Le double jeu du journal, entre communication

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Le double jeu du journal, entre communication
Le double jeu du journal,
entre communication médiatique et correspondance privée
Alain Vaillant
T
oute étude historique de la presse moderne s’inscrit naturellement dans la
perspective théorique tracée par Jürgen Habermas dans L’Espace public1 et déjà
esquissée dès 1901, en France, par les intuitions de Gabriel Tarde réunies dans
L’Opinion et la Foule2. Pour l’un comme pour l’autre, la presse a joué un rôle
déterminant dans la constitution de l’espace public politique, indispensable à
l’établissement du système parlementaire qui s’est progressivement imposé en Europe
au cours des XVIIIe et XIXe siècles. C’est elle en particulier qui, offrant des lieux
d’échange infiniment plus ouverts et plus étendus que les formes privées de sociabilité
aristocratique ou bourgeoise (salons, cafés, etc.), a créé les conditions d’émergence
d’une opinion publique et d’un débat réellement contradictoire. Cette vocation politique
de la presse s’est spectaculairement imposée à l’occasion de la Révolution française,
dont tous les acteurs ont été à la fois des journalistes engagés et des orateurs
d’assemblée. Le rôle historique dévolu à la presse, pendant la décennie révolutionnaire,
explique aussi que, tout au long du XIXe siècle, le journalisme politique français a pu
servir de modèle pour les mouvements de contestation républicaine ou libérale, en
Europe et en Amérique latine ; par ailleurs, il a sans doute contribué au prestige
incontesté de l’éloquence délibérative dans l’écriture journalistique : celle-ci règne dans
le Premier-Paris, rubrique phare du journal, mais aussi dans les articles de fond et dans
les comptes rendus parlementaires.
2.
Cependant, il ne faut jamais oublier que, pour Habermas, ce qu’il nomme l’espace public
n’est qu’une des deux composantes du domaine privé, par opposition au domaine
public, qui, lui, est limité à la sphère de l’État et du pouvoir. Le domaine privé est donc
scindé en deux espaces : l’espace privé, réservé au cercle intime et familial ou aux
échanges économiques, et l’espace public, où l’individu laisse de côté et neutralise
l’ensemble de ses intérêts personnels pour entrer en communication et en débat avec
autrui. Autrement dit, l’espace public médiatique n’est rien d’autre qu’une excroissance,
une sophistication de cette sociabilité privée, rendue nécessaire par l’accroissement
1
Jürgen Habermas, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive
de la société bourgeoise (éd. or. en allemand : 1962), Paris, Payot, 1993.
2
Gabriel Tarde, L’Opinion et la Foule (1901), Paris, éd. du Sandre, 2008.
o
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continu de la bourgeoisie, donc du nombre de participants à cette agora immatérielle du
domaine privé. Tout se passe comme si le journal avait servi de relais, de prolongement
à l’échange interpersonnel effectif, tel qu’il se déroulait d’abord dans les salons puis, à
partir du XVIIIe siècle, dans les cafés et autres lieux semi-publics.
3.
Il est donc capital, pour que le journal puisse jouer le rôle culturel mais aussi politique
qui est le sien, qu’il continue à témoigner, de la façon la plus visible possible, de ce lien
génétique et consubstantiel qui le rattache à la sociabilité privée. Concrètement, ce lien
se manifeste selon deux modalités principales. D’abord, bien sûr, par ce style
conversationnel qui caractérise la presque totalité de tous les articles non politiques de
la presse et qui envahit la chronique, le feuilleton, mais aussi, en grande partie, les faits
divers et l’ensemble des « microformes » journalistiques (blagues, nouvelles à la main,
bigarrures, etc.)3. Selon un poncif de l’époque, le journal est l’équivalent moderne et
post-révolutionnaire du salon aristocratique : le lecteur ne peut pas engager la
conversation avec le journaliste, mais il a du moins l’illusion séduisante d’assister, de sa
table de café ou de son intérieur bourgeois, à un dialogue (qui se doit alors de donner
un sentiment gratifiant de familiarité et de complicité ironique). Cependant, il est une
autre modalité qui, fonctionnellement, est peut être plus importante que la première :
l’épistolaire. En intégrant des lettres dans son tissu textuel, le journal fournit en effet la
preuve qu’il n’est pas clos sur lui-même, qu’il existe toujours des flux d’échanges entre
l’espace médiatique et le monde extérieur – ou, du moins, il en donne l’impression – ; en
fait, c’est grâce à la lettre, publiée comme telle et distincte de la masse des articles, qu’il
joue vraiment son rôle de média, qu’il assume sa mission médiatrice entre la surface
publique de l’imprimé et ses lecteurs. Ainsi, ces lecteurs ne sont plus seulement les
spectateurs, même favorisés, de l’échange conversationnel ; mais ils ont en outre la
possibilité, il est vrai très virtuelle, d’être invités à passer de l’autre côté du miroir pour
engager effectivement le dialogue et entrer eux-mêmes dans le journal.
4.
Dans son principe, l’épistolaire est ainsi une condition nécessaire du fonctionnement
médiatique. Les premiers journaux n’étaient d’ailleurs rien d’autre que des lettres. Soit,
dans le cas de la Gazette de Théophraste Renaudot, des lettres, principalement reçues
de l’étranger, mais réunies et publiées ensemble pour faciliter leur diffusion ; soit, par
exemple pour les journaux d’opinion de la Révolution, une longue lettre écrite par un
seul rédacteur et simplement imprimée à destination du public. Puis, ce modèle
épistolaire a été concurrencé par l’apparition progressive de rubriques proprement
journalistiques, au XIXe siècle. De fait, entre l’absence et l’excès d’épistolarité, il est pour
chaque époque un juste milieu à trouver. Si le média paraissait totalement fonctionner
en circuit fermé, sans s’ouvrir aux discours qui lui sont adressés du dehors, il se
condamnerait lui-même comme média. Mais, à l’inverse, s’il n’était plus qu’une boîte aux
lettres servant à réguler un échange épistolaire ayant sa dynamique hors de lui, il
perdrait toute utilité proprement médiatique. On sait combien, aujourd’hui, la
numérisation des médias et la communication interactive générée par internet imposent
avec une acuité presque angoissante ce dilemme qui, à moyen terme, risque de
remettre en cause la viabilité même des médias d’information.
5.
Si nous n’en sommes évidemment pas là au XIXe siècle, le problème est identique sur le
fond. De même que, dans le cas des démocraties représentatives qui se mettent alors
en place, l’électeur délègue son pouvoir d’action à l’élu, il faut bien admettre que le
3
Voir Guillaume Pinson et Marie-Ève Thérenty (dir.), Microrécits médiatiques. Les formes brèves
o
du journal, entre médiations et fiction, revue Études françaises, vol. 44 n 3 (2008).
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lecteur exerce aussi un pouvoir de délégation de la parole, dont il fait bénéficier le
média. Il est alors normal que le journal public se substitue à la lettre privée. Néanmoins,
ce même lecteur s’attend de temps à autre à trouver, dans les colonnes du journal qu’il
lit, des lettres qui lui prouvent qu’il pourrait, lui aussi, intervenir dans le jeu médiatique.
Même si, d’ailleurs, il ne le souhaite pas : rappelons-nous en effet que, dans ce XIXe
siècle où la liberté d’expression est presque toujours peu ou prou réprimée, le journal
offre le plaisir de lire ce que, précisément, on s’interdit de dire soi-même à voix haute, et
a fortiori d’écrire.
6.
Le phénomène dont il sera ici question est donc, on l’aura compris, la présence de
lettres dans les périodiques du XIXe siècle. Par « lettres », il faut entendre les lettres
réelles, qui ont vraiment été envoyées par la poste ou qui, du moins, veulent passer
pour telles. La question qui est ici posée n’est pas celle du style épistolaire, qu’on
retrouve dans les articles de politique étrangère (du type « on nous écrit de Janina »,
comme dans Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas) et dans les chroniques
sous formes de lettres (par exemple, les inévitables « lettres de Paris », ou « courrier de
Paris ») : ces signes d’épistolarité relèvent du même phénomène que le style
conversationnel, à savoir de la volonté mimétique de reproduire les usages de
l’éloquence privée, afin de créer un sentiment de connivence et de proximité avec le
lecteur. Les lettres réelles, elles, peuvent être soit des lettres que le journal lui-même
(sous la signature de son directeur ou son rédacteur en chef) adresse à un
correspondant – généralement pour informer le public de problèmes liés au
fonctionnement du journal –, soit, le plus souvent, de lettres reçues par le journal.
Celles-ci sont alors de trois natures : ou des lettres de simples lecteurs (isolées ou
insérées dans une rubrique ad hoc comme le « courrier des lecteurs »), ou des lettres de
professionnels de la presse (journalistes, illustrateurs, etc.), ou des lettres de
personnalités (hommes politiques, écrivains célèbres, etc.). À partir de ce cadre de
classification, il a fallu répondre à deux questions : 1) y a-t-il des évolutions historiques
sensibles, au cours du XIXe siècle, dans l’usage que la presse fait des lettres ? 2) Y a-t-il
des disparités significatives entre les trois principaux types de périodiques (revues,
quotidiens, presse culturelle hebdomadaire). Comme il n’était évidemment pas question
de lire tous les journaux du XIXe siècle, la procédure adoptée, inévitable dans les
recherches non monographiques sur la presse, a été celle de sondages aléatoires, qui
ont permis de repérer quelques tendances générales particulièrement significatives.
La lettre dans le journal : esquisse d’une périodisation
7.
8.
Du point de vue de l’histoire de la presse du XIXe siècle, on sait qu’on peut distinguer
grossièrement trois grandes périodes : la presse de l’Empire et de la Restauration (de
nature essentiellement politique et délibérative), la presse correspondant à l’entrée dans
l’ère médiatique (monarchie de Juillet et Second Empire), la presse de l’ère républicaine
(la fin de siècle). Si l’on regarde la présence relative de lettres au cours de ces trois
phases, on arrive en effet à des résultats assez tranchés.
Dans l’ère prémédiatique, la séparation entre le discours public et la parole privée est
encore très nette et le journal, qui relève de la publication, est naturellement intégré à la
sphère publique. Sauf exceptions, les lettres sont totalement absentes (hormis les lettres
à caractère administratif ou officiel, notamment sous l’Empire). Il s’agit d’une presse très
contrôlée, dont tous les mots sont pesés, où l’adresse au lecteur est systématiquement
o
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solennisée et qui joue systématiquement de la responsabilité particulière incombant à
l’écrit public (au contraire de la lettre). La logique communicationnelle qui préside à cette
presse pénétrée de sa dignité intellectuelle et politique exclut donc en principe l’effet de
polyphonie et d’hétérogénéité qu’implique, ipso facto, l’intrusion de lettres dans le
discours journalistique.
9.
En revanche, le contexte politique et culturel a totalement changé à la fin du siècle.
Nous sommes entrés dans l’ère démocratique et les journaux, collectivement diffusés à
des centaines de milliers, voire à des millions d’exemplaires, appartiennent à l’univers
familier de leurs lecteurs. La presse recherche désormais la proximité avec son public –
ce que traduit, notamment, la généralisation du courrier des lecteurs. Hors même du
cadre de cette rubrique spécialisée, il devient habituel pour les lecteurs d’écrire aux
journalistes et, pour ces journalistes, d’utiliser ces lettres comme témoignages de leur
propre capacité d’écoute et de dialogue. Ainsi, le critique Francisque Sarcey, connu pour
avoir théorisé sa soumission à l’égard du goût du public (« Nous sommes les moutons
de Panurge de la critique ; le public saute et nous sautons ; nous n’avons d’avantage sur
lui que de savoir pourquoi il saute et de le lui dire4 »), n’hésitait pas à utiliser dans ses
propres critiques les remarques et les avis épistolaires des abonnés du Temps. Bientôt,
les comiques s’en mêlent et la parodie de courrier des lecteurs devient un classique de
l’humour – et il l’est resté jusqu’aujourd’hui. Les fausses lettres, pastichant sur le mode
burlesque toutes les lois du genre, ponctuent régulièrement les textes d’Alphonse Allais,
chroniqueur vedette du Journal. Telle cette dernière, publiée sous le titre « Sauvetage
d’âmes », censée commencer par des compliments « assez capables d’assommer, du
coup, un essaim de rhinocéros adultes » et s’achevant, comme il se doit, par « une
formule admirative et déférentielle à faire rougir une génération de langoustes » [A]5. Il
est en effet frappant que, contrairement à l’usage actuel, le journal n’extrait pas de la
lettre les seuls passages susceptibles d’intéresser le public, mais la reproduit
intégralement, texte et paratexte compris, en y incluant l’en-tête, la date et les formules
de politesse. Tout se passe comme si l’essentiel était de produire un effet de réel,
garantissant et pour ainsi dire théâtralisant l’authenticité de l’envoi [B et C].
10.
Pour autant, on se gardera d’exagérer l’importance médiatique de ce foisonnement
épistolaire, qui a surtout le mérite d’introduire dans le journal de la variété et, souvent
aussi, des occasions de sourire. En réalité, lorsque le journal recherche réellement le
contact avec le public, il se déplace vers lui, en envoyant ses reporters – qui, ensuite,
pourront rapporter dans ses colonnes des entretiens ou des interviews qu’on suppose
alors sténographiés. Globalement, on peut considérer que ce n’est plus la lettre, mais le
reportage (avec les autres moyens d’investigation de la presse de masse) qui fait entrer
le monde extérieur dans l’espace médiatique. D’où un changement fondamental : la
lettre, appartenant à la tradition rhétorique, instaurait de l’hétérogénéité discursive ; le
reportage, lui, est au contraire un genre strictement médiatique et le journal est
désormais totalement maître du jeu polyphonique. À l’exception du courrier des lecteurs
et de ses variations parodiques, les lettres interviennent en fait peu dans les journaux –
essentiellement, soit comme preuves ou témoignages, en marge des polémiques ou des
grandes affaires judiciaires (comme pendant l’affaire Dreyfus, [D]), soit, alors que la
mode des autographes se répand, comme document à valeur historique (d’écrivain,
d’artiste ou de personne publique, [E]). Pour être complet, il faut cependant ajouter que,
entre le reportage et la lettre, il existe un genre hybride, l’enquête, qui est une sorte de
4
5
Extrait de « La critique et les critiques », L’Opinion nationale, 16 juillet 1860.
Les lettres entre crochets renvoient aux articles de journaux donnés en annexe, en fin d’article.
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sondage mené sur un sujet d’actualité auprès de personnalités en vue et dont la vogue
médiatique est extraordinaire dans la presse d’avant 1914 : en effet, les réponses
écrites à ces enquêtes prennent parfois la forme de lettres qui sont envoyées à
l’enquêteur et dont les auteurs jouent alors du modèle épistolaire.
11.
En fait, la période où l’épistolaire paraît jouer un rôle réellement central dans l’économie
globale de l’espace journalistique est donc le mitan du siècle (disons de la monarchie de
Juillet au Second Empire). La société bourgeoise post-révolutionnaire, venant après
l’effondrement de l’aristocratie d’Ancien Régime, provoqué par la révolution de 1789 et
confirmé par celle de 1830, repose sur une culture, notamment parisienne, où les
sphères publique et privée sont profondément imbriquées l’une dans l’autre. La
Comédie humaine de Balzac ne cesse d’en fournir les illustrations romanesques : la ville
(avec ses lieux fétiches : le théâtre, le Boulevard, le restaurant, le bal, etc.) fonctionne
comme un univers mixte où, pour ainsi dire, la sociabilité privée développe ses réseaux
à l’intérieur de l’espace public. La structure du journal reflète cette mixité spatiale – par
exemple en juxtaposant lettres et articles. Cependant, le journal ne dispose pas encore
des moyens ni des instruments dont la presse se dotera à la fin du siècle (on pense
notamment à tout ce qui relève de l’enquête et du reportage, voire à la photographie).
Dans cette période de mutation de la presse (qui passe du débat délibératif à la culture
de masse), la lettre est un outil très simple et très commode qui, tout en étant très
traditionnel, fait pénétrer à moindres coûts les voix du dehors à l’intérieur du journal.
Enfin, la presse bénéficie d’un contexte très particulier. D’un côté, elle peut s’appuyer,
grâce à la pratique générale de l’abonnement et à l’homogénéité sociale de ses lecteurs,
sur un public stable ; de l’autre, le monde des journalistes, qui, à titre ou à un autre,
rassemble en fait la presque totalité des écrivains et des intellectuels, est à la fois
nombreux et soudé par de puissants liens de connivence et de camaraderie. Un
journaliste écrit toujours à destination de deux publics très différents (voire
antagonistes), pour ses abonnés et pour ses confrères – de là, d’ailleurs, l’ironie
structurelle de l’écriture journalistique, dans la presse de l’époque. Or cette ironie
textuelle est, sur le plan communicationnel, redoublé dans le cas où le journaliste décide
de donner à un journal non pas un article, mais une lettre – puisque la lettre, écrit privé,
est intégrée à un imprimé public. La lettre intéresse alors le destinateur et le destinataire
originels, mais aussi, bien entendu, le public anonyme des lecteurs du journal, puis
encore, davantage peut-être, tous ceux qui, comprenant le double-sens de cette
stratégie de publication, sont capables de deviner et d’apprécier ses implications réelles,
donc de jouir de l’effet d’ironisation. Car la lettre permet souvent de dire ou de faire
entendre ce qui serait impossible d’écrire dans un article de journal : de là l’intérêt
pragmatique de la « lettre ouverte », qui permet à un écrivain de revendiquer une liberté
de parole qu’il n’aurait pas comme journaliste. L’histoire littéraire en offre un exemple
bien connu, qui n’est d’ailleurs pas à l’honneur de son auteur, Baudelaire : ce dernier
publie dans le Figaro du 14 avril 1864 une lettre, anonyme de surcroît, où il dénonce
avec une stupéfiante virulence un banquet organisé par le clan Hugo pour le
tricentenaire de Shakespeare – un banquet où il ne voit qu’une opération publicitaire
pour le William Shakespeare de Hugo (toujours en exil) et qui d’ailleurs, peut-être à la
suite de cette lettre ouverte, sera finalement interdit [F].
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Pratique épistolaire et typologie des périodiques
12.
Passons vite sur la revue, qui est le type de périodique le plus réfractaire à la lettre. Non
seulement la revue revendique la solennité du livre auquel elle reprend son format et sa
mise en page, mais elle se veut même en surplomb du livre, comme une sorte
d’instance judicatrice, qui joue de la distance qu’elle instaure avec son public et de la
distinction qu’elle lui confère en retour. Hormis les lettres qu’on peut trouver, dans les
revues fin de siècle, à l’occasion des enquêtes qui y sont menées sur des questions
d’actualité (intellectuelle, littéraire ou artistique), l’épistolaire est le plus souvent absent
de la revue. C’est encore plus vrai pour les petites revues d’avant-garde, qui sont dans
les faits l’œuvre commune d’un groupe d’amis ou de camarades et qui ont d’autant plus
besoin de s’abriter derrière la dignité de la publication et de fuir l’impression de
complicité et de proximité qu’induirait immanquablement le recours à la lettre.
13.
La situation du quotidien est plus complexe. Bien sûr, on trouve de tout dans un journal,
et notamment des lettres : des lettres de journalistes, d’hommes politiques (notamment
sous la Troisième République), d’experts ou de personnalités mises en cause – la lettre
jouant à cette époque le rôle de nos actuels « communiqués » à la presse ou aux
agences. Pour autant, la lettre occupe une place quantitativement négligeable et il
n’existe pas encore, par exemple, ces pages entières de « courrier des lecteurs » que
nous trouvons dans les journaux actuels. Les quotidiens, qui sont les entreprises de
presse à la fois les plus lourdes et les plus rentables, sont aussi celles qui tendent le
plus à se professionnaliser et à revendiquer leur spécificité médiatique. Or, la publication
de la lettre reste la manière la plus économique mais aussi la plus rudimentaire de
noircir du papier ; un journal sérieux évitera d’en abuser et, au gré des sondages
effectués dans cette presse quotidienne, on ne peut qu’être frappé par la rareté des
lettres, toutes périodes confondues (et à l’exception de moments de crise et de débat
public comme pendant l’affaire Dreyfus).
14.
Tout bien considéré, c’est dans la presse hebdomadaire qu’on trouve le plus de lettres,
et cette fois en très grand nombre. Il faut ici distinguer deux types de périodiques (et, par
voie de conséquence, deux types de lettres).
15.
Le premier englobe les journaux visant soit une catégorie sociale donnée (les femmes,
les demoiselles, les enfants, etc.), soit une profession particulière (les instituteurs, les
curés, les gendarmes, etc.). La stratégie du média consiste alors à donner l’illusion
d’une communauté de lecteurs dont il occuperait le centre et assurerait loyalement
l’animation. Ce type de périodique sollicite les lettres – comme autant de contributions à
une publication pour ainsi dire collective et interactive avant la lettre – et prodigue à son
tour les conseils et les avis. À l’opposé du quotidien qui respire l’air de la place publique,
il vise à susciter un sentiment d’intimité voire de confidentialité. La lettre publiée y a
aussi valeur d’exemplarité et, en particulier, elle est un instrument d’édification morale
dans la presse catholique. Le courrier des (jeunes) lecteurs est ainsi de règle dans la
presse enfantine catholique [G]. Mais il peut s’agir aussi d’une correspondance
purement littéraire. Thomas Grimm, seul rédacteur de la Revue pour tous, se fait une
règle de publier, non pas les lettres de ses correspondants, mais ses réponses
lapidaires, où il prodigue les remontrances littéraires aux apprentis poètes [H]. Par
exemple, le 14 novembre 1869, à « M. D. B. à Caen » (« Ce qui nous est le plus
antipathique en littérature, c’est l’imitation. Soyez médiocre, mais soyez vous. »), ou à
« M. D. B., à Laon » (« Rien d’embarrassant pour la critique comme l’honnête
médiocrité. Votre poésie n’est ni bonne ni mauvaise ; elle n’a ni défauts ni qualités, et
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c’est ce que je lui reproche. La publication dans la Revue de ces bons petits vers de
serre tempérée ne ferait plaisir qu’à vous ; – ce ne serait pas assez. ») – auquel fait suite
une brutale fin de non recevoir, adressée à qui voudra le prendre pour soi (« Même
réponse à MM. A., B., C., D., E., F., F., G., H., etc., qui m’inondent de leurs hexamètres,
et auxquels je n’ai pas le temps de répondre un non possumus quelque peu courtois. »).
On finirait par croire à un simple exercice de style, où le rédacteur s’inventerait des
correspondants pour le plaisir d’aligner ses réponses en trois lignes, si l’on ne lisait, à la
date du 26 décembre 1869 : « M. Rim…, à Charleville. – La pièce de vers que vous
nous adressez n’est pas sans mérite et nous nous déciderions à l’imprimer, si par
d’habiles coupures elle était réduite d’un tiers. – Et puis revoyez donc ce vers qui vous a
échappé : le cinquième du paragraphe III ». Or, M. Rim…baud fera bien les
modifications demandées et la Revue pour tous fera paraître une semaine après, le 2
janvier 1870, Les Étrennes des orphelins, soit le premier poème publié d’Arthur
Rimbaud.
16.
Le deuxième type de périodique hebdomadaire est aux antipodes du premier. Il s’agit de
la petite presse (littéraire et artistique). Alors que l’autre s’évertuait à dialoguer
sérieusement avec ses lecteurs, celle-ci est constamment ironique, et farcit ses
colonnes des lettres mystificatrices qu’elle échange au sein de la communauté
joyeusement blagueuse et, souvent aussi, secrètement contestataire, qui forme,
notamment sous le Second Empire, le tout-Paris journalistico-littéraire. L’épistolarité est
ici mis au service d’une pratique collective essentiellement ludique [I-J-K], qui tient à la
fois du jeu de rôles et du jeu de pistes mais qui, plus sérieusement, contribue à
structurer le champ littéraire – sur le mode mineur, en attendant que la libéralisation du
régime de la presse, à la fin de l’Empire, permette aux journalistes de s’adresser à
nouveau aux lecteurs et d’échapper au cercle, jubilatoire mais improductif, de la
camaraderie et de la connivence.
17.
Il est temps de conclure, après ce bref survol de la présence épistolaire dans les
journaux du XIXe siècle. L’historien de la presse en retire deux enseignements majeurs.
Le premier, qui est une vraie découverte, concerne la spécificité culturelle de la presse
hebdomadaire. Les historiens se sont principalement intéressés aux journaux pour leur
rôle politique, les littéraires aux revues, qui ont souvent été des acteurs majeurs de la
vie intellectuelle et artistique. Mais on néglige souvent les journaux hebdomadaires qui,
plus intégrés à l’espace privé que les quotidiens et moins légitimes mais plus libres que
les revues, occupent une place singulière dans la culture moderne – comme le prouve
l’usage particulier qu’ils font de la lettre. Or, il s’agit là de l’ancêtre de l’actuelle presse
magazine, dont on sait l’importance médiatique et le poids économique. Au-delà de
l’étude monographique de quelques titres célèbres, il y a là un territoire spécifique qu’il
reste à baliser et à explorer systématiquement et qui contribue, à sa manière
particulière, à la construction de la civilisation du journal, du fait même du lien particulier
que le rythme hebdomadaire permet de tisser entre le média et son public. En outre, il
se vérifie qu’il y a bien un moment « Second Empire » de la presse française. Tout se
passe comme si la censure qui pèse sur la presse et qui en éloigne en partie le public
(comme le prouve la stagnation des tirages pour la presse quotidienne) resserrait par
compensation les liens à l’intérieur du champ littéraire. On peut même faire l’hypothèse
que le processus d’autonomisation, tel qu’analysé par Pierre Bourdieu, est directement
lié à ce double processus de disqualification de la presse politique quotidienne (due aux
contraintes qui pèsent sur la liberté d’expression) et à l’extraordinaire prolifération de la
petite presse, qui transforme la communauté journalistico-littéraire en un vaste réseau
privé, dont les échanges épistolaires se font, par médias interposés, au vu et au su du
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public. Cet âge d’or de l’épistolarité médiatique précède l’entrée dans le journalisme de
masse et n’est sans doute pas compatible avec lui. Et pourtant, cette modernité d’avant
la massification, par sa manière d’entretisser le privé et le public, préfigure de façon très
étrangement actuelle les problèmes que nous font connaître aujourd’hui les possibilités
de l’interactivité numérique et l’explosion de l’épistolaire que suscite la communication
électronique.
(Université de Paris 10)
Annexes
Voici quelques exemples de lettres publiées dans les journaux.
20.
[A] – Alphonse Allais, « Sauvetage d’âmes ». [Extrait d’une chronique republiée dans
le recueil Rose et vert pomme, Ollendorff, 1894. Les autres chroniques en formes de
fausse lettres de lcteurs sont : « Avec des briques » (ibid.), « Correspondance et
correspondances » (Deux et deux font cinq, Ollendorff, 1895), « Philologie » (ibid.),
« Une petite calomnie du “Petit Journal” (On n’est pas des bœufs, Ollendorff, 1896), « La
sécurité dans le chantage » (Pour cause de fin de bail, Ollendorff, 1899).]
« J’ai encore les yeux pleins de larmes de la lecture que je viens de faire.
Un jeune homme de Rouen (je reçois beaucoup de lettres de la jeunesse rouennaise)
me raconte dans les termes qu’on va lire, une expérience touchante qu’il a tentée
récemment et qui prouve bien que les jeunes gens de Rouen ne passent pas
uniquement leur temps à jouer aux dominos dans les cafés, comme l’affirmait hier,
assez légèrement d’ailleurs, mon excellent collaborateur et ami Maurice Barrès.
Lisez plutôt :
“Monsieur le rédacteur,
(La lettre débute par des compliments que je passe sous silence, assez capables
d’assommer, du coup, un essaim de rhinocéros adultes).
Voici l’exposition intégrale des faits.
[Du récit qui suit, il ressort en fait que, moyennant 600 francs, le supposé jeune homme
s’était mis en ménage, prétendument pour la moraliser, avec une prostituée, et que cette
dernière l’a abandonné.]
C’est à vous, vous qui connaissez la vie dans ses moindres coins et recoins, que je
demande anxieusement : Que faire ?... Que faire ?
Confiant dans votre expérience, je vous prie… etc., etc.”
(Ici, une formule admirative et déférentielle à faire rougir une génération de langoustes.)
Signé : RAOUL OGER
o
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Si vous étiez nègre, jeune homme, je vous dirais de continuer, comme le fit le héros de
Magenta au saint-cyrien de couleur qu’on lui présentait.
Mais je vous sais blond comme la moisson d’août, et voici ce que j’ai décidé :
Votre idée de ramener au bien les âmes qui s’en sont écartées est excellente, mais, je
me crois, dans ce sport, beaucoup plus habile que vous.
Ayez donc l’obligeance de m’adresser, fin courant, une jeune courtisane pas trop
déjetée, en même temps que les 600 francs que vous consacrez à une expérience.
Je me charge du reste.
Cordiale poignée de main, mon cher Oger, et bien le bonjour à mon cousin Henri, si
vous le rencontrez. »
38.
[B] – L’Humanité, 23 avril 1904. [p. 4, dans la rubrique théâtrale, entre deux filets]
« Toujours à propos du "trust des théâtres", M. Henry Roy, banquier à Paris, adresse au
directeur du Temps la lettre suivante :
"Monsieur le Directeur,
En réponse à l’insertion 20 604, parue dans les Petites Affiches du 21 du courant,
reproduite dans votre estimable journal d’hier et relative au théâtre du Gymnase, j’ai
l’honneur de vous informer que, contrairement aux assertions de M. Francis, les
engagements signés par lui impliquent l’aliénation du bail du théâtre du Gymnase à
partir du 1er mai prochain, au profit de le société formée par moi.
Je vous prie d’insérer cette protestation et d’agréer, monsieur le directeur,
l’assurance de mes sentiments très distingués,
Henry Roy." »
44.
[C] – Gil Blas, lundi 3 janvier 1898. [p. 4, chronique médicale, signée du docteur
Flasschœn]
« Nous avons reçu la lettre suivante :
Université de Paris
Faculté de médecine
Paris, le 31 décembre 1897
Monsieur et honoré confère,
o
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J’ai reçu la demande que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser à l’effet d’être
autorisé à ouvrir un cours libre de Doctrine, de Matière médicale et de Thérapie
homoéopathique, à l’École pratique de la Faculté pendant le premier semestre de
l’année scolaire 1898-1899.
Cette demande sera soumise au Conseil de l’Université, conformément à l’article 2,
paragraphe 2 du règlement du 5 avril 1886, ainsi conçu :
“L’autorisation de faire un cours libre est donnée par le Conseil général des Facultés
(aujourd’hui Conseil de l’Université), sur proposition ou après avis de l’assemblée de la
Faculté près de laquelle le cours doit être ouvert.”
Les demandes pour le premier semestre de l’année scolaire seront examinées au mois
de juillet.
Veuillez agréer, Monsieur et honoré Confrère, l’assurance de ma considération
distinguée,
Le Doyen,
Dr Brouardel. »
59.
[D] – Gil Blas, jeudi 6 janvier 1898. [À propos de l’affaire Dreyfus.]
« M. Scheurer-Kestner vient d’adresser à un de ses amis du Sénat la lettre suivante :
Mon cher ami,
En revenant d’Alsace, où j’ai trouvé, une fois de plus, tant de sympathies réconfortantes,
j’apprends avec surprise que certaines personnes ont vu dans ma courte absence un
aveu de découragement ou d’incertitude.
Comment serais-je découragé, cher ami, moi qui sais que le triomphe de la vérité ne
dépend pas du bon vouloir des hommes, et qu’il ne saurait y avoir de prescriptions
contre la justice ni contre le droit ? Comment serais-je hésitant que l’évidence me paraît
chaque jour plus claire, à mesure qu’elle se dégage des voiles dont les passions
voudraient l’obscurcir ?
Ce qui me reste de force et de vie, je l’ai mis au service de l’innocence opprimée, ce don
de moi-même n’est pas révocable, et je tiendrai mon engagement, dussé-je rester seul.
Mais je ne suis pas seul, je vois autour de moi de nombreux amis que j’estime et qui
m’approuvent. Nous attendrons, fort de notre conscience, la juste, l’inévitable réparation.
Votre affectionné,
A. Scheurer-Kestner. »
o
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67.
[E] – L’Humanité, 18 avril 1904. [Lettre de Louise Michel écrite à « notre collaborateur,
Eugène Fournière », en faveur de Lucas qui lui avait tiré dessus au pied du mur des
Fédérés.]
« 10 février 1898
Cher citoyen et ami,
Merci de votre lettre. Oui, je savais qu’il faut que ce soit Lucas qui écrive à Laguerre [un
avocat]. J’écris à Lucas aujourd’hui même. – nous sommes en correspondance comme
vous savez ; – le pauvre homme est au désespoir à cause de sa femme et de son
enfant. Je voudrais bien qu’il fût sorti.
Remerciements et amitiés.
L. Michel. »
73.
[F] – Charles Baudelaire, « Anniversaire de la naissance de Shakespeare », Figaro,
14 avril 1864. [Extrait.]
« À M. LE RÉDACTEUR EN CHEF DU "FIGARO"
Monsieur,
Il m’est arrivé plus d’une fois de lire le Figaro et de me sentir scandalisé par le sansgêne de rapin qui forme, malheureusement, une partie du talent de vos collaborateurs.
Pour tout dire, ce genre de littérature frondeuse qu’on appelle le “petit journal” n’a rien
de bien divertissant pour moi et choque presque toujours mes instincts de justice et de
pudeur. Cependant, toutes les fois qu’une grosse bêtise, une monstrueuse hypocrisie,
une de celles que notre siècle produit avec une inépuisable abondance, se dresse
devant moi, tout de suite je comprends l’utilité du "petit journal". Ainsi, vous le voyez, je
me donne presque tort, d’assez bonne grâce.
C’est pourquoi j’ai cru convenable de vous dénoncer une de ces énormités, une de ces
cocasseries, avant qu’elle fasse sa définitive explosion.
[Après ce laborieux plaidoyer pro domo, Baudelaire en vient à sa dénonciation, dont est
extrait ci-dessous le passage où le clan Hugo a pu voir avec le plus de vraisemblance
une véritable entreprise de délation politique.]
Parlons un peu du vrai but de ce grand jubilé. Vous savez, monsieur, qu’en 1848 il se fit
une alliance adultère entre l’école littéraire de 1830 et la démocratie, une alliance
monstrueuse et bizarre. Olympio renia la fameuse doctrine de l’art pour l’art, et depuis
lors, lui, sa famille et ses disciples, n’ont cessé de prêcher le peuple, de parler pour le
peuple, et se montrer en toutes occasions les amis et les patrons assidus du peuple.
"Tendre et profond amour du peuple !" Dès lors, tout ce qu’ils peuvent aimer en
littérature a pris la couleur révolutionnaire et philanthropique. Shakespeare est
socialiste. Il ne s’en est jamais douté, mais il n’importe.
o
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[Quant à la formule finale, elle vaut aussi d’être citée, par la manière très contournée
qu’emploie Baudelaire pour éviter de signer sa lettre venimeuse.]
Conservez ma signature, si bon vous semble ; supprimez-la, si vous jugez qu’elle n’a
pas assez de valeur.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mes sentiments bien distingués. »
83.
[G] – Le Noël, journal des enfants, paraissant tous les jeudis, 7 janvier 1897. [p. 15,
extraits du courrier du « Noël ». La première ligne de chaque extrait est constituée par
un titre ajouté par le journal].
« On s’arrache le "Noël" !
recevez mes meilleurs encouragements pour votre cher Noël que je trouve très édifiant.
Mes enfants de chœur s’arrachent le journal qui les amuse.
J.-F., curé.
Bonne nouvelle
Mon cher "Noël",
Je viens te faire part de la naissance d’une petite sœur ; nous étions bien contentes
toutes quand on nous l’apprit. Quelle joie pour nous d’annoncer cette nouvelle à nos
maîtresses et à moi surtout à qui revient le plaisir de te l’apprendre ; nous sommes dix
enfants maintenant. Maman m’a dit que le bon Dieu bénissait les grandes familles. Prie
donc le petit Jésus de venir nous bénir tous à Noël.
C’est toujours avec un nouveau plaisir que nous te lisons chaque semaine, et tu pourras
plus tard compter ma petite sœur au nombre de tes lectrices.
Une future religieuse.
Lettre à l’enfant Jésus.
Mon cher Jésus,
Je vous aime beaucoup, et je serais bien sage si vous me donniez un dodo assez grand
pour ma poupée qui s’appelle Petit-Jean.
Il me tarde d’être grande pour faire ma première communion.
Marie-Christine, 4 ans et demi. »
o
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97.
[H] – Revue pour tous paraissant
« correspondance » du 12 décembre 1869.
tous
les
dimanches.
Rubrique
« M. E. G., à Alais. – Nulle atteinte à redouter pour la santé, mais aucun procédé connu
pour combattre l’inconvénient.
M. P. M., à Blois. – Votre invitation est des plus gracieuses, mais une existence aussi
remplie que la mienne ne permet guère les absences. Au reste, nous avons le loisir d’y
songer d’ici au printemps. Dans quatre mois, où serons-nous ?
M. L. N., à Arras. – Je vous plains. Ne plus se plaire dans sa famille, c’est le premier pas
dans une voie mauvaise qui vous conduit aux mécomptes at aux regrets. La conscience
vous fait payer cher un jour les écarts de l’imagination. Prenez garde.
M. D. B., à Laon. – Rien d’embarrassant pour la critique comme l’honnête médiocrité.
Votre poésie n’est ni bonne ni mauvaise ; elle n’a ni défauts ni qualités, et c’est ce que je
lui reproche. La publication dans la Revue de ces bons petits vers de serre tempérée ne
ferait plaisir qu’à vous ; – ce ne serait pas assez.
Même réponse à MM. A., B., C., D., E., F., F., G., H., etc., qui m’inondent de leurs
hexamètres, et auxquels je n’ai pas le temps de répondre un non possumus quelque
peu courtois. »
103.
[I] – Le Corsaire-Satan, 20 juillet 1846 [Où l’on voit que, lorsque la lettre est plaisante,
la petite presse n’hésite pas à emprunter à la grande !]
« M. le marquis de Larochejaquelein, qui ne veut se présenter qu’au seul collège de
Ploërmel, vient d’écrire une lettre admirable de bon goût, de modération et d’esprit à
l’Époque, qui s’est empressée de l’imprimer sans commentaire. Nous reproduisons ce
document bien supérieur, selon nous, à la circulaire imprimée hier par la Gazette de
France, et dans laquelle nous avons trouvé deux mots de trop :
Monsieur le rédacteur,
Je viens de lire dans l’Époque l’article que vous m’avez consacré ; il contient certaines
erreurs, mais je ne veux pas réclamer contre toutes. Nous sommes placés à des points
de vue différents ; les hommes peuvent se tromper sur eux-mêmes et sur les autres. Je
n’ai été en 1832, ni poursuivi par les gendarmes, ni jugé par contumace, ni condamné à
mort, et je n’ai pas été amnistié par le jury.
Je ne vous demande que cette rectification pour être d’accord avec ce que j’ai dit à la
tribune plusieurs fois. Il faut rester dans la vérité de sa situation, et au moment des
élections, vous comprenez qu’il serait possible d’abuser des erreurs commises de bonne
foi.
J’ai l’honneur d’être, etc.,
Marquis de Larochejaquelein. »
o
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110.
[J] – Le Rabelais, 14 octobre 1857. [Lettre de protestation du journaliste Eugène
Lataye, à la suite d’au article injurieux publié contre Musset dans son propre journal, la
Gazette du progrès. Dès le numéro suivant du Rabelais, Eugène Lataye y signera un
article…]
« Correspondance ». Signé « Eugène Lataye »
« A M. le directeur du Rabelais,
Monsieur,
Malgré la position apparente que j’occupe à la Gazette du Progrès, je vous prie de me
croire complètement étranger aux petites saletés vomies par M. Gardey (de Clarac !) –
ancien notaire, – sur Alfred de Musset.
Pour qu’il n’y ait à ce sujet aucun malentendu et pour dégager mes responsabilités de
ces platitudes, je cesse à partir de ce jour, de concourir à la rédaction de cette gazette
trop peu gazée.
Elle ne fera là pas une grande perte, – ni moi non plus.
Veuillez donner place à ma lettre dans votre plus prochain numéro, et agréer d’avance
mes remerciements.
Eugène Lataye,
19, rue du Four Saint-Germain.
Paris, 11 octobre 1857. »
121.
[K] – La Lune, février 1866. [p. 7, Correspondance.]
« À Monsieur le rédacteur en chef de La Lune
15 février 1866
Votre dernier numéro publie, sous la signature de M. Eugène Martin, un article qui,
malgré ses nombreuses phrases laudatives, m’a fortement déplu.
Je ne parle pas de l’épithète d’ORIGINAL FIEFFÉ que l’on m’y donne, ni ne m’arrête sur
la charge placée en tête de la tartine que M. Eugène Martin a daigné écrire sur moi (elle
n’a même pas l’avantage de la ressemblance) ; ce que je tiens à relever, c’est une
erreur capitale, une allégation fausse, qui me vaut des désagréments auxquels je serais
heureux de mettre un terme.
Votre rédacteur annonce à messieurs les hommes de lettres que je me fais un plaisir de
leur offrir GRATIS PRO DEO mes rayons de marchandises (suit une série de
calambours bons ou mauvais).
o
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Aussi, depuis le 16 janvier, mon chiffre d’affaires s’est-il accru d’une manière
extraordinaire. Mais trop souvent, en présentant une facture, je recevais des réponses à
peu près dans le genre :
Comment ! Vous ne me connaissez pas ? Je suis un des nobles rédacteurs de LA
MOUCHE, journal du bon ton (TAON ?)
Ou bien :
C’est MOI qui fais le compte rendu des mouvements des ports (PORCS ?) dans le
FACTEUR, journal des charcutiers.
[…]
Je veux bien croire qu’il existe un écrivain illustre se nommant Eug. Martin – quoique je
n’aie jamais entendu parler de ce monsieur là – mais ce qui me surprend étrangement,
c’est que ce nom soit celui d’une personne avec laquelle j’ai des relations intimes et qui,
je vous l’assure, ne se mêle pas du tout de journalisme.
Agréez, monsieur le rédacteur, l’expression de mes meilleurs sentiments.
Émile BRIER,
Graveur lithographe, 19, galerie de l’Horloge,
passage de l’Opéra.
À Monsieur Émile Brier,
16 février 1866
Nous nous empressons, pour répondre à votre désir, de publier non pas l’avis que vous
nous donnez, mais votre lettre tout entière.
Nous croyons ne pas avoir d’explications à vous donner sur les signatures de nos
articles, et vous assurons que nous avons été très étonnés de voir l’avis suivant dans
plusieurs journaux :
C’est le samedi 3 mars qu’aura lieu, à l’église de Vaugirard (midi), le mariage de M.
Émile Brier avec Mlle Eugénie Martin.
Les journaux annoncent que beaucoup d’hommes de lettres et d’artistes assisteront à
cette cérémonie.
Comme journaliste, M. Émile Brier s’est fait une réputation sous plusieurs pseudonymes
qu’il ne nous appartient pas de dévoiler ici.
Comme graveur, établi depuis trois mois à peine passage de l’Opéra, il compte dans sa
clientèle l’élite de l’aristocratie parisienne.
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Nous savons maintenant pourquoi le nom de notre rédacteur vous taquinait tant.
LA RÉDACTION ».
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