Georges Babolat - Institution des Chartreux
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Georges Babolat - Institution des Chartreux
W W W. L E S C H A R T R E U X . C O M Georges Babolat 1936-2006 Les CHARTREUX Georges Babolat Supérieur de l’Institution des Chartreux de 1978 à 2001 A tous les Anciens A tous les Amis des Chartreux Le 22 mars prochain, il y aura un an déjà que le Père Georges Babolat nous a quittés. Aux portes de Jérusalem où il venait d’arriver pour un pèlerinage de huit jours, le Seigneur l’a fait entrer dans son Eternité. Vous avez été des centaines, pour ne pas dire des milliers à vous manifester, de diverses manières, pour exprimer votre peine et votre proximité avec ses deux familles, la sienne et celle des Chartreux. De cette deuxième famille, vous êtes également, et nous tenions à vous offrir ce petit recueil de témoignages à la mémoire de celui qui a consacré toute sa vie à l’Institution et à la Société des Prêtres de Saint Irénée qui en a la tutelle. Vous trouverez dans ces pages les différentes allocutions qui ont été prononcées à l’occasion de ses funérailles. A la Chapelle d’abord, où se sont réunis un très grand nombre d’élèves et de professeurs, puis à l’Eglise Saint Bruno, dont il était devenu le curé depuis deux ans, pour la messe présidée par le Cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon ; ce fut un moment admirable de recueillement, de foi et d’espérance. Vous y trouverez enfin des témoignages, très divers, de personnes qui ont connu et aimé le Père Babolat dans les différentes activités qui furent les siennes. Pour être divers, ces témoignages n’en sont pas moins convergents. D’une manière ou d’une autre en effet, ils font tous ressortir l’extraordinaire unité de vie d’un homme qui avait répondu à l’appel du Seigneur, dans le Sacerdoce. C’est comme prêtre que le Père Babolat a été éducateur, supérieur, directeur de colonies, curé de paroisse. C’est parce qu’il était prêtre que cette fibre paternelle prenait chez lui une telle dimension. Et nous avons grande Espérance que c’est comme prêtre qu’il est entré dans l’Eternité bienheureuse, et qu’il est désormais associé à la célébration de l’éternelle eucharistie. Ces pages sont encore une manière de lui rendre hommage, et de lui exprimer la très grande reconnaissance de tous ceux et toutes celles qui appartiennent de près ou de loin à la famille des Chartreux. Jean-Bernard Plessy G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) Prédestination ? Projection dans le futur ? Le Père Babolat, enfant, devant la porte de la Cure de Saint Bruno. Hommage de l’Institution des Chartreux 9 9 10 10 10 11 • des parents d'élèves • du Conseil de direction • d’un élève du collège • d’une élève du lycée • d’un élève du post-bac • d’un ancien élève Funérailles à Saint-Bruno 15 19 23 23 23 24 24 27 27 27 28 29 • Mot d’accueil du Père Bruno Martin • Homélie du Cardinal Philippe Barbarin • Prière universelle Prêtres de Saint-Irénée (Didier Pirrodon) Anciens élèves (Cyril Confavreux) Liban (Michel Naffah) Boëge (Henri Perret) • Dernier adieu de la part de sa famille (Marie-Jo Durand, sœur du Père Babolat) de Saint-Bruno (Père Raquet) des paroissiens (Guy Lutz) de l’Institution des Chartreux (Père Plessy) Témoignages • du Cardinal Martini • de Mgr Pican • de Mgr Lequimener • du Chanoine René Breysse • de l’ADDEC : lettre de Philippe Blanc • des AFC • du Chalet des Forêts (Boëge) Le bureau de l’association Chalet des Forêts Deux moniteurs Classe de neige avec les CM - Annick Rejaunier, Mlle Forest 44 • de sa famille : Yannick Durand, neveu et filleul du Père Babolat 45 • de Saint-Bruno (journal paroissial) : Michel Raquet 46 • de Bruno Benoît : Le Père Babolat, historien 34 34 34 35 37 38 39 G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) Hommage de l’Institution des Chartreux Catherine Chaniot, Présidente de l’APEL Association des parents d’élèves de l’Institution des Chartreux Cher Père Babolat, Vingt-cinq promotions de parents vous ont confié leurs enfants, souvent par “fratries” entières. Vous accueilliez chaque enfant par son nom, le lundi matin, au bout de l’allée des Marronniers. Nos enfants, vous les avez instruits et éduqués, l’intellectuel le disputant au spirituel. Puis vous les avez fiancés et mariés, et vous avez baptisé les enfants de nos enfants. Que de confidences n’avez-vous recueillies, vous qui partagiez avec chaque famille ses joies et ses soucis. Vous parliez de l’Institution en disant “la Maison”, comme dans la Bible, où la maison et la famille sont une même réalité. Une maison ou un village ? Vous en connaissiez tous les habitants ; chacun a sa place et chacun à sa place ! Un jour que vous me parliez en confidence, ne m’avez-vous pas dit avec un regard brillant de malice :”Vous savez, Catherine, j’ai toujours préféré être “chef de village” que “second à Rome” ! Cher Père, les villageois, les matelots, les enfants de la Maison vous remercient et prient avec vous. Robert Giroud, représentant le Conseil de Direction Comment passer plus d’un quart de siècle à travailler avec quelqu’un sans qu’une foule d’images et de souvenirs ne viennent se bousculer ? Nous avons, mes collègues et moi-même, déployé, à l’exemple du Père Babolat, beaucoup d’énergie à faire de cette Maison ce qu’elle est devenue et nous en sommes tous très fiers, comme l’était le Père Babolat. Pour ma part, je garderai l’image d’un homme bon, droit et juste qui, au printemps 1978, a su tendre la main à un jeune professeur d’anglais, coincé dans son costume trois pièces, et un peu perdu dans cette Croix-Rousse qu’il ne connaissait que de nom, puisqu’il vivait alors en Angleterre. Ce jour-là le Père Babolat m’a tendu la main en me souhaitant la bienvenue et, à la fin de notre long échange, il m’a assuré que j’apprendrais vite à aimer cette Maison... Comme il avait raison ! Cette fois, comme dans d’autres circonstances ! Merci Seigneur de nous avoir permis de connaître et de côtoyer le Père Georges Babolat. Vous l’avez rappelé trop tôt à vous, mais, désormais, s’il vous plaît, prenez soin de lui. G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 10 HOMMAGE DE L’INSTITUTION DES CHARTREUX Un élève du Collège Quelques élèves ne vous connaissaient pas. Certains vous considéraient comme le directeur des Chartreux, mais, pour d’autres, vous étiez beaucoup plus que cela : - Vous étiez le prêtre qui prenait le temps de les écouter et de les guider lors des célébrations du Sacrement du Pardon, ici, dans cette chapelle. - Vous étiez aussi l’ami de la famille, le confident qui avait marié leurs parents ou leurs grands frères et sœurs et qui, parfois, les avait baptisés. Que le Seigneur vous accueille dans sa Maison, vous qui l’avez servi fidèlement tout au long de votre vie. Marie-Astrid de Boissieu, élève de Terminale L Avant d’être prêtre de la paroisse Saint Bruno, vous fûtes notre directeur : un homme souriant et chaleureux. De mon grand-père à ma petite sœur nous avons tous connu votre cœur généreux, votre oreille attentive, mais surtout votre capacité à entraîner les paroissiens ou les élèves à donner le meilleur d’eux-mêmes. Qu’importait l’âge, nous étions tous vos enfants, enfants qui ont reçu des “coups de pied aux fesses” quand ils baissaient les bras et des mots bienveillants quand ils avaient le cœur lourd. Ainsi Père, vous qui êtes aux côtés de notre Dieu, ne changez pas vos douces et généreuses habitudes : priez et veillez sur vos enfants. Antoine Camus, ancien élève, élève officier à Saint-Cyr Pour les Anciens, le Père Babolat c'était ce prêtre au bout de l'allée le lundi matin, attendant ses élèves même les retardataires. C'était ce prêtre qui, aux côtés de l'évêque, donnait joyeusement la confirmation aux élèves. Pour certains encore, le Père Babolat, c'était ces voyages à Rome avec son fidèle ami le Père Breysse et, au milieu des jeunes, il redevenait lui-même un jeune homme. Pour les théâtreux, c'était le père protecteur, mécène et spectateur attendri. Ce sont toutes ces images que nous gardons, que je garde au fond de moi. Et si supérieur veut dire au-dessus, il n'en était pas moins pasteur au milieu des jeunes brebis. Samuel Hulman disait : “Vous êtes aussi jeune que votre foi, aussi jeune que votre espoir, vous resterez jeune tant que vous resterez réceptif, réceptif à ce qui est beau, bon et grand.” Que nos prières aujourd'hui accompagnent donc ce jeune pèlerin de Dieu jusqu'à sa dernière demeure. Pierre Rolland, étudiant en classe préparatoire économique et commerciale Aujourd’hui en classes préparatoires aux Chartreux, je suis arrivé à l’Institution en 4°. Je n’ai donc connu le Père Babolat en tant que Supérieur que deux années qui suffirent à marquer ma vie. Bien sûr, c’était une relation de Supérieur à élève, mais j’ai toujours été guidé par son attitude de père. Père spirituel, d’abord, car il s’est donné pleinement dans sa mission, lors des célébrations pour le Pardon, des temps forts, pour ceux qui se sont fait baptiser ou qui se sont préparés à la Confirmation. J’ai toujours eu le sentiment de l’avoir derrière moi, qu’il était là pour me soutenir sur le chemin de la Foi. Père aussi, avec nous tous, de la même manière qu’un père avec ses enfants. Proche, sans laisser quiconque de côté, en nous considérant tous, mais aussi en nous aimant et en nous connaissant chacun. Je l’ai compris un beau jour, alors que je croyais que je n’étais pour lui qu’un élève parmi tant d’autres au sein de l’Institution : le croisant dans l’allée des Marronniers, il me dit bonjour, simplement, mais en m’appelant par mon prénom. Vraiment, il était le père de chacun. En toute simplicité, en toute discrétion, il a marqué l’Institution de sa présence. Il a posé sur ses enfants, sur moi, un souffle qui a envahi la “Maison” (comme on aime à l’appeler), et qui, par le corps professoral, a fait vivre la Communauté des Chartreux, m’a rendu heureux d’en faire partie encore aujourd’hui, quand je pense à ces années vécues ici. Ce que j’ai reçu, vécu, d’autres aussi l’ont certainement éprouvé. Merci, Père Babolat, vous qui êtes près de notre Père à tous. Aidez-nous, Père, pour que votre “Maison”, notre “Maison” demeure comme vous l’avez bâtie : accueillante, pleine de confiance et permettant à chacun de devenir ce qu’il est appelé à être. Les paroles que nous avons échangées ont suffi à me redonner confiance. Confiance pour la scolarité, certes, puisque c’était sa fonction, mais aussi et surtout, pour ma vie, car c’est là qu’il m’a marqué. Selon lui, il était important, et cela l’est encore pour moi depuis, de réaliser pleinement ses engagements hors de la vie scolaire, d’apporter de la valeur à ce qui nous a construit. Faire grandir dans chacun ce qu’il est vraiment : c’est bien l’œuvre d’un père. Non pas pousser un élève vers l’avant, mais le porter dans sa vie : la tâche n’en devient que plus belle à réaliser. Il était présent, bienveillant, dans l’allée, dans nos couloirs. Nous ne pouvions oublier qu’il était là. G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) Veillée de prières en la Chapelle des Chartreux, le 28 mars 2006. Funérailles Eglise Saint-Bruno Mercredi 29 mars 2006 Bruno Martin Supérieur de la Maison des Chartreux A l’image de celle de tant des prêtres enseignants qui se sont succédé ici, la vie du P. Georges Babolat s’est déroulée dans une magnifique unité de lieu : Tassin, où il naquit et où il reposera ; cette Maison et cette Institution des Chartreux, où il fit son entrée en sixième, et où s’est passée la quasi-totalité de sa vie et de son ministère sacerdotal. C’est au foyer familial, à l’évidence, que le petit garçon a appris la droiture, l’amour et la fierté du travail bien fait, la vaillance devant l’œuvre à accomplir ; c’est au foyer familial que l’idée du sacerdoce a peut-être déjà germé ; mais c’est sans nul doute ici, à l’Institution, qu’a grandi et s’est développée une vocation, claire, entière, résolue, de prêtre enseignant. A une époque, au milieu des années cinquante, où les jeunes prêtres rechignaient plutôt à ce type d’emploi, Georges Babolat, dès le séminaire, stupéfiait ses camarades en affirmant avec la détermination qui était la sienne qu’il serait prêtre des Chartreux et enseignant aux Chartreux. Et il le fut. Après la parenthèse du service militaire en Algérie – le sergent infirmier Babolat fut “renvoyé dans ses foyers” en décembre 1960 – il reprenait le cursus du séminaire, pour être ordonné prêtre le 15 décembre 1963 dans la chapelle de l’Institution – revêtu de la chasuble même qui recouvre en ce moment son cercueil. L’année de probation écoulée, il entrait dans la société des prêtres de Saint-Irénée en 1964 ; à l’Institution, il devenait adjoint du directeur spirituel, qui était alors Maurice Blanc de la Fontaine. Ensuite, directeur des classes élémentaires en même temps que professeur d’histoire ; en 1976, directeur des études, c’est-à-dire promoteur d’une rigueur qui ne s’accommodait que malaisément avec le supériorat poétique du P. Blanchon. En 1978, G. Babolat lui succédait comme supérieur – il le resta jusqu’en 2001. L’ Institution comptait, en 1976, autour de 600 élèves ; le P. Babolat la laissa avec presque 3000. L’augmentation n’était pas que celle du niveau et des effectifs ; le P. Babolat avait donné à la Maison, à sa Maison, un rayonnement certain, bien au-delà des limites lyonnaises. Vice-Président de l’ADDEC, combattant farouche pour la liberté de l’enseignement dans les difficiles années 1980, le P. Babolat était le gardien non moins farouche d’une certaine indépendance vis-à-vis des structures qui auraient pu un peu trop le contraindre, quelles qu’elles soient. Son œuvre, à ses yeux, plaidait assez pour lui. Ce cartusianocentrisme n’empêchait pas quelques échappées : la colonie de Boëge, dont il fut le directeur - et l’appréciable pâtissier - jusqu’au milieu des années 1990; les inoubliables voyages d’élèves en Italie, en duo avec le P. Breysse, compagnon de toutes les luttes et complice des grands moments ; dans les dernières années, le jumelage avec le collège Saint Georges, au Liban, dont le P. Naffah était alors supérieur. A cette activité débordante succéda, en 2001, un repli volontaire. D’abord parce que le P. Babolat avait manifesté l’intention, sinon la réalité, de laisser les mains libres à son successeur ; surtout parce que, profondément attaché à sa famille, il voulait se consacrer à sa mère, son père étant décédé en 2000. “Je suis maintenant auxiliaire de vie”, disait-il humblement. Après le décès de sa mère, il accepta en 2004 de devenir curé de Saint-Bruno. Si les lieux lui étaient totalement familiers, la tâche, elle, était toute nouvelle pour un homme qui, à soixante-huit ans, faisait l’apprentissage du ministère paroissial - auquel l’avaient préparé, il est vrai, les innombrables mariages et baptêmes célébrés dans le cadre de l’Institution. “Etre curé, ce n’est pas une sinécure !”, répétait-il volontiers ; mais aurait-on imaginé Georges Babolat dans une sinécure ? Cher Père Babolat. Etait-ce dans l’exemple de l’harassant labeur du fournil paternel que vous aviez puisé votre puissance de travail ? Vous prétendiez vous reposer en G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 16 FUNÉRAILLES À SAINT-BRUNO travaillant, traduisant à votre manière la séquence de Pentecôte : In labore requies. Vous aimiez brandir comme un trophée votre agenda noirci de vos pattes de mouche : “Voyez, voyez…” - Je vous soupçonnais d’en rajouter un peu, pour donner mauvaise conscience à votre interlocuteur exhibant, honteux, un agenda aux pages presque blanches. Mais cette capacité de travail avait pour corollaire votre disponibilité à tous. Pendant vingt-cinq ans, vous avez été le chef – nul n’en pouvait douter – mais aussi le pasteur et le Père. On se serait lourdement trompé en s’arrêtant à vos allures de proconsul en campagne, à vos brusqueries de patron. Vous étiez capable de répondre au téléphone par quatre monosyllabes – trois “oui” agacés suivis d’un “non !” péremptoire. Mais le même homme brassait la pâte à choux pour les petits colons de Boëge, se faisait un devoir de connaître les élèves par leur nom – et on vous a vu pleurer comme un enfant lorsqu’un deuil, un drame, frappait la Maison – votre Maison. “Qu’est-ce que vous voulez, disiez-vous comme pour vous excuser : je suis bon.” Oui, vous étiez bon. Ce qui n’excluait pas les colères, les oukases, les excommunications – mais vous reveniez vite, pour accueillir le pécheur repenti – après une pénitence convenable, s’entend. Vous étiez bon, comme le pain, le pain onctueux qui se cache sous la croûte rude, le pain que vous avez rompu, ici, pour les vôtres, celui de l’éducation et celui de la foi, le pain des hommes et le pain venu du Ciel. J’avais demandé au P. Babolat, en novembre, de présider pour notre communauté la messe annuelle pour les confrères défunts. Cela se justifiait autant par son attachement à notre société des prêtres de Saint Irénée que par sa grande connaissance de nos origines. J’ai retrouvé en préparant ses funérailles, glissées dans le missel des défunts, les notes qu’il avait prises pour son sermon. Elles résonnent aujourd’hui pour nous comme un testament spirituel. Le P. Babolat avait recopié quelques phrases de la “pensée pieuse”, ce tract fondateur de notre société, distribué au Séminaire Saint Irénée pendant les Cent Jours, de mars à juin 1815. Après avoir évoqué “le triste état de désolation où se trouve la Sainte Eglise”, ce petit papier disait ceci : “Plus d’une fois, le ciel a changé le monde. Douze apôtres l’ont converti. Et vous, mon frère, que vous dit votre cœur qui est pieux ? Et si le Seigneur vous choisissait pour l’un de ses apôtres, si l’ange de Dieu frappait à votre porte ? Unissez-vous d’intention et de vœux à tant de frères fervents que le zèle de la maison de Dieu dispose déjà pour cette grande œuvre. La moisson est abondante : prédications, retraites, éducation, missions, direction de religieuses, séminaires, collèges, écoles - quelle ample matière au zèle pour tous les cœurs et tous les genres d’esprit et de talents. Si le zèle vous fait voler au milieu des grandes œuvres, tout est sauvé. Vous sauvez tout si votre cœur généreux se dévoue. […] C’est dans l’auguste tradition de nos anciens qu’il faut chercher aujourd’hui les grands et vrais modèles : osez les rechercher, les méditer, en suivre l’esprit et vous en pénétrer profondément”. Ce zèle, cette générosité, G. Babolat les avait vécus. Et à son tour, il nous transmettait “les grands et vrais modèles”. En relisant ce texte fondateur, il nous insérait, comme lui, dans la lignée des 269 confrères qui depuis 1815 avaient tenté de vivre de cet esprit. Et pour nous situer “dans le sillage de Saint Irénée”, il terminait par ces paroles qui nous semblent, aujourd’hui, prémonitoires : “Dans le Christ, nouvel Adam, nous devenons obéissants à Dieu. Avec le Christ, nous résistons à la tentation, ou, si nous avons péché, nous pouvons nous relever. Avec le Christ nous entrons dans la vie de Dieu, dès à présent, et dans le mystère de son éternité.” Prions maintenant le Christ Seigneur, pour Georges Babolat, son prêtre, entré dans le mystère de son éternité. Discours de fin d’année. G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) Homélie du Cardinal Philippe Barbarin Frères et sœurs, Les lectures choisies pour cette messe d’adieu nous parlent du Père Babolat et s’adressent à chacun de nous, comme une invitation stimulante à nous mettre au service des autres. Voici donc, comme l’indique Saint Paul dans la seconde épître à Timothée, que “le moment de mon départ est venu” (2 Tim IV, 6). Cette épître est comme le dernier testament écrit de la main de l’Apôtre dans des circonstances plus douloureuses que celles qui nous rassemblent aujourd’hui. Ces mots, nous voulons les recevoir comme une parole fraternelle et spirituelle du Père Babolat. Paul, quelques lignes plus loin, dit qu’il a été abandonné de tous ; il sait qu’il avance vers le martyre. Vous au contraire, vous manifestez par votre présence ce matin votre grande reconnaissance à l’égard du Père Babolat, votre amour pour cette Institution des Chartreux et la gratitude des jeunes qu’il a servis tout au long de sa vie. “Le moment de mon départ est venu.” Saint Paul jette un regard en arrière. A notre tour, aujourd’hui, nous contemplons dans l’action de grâce l’essentiel de la vie du Père Babolat. Les mots d’introduction du Père Martin nous y ont aidés, et nous avons admiré la belle trajectoire de la vie de ce prêtre qui a voulu être un serviteur de la jeunesse, de ses proches, et d’abord un serviteur de l’Eglise. Saint Paul ajoute aussitôt cette expression – le Père Babolat aimait-il la reprendre à son compte ? “Je me suis bien battu.” Nous, pour sûr, nous pouvons l’affirmer à sa place : Oui, Père Babolat, vous vous êtes bien battu ! “J’ai tenu jusqu’au bout de ma course.” De fait, je voudrais témoigner avec admiration de cet esprit de service que le P. Babolat a vécu jusqu’au bout. Quelques années après avoir quitté la direction de cette prestigieuse Institution, il a accepté la proposition que je lui ai faite de devenir curé – pour la première fois de sa vie ! – d’une paroisse à laquelle il était attaché depuis toujours. A peine avait-il dit adieu à sa maman, avec l’attention et l’affection que l’on sait, que nous l’avons vu se lancer avec joie et sérénité dans cette mission de Pasteur. “Je découvre tout, Eminence, je suis heureux d’être curé enfin…” me disait-il, il y a quelques mois, heureux de cette mission confiée d’habitude à des prêtres plus jeunes, et qui l’émerveillait comme un novice. Et Paul de dire aussi : “Je suis resté fidèle…” Nous pouvons bénir Dieu d’avoir gardé son serviteur Georges dans cette fidélité. “Je n’ai plus qu’à recevoir la récompense du vainqueur.” C’est ce que nous souhaitons pour lui ; notre prière et notre intercession montent vers Dieu pour lui obtenir cette grâce. Que ses péchés lui soient pardonnés. Que tout ce qui fut obscurité dans sa vie soit remis entre les mains de Dieu pour qu’il ne reste plus que la Lumière. Que le P. Babolat s’ouvre pleinement à cet amour secret du cœur de Dieu qui touche chacun de ses enfants, car Dieu nous aime tous et chacun d’un amour unique, extraordinaire, en même temps que mystérieux. Les hommes qui sont habités par cette conviction profonde désirent la manifestation de cet amour, aspirent à la vérité de leur humanité dans la gloire de Dieu, cette gloire dont parle justement Saint Paul. Le Seigneur, notre juge impartial, leur remettra cette récompense le jour qu’Il voudra, comme à tous ceux qui attendent ardemment sa venue dans la gloire. G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 20 FUNÉRAILLES À SAINT-BRUNO Pourtant, il y a dans ce départ quelque chose de brutal, d’incompréhensible. Le P. Babolat était parti pour la terre du Seigneur comme un pèlerin qui aspire à réveiller son amour de l’Evangile. Il souhaitait ardemment revoir les endroits mêmes où Dieu était venu jusqu’à nous, pour que l’Evangile lui soit plus parlant, pour que chacune des paroles, chacun des lieux évoqués dans notre liturgie ait sa couleur, sa tonalité. Les disciples du Christ aiment retrouver cette terre où le Seigneur nous a aimés jusqu’à l’extrême. service, il nous fera passer à table et nous servira, chacun à notre tour, comme ses frères bien-aimés. La soudaineté de ce décès est pour nous un choc : “A l’heure où vous n’y penserez pas…”, dit l’Evangile (Lc XII 40). Nous savons que le Maître à son retour viendra à l’heure où nous ne nous y attendons pas. Heureux le serviteur qui sera trouvé, revêtu de sa tenue de travail, dans l’attitude intérieure du Christ qui a vécu au milieu de nous comme un Serviteur. Jésus leur ouvre de vastes perspectives, au-delà des considérations politiques ou de l’espérance d’une vie sociale meilleure : “Il y a beaucoup de demeures dans la Maison du Père… je vais vous préparer une place” (Jean 14, 2). Quelle belle image que cette rencontre ! Alors, quand le Maître entrera – ô surprise ! –, Il ne se mettra pas à table pour être servi, mais pour servir ; c’est lui qui prendra la place du serviteur. Le Seigneur que nous attendons en gardant notre lampe allumée ou en restant dans notre tenue de travail, cessera d’avoir les apparences du Maître. Il prendra sa tenue de Avant son départ, le Christ donne à ses apôtres un testament spirituel qu’il leur est difficile d’accueillir dans la foi. Il leur dit par exemple : “Il vaut mieux pour vous que je parte” (Jean 16, 7). Eux, pourtant, pensaient le contraire : “Tu ferais mieux de rester ; ainsi tu restaurerais la royauté en Israël, tu chasserais les Romains et tu nous libérerais. Quel réconfort ce serait pour nous !” Disciples du même Seigneur, vingt siècles plus tard, nous regardons sereinement aujourd’hui cette porte qui ouvre sur le Royaume. Nous aurons un jour à la franchir humblement et nous serons accueillis par un Maître qui nous invitera à prendre place à la table du banquet du Père. Nos Eucharisties sont déjà l’image, la préfiguration et la réalité de cette invitation. Notre Maître, notre Seigneur, est en fait notre Serviteur. Il nous appelle constamment à l’humilité : “Vous le savez, ceux que l’on regarde comme chefs des nations païennes commandent en maîtres : les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur. Car celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous ; car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude.” (Marc 10, 42-45). Cette vie, il l’a offerte jusqu’à sa dernière goutte de sang, jusqu’au dernier souffle de son cœur, jusqu’à l’ultime élan de son amour. de saint Irénée, mais de l’Evangile que nous avons médité pour cette Messe d’ “A Dieu”. C’est une parole du Christ qui nous est offerte comme un cadeau du Père Babolat, et j’espère que nos cœurs sont disponibles et ouverts pour l’accueillir : “Mes amis, restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées”. Que Dieu nous fasse la grâce d’être de vrais serviteurs, “offerts en sacrifice”, selon le beau mot de l’épître que nous avons lue. Oui, au moment du départ, au moment de lever l’ancre, soyons vraiment et toujours des serviteurs. Ou encore, comme le dit Saint Irénée dans ce passage qui n’est peut-être pas le plus connu, mais que je trouve d’une grande beauté : “La gloire de l’homme, c’est de persévérer et de demeurer toute sa vie au service de Dieu et au service des autres.” Certes, il y a des défauts dans notre service, des imperfections nombreuses, mais, dans la fidélité, transparaît une lumière qui efface tout. J’aimerais, frères et soeurs, pour nourrir notre prière au cours de cette célébration et par la suite, vous laisser sur un message qui ne vient pas du Père Babolat, ni même G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 22 FUNÉRAILLES À SAINT-BRUNO Prière universelle Didier Pirrodon, prêtre de Saint Irénée Seigneur, Le Père Babolat a toujours été soucieux des vocations au sein de la Société des Prêtres de Saint Irénée. Prions pour que des vocations sacerdotales naissent encore dans ce monde. Cyril Confavreux, ancien élève Seigneur, J’ai perdu plus qu’un ami... Le Père Babolat était profondément humain et accueillant. Il appréciait les grandes cérémonies mais, encore plus, les échanges personnels vrais. Comme moi, de nombreux jeunes ont reçu l’éclairage et l’avis juste du Père Babolat pour tracer le chemin de leur vie personnelle, professionnelle et affective. Seigneur, donne nous de continuer à bâtir notre Vie sur les principes fondamentaux qu’il nous transmettait : - l’esprit d’entreprise, - l’exigence dans notre travail et notre vie personnelle, à l’image de la parabole des talents qu’il citait volontiers, - le discernement et la liberté pour trouver ce qui est bon à terme, - la prière. Nous te prions Seigneur ! G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 24 FUNÉRAILLES À SAINT-BRUNO Michel Naffah, supérieur émérite du collège St Georges de Zalka (Liban) Dans le cadre du jumelage interdiocésain Lyon - Antelias (Liban), l’Institution des Chartreux est jumelée au collège Saint Georges de Zalka depuis 1992, et cela grâce au Père Georges Babolat, dont l’esprit d’ouverture à la mission, à la rencontre et à l’aventure était indéniable. Depuis cette date, beaucoup d’échanges de type spirituel, pédagogique, francophone, humain ont eu lieu entre ces deux écoles, avec la participation des prêtres, de respon- sables, de professeurs, de parents et d’élèves, de part et d’autre des pays concernés... Prions et demandons au Seigneur de faire de chacun de nous, à l’exemple du Père Georges Babolat, des témoins de l’amour et du partage et les messagers de la Paix dont notre monde a tellement besoin. Prions le Seigneur ! Henri Perret, Chalet des Forêts à Boëge Pendant plus de 40 ans, le Père Babolat a incarné et fait grandir le Chalet des Forêts à Boëge. faction de l’exigence et ouvert, ou conforté pour beaucoup, la réalité d’une spiritualité porteuse de vraies valeurs. Il a fixé sa vocation de Centre de Vacances pour les jeunes, enfants et adolescents, qui ont pu apprendre le respect d’autrui, le sens de l’effort et du dépassement de soi, la gratuité de l’engagement et découvrir l’apprentissage de la responsabilité. Pour tout cela, nous rendons grâce au Seigneur ; qu’il permette que des prêtres puissent encore se mettre au service de l’éducation des jeunes appelés demain à être guides et lumière de notre monde trop souvent sans repères. Le Père Babolat a fait connaître à tous ces jeunes la satis- Prions le Seigneur ! G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) Le Père Babolat en famille Dernier Adieu Marie-Jo Durand, sœur du Père Babolat Georges, Te dire adieu aujourd’hui est pour moi un déchirement. Nous avons vécu ensemble des heures de joies et aussi des moments bien tristes. Je veux évoquer la perte de nos parents, et tu me disais, à ce propos, que tu les savais dans la Paix et attendais le jour du Seigneur où nous nous retrouverons. S’il y a autant d’amis autour de toi c’est que tu ne laissais personne indifférent, respectant les sentiments et les opinions de chacun. Les nombreux témoignages d’amitié, de soutien et de sympathie sont là pour nous prouver combien tu étais proche de tous et de chacun en particulier. C’était toujours avec beaucoup de joie que j’attendais le dimanche soir où nous nous téléphonions longuement nous donnant des nouvelles des uns et des autres. Nous t’attendions le 1er avril, à Faverges, où tu devais te reposer avant de retrouver tes paroissiens pour la Semaine Sainte. Jeudi matin, je recevais la lettre que tu avais écrite au sujet du décès du Père Jacquet (un ancien du Chalet...) et j’apprenais quelques heures plus tard, par la voix du Père Plessy, ta disparition. Daniel, les enfants et moi-même sommes orphelins. Nous avons perdu avec toi un frère, un symbole, un oncle très attaché à toutes les valeurs familiales et spirituelles qu’ont su nous inculquer nos parents. Tu es parti rejoindre papa et maman. Ta foi en la Communion des Saints était totale. Prépare nous une place pour qu’après avoir achevé notre vie terrestre nous nous retrouvions dans la tendresse du Père. A Dieu Georges, merci pour ta ténacité, ton amour du prochain, pour ton courage, ton humour et toute la gentillesse avec laquelle tu nous as entourés. Ta petite sœur Michel Raquet Cher Père Babolat, Cher Georges, Dimanche dernier, dans la feuille paroissiale, je vous ai déjà fait un dernier adieu, du fond du cœur, après le choc de votre départ. Aujourd’hui, après avoir offert le sacrifice sauveur du Christ, avant de confier votre corps à la terre dans l’attente de la résurrection, je vous redis seulement : merci. Merci pour ces quelques mois passés ensemble, ici, à Saint Bruno, spécialement pour votre paternelle affection. Vous souhaitiez que je sois bien ici, et vous avez tout fait pour cela. Et ça a été le cas. La découverte de la paroisse, la réouverture de l’église Saint Bruno et, si c’était un événement, plus récemment, mes 40 ans, nous ont bien vus unis au service des paroissiens. Notre amitié demeurera dans le Christ. Nous continuerons à nous rendre service mutuellement, dans la Communion des Saints. Que la Mère de Dieu, saint Irénée, saint Bruno et sainte Claudine Thévenet, que vous invoquiez souvent, aillent au devant de vous et vous conduisent jusqu’à la rencontre plénière de Celui qui comme vous le disiez “nous crée, nous connaît et nous aime”. G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 28 FUNÉRAILLES À SAINT-BRUNO Guy Lutz, Conseil paroissial de Saint Bruno Cher Père, Vous nous rappeliez souvent votre mandat de 6 ans, vous en avez parcouru à peine le quart. Ce voyage en Terre Sainte, qui vous réjouissait tant, s’achève au seuil de celleci... par cette mort dont vous parliez souvent dans vos sermons... l’inattendu de Dieu, peut-être pas si inattendu que cela. Ceux qui vous ont connu aux Chartreux, ceux qui vous ont découvert à la paroisse, soulignent tous votre recherche de simplicité, votre sens de l’écoute, votre désir de bien remplir votre nouvelle mission de curé. Combien de fois vous aimiez faire ce jeu de mots : ”Une cure ce n’est pas une sinécure !” Vous avez très vite pris votre place de pasteur, à juger : - à votre joie et à celle de vos paroissiens, le dimanche, à la sortie de la Messe, - à la fraternité pastorale que vous témoigniez au Père Michel Raquet, - aux larmes de Christèle que vous conduisiez au baptême, - au soin apporté à la préparation des groupes de réflexion, - à la tristesse des plus anciens auxquels vous apportiez la Paix de Dieu, - à la compassion qui a marqué cet athée, lors d’une préparation de funérailles, - à la sincérité qui transparaissait quand vous disiez :”je vous porte dans ma prière”. Et, en tant que Président de l’association “Splendeur du Baroque”, je voudrais témoigner de votre attachement à ce lieu, à la beauté de votre église, à votre empressement à la retrouver après la restauration pour y enraciner la vie paroissiale en commençant par les obsèques ... Mais ausi témoigner de votre souci permanent d’équilibre entre le cultuel et le culturel : équilibre entre le regard de l’historien et la sollicitude du Pasteur. Nous vous disons merci. Nous disons merci à Dieu. Nous avons la profonde conviction que vous accompagnerez encore notre communauté paroissiale. Jean-Bernard Plessy, Supérieur de l’Institution des Chartreux Comme tout un chacun des Chartreux, et déjà depuis assez longtemps avant le 28 juin 2001, jour de son départ en retraite avec la Légion d'Honneur, je faisais plus que pressentir, chez le Père Babolat, le sens aigu qu'il avait, le sens totalement républicain qui le caractérisait, de la reconnaissance et des honneurs. Pour les autres : lorsque, durant la traditionnelle cérémonie de fin d'année, il devait décorer les professeurs qu'il avait proposés pour les Palmes Académiques, le cérémonial était toujours identique, réglé et, quoique convivial, non moins officiel. Le récipiendaire en face de lui, pratiquement au garde-à-vous, le Père Babolat tenait la médaille de la main droite, la main gauche se repliait de manière saccadée pour faire signe à l'assemblée de se lever, et la phrase rituelle était enfin prononcée de manière quasi gaullienne : au nom du Premier Ministre, nous vous faisons etc. etc. S'en suivait la remarque traditionnelle de fin de cérémonie : “Pas mal, non, on sait faire les choses, non ?” Puis la leçon républicaine encore : “Pour les Palmes on dit “Au nom du Gouvernement de la République”, pour la Légion d'Honneur, on dit : “Au nom du...”. J'avoue que je ne vais pas jusqu'au bout parce que j'ai peur de dire une bêtise, et il serait bien capable de me faire comprendre par les moyens qui sont désormais les siens que je fais un mauvais Supérieur. Pour lui, ce fut un triomphe le 28 juin. Le Cardinal Billé était là : je sais trop à quel point il avait besoin de sa présence ce jour-là. Et il y eut la Légion d'Honneur, la médaille portée par son propre grand-père. Les Chartreux avaient bien fait les choses, et le jour où il rendait son sabre, il s'en est trouvé ni peu ni assez heureux, et disons le mot, ni peu ni assez fier. Pardonnez-moi, mon Père, d'avouer devant vous un petit péché de satisfaction que vous ne niiez pas vous-même. Je crois que vous n'étiez pas dupe, et que vous saviez que l'on pouvait parfois vous reprocher cette fierté volontiers affichée : les Chartreux, il n'y a rien de mieux. Je vous épargnerai la liste car, là encore, vous seriez bien capable de me prier de la réciter jusqu'au bout. Certainement parce que vous vous êtes totalement identifié, dans un effort permanent, dans un travail ahurissant, dans un don de vous-même, à cette Institution que, si souvent, vous appeliez Maison, la Maison. Les médailles que vous pouviez épingler, jusques et y compris cette plaque dorée que vous arboriez depuis peu sur votre anorak : Babolat, curé de Saint Bruno, et qui nous avait fait rire, les confrères, voire beaucoup rire, n'auraient de toute façon jamais été si imposantes qu'elles eussent caché le fond de votre personnalité et de votre cœur. J'en veux pour preuve cette autre cérémonie beaucoup plus intime que vous aviez désiré organiser dix jours après le 28 juin, votre départ et la Légion d'Honneur, et ces centaines de fidèles et d'amis qui étaient là. Votre mort, je pense, me délie du ton de la confidence dont nous étions convenus. A cette cérémonie qui ne devait rien au hasard, nous étions deux. Vous et moi. C'était le jour de la saint Benoît 2001. Je suis venu dans le bureau du Supérieur, votre bureau. J'ai à peine patienté dans la salle d'attente, et, comme souvent, vous avez ouvert la conversation par un tonitruant “Voilà !”, exactement comme le faisait déjà en son temps le Père Blanchon : il va falloir que je me surveille. Main droite serrant la veste du costume à hauteur de la poitrine, main gauche tenant en main trois clefs écartées les unes des autres, le regard autoritaire en même temps qu'affectueux par-dessus les lunettes. “Voilà, cher Père, trois clefs”. Et puis vous avez éclaté dans un sanglot qui m'a déchiré, exactement comme je vous ai vu pleurer devant vos parents ou nos confrères décédés : cette espèce de bonté simple qui vous caractérisait, cette spontanéité qui est celle de l'enfant ; en l'occurrence, dans G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 30 FUNÉRAILLES À SAINT-BRUNO votre bureau, ce n'était plus l'arrachement pensé, c'était l'arrachement vécu. Je n'ai jamais été curé de paroisse, mais j'imagine la parenté de situation et de sentiment. A cet instant j'aurais voulu que toute la direction fût là, que les professeurs fussent là, les personnels et les élèves et leurs parents. C'était le moment que vous aviez voulu et que vous souhaitiez encore maîtriser : vos larmes n'étaient ni celles de la tristesse, ni celles, feintes, d'une quelconque superbe ; c'étaient celles d'un homme qui avait tout donné, et qui, je le crois, partait serein, heureux d'espérer que suite il y aurait à son travail et à sa joie. Le discours n'avait rien d'officiel ; seul le cœur parlait. Vous vous êtes repris, et je le récite comme on peut réciter un testament spirituel : vous avez dit “Clef n°1 : la clef de la Maison centrale : le bâtiment U pour les initiés : c'est la Maison ; c'est le lycée, les salles de professeurs, les bureaux des directeurs adjoints; c'est là que viennent les parents pour inscrire leurs enfants, les visiteurs, bienfaiteurs, etc.” Je continue de citer et je vais faire rire certains : “Il vous faudra veiller à ce qu'elle soit fermée le week-end. D'autant plus que les collaborateurs qui deviennent les vôtres ont toutes les qualités, mais pas forcément celles de savoir fermer. Clef n°2 : c'est celle du bureau.” Le ton est immédiatement devenu bonhomme, profondément authentique : “Ici, vous accueillerez beaucoup, vous écouterez beaucoup, élèves, professeurs, employés, parents, visiteurs, vous déciderez. Vous verrez, vous ne pourrez pas forcément avoir le loisir de concevoir ; il vous faudra un autre endroit ; ici, on agit. Clef n°3 : la plus belle, la plus petite. C'était celle du tabernacle de la Grande Chapelle.” Là l'émotion vous a repris. “C'est le cœur de la Maison. C'est là que vous ferez l'essentiel et le plus beau de votre ministère de prêtre.” Et puis cette phrase magnifique d'un prêtre à un autre: “C'est lorsque que vous sortirez le ciboire du tabernacle pour donner la communion aux élèves, aux professeurs et à toute l'assemblée que vous serez totalement le Supérieur.” Puis vinrent quelques conseils, quelques recommandations. Et puis une accolade, qui n'avait rien de cérémonieux mais tout d'affectueux. Cela dit, le Père remit les clefs dans sa poche, parce qu'il se rappela tout d'un coup et me le fit savoir qu'il était Chef d'établissement jusqu'à la rentrée scolaire. Nous avons bien ri d'une telle clôture de cérémonie de passation. Peu importe, il avait indiqué l'essentiel de ce qui peut faire la vie d'un prêtre chef d'établissement : la maison pour accueillir, le bureau pour gouverner, la chapelle pour fonder toutes choses dans la prière et les sacrements. Vingt-cinq ans de présence assidue, vingt-cinq ans de signatures, de conseils de direction, de maison, de classes. Combien de visites, de rencontres et de petits mots échangés avec tel professeur dans l'escalier d'honneur, l'agenda dans la main, combien de visites reçues dans son bureau, de moments magnifiques, mais aussi de moments plus âpres, souvent tard le soir, alors que la Maison s'était endormie, combien de cérémonies dans la chapelle, messes pour les élèves, mariages, baptêmes, confessions, etc. Une réelle aptitude pour le travail, un goût jamais démenti pour l'effort, une terrible volonté de réussir, et donc une légitime fierté pour cette Maison dont il portait le nom dans toute la France, notamment à travers l'Alliance des Directeurs Chrétiens, l'ADDEC. Les Chartreux, lorsqu'il s'y trouvait comme élève, lorsqu'il y commença comme professeur, lorsqu'il en devint le Supérieur, et lorsque qu'il en devint le Supérieur émérite. Les Chartreux, fils de l'Eglise, et pleinement collaborateurs du Service National de l'Education. Les Chartreux, installés par vous, Père, dans une culture de l'excellence, attachés à réussir plutôt qu'à subir. Les Chartreux, soucieux de promouvoir chez les jeunes la quête d'un idéal, le refus de la médiocrité, attentifs enfin à donner le sens de Dieu, le sens de la prière, le désir de l'Eucharistie et du Pardon. Rien ne sera jamais parfait ; aucun idéal ne sera jamais atteint, si Dieu lui-même ne s'en mêle. Mais, cher Père, c'était là aussi le sens de votre espérance et de votre prière. Comme tout prêtre, vous saviez parfaitement au fond de vous-même qu'il n'est rien ici-bas qui n'atteigne effectivement l'excellence souhaitée, à moins que Dieu lui-même n'élargisse ce désir humain à ses propres intentions divines. A la fin de tout, lorsque l'on est un éducateur chrétien, peut-on vouloir autre chose que la sainteté chez celui qui nous est confié et y parvenir avec lui ? N'est-ce-pas cela le caractère propre de l'Enseignement Catholique ? N'estce pas exclusivement cela ? Proposer un idéal de liberté, cette liberté même dont vivent les saints, qui aiment et qui font ce qu'ils veulent ? Père, je vous promets, avec tous les professeurs et les éducateurs de la Maison, de tout faire pour donner une suite cohérente à votre long effort ; je vous promets de faire du mieux que nous pourrons pour continuer à former une jeunesse libre, courageuse et responsable, sur laquelle l'Eglise et la Cité pourront compter. Mais en retour, puisque nous vous croyons dans la lumière surabondante de Celui qui est le Maître, le seul Maître, voulez-vous bien continuer à porter la Maison ? Puis-je préciser le contenu de cette prière ? Encore et toujours des professeurs et des éducateurs animés par l'Evangile et un sens filial de l'Eglise. Encore et toujours des prêtres, au service des élèves, des prêtres pour notre Société de Saint Irénée qui porte la Maison depuis sa fondation jusqu'aujourd'hui dans son extension (Croix-Rousse, Saint-Just et SaintEtienne). Et s'il Lui plaît de venir les appeler chez les jeunes qui sont en ce moment dans nos murs ? Après tout, il y a peut-être dans quelque classe de lycée le futur Supérieur de l'Institution, assis non loin du futur directeur spirituel du collège ou du lycée. Vous avez tant aimé cette Maison. Les élèves l'ont dit tout à l'heure à la chapelle, devant vous. Ils gardent le souvenir de votre présence le lundi matin dans l'allée. Devant vous, c'est le mot de Père que l'on a le plus souvent employé. De votre côté, c'est le mot de Maison que vous aimiez à redire. Pour être un Père, il faut avoir une Maison. Gardez dans votre prière, Père, votre Maison, notre Maison. Qu'elle demeure longtemps encore une Maison de l'Espérance, fondée dans l'Evangile, ouverte sur le monde, rayonnante par l'esprit et par le cœur. Pour tout ce que vous avez su bâtir, développer et faire tenir, Deo gratias. G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) Témoignages 34 TÉMOIGNAGES Cardinal Carlo Maria Martini, archevêque émérite de Milan Jérusalem, le 27 mars 2006 Révérend et cher Père Jean-Bernard Plessy, Rentré de Rome où je m’étais rendu pour le Consistoire, j’ai trouvé votre message et je m’unis avec une vive émotion à votre profonde douleur et à celle de toute la communauté des Chartreux pour le départ soudain du très cher Père Georges Babolat. Je l’ai toujours beaucoup estimé et je me souviens avec gratitude de nos excellentes rencontres estivales en Corse, de son amabilité et de sa sympathie. Sa mort est certainement une grande perte aussi pour le diocèse de Lyon. Je le confie à l’amour miséricordieux de Dieu qui l’a appelé vers lui de cette Terre Sainte et je participe à vos prières à son intention. Je vous salue affectueusement au nom de notre Seigneur Jésus. Mgr Pierre Pican, évêque de Bayeux et Lisieux Bayeux, le 27 mars 2006 Cher Père, Vous m'avez appris le décès du Père Georges Babolat dont j'avais été informé par la presse nationale. Votre petit mot, à tous les membres et amis de la communauté des Chartreux précise le contexte dans lequel le Père Babolat a été rappelé par le Seigneur d'une manière discrète. Probablement, comme vous le dites, fort justement, avait-il eu le temps de déposer sa vie entre les mains de Celui qu'il a servi avec passion au milieu des jeunes pour les aider à grandir, à découvrir leur vocation et à s'affirmer comme chrétiens, résolu- ment attachés au Christ et disposés à Le servir avec leurs frères. Je m'associerai aux célébrations dont vous nous avez précisé les données dans l'église Saint Bruno des Chartreux, où il continuait son service en qualité de curé et en communion fraternelle avec vous tous dans la grande chapelle, demain soir, durant l'heure d'évocation de cette vie donnée. Tous ceux qui se rassembleront dans la prière, l'évocation de ce visage évangélique seront présents aussi à ma prière et à ma propre force de communion. Avec mon amitié et l'assurance de ma prière fraternelle dans la communion de la foi. Mgr Gaston Lequimener, président d’honneur de l’ADDEC Cher monsieur le Supérieur, Je suis, comme bien d’autres, très ému par la mort du Père Babolat. La nouvelle m’a rejoint à Mesquer, transmise par l’abbé Vallée de l’évêché et je trouve votre lettre en arrivant ici. Presque trente ans de relations amicales. Des soucis partagés, des visites à votre institution. Un tour de Bretagne et des visites à Nantes ou à Mesquer ! Plus encore des convictions communes et un même idéal : l’apostolat de l’intelligence et l’éducation chrétienne des jeunes, si désemparés aujourd’hui… Etant un peu souffrant moi-même, je ne pourrai me rendre à Lyon pour les obsèques. Mais vous devinez combien je serai présent avec vous autour de ce qui nous reste encore visible. Nous sommes appelés à voir Dieu ! Que notre Georges parvienne au plus tôt à cette contemplation qu’il a dû souvent méditée à la suite de Saint Irénée : la vie, c’est la vision ! Avec toute ma sympathie, à vous cher ami, et à tous ceux qui vous accompagnent dans la tristesse et l’espérance. Chanoine René Breysse, professeur honoraire de lettres et confrère du Père Babolat A la rentrée qui précéda son ordination, le diacre Georges Babolat, ancien élève, devint le confrère des prêtres professeurs. Est-ce le souvenir de notre rencontre en octobre 1954 à son entrée au Grand Séminaire de Philosophie ou le fait que j’étais le plus jeune alors des convives ecclésiastiques qui le fit sympathiser avec moi et me demander des conseils pour mener à bien une classe, car il devait assurer de la catéchèse dans le collège ? Il écouta humblement mes propos et les mit en pratique, lui qui deviendrait plus tard le symbole même de l’autorité dans l’Institution. ficat du cardinal Fesch, sans en omettre évidemment le rôle de la jeune société des prêtres de Saint Irénée, prémices de la thèse qu’il projetait. Avant Noël se déroula son ordination comme ancien élève par Mgr Ancel, autre ancien, et dans notre chapelle. C’est là encore, et non en sa paroisse, que le Père Babolat tint à célébrer sa première messe, le lendemain, malgré la neige épaisse qui ce matin-là séparait Tassin de la Croix-Rousse. Le voilà professeur d’histoire et géographie aux Chartreux avec une prédilection pour l’histoire, même si plus tard il devait en préparatoire HEC se limiter à la géographie. Se dessinaient bientôt pour lui des responsabilités à l’Institution : directeur d’abord des classes primaires, il sera ensuite directeur des études au lycée avant de devenir le Supérieur de l’ensemble, l’annexe de Saint-Just comprise. Conscient qu’un homme âgé ne peut plus s’occuper de jeunes gens, il m’annonça alors sa démission auprès de Mgr l’archevêque à 65 ans. Il tint parole, malgré son affection pour les deux milliers d’élèves ou étudiants qu’il appelait “ses enfants”, les plus jeunes venant même l’embrasser chaque lundi matin à l’orée du portail. Logeant toujours parmi nous, le nouveau prêtre allait entreprendre ses études d’Histoire : après un an à la Catho, il s’inscrivit à l’Université pour les divers certificats de licence. Il me parlait souvent de ses maîtres, comme le professeur Pacaud que je connaissais par les réunions d’anciens de mon internat à Charlieu ; souvent aussi le doyen Latreille, notre voisin. Leurs relations étaient si confiantes que, durant les événements de 1968, le Père Babolat transporta discrètement certaines archives d’Histoire depuis l’Université jusqu’au domicile du Doyen. De cette époque troublée, le Père Georges Babolat retint que désormais la communication orale risquait de l’emporter sur l’écrit et je lui dois d’avoir grâce à lui en secondaire troqué le cours magistral, tentation fréquente du métier, contre le dialogue pédagogique. Après la licence, il rédigea un DES sur les activités universitaires de notre société à partir de 1825. Une fois retraité, ce sera un DEA sur l’évolution du Diocèse de Lyon sous le ponti- En développant les années de post-bac, inaugurées par le Père Blanchon, son prédécesseur, il ne tarda pas à être connu hors de l’Académie : bientôt membre de l’ADDEC, il en sera le vice-président, la présidence étant toujours assurée par un évêque de France. Cette position allait nous amener de bons élèves grâce aux mutations des parents de tout l’Hexagone en région lyonnaise. Aussi, lorsqu’on l’avait chargé des études, les résultats du Bac, plafonnant sous les 50 %, allaient progressivement atteindre les 90 %, voire 100 % certaines années. “Nous sommes entrés dans la cour des grands” m’avouait-il en un fier sourire. A ces succès, la participation des professeurs et du Père Babolat aux jurys des écoles de commerce rendit l’Institution familière aux grands lycées publics. C’est ainsi que le proviseur du prestigieux lycée du Parc honora un jour de sa présence la décoration d’un de nos professeurs. A ce sujet, le Père Babolat bénéficia de nombreuses promotions au point que je lui dis un jour : “A G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 36 TÉMOIGNAGES ce train, vous arborerez sous peu la position d’un officier supérieur, survivant de la guerre de 14 !”. Le second après M. Hyvrier, il reçut la Légion d’Honneur et fut nommé à la fin de ses jours Commandeur des Palmes Académiques. Plus modestement, il travaillait tout jeune à la pâtisserie de son boulanger de père. Aussi estimait-il beaucoup le travail des métiers de bouche : membre de la Confrérie de Saint Antoine, il en devint l’un des commandeurs ; il en portait le cordon blanc et la médaille sur la chasuble, pour célébrer la messe annuelle des charcutiers. Bien plus, il quittera un matin l’appartement où reposait la dépouille mortelle de son père pour venir présider aux Chartreux l’office de la Saint Antoine, tant il considérait ces amis-là comme une autre famille. Je ne parlerai pas de Boëge, où il dirigea le chalet des Forêts jusqu’à la soixantaine : un ami commun s’en acquitte dans cette publication. Mais, je ne puis taire son amour de l’Italie, parce que durant 15 ans de suite il guida une trentaine d’élèves de Première à Rome, Florence, Assise, Venise, Naples et même la Sicile aux vacances de Pâques. Passionné de l’art baroque et réticent à l’austérité romane, je réussis à l’émouvoir face à la cathédrale d’Assise. Il tenait cet attrait pour l’Italie d’un voyage conduit par le Père Henri Stouder, quand Georges était un élève aux Chartreux. Chaque année, il adressait à notre confrère une carte postale en reconnaissance. Eglises, musées, monuments antiques, on étudiait tout. Mais à Rome, ses relations avec Mgr Duthel et les Religieuses Trinitaires nous obtenaient des places enviées sur le trajet du Pontife romain, au point de plonger dans des larmes de joie tel élève à qui Jean-Paul II avait serré la main. Par deux fois, ces lieux sacrés suggéreront à des élèves le désir du baptême, célébré l’année suivante, tant il est vrai que Dieu parle à travers l’art en notre temps. Préparer des baptêmes d’élèves et d’enfants d’anciens, les célébrer ; préparer les mariages d’anciens et les bénir étaient pour lui un plaisir. Je crois toutefois que parmi les activités du Ministère sacerdotal, c’est la Réconciliation qui méritait sa préférence. En effet, dès le trimestre qui suivit son ordination, il confessait chaque samedi à Saint Bruno de 16h à 19h, et cela pendant des années. A l’Institution, il participait aux liturgies pénitentielles. Et, une fois retraité de l’enseignement, il était l’un des confesseurs de Fourvière tous les vendredis matin. Son sacerdoce inauguré à Saint Bruno se terminait làaussi, puisqu’il avait refusé l’honneur du Rectorat de la Primatiale. J’ai appris son dernier mot en quittant Lyon pour le pèlerinage en Terre Sainte : “Si je ne reviens pas, je suis sûr que mes paroissiens prieront pour moi.” Ses funérailles ferventes et grandioses au retour de son cercueil ne l’auront pas déçu. Philippe Blanc, directeur du lycée Saint Thomas d’Aquin à Oullins Le mardi 14 mars 2006, le Père Babolat était à Marseille pour les funérailles d’un confrère. Il avait tenu à rendre visite à l’Ecole Lacordaire à Marseille. Nous avons déjeuné ensemble, visité l’établissement et échangé comme à l’habitude. Je ne savais pas qu’en le déposant à la gare Saint Charles, nous nous disions adieu et que par cette visite impromptue, il me faisait un beau et amical cadeau. Aussi l’annonce de son décès brutal me touche-t-elle profondément. La raison, la foi nous donnent des paroles de consolation et d’espérance, mais le cœur, lui, ressent cette absence et demande du temps pour passer de la communication à la communion. - Pour ne pas nous laisser submerger par la peine que nous cause sa disparition, nous devons rendre grâce à Dieu de l’avoir mis sur notre route humaine et d’avoir pu cheminer avec lui, grâce à lui. Oui, nous rendons grâce : - pour l’ami fidèle, présent à nos joies et à nos peines, depuis vingt ans, - pour le prêtre à la foi solide, intelligente, toujours prêt à servir ses frères et aimant la belle liturgie, heureux de son état, - pour l’éducateur alliant avec bonheur bienveillance, confiance, disponibilité et exigence, qui attachait de l’importance au développement intellectuel, culturel, artistique, moral, spirituel et sportif, voulant conduire ses élèves sur les chemins du Beau, du Vrai, du Bon et du Juste, au Dieu de Jésus-Christ, ayant à cœur de nouer des relations cordiales et amicales avec les élèves, les familles et ses collaborateurs de sa Maison. Sa conception de l’éducation des jeunes l’amena à diriger le Chalet des Forêts à Boëge, - pour le chef d’établissement ayant fait de l’Institution - des Chartreux un fleuron de l’enseignement catholique grâce à son bon sens, à sa clairvoyance, à un labeur acharné, attentif à la beauté et à la qualité des lieux, accueillant aux collègues qui le sollicitaient, répétant que seuls les établissements ayant un projet fort survivront ; intimement convaincu de l’importance de la mission pastorale du chef d’établissement dans l’enseignement catholique, il se dévoua à l’ADDEC, pour l’historien passionné de recherche, aimant transmettre cette passion à ses élèves et pour l’homme de culture, l’humaniste, le grand lecteur, attaché au catholicisme libéral, courant de pensée à l’origine de l’Institution des Chartreux et de Saint Thomas d’Aquin d’Oullins, pour cet amoureux de l’Italie qu’il avait plaisir à faire découvrir à ses élèves et à ses amis (Rome, Florence, Pise, Sienne), le jumelage Saint Thomas/Les Chartreux avec le lycée Raffaello et les séjours communs à Urbino, pour cet homme aimant la vie et les joies honnêtes qu’elle offre, le gastronome, pour ce Lyonnais fier de notre patrimoine culturel, amoureux de la Croix-Rousse et de la “Lyonnitude”, pour l’homme généreux, resté simple au milieu des responsabilités et des honneurs, accueillant, partageant volontiers son expérience, allant à l’essentiel et soucieux de vérité, authentique, à la solidité rassurante et communicative, travailleur infatigable, exigeant pour lui et les autres, proche des petits et des grands, attaché à sa famille et fidèle en amitié. Que le Seigneur accorde à ce bon et fidèle serviteur le repos promis aux justes ! Nul doute que dans la Communion des Saints il continue à nous accompagner et à nous aider. Que la Vierge Marie qu’il aimait prier entoure de sa maternelle sollicitude celles et ceux que sa disparition rend orphelins ! G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 38 TÉMOIGNAGES Bertrand Rimaud, ancien Président des Associations Familiales Catholiques du Rhône Pendant plus d'un quart de siècle, la forte personnalité du Père Babolat a marqué de son empreinte la vie des AFC du diocèse de Lyon. Nommé par le Cardinal Decourtray, conseiller spirituel de notre Fédération, il nous a accompagnés avec dévouement et fidélité, ne laissant de côté aucune de nos préoccupations et ne dédaignant aucune de nos activités majeures. Après les nombreuses années qu’il m’a été donné de bénéficier de sa confiance et de sa collaboration, je peux témoigner de son attachement très fort à la cause de notre mouvement et de son engagement personnel à la promotion et à la défense de la famille. C'est avec courage et clarté qu'il sut, de nombreuses fois, "prendre position" sur des questions d'actualité délicates. Je me souviens notamment de sa volonté de présider lui-même la veillée de prière organisée par notre Fédération en la Basilique de Fourvière, à l'occasion du 20ème anniversaire du vote de la loi légalisant l'avortement en France. Il a pu souligner, à cette occasion, que notre démarche – critiquée par certains – était en totale conformité avec la déclaration de la Conférence des Evêques de France. Nous nous sommes toujours sentis soutenus par notre Conseiller Spirituel dans nos initiatives temporelles ou spirituelles. Je voudrais, à l'occasion du témoignage qui m'est demandé aujourd'hui, exprimer ma triple reconnaissance au Père Babolat. Je lui suis d'abord reconnaissant d'avoir, en quelque sorte, "fait la vérité" sur notre mouvement, pas toujours bien perçu dans notre diocèse. Le simple fait d'accepter la mission, qui lui fut confiée par notre archevêque, de nous accompagner, nous a rendu un grand service. Il a cautionné, par son acceptation, le bien-fondé de notre mouvement et la totale conformité de notre engagement temporel avec l'enseignement de l'Eglise. Il a, par la suite, chaque fois que ce fut nécessaire, pris sa part de responsabilité dans nos engagements. Je lui suis ensuite reconnaissant de nous avoir donné beaucoup de son temps. Nous imaginons facilement ce que peut être l'emploi du temps du directeur de l'Institution des Chartreux et apprécions donc la disponibilité dont il a fait preuve à notre égard : il a toujours su trouver le temps pour un entretien personnel dans son bureau, pour être présent aux réunions de nos conseils d'administration et à nos assemblées générales, pour célébrer nos messes ou présider nos activités spirituelles et enfin et surtout pour préparer et vivre avec nous les "grands évènements" vécus par notre mouvement : nos pèlerinages (Rome, Fatima, Le Puy, Ars…) nos rencontres avec le Pape (Lyon, Reims...) nos grandes conférences (le catéchisme de l'Eglise Catholique, Veritatis Splendor, la vie…). Je lui suis enfin reconnaissant de la manière dont, en tant que prêtre, il s'est manifesté dans son accompagnement spirituel. • Ce fut parfois simplement par ses conseils éclairés, suggérés ou plus clairement exprimés, dans nos contacts formels ou informels. • Ce fut, bien sûr, par la célébration de l'Eucharistie et par le sacrement de réconciliation à l 'occasion de nos rassemblements (il aimait à dire sa joie de confesser). • Ce fut aussi par la rédaction des "billets spirituels" qu'il aimait rédiger pour notre journal ; je sais qu'il tenait beaucoup à cette forme d'enseignement au profit de nos adhérents. • Ce fut surtout, à l'occasion des grandes initiatives prises par notre fédération, le conseil d'une "homme d'Eglise" nous garantissant que nous restions dans le "droit chemin". Je terminerai en disant, et je ne crois pas trahir la pensée du Père Babolat, qu'il “a aimé notre mouvement". Il a aussi beaucoup aimé nos familles et il nous l'a prouvé. Nous ne pouvons que lui être reconnaissants de cette affection. Jean-Paul Bonnet, ancien élève, Association Chalet des Forêts Georges Babolat, un bâtisseur, un manager Le Chalet des Forêts est un centre de vacances, catholique, situé à Boëge, en Haute-Savoie, à 20 kilomètres de Thonon. Fondé en 1921 par le Chanoine Raphanel, curé de Saint-Bonaventure, sous le nom des “Saines Vacances à la Montagne”, il a pour objectif d'accueillir des enfants lyonnais dans un cadre enchanteur de moyenne montagne, entouré par les bois et les prés, afin de leur permettre de vivre des séjours éducatifs dans une ambiance de franche camaraderie, encadrés par des directeurs et animateurs bénévoles qui organisent des activités tournées vers la randonnée, les jeux sportifs, les distractions culturelles. Jusqu'à une époque très récente, le directeur était un prêtre. Georges Babolat donna à l'association durant la seconde moitié du XXè siècle un immense dévouement d'abord comme moniteur, comme l'on disait à l'époque, puis comme directeur. Il mit au service du Chalet ses talents organisationnels, sachant mettre en confiance les familles qui confiaient leurs enfants, pour des séjours d'une durée d'un mois, souvent pour la première fois, construire des programmes d'activités intéressantes adaptées aux diverses tranches d'âge de l'enfance à l'adolescence, animer les équipes de moniteurs en leur transmettant ses grandes capacités éducatives, sans oublier d'inciter chacun à une pratique et à une attitude chrétiennes. Il était aussi très attentif aux questions d'intendance, sachant que la qualité de l'hébergement et de la nourriture contribuaient grandement à la réussite des séjours. Son long passage à la direction du Chalet fut longuement marqué par ses qualités de bâtisseur, de développeur. A l'origine, le bâtiment était un ancien hôtel qu'il fallut agrandir et moderniser, notamment pour permettre, dans les années 70, le passage à la mixité. Successivement, grâce aux moyens limités de l'association puis ensuite aux subventions publiques qu’il savait obtenir à force de conviction et par ses bons rapports avec élus et administrations surtout lyonnais, il mit en œuvre d'abord une cuisine professionnelle moderne, une buanderie et des équipements de froid et de stockage mais surtout un grand bâtiment d'activités et d'hébergement, doublant pratiquement la capacité d'accueil du Centre et comprenant des locaux permettant d'organiser aisément classes vertes ou de neige. Incontestablement il transforma profondément un Chalet des Forêts qu'il était heureux de faire découvrir aux familles, lors des Journées des Parents, mais aussi aux décideurs locaux. Georges Babolat, de racines savoyardes, sut également enraciner l'association dans l'environnement humain du Chablais tout comme la faire connaître et apprécier. Pendant sa présence estivale au Chalet, il exerçait son ministère pastoral au service de la communauté chrétienne de la Vallée Verte, remplaçant tel ou tel confrère local qui pouvait ainsi prendre quelques jours de congés. Il rencontrait nombre d'habitants lors du pèlerinage du 15 août au Miribel, petit sommet proche, et, après la messe en plein air, partageait le pique-nique convivial. Il était connu et apprécié des commerçants du secteur chez qui il aimait faire les achats. Nombre d'entre nous avons le souvenir de “l'expédition” dès l'aube vers le marché d'Annemasse où, acheteur avisé, il aimait à venir se fournir en produits frais. Le Chalet était pour lui, sur place, source d'activités de Direction mais également possibilités de détente dans un cadre et un environnement qu'il aimait profondément. Même si ce n'était pas le farniente, il se considérait quelque peu en vacances, tant ses occupations étaient un dérivatif par rapport à ses lourdes G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 40 TÉMOIGNAGES charges habituelles de Supérieur de l'Institution. Il retrouvait d'ailleurs à Boëge nombre de ses élèves à tel point qu'à une époque certaines familles purent penser que le Chalet était un prolongement des Chartreux, alors qu'en réalité aucun lien organique n'existait entre l'établissement d'enseignement et le Centre de Vacances. Le Chalet c'était aussi pour lui une ambiance familiale au sens strict, lorsque ses parents pouvaient venir passer quelques jours avec lui, lorsque sa sœur, Mizou, sa cadette, exerçait des fonctions d'animatrice bénévole. Chacun des anciens a encore en mémoire les pâtisseries que confectionnait pour notre plus grande gourmandise son père et même les choux à la crème maison dont lui-même agrémentait le dessert du dimanche ou des jours de fête. L'Association Chalet des Forêts, administrée, dirigée et animée par des bénévoles, anciens des séjours estivaux, hivernaux, printaniers a une immense dette de reconnaissance à l'égard de Georges Babolat, qui a profondément marqué son histoire. Cette reconnaissance se double pour toutes et tous les anciens d'un attachement affectueux à sa personne, tant chacun et chacune d'entre nous garde dans sa mémoire le souvenir de très bons moments de vacances passés en sa présence, mais aussi des valeurs humaines et morales qu'il a su nous inculquer dans le respect des personnalités des uns et des autres. Aujourd'hui le Chalet est devenu bien trop tôt orphelin car, même si depuis 1995 Georges Babolat n'exerçait plus, volontairement, la direction effective, il participait au conseil d'administration de l'Association, nous prodiguant, si nécessaire, à notre demande, ses conseils au moment de décisions stratégiques. Aujourd'hui nous ressentons profondément sa disparition en voyant, sur place, au Chalet, une plaque à sa mémoire surmontée d'une photo où il tient un enfant dans ses bras. Puissions-nous dans la continuité de son action au service du Chalet poursuivre son œuvre, suivant l'exemple de celui qui fut, en quelque sorte, le second fondateur de l'Association. Cyril Confavreux et Dominique Drouet, Chalet des Forêts Chères bonnes vieilles cloches, toutes deux revenues de Rome toutes frétillantes des règles de l’art et de vos charmants compliments : pour l’une, intuitive comme une dame au nez pointu, pour l’autre, taillée comme un David, nous avons constaté que vous ne respectiez pas le nombre d’or. Avec vous, nous sommes en effet plus proche du 60-90-60 que du 90-60-90, ces premières étant les mensurations de base d’une clarine. Vous voyez, c’est cloche mais rien ne cloche ! Souvenir de deux moniteurs de Boëge pour l’anniversaire du Père Babolat au Chalet des Forêts De retour de balade, deux jeunes moniteurs impertinents lui ont offert en cadeau deux clarines savoyardes (une grande et une petite) assorties du petit compliment suivant à deux voix... Ces quelques mots pleins de malice traduisent bien la complicité qui se créait durant les séjours entre le Père et les jeunes moniteurs. De la cloche vous avez, non seulement la largeur - nous voulons parler de la largeur d’esprit bien sûr ! - mais encore son caractère. Même si vous êtes emporté, vous ne sortez jamais de votre clocher. Si vous êtes toujours à notre écoute, vous ne vous gênez pourtant pas pour nous les sonner, à la volée s’il vous plaît, avec la justesse et la franchise d’un père. Celui-ci d’ailleurs peut être jésuite ou de chair(e), ce qui, je pèse mes mots avec un grand B, va si bien à votre esprit carabin. Force est de constater qu’avec vous, toute l’organisation tourne rond, si j’ose dire. Mais ce que nous apprécions, au fond, c’est qu’ensemble nous accordions nos clochetons au son de votre fidélité dans l’adversité. La cloche-cœur Pour éviter les querelles de clocher, une seule solution : l’appel de la montagne ! Après quelques heures de solitude et de tranquillité, les oreilles nous sifflent, le timbre des clarines nous bourdonne. En effet, Raminagrobis (le directeur) et son Grillon (le sous-directeur) ayant chanté toute la journée, les vaches se sont affolées… Donc les cloches nous rappellent à l’ordre et à vous ! C’est à votre son de cloche, tel celui du phare qui guide les navires dans le brouillard, que tous deux nous nous sommes guidés et c’est avec affection et discrétion que vous avez livré l’humanité à notre réflexion. Voyez dans ces quelques malices l’expression de notre amitié en écho de votre gratuité et de votre générosité. “Pour qui sonne le glas... Ite missa est...” Comprenne qui pourra ! G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 42 TÉMOIGNAGES Annick Réjaunier, enseignante à l’école des Chartreux La classe de neige à Boëge Un épisode de l’année qu’aucun élève de C.M. n’aurait voulu rater ! L’activité ski occupait une bonne partie de l’après-midi développement de l’esprit mais développement du corps aussi. Le Père y tenait beaucoup. La classe de neige était un vrai temps d’apprentissages scolaires mais aussi un temps d’activités sportives et de découverte de la vie en groupe, le tout dans un cadre dépaysant et très chaleureux. Au retour, il nous attendait dans la salle à manger avec bols de tisane et de chocolat chaud. Et puis, c’était le tour des douches, du courrier pour les parents, de la Messe ... Messe non obligatoire ... mais la petite chapelle, nichée au dernier étage du chalet, affichait toujours complet ! Etudier... face aux montagnes enneigées... en pantoufles ! Quelle chance ! Le Père Babolat aimait nous accueillir au Chalet des Forêts comme chez lui. Il était à la fois rigoureux pour l’organisation et le bon déroulement du séjour, proche et paternel avec les élèves, amical avec les accompagnateurs et les institutrices. Pas question de se promener dans les couloirs en “moon-boots” ou en chaussures de ville... chaussons obligatoires pour tout le monde, luimême montrant l’exemple en portant toujours ses charentaises. Il délaissait alors, non sans déplaisir, son costume strict de Supérieur des Chartreux pour revêtir une tenue plus appropriée : chemise chaude à carreaux et pantalon de velours. Traditionnellement, les directives (et elles étaient nombreuses !) étaient données au moment des repas. Les repas, quel régal ! Le Père Babolat apportait là encore tout son savoir-faire : celui de fin gourmet et du bon pâtissier qu’il était. Tout comme son père, il aimait mettre la main à la pâte... Personne n’a oublié les fameux choux à la crème et les délicieux chaussons aux pommes qu’il concoctait pendant que les élèves étaient sur les pistes. De vraies madeleines de Proust ! Et puis il y avait la traditionnelle sortie qui clôturait le séjour : la visite de Genève, organisée par ses soins. La balade près du lac Léman avec toujours un petit cours de géographie improvisé... L’âme du professeur qu’il était ne pouvait s’empêcher d’intervenir. C’était toujours avec un peu de nostalgie que le séjour se terminait. Nous quittions un lieu rempli de bons souvenirs mais surtout une ambiance particulière : joyeuse, familiale et riche de découvertes. Encore merci, Père Babolat, pour tous ces moments chaleureux et amicaux passés en votre compagnie ! Marguerite Forest, ancienne institutrice aux Chartreux Chaque année, les élèves de CM2 accompagnés par les institutrices, une maman et les moniteurs partaient pour une quinzaine de jours en classe de neige au Chalet des Forêts à Boëge. Dès leur arrivée, le Père Babolat les accueillait chaleureusement. En plus de son rôle d’organisateur et de sa présence rassurante, il les régalait avec ses dons de fin pâtissier. Tous les enfants ayant fait un séjour à Boëge doivent se rappeler ses fameux desserts… G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 44 TÉMOIGNAGES Yannick Durand, filleul du Père Babolat Georges, C’est aujourd’hui seulement, deux mois après ta disparition, que je commence à prendre conscience de ton départ brutal. Même si mourir en Terre Sainte, à la porte de Jérusalem, est une “belle mort” pour un prêtre, même si nous te savons tous en paix au côté de Dieu que tu as toujours prié, même si ton image rayonne toujours dans nos cœurs, le poids de ton absence provoque en moi une grande tristesse. Les prochaines Pâques, les prochains Noëls n’auront pas la même saveur… Nous pouvions rester un mois sans nous parler, chacun vacant à ses occupations. Pourtant maintenant, chaque jour tu me manques un peu plus. Le cœur serré, je dois bien avouer que je regrette. Je regrette de n’avoir pas su faire un peu plus d’efforts pour que nous puissions nous rencontrer plus souvent. On a toujours une bonne excuse... C’est aujourd’hui, après ta disparition, que je me rends compte comme tu avais de l’importance pour moi ainsi que pour une foule de personnes. Tu as toujours voulu être disponible pour chacun, ce qui ne te laissait pas beaucoup de temps. Les témoignages de condoléances et d’amitié que reçoivent Maman, le Père Plessy en sont la preuve évidente. Tu étais un homme public qui savait se mettre à la portée de chacun. Les gens que tu côtoyais et aimais faisaient rapidement partie de ta famille. Nous, nous avions l’avantage d’en être les privilégiés. chants pas toujours très religieux ! J’ai sous les yeux une page de journal qui t’était consacrée, lorsque M. André, alors président des anciens élèves des Chartreux, t’a remis les insignes de la Légion d’Honneur. Parallèlement je me souviens très bien des accueils chaleureux à Tassin, où, habillé simplement avec le tablier de rigueur du bon cuisinier que tu étais, tu nous accueillais les bras ouverts, content de nous voir. Tu étais tout cela à la fois, celui qui officie et celui qui aime la simplicité. Tes phrases de bienvenue expriment bien ce que tu étais : ”Je suis content de vous recevoir... vous êtes ici chez vous...”, ces mots que tu aimais dire lorsque nous arrivions. Merci, merci du fond du cœur d’avoir toujours su être là, malgré ton emploi du temps surchargé. Tu as su répondre à mes questions, quelquefois même à celles que je n’aurais jamais osé poser par peur du ridicule. Aujourd’hui je suis fier d’avoir un parrain comme toi, qui m’a baptisé, qui a été notre témoin, lors de notre mariage civil, et qui nous a unis devant Dieu, Delphine et moi. J’essaierai de continuer dans tes pas car je suis persuadé que ta philosophie était la bonne : “L’important est de se rendre disponible pour celui qui en a besoin”. Je veux terminer cet hommage par le mot qui te caractérisait si bien et par lequel tu finissais tes lettres : “Affectueusement”. Yannick, ton filleul et neveu Je garderai toujours au fond de moi l’image de l’homme sage et pragmatique que tu incarnais, mais aussi celle de Georges sachant fredonner, avec mes frères et moi, des Michel Raquet, vicaire à Saint-Bruno Mardi matin, les pèlerins de Lyon, partis en Terre Sainte, ont retrouvé le corps sans vie du Père Babolat. Nous sommes tous sous le choc de cette nouvelle triste et brutale. Cela faisait à peine plus d’un an et demi qu’il était devenu notre curé. Depuis la réouverture de l’église Saint Bruno, le 4 décembre dernier, la paroisse avait retrouvé un réel dynamisme. Deux exemples parmi d’autres : la constitution rapide et efficace d’une équipe de sacristains, le démarrage d’une nouvelle chorale paroissiale. Sans compter tout ce que le Père Babolat faisait : approfondissement de la foi pour les jeunes adultes et les adultes, rencontre de jeunes mariés... Il avait relevé le défi d’être curé de paroisse, alors qu’il aurait pu prendre sa retraite bien méritée de professeur et de directeur d’établissement. Je peux témoigner de sa remarquable capacité d’adaptation, du cœur qu’il mettait à cette nouvelle charge, du temps qu’il passait, chaque jour, aux tâches paroissiales. Tous, nous avons le souvenir d’un homme qui aimait les gens. Personnellement, je vais aussi le regretter. Il savait valoriser ses collaborateurs, il avait le souci que tout aille bien pour moi, comme un bon père, que je sois heureux à Saint Bruno. Nous étions visiblement unis et complémentaires. Si mon père, mort à 51 ans, avait vécu jusqu’à maintenant, il aurait eu l’âge du Père Babolat. son rayonnement d’enseignant, d’homme de contact et d’ouverture et par son être sacerdotal, porte son fruit pour le Royaume. Prions pour notre paroisse. Qu’elle sache continuer sa mission et sa louange, unie et fraternelle. Je suis sûr qu’avec l’aide de Jésus-Christ, Vrai Dieu et Vrai homme, “l’Ami des Hommes” comme aiment l’appeler les Orientaux, et la prière du Père Georges Babolat, nous vivrons cette épreuve comme un temps de grâce qui nous grandira dans l’amour de Dieu et de nos frères. Dans l’espérance, rappelons-nous ce que disait souvent le Père Babolat pour clore la prière universelle : ”Seigneur, Tu nous crées, Tu nous connais et Tu nous aimes”. Telle est notre Foi. Et notre espérance est de nous revoir un jour, dans le sein de la très Sainte Trinité. Merci, Georges, du fond du cœur pour tout ce que vous avez fait et accompli pour nous. Ne nous oubliez pas de là-haut. Alors, chers amis, chers paroissiens, au-delà d’une légitime émotion, relevons la tête. Prions bien sûr pour le pardon de ses péchés, car qui n’en a commis ? Prions pour que le Christ lui ouvre son Royaume de lumière et de Paix, et le fasse entrer dans la cohorte de ses serviteurs zélés et infatigables qui l’ont précédé. Demandons à Dieu que tout ce que le Père Babolat a semé dans sa vie, par G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 46 TÉMOIGNAGES Bruno Benoît, professeur aux Chartreux, directeur de thèse du Père Babolat Georges Babolat, historien Est-ce parce que Georges Babolat était né en 1936, date hautement historique dans l'histoire française, que Clio, la muse de l'Histoire, s'est penchée sur son berceau? On peut le penser, car Georges Babolat, au-delà de sa qualité de prêtre et de son engagement sur les chemins du Christ, fut un passionné d'Histoire. C'est encore l'histoire qui me l'a fait rencontrer, même si nous n'étions pas de la même génération. Notre amitié s'est construite lentement, par étapes chronologiques, ce qui est tout à fait naturel pour des historiens ! Il y a eu d'abord des rencontres au centre Pierre Léon, le centre d'histoire économique et sociale de l'Université Lyon 2, et ce lors des séminaires du samedi qui drainaient dans les années 1970 et 1980 une foule d'historiens, de chercheurs et de professeurs. Nous étions, tous les deux, tout cela à la fois. Nous partagions la démarche historique préconisée par l'école des Annales, consistant à chercher à approcher la vérité en faisant parler les archives, en croisant des informations et en essayant de dire comment les choses se sont passées, sans porter de jugement, mais en instruisant, documents à l'appui, notre dossier de recherche. C'est autour de discussions sur les nouvelles problématiques de l'histoire économique et surtout politique, sociale et culturelle, dont l'histoire religieuse fait partie, que nous avons échangé nos premiers mots. Cette passion du passé, et en particulier du passé lyonnais, a joué un rôle de rassembleur. De la rencontre est née la sympathie et de la sympathie l'amitié. Tous ceux qui t'ont approché savaient que derrière le prêtre, derrière le brillant Supérieur de l'Institution des Chartreux, se cachait un jardin, où tu aimais te retirer, car il y coulait la source historique qui faisait pousser l'archive, nourriture essentielle de l'historien. En effet, Georges Babolat était un chercheur, non pas en sommeil, mais en veille. Il attendait d'avoir du temps pour aller jusqu'au bout de son envie d'histoire. Dès sa retraite, il a donc déposé un sujet de DEA (Diplôme d'études approfondies), aujourd'hui Master 2, d'histoire moderne et contemporaine, qui est une pré-thèse, ce qui signifie que le chercheur doit prouver, sources et réflexion à l'appui, que son projet mérite d'être transformé en thèse. Il m'a demandé de diriger son travail sur le diocèse de Lyon sous la Restauration, ce que j'ai accepté, pas seulement par amitié, mais parce que je savais qu'il ferait du bon travail, que les archives des Chartreux et d'ailleurs l'attendaient. Il a lu, ouvert des cartons d'archives, noté sur des cahiers des milliers de références, noirci des centaines de pages de son écriture fine, élaboré un plan, des plans sans cesse corrigés, consulté des collègues, discuté avec moi pour savoir si son travail était sur la bonne voie, douté, comme tout historien qui se respecte, et enfin produit un très beau travail. Ce DEA portait pour titre - j'opte pour porte car lui est bien vivant, n'est-ce pas là la grandeur de la création de l'œuvre historique ! - : La vitalité du diocèse de Lyon pendant la Restauration (1814-1830). Le jury de soutenance s'est tenu le vendredi 26 septembre 2003 en fin d'aprèsmidi et comprenait, outre moi-même son directeur, Gérard Cholvy, professeur émérite de l'Université de Montpellier et Claude Prud'homme, professeur à l'Université Lyon 2. Comme pour toute soutenance, le jury a obligé le chercheur Georges Babolat à défendre son travail en lui posant des questions sur sa démarche, l'originalité de ses sources, ses conclusions. Il a su y faire face avec aisance, élégance et pertinence. Le jury a souligné la qualité de son travail, la nouveauté de cette recherche sur Lyon et, après délibérations, lui a accordé la mention “Très bien”. Pour un DEA, il n'y a pas mieux. Georges, permets-moi de t'appeler ainsi, tu étais aux anges ! Si ta grande œuvre t'attendait désormais, l'histoire de Lyon avait besoin de toi pour éclairer les zones d'ombre de son historiographie. Nous avons communiqué côte à côte au printemps 2005 à un colloque sur Napoléon et Lyon. Les actes vont bientôt sortir. Ton travail, après avoir eu des auditeurs, aura des lecteurs. En devenant curé de Saint-Bruno, tu as dû remiser tes cahiers, tes notes et tu as fait passer tes fidèles avant ta recherche. La mort est venue te prendre avant que tu aies pu aller jusqu'au bout de ta passion. Clio reste sur sa faim. L'histoire de Lyon est orpheline. Pour ma part, je suis un directeur doublement en deuil, car j'ai perdu, outre un ami, un chercheur. Je suis devenu dépositaire de ton travail et en quelque sorte ton légataire universel sur le plan historique. Un DEA n'étant pas destiné à être publié et le sujet de thèse retombant dans le domaine public au bout de quelques années quand la thèse n'est pas soutenue, sache, Georges, qu'un jour un autre chercheur empruntera ton chemin, profitera de tes travaux et de ta lumière. N'est-ce pas là la voie idéale pour celui qui fut à la fois pasteur et chercheur ? Bruno Benoît, professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'Etudes politiques de Lyon - Université Lyon 2 professeur en classe prépa aux Chartreux G E O R G E S B A B O L AT ( 1 9 3 6 - 2 0 0 6 ) 48 Que soient ici remerciés tous ceux qui, à des titres divers, ont participé à ce supplément de “Chartreux Actualités” consacré au Père Georges Babolat. Que soient aussi remerciés tous ceux qui, au moment de son décès, nous ont adressé l’expression de leur sympathie, souvent sous la forme de témoignages ou de souvenirs Dernière photo prise à Roissy le 21 mars 2006 avant son départ en Terre Sainte... racontés. Malheureusement, il ne nous a pas été possible, essentiellement pour des questions de place, de les insérer dans ce livre. Néanmoins, tous ces écrits sont désormais versés aux archives de la Maison, confiés à l’Histoire. Ultime hommage à Georges Babolat qui fut si sensible à tout ce qui constitue la matière première de tout historien. Jean-Bernard Plessy Style & Signe, Lyon 58 rue Pierre Dupont 69283 Lyon Cedex 01 Tél. : 04 72 00 75 50 Fax : 04 72 07 02 10 E-mail : [email protected] Pour plus d’informations consultez notre site internet : www.leschartreux.com