cour d`appel - Format UQAM
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Bujold Larocque c. R. 2010 QCCA 1171 COUR D'APPEL CANADA PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE QUÉBEC No : 200-10-002369-093 (655-01-001556-082) (655-01-001557-080) PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE DATE : 15 juin 2010 CORAM : LES HONORABLES ALLAN R. HILTON, J.C.A. (JH5108) NICHOLAS KASIRER, J.C.A. (JK0204) JEAN BOUCHARD, J.C.A. (JB3398) PARTIE APPELANTE AVOCAT KEVIN BUJOLD LAROCQUE Me MARWAN BACHIR (AX2767) (Wullaert, Bachir) PARTIE INTIMÉE AVOCATE SA MAJESTÉ LA REINE Me VICKY SMITH (AS0BD6) (Procureure aux poursuites criminelles et pénales) En appel d'un jugement rendu le 31 mars 2009 par l'honorable Gabriel de Pokomandy de la Cour du Québec, district de Baie-Comeau. NATURE DE L'APPEL : Possession en vue du trafic (2 chefs) – Trafic de substances (culpabilité) Greffière : Michèle Blanchette (TB3352) Salle : 4.30 – VISIOCONFÉRENCE 200-10-002369-093 2 AUDITION 14 h 06 Observations de la Cour; Observations de Me Bachir; 14 h 16 Observations de Me Smith; Observations de la Cour; 14 h 30 Réplique de Me Bachir; Observations de la Cour; 14 h 33 Suspension; 14 h 37 Arrêt. (s) Greffière audiencière 200-10-002369-093 3 PAR LA COUR ARRÊT [1] À la suite du rejet, le 31 mars 2009, par l'honorable Gabriel de Pokomandy de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale (district de Baie-Comeau), de sa requête selon l'article 24 (2) de la Charte canadienne en exclusion de preuve, le juge a déclaré l'appelant Kevin Bujold Larocque coupable de trois chefs d'accusation de possession et de trafic de stupéfiants. En appel, l'appelant prétend que sa requête en exclusion de preuve aurait dû être accueillie, avec pour résultat que cette Cour devrait prononcer son acquittement. [2] La résidence du [...], à Baie-Comeau, est depuis longtemps surveillée par les enquêteurs ayant obtenu diverses informations laissant croire qu'elle était utilisée comme point de vente par des revendeurs de drogue. Elle faisait l'objet d'un mandat de perquisition à être exécuté le 25 octobre 2007. Cette journée-là, l'appelant s'y rend en compagnie de Simon-Pierre Drouin-Parent, individu connu des services de police comme étant actif dans le milieu du narcotrafic. Ils arrivent sur place à bord du véhicule de M. Drouin-Parent, l'appelant prenant place du côté passager. [3] Les agents en place pour l'exécution du mandat avaient reçu pour instructions de procéder à la frappe en présence de visiteurs, potentiels acheteurs qui seraient alors interceptés en vue d'obtenir des éléments de preuve supplémentaires tendant à établir l'utilisation qu'ils soupçonnaient être faite des lieux, histoire de parachever l'enquête. La cible de prédilection était précisément M. Drouin-Parent. [4] À leur sortie du logement, quelques minutes plus tard, M. Drouin-Parent et l'appelant regagnent le véhicule et reprennent leur route pour être interceptés un peu plus loin par une auto-patrouille mobilisée par les agents Mario St-Pierre et Yves Bourque. Une fois sur place, c'est ce dernier qui se charge de l'appelant. [5] Dans son témoignage, l'enquêteur Bourque relate avoir ouvert la porte de la voiture, côté passager, en informant d'entrée de jeu l'appelant qu'il procédait à son arrestation en raison de motifs raisonnables de croire qu'il était en possession de stupéfiants. On l'informe alors qu'il a le droit de contacter un avocat, mais qu'il sera d'abord fouillé. Lorsque le policier lui demande s'il a de la drogue sur lui, il obtient comme réponse : « C'est pas supposé ». Au même moment, l'enquêteur St-Pierre procède de la même manière avec M. Drouin-Parent. [6] Or, alors que la fouille de ce dernier et du véhicule s'est avérée infructueuse, celle de l'appelant permet de repérer dans ses vêtements quatre sachets de marijuana et un sachet comprenant 28 comprimés de méthamphétamines. On l'informe qu'il est de nouveau mis en état d'arrestation, cette fois pour possession aux fins de trafic. S'il se débat un peu au moment où l'agent Bourque commence à vérifier le contenu de ses poches, l'appelant est rapidement maîtrisé par une des agentes ayant participé à son interception. Lorsqu'il est immobilisé contre le capot de l'auto-patrouille, il reprend son calme pour la suite des choses. 200-10-002369-093 4 [7] L'appelant est ensuite escorté au poste, où une nouvelle fouille révélera la présence de deux sachets supplémentaires contenant respectivement 17 et 22 comprimés semblables à ceux déjà saisis. Il livrera par la suite une déclaration volontaire et incriminante, reconnaissant s'adonner depuis environ trois mois à la vente de stupéfiants. [8] Au procès, le juge entend à titre de témoins à charge les enquêteurs Yves Camiré, Mario St-Pierre et Yves Bourque. L'appelant n'a pas témoigné. Une fois la preuve close, l'avocat de l'appelant présente au juge sa requête écrite en exclusion de preuve. Celui-ci prétend que l'arrestation était illégale pour absence de motifs et la fouille qui a suivi, abusive, de sorte que les substances saisies à cette occasion ne sont pas admissibles en preuve. [9] Après avoir résumé le contexte procédural et la preuve entendue au sujet de l'enquête policière ayant mené à l'arrestation de l'appelant, le juge analyse les moyens énumérés à la requête en question. [10] Dans son jugement oral, il débute son analyse en indiquant le renversement de fardeau dont bénéficie l'appelant, qui autrement serait tenu de démontrer par prépondérance l'atteinte à ses droits fondamentaux : s'agissant ici d'une arrestation sans mandat, elle est présumée abusive. Le fardeau de démontrer la constitutionnalité d'une telle arrestation appartient donc, dit-il, au ministère public, qui doit alors établir que la loi autorisait les policiers à procéder comme ils l'ont fait, et que leur conduite en elle-même ne s'est pas révélée abusive. [11] Le contexte de l'enquête étant qualifié de situation hybride, le juge indique bien que l'arrestation, si elle a lieu dans le cadre plus large d'une perquisition autorisée, en demeure une sans mandat. Il se penche donc sur les critères que pose l'article 495 C.cr., la question fondamentale étant, une fois écartée l'hypothèse du flagrant délit, de vérifier la présence de motifs raisonnables de croire en la commission, avérée ou imminente, d'un acte criminel. La fouille sans mandat, note-t-il, peut quant à elle être autorisée selon l'article 11 (7) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. [12] Le juge écarte la possibilité que la seule présence de l'appelant dans la voiture de M. Drouin-Parent ait pu fonder les motifs raisonnables des policiers. Cela dit, les informations que l'agent Bourque avait obtenues en préparation de la frappe, contribuent selon lui à établir de tels motifs, même en l'absence de connaissance directe. De même, les événements dont le policier est personnellement témoin alors qu'il surveille les environs avant de procéder à la perquisition établissent le caractère raisonnable de ses motifs d'arrestation. Ceux-ci, indique le juge, se qualifiaient tant subjectivement qu'objectivement : l'agent Bourque, en voyant un individu s'amener sur les lieux d'un appartement vraisemblablement utilisé comme point de vente de drogues, accompagné de surcroît d'un homme connu des policiers pour son implication dans le trafic – en voyant cet individu, donc, entrer dans la résidence en question puis en ressortir quelques minutes plus tard, peut raisonnablement croire que celui-ci se trouve alors en possession de stupéfiants. Après tout, il ne s'agissait pas pour lui d'être persuadé selon la norme hors de tout doute, applicable aux verdicts de culpabilité. 200-10-002369-093 5 [13] Le juge estime légitime que les enquêteurs aient convenu d'exécuter la perquisition lorsque l'appartement serait visité par des acheteurs potentiels. De même, viser un individu en particulier, connu pour son activité dans le milieu des trafiquants, ne pose pas davantage problème. Le tout serait simplement de nature à assurer l'efficacité des manœuvres utilisées – et ce, bien que l'interception des individus ait visé manifestement la bonification de la preuve recueillie dans le cadre de la perquisition, plutôt que leur inculpation personnelle. [14] En ce sens, le juge mentionne que la situation peut être analysée comme une détention aux fins d'enquête, également légitime, car les motifs de croire à la possession, dont il a déjà fait état pour justifier l'arrestation sans mandat, constituent également des motifs raisonnables de soupçonner l'implication de l'appelant. Ainsi, s'appuyant sur l'arrêt Simpson1 de la Cour d'appel de l'Ontario, le juge indique que l'interception se justifie également à titre de détention à des fins d'investigation, considérant le cadre plus large du mandat de perquisition et de l'enquête en cours quant aux transactions ayant cours au [...]. La légalité de la fouille qui a suivi, semble-til, peut à ses yeux s'inférer de la même manière. [15] Bien qu'il ne conclue pas à la présence d'une violation des droits fondamentaux de l'appelant, le juge procède néanmoins, à titre subsidiaire, à une analyse en fonction de l'article 24 (2) de la Charte canadienne. Le seul aspect des événements qui, selon lui, pourrait potentiellement être qualifié d'atteinte est la force utilisée pour maîtriser l'appelant lorsque celui-ci résistait à la fouille. Considérant la bonne foi des policiers et la nature matérielle de la preuve obtenue – preuve sans laquelle les accusations portées ne tiennent plus – il en vient à la conclusion que l'exclusion serait de nature à discréditer l'administration de la justice2. [16] La Cour est d'avis que le juge n'a commis aucune erreur qui pourrait justifier son intervention. [17] D'abord, selon l'article 495 (1) a C.cr., l'enquêteur Bourque pouvait légalement procéder à l'arrestation de l'appelant sans mandat à la condition qu'il ait une croyance raisonnable et probable en la commission d'une infraction criminelle. Les paramètres selon lesquels il faut apprécier cette question ont été élaborés par la Cour suprême et sont désormais bien établis, c'est-à-dire un policier doit non seulement avoir subjectivement des motifs raisonnables et probables, mais ceux-ci doivent également s'avérer objectivement justifiables3. 1 2 3 R. v. Simpson, (1993), 79 C.C.C. (3d) 482 (Ont. C.A.). Au moment de son jugement, la Cour suprême du Canada n'avait pas encore déposé son arrêt dans R. c. Grant, [2009] 2 R.C.S. 353, 2009 CSC 32. R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241, 250-251. 200-10-002369-093 6 [18] Sur le plan subjectif, les informations que détenait l'enquêteur Bourque étaient de deux ordres. Il avait été mis au courant des données obtenues au cours des dernières semaines par des collègues chargés de la surveillance de l'appartement ciblé par le mandat de perquisition, et il a lui-même été affecté à une telle surveillance durant les heures qui ont précédé l'arrestation, de sorte qu'il a pu constater de visu l'ampleur du va-et-vient qui se déroulait à cet endroit. [19] Le fait pour l'appelant de s'être rendu, pour quelques minutes à peine, sur les lieux, le tout en compagnie d'un individu connu pour son implication dans le milieu du narcotrafic – information que l'enquêteur Bourque possédait également pour en avoir été informé lors du briefing précédant l'opération policière –, lui fournissait des motifs raisonnables de croire que l'appelant pouvait probablement être en possession de drogue à sa sortie de la résidence. [20] Sur le plan objectif, il est manifeste que, dans les circonstances de l'espèce, tout autre policier ayant bénéficié des mêmes informations que M. Bourque aurait été enclin à conclure du passage des deux individus que ceux-ci s'étaient vraisemblablement procuré des stupéfiants auprès des occupants de l'appartement surveillé. Il ne s'agissait pas uniquement d'une simple intuition, mais bien d'une croyance subjective fondée sur des informations avérées et qui se justifie objectivement. [21] Quant à la fouille exécutée après l'arrestation de l'appelant, celui-ci prétend que les policiers auraient dû obtenir au préalable un mandat, faute de quoi leur façon de faire est présumée abusive. Or, toujours selon l'appelant, il ne leur aurait pas été possible d'en obtenir un, vu la faiblesse des motifs qu'ils invoquent pour justifier l'arrestation. Celle-ci étant elle-même illégale, il ne saurait selon lui être question de fouille incidente. [22] Néanmoins, ayant conclu à la légalité de l'arrestation, la Cour doit analyser la légalité de la saisie de drogue qui a suivi la fouille sur la base d'une fouille accessoire à l'arrestation. [23] L'application en droit canadien de ce pouvoir incident qu'ont les policiers de fouiller les individus arrêtés conformément à la loi, issu de la common law, ne fait plus de doute4. Il ne s'agit toutefois pas d'un pouvoir absolu. La Cour suprême, dans R. c. Stillman, rappelle qu'une telle fouille accessoire, pour ne pas être considérée abusive, doit être autorisée par une loi qui n'est pas elle-même abusive, et la fouille ne doit pas avoir été effectuée d'une manière abusive5. 4 5 Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158. [1997] 1 R.C.S. 607, 633. 200-10-002369-093 [24] 7 À ce sujet, le juge Cory précise : Trois conditions doivent être remplies pour qu'une fouille soit validement effectuée en vertu du pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation légale. Premièrement, l'arrestation doit être légale. Aucune fouille, si raisonnable soit-elle, ne peut être validée par ce pouvoir de common law si l'arrestation qui y a donné lieu a été arbitraire ou par ailleurs illégale. Deuxièmement, la fouille doit avoir été effectuée "accessoirement" à l'arrestation légale. À ces conditions qui sont presque évidentes en soi, il faut en ajouter une troisième, qui s'applique à toutes les fouilles effectuées par la police: la fouille doit être effectuée de manière raisonnable.6 [25] Dans ce cas, la légalité de la fouille découle de la légalité de l'arrestation. Elle s'inscrivait dans le cadre de l'arrestation pour possession et visait un but compatible avec les motifs de l'enquêteur Bourque : constituer une preuve permettant d'étayer d'éventuelles accusations d'infractions relatives aux stupéfiants. La légitimité de pareil objectif a été reconnue par la Cour suprême dans Cloutier c. Langlois : D'une part, l'arrestation doit pouvoir assurer la présence des individus devant le tribunal. Un individu mis en état d'arrestation ne doit pas être en mesure de pouvoir se soustraire aux agents de la paix avant sa remise en liberté conformément aux règles de la procédure criminelle, au risque de déconsidérer l'administration de la justice. À cette fin, la recherche d'armes ou d'autres objets dangereux sur le prévenu s'impose comme une précaution élémentaire pour contrecarrer la possibilité pour lui de s'en servir contre les policiers, le public qui pourrait se trouver à proximité ou contre lui-même. Des incidents de cette nature ne sont pas inconnus. D'autre part, l'arrestation doit assurer la conservation des éléments de preuve se trouvant sur le prévenu et dans son entourage immédiat lors de l'arrestation. L'efficacité du système dépend en partie de la capacité des agents de la paix à recueillir des éléments de preuve susceptibles d'établir la culpabilité des suspects hors de tout doute raisonnable. L'administration de la justice serait réduite à une pure illusion s'il était permis à la personne arrêtée de détruire une preuve en sa possession au moment de l'arrestation. Ces intérêts sont reconnus depuis les origines jurisprudentielles du pouvoir de fouille.7 [Soulignement ajouté, références omises.] [26] Quant au caractère raisonnable de la force employée lors de l'exécution de la fouille, il y eut certes recours à la contrainte, mais pas d'une manière excessive ou abusive dans le contexte de la résistance offerte par l'appelant. [27] Les deux moyens principaux de l'appelant ayant échoué, il n'y a pas lieu d'examiner la réparation prévue à l'article 24 (2) de la Charte canadienne. 6 7 Id., p. 634 Supra note 4, pages 182, 183. 200-10-002369-093 8 POUR CES MOTIFS, LA COUR : [28] REJETTE le pourvoi. ALLAN R. HILTON, J.C.A. NICHOLAS KASIRER, J.C.A. JEAN BOUCHARD, J.C.A.