Le discours masculiniste antiféministe : s`incliner ou riposter

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Le discours masculiniste antiféministe : s`incliner ou riposter
Le discours masculiniste antiféministe : s’incliner ou riposter ?
par Sophie LE BLANC, étudiante au baccalauréat en science politique – concentration en études féministes
Conférence présentée le 22 février, sous les yeux attentifs d’une salle comble. Tour à tour, Francine
Descarries, professeure au Département de sociologie et membre de l’IREF, et Francis DupuisDéri, professeur au Département de science politique également membre de l’IREF, ont présenté
leurs analyses de l’antiféminisme au sein de notre société.
Francine Descarries a commencé par présenter les manifestations de l’antiféminisme ordinaire
pour ensuite s’attarder aux stratégies des groupes masculinistes antiféministes.
L’antiféminisme « ordinaire »1
L’antiféminisme ordinaire se veut « un antidote au féminisme » en posant des barrières aux avancées
des femmes. Il se manifeste dans les discours et les pratiques, de manière parfois implicite ce qui peut
le rendre difficile à distinguer. Souvent associé à une conception naturaliste de la société, attribuant
des places fixes aux hommes et aux femmes, l’antiféminisme ordinaire impute au mouvement
féministe les maux de la société. Ce phénomène s’explique entre autres par la crainte des hommes de
voir disparaître leurs espaces privilégiés de pouvoir.
L’antiféminisme ordinaire s’appuie sur une vision des femmes allant de la femme diabolique à la
femme rivale, en passant par la femme soumise/victime. Ces images défavorables aux femmes
contribuent à diffuser des stéréotypes avilissants dans la société. Elles constituent un frein à l’égalité.
L’antiféminisme ordinaire transporte l’idée selon laquelle l’égalité est déjà acquise. Cette position
s’appuie notamment sur une comparaison avec les situations à l’étranger en présentant le Québec
comme un paradis pour les femmes. Ce type de propos provoque une diminution de la radicalité des
discours et de la vigilance à l’égard du sexisme.
L’antiféminisme ordinaire tend à diviser les femmes entre elles, en essayant de les convaincre qu’elles
sont elles aussi victimes des changements sociaux induits par le féminisme. Le discours antiféministe
traite sur un pied d’égalité les inégalités entre les hommes et les femmes en donnant un caractère
systémique aux problèmes des hommes. Par ailleurs, il convient de noter que la publicité sexiste
d’une part, et le néo-libéralisme d’autre part, contribuent à l’antiféminisme ordinaire.
Différentes catégories de groupes masculinistes ?
Francine Descarries souligne la diversité des groupes masculinistes. Certains se sont constitués
autour d’un questionnement sur la masculinité sous forme de thérapie. Les groupes conservateurs,
eux, appellent à un retour aux rapports sociaux traditionnels entre les sexes. Enfin, les groupes de
défense des droits des pères constituent une troisième catégorie, une des plus virulentes à l’égard du
féminisme. D’une façon générale, le terme antiféminisme désigne divers individus ou regroupements
masculinistes qui participent d’une mouvance de droite antiféministe. Selon Francine Descarries qui
1
Pour plus de détails, voir dans la revue Recherches féministes, vol. 18, no 2, 2005, p. 1-13, l’article de Francine
Descarries intitulé « L’antiféminisme « ordinaire », disponible sur Internet à l’adresse suivante :
http://www.erudit.org/revue/rf/2005/v18/n2/012421ar.html
associe mouvement social à une volonté collective de changement, le mouvement masculiniste ne
peut être considéré de ce point de vue comme un mouvement social. Ses buts ne coïncidant pas avec
l’égalité ni la transformation des rapports sociaux de sexe, l’analogie avec le féminisme se révèle alors
trompeuse.
Que disent-ils ?
Ils refusent d’admettre que les femmes vivent encore des inégalités sociales systémiques favorisant les
hommes. Surtout, les masculinistes antiféministes imputent les problèmes vécus par les hommes (tels
que le décrochage scolaire, le taux de suicide et la situation parentale de certains pères divorcés) aux
féministes voire même aux femmes. Ils remettent également en question les avancées apportées par
le féminisme tels que le droit à l’avortement ou l’équité salariale en qualifiant de « problèmes » ces
apports pourtant majeurs.
Que font-ils ?
Les médias accordent une large place à ces groupes. Cela leur permet de propager une vision fausse
du féminisme dans la société notamment auprès des jeunes et à « jouer » sur leurs insécurités pour
semer le doute chez plusieurs femmes quant au bien-fondé de leurs revendications. De même ils
maintiennent une pression au niveau des gouvernements pour qu’ils modifient leur approche de
l’égalité entre les sexes.
Ce que sous-tend le discours des masculinistes
L’idée persistante d’un temps meilleur où les femmes occupaient « leur » place révèle toute la
nostalgie attachée à leurs discours. Leur discours vise également la désinformation. Ainsi, les
discriminations que subissent les hommes sont présentées comme des réalités alors que les faits ne
confirment pas ces thèses. Les antiféministes pratiquent la distorsion de la réalité en qualifiant par
exemple le Québec de « matriarcat ». Les argumentaires masculinistes montrent également une
ambivalence face à l’égalité, potentiellement dévirilisante. Ceci révèle le report de leurs inquiétudes
sur les femmes. La mauvaise foi les poussent à déclarer que seules les voix des femmes se font
entendre dans les institutions. En posant le féminisme en tueur de la séduction, ces hommes exercent
un chantage à l’égard des femmes qui hésitent alors à se dire féministes. Ils associent des hommes à
des victimes alors qu’ils sont dominants dans les rapports sociaux de sexe, en allant jusqu’à
déformer les réalités historiques. Enfin, ils n’hésitent pas à user de la caricature pour dévaloriser les
féministes.
Riposter ou se taire ?
Finalement, Francine Descarries préfère se consacrer à l’agenda féministe plutôt que d’adopter une
position continuellement défensive. Elle ne riposte donc plus aux attaques antiféministes. Elle
cherche plutôt à les contrer en réitérant le message féministe en faveur de la l’égalité, la justice social
et la démocratie.
Francis Dupuis-Déri commence sa présentation en faisant remarquer que des représentants des
groupes masculinistes québécois les plus connus sont dans la salle et enregistrent possiblement la
conférence.
Un mouvement social ?
Son principal désaccord avec Francine Descarries a trait à la notion de mouvement social. Selon lui,
les mouvements sociaux ne visent pas seulement l’émancipation ou l’égalité. Les groupes les plus
conservateurs peuvent être qualifiés de mouvements sociaux. D’ailleurs, les groupes masculinistes
existent dans d’autres pays et ne sont pas des groupes isolés. Les représentants de ce mouvement
proviennent d’horizons divers, notamment de milieux intellectuels. Ces groupes disposent d’un
répertoire d’action large qui s’étend des actions directes aux menaces. Selon Francis Dupuis-Déri, les
groupes masculinistes antiféministes seraient le mouvement social le plus efficace à se faire entendre
depuis quelques années au Québec. Abondant dans le sens de Francine Descarries, il souligne que les
hommes blancs bourgeois prétendent régulièrement être en crise dans l’histoire.
Le mouvement masculiniste antiféministe trouve son origine dans les années 1980 dans la mouvance
conservatrice mais aussi à partir de dérapages au sein des groupes pro-féministes de la décennie
précédente. Le discours s’articule alors autour de l’idée que le féminisme serait allé trop loin. Le
mouvement prend de l’expansion dans les années 1990. Par la suite, les féministes répondent à ce
phénomène en publiant, par exemple, le Women’s response to the men movements.
Le discours masculiniste antiféministe
Francis Dupuis-Déri articule sa présentation autour d’extraits de livres écrits par des masculinistes
antiféministes. Ainsi, dans La cause des hommes, Patrick Guillaud soulève que le problème actuel des
hommes réside, entre autres, dans le fait que dès qu’une femme investit un emploi traditionnellement
masculin, les hommes ne peuvent plus y trouver de référence. Il devient un modèle strictement
féminin. Cette situation déstabiliserait le bon développement des hommes en les privant de modèles.
En restant à un niveau psychologique, le discours masculiniste dépolitise le débat. La solution qu’ils
proposent n’est ni politique ni économique. Elle consiste à réaffirmer l’ancienne identité masculine
plutôt que d’appeler à un changement des pratiques actuelles. Cela se traduit, par exemple, à travers
la « psychopop » dans la même veine que Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus, appelant à
des rôles bien distincts entre hommes et femmes.
Francis Dupuis-Déri appelle « mouvement musculiniste » toutes ces analyses qui soutiennent une
remasculinisation de la société. Yvon Dallaire par exemple, s’inscrit dans ce mouvement quand il
cherche à revaloriser les organes génitaux masculins. Son raisonnement s’énonce comme suit :
l’homme est prédisposé à la pénétration, c’est pourquoi il réalise des découvertes et tend à vouloir
explorer l’univers.
Enfin, l’idée que les hommes n’ont pas accès aux mêmes services que les femmes, sur laquelle
s’appuient les revendications des groupes masculinistes antiféministes, constitue une illusion. Les
hommes bénéficient en effet de plus de services à tous les niveaux. Francis Dupuis-Déri conclut que
le problème vient des masculinistes et non pas des féministes.