TEXTE 1 : LANCELOT VS MÉLÉAGANT Déjà vainqueur à deux

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TEXTE 1 : LANCELOT VS MÉLÉAGANT Déjà vainqueur à deux
TEXTE 1 : LANCELOT VS MÉLÉAGANT
Déjà vainqueur à deux reprises de Méléagant, à qui il a laissé la vie sauve, Lancelot doit affronter une dernière
fois son ennemi juré qui l'avait emprisonné pour l'empêcher de tenir sa promesse de venir au
combat. . . Lancelot a réussi à s'échapper: c'est donc d'un combat à mort qu'il va s'agir cette fois-ci. . .
Lancelot fond sur Méléagant avec une fureur bien digne de sa haine. Avant de l'attaquer, il lui crie
cependant d'une voix menaçante :
- Venez par là: je vous fais un défi et tenez pour certain que je ne voudrai pas vous épargner.
Il éperonne alors son cheval et retourne en arrière à une portée d'arc pour prendre un peu de distance.
Puis les deux combattants se précipitent l'un sur l'autre au plus grand galop des chevaux.
De leurs lances bientôt ils ont heurté si fort leurs solides boucliers qu'ils les ont transpercés. [. . .] rien
ne put empêcher leur chute : ils tombent de leur selle sur le sol nu. Les chevaux fous de peur errent de tous
côtés; en ruant, en mordant, ils voudraient eux aussi s'entre-tuer.
Les chevaliers jetés au sol se sont bien vite relevés d'un bond. Ils tirent leurs épées où des symboles
sont gravés.
Ils frappent tous les deux si bien sur leurs écus et sur leurs casques d'or que les voilà fendus et bosselés.
Mais Lancelot de plus en plus presse Méléagant : d'un coup puissant il lui tranche le bras droit. En se sentant si
malmené, Méléagant [ . . . ] est presque insensé de rage et de douleur.
Il fond sur l'adversaire en comptant le surprendre. Mais Lancelot se tient sur ses gardes : avec sa bonne
épée, [ . . . ] il le frappe en effet sur sa protection nasale qu'il lui enfonce dans la bouche en lui brisant trois
dents. Dans sa souffrance et sa fureur Méléagant ne peut dire un seul mot. Il ne daigne non plus implorer la
pitié, car son coeur, en mauvais conseiller, l'enferme dans son aveugle orgueil. Son vainqueur vient sur lui : il
délace son heaume et lui tranche la tête. Méléagant ne jouera plus de mauvais tour à Lancelot : le voilà tombé
mort.
Chrétien de Troyes, Le Chevalier de la Charrette, trad. J. Frappier, éd. Champion, 1982.
TEXTE 2 : PERCEVAL VS ANGUINGUERRON
Perceval, après avoir quitté le seigneur qui l’a fait chevalier, arrive au château de Blanchefleur. Le
château est assiégé mais Perceval, par amour pour la jeune fille, se propose de mettre fin au siège. Il sort
affronter Anguinguerron, vassal du chevalier qui assiège Blanchefleur.
Le jeune homme (Perceval) n’apprécie guère ces paroles. Il assujettit fermement sa lance et les voilà
qui s’élancent l’un contre, l’autre sans plus de défi ni de provocation. Ils avaient chacun, bien en main, une
grosse lance de frêne munie d’un fer tranchant et leurs chevaux étaient rapides.
C’étaient de puissants chevaliers, animés l’un pour l’autre d’une haine mortelle. Ils se heurtent, faisant
craquer le bois de leurs écus, qu’ils brisent ainsi que leurs lances. Les voilà tous les deux à terre. Mais bien vite
ils se sont remis en selle et, sans plus de paroles, ils se précipitent l’un contre l’autre, avec plus de férocité que
deux sangliers. Ils échangent de violents coups sur leurs écus et leurs hauberts aux fines mailles, aussi
longtemps que leurs chevaux peuvent les porter.
De colère, de rage, et de toute la force de leurs bras ils mettent en pièce et font voler en éclats le bois
de leurs lances. Seul Anguinguerron fut jeté à bas. Il était blessé et souffrait beaucoup de son bras et de son
côté ; le jeune homme met alors pied à terre, incapable qu’il est de l’attaquer en restant lui-même à cheval. Le
voilà donc descendu. Il tire l’épée et affronte son adversaire. Je ne saurais vous rapporter en détails ce qui
arriva à chacun d’eux ni vous énumérer tous les coups un par un, mais, sachez-le, la bataille dura longtemps et
les coups échangés furent des plus violents, jusqu’au moment où Anguinguerron tomba à terre.
Alors le jeune homme se précipita furieusement sur lui, si bien que l’autre cria grâce, mais il lui
répondit qu’il n’était absolument pas question de faire grâce. Et pourtant lui revient en mémoire le noble
seigneur qui lui avait enjoint de ne pas tuer délibérément un chevalier, dès lors qu’il l’avait surmonté et vaincu.
« Ne soyez pas cruel, mon ami, s’écrie le sénéchal, au point de ma refuser votre grâce. Vous avez été le
meilleur et vous êtes un excellent chevalier. s'il y a un seigneur à qui tu dois quelque chose, envoie-moi à lui.
Je me présenterai de ta part, je lui dirai comment tu m’as surpassé au combat et je me constituerai prisonnier
auprès de lui pour faire tout ce que bon lui semblera.
– Sais-tu bien où tu vas aller ? A ce château. Et tu diras à la belle qui est mon amie que plus jamais de ta vie tu
ne lui causeras de tort : puis tu te livreras à sa merci entièrement et sans aucune réserve. »
Chrétien de Troyes, Perceval le Gallois.
TEXTE 3 : YVAIN VS GAUVAIN
Yvain, vers la fin du roman, doit participer à un tournoi pour défendre la fille cadette du seigneur de
Noire-Épine, déshéritée par sa sœur aînée qui a fait de Gauvain son champion. Lors du tournoi, Yvain et
Gauvain s’affrontent sans connaître leurs identités respectives.
Les chevaliers qui allaient combattre étaient liés depuis longtemps de la plus vive amitié et à ce
moment ils étaient des inconnus l’un pour l’autre.
Les deux champions, ayant pris de l'élan, s’élancèrent. Dès le premier choc, ils brisent leurs grosses
lances de frêne.
Heaumes et écus furent bosselés et fendus, et les lames furent émoussées, car ils frappaient à toute
volée, non pas du plat, mais du tranchant et du pommeau sur les naseaux et sur le cou, sur le front et sur les
joues, leur chair en était bleuie et le sang n'avait pas le temps de sécher sur les meurtrissures.
Ils se dépensent avec un tel acharnement que peu s’en faut que le souffle ne leur manque. […] Leurs
yeux ressemblent à des étincelles, leurs muscles sont puissants et durs, leurs os et leurs poings paraissent
carrés et gros, et ils taillent de l’épée à tour de bras, et s’en donnent à cœur joie.
Ils ont tant peiné que leur armure ne tient plus. Alors ils se tirent un peu en arrière pour reprendre
haleine. Mais leur repos est court, et plus farouchement que jamais ils se courent sus l’un à l’autre.
Ceux qui regardaient la bataille disaient qu’ils n’avaient jamais vu chevaliers de tel courage. Ils
combattirent encore longtemps, si longtemps que le jour déclina vers la nuit. Tous deux avaient le bras fatigué,
leurs corps devenaient douloureux, et le sang bouillant leur sortait de mainte blessure, et coulait par-dessous
le haubert. Ils souffraient terriblement, et sentaient le besoin de se reposer, et chacun pensait, à part soi, qu’il
avait enfin trouvé son pair. Le combat fut suspendu.
Chrétien de Troyes, Yvain ou le chevalier au lion
TEXTE 4 : GAUVAIN VS LE CHEVALIER AU BOUCLIER NOIR ET BLANC
Gauvain fait halte dans une demeure, où il est accueilli par un nain et par la dame du château, dont l’époux,
Marin le Jaloux, est absent. La nuit, le nain va retrouver son seigneur et accuse Gauvain d’avoir séduit sa belle
et jeune épouse : or Gauvain, tout entier à sa quête, avait détourné d’elle ses regards. Au matin, de retour,
Marin le défie, mais par inadvertance il tue sa femme d’un coup de lance destiné à Gauvain. Ayant mis le corps
de la dame à l’abri des bêtes sauvages, Gauvain repart.
Mais voici qu’arrive à toute allure un chevalier qui traverse la forêt comme un ouragan, et qui porte un
bouclier mi-parti blanc et noir.
-Messire Gauvain, s’écrie-t-il, arrêtez-vous ! Je vous lance un défi au nom de Marin le Jaloux, qui par votre
faute a tué sa femme !
- Seigneur chevalier, répond messire Gauvain, j’en suis profondément malheureux, car elle n’avait pas mérité
de mourir.
- A quoi bon ces regrets ? répondit le Chevalier aux Deux Couleurs. Je vous accuse d’être responsable de sa
mort. Si je suis vainqueur, vous serez reconnu coupable, et si c’est vous qui gagnez, le blâme et la honte seront
pour mon seigneur, et c’est de vous qu’il tiendra son château, à condition que vous me laissiez retourner
vivant.
- Je ne vous refuserai pas ce combat, répondit messire Gauvain, car Dieu sait que je suis innocent.[…].
Les deux combattants se précipitent l’un sur l’autre et brisent leurs lances contre les boucliers. Messire
Gauvain heurte le chevalier en le’ dépassant, et il l’abat avec son cheval. Puis, tirant son épée, il revient sur lui.
Le chevalier s’écrie :
- Hé, messire Gauvain, voulez-vous donc me tuer ? Je me rends à vous, car je ne veux pas mourir pour la folie
d’un autre, et j’implore votre pitié.
Messire Gauvain décida de ne lui faire aucun mal, car il était bien obligé d’obéir à son seigneur. Se redressant,
son adversaire tendit ses mains vers lui et, au nom de son seigneur, lui fit l’hommage de sa demeure et de
toute sa terre et se déclara son vassal. Puis il s’éloigna.
Perlesvaus - Le haut conte du Graal
TEXTE 5 ARTHUR ET LE CHEVALIER NOIR
Le roi se dirige rapidement vers son cheval, monte, pend son bouclier à son cou et prend sa lance, puis fait
demi-tour sans attendre. II n’avait pas franchi la distance que parcourt une flèche, qu’il aperçut un chevalier
qui se précipitait sur lui, monté sur un grand cheval noir et portant un bouclier et une lance de même couleur ;
la lance, fort épaisse à sa pointe, brûlait d’un feu terrifiant, et la flamme descendait jusqu’au poing du
chevalier. Celui-ci pointa son arme pour en frapper le roi, mais ce dernier l’évita, et le chevalier le dépassa. Le
roi lui demanda alors :
- Seigneur chevalier, pourquoi me haïssez-vous ? (…)
- Parce que vous avez été en possession du chandelier d’or qui fut indignement dérobé à mon frère.
- Savez-vous donc qui je suis ? demanda le roi.
- Oui, vous êtes le roi Arthur, qui étiez naguère valeureux, et qui êtes à présent indigne ; je vous défie, vous
êtes mon ennemi mortel !
Il recule pour mieux prendre son élan, et le roi comprend qu’il ne, peut éviter le combat. Il abaisse sa lance
quand il voit s’approcher le chevalier avec sa lance en feu ; il éperonne son cheval de toutes ses forces et
frappe le chevalier ; celui-ci le frappe également : le choc est si violent que les lances plient sans rompre, et
qu’ils se déséquilibrent et quittent leurs étriers ; leurs yeux étincellent, et le roi perd son sang par la bouche et
le nez.
Ils s’écartent l’un de l’autre pour reprendre haleine. Le roi regarde la lance du Chevalier Noir qui brûle, et se
demande comment il se fait qu’elle ne se soit pas brisée sous la violence du coup : il pense qu’il a affaire à un
démon. Mais le Chevalier Noir n’a pas l’intention de s’en tenir là :il se précipite sur le roi de tout son élan. Le
voyant venir, le roi se protège de son bouclier, car il craint l’ardeur de la lance enflammée ; il reçoit son adversaire du fer de sa lance, le frappant en pleine poitrine si violemment qu’il le renverse sur la croupe de son
cheval.
Le chevalier, qui était un rude combattant, se rétablit sur ses arçons, et frappa le roi juste sur la bosse de son
bouclier’ ; de sorte que le fer brûlant traversa le bois et la manche du haubert et pénétra dans le bras du roi.
Sous la douleur de la blessure et de la brûlure, le roi fut saisi d’une grande rage ; son adversaire retira sa lance,
et il manifesta une grande joie quand il vit que le roi était blessé. Celui-ci regarda la lance du Che valier Noir et
fut surpris de voir qu’elle ne brûlait plus.
- Seigneur, dit le Chevalier Noir, je vous demande grâce. Jamais ma lance n’aurait cessé de brûler si elle n’avait
été plongée dans votre sang.
- Que Dieu me damne, répond le roi, pas question- de faire grâce alors que je pourrais être vainqueur !
Et, piquant des deux contre son adversaire, il le frappa en pleine poitrine, faisant pénétrer sa lance de la
moitié d’une d'un mètre et le porta à terre, lui et son cheval ; il retira sa lance, contempla son adversaire qui
gisait là, mort ; et, l’abandonnant au milieu de la clairière, il se dirigea vers la sortie.
Perlesvaus - Le haut conte du Graal
Texte 6 Yvain contre Esclados le Roux
À la suite du récit de Calogrenant, le roi Arthur décide de se rendre en forêt de Brocéliande pour affronter et
vaincre le chevalier de la fontaine, Esclados le Roux. Mais Yvain veut accomplir cet exploit seul pour venger
l’honneur de Calogrenant. Il part avant le roi et renverse l’eau de la fontaine merveilleuse sur le perron, ce qui
déclenche une affreuse tempête. Esclados le Roux, le châtelain de l’endroit, attaque Yvain pour le punir des
dégâts provoqués sur ses terres par la tempête. Un combat s’engage entre les deux chevaliers.
Aussitôt qu’ils se furent mutuellement aperçus, les chevaliers se précipitèrent l’un contre l’autre et
montrèrent par leurs actes qu’ils se haïssaient mortellement tous les deux. Chacun a une lance dure et forte et
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ils se donnent de si grands coups qu’ils transpercent tous deux leurs écus suspendus à leurs cous, que leurs
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hauberts se déchirent, que leurs lances se fendent et volent en éclats et que les tronçons sautent en l’air. Ils
s’attaquent à l’épée, et, à force de frapper, ils finissent par couper les courroies des écus et par déchiqueter
entièrement ces derniers, et par-dessus et par-dessous, si bien que les lambeaux en pendent et qu’ils ne
peuvent ni s’en couvrir ni s’en protéger. Ils se frappent de leurs épées étincelantes sur les flancs, sur les bras et
sur les hanches. Férocement, ils s’affrontent, sans jamais bouger de la même position, pas plus que s’ils
étaient deux rochers. Jamais encore deux chevaliers n’avaient été aussi acharnés à hâter leur mort.
Ils n’ont aucune envie de gaspiller leurs coups, car ils les assènent du mieux qu’ils peuvent. Les
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heaumes se cabossent et fléchissent et les mailles des hauberts volent, si bien qu’ils s’ôtent pas mal de sang.
[…] Tous deux ont un si grand courage, qu’à aucun prix l’un n’abandonnerait à l’autre un seul pied de terrain,
s’il ne le blessait à mort. Sur un point précis ils se comportèrent en hommes parfaitement respectueux des
règles : pas un instant, à aucun endroit, ils ne frappèrent ni ne blessèrent leurs chevaux ; ce n’était ni leur
intention, ni leur façon de faire. Mais, continuellement, ils se tinrent à cheval, sans mettre pied à terre une
seule fois ; ainsi le combat en fut-il plus beau.
À la fin, monseigneur Yvain fendit en quatre le heaume du chevalier. Sous l’effet du choc, l’autre fut
ébranlé comme par un coup de tonnerre et vidé de sa force ; il se trouva paralysé. Jamais encore il n’avait
essuyé un coup aussi terrible : notre héros lui avait fendu la tête jusqu’au cerveau, au point que les mailles de
son heaubert brillant étaient teintes de cervelle et de sang. L’autre en ressentit une si grande douleur qu’il s’en
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fallut de peu que son cœur ne lui défaillît . S’il s’enfuit, il ne se mit pas dans son tort, car il se sentait blessé à
mort ; il ne lui servait à rien de se défendre. Se ressaisissant, il s’enfuit aussitôt vers son château à bride
abattue.
1. Écu : bouclier 2. Haubert : cotte de maille 3. Tronçons : morceaux de lance. 4. Heaume : casque d’acier
muni d’un protège-nez en fer. 5. Il s’en fallut de peu que son cœur ne défaillît : il manqua s’évanouir.
TEXTE 7 TRISTAN CONTRE LE DRAGON
Or, un matin, au point du jour, il entendit une voix si épouvantable qu’on eût dit le cri d’un démon.
Jamais il n’avait entendu bête hurler de façon si horrible et si merveilleuse. Il appela une femme qui passait sur
le port :
« Dites-moi, fait-il, dame, d’où vient cette voix que j’ai entendue? ne me le cachez pas.
— Certes, sire, je vous le dirai sans mensonge. Elle vient d’une bête féroce et la plus hideuse qui soit au
monde. Chaque jour, elle descend de sa caverne et s’arrête à l’une des portes de la ville. Nul n’en peut sortir,
nul n’y peut entrer, qu’on n’ait livré au dragon une jeune fille ; et, dès qu’il la tient entre ses griffes, il la dévore
en moins de temps qu’il n’en faut pour dire une prière.
— Dame, dit Tristan, ne vous moquez pas de moi (6), mais dites-moi s’il serait possible à un homme né
de mère de l'éliminer en bataille.
— Certes, beau doux sire, je ne sais ; ce qui est assuré, c’est que vingt chevaliers éprouvés ont déjà tenté
l’aventure ; car le roi d’Irlande a proclamé par voix de héraut (8) qu’il donnerait sa fille Iseut la Blonde à qui
tuerait le monstre ; mais le monstre les a tous dévorés. »
Tristan quitte la femme et retourne vers son navire. Il s’arme en secret, et il eût fait beau voir sortir de la
nef de ces marchands si riche cheval de guerre et si fier chevalier. […] Le monstre approchait. Il avait la tête
d’une guivre, les yeux rouges et tels que des charbons embrasés, deux cornes au front, les oreilles longues et
velues, des griffes de lion, une queue de serpent, le corps écailleux d’un griffon.
Tristan lança contre lui son destrier d’une telle force que, tout hérissé de peur, il bondit pourtant contre
le monstre. La lance de Tristan heurta les écailles et vola en éclats. Aussitôt le preux tire son épée, la lève et
l’assène sur la tête du dragon, mais sans même entamer le cuir. Le monstre a senti l’atteinte, pourtant ; il lance
ses griffes contre l’écu, les y enfonce, et en fait voler les attaches. La poitrine découverte, Tristan le cherche
encore de l’épée, et le frappe sur les flancs d’un coup si violent que l’air en retentit. Vainement : il ne peut le
blesser. Alors, le dragon vomit par les naseaux un double jet de flammes venimeuses : le haubert de Tristan
noircit comme un charbon éteint, son cheval s’abat et meurt. Mais, aussitôt relevé, Tristan enfonce sa bonne
épée dans la gueule du monstre : elle y pénètre toute et lui fend le cœur en deux parts. Le dragon pousse une
dernière fois son cri horrible et meurt.
Tristan lui coupa la langue et la mit dans sa chausse. Puis, tout étourdi par la fumée âcre, il marcha, pour
y boire, vers une eau stagnante qu’il voyait briller à quelque distance. Mais le venin distillé (13) par la langue
du dragon s’échauffa contre son corps, et, dans les hautes herbes qui bordaient le marécage, le héros tomba
inanimé.
Extrait de Tristan et Iseut adapté par Joseph Bédier