au Maroc.
Exercer dans le domaine médical, nécessite non seulement une compétence et une formation
conséquente, mais aussi l’acquisition d’un plateau technique adéquat qui doit être entretenu,
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voire réformé, et remplacé par un matériel répondant aux exigences de l’évolution médicale
avec ses nouvelles inventions et découvertes. Cela nécessite :
- une formation adaptée et continue du médecin et de l’équipe paramédicale pour un
meilleur rendement.
- un local répondant aux réglementations en cours, pour assurer aux patients le
maximum de sécurité et de confort.
Avec cet apport, le secteur libéral réalise une décentralisation de la médecine de pointe
et la rend accessible à la population résidant loin des centres. Cet effort louable de la médecine
libérale doit motiver les responsables à prendre les décisions nécessaires permettant un
soulagement financier et fiscal de ce secteur et encourageant l’investissement et l’emploi.
Le secteur privé contribue donc largement à l’économie sanitaire du pays. Il représente
20% des dépenses et constitue un pilier incontournable de la santé, dans la prise en charge du
citoyen, non seulement par le nombre de patients qu’il draine, la qualité des soins qu’il
prodigue et l’effort permanent dans la lutte contre les différentes sortes de maladies qui entrave
l’activité économique, mais aussi par l’apport incontestable au développement de l’industrie
pharmaceutique et para-pharmaceutique. Il est aussi pourvoyeur d’embauche professionnelle,
aussi bien pour les médecins que pour le personnel paramédical.
Cette noble mission nécessite des investissements lourds, une préparation onéreuse d’un
personnel compétent, un budget d’entretien et un financement coûteux.
Si le budget de fonctionnement du secteur public est assuré par le financement étatique,
le secteur privé ne peut compter que sur ses propres moyens.
L’absence de code d’investissement ne constitue pas uniquement un frein, voire un
facteur de régression, mais aussi rend l’accès aux soins de la population marocaine difficile car
il augmente indéniablement le prix de revient des services qui deviennent dissuasifs en regard
du pouvoir d’achat et d’une assurance maladie ne couvrant que de 15% de la population.
L’ensemble de ces éléments aboutis à une évolution paradoxale de la démographie
médicale privée où on assiste, à un tassement et même une régression en terme d’installations.
V - REGLEMENTATION DE LA PROFESSION ( Code de déontologie )
Il s’agit d’un métier ancien. La multiplication des réglementations régissant le secteur
marque l’intérêt primordial que lui accorde l’Etat.
L’exercice de la médecine privée était subordonné à une autorisation du Secrétaire
Général du Gouvernement après avis du Ministre de la Santé Publique et du Conseil de l’Ordre
National.
Par la suite l’institution ordinale prend de l’importance avec l’augmentation des
praticiens dans le secteur libéral et se réserve essentiellement aux médecins de secteur privé.
Le code de déontologie médicale fut sa préoccupation et une édition est apparue au bulletin
officiel du 19 juin 1953 BO 2121.
En 1965 le nombre de médecins privés atteint 130 médecins marocains sur 436
étrangers. Le décret royal relatif à l’Ordre des médecins N° 801 65 du 11 décembre 1965 est
publié au bulletin officiel sous le N° 2772 du 15 décembre 1965 et abroge l’édition du décret 2
59 0474 du 28 octobre 1959. Ses attributions sont essentiellement d’ordre disciplinaire.
Par Dahir portant loi N°1 du 21 Mars 1984, l’ordre unifié voit le jour, groupant les
secteurs privé, santé publique, militaire et universitaire. Ses taches outre la défense des intérets,
sont aussi d’ordre disciplinaire avec la caractéristique principale de n’être exécutoire que pour
les médecins privés. ( voir code de déontologie)
En 1997 la loi attribue à l’Ordre National le droit de délivrer les autorisations
d’installation et dégage le secrétariat général du gouvernement de cette tache. Il est à noter là
aussi que l’activité disciplinaire reste librement applicable aux médecins privés alors qu’elle
est presque inexécutable pour les médecins dépendant des autres secteurs bien que l’inscription
au tableau de l’ordre soit obligatoire pour tous.
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VI – DIAGNOSTIC DES CAUSES DE LA RECESSION DU SECTEUR
LIBERAL
A - Causes internes :
* La concurrence anarchique entre les confrères du même secteur. (absence de concertation sur
les honoraires, certains font appel à des commissionnaires)
* Etablissement de conventions illégales avec les œuvres sociales des différentes délégations
ou régies.
* Ouverture des structures libérales aux universitaires, alors que le Temps Plein Aménagé n’a
pas été reconduit depuis novembre 2001.
* Non-respect de la réglementation régissant l’exercice de la médecine libérale.
B - Causes externes :
1) Concurrences déloyales par les établissements de l’Etat, les établissements dit de
bienfaisance (Croissant Rouge Marocain), les formations hospitalières de l’ONE de l’ONEP,
Services Médicaux de certaines administrations, des collectivités locales, des régies…etc., les
formations hospitalières de la C.N.S.S. et les hôpitaux privés sans appartenance tel que
l’hôpital Cheikh Zaid Ibn Soultan. Ces derniers :
• ne payent pas d’impôt
• Le terrain leur est souvent octroyé pour une durée de 99 ans moyennant un prix
dérisoire
• Le personnel est payé par l’Etat.
• Exercent sans autorisation officielle au vu et au su de l’Ordre et des autorités.
Comme il a été indiqué plus haut ( BO du 21/09/2000), le nombre de médecins exerçant
dans ces structures s’élève à plus de 925.
2) Absence de cadre d’orientation des investissements dans le secteur privé, selon les
besoins de la population et les possibilités d’amortissement dans les délais prévus par la loi de
finance.
3) L’Etat ne fait pas participer le secteur privé dans la politique générale de la santé comme
elle essaye de le faire avec les autres secteurs.
4) La fiscalité et ses défaillances.
Le médecin est assujetti à un certain nombre d’impôts parfois plus élevés que ceux des
commerçants sans qu’il puisse bénéficier des avantages de ces derniers.
Ainsi il paye 6% du chiffre d’affaires annuel, une patente plus élevée sans distinction
entre les spécialités et en fonction du loyer, IGR, et ne récupère pas la TVA sur le matériel.
Les médecins ne sont pas représentés au sein de la chambre du commerce comme tous
les prestataires de service et de ce fait n’ont pas de représentants au niveau de la deuxième
chambre pour exprimer leur malaise et défendre leurs intérets.
5) La délivrance des médicaments par les officines sans ordonnances.
6) La lutte contre la pratique illégale de la médecine n’est pas à la hauteur des espérances
malgré les réclamations répétées.
7) La privatisation informelle du secteur public soumet la médecine privée à une
concurrence suicidaire en regard du coût des actes médicaux effectués dans chaque secteur.
VII - RECOMMANDATIONS
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Pour assurer à toute la population l’accès permanent et inconditionnel des soins de
qualité et au moindre coût, les pouvoirs publics doivent veiller à réaliser l’équilibre entre la
demande continue du citoyen et l’offre des prestataires disponibles en se fondant sur la
mondialisation des économies et la crise que traverse tous les secteurs et particulièrement celui
de la santé y compris le secteur libéral.
Il en ressort un certain nombre de recommandations
1) Les pouvoirs publics doivent considérer le secteur libéral comme partenaire
incontournable dans la politique sanitaire du pays.
2) Faire participer le secteur libéral aux programmes du ministère de la santé et ceci en
considérant que les cabinets et les cliniques constituent des centres de santé et
d’hospitalisation. Pour cela il faut trouver le cadre juridique et le moyen d’orienter les patients,
soulageant ainsi les hôpitaux, assurant une meilleure qualité de soins et faisant une économie
des dépenses avec encouragement à la création de nouvelles structures libérales.
3) Etablissement d’une carte sanitaire planifiant et régularisant l’implantation
géographique des cabinets médicaux et des cliniques en fonction des besoins et de la capacité
de la population.
4) Orientation des investissements, des plateaux techniques en les soumettant à une
autorisation préalable tenant compte de l’offre existante et de la demande.
5) Encouragement des investissements par la révision des systèmes actuels d’imposition
et de douane.
6) Conférer au médecin du secteur privé les mêmes droits de récupération et
d’exonération accordés aux secteurs inscrits au registre de commerce.
7) La législation médicale doit être révisée pour répondre aux exigences actuelles. Si le
législateur s’est inspiré de l’histoire en matière de l’exercice de la médecine au Maroc, en
accordant à l’Ordre la latitude de viser les autorisations d’exercice de la médecine privée et de
sanctionner le cas échéant, il devra faire le nécessaire pour rendre à cette institution sa
spécificité de ne s’occuper que du secteur libéral.
8) L’Etat doit activer le dossier de la couverture médicale, en l’étendant à d’autres
couches sociales, tout en tenant compte des amendements du corps libéral à ce sujet.
VIII - CONCLUSIONS
La poursuite de la dégradation de la médecine libérale aura pour conséquences :
1) Un désintéressement estudiantin suivi d’un déficit en collectif médical à long terme.
2) Une migration des médecins formés à l’échelle nationale et étrangère, vers les pays
européens et américains qui connaissent déjà un manque important en médecins.
3) L’ensemble de ce rapport incite à se demander quelle destinée sera réservée à la
médecine privée au Maroc ? C’est pourquoi, il est légitime de se poser la question :
La médecine libérale a-t-elle un avenir au Maroc ?
Est ce que nous n’évoluions pas vers une mise à mort programmée ?
Dans l’affirmative, quel sera le prix à payer par la nation ?
4) En terme financier c’est la faillite des entreprises médicales.
5) En terme social c’est le sous-emploi ou carrément le chômage touchant des dizaines
de milliers de personnes et leurs familles.
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6) Que fait-on de ces cadres hautement qualifiés pour lesquels la nation a dépensé des
millions de dirhams et qui seront dans l’impossibilité de se reconvertir ?
7) Quels débouchés pour les milliers de jeunes en formation aujourd’hui dans les
facultés marocaines ou à l’étranger ?
C’est pourquoi, la mise en place d’une politique cohérente en terme d’investissement,
d’imposition et de réglementation de l’exercice médicale, constitue une urgence pour
débloquer une situation plus que préoccupante, voir alarmante.
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