Georges Babolat - Institution des Chartreux

Transcription

Georges Babolat - Institution des Chartreux
W W W. L E S C H A R T R E U X . C O M
Georges Babolat
1936-2006
Les
CHARTREUX
Georges Babolat
Supérieur de l’Institution des Chartreux
de 1978 à 2001
A tous les Anciens
A tous les Amis des Chartreux
Le 22 mars prochain, il y aura un an déjà que le Père Georges Babolat nous a quittés. Aux
portes de Jérusalem où il venait d’arriver pour un pèlerinage de huit jours, le Seigneur l’a fait
entrer dans son Eternité. Vous avez été des centaines, pour ne pas dire des milliers à vous
manifester, de diverses manières, pour exprimer votre peine et votre proximité avec ses deux
familles, la sienne et celle des Chartreux. De cette deuxième famille, vous êtes également, et
nous tenions à vous offrir ce petit recueil de témoignages à la mémoire de celui qui a consacré
toute sa vie à l’Institution et à la Société des Prêtres de Saint Irénée qui en a la tutelle.
Vous trouverez dans ces pages les différentes allocutions qui ont été prononcées à l’occasion
de ses funérailles. A la Chapelle d’abord, où se sont réunis un très grand nombre d’élèves
et de professeurs, puis à l’Eglise Saint Bruno, dont il était devenu le curé depuis deux ans,
pour la messe présidée par le Cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon ; ce fut un
moment admirable de recueillement, de foi et d’espérance.
Vous y trouverez enfin des témoignages, très divers, de personnes qui ont connu et aimé le
Père Babolat dans les différentes activités qui furent les siennes.
Pour être divers, ces témoignages n’en sont pas moins convergents. D’une manière ou d’une
autre en effet, ils font tous ressortir l’extraordinaire unité de vie d’un homme qui avait
répondu à l’appel du Seigneur, dans le Sacerdoce.
C’est comme prêtre que le Père Babolat a été éducateur, supérieur, directeur de colonies,
curé de paroisse.
C’est parce qu’il était prêtre que cette fibre paternelle prenait chez lui une telle dimension.
Et nous avons grande Espérance que c’est comme prêtre qu’il est entré dans l’Eternité bienheureuse, et qu’il est désormais associé à la célébration de l’éternelle eucharistie.
Ces pages sont encore une manière de lui rendre hommage, et de lui exprimer la très grande
reconnaissance de tous ceux et toutes celles qui appartiennent de près ou de loin à la famille
des Chartreux.
Jean-Bernard Plessy
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Prédestination ?
Projection dans le futur ?
Le Père Babolat, enfant,
devant la porte de la Cure de Saint Bruno.
Hommage de l’Institution des Chartreux
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• des parents d'élèves
• du Conseil de direction
• d’un élève du collège
• d’une élève du lycée
• d’un élève du post-bac
• d’un ancien élève
Funérailles à Saint-Bruno
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• Mot d’accueil du Père Bruno Martin
• Homélie du Cardinal Philippe Barbarin
• Prière universelle
Prêtres de Saint-Irénée (Didier Pirrodon)
Anciens élèves (Cyril Confavreux)
Liban (Michel Naffah)
Boëge (Henri Perret)
• Dernier adieu
de la part de sa famille (Marie-Jo Durand, sœur du Père Babolat)
de Saint-Bruno (Père Raquet)
des paroissiens (Guy Lutz)
de l’Institution des Chartreux (Père Plessy)
Témoignages
• du Cardinal Martini
• de Mgr Pican
• de Mgr Lequimener
• du Chanoine René Breysse
• de l’ADDEC : lettre de Philippe Blanc
• des AFC
• du Chalet des Forêts (Boëge)
Le bureau de l’association Chalet des Forêts
Deux moniteurs
Classe de neige avec les CM - Annick Rejaunier, Mlle Forest
44 • de sa famille : Yannick Durand, neveu et filleul du Père Babolat
45 • de Saint-Bruno (journal paroissial) : Michel Raquet
46 • de Bruno Benoît : Le Père Babolat, historien
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Hommage
de l’Institution des Chartreux
Catherine Chaniot, Présidente de l’APEL
Association des parents d’élèves de l’Institution des Chartreux
Cher Père Babolat,
Vingt-cinq promotions de parents vous ont confié leurs
enfants, souvent par “fratries” entières. Vous accueilliez
chaque enfant par son nom, le lundi matin, au bout de
l’allée des Marronniers.
Nos enfants, vous les avez instruits et éduqués, l’intellectuel le disputant au spirituel. Puis vous les avez fiancés et
mariés, et vous avez baptisé les enfants de nos enfants.
Que de confidences n’avez-vous recueillies, vous qui partagiez avec chaque famille ses joies et ses soucis. Vous
parliez de l’Institution en disant “la Maison”, comme dans
la Bible, où la maison et la famille sont une même réalité.
Une maison ou un village ? Vous en connaissiez tous les
habitants ; chacun a sa place et chacun à sa place ! Un
jour que vous me parliez en confidence, ne m’avez-vous
pas dit avec un regard brillant de malice :”Vous savez,
Catherine, j’ai toujours préféré être “chef de village” que
“second à Rome” !
Cher Père, les villageois, les matelots, les enfants de la
Maison vous remercient et prient avec vous.
Robert Giroud,
représentant le Conseil de Direction
Comment passer plus d’un quart de siècle à travailler avec
quelqu’un sans qu’une foule d’images et de souvenirs ne
viennent se bousculer ?
Nous avons, mes collègues et moi-même, déployé, à
l’exemple du Père Babolat, beaucoup d’énergie à faire de
cette Maison ce qu’elle est devenue et nous en sommes
tous très fiers, comme l’était le Père Babolat.
Pour ma part, je garderai l’image d’un homme bon, droit
et juste qui, au printemps 1978, a su tendre la main à un
jeune professeur d’anglais, coincé dans son costume trois
pièces, et un peu perdu dans cette Croix-Rousse qu’il ne
connaissait que de nom, puisqu’il vivait alors en
Angleterre.
Ce jour-là le Père Babolat m’a tendu la main en me souhaitant la bienvenue et, à la fin de notre long échange, il
m’a assuré que j’apprendrais vite à aimer cette Maison...
Comme il avait raison ! Cette fois, comme dans d’autres
circonstances !
Merci Seigneur de nous avoir permis de connaître et de
côtoyer le Père Georges Babolat. Vous l’avez rappelé trop tôt
à vous, mais, désormais, s’il vous plaît, prenez soin de lui.
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10 HOMMAGE DE L’INSTITUTION DES CHARTREUX
Un élève du Collège
Quelques élèves ne vous connaissaient pas. Certains vous
considéraient comme le directeur des Chartreux, mais,
pour d’autres, vous étiez beaucoup plus que cela :
- Vous étiez le prêtre qui prenait le temps de les écouter
et de les guider lors des célébrations du Sacrement du
Pardon, ici, dans cette chapelle.
- Vous étiez aussi l’ami de la famille, le confident qui avait
marié leurs parents ou leurs grands frères et sœurs et
qui, parfois, les avait baptisés.
Que le Seigneur vous accueille dans sa Maison, vous qui
l’avez servi fidèlement tout au long de votre vie.
Marie-Astrid de Boissieu,
élève de Terminale L
Avant d’être prêtre de la paroisse Saint Bruno, vous fûtes
notre directeur : un homme souriant et chaleureux.
De mon grand-père à ma petite sœur nous avons tous
connu votre cœur généreux, votre oreille attentive, mais
surtout votre capacité à entraîner les paroissiens ou les
élèves à donner le meilleur d’eux-mêmes.
Qu’importait l’âge, nous étions tous vos enfants, enfants qui
ont reçu des “coups de pied aux fesses” quand ils baissaient les
bras et des mots bienveillants quand ils avaient le cœur lourd.
Ainsi Père, vous qui êtes aux côtés de notre Dieu, ne changez pas vos douces et généreuses habitudes : priez et
veillez sur vos enfants.
Antoine Camus,
ancien élève, élève officier à Saint-Cyr
Pour les Anciens, le Père Babolat c'était ce prêtre au bout de l'allée le lundi matin, attendant ses élèves même les retardataires.
C'était ce prêtre qui, aux côtés de l'évêque, donnait
joyeusement la confirmation aux élèves.
Pour certains encore, le Père Babolat, c'était ces voyages à
Rome avec son fidèle ami le Père Breysse et, au milieu des
jeunes, il redevenait lui-même un jeune homme.
Pour les théâtreux, c'était le père protecteur, mécène et
spectateur attendri.
Ce sont toutes ces images que nous gardons, que je garde
au fond de moi. Et si supérieur veut dire au-dessus, il n'en
était pas moins pasteur au milieu des jeunes brebis.
Samuel Hulman disait : “Vous êtes aussi jeune que votre
foi, aussi jeune que votre espoir, vous resterez jeune tant
que vous resterez réceptif, réceptif à ce qui est beau, bon
et grand.”
Que nos prières aujourd'hui accompagnent donc ce jeune
pèlerin de Dieu jusqu'à sa dernière demeure.
Pierre Rolland, étudiant en classe préparatoire
économique et commerciale
Aujourd’hui en classes préparatoires aux Chartreux, je suis
arrivé à l’Institution en 4°. Je n’ai donc connu le Père
Babolat en tant que Supérieur que deux années qui suffirent à marquer ma vie. Bien sûr, c’était une relation de
Supérieur à élève, mais j’ai toujours été guidé par son
attitude de père.
Père spirituel, d’abord, car il s’est donné pleinement dans
sa mission, lors des célébrations pour le Pardon, des
temps forts, pour ceux qui se sont fait baptiser ou qui se
sont préparés à la Confirmation. J’ai toujours eu le sentiment de l’avoir derrière moi, qu’il était là pour me
soutenir sur le chemin de la Foi.
Père aussi, avec nous tous, de la même manière qu’un
père avec ses enfants. Proche, sans laisser quiconque de
côté, en nous considérant tous, mais aussi en nous aimant
et en nous connaissant chacun. Je l’ai compris un beau
jour, alors que je croyais que je n’étais pour lui qu’un
élève parmi tant d’autres au sein de l’Institution : le croisant dans l’allée des Marronniers, il me dit bonjour,
simplement, mais en m’appelant par mon prénom.
Vraiment, il était le père de chacun.
En toute simplicité, en toute discrétion, il a marqué
l’Institution de sa présence. Il a posé sur ses enfants, sur
moi, un souffle qui a envahi la “Maison” (comme on aime
à l’appeler), et qui, par le corps professoral, a fait vivre la
Communauté des Chartreux, m’a rendu heureux d’en
faire partie encore aujourd’hui, quand je pense à ces
années vécues ici.
Ce que j’ai reçu, vécu, d’autres aussi l’ont certainement
éprouvé.
Merci, Père Babolat, vous qui êtes près de notre Père à
tous. Aidez-nous, Père, pour que votre “Maison”, notre
“Maison” demeure comme vous l’avez bâtie : accueillante, pleine de confiance et permettant à chacun de
devenir ce qu’il est appelé à être.
Les paroles que nous avons échangées ont suffi à me
redonner confiance. Confiance pour la scolarité, certes,
puisque c’était sa fonction, mais aussi et surtout, pour ma
vie, car c’est là qu’il m’a marqué. Selon lui, il était important, et cela l’est encore pour moi depuis, de réaliser
pleinement ses engagements hors de la vie scolaire, d’apporter de la valeur à ce qui nous a construit. Faire grandir
dans chacun ce qu’il est vraiment : c’est bien l’œuvre d’un
père. Non pas pousser un élève vers l’avant, mais le porter
dans sa vie : la tâche n’en devient que plus belle à réaliser.
Il était présent, bienveillant, dans l’allée, dans nos couloirs. Nous ne pouvions oublier qu’il était là.
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Veillée de prières en la Chapelle des Chartreux,
le 28 mars 2006.
Funérailles
Eglise Saint-Bruno
Mercredi 29 mars 2006
Bruno Martin
Supérieur de la Maison des Chartreux
A l’image de celle de tant des prêtres enseignants qui se sont
succédé ici, la vie du P. Georges Babolat s’est déroulée dans
une magnifique unité de lieu : Tassin, où il naquit et où il
reposera ; cette Maison et cette Institution des Chartreux, où
il fit son entrée en sixième, et où s’est passée la quasi-totalité
de sa vie et de son ministère sacerdotal. C’est au foyer familial, à l’évidence, que le petit garçon a appris la droiture,
l’amour et la fierté du travail bien fait, la vaillance devant
l’œuvre à accomplir ; c’est au foyer familial que l’idée du
sacerdoce a peut-être déjà germé ; mais c’est sans nul doute
ici, à l’Institution, qu’a grandi et s’est développée une vocation, claire, entière, résolue, de prêtre enseignant. A une
époque, au milieu des années cinquante, où les jeunes prêtres rechignaient plutôt à ce type d’emploi, Georges Babolat,
dès le séminaire, stupéfiait ses camarades en affirmant avec
la détermination qui était la sienne qu’il serait prêtre des
Chartreux et enseignant aux Chartreux. Et il le fut.
Après la parenthèse du service militaire en Algérie – le sergent infirmier Babolat fut “renvoyé dans ses foyers” en
décembre 1960 – il reprenait le cursus du séminaire, pour
être ordonné prêtre le 15 décembre 1963 dans la chapelle
de l’Institution – revêtu de la chasuble même qui recouvre
en ce moment son cercueil. L’année de probation écoulée,
il entrait dans la société des prêtres de Saint-Irénée en 1964 ;
à l’Institution, il devenait adjoint du directeur spirituel, qui
était alors Maurice Blanc de la Fontaine. Ensuite, directeur
des classes élémentaires en même temps que professeur
d’histoire ; en 1976, directeur des études, c’est-à-dire promoteur d’une rigueur qui ne s’accommodait que
malaisément avec le supériorat poétique du P. Blanchon. En
1978, G. Babolat lui succédait comme supérieur – il le resta
jusqu’en 2001. L’ Institution comptait, en 1976, autour de
600 élèves ; le P. Babolat la laissa avec presque 3000.
L’augmentation n’était pas que celle du niveau et des effectifs ; le P. Babolat avait donné à la Maison, à sa Maison, un
rayonnement certain, bien au-delà des limites lyonnaises.
Vice-Président de l’ADDEC, combattant farouche pour la
liberté de l’enseignement dans les difficiles années 1980, le
P. Babolat était le gardien non moins farouche d’une certaine indépendance vis-à-vis des structures qui auraient pu
un peu trop le contraindre, quelles qu’elles soient. Son
œuvre, à ses yeux, plaidait assez pour lui.
Ce cartusianocentrisme n’empêchait pas quelques échappées : la colonie de Boëge, dont il fut le directeur - et
l’appréciable pâtissier - jusqu’au milieu des années 1990;
les inoubliables voyages d’élèves en Italie, en duo avec le
P. Breysse, compagnon de toutes les luttes et complice des
grands moments ; dans les dernières années, le jumelage
avec le collège Saint Georges, au Liban, dont le P. Naffah
était alors supérieur.
A cette activité débordante succéda, en 2001, un repli
volontaire. D’abord parce que le P. Babolat avait manifesté l’intention, sinon la réalité, de laisser les mains libres
à son successeur ; surtout parce que, profondément attaché à sa famille, il voulait se consacrer à sa mère, son père
étant décédé en 2000. “Je suis maintenant auxiliaire de
vie”, disait-il humblement. Après le décès de sa mère, il
accepta en 2004 de devenir curé de Saint-Bruno. Si les
lieux lui étaient totalement familiers, la tâche, elle, était
toute nouvelle pour un homme qui, à soixante-huit ans,
faisait l’apprentissage du ministère paroissial - auquel
l’avaient préparé, il est vrai, les innombrables mariages et
baptêmes célébrés dans le cadre de l’Institution. “Etre
curé, ce n’est pas une sinécure !”, répétait-il volontiers ; mais
aurait-on imaginé Georges Babolat dans une sinécure ?
Cher Père Babolat. Etait-ce dans l’exemple de l’harassant
labeur du fournil paternel que vous aviez puisé votre puissance de travail ? Vous prétendiez vous reposer en
G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 )
16 FUNÉRAILLES À SAINT-BRUNO
travaillant, traduisant à votre manière la séquence de
Pentecôte : In labore requies. Vous aimiez brandir comme
un trophée votre agenda noirci de vos pattes de mouche :
“Voyez, voyez…” - Je vous soupçonnais d’en rajouter un
peu, pour donner mauvaise conscience à votre interlocuteur exhibant, honteux, un agenda aux pages presque
blanches. Mais cette capacité de travail avait pour corollaire votre disponibilité à tous. Pendant vingt-cinq ans,
vous avez été le chef – nul n’en pouvait douter – mais
aussi le pasteur et le Père. On se serait lourdement trompé
en s’arrêtant à vos allures de proconsul en campagne, à
vos brusqueries de patron. Vous étiez capable de répondre au téléphone par quatre monosyllabes – trois “oui”
agacés suivis d’un “non !” péremptoire. Mais le même
homme brassait la pâte à choux pour les petits colons de
Boëge, se faisait un devoir de connaître les élèves par leur
nom – et on vous a vu pleurer comme un enfant
lorsqu’un deuil, un drame, frappait la Maison – votre
Maison. “Qu’est-ce que vous voulez, disiez-vous comme
pour vous excuser : je suis bon.” Oui, vous étiez bon. Ce
qui n’excluait pas les colères, les oukases, les excommunications – mais vous reveniez vite, pour accueillir le
pécheur repenti – après une pénitence convenable, s’entend. Vous étiez bon, comme le pain, le pain onctueux
qui se cache sous la croûte rude, le pain que vous avez
rompu, ici, pour les vôtres, celui de l’éducation et celui de
la foi, le pain des hommes et le pain venu du Ciel.
J’avais demandé au P. Babolat, en novembre, de présider
pour notre communauté la messe annuelle pour les
confrères défunts. Cela se justifiait autant par son attachement à notre société des prêtres de Saint Irénée que par
sa grande connaissance de nos origines. J’ai retrouvé en
préparant ses funérailles, glissées dans le missel des
défunts, les notes qu’il avait prises pour son sermon. Elles
résonnent aujourd’hui pour nous comme un testament
spirituel. Le P. Babolat avait recopié quelques phrases de
la “pensée pieuse”, ce tract fondateur de notre société,
distribué au Séminaire Saint Irénée pendant les Cent
Jours, de mars à juin 1815. Après avoir évoqué “le triste
état de désolation où se trouve la Sainte Eglise”, ce petit
papier disait ceci : “Plus d’une fois, le ciel a changé le
monde. Douze apôtres l’ont converti. Et vous, mon frère,
que vous dit votre cœur qui est pieux ? Et si le Seigneur
vous choisissait pour l’un de ses apôtres, si l’ange de Dieu
frappait à votre porte ? Unissez-vous d’intention et de
vœux à tant de frères fervents que le zèle de la maison de
Dieu dispose déjà pour cette grande œuvre. La moisson
est abondante : prédications, retraites, éducation, missions, direction de religieuses, séminaires, collèges, écoles
- quelle ample matière au zèle pour tous les cœurs et tous
les genres d’esprit et de talents. Si le zèle vous fait voler
au milieu des grandes œuvres, tout est sauvé. Vous sauvez tout si votre cœur généreux se dévoue. […]
C’est dans l’auguste tradition de nos anciens qu’il faut
chercher aujourd’hui les grands et vrais modèles : osez les
rechercher, les méditer, en suivre l’esprit et vous en pénétrer profondément”. Ce zèle, cette générosité, G. Babolat
les avait vécus. Et à son tour, il nous transmettait “les
grands et vrais modèles”. En relisant ce texte fondateur, il
nous insérait, comme lui, dans la lignée des 269 confrères qui depuis 1815 avaient tenté de vivre de cet esprit.
Et pour nous situer “dans le sillage de Saint Irénée”, il terminait par ces paroles qui nous semblent, aujourd’hui,
prémonitoires : “Dans le Christ, nouvel Adam, nous devenons obéissants à Dieu. Avec le Christ, nous résistons à la
tentation, ou, si nous avons péché, nous pouvons nous
relever. Avec le Christ nous entrons dans la vie de Dieu,
dès à présent, et dans le mystère de son éternité.”
Prions maintenant le Christ Seigneur, pour Georges
Babolat, son prêtre, entré dans le mystère de son éternité.
Discours de fin d’année.
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Homélie du Cardinal Philippe Barbarin
Frères et sœurs,
Les lectures choisies pour cette messe d’adieu nous
parlent du Père Babolat et s’adressent à chacun de nous,
comme une invitation stimulante à nous mettre au service
des autres.
Voici donc, comme l’indique Saint Paul dans la seconde
épître à Timothée, que “le moment de mon départ est venu”
(2 Tim IV, 6). Cette épître est comme le dernier testament
écrit de la main de l’Apôtre dans des circonstances plus
douloureuses que celles qui nous rassemblent
aujourd’hui. Ces mots, nous voulons les recevoir comme
une parole fraternelle et spirituelle du Père Babolat.
Paul, quelques lignes plus loin, dit qu’il a été abandonné de
tous ; il sait qu’il avance vers le martyre. Vous au contraire,
vous manifestez par votre présence ce matin votre grande
reconnaissance à l’égard du Père Babolat, votre amour pour
cette Institution des Chartreux et la gratitude des jeunes
qu’il a servis tout au long de sa vie.
“Le moment de mon départ est venu.” Saint Paul jette un
regard en arrière. A notre tour, aujourd’hui, nous contemplons dans l’action de grâce l’essentiel de la vie du Père
Babolat. Les mots d’introduction du Père Martin nous y ont
aidés, et nous avons admiré la belle trajectoire de la vie de
ce prêtre qui a voulu être un serviteur de la jeunesse, de ses
proches, et d’abord un serviteur de l’Eglise.
Saint Paul ajoute aussitôt cette expression – le Père
Babolat aimait-il la reprendre à son compte ? “Je me suis
bien battu.” Nous, pour sûr, nous pouvons l’affirmer à sa
place : Oui, Père Babolat, vous vous êtes bien battu !
“J’ai tenu jusqu’au bout de ma course.” De fait, je voudrais
témoigner avec admiration de cet esprit de service que le
P. Babolat a vécu jusqu’au bout. Quelques années après
avoir quitté la direction de cette prestigieuse Institution,
il a accepté la proposition que je lui ai faite de devenir
curé – pour la première fois de sa vie ! – d’une paroisse
à laquelle il était attaché depuis toujours.
A peine avait-il dit adieu à sa maman, avec l’attention et
l’affection que l’on sait, que nous l’avons vu se lancer
avec joie et sérénité dans cette mission de Pasteur.
“Je découvre tout, Eminence, je suis heureux d’être curé enfin…”
me disait-il, il y a quelques mois, heureux de cette mission
confiée d’habitude à des prêtres plus jeunes, et qui
l’émerveillait comme un novice.
Et Paul de dire aussi : “Je suis resté fidèle…” Nous pouvons
bénir Dieu d’avoir gardé son serviteur Georges dans cette
fidélité.
“Je n’ai plus qu’à recevoir la récompense du vainqueur.” C’est
ce que nous souhaitons pour lui ; notre prière et notre
intercession montent vers Dieu pour lui obtenir cette grâce.
Que ses péchés lui soient pardonnés. Que tout ce qui fut
obscurité dans sa vie soit remis entre les mains de Dieu
pour qu’il ne reste plus que la Lumière. Que le P. Babolat
s’ouvre pleinement à cet amour secret du cœur de Dieu qui
touche chacun de ses enfants, car Dieu nous aime tous et
chacun d’un amour unique, extraordinaire, en même
temps que mystérieux.
Les hommes qui sont habités par cette conviction profonde
désirent la manifestation de cet amour, aspirent à la vérité
de leur humanité dans la gloire de Dieu, cette gloire dont
parle justement Saint Paul. Le Seigneur, notre juge impartial,
leur remettra cette récompense le jour qu’Il voudra,
comme à tous ceux qui attendent ardemment sa venue
dans la gloire.
G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 )
20 FUNÉRAILLES À SAINT-BRUNO
Pourtant, il y a dans ce départ quelque chose de brutal,
d’incompréhensible. Le P. Babolat était parti pour la terre
du Seigneur comme un pèlerin qui aspire à réveiller son
amour de l’Evangile. Il souhaitait ardemment revoir les
endroits mêmes où Dieu était venu jusqu’à nous, pour
que l’Evangile lui soit plus parlant, pour que chacune des
paroles, chacun des lieux évoqués dans notre liturgie ait
sa couleur, sa tonalité. Les disciples du Christ aiment
retrouver cette terre où le Seigneur nous a aimés jusqu’à
l’extrême.
service, il nous fera passer à table et nous servira, chacun
à notre tour, comme ses frères bien-aimés.
La soudaineté de ce décès est pour nous un choc :
“A l’heure où vous n’y penserez pas…”, dit l’Evangile (Lc XII
40). Nous savons que le Maître à son retour viendra à
l’heure où nous ne nous y attendons pas. Heureux le serviteur qui sera trouvé, revêtu de sa tenue de travail, dans
l’attitude intérieure du Christ qui a vécu au milieu de
nous comme un Serviteur.
Jésus leur ouvre de vastes perspectives, au-delà des considérations politiques ou de l’espérance d’une vie sociale
meilleure :
“Il y a beaucoup de demeures dans la Maison du Père…
je vais vous préparer une place” (Jean 14, 2).
Quelle belle image que cette rencontre ! Alors, quand le
Maître entrera – ô surprise ! –, Il ne se mettra pas à table
pour être servi, mais pour servir ; c’est lui qui prendra la
place du serviteur.
Le Seigneur que nous attendons en gardant notre lampe
allumée ou en restant dans notre tenue de travail, cessera
d’avoir les apparences du Maître. Il prendra sa tenue de
Avant son départ, le Christ donne à ses apôtres un testament spirituel qu’il leur est difficile d’accueillir dans la
foi. Il leur dit par exemple : “Il vaut mieux pour vous que je
parte” (Jean 16, 7). Eux, pourtant, pensaient le contraire :
“Tu ferais mieux de rester ; ainsi tu restaurerais la royauté
en Israël, tu chasserais les Romains et tu nous libérerais.
Quel réconfort ce serait pour nous !”
Disciples du même Seigneur, vingt siècles plus tard, nous
regardons sereinement aujourd’hui cette porte qui ouvre
sur le Royaume. Nous aurons un jour à la franchir humblement et nous serons accueillis par un Maître qui nous
invitera à prendre place à la table du banquet du Père.
Nos Eucharisties sont déjà l’image, la préfiguration et la
réalité de cette invitation.
Notre Maître, notre Seigneur, est en fait notre Serviteur.
Il nous appelle constamment à l’humilité : “Vous le savez,
ceux que l’on regarde comme chefs des nations païennes commandent en maîtres : les grands leur font sentir leur pouvoir.
Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir
grand sera votre serviteur. Car celui qui veut être le premier
sera l’esclave de tous ; car le Fils de l’homme n’est pas venu
pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon
pour la multitude.” (Marc 10, 42-45). Cette vie, il l’a offerte
jusqu’à sa dernière goutte de sang, jusqu’au dernier souffle
de son cœur, jusqu’à l’ultime élan de son amour.
de saint Irénée, mais de l’Evangile que nous avons médité
pour cette Messe d’ “A Dieu”. C’est une parole du Christ
qui nous est offerte comme un cadeau du Père Babolat,
et j’espère que nos cœurs sont disponibles et ouverts pour
l’accueillir :
“Mes amis, restez en tenue de service
et gardez vos lampes allumées”.
Que Dieu nous fasse la grâce d’être de vrais serviteurs,
“offerts en sacrifice”, selon le beau mot de l’épître que nous
avons lue. Oui, au moment du départ, au moment de lever
l’ancre, soyons vraiment et toujours des serviteurs.
Ou encore, comme le dit Saint Irénée dans ce passage qui
n’est peut-être pas le plus connu, mais que je trouve d’une
grande beauté : “La gloire de l’homme, c’est de persévérer et
de demeurer toute sa vie au service de Dieu et au service des
autres.”
Certes, il y a des défauts dans notre service, des imperfections
nombreuses, mais, dans la fidélité, transparaît une lumière
qui efface tout.
J’aimerais, frères et soeurs, pour nourrir notre prière au
cours de cette célébration et par la suite, vous laisser sur
un message qui ne vient pas du Père Babolat, ni même
G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 )
22 FUNÉRAILLES À SAINT-BRUNO
Prière universelle
Didier Pirrodon,
prêtre de Saint Irénée
Seigneur,
Le Père Babolat a toujours été soucieux des vocations au
sein de la Société des Prêtres de Saint Irénée.
Prions pour que des vocations sacerdotales naissent
encore dans ce monde.
Cyril Confavreux,
ancien élève
Seigneur,
J’ai perdu plus qu’un ami...
Le Père Babolat était profondément humain et accueillant. Il appréciait les grandes cérémonies mais, encore
plus, les échanges personnels vrais.
Comme moi, de nombreux jeunes ont reçu l’éclairage et
l’avis juste du Père Babolat pour tracer le chemin de leur
vie personnelle, professionnelle et affective.
Seigneur, donne nous de continuer à bâtir notre Vie sur
les principes fondamentaux qu’il nous transmettait :
- l’esprit d’entreprise,
- l’exigence dans notre travail et notre vie personnelle, à
l’image de la parabole des talents qu’il citait volontiers,
- le discernement et la liberté pour trouver ce qui est bon
à terme,
- la prière.
Nous te prions Seigneur !
G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 )
24 FUNÉRAILLES À SAINT-BRUNO
Michel Naffah,
supérieur émérite du collège St Georges de Zalka (Liban)
Dans le cadre du jumelage interdiocésain Lyon - Antelias
(Liban), l’Institution des Chartreux est jumelée au collège
Saint Georges de Zalka depuis 1992, et cela grâce au Père
Georges Babolat, dont l’esprit d’ouverture à la mission, à
la rencontre et à l’aventure était indéniable.
Depuis cette date, beaucoup d’échanges de type spirituel,
pédagogique, francophone, humain ont eu lieu entre ces
deux écoles, avec la participation des prêtres, de respon-
sables, de professeurs, de parents et d’élèves, de part et
d’autre des pays concernés...
Prions et demandons au Seigneur de faire de chacun de
nous, à l’exemple du Père Georges Babolat, des témoins
de l’amour et du partage et les messagers de la Paix dont
notre monde a tellement besoin.
Prions le Seigneur !
Henri Perret,
Chalet des Forêts à Boëge
Pendant plus de 40 ans, le Père Babolat a incarné et fait
grandir le Chalet des Forêts à Boëge.
faction de l’exigence et ouvert, ou conforté pour beaucoup, la réalité d’une spiritualité porteuse de vraies
valeurs.
Il a fixé sa vocation de Centre de Vacances pour les jeunes, enfants et adolescents, qui ont pu apprendre le
respect d’autrui, le sens de l’effort et du dépassement de
soi, la gratuité de l’engagement et découvrir l’apprentissage de la responsabilité.
Pour tout cela, nous rendons grâce au Seigneur ; qu’il permette que des prêtres puissent encore se mettre au service
de l’éducation des jeunes appelés demain à être guides et
lumière de notre monde trop souvent sans repères.
Le Père Babolat a fait connaître à tous ces jeunes la satis-
Prions le Seigneur !
G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 )
Le Père Babolat en famille
Dernier Adieu
Marie-Jo Durand, sœur du Père Babolat
Georges,
Te dire adieu aujourd’hui est pour moi un déchirement.
Nous avons vécu ensemble des heures de joies et aussi
des moments bien tristes. Je veux évoquer la perte de nos
parents, et tu me disais, à ce propos, que tu les savais
dans la Paix et attendais le jour du Seigneur où nous nous
retrouverons.
S’il y a autant d’amis autour de toi c’est que tu ne laissais
personne indifférent, respectant les sentiments et les opinions de chacun. Les nombreux témoignages d’amitié, de
soutien et de sympathie sont là pour nous prouver combien tu étais proche de tous et de chacun en particulier.
C’était toujours avec beaucoup de joie que j’attendais le
dimanche soir où nous nous téléphonions longuement
nous donnant des nouvelles des uns et des autres. Nous
t’attendions le 1er avril, à Faverges, où tu devais te reposer
avant de retrouver tes paroissiens pour la Semaine Sainte.
Jeudi matin, je recevais la lettre que tu avais écrite au
sujet du décès du Père Jacquet (un ancien du Chalet...) et
j’apprenais quelques heures plus tard, par la voix du Père
Plessy, ta disparition.
Daniel, les enfants et moi-même sommes orphelins. Nous
avons perdu avec toi un frère, un symbole, un oncle très
attaché à toutes les valeurs familiales et spirituelles qu’ont
su nous inculquer nos parents.
Tu es parti rejoindre papa et maman. Ta foi en la
Communion des Saints était totale. Prépare nous une
place pour qu’après avoir achevé notre vie terrestre nous
nous retrouvions dans la tendresse du Père.
A Dieu Georges, merci pour ta ténacité, ton amour du
prochain, pour ton courage, ton humour et toute la gentillesse avec laquelle tu nous as entourés.
Ta petite sœur
Michel Raquet
Cher Père Babolat, Cher Georges,
Dimanche dernier, dans la feuille paroissiale, je vous ai
déjà fait un dernier adieu, du fond du cœur, après le choc
de votre départ.
Aujourd’hui, après avoir offert le sacrifice sauveur du
Christ, avant de confier votre corps à la terre dans l’attente de la résurrection, je vous redis seulement : merci.
Merci pour ces quelques mois passés ensemble, ici, à
Saint Bruno, spécialement pour votre paternelle affection.
Vous souhaitiez que je sois bien ici, et vous avez tout fait
pour cela. Et ça a été le cas.
La découverte de la paroisse, la réouverture de l’église Saint
Bruno et, si c’était un événement, plus récemment, mes
40 ans, nous ont bien vus unis au service des paroissiens.
Notre amitié demeurera dans le Christ. Nous continuerons à nous rendre service mutuellement, dans la
Communion des Saints.
Que la Mère de Dieu, saint Irénée, saint Bruno et sainte
Claudine Thévenet, que vous invoquiez souvent, aillent
au devant de vous et vous conduisent jusqu’à la rencontre plénière de Celui qui comme vous le disiez “nous crée,
nous connaît et nous aime”.
G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 )
28 FUNÉRAILLES À SAINT-BRUNO
Guy Lutz,
Conseil paroissial de Saint Bruno
Cher Père,
Vous nous rappeliez souvent votre mandat de 6 ans, vous
en avez parcouru à peine le quart. Ce voyage en Terre
Sainte, qui vous réjouissait tant, s’achève au seuil de celleci... par cette mort dont vous parliez souvent dans vos
sermons... l’inattendu de Dieu, peut-être pas si inattendu
que cela.
Ceux qui vous ont connu aux Chartreux, ceux qui vous
ont découvert à la paroisse, soulignent tous votre recherche de simplicité, votre sens de l’écoute, votre désir de
bien remplir votre nouvelle mission de curé.
Combien de fois vous aimiez faire ce jeu de mots : ”Une
cure ce n’est pas une sinécure !”
Vous avez très vite pris votre place de pasteur, à juger :
- à votre joie et à celle de vos paroissiens, le dimanche, à
la sortie de la Messe,
- à la fraternité pastorale que vous témoigniez au Père
Michel Raquet,
- aux larmes de Christèle que vous conduisiez au baptême,
- au soin apporté à la préparation des groupes de réflexion,
- à la tristesse des plus anciens auxquels vous apportiez la
Paix de Dieu,
- à la compassion qui a marqué cet athée, lors d’une préparation de funérailles,
- à la sincérité qui transparaissait quand vous disiez :”je
vous porte dans ma prière”.
Et, en tant que Président de l’association “Splendeur du
Baroque”, je voudrais témoigner de votre attachement à
ce lieu, à la beauté de votre église, à votre empressement
à la retrouver après la restauration pour y enraciner la vie
paroissiale en commençant par les obsèques ...
Mais ausi témoigner de votre souci permanent d’équilibre entre le cultuel et le culturel : équilibre entre le regard
de l’historien et la sollicitude du Pasteur.
Nous vous disons merci. Nous disons merci à Dieu. Nous
avons la profonde conviction que vous accompagnerez
encore notre communauté paroissiale.
Jean-Bernard Plessy,
Supérieur de l’Institution des Chartreux
Comme tout un chacun des Chartreux, et déjà depuis
assez longtemps avant le 28 juin 2001, jour de son
départ en retraite avec la Légion d'Honneur, je faisais
plus que pressentir, chez le Père Babolat, le sens aigu
qu'il avait, le sens totalement républicain qui le caractérisait, de la reconnaissance et des honneurs.
Pour les autres : lorsque, durant la traditionnelle cérémonie de fin d'année, il devait décorer les professeurs qu'il
avait proposés pour les Palmes Académiques, le cérémonial était toujours identique, réglé et, quoique convivial,
non moins officiel. Le récipiendaire en face de lui, pratiquement au garde-à-vous, le Père Babolat tenait la
médaille de la main droite, la main gauche se repliait de
manière saccadée pour faire signe à l'assemblée de se
lever, et la phrase rituelle était enfin prononcée de
manière quasi gaullienne : au nom du Premier Ministre,
nous vous faisons etc. etc. S'en suivait la remarque traditionnelle de fin de cérémonie : “Pas mal, non, on sait faire
les choses, non ?” Puis la leçon républicaine encore :
“Pour les Palmes on dit “Au nom du Gouvernement de la
République”, pour la Légion d'Honneur, on dit : “Au nom
du...”. J'avoue que je ne vais pas jusqu'au bout parce que
j'ai peur de dire une bêtise, et il serait bien capable de me
faire comprendre par les moyens qui sont désormais les
siens que je fais un mauvais Supérieur.
Pour lui, ce fut un triomphe le 28 juin. Le Cardinal Billé
était là : je sais trop à quel point il avait besoin de sa présence ce jour-là. Et il y eut la Légion d'Honneur, la
médaille portée par son propre grand-père. Les Chartreux
avaient bien fait les choses, et le jour où il rendait son sabre,
il s'en est trouvé ni peu ni assez heureux, et disons le mot,
ni peu ni assez fier. Pardonnez-moi, mon Père, d'avouer
devant vous un petit péché de satisfaction que vous ne niiez
pas vous-même. Je crois que vous n'étiez pas dupe, et que
vous saviez que l'on pouvait parfois vous reprocher cette
fierté volontiers affichée : les Chartreux, il n'y a rien de
mieux. Je vous épargnerai la liste car, là encore, vous seriez
bien capable de me prier de la réciter jusqu'au bout.
Certainement parce que vous vous êtes totalement identifié, dans un effort permanent, dans un travail ahurissant,
dans un don de vous-même, à cette Institution que, si
souvent, vous appeliez Maison, la Maison. Les médailles
que vous pouviez épingler, jusques et y compris cette plaque dorée que vous arboriez depuis peu sur votre anorak :
Babolat, curé de Saint Bruno, et qui nous avait fait rire, les
confrères, voire beaucoup rire, n'auraient de toute façon
jamais été si imposantes qu'elles eussent caché le fond de
votre personnalité et de votre cœur. J'en veux pour
preuve cette autre cérémonie beaucoup plus intime que
vous aviez désiré organiser dix jours après le 28 juin,
votre départ et la Légion d'Honneur, et ces centaines de
fidèles et d'amis qui étaient là. Votre mort, je pense, me
délie du ton de la confidence dont nous étions convenus.
A cette cérémonie qui ne devait rien au hasard, nous
étions deux. Vous et moi. C'était le jour de la saint Benoît
2001. Je suis venu dans le bureau du Supérieur, votre
bureau. J'ai à peine patienté dans la salle d'attente, et,
comme souvent, vous avez ouvert la conversation par un
tonitruant “Voilà !”, exactement comme le faisait déjà en
son temps le Père Blanchon : il va falloir que je me surveille. Main droite serrant la veste du costume à hauteur
de la poitrine, main gauche tenant en main trois clefs
écartées les unes des autres, le regard autoritaire en
même temps qu'affectueux par-dessus les lunettes. “Voilà,
cher Père, trois clefs”. Et puis vous avez éclaté dans un sanglot
qui m'a déchiré, exactement comme je vous ai vu pleurer
devant vos parents ou nos confrères décédés : cette
espèce de bonté simple qui vous caractérisait, cette spontanéité qui est celle de l'enfant ; en l'occurrence, dans
G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 )
30 FUNÉRAILLES À SAINT-BRUNO
votre bureau, ce n'était plus l'arrachement pensé, c'était
l'arrachement vécu. Je n'ai jamais été curé de paroisse, mais
j'imagine la parenté de situation et de sentiment. A cet instant j'aurais voulu que toute la direction fût là, que les
professeurs fussent là, les personnels et les élèves et leurs
parents. C'était le moment que vous aviez voulu et que vous
souhaitiez encore maîtriser : vos larmes n'étaient ni celles de
la tristesse, ni celles, feintes, d'une quelconque superbe ;
c'étaient celles d'un homme qui avait tout donné, et qui, je
le crois, partait serein, heureux d'espérer que suite il y aurait
à son travail et à sa joie. Le discours n'avait rien d'officiel ;
seul le cœur parlait. Vous vous êtes repris, et je le récite
comme on peut réciter un testament spirituel : vous avez dit
“Clef n°1 : la clef de la Maison centrale : le bâtiment U pour
les initiés : c'est la Maison ; c'est le lycée, les salles de professeurs, les bureaux des directeurs adjoints; c'est là que
viennent les parents pour inscrire leurs enfants, les visiteurs,
bienfaiteurs, etc.” Je continue de citer et je vais faire rire certains : “Il vous faudra veiller à ce qu'elle soit fermée le
week-end. D'autant plus que les collaborateurs qui deviennent les vôtres ont toutes les qualités, mais pas forcément
celles de savoir fermer. Clef n°2 : c'est celle du bureau.” Le
ton est immédiatement devenu bonhomme, profondément
authentique : “Ici, vous accueillerez beaucoup, vous écouterez beaucoup, élèves, professeurs, employés, parents,
visiteurs, vous déciderez. Vous verrez, vous ne pourrez pas
forcément avoir le loisir de concevoir ; il vous faudra un
autre endroit ; ici, on agit. Clef n°3 : la plus belle, la plus
petite. C'était celle du tabernacle de la Grande Chapelle.” Là
l'émotion vous a repris. “C'est le cœur de la Maison. C'est
là que vous ferez l'essentiel et le plus beau de votre ministère de prêtre.” Et puis cette phrase magnifique d'un prêtre
à un autre: “C'est lorsque que vous sortirez le ciboire du
tabernacle pour donner la communion aux élèves, aux professeurs et à toute l'assemblée que vous serez totalement le
Supérieur.”
Puis vinrent quelques conseils, quelques recommandations. Et puis une accolade, qui n'avait rien de
cérémonieux mais tout d'affectueux. Cela dit, le Père
remit les clefs dans sa poche, parce qu'il se rappela tout
d'un coup et me le fit savoir qu'il était Chef d'établissement jusqu'à la rentrée scolaire. Nous avons bien ri d'une
telle clôture de cérémonie de passation. Peu importe, il
avait indiqué l'essentiel de ce qui peut faire la vie d'un
prêtre chef d'établissement : la maison pour accueillir, le
bureau pour gouverner, la chapelle pour fonder toutes
choses dans la prière et les sacrements.
Vingt-cinq ans de présence assidue, vingt-cinq ans de
signatures, de conseils de direction, de maison, de classes.
Combien de visites, de rencontres et de petits mots échangés avec tel professeur dans l'escalier d'honneur,
l'agenda dans la main, combien de visites reçues dans
son bureau, de moments magnifiques, mais aussi de
moments plus âpres, souvent tard le soir, alors que la
Maison s'était endormie, combien de cérémonies dans la
chapelle, messes pour les élèves, mariages, baptêmes,
confessions, etc. Une réelle aptitude pour le travail, un
goût jamais démenti pour l'effort, une terrible volonté de
réussir, et donc une légitime fierté pour cette Maison
dont il portait le nom dans toute la France, notamment à
travers l'Alliance des Directeurs Chrétiens, l'ADDEC.
Les Chartreux, lorsqu'il s'y trouvait comme élève, lorsqu'il
y commença comme professeur, lorsqu'il en devint le
Supérieur, et lorsque qu'il en devint le Supérieur émérite.
Les Chartreux, fils de l'Eglise, et pleinement collaborateurs
du Service National de l'Education. Les Chartreux, installés
par vous, Père, dans une culture de l'excellence, attachés
à réussir plutôt qu'à subir. Les Chartreux, soucieux de
promouvoir chez les jeunes la quête d'un idéal, le refus de
la médiocrité, attentifs enfin à donner le sens de Dieu, le
sens de la prière, le désir de l'Eucharistie et du Pardon.
Rien ne sera jamais parfait ; aucun idéal ne sera jamais
atteint, si Dieu lui-même ne s'en mêle. Mais, cher Père,
c'était là aussi le sens de votre espérance et de votre
prière. Comme tout prêtre, vous saviez parfaitement au
fond de vous-même qu'il n'est rien ici-bas qui n'atteigne
effectivement l'excellence souhaitée, à moins que Dieu
lui-même n'élargisse ce désir humain à ses propres intentions divines.
A la fin de tout, lorsque l'on est un éducateur chrétien,
peut-on vouloir autre chose que la sainteté chez celui qui
nous est confié et y parvenir avec lui ? N'est-ce-pas cela
le caractère propre de l'Enseignement Catholique ? N'estce pas exclusivement cela ? Proposer un idéal de liberté,
cette liberté même dont vivent les saints, qui aiment et
qui font ce qu'ils veulent ?
Père, je vous promets, avec tous les professeurs et les éducateurs de la Maison, de tout faire pour donner une suite
cohérente à votre long effort ; je vous promets de faire du
mieux que nous pourrons pour continuer à former une
jeunesse libre, courageuse et responsable, sur laquelle
l'Eglise et la Cité pourront compter. Mais en retour, puisque nous vous croyons dans la lumière surabondante de
Celui qui est le Maître, le seul Maître, voulez-vous bien
continuer à porter la Maison ? Puis-je préciser le contenu
de cette prière ? Encore et toujours des professeurs et des
éducateurs animés par l'Evangile et un sens filial de
l'Eglise. Encore et toujours des prêtres, au service des élèves, des prêtres pour notre Société de Saint Irénée qui
porte la Maison depuis sa fondation jusqu'aujourd'hui
dans son extension (Croix-Rousse, Saint-Just et SaintEtienne). Et s'il Lui plaît de venir les appeler chez les
jeunes qui sont en ce moment dans nos murs ? Après
tout, il y a peut-être dans quelque classe de lycée le futur
Supérieur de l'Institution, assis non loin du futur directeur
spirituel du collège ou du lycée. Vous avez tant aimé cette
Maison. Les élèves l'ont dit tout à l'heure à la chapelle,
devant vous. Ils gardent le souvenir de votre présence le
lundi matin dans l'allée. Devant vous, c'est le mot de Père
que l'on a le plus souvent employé. De votre côté, c'est
le mot de Maison que vous aimiez à redire. Pour être un
Père, il faut avoir une Maison. Gardez dans votre prière,
Père, votre Maison, notre Maison. Qu'elle demeure longtemps encore une Maison de l'Espérance, fondée dans
l'Evangile, ouverte sur le monde, rayonnante par l'esprit
et par le cœur. Pour tout ce que vous avez su bâtir, développer et faire tenir, Deo gratias.
G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 )
Témoignages
34 TÉMOIGNAGES
Cardinal Carlo Maria Martini,
archevêque émérite de Milan
Jérusalem, le 27 mars 2006
Révérend et cher Père Jean-Bernard Plessy,
Rentré de Rome où je m’étais rendu pour le Consistoire, j’ai trouvé
votre message et je m’unis avec une vive émotion à votre profonde
douleur et à celle de toute la communauté des Chartreux pour le
départ soudain du très cher Père Georges Babolat.
Je l’ai toujours beaucoup estimé et je me souviens avec gratitude
de nos excellentes rencontres estivales en Corse, de son amabilité
et de sa sympathie.
Sa mort est certainement une grande perte aussi pour le diocèse
de Lyon.
Je le confie à l’amour miséricordieux de Dieu qui l’a appelé vers
lui de cette Terre Sainte et je participe à vos prières à son intention.
Je vous salue affectueusement au nom de notre Seigneur Jésus.
Mgr Pierre Pican, évêque de Bayeux et Lisieux
Bayeux, le 27 mars 2006
Cher Père,
Vous m'avez appris le décès du Père Georges Babolat dont
j'avais été informé par la presse nationale.
Votre petit mot, à tous les membres et amis de la communauté
des Chartreux précise le contexte dans lequel le Père Babolat a
été rappelé par le Seigneur d'une manière discrète.
Probablement, comme vous le dites, fort justement, avait-il eu
le temps de déposer sa vie entre les mains de Celui qu'il a servi
avec passion au milieu des jeunes pour les aider à grandir, à
découvrir leur vocation et à s'affirmer comme chrétiens, résolu-
ment attachés au Christ et disposés à Le servir avec leurs frères.
Je m'associerai aux célébrations dont vous nous avez précisé les
données dans l'église Saint Bruno des Chartreux, où il continuait son service en qualité de curé et en communion
fraternelle avec vous tous dans la grande chapelle, demain soir,
durant l'heure d'évocation de cette vie donnée.
Tous ceux qui se rassembleront dans la prière, l'évocation de ce
visage évangélique seront présents aussi à ma prière et à ma
propre force de communion.
Avec mon amitié et l'assurance de ma prière fraternelle dans la
communion de la foi.
Mgr Gaston Lequimener, président d’honneur de l’ADDEC
Cher monsieur le Supérieur,
Je suis, comme bien d’autres, très ému par la mort du Père
Babolat. La nouvelle m’a rejoint à Mesquer, transmise par
l’abbé Vallée de l’évêché et je trouve votre lettre en arrivant ici.
Presque trente ans de relations amicales. Des soucis partagés,
des visites à votre institution. Un tour de Bretagne et des visites
à Nantes ou à Mesquer ! Plus encore des convictions communes et un même idéal : l’apostolat de l’intelligence et
l’éducation chrétienne des jeunes, si désemparés aujourd’hui…
Etant un peu souffrant moi-même, je ne pourrai me rendre à
Lyon pour les obsèques. Mais vous devinez combien je serai
présent avec vous autour de ce qui nous reste encore visible.
Nous sommes appelés à voir Dieu !
Que notre Georges parvienne au plus tôt à cette contemplation
qu’il a dû souvent méditée à la suite de Saint Irénée : la vie,
c’est la vision !
Avec toute ma sympathie, à vous cher ami, et à tous ceux qui
vous accompagnent dans la tristesse et l’espérance.
Chanoine René Breysse, professeur honoraire
de lettres et confrère du Père Babolat
A la rentrée qui précéda son ordination, le diacre Georges
Babolat, ancien élève, devint le confrère des prêtres professeurs. Est-ce le souvenir de notre rencontre en octobre
1954 à son entrée au Grand Séminaire de Philosophie ou
le fait que j’étais le plus jeune alors des convives ecclésiastiques qui le fit sympathiser avec moi et me demander
des conseils pour mener à bien une classe, car il devait
assurer de la catéchèse dans le collège ? Il écouta humblement mes propos et les mit en pratique, lui qui
deviendrait plus tard le symbole même de l’autorité dans
l’Institution.
ficat du cardinal Fesch, sans en omettre évidemment le
rôle de la jeune société des prêtres de Saint Irénée, prémices de la thèse qu’il projetait.
Avant Noël se déroula son ordination comme ancien élève
par Mgr Ancel, autre ancien, et dans notre chapelle. C’est
là encore, et non en sa paroisse, que le Père Babolat tint à
célébrer sa première messe, le lendemain, malgré la neige
épaisse qui ce matin-là séparait Tassin de la Croix-Rousse.
Le voilà professeur d’histoire et géographie aux Chartreux
avec une prédilection pour l’histoire, même si plus tard il
devait en préparatoire HEC se limiter à la géographie. Se
dessinaient bientôt pour lui des responsabilités à
l’Institution : directeur d’abord des classes primaires, il sera
ensuite directeur des études au lycée avant de devenir le
Supérieur de l’ensemble, l’annexe de Saint-Just comprise.
Conscient qu’un homme âgé ne peut plus s’occuper de jeunes gens, il m’annonça alors sa démission auprès de Mgr
l’archevêque à 65 ans. Il tint parole, malgré son affection
pour les deux milliers d’élèves ou étudiants qu’il appelait
“ses enfants”, les plus jeunes venant même l’embrasser chaque lundi matin à l’orée du portail.
Logeant toujours parmi nous, le nouveau prêtre allait
entreprendre ses études d’Histoire : après un an à la
Catho, il s’inscrivit à l’Université pour les divers certificats
de licence. Il me parlait souvent de ses maîtres, comme le
professeur Pacaud que je connaissais par les réunions
d’anciens de mon internat à Charlieu ; souvent aussi le
doyen Latreille, notre voisin. Leurs relations étaient si
confiantes que, durant les événements de 1968, le Père
Babolat transporta discrètement certaines archives
d’Histoire depuis l’Université jusqu’au domicile du
Doyen. De cette époque troublée, le Père Georges Babolat
retint que désormais la communication orale risquait de
l’emporter sur l’écrit et je lui dois d’avoir grâce à lui en
secondaire troqué le cours magistral, tentation fréquente
du métier, contre le dialogue pédagogique. Après la
licence, il rédigea un DES sur les activités universitaires de
notre société à partir de 1825. Une fois retraité, ce sera
un DEA sur l’évolution du Diocèse de Lyon sous le ponti-
En développant les années de post-bac, inaugurées par le
Père Blanchon, son prédécesseur, il ne tarda pas à être
connu hors de l’Académie : bientôt membre de l’ADDEC,
il en sera le vice-président, la présidence étant toujours
assurée par un évêque de France. Cette position allait
nous amener de bons élèves grâce aux mutations des
parents de tout l’Hexagone en région lyonnaise. Aussi,
lorsqu’on l’avait chargé des études, les résultats du Bac,
plafonnant sous les 50 %, allaient progressivement atteindre les 90 %, voire 100 % certaines années. “Nous
sommes entrés dans la cour des grands” m’avouait-il en
un fier sourire. A ces succès, la participation des professeurs et du Père Babolat aux jurys des écoles de
commerce rendit l’Institution familière aux grands lycées
publics. C’est ainsi que le proviseur du prestigieux lycée
du Parc honora un jour de sa présence la décoration d’un
de nos professeurs. A ce sujet, le Père Babolat bénéficia de
nombreuses promotions au point que je lui dis un jour : “A
G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 )
36 TÉMOIGNAGES
ce train, vous arborerez sous peu la position d’un officier
supérieur, survivant de la guerre de 14 !”. Le second après
M. Hyvrier, il reçut la Légion d’Honneur et fut nommé à la
fin de ses jours Commandeur des Palmes Académiques.
Plus modestement, il travaillait tout jeune à la pâtisserie
de son boulanger de père. Aussi estimait-il beaucoup le
travail des métiers de bouche : membre de la Confrérie
de Saint Antoine, il en devint l’un des commandeurs ; il
en portait le cordon blanc et la médaille sur la chasuble,
pour célébrer la messe annuelle des charcutiers. Bien
plus, il quittera un matin l’appartement où reposait la
dépouille mortelle de son père pour venir présider aux
Chartreux l’office de la Saint Antoine, tant il considérait
ces amis-là comme une autre famille.
Je ne parlerai pas de Boëge, où il dirigea le chalet des
Forêts jusqu’à la soixantaine : un ami commun s’en
acquitte dans cette publication. Mais, je ne puis taire son
amour de l’Italie, parce que durant 15 ans de suite il
guida une trentaine d’élèves de Première à Rome,
Florence, Assise, Venise, Naples et même la Sicile aux
vacances de Pâques. Passionné de l’art baroque et réticent à l’austérité romane, je réussis à l’émouvoir face à la
cathédrale d’Assise. Il tenait cet attrait pour l’Italie d’un
voyage conduit par le Père Henri Stouder, quand Georges
était un élève aux Chartreux. Chaque année, il adressait à
notre confrère une carte postale en reconnaissance.
Eglises, musées, monuments antiques, on étudiait tout.
Mais à Rome, ses relations avec Mgr Duthel et les
Religieuses Trinitaires nous obtenaient des places enviées
sur le trajet du Pontife romain, au point de plonger dans
des larmes de joie tel élève à qui Jean-Paul II avait serré
la main. Par deux fois, ces lieux sacrés suggéreront à des
élèves le désir du baptême, célébré l’année suivante, tant
il est vrai que Dieu parle à travers l’art en notre temps.
Préparer des baptêmes d’élèves et d’enfants d’anciens, les
célébrer ; préparer les mariages d’anciens et les bénir
étaient pour lui un plaisir. Je crois toutefois que parmi les
activités du Ministère sacerdotal, c’est la Réconciliation
qui méritait sa préférence. En effet, dès le trimestre qui
suivit son ordination, il confessait chaque samedi à Saint
Bruno de 16h à 19h, et cela pendant des années. A
l’Institution, il participait aux liturgies pénitentielles. Et,
une fois retraité de l’enseignement, il était l’un des
confesseurs de Fourvière tous les vendredis matin.
Son sacerdoce inauguré à Saint Bruno se terminait làaussi, puisqu’il avait refusé l’honneur du Rectorat de la
Primatiale. J’ai appris son dernier mot en quittant Lyon
pour le pèlerinage en Terre Sainte : “Si je ne reviens pas,
je suis sûr que mes paroissiens prieront pour moi.”
Ses funérailles ferventes et grandioses au retour de son
cercueil ne l’auront pas déçu.
Philippe Blanc,
directeur du lycée Saint Thomas d’Aquin à Oullins
Le mardi 14 mars 2006, le Père Babolat était à Marseille
pour les funérailles d’un confrère. Il avait tenu à rendre
visite à l’Ecole Lacordaire à Marseille. Nous avons déjeuné
ensemble, visité l’établissement et échangé comme à
l’habitude. Je ne savais pas qu’en le déposant à la gare
Saint Charles, nous nous disions adieu et que par cette
visite impromptue, il me faisait un beau et amical cadeau.
Aussi l’annonce de son décès brutal me touche-t-elle profondément. La raison, la foi nous donnent des paroles de
consolation et d’espérance, mais le cœur, lui, ressent cette
absence et demande du temps pour passer de la communication à la communion.
-
Pour ne pas nous laisser submerger par la peine que nous
cause sa disparition, nous devons rendre grâce à Dieu de
l’avoir mis sur notre route humaine et d’avoir pu cheminer
avec lui, grâce à lui.
Oui, nous rendons grâce :
- pour l’ami fidèle, présent à nos joies et à nos peines,
depuis vingt ans,
- pour le prêtre à la foi solide, intelligente, toujours prêt
à servir ses frères et aimant la belle liturgie, heureux de
son état,
- pour l’éducateur alliant avec bonheur bienveillance,
confiance, disponibilité et exigence, qui attachait de
l’importance au développement intellectuel, culturel,
artistique, moral, spirituel et sportif, voulant conduire
ses élèves sur les chemins du Beau, du Vrai, du Bon et
du Juste, au Dieu de Jésus-Christ, ayant à cœur de nouer
des relations cordiales et amicales avec les élèves, les
familles et ses collaborateurs de sa Maison. Sa conception de l’éducation des jeunes l’amena à diriger le
Chalet des Forêts à Boëge,
- pour le chef d’établissement ayant fait de l’Institution
-
des Chartreux un fleuron de l’enseignement catholique
grâce à son bon sens, à sa clairvoyance, à un labeur
acharné, attentif à la beauté et à la qualité des lieux,
accueillant aux collègues qui le sollicitaient, répétant
que seuls les établissements ayant un projet fort survivront ; intimement convaincu de l’importance de la
mission pastorale du chef d’établissement dans l’enseignement catholique, il se dévoua à l’ADDEC,
pour l’historien passionné de recherche, aimant transmettre cette passion à ses élèves et pour l’homme de culture,
l’humaniste, le grand lecteur, attaché au catholicisme
libéral, courant de pensée à l’origine de l’Institution des
Chartreux et de Saint Thomas d’Aquin d’Oullins,
pour cet amoureux de l’Italie qu’il avait plaisir à faire
découvrir à ses élèves et à ses amis (Rome, Florence,
Pise, Sienne), le jumelage Saint Thomas/Les Chartreux
avec le lycée Raffaello et les séjours communs à Urbino,
pour cet homme aimant la vie et les joies honnêtes
qu’elle offre, le gastronome,
pour ce Lyonnais fier de notre patrimoine culturel,
amoureux de la Croix-Rousse et de la “Lyonnitude”,
pour l’homme généreux, resté simple au milieu des responsabilités et des honneurs, accueillant, partageant
volontiers son expérience, allant à l’essentiel et soucieux
de vérité, authentique, à la solidité rassurante et communicative, travailleur infatigable, exigeant pour lui et
les autres, proche des petits et des grands, attaché à sa
famille et fidèle en amitié.
Que le Seigneur accorde à ce bon et fidèle serviteur le
repos promis aux justes !
Nul doute que dans la Communion des Saints il continue
à nous accompagner et à nous aider. Que la Vierge Marie
qu’il aimait prier entoure de sa maternelle sollicitude celles
et ceux que sa disparition rend orphelins !
G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 )
38 TÉMOIGNAGES
Bertrand Rimaud, ancien Président
des Associations Familiales Catholiques du Rhône
Pendant plus d'un quart de siècle, la forte personnalité du
Père Babolat a marqué de son empreinte la vie des AFC du
diocèse de Lyon. Nommé par le Cardinal Decourtray, conseiller spirituel de notre Fédération, il nous a accompagnés avec
dévouement et fidélité, ne laissant de côté aucune de nos
préoccupations et ne dédaignant aucune de nos activités
majeures.
Après les nombreuses années qu’il m’a été donné de bénéficier de sa confiance et de sa collaboration, je peux témoigner
de son attachement très fort à la cause de notre mouvement et
de son engagement personnel à la promotion et à la défense
de la famille. C'est avec courage et clarté qu'il sut, de nombreuses fois, "prendre position" sur des questions d'actualité
délicates. Je me souviens notamment de sa volonté de présider
lui-même la veillée de prière organisée par notre Fédération en
la Basilique de Fourvière, à l'occasion du 20ème anniversaire du
vote de la loi légalisant l'avortement en France. Il a pu souligner, à cette occasion, que notre démarche – critiquée par
certains – était en totale conformité avec la déclaration de la
Conférence des Evêques de France. Nous nous sommes toujours sentis soutenus par notre Conseiller Spirituel dans nos
initiatives temporelles ou spirituelles.
Je voudrais, à l'occasion du témoignage qui m'est demandé
aujourd'hui, exprimer ma triple reconnaissance au Père Babolat.
Je lui suis d'abord reconnaissant d'avoir, en quelque sorte,
"fait la vérité" sur notre mouvement, pas toujours bien perçu
dans notre diocèse. Le simple fait d'accepter la mission, qui lui
fut confiée par notre archevêque, de nous accompagner, nous
a rendu un grand service. Il a cautionné, par son acceptation,
le bien-fondé de notre mouvement et la totale conformité de
notre engagement temporel avec l'enseignement de l'Eglise.
Il a, par la suite, chaque fois que ce fut nécessaire, pris sa part
de responsabilité dans nos engagements.
Je lui suis ensuite reconnaissant de nous avoir donné beaucoup de son temps. Nous imaginons facilement ce que peut
être l'emploi du temps du directeur de l'Institution des
Chartreux et apprécions donc la disponibilité dont il a fait
preuve à notre égard : il a toujours su trouver le temps pour
un entretien personnel dans son bureau, pour être présent
aux réunions de nos conseils d'administration et à nos assemblées générales, pour célébrer nos messes ou présider nos
activités spirituelles et enfin et surtout pour préparer et vivre
avec nous les "grands évènements" vécus par notre mouvement : nos pèlerinages (Rome, Fatima, Le Puy, Ars…) nos
rencontres avec le Pape (Lyon, Reims...) nos grandes conférences (le catéchisme de l'Eglise Catholique, Veritatis Splendor,
la vie…).
Je lui suis enfin reconnaissant de la manière dont, en tant que
prêtre, il s'est manifesté dans son accompagnement spirituel.
• Ce fut parfois simplement par ses conseils éclairés, suggérés ou
plus clairement exprimés, dans nos contacts formels ou informels.
• Ce fut, bien sûr, par la célébration de l'Eucharistie et par le
sacrement de réconciliation à l 'occasion de nos rassemblements (il aimait à dire sa joie de confesser).
• Ce fut aussi par la rédaction des "billets spirituels" qu'il aimait
rédiger pour notre journal ; je sais qu'il tenait beaucoup à
cette forme d'enseignement au profit de nos adhérents.
• Ce fut surtout, à l'occasion des grandes initiatives prises par
notre fédération, le conseil d'une "homme d'Eglise" nous
garantissant que nous restions dans le "droit chemin".
Je terminerai en disant, et je ne crois pas trahir la pensée du
Père Babolat, qu'il “a aimé notre mouvement". Il a aussi
beaucoup aimé nos familles et il nous l'a prouvé.
Nous ne pouvons que lui être reconnaissants de cette affection.
Jean-Paul Bonnet,
ancien élève, Association Chalet des Forêts
Georges Babolat, un bâtisseur, un manager
Le Chalet des Forêts est un centre de vacances, catholique,
situé à Boëge, en Haute-Savoie, à 20 kilomètres de
Thonon. Fondé en 1921 par le Chanoine Raphanel, curé
de Saint-Bonaventure, sous le nom des “Saines Vacances à
la Montagne”, il a pour objectif d'accueillir des enfants
lyonnais dans un cadre enchanteur de moyenne montagne, entouré par les bois et les prés, afin de leur
permettre de vivre des séjours éducatifs dans une
ambiance de franche camaraderie, encadrés par des
directeurs et animateurs bénévoles qui organisent des
activités tournées vers la randonnée, les jeux sportifs, les
distractions culturelles.
Jusqu'à une époque très récente, le directeur était un prêtre. Georges Babolat donna à l'association durant la
seconde moitié du XXè siècle un immense dévouement
d'abord comme moniteur, comme l'on disait à l'époque,
puis comme directeur. Il mit au service du Chalet ses
talents organisationnels, sachant mettre en confiance les
familles qui confiaient leurs enfants, pour des séjours
d'une durée d'un mois, souvent pour la première fois,
construire des programmes d'activités intéressantes adaptées aux diverses tranches d'âge de l'enfance à
l'adolescence, animer les équipes de moniteurs en leur
transmettant ses grandes capacités éducatives, sans
oublier d'inciter chacun à une pratique et à une attitude
chrétiennes. Il était aussi très attentif aux questions d'intendance, sachant que la qualité de l'hébergement et de
la nourriture contribuaient grandement à la réussite des
séjours.
Son long passage à la direction du Chalet fut longuement
marqué par ses qualités de bâtisseur, de développeur. A
l'origine, le bâtiment était un ancien hôtel qu'il fallut
agrandir et moderniser, notamment pour permettre, dans
les années 70, le passage à la mixité. Successivement,
grâce aux moyens limités de l'association puis ensuite aux
subventions publiques qu’il savait obtenir à force de
conviction et par ses bons rapports avec élus et administrations surtout lyonnais, il mit en œuvre d'abord une
cuisine professionnelle moderne, une buanderie et des
équipements de froid et de stockage mais surtout un
grand bâtiment d'activités et d'hébergement, doublant
pratiquement la capacité d'accueil du Centre et comprenant des locaux permettant d'organiser aisément classes
vertes ou de neige. Incontestablement il transforma profondément un Chalet des Forêts qu'il était heureux de
faire découvrir aux familles, lors des Journées des Parents,
mais aussi aux décideurs locaux.
Georges Babolat, de racines savoyardes, sut également
enraciner l'association dans l'environnement humain du
Chablais tout comme la faire connaître et apprécier.
Pendant sa présence estivale au Chalet, il exerçait son
ministère pastoral au service de la communauté chrétienne de la Vallée Verte, remplaçant tel ou tel confrère
local qui pouvait ainsi prendre quelques jours de congés.
Il rencontrait nombre d'habitants lors du pèlerinage du
15 août au Miribel, petit sommet proche, et, après la
messe en plein air, partageait le pique-nique convivial. Il
était connu et apprécié des commerçants du secteur chez
qui il aimait faire les achats. Nombre d'entre nous avons
le souvenir de “l'expédition” dès l'aube vers le marché
d'Annemasse où, acheteur avisé, il aimait à venir se fournir en produits frais. Le Chalet était pour lui, sur place,
source d'activités de Direction mais également possibilités de détente dans un cadre et un environnement qu'il
aimait profondément. Même si ce n'était pas le farniente,
il se considérait quelque peu en vacances, tant ses occupations étaient un dérivatif par rapport à ses lourdes
G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 )
40 TÉMOIGNAGES
charges habituelles de Supérieur de l'Institution. Il retrouvait d'ailleurs à Boëge nombre de ses élèves à tel point
qu'à une époque certaines familles purent penser que le
Chalet était un prolongement des Chartreux, alors qu'en
réalité aucun lien organique n'existait entre l'établissement d'enseignement et le Centre de Vacances. Le Chalet
c'était aussi pour lui une ambiance familiale au sens strict,
lorsque ses parents pouvaient venir passer quelques jours
avec lui, lorsque sa sœur, Mizou, sa cadette, exerçait des
fonctions d'animatrice bénévole. Chacun des anciens a
encore en mémoire les pâtisseries que confectionnait
pour notre plus grande gourmandise son père et même
les choux à la crème maison dont lui-même agrémentait
le dessert du dimanche ou des jours de fête.
L'Association Chalet des Forêts, administrée, dirigée et
animée par des bénévoles, anciens des séjours estivaux,
hivernaux, printaniers a une immense dette de reconnaissance à l'égard de Georges Babolat, qui a profondément
marqué son histoire. Cette reconnaissance se double pour
toutes et tous les anciens d'un attachement affectueux à
sa personne, tant chacun et chacune d'entre nous garde
dans sa mémoire le souvenir de très bons moments de
vacances passés en sa présence, mais aussi des valeurs
humaines et morales qu'il a su nous inculquer dans le
respect des personnalités des uns et des autres.
Aujourd'hui le Chalet est devenu bien trop tôt orphelin
car, même si depuis 1995 Georges Babolat n'exerçait
plus, volontairement, la direction effective, il participait
au conseil d'administration de l'Association, nous prodiguant, si nécessaire, à notre demande, ses conseils au
moment de décisions stratégiques. Aujourd'hui nous ressentons profondément sa disparition en voyant, sur place,
au Chalet, une plaque à sa mémoire surmontée d'une
photo où il tient un enfant dans ses bras. Puissions-nous
dans la continuité de son action au service du Chalet
poursuivre son œuvre, suivant l'exemple de celui qui fut,
en quelque sorte, le second fondateur de l'Association.
Cyril Confavreux et Dominique Drouet,
Chalet des Forêts
Chères bonnes vieilles cloches, toutes deux revenues de
Rome toutes frétillantes des règles de l’art et de vos charmants compliments : pour l’une, intuitive comme une
dame au nez pointu, pour l’autre, taillée comme un
David, nous avons constaté que vous ne respectiez pas le
nombre d’or. Avec vous, nous sommes en effet plus proche du 60-90-60 que du 90-60-90, ces premières étant
les mensurations de base d’une clarine.
Vous voyez, c’est cloche mais rien ne cloche !
Souvenir de deux moniteurs de Boëge pour l’anniversaire du Père Babolat au Chalet des Forêts
De retour de balade, deux jeunes moniteurs impertinents lui
ont offert en cadeau deux clarines savoyardes (une grande et
une petite) assorties du petit compliment suivant à deux
voix... Ces quelques mots pleins de malice traduisent bien la
complicité qui se créait durant les séjours entre le Père et les
jeunes moniteurs.
De la cloche vous avez, non seulement la largeur - nous
voulons parler de la largeur d’esprit bien sûr ! - mais
encore son caractère. Même si vous êtes emporté, vous ne
sortez jamais de votre clocher. Si vous êtes toujours à
notre écoute, vous ne vous gênez pourtant pas pour nous
les sonner, à la volée s’il vous plaît, avec la justesse et la
franchise d’un père. Celui-ci d’ailleurs peut être jésuite ou
de chair(e), ce qui, je pèse mes mots avec un grand B, va
si bien à votre esprit carabin.
Force est de constater qu’avec vous, toute l’organisation
tourne rond, si j’ose dire. Mais ce que nous apprécions,
au fond, c’est qu’ensemble nous accordions nos clochetons au son de votre fidélité dans l’adversité.
La cloche-cœur
Pour éviter les querelles de clocher, une seule solution :
l’appel de la montagne !
Après quelques heures de solitude et de tranquillité, les
oreilles nous sifflent, le timbre des clarines nous bourdonne. En effet, Raminagrobis (le directeur) et son Grillon
(le sous-directeur) ayant chanté toute la journée, les
vaches se sont affolées… Donc les cloches nous rappellent
à l’ordre et à vous !
C’est à votre son de cloche, tel celui du phare qui guide
les navires dans le brouillard, que tous deux nous nous
sommes guidés et c’est avec affection et discrétion que
vous avez livré l’humanité à notre réflexion.
Voyez dans ces quelques malices l’expression de notre
amitié en écho de votre gratuité et de votre générosité.
“Pour qui sonne le glas...
Ite missa est...”
Comprenne qui pourra !
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42 TÉMOIGNAGES
Annick Réjaunier,
enseignante à l’école des Chartreux
La classe de neige à Boëge
Un épisode de l’année qu’aucun élève de C.M. n’aurait
voulu rater !
L’activité ski occupait une bonne partie de l’après-midi développement de l’esprit mais développement du corps
aussi. Le Père y tenait beaucoup.
La classe de neige était un vrai temps d’apprentissages
scolaires mais aussi un temps d’activités sportives et de
découverte de la vie en groupe, le tout dans un cadre
dépaysant et très chaleureux.
Au retour, il nous attendait dans la salle à manger avec
bols de tisane et de chocolat chaud. Et puis, c’était le tour
des douches, du courrier pour les parents, de la Messe ...
Messe non obligatoire ... mais la petite chapelle, nichée
au dernier étage du chalet, affichait toujours complet !
Etudier... face aux montagnes enneigées... en pantoufles !
Quelle chance !
Le Père Babolat aimait nous accueillir au Chalet des
Forêts comme chez lui. Il était à la fois rigoureux pour
l’organisation et le bon déroulement du séjour, proche et
paternel avec les élèves, amical avec les accompagnateurs et les institutrices. Pas question de se promener
dans les couloirs en “moon-boots” ou en chaussures de
ville... chaussons obligatoires pour tout le monde, luimême montrant l’exemple en portant toujours ses
charentaises.
Il délaissait alors, non sans déplaisir, son costume strict de
Supérieur des Chartreux pour revêtir une tenue plus
appropriée : chemise chaude à carreaux et pantalon de
velours.
Traditionnellement, les directives (et elles étaient nombreuses !) étaient données au moment des repas. Les
repas, quel régal ! Le Père Babolat apportait là encore
tout son savoir-faire : celui de fin gourmet et du bon
pâtissier qu’il était. Tout comme son père, il aimait mettre la main à la pâte... Personne n’a oublié les fameux
choux à la crème et les délicieux chaussons aux pommes
qu’il concoctait pendant que les élèves étaient sur les pistes. De vraies madeleines de Proust !
Et puis il y avait la traditionnelle sortie qui clôturait le
séjour : la visite de Genève, organisée par ses soins. La
balade près du lac Léman avec toujours un petit cours de
géographie improvisé... L’âme du professeur qu’il était ne
pouvait s’empêcher d’intervenir.
C’était toujours avec un peu de nostalgie que le séjour se
terminait. Nous quittions un lieu rempli de bons souvenirs mais surtout une ambiance particulière : joyeuse,
familiale et riche de découvertes.
Encore merci, Père Babolat, pour tous ces moments chaleureux et amicaux passés en votre compagnie !
Marguerite Forest,
ancienne institutrice aux Chartreux
Chaque année, les élèves de CM2 accompagnés par les
institutrices, une maman et les moniteurs partaient pour
une quinzaine de jours en classe de neige au Chalet des
Forêts à Boëge.
Dès leur arrivée, le Père Babolat les accueillait chaleureusement.
En plus de son rôle d’organisateur et de sa présence rassurante, il les régalait avec ses dons de fin pâtissier. Tous les
enfants ayant fait un séjour à Boëge doivent se rappeler ses
fameux desserts…
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44 TÉMOIGNAGES
Yannick Durand,
filleul du Père Babolat
Georges,
C’est aujourd’hui seulement, deux mois après ta disparition, que je commence à prendre conscience de ton
départ brutal.
Même si mourir en Terre Sainte, à la porte de Jérusalem,
est une “belle mort” pour un prêtre, même si nous te
savons tous en paix au côté de Dieu que tu as toujours
prié, même si ton image rayonne toujours dans nos
cœurs, le poids de ton absence provoque en moi une
grande tristesse. Les prochaines Pâques, les prochains
Noëls n’auront pas la même saveur…
Nous pouvions rester un mois sans nous parler, chacun
vacant à ses occupations. Pourtant maintenant, chaque
jour tu me manques un peu plus. Le cœur serré, je dois
bien avouer que je regrette. Je regrette de n’avoir pas su
faire un peu plus d’efforts pour que nous puissions nous
rencontrer plus souvent. On a toujours une bonne
excuse... C’est aujourd’hui, après ta disparition, que je me
rends compte comme tu avais de l’importance pour moi
ainsi que pour une foule de personnes. Tu as toujours
voulu être disponible pour chacun, ce qui ne te laissait
pas beaucoup de temps.
Les témoignages de condoléances et d’amitié que reçoivent Maman, le Père Plessy en sont la preuve évidente. Tu
étais un homme public qui savait se mettre à la portée de
chacun. Les gens que tu côtoyais et aimais faisaient rapidement partie de ta famille. Nous, nous avions l’avantage
d’en être les privilégiés.
chants pas toujours très religieux ! J’ai sous les yeux une
page de journal qui t’était consacrée, lorsque M. André,
alors président des anciens élèves des Chartreux, t’a remis
les insignes de la Légion d’Honneur. Parallèlement je me
souviens très bien des accueils chaleureux à Tassin, où,
habillé simplement avec le tablier de rigueur du bon cuisinier que tu étais, tu nous accueillais les bras ouverts,
content de nous voir.
Tu étais tout cela à la fois, celui qui officie et celui qui
aime la simplicité. Tes phrases de bienvenue expriment
bien ce que tu étais : ”Je suis content de vous recevoir...
vous êtes ici chez vous...”, ces mots que tu aimais dire
lorsque nous arrivions.
Merci, merci du fond du cœur d’avoir toujours su être là,
malgré ton emploi du temps surchargé. Tu as su répondre à mes questions, quelquefois même à celles que je
n’aurais jamais osé poser par peur du ridicule.
Aujourd’hui je suis fier d’avoir un parrain comme toi, qui
m’a baptisé, qui a été notre témoin, lors de notre mariage
civil, et qui nous a unis devant Dieu, Delphine et moi.
J’essaierai de continuer dans tes pas car je suis persuadé
que ta philosophie était la bonne : “L’important est de se
rendre disponible pour celui qui en a besoin”.
Je veux terminer cet hommage par le mot qui te caractérisait si bien et par lequel tu finissais tes lettres :
“Affectueusement”.
Yannick, ton filleul et neveu
Je garderai toujours au fond de moi l’image de l’homme
sage et pragmatique que tu incarnais, mais aussi celle de
Georges sachant fredonner, avec mes frères et moi, des
Michel Raquet,
vicaire à Saint-Bruno
Mardi matin, les pèlerins de Lyon, partis en Terre Sainte,
ont retrouvé le corps sans vie du Père Babolat. Nous sommes tous sous le choc de cette nouvelle triste et brutale.
Cela faisait à peine plus d’un an et demi qu’il était
devenu notre curé.
Depuis la réouverture de l’église Saint Bruno, le 4 décembre dernier, la paroisse avait retrouvé un réel dynamisme.
Deux exemples parmi d’autres : la constitution rapide et
efficace d’une équipe de sacristains, le démarrage d’une
nouvelle chorale paroissiale. Sans compter tout ce que le
Père Babolat faisait : approfondissement de la foi pour les
jeunes adultes et les adultes, rencontre de jeunes mariés...
Il avait relevé le défi d’être curé de paroisse, alors qu’il
aurait pu prendre sa retraite bien méritée de professeur et
de directeur d’établissement. Je peux témoigner de sa
remarquable capacité d’adaptation, du cœur qu’il mettait
à cette nouvelle charge, du temps qu’il passait, chaque
jour, aux tâches paroissiales. Tous, nous avons le souvenir
d’un homme qui aimait les gens.
Personnellement, je vais aussi le regretter. Il savait valoriser ses collaborateurs, il avait le souci que tout aille bien
pour moi, comme un bon père, que je sois heureux à
Saint Bruno. Nous étions visiblement unis et complémentaires. Si mon père, mort à 51 ans, avait vécu jusqu’à
maintenant, il aurait eu l’âge du Père Babolat.
son rayonnement d’enseignant, d’homme de contact et
d’ouverture et par son être sacerdotal, porte son fruit
pour le Royaume.
Prions pour notre paroisse. Qu’elle sache continuer sa
mission et sa louange, unie et fraternelle.
Je suis sûr qu’avec l’aide de Jésus-Christ, Vrai Dieu et Vrai
homme, “l’Ami des Hommes” comme aiment l’appeler les
Orientaux, et la prière du Père Georges Babolat, nous
vivrons cette épreuve comme un temps de grâce qui nous
grandira dans l’amour de Dieu et de nos frères.
Dans l’espérance, rappelons-nous ce que disait souvent le
Père Babolat pour clore la prière universelle : ”Seigneur,
Tu nous crées, Tu nous connais et Tu nous aimes”.
Telle est notre Foi. Et notre espérance est de nous revoir
un jour, dans le sein de la très Sainte Trinité.
Merci, Georges, du fond du cœur pour tout ce que vous
avez fait et accompli pour nous.
Ne nous oubliez pas de là-haut.
Alors, chers amis, chers paroissiens, au-delà d’une légitime émotion, relevons la tête. Prions bien sûr pour le
pardon de ses péchés, car qui n’en a commis ? Prions
pour que le Christ lui ouvre son Royaume de lumière et
de Paix, et le fasse entrer dans la cohorte de ses serviteurs
zélés et infatigables qui l’ont précédé. Demandons à Dieu
que tout ce que le Père Babolat a semé dans sa vie, par
G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 )
46 TÉMOIGNAGES
Bruno Benoît, professeur aux Chartreux,
directeur de thèse du Père Babolat
Georges Babolat, historien
Est-ce parce que Georges Babolat était né en 1936, date
hautement historique dans l'histoire française, que Clio, la
muse de l'Histoire, s'est penchée sur son berceau? On
peut le penser, car Georges Babolat, au-delà de sa qualité
de prêtre et de son engagement sur les chemins du
Christ, fut un passionné d'Histoire. C'est encore l'histoire
qui me l'a fait rencontrer, même si nous n'étions pas de
la même génération.
Notre amitié s'est construite lentement, par étapes chronologiques, ce qui est tout à fait naturel pour des
historiens ! Il y a eu d'abord des rencontres au centre
Pierre Léon, le centre d'histoire économique et sociale de
l'Université Lyon 2, et ce lors des séminaires du samedi
qui drainaient dans les années 1970 et 1980 une foule
d'historiens, de chercheurs et de professeurs. Nous étions,
tous les deux, tout cela à la fois. Nous partagions la
démarche historique préconisée par l'école des Annales,
consistant à chercher à approcher la vérité en faisant parler les archives, en croisant des informations et en
essayant de dire comment les choses se sont passées, sans
porter de jugement, mais en instruisant, documents à
l'appui, notre dossier de recherche. C'est autour de discussions sur les nouvelles problématiques de l'histoire
économique et surtout politique, sociale et culturelle,
dont l'histoire religieuse fait partie, que nous avons
échangé nos premiers mots. Cette passion du passé, et en
particulier du passé lyonnais, a joué un rôle de rassembleur. De la rencontre est née la sympathie et de la
sympathie l'amitié.
Tous ceux qui t'ont approché savaient que derrière le prêtre, derrière le brillant Supérieur de l'Institution des
Chartreux, se cachait un jardin, où tu aimais te retirer, car
il y coulait la source historique qui faisait pousser l'archive, nourriture essentielle de l'historien. En effet,
Georges Babolat était un chercheur, non pas en sommeil,
mais en veille. Il attendait d'avoir du temps pour aller
jusqu'au bout de son envie d'histoire. Dès sa retraite, il a
donc déposé un sujet de DEA (Diplôme d'études approfondies), aujourd'hui Master 2, d'histoire moderne et
contemporaine, qui est une pré-thèse, ce qui signifie que
le chercheur doit prouver, sources et réflexion à l'appui,
que son projet mérite d'être transformé en thèse. Il m'a
demandé de diriger son travail sur le diocèse de Lyon
sous la Restauration, ce que j'ai accepté, pas seulement
par amitié, mais parce que je savais qu'il ferait du bon
travail, que les archives des Chartreux et d'ailleurs l'attendaient. Il a lu, ouvert des cartons d'archives, noté sur des
cahiers des milliers de références, noirci des centaines de
pages de son écriture fine, élaboré un plan, des plans
sans cesse corrigés, consulté des collègues, discuté avec
moi pour savoir si son travail était sur la bonne voie,
douté, comme tout historien qui se respecte, et enfin produit un très beau travail.
Ce DEA portait pour titre - j'opte pour porte car lui est
bien vivant, n'est-ce pas là la grandeur de la création de
l'œuvre historique ! - : La vitalité du diocèse de Lyon pendant la Restauration (1814-1830). Le jury de soutenance
s'est tenu le vendredi 26 septembre 2003 en fin d'aprèsmidi et comprenait, outre moi-même son directeur,
Gérard Cholvy, professeur émérite de l'Université de
Montpellier et Claude Prud'homme, professeur à
l'Université Lyon 2. Comme pour toute soutenance, le
jury a obligé le chercheur Georges Babolat à défendre son
travail en lui posant des questions sur sa démarche, l'originalité de ses sources, ses conclusions. Il a su y faire face
avec aisance, élégance et pertinence. Le jury a souligné la
qualité de son travail, la nouveauté de cette recherche sur
Lyon et, après délibérations, lui a accordé la mention
“Très bien”. Pour un DEA, il n'y a pas mieux. Georges, permets-moi de t'appeler ainsi, tu étais aux anges ! Si ta
grande œuvre t'attendait désormais, l'histoire de Lyon
avait besoin de toi pour éclairer les zones d'ombre de son
historiographie. Nous avons communiqué côte à côte au
printemps 2005 à un colloque sur Napoléon et Lyon. Les
actes vont bientôt sortir. Ton travail, après avoir eu des
auditeurs, aura des lecteurs.
En devenant curé de Saint-Bruno, tu as dû remiser tes
cahiers, tes notes et tu as fait passer tes fidèles avant ta
recherche. La mort est venue te prendre avant que tu aies
pu aller jusqu'au bout de ta passion. Clio reste sur sa
faim. L'histoire de Lyon est orpheline. Pour ma part, je
suis un directeur doublement en deuil, car j'ai perdu,
outre un ami, un chercheur. Je suis devenu dépositaire de
ton travail et en quelque sorte ton légataire universel sur
le plan historique. Un DEA n'étant pas destiné à être
publié et le sujet de thèse retombant dans le domaine
public au bout de quelques années quand la thèse n'est
pas soutenue, sache, Georges, qu'un jour un autre chercheur empruntera ton chemin, profitera de tes travaux et
de ta lumière. N'est-ce pas là la voie idéale pour celui qui
fut à la fois pasteur et chercheur ?
Bruno Benoît,
professeur des Universités en histoire contemporaine,
Institut d'Etudes politiques de Lyon - Université Lyon 2
professeur en classe prépa aux Chartreux
G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 )
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Que soient ici remerciés tous ceux qui, à des titres divers,
ont participé à ce supplément de “Chartreux Actualités”
consacré au Père Georges Babolat.
Que soient aussi remerciés tous ceux qui, au moment de
son décès, nous ont adressé l’expression de leur sympathie,
souvent sous la forme de témoignages ou de souvenirs
Dernière photo prise à Roissy
le 21 mars 2006 avant son départ
en Terre Sainte...
racontés. Malheureusement, il ne nous a pas été possible,
essentiellement pour des questions de place, de les insérer
dans ce livre. Néanmoins, tous ces écrits sont désormais
versés aux archives de la Maison, confiés à l’Histoire.
Ultime hommage à Georges Babolat qui fut si sensible à
tout ce qui constitue la matière première de tout historien.
Jean-Bernard Plessy
Style & Signe, Lyon
58 rue Pierre Dupont
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Tél. : 04 72 00 75 50
Fax : 04 72 07 02 10
E-mail : [email protected]
Pour plus d’informations consultez notre site internet :
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