L`esprit de Port

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L`esprit de Port
FLODOARD
BULLETIN DE LA BIBLIOTHÈQUE JEAN GERSON
PHILOSOPHIE ET HISTOIRE DES RELIGIONS – CULTURE ET SPIRITUALITÉ
Rédaction : Dominique Hoizey 6, rue du Lieutenant-Herduin 51100 Reims n°45 (juin 2013) ISSN 2265-0563
L’esprit de Port-Royal
Véronique Alemany retrace le parcours singulier de Perpétue de Marsac (1845-1932),
vicomtesse d’Aurelle de Paladines, la dernière Solitaire de Port-Royal
 LIRE p. 2
Port-Royal des Champs
L’Oratoire
France
de
400 ans d’histoire
racontés par
Yves Krumenacker, Marie-Frédérique
Pellegrin et Jean-Louis Quantin
LIRE p. 3
Pierre de Bérulle (1575-1629), fondateur de
l’Oratoire de Jésus
Quand un curé des Ardennes s’en prenait à Voltaire
LIRE p. 4
Une vicomtesse à Port-Royal
 Véronique Alemany, La dernière Solitaire de Port-Royal. Survivances jansénistes jusqu’au XXe
siècle, préface de Philippe Sellier, Éditions du Cerf, 2013
Perpétue de Marsac, vicomtesse d’Aurelle de Paladines, n’a pas été la dernière Solitaire de Port-Royal
des Champs par hasard. L’attrait de la solitude, dont elle disait qu’elle était « son » élément, aurait pu
la conduire en bien d’autres endroits qu’à Port-Royal des Champs qui, au moment de son installation,
en 1895, était « un site historique isolé en vallée de Chevreuse où se dressait naguère une célèbre et
vaste abbaye, devenue un champ de ruines et dont le souvenir était absent dans la mémoire du plus
grand nombre » (p. 322). On ne peut comprendre son engouement pour Port-Royal sans évoquer le
jansénisme de la famille à laquelle elle appartenait, et ce long détour de près de trois cents pages ne
doit pas décourager le lecteur, mais au contraire le préparer à la biographie proprement dite de la
Paladines. Il en est ainsi de ce que Véronique Alemany rapporte à propos d’une certaine Françoise
Lacroix, dame de compagnie de Mme de Marsac, et qui, visionnaire hantée par des idées millénaristes
et apocalyptiques, se comporta, entre 1830 et 1832, comme « le centre attractif d’une communauté
religieuse adepte de sensations fortes » (p. 114). Elle devint en épousant Victor de Marsac la mère de
la dernière Solitaire de Port-Royal.
Née en 1845, Perpétue de Marsac reçut une éducation chrétienne « dans un environnement janséniste
qui la préservait des distractions du monde et lui imposait une vie austère dans un imposant château
d’où l’insouciance était bannie » (p. 309). Elle épousa en 1865 Louis Adolphe d’Aurelle de Paladines
qui, né en 1840, mourut en 1871. À cinquante ans, en 1895, « le cœur et la vie brisés », selon ses
propres mots (p. 332), elle se retira à Port-Royal des Champs dans une maison mitoyenne de celle des
gardiens, accueillie au nom de la Société Saint-Augustin, propriétaire des ruines, par l’historien du
jansénisme Augustin Gazier (1844-1922).
Je pense à vous à qui je dois le quasi céleste
bonheur de pouvoir vivre à Port-Royal des
Champs. Je profite de ma vie dans ce Saint
Désert comme l’avare de son trésor.
Lettre de Mme de Paladines à Augustin Gazier
datée du 7 juin 1921.
A. Gazier
Si la Paladines trouva aussitôt à Port-Royal des Champs « la paix, le repos de l’esprit et du cœur »
(lettre du 30 décembre 1896), c’est que cette solitude était devenue pour elle « une nécessité d’autant
plus essentielle qu’elle en découvre le bien-fondé dans ses lectures démontrant tout le bénéfice
spirituel qu’une âme occupée de son salut pour jouir éternellement du Royaume de Dieu peut tirer de
cet état de vie solitaire, source de paix intérieure » (p. 337). On comprend que Jean Hamon (16181687), l’auteur de De la Solitude, ait été son écrivain de prédilection. Cette « passionnée de l’écrit »,
dont la journée était scandée par la prière et la méditation à la manière d’une moniale de l’ancienne
abbaye, mena à Port-Royal des Champs une retraite active de bibliothécaire, d’archiviste, d’épistolière
et de copiste « dans la tradition port-royaliste d’une entreprise de mémoire » (p. 361), sans parler des
annotations dont elle parsemait les ouvrages qu’elle lisait. Elle mourut le 19 septembre 1932.
Véronique Alemany retrace avec brio le parcours singulier d’une femme qui, dans un total abandon à
Dieu, se fit pendant trente-sept ans la dernière Solitaire de Port-Royal, et même si son néo-jansénisme
« peut paraître sous certains aspects excentrique » (p. 433), c’est une grande figure chrétienne qui se
révèle à nous.
Dominique Hoizey
La dernière Solitaire de Port-Royal lectrice de Jean Hamon
Jean Hamon
Au début du chapitre LXX de son traité De la
Solitude, Jean Hamon distingue la solitude
« intérieure »
qui
consiste
dans
le
recueillement du cœur de la solitude
« extérieure » qui consiste dans la séparation
& l’éloignement du monde. Et il poursuit : La
parfaite Solitude est dans l’union de toutes les
deux ; chacune des autres est imparfaite quand
elle est seule ; il faut les joindre pour être
heureux. Quand l’épouse est seule dans sa
cellule, & que Dieu est seul dans son cœur,
elle est véritablement Solitaire ; & on peut dire
qu’il ne manque rien à son bonheur. La
dernière Solitaire de Port-Royal le savait bien
quand, en 1920, elle écrivit à Augustin Gazier :
« Il me semble toujours, et depuis bientôt
vingt-cinq ans, que c’est un beau rêve que je
fais de pouvoir vivre dans notre cher PortRoyal des Champs, seule avec mon Dieu seul »
(V. Alemany, p. 373).
Jean Hamon à la bibliothèque Jean Gerson Le traité de Jean Hamon, De la Solitude, est inscrit au
catalogue de la bibliothèque Jean Gerson. Il s’agit de la seconde édition datée de 1735 (Amsterdam).
L’Oratoire de France a 400 ans
 Sous la direction de Yves Krumenacker, Marie-Frédérique Pellegrin et Jean-Louis Quantin,
L’Oratoire de Jésus, préface de Dominique Julia, Éditions du Cerf, 2013
La congrégation de l’Oratoire de France a commémoré en 2011 le quatrième centenaire de sa
fondation, le 11 novembre 1611, par le futur cardinal de Bérulle. Si l’activité pastorale fit peu à peu de
cette nouvelle communauté un modèle pour la réforme du clergé, c’est l’originalité propre du projet
bérullien, « fruit d’une intuition spirituelle », qu’il importe, comme le souligne Yves Krumenacker, de
saisir, car « l’essentiel est moins une réforme disciplinaire du clergé qu’une sanctification du
sacerdoce : il s’agit d’insuffler une spiritualité, non d’instituer des règles » (p. 38). Le nombre
d’oratoriens n’a jamais été considérable, mais leur influence « sans commune mesure » (p. 67). C’est
ce que rappelle Jean-Louis Quantin en évoquant leur place dans la culture française aux XVIIe et
XVIIIe siècles à travers des figures comme Jean-Baptiste Massillon (1663-1742), « le plus fameux
prédicateur de la congrégation » (p. 73), Jean Le Jeune (1592-1672), dit le Père aveugle, Richard
Simon (1638-1712), auteur d’une Histoire critique du Vieux Testament, ou Jean Soanen (1647-1740),
évêque de Senez, connu pour son opposition à la bulle Unigenitus, tandis que Marie-Frédérique
Pellegrin s’intéresse, entre autres personnalités intellectuelles marquantes de l’ordre, à Nicolas
Malebranche (1658-1715) à propos des liens entre l’Oratoire de France et la philosophie dans la
seconde moitié du XVIIe siècle. Des témoignages d’oratoriens contemporains ouvrent cet ouvrage sur
notre temps.
De gauche à droite, Nicolas Malebranche et Jean-Baptiste Massillon
Scriptorium
Chronique du fonds ancien de la bibliothèque Jean Gerson
Le curé de Vrizy contre Voltaire
Voltaire, marbre de Jean-Antoine Houdon (1778)
Si le Traité sur la tolérance de Voltaire nous est familier, le Supplément aux erreurs de Voltaire, ou
Réfutation complette [sic] de son Traité sur la tolérance écrit par « un ecclésiastique du diocèse de
Reims » l’est beaucoup moins. L’édition inscrite au catalogue de la bibliothèque Jean Gerson est datée
de 1779 (À Liège, chez J.J. Tutot, imprimeur et à Paris, chez Valade, libraire). Précédé d’une Lettre
polémique sur la tolérance chrétienne, cet ouvrage, « destiné à prémunir les esprits contre les écrits
philosophiques », a pour auteur Henri Maurice Loisson (1711-1783), curé de Vrizy (Ardennes). Que
sait-on de ce dernier ? « Fortement attaché à sa religion, chérissant son état, il réunissait toutes les
qualités d’un bon ecclésiastique », écrit Jean-Baptiste Boulliot (1750-1833) dans sa fameuse
Biographie ardennaise, et il poursuit : « Comme l’agriculture et les arts se disputaient ses loisirs, il
entretenait une correspondance réglée avec les sociétés savantes […]. Ses instructions pastorales ne
pouvaient manquer d’être fructueuses, car il y déployait à la fois l’éloquence de la raison et de la
persuasion, et il y développait la majesté de la morale chrétienne d’une manière digne de sa céleste
origine ».
De fait, c’est un catholique « fortement attaché à sa religion » qui s’attaque à Voltaire. Le curé de
Vrizy lui reproche d’emblée d’œuvrer pour la cause protestante : « M. de V… qui, sous le titre
spécieux de Traité sur la Tolérance, nous a donné une philippique sanglante contre la religion,
commence cette satyre scandaleuse, par nous donner une idée très brillante, mais encore plus fausse de
la Réforme. Car c’est en faveur des Réformés qu’il publie ce manifeste contre l’Église ». Le traité de
Voltaire est à ses yeux « pernicieux ». Il accuse son auteur d’avancer « une foule de paradoxes »,
d’étayer « un raisonnement faux d’un sophisme captieux » et de prouver « une proposition absurde par
un passage falsifié ». Le ton est polémique. Ainsi, apostrophant Voltaire à propos de sa « haine »
contre le christianisme, « trop vive, pour être naturelle », il le provoque : « Vous ne cessez de lui
imputer mille horreurs et n’en prouvez pas une. Combien réussiriez-vous mieux, si vous disiez moins
et prouviez davantage. » Pour le curé de Vrizy, la mauvaise foi de Voltaire est patente quand il
évoque les massacres de Wassy et de la Saint-Barthélemy : « Ce littérateur si vanté, qui nous a donné
un si beau Roman de l’Histoire universelle [Essai sur les mœurs et l’esprit des nations], serait-il assez
peu versé dans l’histoire de sa patrie, pour ignorer ou dissimuler que l’ambition des Grands, la jalousie
des Princes furent la véritable cause de tous ces désastres, que la Religion n’en fut que le prétexte ? Il
le sait sans doute ; mais son unique objet étant de la rendre odieuse […], s’il eût dit vrai, son objet était
manqué ». La plume critique du curé de Vrizy à l’encontre de celui qu’il appelle ironiquement
« l’Évangéliste de la Tolérance » n’en espère pas moins la conversion, car « s’il a eu le malheur de se
permettre de si grands scandales, de combien de gloire ne se couvrirait-il pas, en les réparant par un
désaveu authentique. Le Ciel ne refusera peut-être pas cette consolation aux vœux sincères, aux
humbles prières de tous les gens de bien qui s’intéressent à la gloire et encore plus au salut d’un
écrivain si célèbre ». La conversion de Voltaire, au sommet de sa gloire, aurait constitué une immense
victoire de l’Église, mais celle-ci devra se contenter de la « profession de foi » du 2 mars 1778 (« …je
meurs dans la sainte religion catholique où je suis né, espérant de la miséricorde divine qu’elle daignera
pardonner toutes mes fautes »). En effet, le 30 mai 1778, jour de la mort de Voltaire, les abbés Louis
Gaultier et Jean-Joseph Faydit de Tersac, curé de Saint-Sulpice, n’en obtinrent pas plus.
Dominique Hoizey
© FLODOARD

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