Le Yangzi et le Rhône, regards c r o i s é s

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Le Yangzi et le Rhône, regards c r o i s é s
ÉOCARREFOUR
Jean-Paul BRAVARD
LGR,
Université Lumière Lyon 2
CNRS UMR 5600
"Environnement-VilleSociété"
VOL 79 1/2004
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Le Yangzi et le Rhône, regards
croisés
Thierry SANJUAN
Université de Paris 1
Laboratoire PRODIG
Chercheur associé au
Centre Chine (EHESS)
Ce numéro spécial consacré aux fleuves Yangzi et
Rhône est issu d’une collaboration entre l’Institut
de géographie de l’Académie des sciences de
Chine - grâce au truchement du Professeur Cai
Zongxia -, le Centre d’études sur la Chine moderne
et contemporaine de l’EHESS, et le laboratoire
"Environnement, ville et société" de Lyon (CNRS
UMR 5600), avec les soutiens de la Maison des
sciences de l’homme (Paris) et du service culturel
de l’Ambassade de France en Chine.
L’objet de notre projet scientifique a été de
développer collectivement une étude comparative
entre les savoirs chinois et français dans
l’aménagement et la gestion des questions
spécifiques aux régions fluviales.
La volonté d’une maîtrise globale du réseau
hydrographique du Yangzi, grâce à la construction
du barrage des Trois Gorges, s’inspire en effet non
seulement de la nécessaire lutte contre des
inondations toujours meurtrières dans la région
centrale des lacs mais aussi - et surtout - d’une
politique territoriale visant à intégrer la Chine
intérieure à un développement économique
confisqué depuis plus de vingt ans par les régions
littorales. Par ailleurs, la modernisation urbaine en
cours depuis notamment le début des années
1990 en Chine a introduit de nouvelles conceptions
dans les rapports entre les villes du Yangzi et leur
fleuve. Des modèles sont importés, expérimentés,
adoptés ou rejetés, souvent combinés aux
pratiques anciennes.
Le Yangzi, de voie de navigation et d’évacuation
des eaux industrielles ou domestiques, devient
donc un lien intégrateur d’échelle régionale voire
nationale, ainsi qu’un moyen de valorisation de la
modernité urbaine chinoise.
Il ne pouvait dès lors qu’être tentant de confronter
les histoires et les réalités fluviales du Rhône et du
Yangzi. Le décalage temporel de leurs aménagements respectifs, les solutions avancées pour
chacun à différentes échelles, le jeu des acteurs en
présence nous ont amenés à privilégier les
questions de gestion hydraulique, celles des
aménagements régionaux et de leurs impacts sur
les populations, et enfin les relations conceptuelles
et paysagères des villes à leur fleuve.
Thierry Sanjuan s’est ainsi interrogé sur
l’organisation structurelle d’un espace régional en
devenir à partir de l’axe fluvial du Yangzi. Zhang
Lei analyse les logiques économiques à l’œuvre et
la prédominance de l’industrialisation rurale dans
ces terres intérieures de la Chine continentale.
L’auteur plaide pour un renforcement de l’industrie
dans les grandes agglomérations de façon à
ménager l’espace agricole et la capacité de
production pour un développement équilibré.
En lien avec le tableau des ressources en eau de la
Chine dressé par Cai Zongxia, qui montre le
déséquilibre Nord-Sud et décrit le processus de
transfert d’une partie de la ressource du bassin du
Yangzi vers le Nord, Liu Hui développe avec
précision les défis et les projets d’aménagement
hydraulique du bassin moyen du Yangzi. Si les
pertes en vies humaines des dernières décennies
n’ont plus atteint les niveaux enregistrés lors des
grandes crues du milieu du XXe s., les pertes
économiques vont croissant ; selon l’auteur, il faut
y voir la dégradation aggravée des capacités de
réduction des pics de crue traditionnellement
assurée par les grands réservoirs naturels
lacustres. Liu Hui fait ensuite l’inventaire des
mesures préconisées pour réduire l’ampleur du
problème et permettre un développement durable
de la plaine alluviale.
Pour sa part, Florence Padovani compare les
politiques de migrations forcées aujourd’hui dans
la région des Trois Gorges à celles qui les ont
précédées dans la période maoïste ; les conditions
économiques et sociales du déplacement et du
relogement ont fait l’objet d’enquêtes de terrain de
la part de l’auteur.
Franck Scherrer part des pratiques urbaines
françaises dans leur lien à leur fleuve pour
identifier les différents modèles suivis par les
autorités publiques chinoises dans des villes du
delta du Yangzi qui disposent d’un patrimoine
fluvio-lacustre remarquable. Le choix de solutions
fonctionnalistes dans le traitement de la rive
urbaine s’impose partout avec le développement
économique, sans qu’il y ait de modèle unique,
tout en se combinant aux formes du
renouvellement urbain.
Jean-Paul Bravard concentre son analyse sur la
gestion des berges à travers deux exemples :
Chongqing et Lyon. La grande ville chinoise du
moyen Yangzi, en tête du réservoir des Trois
Gorges, s’est préparée à la remontée du fleuve
prévue en 2009 ; une description des rives
reconstruites montre le poids des solutions
technologiques retenues et le profond
changement organisé dans la relation des bas
quartiers au Yangzi et à la Jialing, sans que l’avenir
du système semble pour autant assuré. Ce cas,
unique par l’ampleur du problème posé, contraste
évidemment avec les modalités menues de
l’insertion de la retenue de Pierre-Bénite dans le
tissu urbain de Lyon voici 40 ans.
Les deux articles suivants se focalisent sur le cas
de Lyon. Claire Combe insiste sur les dimensions
spatio-temporelles de la gestion de la crue du
Rhône à l’amont immédiat de la ville, notamment
sur un processus méconnu, celui de la
"vulnérabilisation" de la plaine par l’impact différé
d’une succession d’aménagements hydrauliques
dont la planification n’a pas fait l’objet d’une
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Le Yangzi et le Rhône
coordination suffisante dans un milieu certes
artificialisé, mais resté très dynamique. Pour sa
part, Claire Gérardot analyse le contenu rhétorique
des opérations de retour au fleuve mises en œuvre
par les édiles de Lyon depuis une vingtaine
d’années. Plus que d’un retour au fleuve au sens
désormais classique de l’expression, il s’agit bien
davantage, selon l’auteur, d’une plus vaste
recherche d’identité urbaine reconstruite autour
des cours d’eau.
Enfin Emmanuelle Delahaye s’interroge sur le rôle
que joue le Rhône dans le développement urbain
des villes situées à l’aval de Lyon ; ce rôle serait
somme toute faible, la permanence du risque de
crue n’expliquant pas tout. Reste à savoir si le
Rhône peut être porteur de promesses de
renouvellement urbain pour ces villes ; la question
est posée.
Adresse des auteurs
Jean-Paul Bravard
Université Lumière Lyon 2
L abora to ire de Géog ra phie
Rh oda nie nne, CNRS U M R
5600
6 av en ue Pierre Mend ès France
69600 BRON
E.mail :
[email protected]
Thierry Sanjuan
Université de Paris I
191 rue Saint-Jacques
75005 PARIS
E.mail :
[email protected]