Écouter plutôt que voir

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Écouter plutôt que voir
Écouter plutôt que voir
Homélie de Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont, pour l’ordination épiscopale
de Mgr Crepy.
Frères et Sœurs,
Vous me permettrez de commencer notre méditation, un peu en souriant, par une remarque
qui peut nous emmener plus loin qu’il n’y paraît. En écoutant la proclamation de l’Evangile, à
l’instant, vous avez peut-être pensé à l’adage populaire bien connu : « Moi, je suis comme
Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois. » Cet adage est devenu emblématique de tous
les esprits qui se croient forts et qui font profession de ne jamais s’en laisser conter. Alors, s’il
vous arrive de vous abriter derrière cette formule en apparence définitive, permettez-moi une
simple observation. Si un jour prochain vous voyez un arc-en-ciel, et si vous ne croyez que ce
que vous voyez, vous compterez donc sept couleurs : Violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé,
rouge.
Pourtant, celui qui voudrait s’enfermer dans cette évidence risquerait très vite de se faire
brûler, car il aura oublié l’ultraviolet. Et, chose aussi surprenante, comme nous le savons
aujourd’hui, il risque même de se faire photographier dans la nuit par une caméra. infrarouge.
Les ept couleurs sont plus que sept !
Je ne développe pas davantage : déjà dans l’ordre du monde sensible, la réalité si riche et si
complexe de notre univers nous invite à dépasser ce que voudraient nous imposer les
évidences immédiates. Et ce qui est déjà vrai pour la perception des réalités de l’univers est a
fortiori encore plus vrai lorsque nous entrons dans la complexité des relations
interpersonnelles. Pour connaître quelqu’un, il ne nous suffira jamais de l’observer de
l’extérieur, il faut aussi savoir entendre ce que cette personne peut nous confier de ce qu’elle
vit intérieurement.
Allons encore plus loin : cette supériorité de l’audition sur la vue est encore plus vraie
lorsqu’il s’agit pour nous de réfléchir à la signification de notre existence. L’univers visible
qui nous entoure est-t-il à lui-même sa raison d’être ? Ou bien nous est-il confié par un
Donateur en qui nous pourrions reconnaître la Source de toute vie et le Créateur de toute
existence possible ? Ici, il ne suffira pas de voir et de chercher à voir, il faudra surtout écouter.
Car nous ne pouvons rencontrer ce Dieu, Donateur de tout, que s’il vient à nous et se révèle
lui-même en sa Parole. C’est pourquoi, tout au long de la Bible nous trouvons cette
invitation : « Ecoute Israël, le Seigneur ton Dieu est l’Unique. »
A sa manière, aujourd’hui, Saint Thomas nous invite à faire ce passage : avec lui. Il faut
apprendre à passer de l’évidence, qui juge de l’extérieur, à la confiance, qui permet
d’accueillir la confidence et qui est déjà comme une invitation à la foi. A cet égard, saint
Thomas est un modèle pour notre époque, car nous avons tous à faire ce passage, cette
conversion, de l’évidence de nos vidéos et de nos écrans à la confiance, autrement profonde,
envers une Parole à nous adressée. C’est ici, sans doute, l’un des grands défis apostolique de
notre temps, et l’un des plus grands services que nous puissions rendre à nos contemporains :
inviter à retrouver les chemins de l’intériorité, inviter à retrouver toute la profondeur de
l’expérience spirituelle.
De tous les Apôtres, Thomas est sans doute l’un de ceux qui nous sont les plus fraternels, car
la simplicité de ses questions et l’expression de ses doutes nous le rendent étonnamment
proche. Alors cheminons avec lui. Lui qui voulait voir a su, finalement, entendre. En effet, si
vous avez bien écouté l’Évangile, vous aurez retenu que Saint Thomas ne s’est pas enfermé
dans sa posture première. Il a su aller au-delà de sa fausse assurance. A l’invitation de son
Maître, il a accepté de surmonter ses doutes pour entrer dans la foi.
Alors soyons vraiment disciples de Saint Thomas ; laissons-nous conduire jusqu’à sa
magnifique profession de foi : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». Et sachons lui garder toute
notre gratitude, car c’est lui qui nous a mérité cette si belle béatitude : « Heureux ceux qui
croient sans avoir vu ! »
Cet itinéraire spirituel de l’Apôtre Thomas nous permet d’entrer dans l’intelligence du
mystère que nous célébrons ensemble ici ce soir. L’ordination d’un évêque nous donne à
comprendre ce qu’est la mission première et centrale de l’Eglise : rendre témoignage au
Christ ressuscité. Dans la société qui nous entoure, nous n’avons pas d’autre légitimité que
celle-ci : Comme successeurs des apôtres nous avons été établis pour annoncer la
Résurrection du Seigneur et annoncer de sa part que le Pardon est offert. C’est la même parole
qui retentit parmi nous ce soir, comme elle a retenti à Jérusalem au moment où Jésus a
rencontré ses disciples : « La Paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi
aussi je vous envoie. »
En accueillant ce soir votre nouvel évêque, vous accueillez Celui qui l’a envoyé. Au début de
notre célébration vous avez entendu la lecture de la lettre du Pape François qui a nommé Mgr
Luc Crepy évêque de ce diocèse. Mais à travers cette nomination par le Successeur de Pierre,
à Rome, c’est la grande tradition apostolique qui se continue par le don de l’Esprit-Saint, que
Jésus a envoyé sur ses apôtres, ainsi que nous le rapporte ce soir l’Evangile selon Saint Jean.
C’est pourquoi, dans un instant, nous allons tous ensemble invoquer l’Esprit. Puis viendra un
dialogue solennel au cours duquel votre évêque s’engagera à servir fidèlement le Christ et
l’Eglise, dans la communion du collège épiscopal que le successeur de Pierre garde dans
l’unité. Ensuite nous nous établirons dans la Communion des Saints pour bien signifier que ce
qui s’accomplit se soir s’enracine dans la continuité de la prédication des apôtres et dans le
rayonnement de l’Esprit qui a sanctifié tant d’hommes et de femmes, de génération en
génération, et dans des peuples et des cultures très différents. Puis ce sera l’ordination, par la
grande prière de consécration et l’imposition des mains par tous les évêques présents ce soir.
Ainsi, frères et sœurs, par le ministère de l’évêque qui vous est donné ce soir vous serez
enracinés, en même temps, dans la continuité de la Foi reçue des apôtres et dans l’universalité
de l’Église, aujourd’hui répandue parmi tous les peuples de la Terre.
A bien y réfléchir, il peut paraître étonnant que Jésus ait donné si peu de consignes pratiques à
ses Apôtres. Mais c’est sans doute cela qui fait la force et la fécondité de l’Eglise à travers les
temps. La Mission première reste inchangée : Témoigner, dans la force de l’Esprit-Saint, de la
Résurrection du Christ. Pour le reste, il convient à chaque époque, selon la culture de ce
temps, d’adapter les formes d’organisation concrète que l’Église doit se donner. Vous avez
déjà découvert, mon cher Luc, et vous allez encore découvrir la grande variété des décisions
qu’il vous faudra prendre pour servir l’Église à laquelle vous êtes envoyé aujourd’hui. Il est
probable que la plupart des observateurs de la vie de notre société, et donc aussi de l’Eglise,
ne percevront souvent que cette diversité de vos engagements. Les jeunes qui préparent la
confirmation ne manqueront pas de vous interroger aussi sur ce qui vous apparente à bien des
décideurs sociaux ou culturels, et pourquoi pas politiques. Mais vous, vous n’oublierez
jamais, au milieu de toutes ces sollicitations, que votre ministère trouve sa raison d’être et
son unité profonde dans ce témoignage rendu à la Résurrection du Seigneur. Je crois pouvoir
vous dire que vous aurez à rappeler ceci qui fait la spécificité de notre ministère.
Alors je vous souhaite de faire vôtres, en toutes circonstances, les deux dispositions
spirituelles qui nous ont été rappelées par les deux premières lectures qui ont été proclamées
avant l’Évangile. Gardez vivante en vous la passion de l’Apôtre Paul. Lui qui a dû faire un
long et profond chemin de conversion avant de devenir témoin de l’Évangile, reste à jamais
un modèle à imiter par tous les apôtres et les missionnaires : « Malheur à moi si je
n’annonçais pas l’Evangile ! » Que cette passion vous anime tout au long de votre épiscopat
et qu’elle soit contagieuse pour tout le peuple auquel vous êtes aujourd’hui envoyé. Vous avez
été supérieur de séminaire, vous savez donc à quel point il est important de faire partager cette
passion pour le Christ par les prêtres, les diacres, les séminaristes, les consacrés et tous les
baptisés engagés dans la société civile et dans l’Eglise. Car un évêque seul, sans ces
nombreux collaborateurs, ne peut pas grand-chose. Dans le ministère qui nous est confié, il
faut veiller à ne jamais confondre notre personne et notre fonction, car notre fonction, Dieu
Merci, est bien plus grand que les possibilités d’une seule personne !
Dans votre premier engagement comme prêtre vous aviez choisi de vous mettre à l’école d’un
grand missionnaire, lui aussi passionné de l’Evangile, Saint Jean Eudes : évangélisateur de la
Normandie et de la Bretagne, au XVII siècle, une époque à bien des égards aussi difficile que
la nôtre. Vous ne serez donc pas dérouté par la tâche qui vous est confiée dans ce diocèse du
Velay et dans cette province d’Auvergne. Votre filiation Eudiste vous a rendu sensible à la
dévotion envers Marie, la Mère de notre Sauveur. Vous aurez cette joie profonde d’exercer
votre ministère sous la protection de Notre Dame de France. Et vous aurez aussi la joie, dès
l’an prochain, de vivre le Grand Jubilé du Puy.
Alors, en même temps que vous serez animé par cette passion de l’Évangile, gardez aussi
cette confiance à laquelle nous invite le Prophète Ezéchiel : en dernière instance et quelque
soit le degré d’investissement personnel qui nous est demandé, c’est le Seigneur lui-même
qui, à travers le ministère des uns et des autres, prend soin de son peuple. C’est lui l’unique
Pasteur. Il n’y a pas de contradiction entre ces deux attitudes spirituelles : dans notre
ministère, la passion la plus intense doit se conjuguer au désintéressement le plus profond.
Nous ne sommes pas des mercenaires, mais en même temps ce peuple ne nous appartient pas.
L’unification se fait par la prière. Action de grâces pour ce que le Seigneur nous donne et
intercession pour un peuple en attente. Intercession surtout pour tous ces peuples qui sont nos
frères et qui souffrent cruellement aujourd’hui de violence, d’humiliations, de persécution.
En particulier au Moyen-Orient et en Afrique. Nous ne pouvons pas les oublier, car, dans
notre ministère épiscopal, nous devons aussi porter, comme l’a écrit l’Apôtre Paul, le souci de
toutes les Eglises. Ce souci, nous le porterons avec les évêques du monde entier, dans le
dynamisme du Jubilé de la Miséricorde que le pape François vient d’annoncer.
En ce jour de joie, prions, Frères et Sœurs, par l’intercession de Notre Dame du Puy : Que
Dieu manifeste sa miséricorde en faveur de tout son peuple !