La police secrète marocaine n`a plus de frontières?

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La police secrète marocaine n`a plus de frontières?
La police secrète marocaine n'a plus de frontières?
L'arrestation en Espagne d'un Franco-Marocain, El Mostafa Naïm,
torturé puis condamné au Maroc jette le trouble sur la
coopération entre les services européens et marocains.
L'entrée de la prison de Kenitra, Maroc, 2007. AFP/ABDELHAK SENNA
Un Français arrêté en Espagne et torturé au Maroc? C’est possible grâce à la coopération euro-marocaine
pour la lutte contre le trafic de drogue.
Si un policier marocain vous interpelle en Europe, ne croyez surtout pas à une blague. Prenez vos
jambes à votre cou! Les services du royaume n'ont manifestement plus de frontières.
A l’heure où les défenseurs des Droits humains marocains guettent les moindres signes de changement
de politique hexagonale vis-à-vis de leur pays, avec l’avènement du gouvernement socialiste, les récits de
torture de ressortissants français continuent à affluer depuis le royaume chérifien.
Si certaines affaires, comme celle du Franco-Marocain Adil Lamtaoui, peuvent laisser dubitatif quant à
leur véracité, d’autres ne laissent planer aucun doute sur les exactions commises. Pourtant, elles peinent
à mobiliser.
C’est le cas d’un autre Franco-Marocain, dont la famille remue ciel et terre depuis son domicile lyonnais,
pour dénoncer le caractère kafkaïen de son arrestation. El Mostafa Naïm, 28 ans, purge depuis 19 mois
une peine de détention de 5 ans dans le bâtiment 6 de la prison d’Oukacha à Casablanca. Comme Adil
Lamtaoui, il est condamné pour trafic de drogue, et comme lui, il clame son innocence.
Là où le bât blesse, c’est qu’El Mostafa ne se trouve officiellement même pas sur le territoire
marocain, puisqu’il l’a quitté le 1er novembre 2010, et aucun tampon d’entrée au Maroc ne se trouve
sur son passeport après cette date. Or, la police marocaine affirme dans ses procès-verbaux l’avoir
arrêté le 11 du même mois à Mohammedia. Son affaire, rapportée par le quotidien Le Parisien,
laisserait cois les plus fins exégètes du droit international.
De simples vacances au bled…
Le 1er novembre 2010, El Mostafa quitte le Maroc par voie terrestre avec son épouse Nora, enceinte de 8
mois, en direction de Vaulx-en-Velin (région de Lyon) où ils résident. Ce cuisinier de métier venait de
passer des vacances en couple dans sa ville natale de Mohammedia et s’apprêtait, avec sa femme, à
retourner en France pour accueillir la naissance de leur petite fille, aujourd’hui âgée de 16 mois. Mais le
destin, et surtout les services, en ont voulu autrement.
A peine débarqués au port d’Algésiras à bord de leur véhicule, ils auraient été interpellés à la sortie
du bateau par deux policiers marocains en civil. Non, ils ne se sont pas trompés de destination, ils
sont bel et bien en Espagne, mais ce seraient des agents marocains qui les arrêtent.
Contrôle d’identité, puis les policiers ordonnent à El Mostafa de rembarquer vers le Maroc. Le jeune
homme demande des explications, s’indigne, descend de sa voiture, refuse d’obtempérer, mais rien n’y
fait. La Guardia Civile espagnole est étrangement absente, et le personnel espagnol du port ne voit
rien et n’entend rien.
El Mostafa qui, de son propre aveu, n’est pas un enfant de chœur, se débat, se défend, mais trois autres
policiers marocains en civil seraient arrivés, l'auraient mis à terre, et embarqué par la force à bord
d’un autre bateau d’une compagnie espagnole. Direction le Maroc.
Nora, l’épouse d’El Mostafa, se résout à remonter avec lui dans le navire au volant de leur voiture. Une
fois à bord, le Franco-Marocain est emmené à la cale, menotté et attaché au poteau. Ainsi, après avoir
tamponné leur sortie du territoire marocain sur leurs passeports, ils ont dû y retourner
illégalement.
… Au Bagne de Témara
Arrivé à Tanger, El Mostafa est conduit dans un commissariat où il doit «patienter» dans un bureau. Le
jeune homme ne comprend toujours pas ce qu’on lui reproche. Il demande à aller aux toilettes: 10
personnes l’escortent.
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«J’ai commencé à me dire que ça devait être grave», confie-t-il.
Quelques instants plus tard, des agents le font monter à bord d’un véhicule et prennent l’autoroute.
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«Pendant le trajet, je n’ai pas cessé de m’inquiéter du sort de ma femme, ils m’ont dit qu’ils l’avaient
mise dans un taxi pour aller chez des membres de la famille à Tanger», raconte El Mostafa.
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«Juste avant d’arriver au péage de Rabat, ils m’ont mis un bandeau sur les yeux et m’ont
obligés à me baisser».
Fort de sa connaissance du Maroc, El Mostafa commence à se douter qu’il se dirigeait tout droit vers le
sinistre bagne de Témara. La suite du trajet n’allait pas le démentir. Peu après la capitale, la voiture
bifurque sur une piste.
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«Je ne saurais dire exactement pendant combien de temps, peut-être 5 minutes. Une fois arrivés à
destination, les policiers qui m’escortaient n’ont même pas franchi le portail de l’enceinte, ils m’ont
confié à une autre équipe. Pour entrer, je devais baisser la tête, je n’ai pas compris pourquoi»,
raconte-t-il. Arrivé dans le saint des saints de la torture made in Morocco, le Lyonnais a eu
droit à 11 jours de sévices non-stop.
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«On ne me reprochait rien de particulier pendant les interrogatoires. Ils ont parlé de trafic de
drogue, de terrorisme, ils prêchaient le faux pour avoir le vrai. J’ai été tabassé, électrocuté et
filmé. Ils m’ont apporté des vêtements propres qui étaient dans mon coffre, j’ai donc compris que
ma voiture était à Témara aussi», poursuit-il.
Le 11 novembre, El Mostafa Naïm sera finalement conduit dans un commissariat de Casablanca où la
police judiciaire établira un procès-verbal attestant de son arrestation le jour-même à Mohammedia
«en flagrant délit» de détention de drogue et de trafic de stupéfiants. Se basant sur des aveux
obtenus sous la torture, la justice l’inculpera pour constitution de bande criminelle et trafic
international de drogue. El Mostafa écopera d’une peine de 8 ans de prison ferme en Première
Instance, commuée en 5 ans en appel.
France-Espagne-Maroc, l’omerta
En France, son avocat Me François Heyraud, a déposé plainte auprès du parquet de Lyon pour
enlèvement, séquestration et usage de faux. Le procureur de Lyon a saisi à son tour les autorités
espagnoles afin qu’elles expliquent comment les services marocains peuvent agir en toute
impunité sur leur sol. Pour l’instant, aucune réponse n’a été reçue. Pour la famille d’El Mostafa,
faute d’explications de la part de l’Espagne, elle ne sera ni plus ni moins complice d’enlèvement.
Dans l’attente du dénouement de cette énième affaire qui éclabousse la justice du royaume, la mère et
l’épouse du détenu ont saisi Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement français, et Alain
Juppé, ancien ministre des Affaires étrangères. Silence radio.
Plus assourdissant encore, le silence du ministre de la Justice et des Libertés marocain Mustapha
Ramid, qui a reçu plusieurs missives de Me Heyraud et de la famille d’El Mostafa, sans jamais
daigner répondre. La dernière date du 21 mai, elle a été remise par El Mostafa lui-même à une
délégation de parlementaires du PJD, parti de Ramid, en visite à la prison d’Oukacha. Ils se sont engagés
à la remettre au ministre en mains propres, mais depuis, toujours pas de réaction.
Il est visiblement difficile pour Ramid de fournir une explication «légale» à ce dossier, d’autant que
le comité de soutien d’El Mostafa à Lyon est résolu à obtenir une réponse à des faits attestés par
des documents officiels.
Bernard Genin, maire de Vaulx-en-Velin, a d’ailleurs déclaré au site Yabiladi.
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«Pour moi les choses sont très claires […] Nous n’avons en aucun cas à commenter le dossier luimême. Tout comme son comité de soutien, nos seules interrogations portent sur les conditions de
son arrestation. Il a été arrêté le 1er novembre, mais les documents officiels mentionnent le 11
novembre. Que s’est-il passé entre ces deux dates? Il a été maltraité et torturé. En plus qu’il
ait été arrêté sur le sol espagnol par des Marocains, tout cela nous semble bizarre. Nous
demandons à la justice marocaine de faire son boulot».
Pour l’instant, personne ne semble disposé à «faire son boulot» dans cette affaire pour le moins
compromettante pour les autorités marocaines et espagnoles. S’agit-il là de la fameuse «coopération»
entre le royaume et l’Union européenne en matière de lutte contre le trafic de drogue? La thèse reste
plausible, tant que la France continue à faire la sourde oreille aux violations des droits de ses
ressortissants par le Maroc, sous prétexte que la justice chérifienne est indépendante.
Zineb El Rhazoui