rtl matin - Morrow Sodali

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rtl matin - Morrow Sodali
28 // FINANCE & MARCHES
Lundi 20 octobre 2014 Les Echos
Fondsactivistes: lamenace
serapprochedela France
l Les fonds activistes redoublent d’énergie aux Etats-Unis.
l Leur terrain de jeu devenant étroit, ils pourraient venir chasser en Europe.
GOUVERNANCE
Laurence Boisseau
[email protected]
E-Bay, Yahoo!, Apple, HP, Dupont,
Coca-Cola, PepsiCo, Herbalife : la
listedesgrandsgroupesaméricains
qui sont pris pour cibles par des
fonds activistes ne cesse de s’allonger. Un peu comme si ces derniers
redoublaient d’énergie cette année.
Bill Ackman, Carl Icahn, Nelson
Peltz, Daniel Loeb n’ont pas hésité à
partir au front. Parmi leurs revendications, un changement de stratégie, de gouvernance, ou une autre
allocation des fonds pour toucher
plus de dividendes. Un seul credo :
celui de la création de valeur ou du
rendement. De quoi chahuter fortement les groupes qui tentent de
répondre à l’assaut, et qui bien souvent cèdent en partie ou totalement
aux revendications publiques.
En France, certains groupes
comme Nexans, Danone, EADS,
Safran, Lagardère ou encore Solocal ont eu maille à partir avec certains activistes, américains ou non.
Mais ils ont été jusqu’à présent bien
moins nombreux et la pression a
été nettement moins forte. « Cela
reste encore très confidentiel », commente Louis Barbier, responsable
France pour le cabinet de conseil en
gouvernance Sodali. Y aurait-il une
exception culturelle française ? Les
activistes seraient-ils refoulés aux
frontières ? « Il y a une grande différence entre la structure actionnariale du capitalisme français et celle
des pays anglo-saxons. En France,
des actionnaires, et dans certains cas,
l’Etat, détiennent des blocs d’actions
importants, alors qu’aux Etats-Unis,
le capital est bien plus dispersé »,
commente Armand Grumberg,
associé dans le cabinet d’avocats
Skadden. Cela dit, « la menace se
rapproche », prévient Louis Barbier.
« Les activistes commencent à être
un peu à l’étroit sur leur marché
nord-américain ». Pershing Square,
le fonds spéculatif géré par Bill
Ackman, a levé p our plus de
2,7 milliards de dollars en se faisant
coter sur Euronext Amsterdam.
La crise est passée par là
En France, les premiers cas emblématiques datent de la moitié des
années 2000 avec Valeo, assiégé par
Pardus et Centaurus, puis Accor
avec Pardus puis Colony Capital et
Euraezo. Suez a été chahuté aussi
avant la fusion avec GDF. Depuis, la
crise financière est passée par là.
Elle a tiré les valorisations vers le
bas et a créé l’opportunité pour certains d’émettre des critiques sur la
gestion. Petit à petit, la France a
adopté de meilleures pratiques de
gouvernance, en vue d’aligner les
rémunérations des dirigeants avec
les performances. Le « Say on Pay »
(vote consultatif des actionnaires
En France,
certains groupes
comme Nexans,
Danone, EADS, Safran,
Lagardère ou encore
Solocal ont eu maille
à partir avec certains
activistes, américains
ou non.
sur les rémunérations des dirigeants) a été introduit il y a seulement un an. « Pour sa première
année d’application, le “Say on Pay”
n’a pas donné lieu à un mouvement
de contestation important, mais les
choses pourraient évoluer lors des
assemblées générales de 2015 », note
Pascal Bine, associé chez Skadden.
Là encore, cela crée des sujets
propices à contestation. Un prétexte utilisé par des activistes
(comme tous les sujets de gouvernance) pour engager une campagne.Lesrapportsentredirigeantset
actionnaires évoluent du coup et le
dialogue se renforce. Enfin,
« comme les fonds des activistes
dégagent des rendements élevés, dont
au final tous les actionnaires bénéficient, ils attirent de plus en plus
d’investisseurs, ont plus de moyens à
leur disposition et la crédibilité pour
frapper fort », explique Louis
Barbier. n
Cesgroupes sous la pression desfonds
Récemment, les dernières campagnes ont démontré l’emprise de
quelques activistes américains sur
les cours de Bourse ou la stratégie
de certaines entreprises. En France,
Nexans, qui a fait face aux attaques
du fonds Amber, a cédé en partie
aux revendications de l’activiste
APPLE, EBAY, HERTZ :
•L’AURA
DE CARL ICAHN
Par un simple tweet, Carl Icahn a
© Elodie Grégoire
Par un simple tweet, Carl
Icahn a fait grimper le
cours de Bourse d’Apple.
En France, les activistes ont
moins de prise, mais Nexans
fait figure d’exception.
#RTLbouge
fait grimper le cours d’Apple de
plus de 2 % mercredi 8 octobre. Il
s’était alors contenté d’indiquer
qu’il allait écrire au PDG, Tim Cook.
Depuis, il a exhorté le conseil
d’administration de la firme à la
pomme à accélérer ses rachats
d’actions, persistant dans la stratégie qu’il a mise en place depuis l’été
2013 quand il est entré par surprise
au capital du groupe. Tour à tour
amical puis menaçant avec Cook, il
a eu en partie ce qu’il voulait puisque le conseil d’administration a
voté une augmentation de ce programme au printemps, le faisant
passer de 60 à 90 milliards de dollars. Sans compter sur le split
qui a tiré les cours ces dernières
semaines.
Ce n’est pas le seul fait d’armes de
Carl Icahn cette année. Fin septembre, il a réussi à faire céder la direction d’eBay, pourtant opposée à une
scission de PayPal, son système de
paiement électronique. Hertz lui a
égalementofferttroissiègesauconseil d’administration. Carl Icahn
avait dévoilé fin août une participation de 8,48 % dans le loueur de voitures américain.
Le cours d’Apple a grimpé de
plus de 2 % mercredi 8 octobre.
Photo Thimothy A.ClaryAFP
DE WARREN BUFFETT
CALVI 7H-9H30
RTL MATIN
NEXANS : L’EXCEPTION
•FRANÇAISE
LENGLET 7H40
FRANÇOIS 7H00 & 8H35
GERRA 8H40
RTL.fr
Le cas est exceptionnel pour le capitalisme français. Chez le fabricant
de câbles, ancienne filiale d’Alcatel,
les fonds activistes ont fait plier la
direction. Pendant des mois, ces
derniers, emmenés par le fonds britannique Amber, ont réclamé que
les fonctions de président et de
directeur général soient dissociées,
et que le PDG Frédéric Vincent soit
écarté de la gestion quotidienne en
raison des résultats médiocres. A
l’assemblée générale, en mai dernier, les activistes ont obtenu un
Lettres aux actionnaires,
blog, réseaux sociaux :
pour gagner la partie,
tous les moyens sont bons.
Un activiste essaie surtout de fédérer, de rassembler autour de lui. « Il
n’a plus rien à voir avec un solitaire
qui agirait de manière “barbare”. Au
contraire, son intervention correspond à une technique très méthodique, extrêmement bien rodée, et qui
tourne très vite à la bataille médiatique », explique Jérôme Biscay, associé et responsable France chez
Brunswick, cabinet de conseil en
communication.
Exemple type, dans le cas de la
guerre que Carl Icahn a menée contre la direction d’eBay, le milliardaire a employé les grands moyens.
Outre les lettres envoyées aux
actionnaires, il a dénoncé des failles
dans la gouvernance d’entreprise et
invoqué un conflit d’intérêts de la
part de deux administrateurs. De
son côté, la direction a pris le problème à bras-le-corps. Elle a usé des
mêmes armes, répondant point par
p o i n t a u x a rg u m e n t s d e s o n
ennemi et en rendant cette information accessible facilement sur le
site Internet. Le « business model »
d’eBay est devenu un débat de fond.
Jeff Weiner, patron de LinkedIn, a
pris position, assurant qu’eBay et
PayPal étaient mieux ensemble que
séparés.
La France n’a pas encore
pris la mesure du problème
: LE POUVOIR
•DECOCA-COLA
L’ABSTENTION
Coca-Cola ne distribuera pas les
13 milliards de dollars à ses cadres
dirigeants. Simplement, parce que
Warren Buffett s’est abstenu de
voter le plan de stock-options du
géant d’Atlanta. Le management en
a tiré les leçons. Et a révisé en baisse
ce plan qualifié d’« excessif ». L’Oracle d’Omaha n’avait pas voté contre
lors de l’assemblée générale, car il
ne voulait pas adresser un signal
négatif au marché et entrer en
guerre avec la société. Warren Buffett et Coca-Cola ont une longue histoire d’amour. Pas seulement parce
que le cherry coke est sa boisson
favorite : le milliardaire a investi
dans le géant du soda dès 1988.
Une
communication
deplusenplus
sophistiquée
Chez le fabricant de câbles
Nexans, les fonds activistes ont
fait plier la direction. Photo AFP
changement de gouvernance. Frédéric Vincent est devenu président,
et Arnaud Poupart-Lafarge, directeur général.
LAGARDÈRE : WYSER•PRATTE
REPARTI BREDOUILLE
C’est l’exemple d’un activiste qui n’a
pas réussi à se faire élire au conseil
de sur veillance du groupe de
médias et de défense. L’actionnaire
activiste franco-américain Guy
Wyser-Pratte pensait convaincre le
groupe à engager un programme
de cessions d’actifs et ainsi limiter
l’effet conglomérat. Il avait aussi
laissé entendre qu’un changement
de direction, où Arnaud Lagardère
laisserait un nouveau directeur
général prendre les commandes,
pourrait être envisagé. Enfin, il voulait abroger les statuts de société en
commandite, ce qui rendrait le
groupe opéable et lui apporterait
un nouvel intérêt spéculatif. Il
n’avait aucune chance d’aboutir à
ses fins, car les statuts garantissent
à Arnaud Lagardère un contrôle
absolu de son groupe, avec 9,6 % du
capital.— L. Boi.
En France, les activistes sont
moins agressifs. Attaquer frontalement de manière ouverte la
direction n’est pas bien perçu. Les
critiques sont faites de manière
plus feutrée. De leur côté, les entreprises n’ont pas forcément pris
encore conscience de la menace
des fonds activistes. De fait, fin
2012 quand le fonds américain
Trian, fondé par l’investisseur activiste Nelson Peltz, a pris une participation chez Danone, il n’a pas
remis fondamentalement en
cause la stratégie de Franck
Riboud. Son fonds n’a pas critiqué
l’action de la direction générale – il
l’a même salué. Ce qu’il a demandé,
en revanche, c’est une plus forte
réduction des coûts, une approche
plus équilibrée entre croissance
du chiffre d’affaires et résultat net
et la fin des acquisitions dilutives
pour les actionnaires.
Exception culturelle oblige, les
entreprises françaises ont tendance à repousser au lendemain le
dialogue avec ces trouble-fête et à
vouloir régler les problèmes en
assemblée générale. « Car échanger avec les activistes n’a rien d’inné
et demande de repenser les approches. Un réflexe qu’elles vont devoir
acquérir car, de plus en plus, tout se
joue en quelques jours. Ce qui fait la
différence, c’est la réactivité, avoir
des circuits de décision extrêmement rapides », commente Jérôme
Biscay. — L. Boi.