Veillées d`autrefois

Transcription

Veillées d`autrefois
Mémoire de Genech - Cercle des souvenirs
Mars 2014 - Feuillet n° 46
Veillées d’autrefois
C’était dans un autre siècle, mais aussi quasiment, dans un autre monde, ce monde que nous avons perdu, avant
l’arrivée de la télé dans les salles à manger.
Jouer aux cartes le samedi soir
Fernand raconte : « Tous les samedis soirs on allait chez Foucart (un oncle) on allait chercher de la bière, tirée du
tonneau dans un pot. On jouait aux cartes ». «Cela se faisait plutôt l’hiver car l’été on sortait de la maison et on
s’asseyait sur le bord du fossé pour raconter l’conte. Il fallait aussi s’occuper du jardin ».
La veillée était plutôt familiale. On invitait parfois les voisins du quartier.
Au quinquet, autour du feu
« La veillée se faisait au quinquet » car c’était avant l’arrivée de l’électricité à Genech. La principale source de lumière était le quinquet, la lampe à pétrole que la plupart d’entre nous ont encore connue jusque dans les années
soixante, car en cas de panne EDF, on allait aussi bien chercher le vieux quinquet que les bougies.
Les veillées se faisaient autour du feu. Dans la plupart des maisons il n’y avait plus de cheminées à âtre ouvert. Le
« feu » était généralement un feu flamand, bien pratique pour se placer en demi-cercle et surtout pour laisser le
café au chaud.
Un feu flamand, début du XX° siècle
Au Riez, on avait l’habitude, dès le retour des beaux jours, de sortir une chaise devant sa maison et de s’adresser
aux voisins d’à – côté ou d’en face.
« On allait chez l’un, chez l’autre, à l’écrine (à la soirée) ».
« on faisait le café au couet »; « on buvait l’café à l’cauchette »
La veillée pouvait être agrémentée d’un café. N’allez pas croire qu’il s’agissait d’un espresso ou d’un capuccino bien
crémeux. Il s’agissait le plus souvent d’un café « au couet ». L’eau était chauffée sur le feu, dans une casserole, le
couet, dans lequel on avait fait bouillir la chicorée. A l’aide d’un gobelet, on y puisait l’eau et on la versait lentement « dins l’cauchette », c'est-à-dire dans la chaussette qui servait de filtre, dans un grand couvercle en métal
blanc, qui surmontait la cafetière placée là dès le matin, voire la veille ou l’avant-veille.
Plus le couet était noirci par la chicorée, mieux c’était. La casserole devait être aussi « bien culottée », avec beaucoup de calcaire au fond.
A la veillée on servait parfois le café dans un ordre précis, témoin d’une intériorisation des règles de la bienséance :
« on va passer le café pour servir les parents du côté de l’homme » (c’est-à-dire le maître des lieux) disait Adèle.
Veillée avec les vieux
Comme les vieux (l’expression « troisième âge » n’existait évidemment pas et « vieux » n’avait aucun sens péjoratif) vivaient avec leur famille jusqu’à la fin, ils étaient aisément intégrés aux conversations des veillées.
Le grand père de Nadé, Louis, venait chez ses enfants pour un dimanche mais le soir, il fallait absolument qu’il
rentre chez lui.
Une veillée à la fin du XIX° siècle
Charles : « Quand les veillées ont disparu, l’habitude de bavarder et de commenter l’actualité du village a été reprise par les femmes qui préparaient les endives. « Aller à chicons » était l’assurance d’une longue, très longue conversation.
Veillée parfois lointaine
Marie-Louise raconte : « j’allais chez Delphine Rapail ; il fallait aller de la Blonde rue aux Sablons. On passait à travers les pâtures ; on appelait cela « franchir les 5 étapes » (il y avait 5 pâtures à traverser). Pour passer facilement,
on avait fait des trous dans les clôtures en fil de fer. On jouait aux cartes, on tricotait, on raccommodait les chaussettes ».
« A mou », « Nou » et Vous
Au fur et à mesure que nous évoquons les veillées, les membres du cercle des souvenirs en viennent à évoquer la
manière dont les gens parlaient de leurs semblables:
Pour désigner la maison d’une famille, on disait « mou » ou « à mou », ce qui se traduit exactement par
« chez » : « à mou Cho Duvinage » = chez François Duvinage. De même dans le cercle familial, « nou p’tit
Fernand » signifie « notre petit Fernand ».
Expression d’un profond respect, le vouvoiement était très répandu. J’ai toujours entendu mon grand-père
vouvoyer sa mère, lui disant « Vous » ou « La mère ». On mesure l’abîme de respect disparu lorsqu’on entend aujourd’hui dans les medias, le tutoiement de rigueur dans la bouche des « animateurs » ou amuseurs publics – ou qui se croient tels.
Les règles du tutoiement et du vouvoiement étaient socialement codées : au Syndicat agricole, tous les
« cinsiers » propriétaires étaient appelés Monsieur ; les non propriétaires ne l’étaient pas, à une exception
près, tenant au statut particulier de l’Ecole d’Agriculture : Monsieur Walle, chef de culture, était appelé
« Monsieur ». D’ailleurs, beaucoup de Genéchois ignoraient son prénom, Pierre-Ange.
Quelques noms bien genéchois
Plusieurs Genéchois étaient gratifiés de surnoms parfois bien fleuris, mais dont l’origine se perd parfois dans la nuit
des voisinages et réputations d’autrefois.
Marie Pot’ fer (pot de fer) ;
Marie du Blanc Balot (en raison de couleur de la cheminée de sa ferme) ;
Marie Babeno (babeno ayant plutôt le sens de « simple d’esprit » ) ;
Charles des Pâtures (dont tout le monde ignorait le vrai nom), dernière maison isolée, à Genech, à droite en
allant vers Cysoing ;
X « du soyeux », « soyeux » signifiant « rasoir, barbant ».
Aujourd’hui les jeunes utiliseraient plutôt l’expression « X se tape l’incrust’ » ;
Nombreux étaient les Cho à Genech : outre Cho du Tapin, on avait Cho du Beige (Debarge, époux de Marie du
Beige) , Cho Descamps Cho Rachez , célèbre par sa béquille ;
« A mou général » pour désigner la maison d’un Genéchois qui avait fait son service militaire comme ordonnance d’un officier, vite rebaptisé « général » par la vox populi genéchoise;
« A mou Lerin » (en raison de l’avarice présumée ?) ;
Jean du Baron (Lefebvre) portant ce surnom car il avait travaillé chez un baron ;
Charles du Baudet : ce Charles possédait un baudet. Un jour, ses copains facétieux réussirent à hisser le baudet
au sommet d’une meule de foin pendant que Charles dormait. Au petit matin, Charles chercha son baudet,
en vain, sous le regard de ses copains bien cachés. Si Alphonse Daudet avait séjourné à Genech plutôt qu’à
Fontvieille, gageons qu’il aurait pu en faire une Lettre de son moulin…
Origine inconnue :
« A mou Turline » ;
Alfret’Lavièze et Jean Lavièze ;
Et, plus récemment, un nom dont tout le monde connait la signification : « Hinri de l’garderobe ».
La place de la radio
Il arrivait qu’à la veillée familiale on écoute la radio, sur les postes à galène puis sur les postes à ampoules. Un
des «hits » des années 1950 était, sur « Radio Luxembourg », le feuilleton de la famille Duraton avec dans le rôle
de Gaston, un personnage appelé à poursuivre une brillante carrière d’acteur, Jean Carmet.
Autres « hits » de la radio :
- Raymond Souplex et Jane Sourza sur Radio Luxembourg dans l’émission « Sur le banc ».
- « Alphonse et Zulma » par Simons et Line Dariel, sur Radio Lille, ex – Radio PTT Nord.
Anecdotes
Un jour qu’une femme chez qui se faisait la veillée avait fait des confitures, fière de son travail, elle vient montrer
son œuvre, un pot à la main et dit « véti, qu’elle est bin réussie ». Et aussitôt, pour le démontrer, elle retourne le
pot, et la confiture s’étale sur le sol.
Chez une autre femme : avant de partir travailler à l’extérieur, le bouillon étant sur le feu, elle dit à son mari de ne
pas oublier de « met’ du carbon ». A son retour, à midi, elle découvre que son mari a mis des boulets dans la marmite du bouillon.
D’un cultivateur, Jean Dinan, célèbre pour sa pingrerie, on disait « A mou Jean Dinan, n’a que l’feumée qui sort po
balot ».
Quelques veillées exceptionnelles
- La veillée de Noël.
Elle se faisait au Cercle paroissial. Aujourd’hui démoli, le Cercle occupait une partie du parking actuel à côté de
la Salle polyvalente. On s’y réunissait à huit heures du soir (on ne disait pas « à vingt heures ») pour y déguster chocolat chaud et guoquil’ (coquilles) aux raisins en forme d’enfant Jésus.
- La veillée de Pâques, également au Cercle paroissial
- Les veillées funéraires.
A l’époque les morts étaient veillés chez eux, nuit et jour. La famille et les voisins se relayaient pour que le
mort ne soit jamais seul comme s’il fallait lui garder ce dernier lien avec le monde des vivants, au moins
jusqu’à son enterrement.
Cette familiarité avec la mort rappelle les comportements de l’Ancien régime, lorsqu’on n’imaginait même pas
qu’on puisse mourir seul, mais où on mourait en public, entouré de toute la famille, vieille tradition que fait
magnifiquement revivre la chanson de Charles Aznavour, La Mamma.
Au cours de ces veillées on pouvait s’interroger sur l’emplacement du magot. Plusieurs exemples viennent
spontanément à l’esprit dans notre petit Cercle : billets caché dans le four de la cuisinière ou sous un tas de
charbon, avec une destinée parfois malheureuse … pour les héritiers.
Quand quelqu’un, à l’extrême fin des années 1950 ou au début des sixties s’était acheté la télévision, c’était un
événement dans le quartier et il arrivait qu’on aille à la veillée chez lui, pour y voir les bonshommes « qui
causent dans le poste » et qui allaient mettre fin aux veillées que notre village a sans doute connues depuis
son origine, il a environ un millénaire .
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Texte de Jean-Michel Lambin.
Témoignage des membres du Cercle des Souvenirs : Brigitte Renard, Nadé Lemaire, Jean-Michel Lambin, Roland Carlier, Fernand Leclercq,
Marie-Louise Debuchy, Emilienne Leclercq, Charles Dillies, Geneviève Knockaert.
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