Duras corrige

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Duras corrige
Séquence 6 : Micmac amoureux (objet d’étude le roman + les réécritures)
Question sur corpus : la rencontre amoureuse chez Marguerite DURAS
Travail de Mina
Le corpus soumis à notre étude est composé de quatre extraits de romans de
Marguerite Duras. Le premier est tiré de Cahier Rose Marbré, publié en 1943, le deuxième
est un extrait de Un Barrage contre le Pacifique, qui date de 1950, le troisième texte est tiré
de L’Amant, datant de 1984 et le dernier est un extrait de L’Amant de la Chine du Nord,
publié en 1991. Ces quatre textes relatent tous une rencontre entre un homme et une jeune
fille, mais certains éléments du récit varient.
Un des éléments invariants est le cadre du passage, tous ces extraits se situant en Asie
de l’Est. L’extrait de Cahier rose marbré se situe « entre Sadec et Saï », le jeune homme dans
le passage de L’Amant « habite Sadec » et la maison dans l’extrait de L’Amant de la Chine du
Nord se trouve « juste après Sadec ». Ces trois extraits sont donc situés dans la même région,
dans le Vietnam actuel. Enfin, plusieurs éléments nous permettent de supposer que le texte
issu d’Un Barrage contre le Pacifique se déroule sur le même continent. Tout d’abord, le mot
« Pacifique » dans le titre nous indique que le roman se passe près de l’Asie ; ensuite, Duras
mentionne deux fois un «Planteur du Nord ». Ces deux indices nous laissent penser que
l’intrigue de ce texte se situe également en Asie. Le cadre spatial est bien un élément
récurrent dans tous ces extraits, qui se situent dans la même région.
Une autre similitude entre les textes de ce corpus est la jeunesse du personnage
féminin. Dans l’extrait de Cahier rose marbré, on apprend qu’elle n’a « pas quinze ans », ce
qui indique qu’elle est encore une très jeune fille. On trouve également un indice de sa
jouvence dans le texte issu d’Un Barrage contre le Pacifique ; on apprend qu’elle est « jeune,
à la pointe de l’adolescence ». L’auteur nous indique que le personnage n’est donc pas encore
une femme mais seulement une adolescente. Encore une fois dans l’extrait de L’Amant, elle
est décrite comme une « jeune fille » à deux reprises. Enfin, dans le texte issu de L’Amant de
la Chine du Nord, le personnage féminin est désigné comme une « enfant », « très jeune ».
L’infantilisation de la jeune fille dans ce dernier passage permet d’accentuer sa jeunesse et de
lui octroyer un côté innocent. Les textes de ce corpus présentent donc tous un personnage
féminin très jeune, tout juste adolescente.
Les quatre romans comportent un personnage masculin ; tous ces extraits nous
révèlent des indices de sa richesse. Tout d’abord, les vêtements révèlent l’opulence de
l’homme qui les porte. L’extrait de Cahier rose marbré comporte la mention d’un « diamant »
et d’un habit « en tussor de soie grège ». Ces deux matériaux sont une preuve incontestable
d’une certaine fortune matérielle. Dans le deuxième texte, issu d’Un Barrage contre le
Pacifique, ces éléments sont réitérés : Duras indique que l’homme porte « un costume de
tussor grège » et à son doigt « un magnifique diamant ». Ici encore nous pouvons clairement
imaginer la richesse de ce personnage. L’aisance de l’homme est présentée dans les deux
passages suivants par des biens matériels de luxe. L’extrait de L’Amant fait la mention d’une
« limousine », également décrite comme une « auto noire », tandis que l’extrait de L’Amant
de la Chine du Nord nous signale que l’homme possède une « Morris Léon Bollée » ou une
« grande auto noire ». La voiture imposante et luxueuse de ce personnage contribue à
l’impression d’opulence qui émane de lui. Pour finir, son logis est également utilisé afin de
montrer sa fortune. L’homme indique dans le passage de L’Amant qu’il habite dans « la
grande maison avec les grandes terrasses aux balustrades de céramique bleue ». L’emploi
répété de l’adjectif « grand » insiste sur l’immensité du logis et la céramique est un matériau
luxueux, ce qui nous permet encore une fois de deviner le mode de vie prospère de l’homme.
L’extrait de L’Amant de la Chine du Nord fait également mention de la « grande maison avec
des terrasses », « couleur bleu clair du bleu de Chine ». Les éléments matériels que possède le
personnage masculin de ces quatre textes nous indiquent sa grande richesse, que ce soient des
habits, un bijou, une voiture ou bien sa maison. Tous ces objets sont signes d’un train de vie
luxueux et sont achetés seulement par des gens aisés.
Bien que les textes de ce corpus présentent de nombreuses similitudes, ils comportent
également des divergences. Le caractère des personnages par exemple ne sont pas constants
dans tous ces extraits, à commencer par celui de l’homme. Dans certains passages, comme
celui de L’Amant, il est « intimidé » par la jeune fille. De plus, « sa main tremble » et on
retrouve des hésitations dans son discours : « c’est… original… un chapeau d’homme ». Ces
éléments nous permettent de percevoir son malaise et son manque d’assurance. Duras, dans
l’extrait de L’Amant de la Chine du Nord, nous présente un personnage masculin avec un
caractère similaire à celui mentionné précédemment. On apprend sa faiblesse par une
comparaison avec un autre personnage présent, qui est « plus robuste que lui », qui a « moins
peur que lui », qui a « plus d’audace ». Ainsi on comprend que le premier homme est
intimidé, assez farouche et angoissé. Les traits de caractère exposés dans ces deux textes
entrent en contraste avec la personnalité de l’homme dépeinte dans Cahier rose marbré. En
effet, Léo fait preuve d’un « snobisme européen du pire goût » et en « impose beaucoup ».
Son attitude est donc bien différente de celle des autres personnages masculins décrits. Il
paraît plus assuré et arrogant. Le caractère de l’homme présent dans tous ces passages est
donc une variation.
Le caractère de la jeune fille, qui également présente dans tous les extraits, diffère
quelque peu d’un texte à l’autre. L’extrait de Cahier rose marbré la présente comme étant
« émue et incertaine » face au jeune homme qu’elle rencontre. Elle parle en « rougissant » et
ne cache pas son « émerveillement ». La jeune fille est donc en position d’infériorité face à
Léo, le jeune homme indigène : il la trouble et l’impressionne beaucoup. Son émoi est
clairement discernable grâce à son physique qui la trahit. Cette attitude intimidée s’oppose
radicalement au caractère farouche qu’elle possède dans le passage tiré d’Un Barrage contre
le Pacifique. En effet, dans celui-ci, la mère de la jeune fille lui demande : « Tu ne peux pas
avoir une fois l’air aimable ? », ce qui témoigne de son for caractère et d’une manière
renfrognée. Par rapport à l’extrait précédent, le lecteur a ici l’impression que Suzanne est
légèrement rebelle et qu’elle n’est pas intimidée du tout. De même pour le texte tiré de
L’Amant de la Chine du Nord, dans lequel son regard est « farouche » et « insolent ». La fille
semble être insoumise et quelque peu effrontée, ce qui encore une fois entre en contraste avec
la vision que le lecteur a d’elle dans le premier extrait. Le caractère de la jeune fille est
également un élément qui varie d’un texte à l’autre.
En troisième lieu, le lieu précis de la rencontre et les circonstances sont légèrement
différentes dans ces quatre textes. Dans Cahier rose marbré et L’Amant, les deux personnages
se trouvent sur un « bac », c’est-à-dire un « car indigène » comme l’indique le jeune homme
dans l’extrait de L’Amant. Cette rencontre se fait dans un transport public, c’est-à-dire un lieu
ouvert où les personnages sont entourés d’inconnus. Cependant, dans le passage tiré d’Un
Barrage contre le Pacifique, la scène se déroule dans un bar ou café, comme le suggèrent les
mots « table » et « gorgée de Pernod ». Il s’agit encore une fois d’un lieu public, mais cette
fois la jeune fille est entourée de personnages qui lui sont familiers : « la mère », et un garçon
dénommé « Joseph ». Enfin, l’extrait de L’Amant de la Chine du Nord se situe « après le
départ » du bac, ce qui laisse la jeune fille seule avec « le Chinois élégant qui est à l’intérieur
de la grande auto noire ». Le lecteur ne peut pas être sûr du lieu exact où la scène se déroule,
mais nous pouvons supposer qu’il s’agit d’une rue ou du moins un endroit extérieur. Les deux
personnages sont seuls dans cet endroit. Ces quatre extraits diffèrent donc par leurs cadres
précis, certains se passant dans un bac, un autre dans un bar et le dernier dans la rue. De plus,
les personnages ne sont pas entourés des mêmes personnes en fonction des passages, ce qui
apporte une nuance à ces scènes de rencontre, plus ou moins publiques.
Trois des extraits de ce corpus mentionnent un accessoire vestimentaire : un chapeau.
Cependant, cet élément récurrent présente une variable, car il n’est pas toujours porté par la
même personne. Dans l’extrait d’Un Barrage contre le Pacifique, le « feutre » appartient au
jeune homme. Il s’agit d’un chapeau élégant, un de ceux « qu’on se posait négligemment sur
la tête ». Ici il est un signe de luxe et ce n’est pas choquant de voir cet homme (qui est
indubitablement riche) le posséder. Cependant, dans le passage extrait de L’Amant, c’est la
jeune fille qui porte le « feutre d’homme ». Sur elle, l’accessoire est un peu incongru et paraît
étrange aux yeux du jeune homme qui le qualifie d’« original ». Le narrateur insiste sur le fait
qu’il s’agit d’un « chapeau d’homme » qu’elle porte, alors qu’elle est clairement du sexe
opposé. Il en est de même dans L’Amant de la Chine du Nord, la jeune fille portant un
« chapeau d’homme » « en feutre-souple-couleur-bois-de-rose-avec-large-ruban-noir ».
L’accessoire est encore une fois qualifié de masculin ; cela suggère l’étrangeté de voir la
jeune fille en être parée. Le chapeau, objet mentionné dans trois extraits, constitue une autre
petite différence entre les textes : il est porté tantôt par le jeune homme, tantôt pas la fille. Cet
élément de variation est certes un détail, mais Duras ne modifie pas seulement les paramètres
fondateurs de la scène, elle fait quelque fois varier des éléments plus précis.
Toutes ces rencontres décrites ne se déroulent pas de la même façon : dans certaines
on assiste à un dialogue, tandis que d’autres se passent dans le silence. L’extrait de Cahier
rose marbré donne lieu à un échange entre les deux personnages. Léo pose une question,
rapportée au discours direct, à la jeune fille : « -Vous connaissez Paris ? ». La suite de la
conversation est relatée au discours direct, indiquant clairement un échange d’une certaine
ampleur. Duras, dans L’Amant, choisi également de faire converser les deux personnages. Le
lecteur assiste au dialogue à travers les pensées du jeune homme, qui retranscrit leur
conversation au discours indirect, ainsi que le montre la phrase « Alors il lui dit qu’elle croit
rêver ». Ici encore les protagonistes s’adressent la parole lors de leur première rencontre. Le
dialogue est également présent dans L’Amant de la Chine du Nord. Le jeune homme pose une
question directe à la jeune fille : « -Vous fumez ? », et le reste de leur conversation est
rapportée au discours direct, comme le montrent les marques du dialogue tel que les tirets.
Toutefois, la première rencontre relatée dans Un Barrage contre le Pacifique se déroule sans
échange entre l’homme et la jeune fille, du moins sans échange vocal, car durant la scène les
personnages échangent des regards. Duras nous indique que l’homme « regardait Suzanne » et
que « la mère à son tour regarda sa fille » ; de plus, à la fin de l’extrait, « Suzanne sourit au
planteur du Nord ». Ainsi, bien qu’il n’y ait pas de conversation entre les deux protagonistes,
on retrouve tout de même des interactions physiques qui laissent deviner le dénouement de
cette rencontre. Ces récits d’entrevues ne se déroulent donc pas tous de la même manière,
n’aboutissant pas toujours à une conversation entre les deux personnages.
Les quatre textes de ce corpus relatent tous une première rencontre entre un homme et
une jeune fille. Ils ont bien sûr des éléments en commun, comme par exemple leur cadre, ou
bien les attributs des personnages. Cependant, leurs caractères varient d’un extrait à l’autre,
tout comme le lieu précis de la scène. Marguerite Duras « redit » donc des choses dans ces
romans mais apporte des variations à ses œuvres. Ces modifications sont parfois faites sur des
éléments capitaux de la scène, tels que les caractères des personnages ou le dialogue, mais ils
peuvent être sur des fragments infimes, des détails, comme avec le chapeau. Ainsi, l’auteur
nous présente des variations sur le thème de la rencontre amoureuse, à travers quatre extraits
qui diffèrent quelque peu. Le même procédé est souvent utilisé en musique : Benjamin Britten
l’utilise dans les Variations et Fugue sur un thème de Purcell. Dans cette œuvre, il reprend un
thème du compositeur et en modifie plusieurs fois l’instrumentation afin de présenter les
instruments de l’orchestre aux enfants.