Vibration et légèretés des passerelles La recherche de légèreté

Transcription

Vibration et légèretés des passerelles La recherche de légèreté
Mémoire de master
Janvier 2012
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
Directeurs de mémoire
Jean-François Blassel
Guillemette Morel-Journel
Vibration et légèretés des passerelles
La recherche de légèreté visuelle
peut-elle être en accord avec la
légèreté quantitative ,fondement de
l’art de l’ingénieur ?
Ec
ol
e
d'
ar
ch
Dorra Bchaier
Dorra Bchaier
Ec
ol
e
d'
ar
ch
ne
-la
-V
a
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
Directeurs de mémoire
Jean-François Blassel
Guillemette Morel-Journel
llé
e
Mémoire de master
Matières à penser
Janvier 2012
Introduction
3
Vibration des passerelles piétonnes : une défaillance liée à la notion de
légèreté?
1.1
Origines physiques du comportement dynamique
1.2
Révélation de la défaillance :
-Passerelle Solférino
-Passerelle du Millénium
1.3
L’impact de la légèreté apparente sur la perception de la vibration des
passerelles
1.4
Les solutions à adopter pour satisfaire le critère de confort
2.
Amélioration du comportement dynamique: une stratégie d’optimisation
de la structure préservant ses qualités de légèretés?
2.1
Modifications de la structure et impact sur la recherche de légèreté apparente
-Modification de la Masse
-Modification des fréquences naturelles
2.2
Légèretés des passerelles caténaires de Schlaich: La passerelle du Nord
2.3
Stratégie d’intégration: une réponse viable dans la quête de grandes portées?
3
Amortisseurs: une machine en réponse à une quête esthétique de légèreté?
3.1
Une machine, une fonction
3.2
La technique des amortisseurs: un poids dans la conception
-Impact sur le dimensionnement
-Impact sur la conception de la structure: La passerelle Simone de Beauvoir
3.3
Impact visuel des amortisseurs: recherche d’effacement de la machine
4
La quête de légèreté apparente et l’éthique des ingénieurs
4.1
Une légèreté apparente en contradiction avec l’art de l’ingénieur:
-Le Millenium Bridge: légèreté apparente et massivité immergée
4.2
Conception des passerelles: Art structurel ou Architecture
Ec
ol
e
d'
ar
ch
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
1.
La recherche d’un idéal de légèreté inaccessible?
Choix de parti ou compromis
5
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
Introduction
Le début du 21ème siècle fut marqué, dans le monde de l’ingénierie et de l’architecture,
par la révélation du phénomène des vibrations horizontales des passerelles lié à la
marche des piétons. Deux passerelles ont fait émerger ce comportement dynamique
lors de leur inauguration: la passerelle Solférino, à Paris, en décembre 1999 et la
passerelle du Millénium, à Londres, en juin 2000. En effet, lors de leur inauguration,
ces passerelles se sont mises à vibrer de façon spectaculaire affectant le confort des
piétons. Ces vibrations furent filmées et ces événements furent très largement
médiatisés.
Les passerelles sont des ouvrages d’art subissant des chargements dynamiques
engendrés par le vent, le séisme, mais aussi par les piétons qu’elles portent. Au vue
de l’allongement de leur portée, leur souplesse et leur légèreté, les passerelles
modernes sont de plus en plus sensibles à ces comportements dynamiques et
depuis le début du 21ème siècle, le comportement des passerelles sous l’action des
piétons ne peut plus être ignoré et est le sujet de nombreux ouvrages et
conférences.
Ec
ol
e
d'
ar
ch
La vibration horizontale des passerelles sous les charges piétonnes est un
phénomène intimement lié à la conception même de la passerelle et notamment à
sa légèreté. Pour les passerelles modernes, la quête effrénée de légèreté serait une
des causes de l’augmentation de leur sensibilité aux chargements dynamiques des
piétons.
La notion de légèreté est une notion complexe qui peut être définit de plusieurs
manières. Principalement, on utilise ce terme pour qualifier un objet qui a peu de
poids par rapport à un ensemble d’objets de poids comparables. Un objet léger
peu également être un objet qui se déplace facilement : on retrouve alors la notion
de mouvement qui est au cœur du phénomène de vibration des passerelles.
De plus, cette notion peut ramener à une appréhension plus sensible, caractérisant
un objet qui donne une impression de grâce, d’élan et de finesse.
Ainsi, la légèreté qui est une notion clef dans le phénomène de vibration des
passerelles piétonnes peut avoir deux types de traductions que l’on peut appeler «
ne
-la
-V
a
Les passerelles étant des ouvrages d’art, elles sont en ce sens des constructions
particulières car la structure y tient une place fondamentale, elle représente une
part importante de la masse et du coût de l’ouvrage. La conception de ces structures
fait partie du domaine de l’ingénierie et est étroitement liée à la recherche d’une
économie de matière pour produire un ouvrage léger quantitativement, efficace et
à des coûts raisonnables.
llé
e
légèreté quantitative » et « légèreté apparente ».
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
Mais la particularité de ces ouvrages est dans la forte attention esthétique qui leur
est apportée. En effet, les passerelles contrairement aux ponts, sont des ouvrages
traversés, touchés et regardés par les piétons se déplaçant lentement. Cela signifie
qu’ «elles sont plus directement expérimentées que les ponts routiers et ferroviaires,
ce qui influence certainement leur conception dans son ensemble et encore plus
en détail. Elles doivent être à une échelle humaine.» «Elles ne connectent pas
nécessairement deux points par une ligne droite comme la majorité des ouvrages
d’arts de franchissements routiers et offrent de multitudes de possibilités pour
échapper à l’unidimensionnalité. Les piétons peuvent expérimenter les passerelles
d’un pas lent en profitant du paysage qui peut être présenté différemment selon le
parcours de la passerelle.»1 Ces ouvrages ont une dimension événementielle et
monumentale par leurs impacts sur le territoire. Tout ceci, implique l’importance
de l’aspect esthétique de ces ouvrages et la nécessité d’une appréhension
architecturale lors de leur conception.
Ec
ol
e
d'
ar
ch
Ainsi, elles « naissent » d’une interaction particulière entre architectes et ingénieurs
et d’une tension entre une quête d’une apparence de légèreté et d’une légèreté
quantitative. On peut se demander si, lors de la conception de passerelles piétonnes,
la recherche effrénée de légèreté visuelle, au regard de la nécessité de contrôle des
vibrations horizontales, peut être en accord avec une légèreté quantitative
(économie de matière et de moyens) qui est une des bases de l’art de l’ingénieur.
Pour répondre à cette question, nous allons commencer par analyser le rapport
existant entre les différentes acceptions de la notion de légèreté et l’émergence du
phénomène de vibration des passerelles. Nous nous appuierons pour cela sur
l’analyse des passerelles à l’origine de la révélation de ce phénomène: la passerelle
Solférino et la passerelle du Millénium.
Nous étudierons ensuite les différentes stratégies proposées par les nouveaux
guides de conception des passerelles en essayant de comprendre ce qu’elles
peuvent apporter à la quête de légèretés. En effet, on distinguera deux approches.
1 «Footbridges are walked upon, touched and looked at by the slow moving pedestrian. This
means that they are more directly experienced than road and railroad bridges, a fact that
certainly influences their design as a whole and even more so in detail. They must be on a
human scale.
In comparison to road bridges (and, to a larger extent, railroad bridges), which must
usually connect two points in the most direct way, footbridges offer a multitude of
possibilities to escape this one-dimensionality. Pedestrian ‘desire lines’ can be reflected in the
design and heavily influence the layout of the bridge. Guidelines for the design of footbridges.»
Volume 32 de Bulletin, Fédération international du Béton, FIB, 2005
Ec
ol
e
d'
ar
ch
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
La première s’appuie sur l’adaptation de la structure pour palier les vibrations
horizontales. Cette approche, illustrée par la conception de la passerelle du Nord
de Schlaich Bergmann & Partners, est-elle en accord avec la quête de légèreté
apparente et quantitative ou se traduit-elle par un sur-dimensionnement de
l’ouvrage?
La deuxième stratégie consiste à mettre en place une machine permettant
d’absorber les vibrations excessives de la structure, les amortisseurs. Cette
technique à t-elle un impact sur le dimensionnement, la conception et l’apparence
de légèreté de la passerelle? Pour répondre à cette question, nous étudierons la
passerelle Simone de Beauvoir de Dietmar Feichtinger et RFR, pour laquelle la
nécessité d’intégrer d’ajouter amortisseurs fut intégrée dès les premières étapes de
la conception.
Enfin, nous essayerons de comprendre si la quête de légèreté architecturale peut
être en accord avec l’art structurel de l’ingénieur de l’économie de matière. Nous
regarderons notamment la passerelle du Millenium en essayant de comprendre si
les moyens mis en oeuvre pour produire l’impression de légèreté sont en accord
avec une démarche d’économie de matière.
llé
e
7
9
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
1. Vibration des passerelles piétonnes : une
défaillance liée à la notion de légèreté?
1.1Origines physiques de la défaillance
Ec
ol
e
d'
ar
ch
«Ces dernières années ont vu apparaître une tendance croissante vers la construction
de passerelles piétonnes légères. En raison de la masse réduite de ces structures,
les forces dynamiques peuvent provoquer de plus grandes amplitudes de
vibration.»1
La vibration des passerelles peut affecter l’aptitude au service de la structure car
elle peut avoir des effets négatifs sur le confort des piétons. A ce titre, on peut
qualifier ce comportement inattendu de défaillance et il convient de chercher une
solution pour l’éviter tout en préservant les qualités de légèretés esthétique et
économique (quantité de matière) des passerelles.
Il y a plusieurs effets qui peuvent être à l’origine de l’ oscillation des passerelles mais
le plus important est celui causé par la marche des piétons. Des vibrations excessives
peuvent être causées par la résonance entre les pas des piétons et une des
fréquences naturelles de la structure.
Chaque passerelle a plusieurs fréquences selon les modes de vibration et «si le
rythme de la marche [des piétons] concorde avec une fréquence propre de
l’ouvrage, ce dernier entre en résonance : les oscillations s’amplifient et peuvent
atteindre des niveaux importants.»2
Les facteurs déterminant la réponse dynamique sont les fréquences propres de la
structure, sa masse, la proportion d’amortissement et les charges piétonnes.
Les passerelles légères, ont une faible masse ce qui réduit l’inertie et abaisse les
fréquences propres entraînant l’augmentation du risque de résonances. De plus
les fréquences propres sont également définies par la rigidité de la structure. En
effet, la valeur des fréquences propres est: F= (1/2π).√(K/M) où K est la rigidité
modale et M la masse modale. Ainsi, plus la raideur horizontale diminue plus les
fréquences sont basses. Ceci est le cas des passerelles modernes pour lesquelles
l’amélioration des matériaux de construction et la recherche de légèreté apparente
1 Contrôle vibratoire des passerelles piétonnes: Guide de dimensionnement, Human induced
Vibrations of Steel Structures (HIVOSS), Page 6
2 Bulletin de liaison diffusé par le Centre des Techniques d’Ouvrages d’Art du Service d’Études
Techniques des Routes et Autoroutes (SETRA), N° 32, page 26
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
10
3
ch
(Tableau issu de Experimental determination of dynamic properties of footbridges,
Ec
ol
e
d'
ar
Millpress, G. Sedlacek & C. Butz, 2005)
1-Rapport entre la masse du tablier et son accélération:
Un tablier léger se déplace plus qu’un tablier lourd
Rapport entre la portée du tablier et la fréquence
naturelle: Plus a portée augmente plus la fréquence
baisse.
(Ces diagrammes sont issus du guide de dimensionnement
HIVOSS)
2- Passerelle Solférino: un arc fin et léger sur la Seine
3-Propriétés modales de la passerelle Solférino avant
l’ajout d’amortisseurs
Les fréquences sont dans les gammes de fréquences
critiques pouvant coïncider avec la fréquence de
la marche des piétons
1
2
ne
-la
-V
a
ont conduit à des portées de plus en plus grandes et donc une diminution de la
rigidité.
L’amortissement intrinsèque de la passerelle a également une grande importance.
En effet, lorsque la structure entre en résonance avec les pas des piétons, l’énergie
produite par ses oscillations peut être dissipée par son amortissement intrinsèque
notamment par la friction des matériaux qui la composent. Or, les structures du
génie civil et notamment les passerelles, ont normalement un amortissement
faible car l’amortissement vient, en grande partie, des éléments non structurels qui
sont infimes dans de tels ouvrages.
llé
e
11
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
Ainsi, la conception de passerelles piétonnes de plus en plus légères quantitativement
(masse) et visuellement ( finesse, grandes portée) entraîne des conditions favorable
à cette défaillance qui a émergée au début du 21ème siècle.
1.2Révélation de la défaillance
Ec
ol
e
d'
ar
ch
«Bien que les années 1999-2000 marquent le début des préoccupations pour ces
problèmes dynamiques des passerelle, les phénomènes étaient bien connus depuis
de nombreuses années. [...]Autant les phénomènes verticaux arrivent assez bien à
être appréhender, autant l’influence de la composante transversale de la marche
était nettement moins bien connue.» 3
Ce phénomène de vibration horizontale des passerelles piétonnes a pris une toute
autre importance à la fin du 20ème siècle, à Paris lors de l’inauguration de la
passerelle Solférino (ou Léopold-Sédar-Senghor), le 15 décembre 1999. Elle s’est
alors mise à osciller sous le passage d’une foule de piétons. Les vibrations
inquiétantes observées ont conduit à sa fermeture et cet événement à connu un
retentissement médiatique important à l’époque.
Cette passerelle, conçue par l’ingénieur architecte Marc Mimram, est représentative
de la quête de légèreté des passerelle modernes. « Il ne s’agit pas ici d’un pont mais
d’une passerelle pour laquelle légèreté et transparence doivent révéler l’usage et
l’aisance du franchissement. La passerelle s’ouvre sur ces transparences, ces vides
raidis par les éléments structuraux hiérarchisés. Elle autorise les vues, le cadrage,
l’ouverture sur l’eau, le ciel et sur la géographie du lieu.»4 Ainsi, la recherche d’une
apparence de légèreté a été une notion fondatrice lors de sa conception.
La structure de cette passerelle en arc de 102m de portée est constituée de 900
tonnes d’acier et d’un platelage en bois de 120 tonnes soit une masse approximative
de 790Kg/m.
Quelques mois plus tard, le 10 juin 2000, une passerelle londonienne a connu le
même phénomène. La passerelle du Millénium est entrée en vibration, le jour de
son inauguration, lors d’une fréquentation très importante (de l’ordre de 2 piétons/
m²). De la même manière que l’a été le pont de Tacoma, les vibrations de la
passerelle du Millénium ont fait l’objet de films très impressionnants.
3 2010, Bulletin des ouvrages métalliques numéro 6, Construire Acier, Page 9
4 Dossier de presse pavillon de l’Arsenal, cycle de conférences «un architecte, un bâtiment,
conférence de Marc Mimram
2
(Tableau issu de Experimental determination of dynamic properties of footbridges,
Millpress, G. Sedlacek & C. Butz, 2005)
Ec
ol
e
d'
ar
ch
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
12
1- La passerelle du Millénium: Une lame mince
connectant les deux rives du Thames
2-Propriétés modales de la passerelle du Millénium
avant l’ajout d’amortisseurs
Les fréquences sont dans les gammes de fréquences
critiques pouvant coïncider avec la fréquence de la
marche des piétons
1
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
La passerelle du Millénium a été conçue par une équipe composée des architectes
de Foster & Partners, des ingénieurs d’Ove Arup et du sculpteur Sir Anthony Caro.
La passerelle a été pensée comme « la façon minimale de fournir une connexion
entre les deux rives du Thames »5. Elle franchit 333m avec une portée maximale au
centre de 144m. De chaque côté du tablier, un groupe de quatre câbles, accrochés
à deux piliers en forme de Y, traversent la rivière pour former un pont suspendu où
les câbles de suspensions sont le plus possible au niveau du tablier pour libérer la
vue. Pour Foster, alors que le concept de base est celui d’un pont suspendu,
l’objectif était de pousser les expérimentations techniques aussi loin que possible
pour créer une passerelle au profil unique dont la finesse donne l’impression d’une
lame mince à travers le Thames.
Le tablier en aluminium est donc d’une grande finesse et légèreté mais le fait de
descendre le niveau des câbles génère des forces très importantes au niveau des
appuis nécessitant la construction de piles et d’ancrages conséquents. Le tablier en
aluminium est léger mais les câbles et leurs pinces sont lourds. Ainsi, le tablier pèse
environ 500kg/m² dont la moitié correspond au poids des câbles et des pinces.
Pour ces deux grandes passerelles, le phénomène a été similaire avec des
fréquences du même ordre de grandeur pour des mêmes types de modes (cf
tableau de fréquences). Mais ce comportement reste exceptionnel car il est lié à la
présence d’un nombre important de piétons au même moment sur les passerelles.
Pour les passerelles Solférino et du Millénium, leur implantation sur un site
fréquenté et le retentissement de leur vibration le jour de leur inauguration ont
donné une importance considérable à ce phénomène et à la recherche d’une
solution.
Des recherches ont été menées en France et en Angleterre pour définir des étapes
de conception et de dimensionnement des passerelles prenant en compte les
charges dynamiques et publiées dans divers guides de conception. Ces recherches
ont également permis de définir des normes publiées dans le SETRA et intégrées
dans les Eurocodes. Ces normes définissent des gammes de fréquences admissibles
et des critères de confort liés à la localisation et à la fréquentation des passerelles.
llé
e
13
Ec
ol
e
d'
ar
ch
1.3 L’impact de la légèreté apparente sur la perception de la vibration des
passerelles
« Les critères concernant le confort des piétons sont le plus souvent représentés
comme l’accélération limite pour la passerelle. Les normes nationales et
internationales, ainsi que la littérature, proposent des valeurs limites qui diffèrent
entre elles pour plusieurs raisons. Néanmoins, la majorité de ces valeurs coïncident
dans une certaine fourchette.»6
Cependant, le critère de confort est difficile à déterminer car il est subjectif. En effet,
il est lié à la perception des vibrations par les usagers de la passerelle et chaque
5 «The Millennium Bridge is conceived as a ‘minimal’ way of providing a connection between
the two banks of the Thames.», Stabilising the London Millennium Bridge, Ingenia, Tony
Fitzpatrick FREng and Roger Ridsdill Smith, Page 18
6 Contrôle vibratoire des passerelles piétonnes: Guide de dimensionnement, Human induced
Vibrations of Steel Structures (HIVOSS), Page 11
Passerelle Wachtelsteg
Passerelle Kochenhofsteg
fréquences
2.02
3.40
5.93
6.13
7.42
8.23
2.23
3.57
9.33
Modes
1ème flexion 2ème flexion 3ème flexion 4ème flexion 5ème flexion 6ème flexion 1ème torsion 2ème torsion 3èmetorsion Fréquences
1.00
1.187
1.962
2.99
4.279
5.823
2.573
4.077
6.299
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
Modes 2ème flexion 3ème flexion
4ème flexion
3ème torsion 5ème flexion 6ème flexion
1ème torsion 2ème torsion 4ème torsion ne
-la
-V
a
llé
e
14
Pas dérangeant
Dérangeant
Dérangeant
Amusant
Amusant
d'
ar
ch
Pas dérangeant
1-Fréquences naturelles des passerelles Wachtelsteg et
Kochenhofsteg
Ces passerelles ont des propriétés dynamiques
semblables
e
ol
Ec
1
(Enquête issue du guide de dimensionnement HIVOSS)
2-Enquête sur la perception des vibrations
Des apparences différentes induisant des perceptions
distinctes des vibrations par les piétons. Les piétons
sont plus dérangés par les vibrations de la passerelle
Kochenhofsteg, qui semble plus robuste que la
passerelle Wachtelsteg. Ceci montre la subjectivité de
la perception des vibrations.
2
Ec
ol
e
d'
ar
ch
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
personne ressent différemment ce qui l’entoure en fonction de son état, de l’endroit
où il se trouve et de la façon dont il perçoit l’ouvrage.
Ceci a été analysé par une enquête réalisée sur la perception de vibrations de deux
passerelles ayant des propriétés dynamiques semblables mais d’apparences très
différentes : la Passerelle Wachtelsteg à Pforzheim en Allemagne et la Passerelle
Kochenhofsteg à Stuttgart. Cette étude à été publiée dans le guide de
dimensionnement HIVOSS.
La passerelle Wachtelsteg traverse la rivière Nagold. Elle relie la zone résidentielle
environnante au centre ville de Pforzheim. C’est une passerelle suspendue à deux
arcs avec un tablier de 42m de long et 3.5m de large suspendue par des câbles
verticaux placés tous les 4.7m.
Une étude des fréquences naturelles de la passerelle montre qu’elle est
principalement excitée par les piétons dans le mode de deuxième flexion avec une
fréquence de 2.02Hz (cf tableau).
La passerelle Kochenhofsteg conçue par Schlaich Bergermann & Partner traverse la
rue « Am Kochenhof » et sert de lien entre la foire de Stuttgart et un parking. C’est
une passerelle suspendue avec des câbles supplémentaires précontraints sous le
tablier. Deux mâts sont placés de part et d’autres du tablier à une seule extrémité
de la passerelle. Le tablier est long de 42.5m et large de 3m. «Kochenhofsteg est
une passerelle légère qui est excitée facilement par la marche des piétons dont la
fréquence coïncide souvent avec la fréquence naturelle de la forme du troisième
mode de flexion »7 à une fréquence de 1.96Hz.
Les fréquences naturelles susceptibles de rentrer en résonance avec les fréquences
de la marche piétonne coïncident pour ces deux passerelles. Mais ces passerelles
ont des apparences différentes. En effet, la passerelle Wachtelsteg semble plus
«robuste » que la passerelle Kochenhofsteg par la présence des arcs qui enserrent
la circulation des piétons .
Mais étrangement, le pourcentage d’individus qui se sentent gênés en traversant la
Passerelle Wachtelsteg est 4 fois plus élevé que pour la passerelle Kochenhofsteg
paraissant plus légère (40% contre 10%). Ceci s’explique par le fait que l’on s’attend
plus à ressentir des vibrations en traversant une passerelle légère qu’en traversant
une passerelle plus lourde.
Ainsi, l’évaluation de la vibration d’une passerelle passe par des caractères subjectifs
telle que sa légèreté apparente mais également sa hauteur au-dessus du sol, la
qualité de ses garde-corps ou le revêtement du tablier.
llé
e
15
1.4 Les solutions à adopter pour satisfaire le critère de confort
Même si les critères de confort sont difficiles à évaluer, dès lors que la maîtrise
d’ouvrage décide que les déplacements d’une passerelle doivent être limités à une
certaine valeur, des solutions doivent être envisagées dès la conception.
Les campagnes de recherche réalisées après la fermeture des passerelles de
solférino et du Millénium ont permis de définir des stratégies permettant de palier
ce comportement et selon Sophie le Bourva (ingénieur au sein d’Ove Arup et chef
7 Experimental determination of dynamic properties of footbridges, G. Sedlacek & C. Butz,
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
16
1
Matériaux du tablier Béton armé
Béton précontraint Composite acier-béton Acier
Minimum 0,80%
0,50% 0,30% 0,20% Type de construction
acier, assemblages soudés acier, assemblages boulonnés ch
d'
ar
e
ol
Ec
moyenne
1,3%
1,0%
0,60%
0,40%
Pourcentage d’amortissement
2,0%
4,0%
1 & 2- installation d’amortisseurs sous le tablier de la
passerelle du Millénium
Pour la passerelle du Millénium telle que pour la passerelle
Solférino, des amortisseurs ont été placé après sa
fermeture pour absorber les vibrations et assurer le
confort des piétons
2
3
3-Tableaux montrant le taux d’amortissement structurel
L’amortissement intrinsèque d’une passerelle peut
dépendre de la nature des matériaux et du type
d’assemblages mis en oeuvre
(Informations issues du guide de dimensionnement
HIVOOS)
17
Ec
ol
e
d'
ar
ch
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
Pour les deux passerelles qui ont révélées ce phénomène, des amortisseurs ont été
installés pour supprimer les risques de vibration mais d’autres stratégies, à mettre
en oeuvre dès la conception, ont été mentionnées dans les guides.
On distingue deux stratégies: l’une consiste à travailler sur la structure et l’autre à
intégrer des amortisseurs supplémentaires.
Le contrôle des vibrations d’une passerelle par la structure implique des
changements sur la masse, la fréquence naturelle et l’amortissement intrinsèque
de la passerelle, dès les premières étapes de sa conception, par le choix des
matériaux, des assemblages ou de la portée.
En effet, on peut décider d’utiliser du béton pour le tablier au lieu de l’acier pour
augmenter sa masse et son amortissement intrinsèque (cf tableau). On peut
décider de mettre en œuvre des assemblages boulonnés qui dissipent plus
d’énergie, lors de déplacements, que les assemblages soudés.
Il est également possible de travailler sur la raideur de passerelle en ajoutant des
contreventements ou en augmentant le nombre de piles.
Cependant, selon Andreas Keil, ingénieur au sein de Schlaich Bergmann & Partners,
« éviter ces fréquences critiques signifierait que la passerelle doit être raidie,
devenant sur-dimensionnée, lourde et hideuse »9. De même, Philipe Duflot et Doug
Taylor10 affirment que les changements résultant du raidissement des passerelles
peuvent être excessivement lourd et coûteux. «Plus important, l’architecture
unique de la passerelle peut être essentiellement détruite».
D’après ces déclarations, on peut penser que la deuxième stratégie basée sur
l’utilisation d’amortisseurs est la seule solution qui permettrait de satisfaire les
critères de légèretés apparente et quantitative en évitant la vibration des passerelles.
Pourtant, cette deuxième stratégie n’est préconisée qu’en dernier recours dans les
guides de conception des passerelles.
On peut donc s’interroger sur la réelle capacité de ces deux stratégies de contrôle
des vibrations horizontales à préserver l’apparente de légèreté de la structure et
l’économie de matière.
llé
e
de projet sur la passerelle du Millénium), « aucun concepteur de passerelle
aujourd’hui ne pourra s’abstenir de vérifier son ouvrage vis-à-vis de ce
phénomène»8.
8 Propos recueillis lors d’un échange par mail avec l’ingénieur Sophie le Bourva. Cf annexe
9 «Avoiding thes frequencies would mean that the bridge must be stiffened in a way that it
becomes over-dimensioned heavy and hideous» Foobridge 2005,Design of footbridges: are
there limits? Andreas Keil Page
10 Membres de Taylor Devices, (société commercialisant des amortisseurs) ayant participés aux
conférences Footbridge 2008
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
2. Amélioration du comportement dynamique:
une stratégie d’optimisation de la structure
préservant ses qualités de légèretés?
llé
e
19
2.1 Modifications de la structure et impact sur la recherche de légèreté
apparente
Ec
ol
e
d'
ar
ch
Comme nous avons pu le constater précédemment, la première stratégie conseillée
par les guides de conception et notamment par le SETRA est de travailler sur la
structure, dès les premières phases du projet, pour améliorer son comportement
dynamique. Mais qu’elles sont ces modifications qu’il faut apporter à la structure et
qu’elles sont leurs influences les qualités de légèretés de la structure?
Ces modifications incluent trois approches: la variation de la masse de la passerelle,
de ses fréquences naturelles et de son amortissement structurel.
L’augmentation de la masse modale de la passerelle permet d’ améliorer la réponse
dynamique aux charges piétonnes. Pour les passerelles très légères, l’utilisation
d’une dalle en béton pour le tablier peut contribuer à l’augmentation de la masse
modale. «Cette approche est particulièrement pertinente pour les structures
caténaires (structures à ruban tendu)»1 Mais, tout dépend de l’épaisseur de la dalle
mise en oeuvre. En effet, pour la passerelle Punt da Suransuns (1999) de Conzett
cette stratégie est poussée à l’extrême dans un but esthétique et non de contrôle
des vibrations horizontales. Une rigidité latérale minimum au vue de la fréquentation
du site est préservée par l’utilisation d’un matériau dense, le granite local, et du
système de précontrainte. Par ce système de construction et ces matériaux, Conzett
a pu réalisé une passerelle extrêmement fine (un tablier de 6cm d’épaisseur) et
légère (160Kg/m). Dans une stratégie de contrôle des vibrations latérales, cette
méthode d’augmentation de la masse modale est effective lorsque l’épaisseur de
cette dalle est suffisante. Mais cette épaisseur suffisante dans le cas des passerelles
caténaires n’est pas forcément en désaccord avec une volonté de légèreté visuelle
et quantitative. La passerelle Eutinger Waagsteg, à Pforzheim de Schlaich
Bergermann & Partner avec les architectes Knoll Reich Lutz, Sindelfingen est un
exemple de ce mode de conception. Elle a été construite pour traverser la rivière
Enz à Pforzheim en Allemagne en 1992 alors que ces questions de vibration
1 Contrôle vibratoire des passerelles piétonnes: Guide de dimensionnement, Human induced
Vibrations of Steel Structures (HIVOSS), Page 27
ne
-la
-V
a
llé
e
20
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
1
Les mailles du garde corps participent à l’amortissement
Les plaques de béton de 10cm augmentent la masse et
l’amortissement de la structure
Les plaques d’acier tendues sont assemblées aux plaques
de béton à l’aide de boulons qui augmentent
Ec
ol
e
d'
ar
ch
l’amortissement intrinsèque de la passerelle
1-Punt da Suransuns, Conzett, 1999
Une extrême légèreté au service de l’insertion dans
le site rendue possible par l’utilisation de la
précontrainte et d’un matériau dense: le granite;
L’utilisation d’un matériau lourd (plaque de
granite de 6cm d’épaisseur) est mise au service
de la légèreté apparente et non du contrôle de la
vibration horizontale.. En effet, la passerelle vibre
sous le passage d’une seule personne.
3
2-Eutinger Waagsteg, à Pforzheim, Schlaich
Bergmann & Partners,1992
Une ligne fine et légère traverse la rivière
3-Eutinger Waagsteg, à Pforzheim,
La structure est optimisée pour permettre de
préserver la légèreté de la passerelle et de
contrôler les vibration horizontales.
2
Ec
ol
e
d'
ar
ch
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
n’étaient pas encore aussi connues qu’elles le sont de nos jour. Cependant, le
comportement dynamique de cette passerelle par rapport au passage de piétons
a été expliqué dans plusieurs ouvrages dont The Art of Structural Engineering : The
Work oj Jörg Schlaich and his team publié en 1997. Cette passerelle d’un minimalisme
extrême est une structure caténaire composée de deux bandes d’acier supportant
le tablier en plaques béton préfabriquées. L’utilisation de plaques de béton pour le
tablier, permet d’augmenter la masse modale et donc d’améliorer son comportement
dynamique. Ceci garanti le confort des piétons et n’altère pas l’apparence de
légèreté de la passerelle. En effet, les plaques de béton ne font que 10cm d’épaisseur
pour une portée de 50m. De plus la passerelle reste légère d’un point de vue
quantitatif car elle ne pèse que 250kg/m².
Une deuxième approche consiste à augmenter les fréquences naturelles de la
passerelle en augmentant sa rigidité. L’augmentation de la rigidité latérale d’une
passerelle pour une portée donnée peut se traduire par une augmentation de la
largeur de son tablier ce qui peut être coûteux et affecter son apparence de
légèreté. «Dans les structures à câbles, le positionnement des câbles dans le sens
transversal par rapport au tablier augmente la rigidité transversale. Dans les
passerelles à haubans, on peut obtenir un meilleur comportement en traction en
ancrant les haubans au niveau du plan central de la passerelle sur un pylône en
forme de A, plutôt que de les ancrer sur des pylônes indépendants parallèles.»2 Les
gardes corps peuvent également devenir des éléments structuraux permettant
d’apporter de la raideur à la passerelle.
La dernière approche réside dans un travaille sur l’optimisation de l’amortissement
intrinsèque de la structure pour absorber un excès de vibration. Par exemple, les
gardes corps peuvent contribuer à l’amortissement de la structure. Généralement,
l’amortissement dépend des propriétés des matériaux utilisés, du type de passerelle
et des conditions d’assemblages. Ainsi, pour reprendre l’exemple de la passerelle
Eutinger Waagsteg, le béton du tablier apporte également de l’amortissement par
fissuration du matériau. De plus, les boulons utilisés pour assembler les bandes
d’acier aux plaques de béton permettent de dissiper de l’énergie (plus que les
assemblages soudés). Enfin, des joints en élastomère sont placés entre les plaques
de bétons permettant d’augmenter l’amortissement de la structure mais affecte
également la perception de la passerelle. En effet, «Schaich est satisfait du fait que
les vides restant entre les plaques réduisent l’apparence de solidité du tablier,
permettant aux piétons de capter un aperçu de la l’eau sous la passerelle»3.
Ainsi, les différentes stratégies de contrôle des vibrations latérales basées sur
l’optimisation de la structure, dès les premières phases de la conception, ne
semblent pas nécessairement en désaccord avec une recherche de légèreté
apparente et d’économie de matière mais cela se révèle surtout efficace dans le
cadre de la conception de passerelles caténaires. Nous allons donc étudier une
llé
e
21
2 Contrôle vibratoire des passerelles piétonnes: Guide de dimensionnement, Human induced
Vibrations of Steel Structures (HIVOSS), Page 34
3 «Sclaich is content that the resulting gaps between the planks reduce the visual solidity of
the deck, allowing pedestrians to catch a glimpse of rhe water beneath», The art of structural
engineering: the work of Jörg Schlaich and his team, Edition Axel Menges, Alan Holgate, 1997,
Page 232
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
1
llé
e
22
4
Ec
ol
e
d'
ar
ch
1-La passerelle du nord, Schlaich Bergmann &
Partners, 2003
La passerelle mesure 92m de long avec une
portée maximale au centre de 38m
2-La passerelle semble être une ligne qui ondule au
dessus de la rivière
3-La légèreté visuelle est rendue possible par
l’optimisation de la structure et notamment par la
faible épaisseur des plaques de béton (12cm)
4-Les rubans d’acier sont assemblés aux plaques de
béton à l’aide de boulons qui participent à la
dissipation de l’énergie produite par l’oscillation
de la passerelle
5-Les garde-corps augmentent l’amortissement de la
passerelle et supportent les systèmes d’éclairage
qui soulignent l’ondulation de la passerelle de nuit
2
3
5
23
2.2 Légèretés des passerelles caténaires de Schlaich: La passerelle du Nord
Ec
ol
e
d'
ar
ch
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
Selon Alan Holgan4, auteur de The art of structural engineering: the work of Jörg
Schlaich and his team, les idées de Jörg Schlaich «sont novatrices, il utilise les
techniques avancées et il prend un vif intérêt dans les qualités esthétiques de ces
structures. Ces facteurs et son engagement à la légèreté et à la transparence donne
à ses projets un caractère spécial»5 Ainsi, cet ingénieur donne une grande
importance aux innovations techniques permettant de pousser sa recherche
esthétique de légèreté. C’est dans cette démarche qu’il a conçu, en 2003, la
passerelle du Nord avec les architectes WES & Partners. Cette passerelle franchit
une plaine inondée sur 105m en trois portées, dont la principale au centre est de
38m. Cette structure est d’une grande finesse et ondule en fonction de ces points
d’ancrages. Son tablier est constitué de plaques de béton préfabriquées de 12cm
d’épaisseur boulonnées à deux bandes d’acier.
Les plaques de béton constituent le tablier sur lequel déambulent les piétons mais
elles remplissent également deux rôles dans le contrôle des vibrations horizontales.
Elles permettent d’augmenter la masse de la passerelle et son amortissement
intrinsèque.
La forme du tablier est également travaillée dans ce sens car sa courbure permet
d’apporter de la rigidité à la passerelle. De plus, les assemblages boulonnés
permettent non seulement de connecter le platelage aux bandes d’acier mais ils
servent aussi à dissiper l’énergie de l’oscillation par frottement. Des joints de
néoprène placés entre les plaques de béton augmentent fortement l’amortissement
de la structure. Enfin, les garde-corps qui sont des dispositifs de sécurité sont
également pensés comme des éléments structurels. «La rambarde en acier tubulaire
avec une maille métallique assiste efficacement dans l’absorption des vibrations,
sans altérer la transparence de la structure. » Ils participent fortement à l’esthétique
de la passerelle car ils supportent le système d’éclairage permettant d’accentuer
l’ondulation de la passerelle de nuit.
La passerelle du Nord est donc un exemple représentatif de cette approche
permettant de contrôler les vibrations horizontales par une optimisation de la
structure dès les première phase de conception. Cette attention au comportement
dynamique de la passerelle a des conséquences sur son apparence. En effet, elle est
mise au service de la recherche de transparence visuelle. «La transparence
extraordinaire de cette passerelle qui traverse une plaine d’inondation est le résultat
llé
e
passerelle de ce type conçue, en 2003, après la révélation du phénomène de
vibration horizontale: la passerelle du Nord (North Bridge) de Schlaich Bergmann &
Partners.
4 Professeur dans le département de génie civil à Monash University à Melbourne. Il a fait des
études spéciales sur les idées qui influencent la conception des structures et les interactions
entre l’ingénierie des structures et l’architecture.
5 «His ideas are innovative, he utilizes advanced technology, and he takes a keen interest in
the aesthetic quality of his structures. These factors and his commitment to lightness and
transparencygive his work a special character» The art of structural engineering: the work of
Jörg Schlaich and his team, Edition Axel Menges, Alan Holgate, 1997, Page
ne
-la
-V
a
de la faible hauteur de construction»6 Ainsi, l’utilisation de plaque de béton de
12cm permet de rendre la passerelle visuellement légère. Les vides formés par les
joints placés entre les plaques de béton permettent d’augmenter l’apparence de
légèreté de la passerelle en rapprochant les piétons de l’eau. Cette légèreté visuelle
est en accord avec la légèreté réelle de la passerelle car celle-ci ne pèse que 300kg/
m.
Cette stratégie s’avère intéressante pour les passerelles caténaires mais qu’elles en
sont les limites?
llé
e
25
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
2.3 Stratégie d’intégration: Une réponse viable dans la quête de grandes
portées?
Ec
ol
e
d'
ar
ch
Comme cela a été remarqué précédemment, l’approche consistant à contrôler les
vibrations horizontales par la structure elle-même semble être une solution
particulièrement intéressante pour les passerelles caténaires. Or, pour d’autres
types de passerelles, cela pourrait se révéler en désaccord avec une volonté de
légèreté apparente de la structure. Les passerelles caténaires ont des portées
limitées car elles nécessitent des ancrages très conséquents qui deviennent
démesurés pour une portée trop importante. D’après un article issu de la revue The
Structural Engineer intitulé Stress Ribbon Bridges7, la passerelle caténaire la plus
longue mesure 147.5m (Yumetsuri–Bashi bridge,Japan).
En effet, d’après des propos de François Consigny, ingénieur responsable du
dimensionnement de la passerelle Simone de Beauvoir au sein de RFR, cette
solution ne serait pas effective pour des structures de grandes portées. «La
recommandation du SETRA de travailler sur l’amortissement intrinsèque de la
structure avant d’ajouter des amortisseurs n’est possible que pour les petits
ouvrages et dès lors que l’on travail sur des ouvrages de grandes portées comme la
passerelle Simone de Beauvoir, l’ajout d’amortisseurs semble être la solution à
adopter.»8
Or, la quête effrénée de légèreté apparente est liée au défi de construire des
passerelles avec des portées de plus en plus grandes. Dans cette optique, la
solution d’ajouter des amortisseurs semble une option raisonnable pour satisfaire
les critères de légèreté tout en garantissant le confort des piétons. Cependant,
cette approche suppose une démarche de projet différente que nous allons
analyser au travers de sa légitimité dans la recherche de légèreté apparente et
quantitative.
6 «The extraordinary transparency of this bridge across a flood plain is a result of the low
construction height» commentaire issu du site de Schlaich Bergmann & Partners
7 Stress ribbon bridges, Paper: Pai Lin Li Travel Award 2008, The Structural Engineer n° 87,17
November 2009, Page 22
8 Propos recueillis lors d’un entretien téléphonique avec François Consigny, rapporté en
annexe.
27
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
3. Amortisseurs: une machine en réponse à une
quête esthétique de légèreté?
3.1 Une machine, une fonction
Ec
ol
e
d'
ar
ch
Choisir de contrôler les vibrations horizontales par la structure ou par l’ajout
d’amortisseurs révèle deux démarches de projets différentes: la première est une
démarche «d’intégration» et la seconde une démarche «d’addition».
En effet, « la technique apparaît avant tout dans des objets et le mode d’être de ces
objets se caractérise d’abord par l’individualisation et la multiplicité.»1L’individualis
ation est le principe selon lequel, à chaque objet correspond une fonction
contrairement au principe de multiplicité où un « objet est prêt à rendre service en
des circonstances diverses pour des usages divers correspondant à toutes les
fonctions possibles ». Cette distinction est approfondit par le philosophe Gilbert
Simondon dans l’ouvrage Du mode d’existence des objets techniques.
Travailler sur la multiplicité des objets techniques traduit une approche dite
d’intégration. Cette approche correspond à la l’intégration d’un maximum de
fonctions dans un objet technique, comme le fait Jörg Schlaich pour la passerelle
du Nord.
Pour la seconde approche, travailler sur l’individualisation des objets techniques
renvoi à une approche dite d’addition. Cette démarche consiste à additionner des
objets techniques ayant chacun une fonction propre. L’utilisation d’amortisseurs,
ayant pour seul fonction de dissiper l’énergie produite par des oscillations excessives
de la structure, correspond à cette approche.
Or, l’aboutissement d’un objet technique devrait se faire par l’intégration d’un
maximum de fonctions dans un minimum d’éléments. Dans une stratégie
d’économie de matière, et de légèreté quantitative, on peut penser que l’intégration
de plusieurs fonctions dans un même objet technique est une solution qui permet
de réduire le nombre d’objets mis en œuvre.
Dans le cadre des ouvrages d’art, D. P. Billington, dans The Tower and the Bridge, the
new art of structural ingineer, définit la technique sous deux aspects: les structures
(«oeuvres locales, statiques et permanentes») et les machines («oeuvres dynamiques,
1 La Technique, genèse et concrétisation des objets techniques dans Du mode d’existence des
objets techniques de Gilbert Simondon, Jean Yves Château, Page 4
Ec
ol
e
d'
ar
ch
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
28
Les amortisseurs ont un poids dans le dimensionnement.
Les amortisseurs dynamiques accordés sont les plus utilisés et ajoutent une masse importante
(1% à 5% de la masse de la structure) qu’il faut considérer dans le dimensionnement.
(Ce tableau a été traduit du guide de dimensionnement HIVOSS)
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
universelles et transitoires). Ainsi, la recherche d’innovation dans ces deux domaines
relève de l’innovation technique. Cependant la démarche d’intégration semble en
cohérence avec une recherche d’économie de matière mais, comme nous avons pu
le voir précédemment, elle n’ait vraisemblablement pas en total accord avec une
quête d’apparence de légèreté (marquée par une recherche de grandes portées).
Selon la distinction faite par Simondon, l’utilisation d’amortisseurs n’apparaît pas
être une démarche liée à l’économie de matière mais qu’en est-il réellement?
En effet, selon Sophie Le Bourva, «l’utilisation d’amortisseurs dans le domaine de la
structure est un progrès important qui est en plein développement, notamment
dans l’ ingénierie sismique. Cette utilisation est à la source d’économies de matière
importantes pour les ouvrages en région sismique. Pour l’instant, l’émergence d’un
nouveau type de structure est plutôt celui qui amène l’intégration d’amortisseurs
dès le départ de la conception.»2
Cette approche, censée rendre une passerelle légère confortable, s’intègre t-elle
réellement à une apparence de légèreté?
llé
e
29
3.2 La technique des amortisseurs: un poids dans la conception
Ec
ol
e
d'
ar
ch
-Impact sur le dimensionnement
Les amortisseurs agissent sur le comportement modal de la structure. Tous les
amortisseurs dissipent l’énergie qui les atteint à travers des mouvements cycliques.
«L’utilisation de dispositifs d’amortissement externes pour absorber un excès de
vibrations structurales peut constituer une solution efficace en termes de fiabilité
et de coût. Ces dispositifs peuvent être basés sur des techniques de contrôle actif,
semi-actif ou passif.»3 Il existe différents types d’amortisseurs mais les plus utilisés
sont les amortisseurs visqueux et les amortisseurs dynamiques accordés (TMD).
Ces amortisseurs doivent être disposés aux points de maximum d’amplitude de
l’oscillation et ils sont ajustés de façon à ce que l’énergie d’oscillation soit dissipée à
des niveaux acceptables dans la gamme de fréquences critiques.
Cependant, étant donnée la difficulté de prédire le comportement dynamique
d’une passerelle avec exactitude, cette technique ne peut pas être intégrée
précisément dès la conception. En effet, l’évaluation de la masse modale, des
fréquences naturelles et de l’amortissement intrinsèque est incertaine avant la
construction mais elle permet de faire des hypothèses sur le comportement
dynamique que la passerelle aura. Ceci permet d’envisager la nécessité d’installer
des amortisseurs, pour satisfaire le critère de confort voulu par la maîtrise d’ouvrage,
dès les premières phases de conception. On peut alors intégrer cette technique
non seulement dans le « design » de la passerelle mais également son
dimensionnement car cet objet technique à un poids qui peut prendre une
importance considérable. Les amortisseurs ont une masse qui peut varier de 1% à
5% de la masse totale de la passerelle ce qui n’est pas négligeable. A titre d’exemple,
les amortisseurs pour contrôler les mouvements horizontaux installés sur la
2 3
Propos recueillis lors d’un échange par mail avec Sophie Le Bourva, rapporté en annexe
Contrôle vibratoire des passerelles piétonnes: Guide de dimensionnement, Human induced
Vibrations of Steel Structures (HIVOSS), Page 28
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
30
arc
+
catène
1
304m
200m
3.2m
Ec
ol
e
d'
ar
ch
1- Passerelle Simone de Beauvoir, Dietmar Feichtinger et
RFR, 2006
Hauteur structurelle apparente et hauteur réelle:
l’assemblage de l’arc et de la catène est conçu de
façon a réduire la hauteur structurelle apparente
2- Coupe longitudinale de la passerelle Simone de
Beauvoir.
La hauteur structurelle centrale est de seulement
3.2m
3- Vue depuis le quai bas coté parc de Bercy
La passerelle parait extrêmement légère. Elle semble
disparaître au dessus de la Seine.
2
3
ne
-la
-V
a
passerelle Solférino pèsent 15 tonnes.
Ce n’est qu’une évaluation du comportement dynamique de la passerelle construite
qui permet de décider de la nécessité d’installer réellement des amortisseurs et
lorsque cela est nécessaire, cela permet d’adapter le système d’amortissement en
conséquence. Ainsi, il est possible d’intégrer, à titre préventif, la masse d’éventuels
amortisseurs dans le dimensionnement d’une passerelle et se rendre compte que
ceux-ci ne sont pas nécessaires après la construction. La passerelle peut donc s’en
retrouver sur-dimensionnée.
llé
e
31
Ec
ol
e
d'
ar
ch
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
-Impact sur la conception de la structure: La passerelle Simone de Beauvoir
Lorsque les amortisseurs sont intégrés dès les premières phases du projet, ils
peuvent avoir une influence sur la conception même de la structure de la
passerelle.
Ceci fut le cas pour la passerelle Simone de Beauvoir dont la conception a été
pensée en intégrant la nécessité d’installer des amortisseurs contrôlant les
mouvement horizontaux dès les premières étapes du projet.
Cette passerelle traverse la Seine sur 304m, reliant la bibliothèque nationale de
France et le parc de Bercy. Elle a été dessinée par l’architecte Dietmar Feichtinger
en association avec le bureau d’études structurelles RFR. Elle se constitue de deux
arcs permettant de relier les quais hauts et bas. C’est une fusion entre une passerelle
caténaire et un pont en arc d’une portée de 194 m. La recherche d’une impression
de légèreté était fondatrice dans la conception de la passerelle. En effet, l’assemblage
d’une caténe et d’un arc était dicté par la volonté de rendre efficace et économique
la connexion entre les quais hauts et les quais bas mais cet assemblage a été
adapter dans le but de produire une apparence de légèreté. «Les proportions de la
passerelle sont particulièrement longues et minces, ce qui contribue grandement
à son élégance: la hauteur structurelle est inférieure à 6 mètres, seulement 1/30e de
la travée principale, mais ce n’est qu’une finesse apparente!(...) Les courbes
composées par l’arc et le caténaire, conduisent à un ratio structurel réel de 1/17e,
beaucoup plus habituel pour des projets en acier de ce type.»4
La structure est constituée de 1600 tonnes d’acier et le tablier est revêtu d’un
platelage en bois. La masse du tablier étant 540Kg/m, elle est donc plus légère que
la passerelle Solférino, pour une portée supérieure, ce qui a permis de prédire le
risque de vibration sous le passage d’un grand nombre de piétons.
En effet, la révélation du phénomène de vibrations horizontales sous l’action des
piétons «s’est produite pendant le rendu de la phase APS ou APD et la maîtrise
d’ouvrage a alors demandé de le prendre en compte dans le dimensionnement.»53
Des études dynamiques ont été réalisées par RFR et SETEC TPI. Ces études ont
montré la nécessité d’ajouter un haut niveau d’amortissement horizontal pour
4
«The proportions of the footbridge are particularly long and slender, contributing greatly to
its elegance : the structural height is less than 6 meters, only 1/30th of the principal span!But
this is only an apparent slenderness. [The diagram below indicates how] the curves of the
arches and the catenaries compound, leading to a real structural ratio of 1/17th, much
more usual for steel projects of this type.» The Bercy-Tolbiac Footbridge in Paris, Consigny F.,
Vaudeville B., Menard R, Footbridge 2002
5 Propos recueillis lors d’un entretien téléphonique avec François Consigny, rapporté enannexe.
Passerelle d’accès
Passerelle principale
ne
-la
-V
a
llé
e
32
Passerelle d’accès
Ec
ol
e
d'
ar
ch
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
1
1- Passerelle Simone de Beauvoir,
Modification du schéma statique par la prise en
compte de l’intégration des amortisseurs
2- La liaison entre les passerelles d’accès et la
passerelle principale est fixée sur le plan
horizontal pour créer des conditions favorables
au bon fonctionnement des amortisseurs sans
altérer le dimensionnement et l’apparence de
la passerelle.
3
3- Des tests sont effectués pour mesurer les vibrations
de la passerelle et régler les amortisseurs
2
3
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
plusieurs modes.
Selon la conférence The Bercy-Tolbiac Footbridge in Paris, issue du cycle de conférence
Footbridge 2002 (au cours de l’analyse du comportement dynamique de la
passerelle), «initialement il a été envisagé d’utiliser des amortisseurs dynamiques
accordés pour développer l’amortissement horizontal nécessaire. Mais compte
tenu du niveau d’amortissement nécessaire (entre 5% et 10%), cette solution
semblait lourde et ciblée vers un nombre minime de fréquences spécifiques.»64
Ainsi, l’installation des amortisseurs fut étudiée dans le but de garantir le concept
de légèreté visuelle et quantitative de la passerelle.
Pour une intégration optimisée, des amortisseurs visqueux sont placés entre un
point fixe indépendant de la passerelle et un point sur la structure de la passerelle
se déplaçant de façon significative selon des modes horizontaux. «Dans la
conception initiale, les connexions entre les passerelles d’accès et la passerelle
principales étaient articulées sur les plans horizontal et vertical»75, ces connexions
ont finalement été fixées sur le plan horizontal pour mobiliser une plus grande
masse en rotation qui se traduit par un déplacement d’une plus grande amplitude
aux extrémités extérieures des passerelles d’accès. «Ces deux points sont des
endroits idéaux pour des amortisseurs externes.»
Ainsi, la passerelle est rendue plus sensible aux vibrations horizontales de façon à
créer des déplacements de plus grandes amplitudes permettant d’activer les
amortisseurs et d’optimiser leur action. «Les amortisseurs n’ont donc pas réellement
d’impact sur la légèreté de la passerelle et, le changement du schéma statique non
plus, mais ils permettent son bon fonctionnement». Les amortisseurs, dès lors qu’ils
sont bien intégrés, rendent possible cette quête de légèreté et le respect du confort
des piétons.
Nous avons vu qu’il était important d’intégrer ces machines dans le schéma statique
mais qu’en est-il de leur intégration dans l’apparence de la passerelle? Ces machines
participent-elles à l’esthétique des passerelles?
llé
e
33
3.3 Impact visuel des amortisseurs: recherche d’effacement de la machine
Ec
ol
e
d'
ar
ch
Selon D. P. Billington, les structures et les machines qui définissent la technique, se
distinguent par le fait que les structures sont uniques, conçues pour un site et un
programme particulier tandis que les machines sont construites en série. On peut
alors se demander comment ces machines peuvent s’intégrer dans une structure
dont la conception est unique. Selon Billington, «Il n’y a aucune possibilité, dans ce
point de vue, pour les individus d’exprimer leurs personnalités propres, sauf, (...) en
6 «Initially we envisaged using horizontal TMD to develop the required damping. But in view of
the level of damping required (between 5% and 10%), this solution seemed heavy and overtargeted toward a few specific frequencies.», The Bercy-Tolbiac Footbridge in Paris, Consigny
F., Vaudeville B., Menard R, Footbridge 2002
7 «In the initial design, the connections between the linking footbridges and the main
footbridge are articulated in both the horizontal and the vertical planes. If instead we
choose to fix the connection in the horizontal plane between the link bridges and the lateral
cantilevers of the main structure, we can mobilise a large additional mass in rotation which
translates into a large-amplitude displacement at the outer ends of the link bridges. These
two points are ideal locations for external dampers». The Bercy-Tolbiac Footbridge in Paris,
Consigny F., Vaudeville B., Menard R, Footbridge 2002
APRES REPARATION
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
AVANT REPARATION
llé
e
34
1
3
Ec
ol
e
d'
ar
ch
1&2-Passerelle du Millénium: Une forte présence des
systèmes d’amortissement affectant l’impression de
légèreté en révélant la technique et les forces qui
traversent la structure.
3-Amortisseurs intégrés:
Dissimuler la technique pour préserver
l’apparence de légèreté
2
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
ajoutant des décorations inutiles à la machine.»86
Ces machines ont-elles une expression particulière et si c’est le cas, cette expression
est-elle en accord avec l’apparence de légèreté des structures sur lesquelles elles
s’intègrent?
Ainsi, en comparant les images de la passerelle du Millénium avant et après sa
réparation, on peut analyser l’impact de cette technique sur l’apparence de la
passerelle. Ces deux images montrent que la simplicité du tablier a été affectée, on
lit fortement les amortisseurs sous le tablier et sur les câbles. Ceci donne une image
plus robuste de la passerelle et affecte alors le concept de légèreté visuelle de la
passerelle.
Cependant, cette technique de réparation a été choisie pour altérer le moins
possible l’apparence de la passerelle car il était impossible de la raidir (après sa
construction) sans ajouter trop de matière.
Il existe des amortisseurs intégrés permettant de minimiser leurs impacts visuels.
«Si c’est possible, une intégration invisible est certainement la solution la plus
conservatrice et silencieuse».97
On peut penser qu’une bonne intégration de ces objets techniques permettrait de
les rendre invisibles pour conserver l’apparence de légèreté de la passerelle.
llé
e
35
Ec
ol
e
d'
ar
ch
Ainsi la mise en oeuvre de cet objet technique pour contrôler les vibrations
horizontales a une incidence sur l’aspect de légèreté de la passerelle bien que son
rôle soit de rendre possible cette quête de légèreté visuelle. De plus, son intégration
est en accord avec une volonté d’économie de matière lorsqu’elle est envisagée dès
les premières étapes de la conception par l’adaptation du schéma statique. Cette
volonté d’économie de matière est le fondement de l’art de l’ingénieur mais cette
quête de légèreté nécessitant de faire appel à des techniques parfois lourde estelle en accord avec cette éthique?
8 «There is no possibility, in this view, for individuals to express their own personnalities
except,as Ellul puts it, by adding useless decoration to the machine», The tower and the
bridge: the new art of structural engineering, David P. Billington, Princeton University Press,
1985, Page 11
9 «If possible, an invisible integration certainly is the more conservative an quieter solution»,
Design of footbridges: are there limits? Andreas Keil, Footbridge 2008, Page 6
37
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
4. La quête de légèreté apparente et l’éthique des
ingénieurs
4.1 Une légèreté apparente en contradiction avec l’art de l’ingénieur:
-Le Millenium Bridge: légèreté apparente et massivité immergée
Ec
ol
e
d'
ar
ch
A priori, la recherche d’une apparence de légèreté parait en cohérence avec celle
de l’économie de matière. En effet, la quête de légèreté visuelle pourrait se traduire
par un affinement de la structure et donc un gain de poids qui permettrait
l’augmentation des portées et donc une économie sur les fondations qui sont
souvent les parties les plus coûteuses des ouvrages d’art.
Cependant l’analyse de la passerelle du Millénium montre une toute autre réalité.
Comme cela a été présenté précédemment, la conception de cette passerelle est
basée sur une vision sensible de la légèreté et sur la volonté de construire une
«lame mine » à travers le Thames. Les premières esquisses du projet ont été
dessinées par l’ingénieur Chris Wise où il exprime cette volonté de faire disparaître
la structure pour libérer la vue depuis la passerelle.
Cependant cette structure est portée par des piles massives en béton qui reprennent
des forces importantes dans les câbles. Et lorsque l’on observe « la face cachée » de
la passerelle, on peut voir toute la massivité déployée en sous-sol, dans les
fondations, pour permettre d’afficher une impression de légèreté à l’extérieur. Deux
échelles de lecture apparaissent : si on regarde la partie apparente de la structure,
elle semble légère mais si on la regarde dans sa globalité, elle semble robuste et
massive. Une estimation du volume de béton mis en œuvre montre qu’environ
15035tonnes de béton1 sont mis en œuvre dans les fondations de la passerelle
alors que la masse visible de la passerelle (le tablier) est de 650 tonnes.
Le choix esthétique de descendre le niveau des câbles de suspension est lourd de
conséquences. En effet, cette passerelle peut ainsi être assimilée à une passerelle
caténaire. Ce type de structure a peu de rigidité. «Bien qu’il existe des exemples
construits avec des portées allant jusqu’à 136m, le rapport de flèche est bien audelà des exigences normales actuelles pour l’accessibilité des handicapés. Pour
atteindre un rapport de flèche d’ approximativement 8% aux extrémités, des
portées de 40-50m sont raisonnables sans conduire à des forces d’ancrage
1 voir le détail de calcul en annexe
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
38
1
Masse du tablier=650tonnes
Ec
ol
e
d'
ar
ch
Masse des fondations= 15035 tonnes
1-Ces croquis réalisés par l’ingénieur Chris Wise lors
de la conception de la passerelle du Millénium
expriment la volonté de créer un ouvrage d’une
grande finesse permettant de libérer les vues.
2
2 -Une légèreté apparente et une massivité cachée
Deux échelles de lecture apparaissent : si on regarde la
partie apparente de la structure, elle semble légère
mais si on la regarde dans sa globalité, elle semble
robuste et massive.
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
ingérables.»2
Pour la passerelle du Millénium, ce rapport est inférieur à 1/60 alors que pour des
passerelles suspendues ordinaires, le rapport est entre 1/10 et 1/50. Plus ce rapport
est faible, plus la structure est sensible aux déplacements. Une courbure de 1/60
amène un rapport de translation de 1/10. Ainsi, chaque centimètre de déplacement
horizontal entraîne un déplacement vertical de 10cm. Avec un rapport de courbure
commun égal à 1/10, le déplacement vertical serait seulement de 3cm. «Ceci
produit indéniablement une mince et élégant structure, mais les forces très fortes
des câbles devaient être ancrées dans des fondations énormes et coûteuses. Ne
considérant que les forces verticales, avec les câbles de la passerelle du Millénium
de Londres et ses fondations, on pourrait construire une passerelle suspendue
«classique» (f / L = 1 / 10) avec environ 930m de longueur à mi-portée.»3
Ceci ne signifie pas que cette passerelle est absurde mais seulement que le choix
qui a été fait ne résultait pas d’une volonté d’économie de matière mais plutôt
d’une quête d’une apparence de légèreté. Pourtant, les premières esquisses du
concept de la passerelle du Millénium viennent d’un ingénieur, Chris Wise. Peut on
en déduire un renversement de l’art de l’ingénieur qui consiste à garantir une
économie de matière?
llé
e
39
4.2 Conception des passerelles: Art structurel ou Architecture
D’après les propos de D. P. Billington, dans The tower and the bridge, les ouvrages
d’art, qui sont des objets de grande échelle avec une unique fonction, résultaient
directement des idées techniques, de l’expérience et de l’imagination des ingénieurs
en structures. «Les formes des prototypes des ingénieurs-les ponts publiques-ne
demandent pas d’architecte». Cependant, «le monde moderne tend à classifier [les
ouvrages d’art ]comme de l’architecture».
Dans le domaine des passerelles piétonnes, les recherches récentes vont dans le
sens d’une quête d’une expression architecturale de légèreté. Quelles sont les
raisons de ce renversement de la conception des passerelles? Cette légèreté
apparente échappe-t-elle à la stricte pensée de l’ingénieur?
Ec
ol
e
d'
ar
ch
Les passerelles ont pour particularité d’être à échelle humaine ce qui explique
l’intérêt des architectes pour celles-ci. En effet, selon D .P .Billington, les architectes
produisent des formes pour contrôler les espaces qui vont être utilisés par les
hommes alors que les ingénieurs produisent des formes dans le but de contrôler
2 «Although there are built examples with spans of up to 136m, the rise ratio is far beyond the
present normal requirements for handicapped accessible constructions. To achieve a rise
ratio of approximatively 8% at the ends, spans of 40-50m are reasonable without leading
to unmanageable anchorage forces..» Design of footbridges: are there limits? Andreas Keil,
Footbridge 2008, Page 14
3 «This undeniably resulted in a slender and elegant, but the very strong cable forces had to be
anchored in huge and costly fondations. Considering only vertical forces, with the London
Millenium Bridge’s cables and foundations, one could construct a «classic» suspension bridge
(f/L=1/10) with appromatively 930m mid span length», Design of footbridges: are there limits?
Andreas Keil, Footbridge 2008, Page 15
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
les forces de la natures auxquelles il faut résister. Ainsi les deux approches sont
nécessaires à la conception d’une passerelle permettant une connexion efficace ,
et conçue pour le confort et les interactions des piétons.
De plus, «récemment, peut-être déclenchée par les projets du Millénium en GrandeBretagne, peut-être parce des villes ignorées souhaitent bénéficier d’un «effet
Bilbao», le vocabulaire de la clientèle a changé. Des structures «iconiques» et des
passerelles «signales» sont devenues des demandes fréquentes. Principalement, il
s’agit d’un effet positif, car elle démontre que les passerelles sont devenues dans la
conscience publique des structures ayant le potentiel de façonner et d’influencer
notre habitat.»4
L’image d’une structure défiant la pesanteur par des records de portées et de
finesse pourrait apporter cette vision symbolique et attractive permettant de
développer la reconnaissance et le tourisme d’une ville. Ainsi, l’évolution du statut
des passerelles peut expliquer le développement de cette quête de légèreté
architecturale. Une passerelle n’est plus qu’un simple franchissement pratique c’est
également l’occasion de produire une structure audacieuse et symbolique.
Selon Mike Schlaich, «les valeurs de l’ingénierie tels que l’économie et la solidité
sont jetées par dessus bord pour le bien d’une structure jamais vue»5 Ainsi, l’éthique
des ingénieurs serait-elle mise à mal par la quête esthétique de légèreté des
passerelles?
llé
e
40
Ec
ol
e
d'
ar
ch
D’après les Cahiers d’Art de 1926, « le travail de l’ingénieur, pur à l’origine, commence
petit à petit à être altéré par des buts esthétiques »6. De cette affirmation, on doit
comprendre que la recherche de légèreté apparente serait contradictoire avec l’art
structurel de l’ingénieur. Cet art structurel est théorisé par David P. Billington dans
The tower and the Bridge. Selon cet ingénieur, une structure est artistique lorsqu’elle
remplie trois critères essentiels : l’efficacité qui correspondant à l’utilisation d’un
minimum de matériaux, l’économie du point de vue budgétaire et l’élégance.
Billington démontre que la création de structures artistiques et expressives n’est
pas (seulement) une question architecturale, ou ornementale, mais bien un contrôle
des matériaux, des éléments de la nature (gravité / vent), par la technique des
ingénieurs. On voit d’après cette définition que la beauté de la structure passe par
son efficacité et l’économie de matière. Selon l’art structurel, c’est donc la légèreté
quantitative qui caractérise une structure artistique et non la légèreté apparente.
De même, Joseph August Lux écrit, en 1910, dans Ingenieur-Ästhetik que «la
spécificité de l’art de l’ingénieur, dans son rapport entre fonction et beauté, est
définit par le fait qu’il assure avant tout à ses créations le droit d’être reconnues sur
4 «Recently, perhaps triggered by the Millenium Projects in Great Britain, perhaps because
fameless towns want to profit from a «Bilbao effect», the vocabulary of clients has changed.
“Iconic” structures and “landmark” bridges have become frequent requests. Primarily this
is a positive effect, because it demonstrates that footbridges have moved into the public
consciousness as structures with the potential to shape and influence our habitat», Guidelines
for the design of footbridges, Mike Schlaich, Footbridge 2005, Page 3.
5 «Engineering values such as economy and robustness are thrown over board for the sake of
not yet-seen cockalorum structures «, Guidelines for the design of footbridges, Mike Schlaich,
Footbridge 2005, Page 3
6 L’esthétique des ponts, Bertrand Lemoine, culture technique numéro 26, 1992, Page 116
41
Ec
ol
e
d'
ar
ch
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
Ainsi, dans la conception des passerelles se confrontent l’ approche architectural et
l’art structurel, soit deux aspects esthétiques fondés chacun sur des acceptions
différentes de la légèreté. Une recherche de légèreté apparente pour l’architecture
et une recherche de légèreté quantitative pour l’art de l’ingénieur.
De plus, en considérant les problèmes de comportements dynamiques liés à la
marche des piétons, la réponse à apporter est logiquement celle de l’ingénieur, elle
doit donc correspondre à une recherche d’économie de matière mais dans le cadre
d’une conception menée de concert avec un architecte, la solution envisagée se
doit de respecter, dans la mesure du possible, ses exigences de légèreté visuelle.
Une conception légère d’un point de vue architectural et structurel peut paraître
inaccessible mais elle doit naître d’une compréhension de ces deux acceptions de
la notion de légèreté de la part des ingénieurs et architectes encadrant le projet.
Une passerelle idéale ne serait donc pas une passerelle apparaissant extrêmement
légère et qui déploierait des moyens démesurés dans les fondations ou dans les
systèmes de contrôle des vibrations horizontales. Encore faut-il définir la mesure
«acceptable» des moyens mis en oeuvre pour permettre d’afficher une apparence
de légèreté. En effet, quels sont moyens supplémentaires (quantité de matière et
coût) qu’il est admissible de mettre en oeuvre pour réaliser une passerelle
visuellement légère en respectant l’éthique des ingénieurs?
llé
e
le plan esthétique par le fait qu’elles soient parfaitement fonctionnelles et utiles,
qu’elle soient l’expression d’une économie extrême et d’une discipline intellectuelle
rigoureuse. »7
7 L’esthétique des ponts, Bertrand Lemoine, culture technique numéro 26, 1992, Page 117
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
La recherche d’un idéal de légèreté
inaccessible?
Choix de parti ou compromis
llé
e
43
Ec
ol
e
d'
ar
ch
La conception de passerelles piétonnes de plus en plus légères quantitativement
(masse) et visuellement ( finesse, grandes portée) entraîne des conditions
favorables au phénomène de vibrations horizontales sous chargements piétons
qui a émergé au début du 21ème siècle. Des recherches menées en France et en
Angleterre pour définir des étapes de conception et de dimensionnement des
passerelles prenant en compte les charges dynamiques et publiées dans divers
guides de conception définissent des gammes de fréquences admissibles et des
critères de confort liés à la localisation et à la fréquentation des passerelles. Mais
ces critères de confort sont liés à la perception subjective des piétons et
notamment à la légèreté apparente de la passerelle traversée. La maîtrise
d’ouvrage doit donc imposer un niveau de confort souhaité dès les premières
étape de le conception ce qui permet de choisir une stratégie de contrôle des
vibrations horizontales lorsque cela s’avère nécessaire. Deux démarches sont
possibles: l’optimisation de la structure ou l’ajout d’amortisseurs.
Choisir de travailler sur les capacités même de la structure dès les premières phases
de la conception n’est pas nécessairement en désaccord avec une recherche de
légèreté apparente et d’économie de matière comme le montre la passerelle du
Nord de Schlaich Bergmann & Partners mais cela se révèle surtout efficace dans le
cadre de la conception de passerelles caténaires. Au delà d’ une certaine portée,
cette stratégie se révèle inappropriée ce qui remet en cause sa légitimité dans une
quête de légèreté apparente par le dépassement des records de portées.
Dans cette optique, la solution d’ajouter des amortisseurs semble une option
raisonnable pour satisfaire les critères de légèreté tout en garantissant le confort
des piétons. Cependant, cette approche suppose une démarche de projet différente
qui selon la distinction faite par Simondon sur les objets techniques, n’apparaît pas
être une démarche liée à l’économie de matière car elle suppose l’addition d’objets
techniques n’ayant qu’une fonction. De plus, l’évaluation du comportement
dynamique d’une passerelle au cours de la conception étant incertaine, il est
possible d’intégrer, à titre préventif, la masse non négligeable d’éventuels
amortisseurs dans le dimensionnement d’une passerelle et se rendre compte que
ceux ci ne sont pas nécessaires après la construction. La passerelle peut donc s’en
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
llé
e
ne
-la
-V
a
retrouver sur dimensionnée.
Une bonne intégration ces objets techniques passe par une adaptation du
schéma statique de la passerelle pour permettre un travail optimisé de ces
machines. Mais leur intégration visuelle est également un défis pour préserver
l’apparence de légèreté des passerelles et cette intégration semble passer par la
dissimulation de la technique. Ainsi, on retrouve cette volonté d’intégration car
dissimuler la technique est une façon de dissimuler ce qui permettrait de lire la
résistance et la solidité de la structure. Par , on cherche à augmenter , dans la
conscience des piétons, l’impression que la structure défie la pesanteur de façon
spectaculaire.
De plus, pour certaines passerelles, telle que la passerelle du Millénium, la quête de
légèreté apparente peut non seulement conduire à la mise en place de machines
mais peut également cacher une massivité dans les fondations immergées. Ces
énormes moyens déployés en profondeurs sont en contradiction avec l’art
structurel de l’ingénieur de l’économie de matière. Ceci continue à mettre en
tension les deux acceptions de la notion de légèreté en opposant l’esthétique de
l’architecte et celle de l’ingénieur.
D’aprés l’ingénieur françois Consigny, «la question du choix de parti et du
déroulement de la conception est déterminante»1. En effet, plusieurs choix
déterminent à quelle définition de la légèreté va être rattachée une passerelle.
Par exemple, le choix du mandataire de la maîtrise d’oeuvre peut signifier une
orientation que la maîtrise d’ouvrage souhaite donner à la conception de son
ouvrage. En effet, si elle souhaite créer un symbole attractif pour une ville, on peut
penser qu’elle confiera cette tâche à un architecte. Si l’efficacité et l’économie de la
structure sont les objectifs de la maîtrise d’oeuvre, elle confiera sûrement la
conception à un ingénieur. Cependant, ce n’est pas aussi simple que cela, car tout
dépend de la démarche de projet qu’adoptera l’architecte ou l’ingénieur. En effet,
certains architectes peuvent être plus à l’aise avec les questions structurelles tandis
que certains ingénieurs peuvent accorder plus d’importance à l’apparence de
légèreté qu’à l’économie de mlatière.
Ec
ol
e
d'
ar
ch
Ceci suppose que la légèreté apparente et la légèreté quantitative ne peuvent pas
être en complet accord mais une conception légère d’un point de vue architectural
et structurel peut naître d’une compréhension de ces deux acceptions de la notion
de légèreté de la part des ingénieurs et architectes encadrant le projet et d’une
définition d’une «marge de manoeuvre» acceptable pour apporter une plus value
esthétique. Cette idée est mentionnée par D. P. Billington lors du cycle de conférence
Footbridge 2005. Il rapporte que «certains ingénieurs sont d’accord qu’un petit
extra peut être dépensé pour améliorer l’apparence d’une structure. Les coûts
supplémentaires allant de 5-20% (ou même plus élevés pour les passerelles
piétonnes) au-dessus du prix de la solution la moins coûteuse peuvent être justifiés
1 Propos recueillis lors d’un entretien téléphonique avec François Consigny, rapporté en annexe
Ec
ol
e
d'
ar
ch
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
2 «Some engineers agree that a little extra can be spent to improve a structure’s appearance.
Additional costs ranging from 5-20% (or even higher for pedestrian bridges) above the least
expensive solution can be justified to improve the visual appearance of bridges.», AESTHETICS
AND ETHICS IN PEDESTRIAN BRIDGE DESIGN, D. Billigton, Shawn Woodruff, Footbridge 2005,
Page 2
ne
-la
-V
a
pour améliorer l’aspect visuel des ponts»2. De la même manière, on peut penser
qu’un pourcentage de masse supplémentaire peut être admis pour accentuer
l’apparence de légèreté d’une passerelle. Ceci traduirait une démarche concertée
entre architecte et ingénieur dès les premières étapes de la conception permettant
d’atteindre un idéal de légèreté, non pas par un choix de parti mais, par des
compromis.
llé
e
45
47
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
Bibliographie
- Footbridges: structure, design, history, ursula baus, Mike Schlaich, Springer, 2008
- Guidelines for the design of footbridges, volume 32 de bulletin, Fédération
International du Béton, fib, 2005
- Experimental determination of dynamic properties of footbridges, Millpress, G.
Sedlacek & C. Butz, 2005
- Contrôle vibratoire des passerelles piétonnes: guide de dimensionnement, Human
induced vibrations of steel structures (hivoss), 2007
- Pedestrian-induced lateral vibrations of footbridges: experimental studies and
probabilistic modeling, DTU civil engineering, janvier 2011
- Technical guide: footbridges, assessment of vibrational behaviour of footbridges
under pedestrian loading, Service d’Etudes Technique des Route et des Autoroutes
(SETRA), octobre 2006
Ec
ol
e
d'
ar
ch
- Bulletin de liaison diffusé par le centre des techniques d’ouvrages d’art du Service
d’Etudes Techniques des Routes et Autoroutes (SETRA), n° 32, page 26-33, juillet
1999
- Du mode d’existence des objets techniques, Gilbert Simondon, Aubier-Montaigne,
1969
- L’esthétique des ponts, Bertrand Lemoine, Culture Technique numéro 26, 1992
- History of the modern suspension bridge: solving the dilemma between economy
and stiffness, Tadaki Kawada, ASCE publications, 2010
- Bridge aesthetics around the world, National Research Council (US.). Transportation
research board. subcommittee on bridge aesthetics, Transportation research board,
1991
ne
-la
-V
a
- The architecture of bridge design, David Bennett, Thomas Telford, 1997
llé
e
- Bridgescape: the art of designing bridges, Frederick Gottemoeller, Wiley, 2004
- The tower and the bridge: the new art of structural engineering, David P. Billington,
Princeton University Press, 1985
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
- Success through failure: the paradox of design, Princeton Press, Henry Petroski,
2006
- 2010, Bulletin des ouvrages métalliques numéro 6, Construire acier, 2010
- Footbridge 2002, design and dynamic behaviour of bridges, 1st international
conference, organisée à paris par AFGC et OTUA, 20-22 novembre 2002
- Towards reasoned, open-minded footbridge design, Mimram M.
-‘‘Lively’’ footbridges - a real challenge, Bachmann H.
- Dynamic behaviour of a multi-span stress ribbon bridge, Schlaich M., Block
C.
-The Bercy-Tolbiac footbridge in paris, Consigny F., Vaudeville B., Menard R.
-Aesthetics of footbridge design, Eyre J..
-Key results of modal testing of the Millennium bridge, London, M. Willford
- Planning conditions for footbridges, Schlaich M.
- New structural concept for footbridges, Strasky J.
- Damping of vibrating footbridges, Benedikt Weber
Ec
ol
e
d'
ar
ch
- Footbridge 2005, 2nd international conference, organisée à venise par DCA, JUAV
et OOTUA, 6-8 décembre 2005
-Aesthetics and ethics in pedestrian bridge design, D. Billigton, Shawn
Woodruff
-Footbridge pedestrian vibration limits, part 2: Human sensitivity, Chris
Barker
-Experimental characterization of the dynamic behaviour of lively
footbridges, Christiane Butz
-Tuned mass dampers sensitivity in footbridge vibration control, Antonio
Capsoni
-Dynamic analysis of the Bercy-Tolbiac footbridge, Xavier Cespedes
-Dynamic behaviour of a steel footbridge. characterisation and modelling of
the dynamic loading induced by a moving crowd on the Solferino footbridge
in paris, Frédéric Danbon
-Guidelines for the design of footbridges, Mike Schlaich
49
-Footbridges and structural design identity, Nina Rappaport
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
-Effect of tuned mass dampers on footbridge design, Snijder et Bakker
-Design of footbridges: are there limits? Andreas Keil
-Fluid viscous dampers: an effective way to suppress pedestrian-induced
motions in footbridges, Philippe Duflot, Doug Taylor
-Stabilising the london Millennium bridge, Ingenia, Tony Fitzpatrick Freng
and Roger Ridsdill Smith, 9 aout 2001.
llé
e
- Footbridge 2008, 3rd international conference, organisée à porto par FEUP et
OTUA, 2, 3 et 4 juillet 2008
- Footbridge design for synchronous lateral excitation, Angus Low, Peter Burnton,
2008
- London Millennium bridge: pedestrian-induced lateral vibration, journal of bridge
engineering (p.412-417), Pat Dallard, Tony Fitzpatrick, Anthony Flint, Angus Low,
Roger Ridsdill Smith, Michael Willford, et Mark Roche, décembre 2001
- The london Millennium footbridge, the structural engineer volume 79/no 22, p.
Dallard, A. J., Fitzpatrick, A. Flint, S. le Bourva, A. Low, R. M. Ridsdill Smith et M.
Willford, 20 novembre 2001
- The art of structural engineering: The work of jörg schlaich and his team, Edition
Axel Menges, Alan Holgate, 1997
- Leicht weit: light structures, Prestel, Jörg Schlaich, Rudolf Bergermann, 2003
Ec
ol
e
d'
ar
ch
- Solferino dessus-dessous, l’Acier pour construire (p.23-27), avril 2000
51
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
Entretien avec Sophie Le Bourva
Ceci est le rapport d’un échange par mail que j’ai eu avec Sophie Le Bourva,
ingénieur au sein d’Ove Arup et chef de projet pour la passerelle du Millénium de
Londres le 1 Novembre 2011.
DB : J’ai pu lire sur le site d’Ove Arup que l’effet de résonance dû au passage d’une
foule avait déjà été observé dans le passé et notamment pour l’Auckland Harbour
Bridge en 1975.
Pensez-vous que la complexité du Millénium Bridge en a fait un cas difficile pour
lequel ce phénomène n’était pas prévisible ou pensez-vous que cela aurait pu être
évité si ce phénomène de résonance avait été communiqué et enseigné?
Ec
ol
e
d'
ar
ch
SLB : Si le phénomène de résonance horizontale avait été identifie en tant que tel a
l’époque, ensuite étudié pour en définir les paramètres et finalement diffuse plus
généralement, il aurait pu être pris en compte lors de la conception du Millénium
Bridge. La complexité du Minium bridge n’est pas à l’ origine du phénomène de
résonance horizontale, qui ne dépend quasiment que de la fréquence des modes
propres horizontaux de vibration de l’ouvrage. Si ces modes de vibration ont des
fréquences inférieures à 1.2Hz environ, l’ouvrage est susceptible d’être mis en
résonance avec un nombre suffisant de personnes. La fréquence en question
dépend de la raideur horizontale du pont et donc de la portée. La raideur horizontale
du Millénium Bridge est tout a fait similaire à celle de passerelles de portée
équivalente. En fait ce n’est pas la complexité du Millénium Bridge qui a pose
problème, mais plutôt ce qu’il a commun avec de nombreux ouvrages de passerelles
légères.
DB : Selon vous, comment peut-on expliquer le fait que ce type de défaillance était
ignoré jusqu’à l’inauguration du Millenium Bridge malgré les antécédents que nous
connaissons?
SLB : Le phénomène n’avait pas été identifie en tant que tel. Il avait été constate
dans des circonstances particulières qui n’était pas le mode de fonctionnement
ne
-la
-V
a
DB : Les leçons apprises par la défaillance du Millénium Bridge ont-elles été
bénéfiques aux ouvrages ultérieurs et ont-elles conduit à des innovations
techniques?
llé
e
habituel des ouvrages. Dans le cas de l’Auckland Harbour Bridge, cela a eu lieu un
jour ou le pont était ferme aux voitures pour une manif maori. Le reste du temps,
les piétons n’étaient pas autorises sur le pont et donc il n’y avait pas de phénomène
de résonance.
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
SLB : Depuis le Millénium Bridge, le phénomène a été identifie en tant que tel et
des recherches effectuées pour en quantifier les effets. Aucun concepteur de
passerelle aujourd’hui ne pourra s’abstenir de vérifier son ouvrage vis-à-vis de ce
phénomène.
Pour ce qui est des innovations techniques, le Millénium bridge a été équipé d’un
dispositif d’amortissement très efficace, ce qui n’avait pas été effectue fréquemment
auparavant sur des ouvrages d’art.
DB : Que pensez-vous de la discipline des «Forensic Engineers» et de l’importance
des études de cas pour l’amélioration des méthodes de construction? Selon vous,
doit-on enseigner les «défaillances» passées au travers d’études de cas au sein du
cursus d’architecture et d’ingénierie?
Ec
ol
e
d'
ar
ch
SLB : Il est clairement important de tirer les leçons des expériences passées (en
positif ou négatif ). L’industrie aéronautique effectue ceci depuis de très nombreuses
années. On enseigne déjà les erreurs passées dans les cursus d’ingénierie, mais le
problème n’est pas toujours une répétition des erreurs passées, mais plutôt les
erreurs futures, et celles qui émergent de problèmes non identifies. DB : Que
pensez-vous de la recherche de finesse et de légèreté lors de la conception d’un
ouvrage d’art? Est-elle liée selon vous à une volonté d’économie de moyen et de
matière (soucis écologique) ou est-elle seulement le résultat d’une volonté
esthétique de la part d’un architecte?
La recherché de légèreté provient le plus souvent de contraintes techniques. Des
lors que la portée devient substantielle, un pont plus léger pour la même raideur
sera un avantage important. Pour les passerelles piétonnes de portée plus
modestes, cet avantage est moins important et la recherche de légèreté peut
devenir excessive. Encore faut-il savoir si on parle de la partie visible de l’ouvrage
uniquement ou bien si on prend en compte les parties cachées comme les
fondations ? D’une manière générale, je pense qu’une intervention architecturale
sur les ouvrages d’art peut être bénéfique, pour autant qu’il n’est résulte pas des
contorsions structurelles excessives. A ce titre, l’intervention de Norman Foster sur
le viaduc de Millau est un bel exemple du plus qu’un architecte peut amener sur ce
type d’ouvrage.
DB : Dans le cas du Millénium Bridge, la recherche de légèreté et de finesse a été la
cause de ce problème de résonance observé lors de son inauguration. Pour
53
ne
-la
-V
a
SLB : Comme explique précédemment en réponse a votre première question, la
recherché de légèreté du Millenium bridge n’est pas a l’origine du problème. Si le
phénomène avait été identifie et quantifie précédemment, il aurait pu être pris en
compte. Toutefois, il aurait sans doute été traite par un système d’amortisseurs
similaire a celui qui a été mis en place.
llé
e
résoudre ce problème vous avez due dépenser un grand nombre de moyens pour
développer des amortisseurs. Après coups, pensez vous que si ce phénomène avait
pu être anticipé, celui ci aurait été pris en compte dés sa conception?
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
DB : Enfin, selon l’ingénieur Henry Petroski dans Success Through Failure: the
paradoxe of design, l’utilisation d’amortisseurs pour empêcher la vibration
horizontale des passerelles montre que la passerelle ne peut pas résoudre le
problème par elle-même, qu’en pensez vous ?
Ec
ol
e
d'
ar
ch
SLB : Je ne connais pas l’ouvrage auquel vous faites référence.
L’utilisation d’amortisseurs dans le domaine de la structure est un progrès important
qui est en plein développement, notamment dans en ingénierie sismique. Cette
utilisation est à la source d’économies de matière importantes pour les ouvrages
en région sismique. Pour l’instant, l’émergence d’un nouveau type de structure est
plutôt celui qui amène l’intégration d’amortisseurs dès le départ de la conception.
55
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
Entretien avec François Consigny
Rapport de d’un entretient téléphonique avec François Consigny, ingénieur au sein
du BET structure RFR, responsable du dimensionnement de la passerelle Simone
de Beauvoir. Cet entretient téléphonique a été réalisé le 21 décembre 2011 (à un
état avancé du mémoire) et les paroles de mon interlocuteur, n’ayant pu être
enregistrées, sont résumées dans ce rapport.
DB : Tout d’abord, je vous repositionne le sujet de mon mémoire. Comme je vous
l’ai expliqué dans mon mail, je traite de la vibration des passerelles piétonnes mais
ceci me permet de questionner la notion de légèreté. En effet, la conception
architecturale des passerelles piétonnes est souvent basée sur une recherche de
légèreté visuelle ce qui a fait émergé le problème de vibration horizontales de ces
structures.
J’essaye donc de comprendre, à travers les solutions apportées pour empêcher la
vibration des passerelles, si la recherche effrénée de légèreté visuelle peut être en
accord avec une légèreté quantitative (économie de matière) qui est le fondement
de l’art de l’ingénieur.
Ec
ol
e
d'
ar
ch
DB : Tout d’abord pouvez vous me préciser quel a été votre rôle et a quel moment
vous êtes intervenu dans la conception de la passerelle Simone de Beauvoir ?
FC : J’ai été responsable du projet depuis la phase étude lorsque le concours a été
gagné et j’ai été chargé de l’étude structurelle et du dimensionnement de la
passerelle.
DB : Pouvez vous me décrire le processus de projet et notamment l’interaction
architecte-ingénieur?
FC : L’élément perturbateur du point de vue de l’ingénieur que je suis c’est que sur
ce projet, l’architecte était mandataire de la maîtrise d’oeuvre alors que la plus
grande quantité de travail sur ce type de projet est dans l’ingénierie. De plus, c’est
la structure qui est porteuse de l’image du projet. Selon moi, il serait plus légitime
ne
-la
-V
a
DB : Pour la passerelle Simone de Beauvoir, la recherche d’une apparence de
légèreté s’est elle traduit par une économie de matière?
llé
e
sur ce type de projet que l’architecte soit cotraitant. Pour la passerelle Simone de
Beauvoir, l’architecte était très présent en terme d’exposition médiatique et
d’honoraires ce qui a rendu la relation difficile.
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
FC : La relation est dans le concept. Dans la mise au point du concept, la hauteur
structurelle avec la catène et l’arc est fixe et permet une efficacité et économie de
matière mais la hauteur visuelle dépend de la structure. C’est clairement le concept
structurel qui est à l’origine de la légèreté visuelle. La structure permet l’accessibilité
aux quatre points du site et l’économie de matière est dans l’intelligence.
DB : A quel moment du processus de projet la nécessité de mettre en place des
amortisseurs a t- elle été prise en compte ? Ceux ci a il eu une influence sur le
dimensionnement de la passerelle?
Ec
ol
e
d'
ar
ch
FC : Il y deux types de vibrations à prendre en compte pour un tel projet de grande
portée : la vibration verticale et la vibration horizontale. La vibration verticale et
connue depuis longtemps et est toujours traitée dès que l’on s’intéresse à des
ouvrages de grandes portées. Ce type de vibration avait été évalué et intégré dès
les premières phases du projet. Pour les vibrations horizontales, ceci a été plus
tardif car ce phénomène a été révélé avec l’inauguration du Millénium Bridge à l’été
2000. Ceci s’est produit pendant le rendu de la phase APS ou APD et la maîtrise
d’ouvrage a alors demandé de le prendre en compte dans le dimensionnement. On
a également travaillé sur la rédaction du guide du SETRA.
Cependant, la prise en compte de la vibration horizontale n’a pas eu d’impact
important sur le dimensionnement de l’ouvrage mais sur sa conception. Nous
avons du modifier le schéma statique de la passerelle. Dans le concept initial, les
passerelles d’accès de part et d’autre de l’ouvrage étaient déconnectées à l’ouvrage
principale ce qui diminuait les déplacements. Nous avons donc connecté ces
parties pour générer plus de déplacements. Si les éléments sont déconnectés ils
fonctionnent comme des poutres sur appuis alors qu’en les connectant on obtient
une continuité et au lieu de deux travées isostatiques sur une travée principale on
a une poutre continue sur quatre appuis. Ceci génère des déplacements plus
importants ce qui permet de mettre des amortisseurs visqueux qui fonctionnent
pleinement car ils sont activés par des déplacements minimum de la structures.
DB : Une attention particulière a elle été portée pour réduire l’impact visuelle des
amortisseurs?
FC : La modification de la conception a été également dans le choix de l’emplacement
des amortisseurs pour que ceux-ci soit les plus efficaces sans perturber l’image de
la passerelle. Les amortisseurs n’ont donc pas réellement d’impact sur la légèreté
de la passerelle et le changement du schéma statique non plus mais ils permettent
57
son bon fonctionnement.
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
FC : La modification de fréquence de la passerelle pour qu’elle soit hors de la gamme
de fréquence d’excitation n’était pas atteignable car l’amortissement intrinsèque
des matériaux n’est pas modifiable et jouer sur les garde corps ou les assemblages
n’est pas suffisant pour une telle portée. La recommandation du SETRA de travailler
sur l’amortissement intrinsèque de la structure avant d’ajouter des amortisseurs
n’est possible que pour les petits ouvrages et dès lors que l’on travail sur des
ouvrages de grandes portées comme la passerelle Simone de Beauvoir, l’ajout
d’amortisseurs semble être la solution à adopter.
llé
e
DB : A-t-il été envisagé a un moment de chercher à d’éviter la possibilité de vibration
de la passerelle autrement que par l’ajout d’amortisseurs?
DB : Lors d’un entretient écrit avec Sophie Le Bourva celle-ci m’a confié que selon
elle, « pour l’instant, l’émergence d’un nouveau type de structure est celui qui
amène l’intégration d’amortisseurs dès le départ de la conception, qu’en pensez
vous?
FC : Selon moi, une bonne intégration des amortisseurs passe par sur une réflexion
sur le schéma statique permettant un fonctionnement optimal de ceux-ci. Il faut
donc intégrer cette nécessité dès le départ de la conception en prévoyant le schéma
statique adéquat.
DB : Selon des écrits que j’ai pu lire certains ingénieurs pensent que «travail de
l’ingénieur pur à l’origine commence, peu à peu, à être altéré par des buts
esthétiques». Ainsi, pour la conception des passerelles, se confrontent deux
approches de la légèreté, une légèreté architecturale et une légèreté structurelle.
Selon vous, ces deux approches peuvent elle être en accord?
Ec
ol
e
d'
ar
ch
FC : C’est une question de parti architectural qui ne peut pas être déconnecté du
parti structurel. Certains architectes sont plus tournés vers une légèreté visuelle
alors que d’autre sont plus orienté vers la structure. A chaque fois, la question du
choix de parti et du déroulement de la conception est déterminante et pour Bercy,
le choix a été celui du parti de la légèreté visuelle et la question de la visibilité de la
structure. Mais chaque cas est particulier.
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
Estimation de la masse des fondations
de la passerelle du Millénium
llé
e
59
Coupe et plan issus du site d’Arup
Chaque structure de liaison assurant l’assemblage des piles aux deux butées
contient environ 1000m de béton armé.
Chaque pile des butées mesure 2.1m de diamétre et 28m de long. Il y a 12 piles au
Nord et 16 au Sud.
Chacune des deux piles centrales mesure environ 6m de diamètre et 23m de long
(dont 18m sous l’eau).
Estimation du volume de béton d’une pile centrale:
π x 3x 23 = 649.98m3
Ec
ol
e
d'
ar
ch
Estimation du volume de béton d’une pile de butée:
π x1.05 x 28 = 96.93m3
Ancrage au Nord
Volume (m3)
Masse (tonne)
Ancrage au Sud
1000+12 x 96.93 1000+16 x 96.93
=2163m3
=2551m3
5407.5t
6377.5t
2 piles centrales
2 x 649.98
=1300m3
3250t
Total
6014m3
15035t
e
ol
Ec
ne
-la
-V
a
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ch
d'
ar
llé
e
e
ol
Ec
ne
-la
-V
a
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ch
d'
ar
llé
e
61
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
Résumé
Ec
ol
e
d'
ar
ch
La conception de passerelles piétonnes de plus en plus légères quantitativement
(masse) et visuellement (finesse, grandes portées) entraîne des conditions
favorables au phénomène de vibrations horizontales sous chargements piétons
qui a émergé au début du 21ème siècle avec la passerelle Solférino et la passerelle
du Millénium.
Deux stratégies permettent d’éviter la vibration des passerelles modernes:
l’optimisation de la structure ou l’ajout d’amortisseurs. L’analyse de ces stratégies a
montré qu’elles correspondent à deux démarches différentes ne répondant pas
nécessairement aux deux critères de légèretés. L’optimisation de la structure
correspond à une recherche d’économie de matière et d’une apparence de légèreté
jusqu’à une certaine limite de portée tandis que l’ajout d’amortisseurs répond à ces
critères lorsqu’ils sont intégrés dans le schéma structurel de façon à ne pas affecter
le dimensionnement, et lorsqu’ils sont dissimulés pour ne altérer l’apparence de
légèreté de la passerelle.
De plus, l’apparence de légèreté est souvent rendue possible par la mise en œuvre
de techniques lourdes en contradiction avec la recherche d’économie de matière,
fondement de l’art des ingénieurs.
L’éthique des ingénieurs serait altérée par le nouveau rôle attribué aux passerelles:
symboliser audacieusement l’attrait d’un site. Les deux acceptions de la légèreté
sont en tension à travers la confrontation de l’esthétique architecturale et
l’esthétique structurelle. Ainsi, la conception d’une passerelle est liée au choix d’un
parti s’attachant à la légèreté apparente ou quantitative. On peut penser qu’une
passerelle alliant les deux acceptions de la légèreté «naîtrait» d’une compréhension
de ces deux sens de la notion de légèreté de la part des ingénieurs et architectes
encadrant le projet et d’une définition d’une «marge de manoeuvre» acceptable
pour apporter une plus value esthétique.
63
ite
ct
D ure
oc d
um e
en la v
t s ille
ou &
m d
is es
au te
dr rrit
oi oi
t d re
'a s à
ut
eu Ma
r r
ne
-la
-V
a
llé
e
Summary
Ec
ol
e
d'
ar
ch
The design of footbridges increasingly lightweighted (mass) and visualy light
(slenderness and long span) results in favorable conditions to the phenomenon of
pedestrian induced vibration that emerged at the beginning of the 21st century
with the opening of the Solferino Footbridge and the Millenium Footbridge.
Two strategies allow the control of vibration response of modern footbridges: by
improving the dynamic behaviour of the footbridge or by adding damping devices.
The analysis of these strategies has shown that they correspond to two different
approaches that do not necessarily meet the two criteria of lightness. The improving
of the structure corresponds to a search for material economy and apparence of
lightness to a certain limit of span while the addition of dampers meets these
criteria when they are integrated to the structural diagram to not affect the
dimensioning and when they are hidden to not corrupt the appearance of lightness
of the footbridge.
Moreover, appearance of lightness is often made possible by the use of heavy
technologies in conflict with the search of material economy, fundament of the art
of engineering.
The ethics of engineers would be affected by the new role assigned to footbridges:
boldly symbolize the attractiveness of a site. The two meanings of lightness are in
tension through the confrontation of architectural aesthetics and structural
aesthetics.. Thus, the design of a footbridge is linked to the choice of a party
focusing on the apparent lightness or the lightweight. One might think that a
footbridge combining the two meanings of lightness «born» by an understanding
of these two senses of the concept of lightness from the engineers and architects
supervising the project and a definition of an acceptable «flexibility» to add a more
aesthetic value.