La Gruyere Online

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Bulle
La Gruyère / Mardi 30 avril 2013 / www.lagruyere.ch
Primasch, Gruérien, bâtard
et fasciné par l’âme tsigane
BULLE. Mardi prochain,
Primasch & the Tzigan
Dream’s Collector lanceront les 13es Francomanias. Rencontre avec le
maître de céans, le violoniste bullois JeanChristophe Gawrysiak.
CHRISTOPHE DUTOIT
Les Bullois croisent fréquemment sa silhouette massive toujours vêtue de noir, ses cheveux
coiffés en catogan sous son
seyant panama. Jean-Christophe Gawrysiak aurait très bien
pu naître à Cracovie, à Budapest
ou au fin fond de la Valachie.
Mais, à défaut d’être de souche,
il est Gruérien de naissance et
violoniste de vocation. Mardi
prochain, sous son pseudonyme tzigane – Primasch,
c’est-à-dire «premier violon» – il ouvrira les
feux des 13es Francomanias de Bulle.
Et si on parle de
feu, le terme est
particulièrement
choisi. Fan de Jimi Hendrix et de Santana, JeanChristophe Gawrysiak livrera
ses versions électrifiées et dégingandées d’airs populaires d’Europe de l’Est, tels qu’il les a enregistrées sur son dernier disque,
Hora!, verni il y a quelques semaines.
«C’est elle qui est partie!»
«Mon groupe, The Tzigan
Dream’s Collector, tourne depuis
trois ans dans sa mouture actuelle, raconte le musicien. Marek (Marc Berman, accordéon),
Alexis (Alexis Hanhart, basse) et
Grzegorz (Grégoire Quartier, batterie) m’ont beaucoup remis en
question. Chacun a d’énormes
compétences musicales. Ils
osent me montrer des choses,
confronter leurs idées. Même si
l’on n’a pas toujours besoin de
tout se dire.» Arrivé comme
homme de main pour l’enregistrement au studio de La Fonderie, à Fribourg, Sacha Love (gui-
tares) fait figure de dernière recrue, «l’épice qui manquait à la
goulasch».
«A 47 ans, j’ai encore l’énergie
de me lancer dans des nouveaux
projets», explique l’ancien violoniste de chambre, qui a fait carrière durant près de vingt ans au
sein du Trio Animæ. «Je n’ai pas
quitté la musique classique.
C’est elle qui est partie! Elle devait avoir une bonne raison… On
n’était certainement plus sur la
même longueur d’onde.»
Sérieusement, le musicien
pense avoir atteint le maximum
de ses possibilités dans le domaine du classique. «Je ne sais
faire que de la musique. J’ai juste
quitté un monde pour en découvrir un autre.»
Justement, l’univers musical
de Jean-Christophe Gawrysiak
remonte aux influences de
son enfance. «J’écoutais
les disques de mes
parents. Mon père,
mi-ukrainien, mi-polonais, est né en
France dans un milieu d’immigrés polonais. Et ma maman est allemande.
A la maison, on a
toujours écouté de la musique
tsigane. A l’époque, la seule
chose qui passait le mur de Berlin en provenance de l’Europe de
l’Est, c’était la culture, comme le
violoniste hongrois Roby Lakatos.»
Grâce aux disques qu’écoute
sa sœur, il mêle ces sonorités
échappées de vieux vinyles avec
la guitare jouissive de Jimi Hendrix, les larsens de Santana, les
atmosphères planantes de Pink
Floyd. A l’âge de 6 ans, le petit
Gawrysiak demande à ses parents s’il peut apprendre le violon. «J’ai dû commencer par un
an de flûte à bec, pour le solfège…» Puis un ami de la famille
lui donne un violon, sur lequel il
joue avec un seul doigt.
Avec un tourne-disque
«J’ai appris la musique avec
un tourne-disque, se souvient-il.
Je n’avais pas vraiment le choix.
Je n’ai jamais bien su lire les par-
Avec son violon amplifié, Jean-Christophe Gawrysiak dépoussière le folklore gitan, klezmer, turc et hongrois.
titions. Par chance, j’ai une
bonne oreille. Je connaissais les
concertos par cœur.» Evidemment, il faut nuancer. Car
l’homme est du genre opiniâtre.
Bientôt, il suit l’enseignement de
Charles Baldinger, bien connu à
Bulle. «Avec lui, j’ai dû m’y mettre pour de bon. C’est vrai que ça
peut être pratique…»
Dépoussiérer le folklore
Au terme de ses études, le
Bullois devient violoniste professionnel. «Mais je suis un bâtard. Ma musique est bâtarde.
Même lorsque je jouais du classique, j’aimais le crossover, le
mélange des genres.» Depuis
quelques années, il délaisse en
effet les tangos de Piazzolla – «la
musique que j’ai le plus aimé
jouer avec le trio» – pour revenir
à ses aspirations gitanes. Au
fond de lui, il se souvient de ce
musicien rencontré en Transdanubie, «qui nous tirait les
larmes avec son crincrin tout
foutu». Un moment clé.
Du coup, Primasch se fond
dans la tradition et reprend des
«Je pense qu’il faut vivre d’illusions»
Le 16 juillet 1998, La Gruyère consacrait
sa page «Magazine», à Jean-Christophe
Gawrysiak, alors membre du Trio
Animæ, qui venait de sortir son premier
album dédié à Piazzolla. Sous le titre
Le Tsigane de l’équipe, le violoniste bullois levait déjà une part du voile sur
ses amours pour les musiques de l’Est.
Quinze ans plus tard, nous lui avons reposé les dix mêmes questions, tirées au
hasard. Avec, entre parenthèses, les réponses qu’il avait données à l’époque.
Si c’était à refaire, quelle autre profession
choisiriez-vous?
Chef d’orchestre, pour pouvoir tout
contrôler. (En 1998: C’est difficile à dire…
Pianiste.)
Avez-vous peur de la mort?
Oui. (Oui.)
Etes-vous plutôt cigale ou plutôt fourmi?
Cigale, qui bosse énormément…
(Ça dépend de ce que j’ai à faire.)
Pour garder une trace de vos souvenirs,
choisissez-vous le caméscope ou
la photo?
La photo. (La photo. Parce que le caméscope, c’est un scénario. La photo,
c’est mille scénarii.)
Les trois mots que vous préférez?
(Il imite l’accent gypsy anglais) Music,
music, music. C’est la forme d’art la plus
puissante, à la fois impalpable et invisible, mais qui dévoile les plus belles
choses que l’on peut montrer. La musique est l’un des derniers champs de la
spiritualité.
(J’ai beaucoup de mots que je préfère… Je cherche, je cherche… Forêt,
c’est un mot que j’aime beaucoup… Liberté, et puis… Il y aura une analyse psychologique, après? Et puis… Tsigane,
j’aime bien, pour la sonorité surtout.
Mais trois mots, c’est beaucoup trop restrictif! C’est comme si je devais donner
trois interprétations d’une même sonate,
alors que chaque fois qu’on joue un mor-
ceau, on choisit d’autres intonations,
d’autres phrasés…)
Quel est votre dernier gros chagrin?
Je pourrais parler d’un truc personnel,
mais je dirais la défaite de Bâle contre
Chelsea, puisqu’il n’y a pas le Mondial
cette année!
(L’élimination du Paraguay en huitièmes de finale du Mondial. Je suis
toujours pour le plus petit. Et le Paraguay disposait avec le gardien Chilavert d’une personnalité au charisme incroyable.)
Les moments de solitude, le silence,
vous sont-ils pesants?
Non, ils sont nécessaires, voire vitaux.
(La solitude, non. Je meuble mes silences
par mes propres monologues.)
Etes-vous capable de faire plusieurs
choses à la fois?
Non, c’est déjà difficile d’en faire une
seule. (Non.)
Comment vous voyez-vous dans vingt
ans?
(Je me souviens que j’avais déjà dit
une connerie…) Avec toujours moins de
cheveux, mais autant de crins sur mon
archet.
(Plus ou moins de la même manière
qu’actuellement, les cheveux en moins.)
Le dernier événement qui vous a
marqué?
Un truc positif, quelque chose de
beau, qui parle à tous… C’est difficile!
Nous, les artistes, nous cherchons le tragique et le spectaculaire… Je suis très
marqué par le potentiel humain pour la
méchanceté et, à la fois, pour son côté
compatissant. Je pense qu’il faut vivre
d’illusions.
(Pas vraiment un événement. Plutôt
un phénomène: l’extrémisme. Tous les
extrémismes, politicards, religieux ou
autres.
CD (Propos de 1998
recueillis par Didier Page)
airs parfois millénaires, comme
Miserlou (remis au goût du jour
dans Pulp fiction de Tarantino)
ou Gasn nigun, une chanson de
rue yiddish désormais incontournable dans son répertoire.
Mais, avec son violon amplifié, ses boucles électroniques et
l’influence de la musique minimale de Terry Riley ou Philip
Glass, il dépoussière le folklore
gitan, klezmer, turc et hongrois
avec la fougue d’un guitar-hero
baigné dans le blues de Gary
Moore ou les riffs de Led Zeppelin. Il pousse même parfois
le bouchon à l’extrême, comme
dans sa version ultrarapide
d’Odessa bulgar, qui frise le metal
pur sucre.
Déjà survoltés sur Hora!, Primasch & the Tzigan Dream’s
Collector donnent la plénitude
de leur virtuosité sur scène, là
où le danger du moment donne
des ailes à l’improvisation et à
la surprise. Car, aux yeux de
Jean-Christophe Gawrysiak, «la
musique tsigane est l’art de
la greffe». Mais, tout bâtard
qu’il se décrive, le musicien est
avant tout un Gruérien. «Oui, je
suis un homme de la terre où je
vis.» ■
Bulle, Espace Gruyère,
mardi 7 mai, dès 18 h.
www.francomanias.ch
Primasch & the Tzigan Dream’s
Collector, Hora!
www.primasch.bandcamp.com

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