La Péniche dossier final

Transcription

La Péniche dossier final
DESBENOÎT Alice
GREMEZ Camille
JOURNOT Gwenola
LAGRANGE Mélanie
ROUSTAN Gaël
Atelier
sociologie des organisations
- ZITTOUN Philippe -
L’INTÉGRATION DE L’INDIVIDU
DANS UNE STRUCTURE AUTOGÉRÉE
- La Péniche -
Institut d’Études Politiques de Grenoble
Master Politiques Publiques et Changement Social
2006-2007
Nous tenons à remercier tous les membres de La Péniche
pour leur accueil chaleureux et pour les échanges stimulants
que nous avons eu avec toute l’équipe.
-2-
Sommaire
Introduction.........................................................................- 4 Note Préliminaire : Présentation de la structure..................- 7 A - Historique .................................................................................... - 7 B- Les membres ................................................................................. - 8 C- Fonctionnement ............................................................................. - 8 D- Activités développées .....................................................................- 12 E- Moyens Financiers .........................................................................- 12 F- Partenaires ...................................................................................- 13 -
I Une démarche active du collectif dans le processus
d’intégration ...................................................................... - 14 A Le repas d’embauche, un rite initiatique ................................................................- 14 B Une intégration de principe ......................................................................................- 17 C Une stratégie d’intégration par l’empathie et patience ........................................- 19 D L’insertion permanente de l’individu dans le collectif...........................................- 22 -
II « Les nouveaux, c’est difficile à intégrer » : une intégration
qui semble peu évidente ..................................................... - 27 A L’intégration, c’est long : un constat partagé.........................................................- 27 B « La mayonnaise prend ou pas » : la difficulté de l’interaction...........................- 29 C Une démarche de remise en question par l’équipe .............................................- 32 -
III La nécessaire implication de l’individu .........................- 36 A L’impact relatif de l’histoire personnelle .................................................................- 36 B Une implication personnelle active indispensable................................................- 40 C Comprendre et accepter les principes d’autogestion : l’essentiel ? ..................- 43 -
Conclusion ........................................................................ - 48 Annexes ……………………………………………………………….cf le CD-Rom
-3-
Introduction
Plus qu’une idée, l’autogestion est une pratique. La Péniche, entreprise
autogérée, tente par sa démarche, de faire vivre concrètement les principes de
l’autogestion. Ce collectif a une identité forte et a été confronté aux difficultés de
l’intégration de nouveaux membres, notamment ces cinq dernières années. Il nous a
donc paru intéressant d’explorer plus en détail cette question de l’intégration. Notre
démarche s’est inscrite dans une perspective de sociologie des organisations.
Nous avons basé notre réflexion sur les postulats suivants. La Péniche, en tant
que structure autogérée, et donc fonctionnant sur un mode entièrement collectif et
non hiérarchique, implique des modalités spécifiques de fonctionnement, notamment
quant à l’intégration d’un individu au sein de l’organisation. Nous posons le principe
que celles-ci sont différentes de celles que l’on peut trouver dans une entreprise
classique. Le fonctionnement collectif nécessite dès lors, une intégration forte et
complète de l’individu dans l’entreprise autogérée, afin de garantir la pérennité de ce
mode de fonctionnement spécifique.
Cette problématique de l’intégration se noue donc autour de deux
questionnements principaux :
- Quelle est la capacité d’intégration d’un nouvel individu par la structure existante ?
- Quelle est la capacité de l’individu à s’intégrer dans le collectif ?
Pour y répondre, nous devons nous pencher sur les facteurs qui permettent cette
intégration, tant sur les ressources du nouvel arrivant lui-même, que sur les
instruments et stratégies mis en œuvre par le groupe déjà établi. A travers ces
interrogations, se pose évidemment la question des facteurs de limitation, voire
d’empêchement de l’intégration de l’individu.
Nous posons comme hypothèse principale, le fait que la bonne intégration d’un
individu dans une structure comme la Péniche se fait par la conjonction de ressources
propres à l’individu – comme sa connaissance du fonctionnement autogestionnaire et
l’adhésion aux valeurs qui y sont associées, ses liens affectifs avec le groupe, ou même
sa personnalité – et les outils mis en œuvre par le groupe – le fonctionnement
collectif lui-même, la communication, les rites, ou même les stratégies de
-4-
valorisation. Nous pensons que la principale variable explicative est cependant la
disposition de l’individu à mobiliser les ressources nécessaires au fonctionnement
collectif de La Péniche. Rappelons ici, que si l’individu travaille au sein La Péniche,
c’est qu’il adhère a priori aux valeurs et donc au mode de fonctionnement1 et qu’il a
dès lors envie de s’investir dans cette entreprise.
Notre réflexion débutera par l’analyse des instruments, formels ou informels,
mis en œuvre par les membres de La Péniche pour accueillir et intégrer les nouveaux
coopérateurs. Dans un second temps, nous soulignerons les difficultés de cette
intégration, avant de mettre en exergue l’importance du profil, mais aussi et avant
tout, de l’implication de l’individu.
Nous aborderons, tout d’abord cette étude par un rappel méthodologique de
notre démarche. Puis, nous présenterons la structure étudiée, afin que notre analyse
ne soit pas détachée de son contexte, tant historique que fonctionnel.
1
« Ce qui préside au choix du futur salarié(e) est avant tout son degré d’adhésion au projet porté par
l’entreprise : le refus d’un certain confort du salariat, le besoin de chercher autre chose dans le travail que la
feuille de paie ou la carrière, le désir d’être libre parce que solidaire… » in www.la-peniche.fr/historique4.htm
-5-
Nous avons mené huit entretiens semi-directifs, un entretien téléphonique et
un échange par courriel avec deux anciens membres2. Un premier entretien a été
réalisé avec l’un des fondateurs, Sylvain, à Grenoble et constitue notre entretien
exploratoire. Les trois suivants ont été réalisés courant novembre, à Paris, avec une
première grille d’entretien3 suivant une problématique initiale assez large, à savoir la
relation entre le collectif et l’individu. Les quatre derniers entretiens ont été réalisés
au mois de décembre, à Paris et à Grenoble, avec une nouvelle grille4 recentrée sur la
problématique de l’intégration de nouveaux membres au sein de La Péniche. Nous
avons eu la possibilité d’assister à une réunion collective à Paris, lors de notre
première visite.
Nous voulons ici souligner l’apport limité des entretiens par rapport à de
l’observation participante, dans le cadre précis de notre problématique. En effet, nos
données disponibles ne représentent que des propos rapportant des situations,
interprétant des faits alors que nous aurions aimé constater d’avantage par nous
même, les réponses à nos interrogations. La difficulté des entretiens relève ici du fait
que les membres de La Péniche sont, pour la plupart, enclins à la production d’un
discours théorisé sur leur propre structure et plus largement sur l’autogestion. Nous
avons ainsi peiné, au cours de nos entretiens, à recueillir des données factuelles, ne
contenant pas déjà un regard réflexif et une analyse élaborée sur ces faits. La plupart
des membres sont d’ailleurs diplômés en sciences sociales.
Le recentrage de la problématique a été motivée en premier lieu par le fait que
notre angle d’étude initial, était trop large, pour les moyens logistiques et temporels à
notre disposition (impossibilité de mener une réelle observation participante) et
ensuite, par le constat que l’intégration était un thème récurrent dans le discours de
nos premiers enquêtés, thème qui semblait par ailleurs poser problème dans
l’organisation.
Nous n’oublions pas ici de préciser ici que notre choix d’enquête a été dicté par
un a priori positif sur le fonctionnement autogéré, duquel nous avons tenté de nous
détacher. Notre souci n’a d’ailleurs pas été de venir vérifier une conformité des
pratiques de La Péniche aux principes autogestionnaires revendiqués par celle-ci,
notamment sur son site.
2
L’intégralité des entretiens est disponible en fichier PDF sur le CD-Rom d’annexes joint à notre étude.
Idem
4
Idem
3
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Note Préliminaire : Présentation de la structure
A - Historique
La Péniche, entreprise autogérée, a été créée fin 1995 à la suite d'un
licenciement collectif des éditions Syros. Trois des personnes concernées ont alors
décidé de créer une entreprise autogérée sous le statut de SARL avec l’appui de
quelques personnes de leur entourage. L’idée de fonctionner en autogestion venait
d'une critique du monde des entreprises traditionnelles. Les aspects essentiellement
remis en question étaient le pouvoir et sa hiérarchie, les inégalités de salaires, la
hiérarchisation des compétences, l’individualisme, la compétition, ainsi qu’un temps
et une intensité du travail trop élevés. Il s’agissait donc de créer une entreprise sans
pouvoir, sans hiérarchie, collective et ayant pour objectif de travailler moins et plus
agréablement.
D’une dizaine de personnes au départ, le projet s’est finalement retrouvé dans
sa première année entre les mains de trois personnes, celles qui souhaitaient faire de
La Péniche un projet géré collectivement et non un groupement d’intérêt.
Le choix du nom de « La Péniche » ne répondait pas à une réalité précise mais
il devait être le reflet des principes de la structure (mobilité, convivialité, lâcheté des
liens institutionnels).
Les anciens réseaux professionnels des membres restants, leur permirent
d’avoir rapidement un minimum de travail. Mais à la fin 1997, La Péniche se
cherchait toujours, en terme de fonctionnement comme de clientèle, et cela remit en
question son existence. Après une longue et dure période de démarchage, de
réalisation de petits contrats, qui réussit malgré tout à souder le groupe à la fois grâce
à une exigence et à une tolérance mutuelle en terme de disposition techniques et
psychologiques, La Péniche réussit à se stabiliser à peu près.
Les difficultés rencontrées firent prendre conscience à ses membres que leur
cohésion représentait un enjeu majeur. Or à cette époque là, deux d’entres eux étaient
à Paris alors que le troisième se trouvait à Londres. Ils se regroupèrent donc en un
même site et ce fut à partir de ce moment, après trois ans, que l’entreprise commença
à se développer. Un associé était recruté chaque année, le chiffre d’affaire avait triplé,
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ce qui revalorisa les rémunérations et permit de réaliser des excédents croissants. La
structure et ses membres commençaient à être a sécurité.
2004, pour plus de lisibilité vis-à-vis de leurs partenaires et de l’extérieur, La
Péniche passa au statut SCOP. En effet, les salariés de ce projet étant tous détenteurs
du même nombre d’actions de la société, le statut SCOP était le plus proche de leur
fonctionnement.
L’agrandissement perpétuel de La Péniche depuis sa création a poussé ses
membres à développer une réflexion sur l’existence d’une taille critique de leur projet.
Une réelle gestion collective n’est pas très complexe lorsqu’on est peu nombreux.
Mais qu’en est-il lorsque les effectifs sont importants ? L’information peut-elle
toujours être possédée de la même façon par tous les membres de l’organisation ?
C’est l’interrogation principale de La Péniche actuellement. Comment maintenir le
fonctionnement initial avec les évolutions de la structure ?
B- Les membres
On trouve actuellement 11 rédactrices et rédacteurs à La Péniche. Ils sont
répartis sur les deux antennes de la structure. L’une se trouve à Paris et regroupe
Stéphanie Barzasi, Alain Détolle, Jordane Legleye, Florian Mons, Olivier Martin,
Hélène Spoladore et Christian Vaillant. La seconde se trouve à Grenoble avec Sylvain
Bouchard, Odile Jaquin et Myriam Lucas. Une dernière personne participe
ponctuellement aux activités de La Péniche mais n’est pas considérée comme
membre à part entière. Il s’agit d’ Odette Lepage qui réside à Nice.
Leur fonction n’est pas précisée car la non spécialisation des tâches fait partie
du fonctionnement de La Péniche. Chacun de ses membres doit exercer toutes les
fonctions. Il n’existe pas non plus d’organigramme étant donné qu’il n’y a pas de
hiérarchie.
C- Fonctionnement
Le fonctionnement réel est distinct de celui d’une coopérative traditionnelle,
quand bien même La Péniche s’inscrit dans un statut institutionnel de SCOP. Ce
statut de SCOP ne répond pas à un besoin idéologique, puisque La Péniche se pose
des exigences bien au-delà en terme de démocratie. Il relève d’une volonté de clarté
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par rapport au secteur de l’Economie Sociale et Solidaire avec lequel La Péniche
travaille prioritairement. Certaines structures de ce secteur ne comprenaient pas le
statut de La Péniche lorsqu’elle était une SARL autogérée.
Toujours est-il que les membres de La Péniche n’adhèrent pas à tous les principes
des SCOP. Ils trouvent qu’ils ne « vont pas assez loin ». Ce qui compte, ce sont les
principes internes de la structure, principes qui ne trouvent pas de débouchés
institutionnels. Tous les aspects institutionnels en général des statuts de SCOP sont
perçus comme superficiels, et ne reflétant pas la réalité de la structure. Son
fonctionnement et ses principes sont atypiques.
a- Les principes théoriques
• La détention égalitaire du capital :
La Péniche appartient égalitairement à tous ses salariés. Le capital est de
7622,45 euros, divisé entre chacun des salariés. Ces derniers ont acquis leur part dès
leur arrivée dans La Péniche, souvent à crédit sur les salaires à venir. La faiblesse
des investissements nécessaires à leur activité facilite cette détention partagée de
l’outil de travail.
• La non spécialisation des tâches :
Au sein de l’activité, les membres de La Péniche doivent tendre à ne pas avoir
de spécialisations particulières. La spécialisation des fonctions est la plus limitée
possible. Chaque type de travail est réparti entre tous les salariés, qu’il s’agisse
d’écriture, de Publication Assistée par Ordinateur (PAO), de démarchage, de suivi
des clients, de gestion ou d’administration. Personne n’a seul la charge d’un dossier.
Les membres souhaitent gérer de façon collective le travail et tendre vers la
coopération totale. Cela se traduit par le fait que plusieurs personnes interviennent
en commun sur des travaux, par la relecture ou par la modification d’un texte. Un
travail écrit est souvent « revu et corrigé » par trois personnes. Ce principe implique
donc que chacun s’intéresse à tout et se forme à toutes les tâches nécessaires au
fonctionnement de l’entreprise, à la comptabilité comme à la production.
• La non hiérarchisation des salaires :
En ce qui concerne la rémunération, il n’y a aucune hiérarchisation des
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salaires. Chaque personne est payée au même taux horaire, quelque soit le travail
effectué. Cette idée d’égalité entre tous les travaux effectués est née d’un refus que
des différences de « productivité » deviennent des critères de rémunération. Chacun
note les heures qu’elle a réalisées. C’est un système basé sur la confiance entre les
membres. En fait, les membres de La Péniche s’engagent individuellement par
rapport au nombre d’heures qu’ils veulent ou peuvent réaliser par semaine, et
rapportent le temps qu’ils ont réellement travaillé, en fonction de leur contrat de
travail. Pour eux l’important est l’espace de liberté qu’ils se laissent dans leur sphère
« travail » par rapport à des entreprises traditionnelles.
• L’absence de « chef » :
Le principe de gestion collective implique l’absence de chef ou même d’une
personne référente de La Péniche. Toutes les décisions sont prises de façon collective,
sans que quelqu’un soit plus habilité qu’un autre à décider. Il n’y a donc aucune
fonction dirigeant la conduite financière et économique ou la gestion au quotidien,
car selon eux cela peut être facteur de pouvoir. La prise de décision collective peut
parfois être longue, car c’est la recherche d’un consensus qui prévaut sur tous les avis
individuels. Juridiquement, la SCOP est tenue d’avoir un gérant, ce dernier est donc
tiré au sort tous les ans. Mais, dans le cas de La Péniche, ce titre n’a qu’une valeur
officielle. Il n’a aucun pouvoir sur les membres. Pour preuve, tous les salariés ont une
délégation générale de signature du gérant et peuvent ainsi remplir à tout moment
ses fonctions, si nécessaire.
• La réduction du temps de travail :
La plupart des gens à La Péniche travaillent à mi-temps, ou trois quarts de
temps. C’est un des postulats de départ, qui voulait que le travail soit mieux réparti
entre les gens. L’idée défendue est qu’il faut être plus nombreux, pour travailler
moins, individuellement. C’est pour cette raison que les embauches se sont
succédées au fil des ans, la somme de travail était plus élevée, l’activité économique
de La Péniche augmentant.
- 10 -
b- Les outils de cohésion du collectif
• Les réunions hebdomadaires :
Ce mode de fonctionnement exige un fort investissement de la part des
membres et un fort sens du travail collectif. Tous les lundis, une réunion de tous les
membres a lieu, afin de déterminer le travail de la semaine, de le répartir entre eux,
de constituer les groupes de travail et leur objet. Il s’agit également de régler des
questions administratives et logistiques et tout ce qui concerne l’activité de
l’entreprise, de près ou de loin. Ce mode de travail très collectif vise à développer le
partage, la formation réciproque, l’investissement et la prise en charge par chacun,
de l’ensemble des travaux. Ce fonctionnement réclame du temps, qui est
comptabilisé par tous comme faisant partie de leur temps de travail. Mais selon
Sylvain, la durée consacrée à la discussion collective ne disqualifie pas la qualité et la
quantité de travail produit, au contraire.
• Les liens interpersonnels :
La primauté du collectif sur l’individu facilite le développement de liens entre
eux, même si fondamentalement, il n’apparaît pas nécessaire de « s’aimer pour
travailler ensemble. »5 On peut tout de même noter que nombreux sont les gens
travaillant à La Péniche qui sont arrivés dans le groupe parce qu’ils connaissaient
quelqu’un qui y travaillait déjà. C’est notamment le cas de Sylvain qui a introduit
plusieurs personnes de son réseau au sein de La Péniche. Les relations
interpersonnelles sont vécues comme un moyen privilégié pour régler les conflits.
Ces liens sont donc fortement entretenus par différents moyens. Paris et Grenoble
sont en communication constante grâce à Internet. Un micro et des hauts parleurs
sont présents dans les deux lieux et les avancées des différents travaux sont mises en
ligne, ce qui permet, en théorie, de toujours savoir ce qu’il se passe de l’autre côté et
de s’exprimer sur certains sujets. De plus, des séminaires et des repas ont lieu pour
renforcer les liens entre les membres.
5
http://www.la-peniche.fr/principes2.htm#6
- 11 -
D- Activités développées
La Péniche produit des services. Les salariés de La Péniche sont à la fois
rédacteurs, correcteurs et maquettistes. Ils travaillent pour des journaux, des
éditeurs, des sites Internet ou des entreprises. Ils sont notamment spécialisés dans le
secteur de l'économie sociale et solidaire mais plus particulièrement sur la région
Rhône-Alpes. Ceci est un peu moins vrai dans la région parisienne. Les services
produits sont les suivants :
- Journaux : La Péniche édite des titres de presse, publie des journaux de
communication, conseille sur l'identification de public, le développement de projets
éditoriaux et réalise le traitement écrit et visuel de l'information (maquette,
rédaction, animation, correction, suivi de fabrication...).
- Édition : la structure travaille sur la conception, les sommaires, la saisie, l’écriture
ou la réécriture, le secrétariat d'édition, la préparation de copie, la mise en page, le
suivi de fabrication et enfin l’impression de livres. Cependant certaines de ces tâches
sont sous traitées pour des raisons techniques.
- Animation de sites Internet : La Péniche produit des contenus de sites Internet et
intranet. Elle assure le renouvellement de l'information par des mises à jour
régulières et anime également les sites participatifs à partir de groupes de travail.
- Communication : elle conseille sur l’élaboration de messages adaptés à la stratégie
de communication de certains de ses clients (slogan, argumentaire, publi-reportage,
logo ou chartes graphiques).
E- Moyens Financiers
Le chiffre d’affaires s’élève actuellement à 330 000 euros par an. Celui-ci est
en constante augmentation depuis plusieurs années. Cette évolution semble
régulière, elle croît d’environ 10% chaque année. L’augmentation constante de
l’activité, conjuguée à une rentabilité stable (l’objectif n’est en effet pas
l’accumulation des profits mais l’équilibre financier), permet ainsi à l’entreprise
d’effectuer des embauches régulières (une par an en moyenne).
- 12 -
F- Partenaires
a- Une entreprise du réseau REPAS
La Péniche a participé à la création d’un réseau national nommé REPAS
(réseau d’échanges et de pratiques alternatives et solidaires), un réseau informel
d’entreprises désireuses d’échanger sur leurs expérimentations. Par cette initiative,
La Péniche souhaite bénéficier d’un réseau dense d’aide, de soutien et de formation
réciproque, participant au développement de l’entreprise. Elle souhaite également
que, en s’unissant, les entreprises autogérées bénéficient de plus de visibilité en
France. Cette démarche participe donc d’une stratégie de publicisation du
mouvement autogestionnaire dans son ensemble.
La Péniche est pourtant minoritaire dans le réseau REPAS, encore une fois par son
fonctionnement autogestionnaire spécifique, mais également parce que les pratiques
alternatives concernent plus les secteurs agricoles et ruraux dans ce réseau.
b- Une entreprise du réseau des SCOP
Le réseau SCOP Entreprises accompagne à la création, à la reprise, à la
transmission et au développement des SCOP. Il est composé de douze unions
régionales. Ce sont des lieux d’échanges, d’animation et d’information pour toutes les
coopératives de la région. Elles représentent et font la promotion des SCOP auprès
des acteurs locaux : pouvoirs publics, collectivités locales, administrations,
partenaires économiques et financiers. La Péniche n’est pas très active dans ce
réseau, mais elle participe à certaines des réunions afin de promouvoir son modèle de
fonctionnement.
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I Une démarche active du collectif dans le processus
d’intégration
Pour intégrer une nouvelle personne, La Péniche a mise place quelques
mécanismes, à commencer par le repas d’embauche, une attitude de patience et
d’empathie et une formation réciproque permanente. Ces mécanismes s’insèrent dans
une logique d’intégration de principe : le nouvel arrivant est un acteur à part entière,
sur un pied d’égalité avec les autres.
A Le repas d’embauche, un rite initiatique
Tout comme le fonctionnement global de La Péniche, l’entretien d’embauche
est atypique. Qu’elle que soit la manière du candidat de prendre contact avec
l’entreprise (par son réseau amical impliquant une relation plus personnelle et plus
étroite avec l’entreprise ; ou par des procédures standards qui induisent une
approche plus distancée), son entretien revêt une forme assez particulière : le
candidat est invité à partager le repas du midi avec les membres de l’entreprise.
Celui-ci a plusieurs fonctions. Il permet de vérifier que la personne correspond au
profil de La Péniche, qu’elle adhère à ses valeurs et à son fonctionnement. Il propose
une première intégration en reproduisant un rituel quotidien, c’est-à-dire, le repas
collectif. Enfin, il offre un moyen de compléter les connaissances de l’individu sur la
structure.
La décision à La Péniche, devant a priori se prendre sous la forme du
consensus et hors des logiques hiérarchiques, la quasi-totalité des salariés doit être
présente lors de cet entretien. Si ce n’est pas le cas, comme lors du repas d’embauche
de Florian, l’un des derniers recrutés, un second entretien est planifié, afin que la
décision soit collective.
Selon les dires des enquêtés, embaucheurs ou nouveaux embauchés, cet
entretien se fait sous la forme d’une discussion informelle. Celle-ci est censée
permettre au candidat comme aux salariés de vérifier que leurs attentes mutuelles
sont en adéquation. Les questions du postulant semblent généralement orientées sur
le fonctionnement, et celles des salariés portent plus sur les qualités humaines et
- 14 -
personnelles, les centres d’intérêts et sur les motivations à intégrer une structure
autogérée (« l’adhésion au projet »), que sur des compétences professionnelles, ici
rédactionnelles ou de gestion.
Ils viennent manger à La Péniche. On passe le repas ensemble, à discuter.
Pourquoi est-ce qu’il vient ? Qu’est-ce qui veut ? Pourquoi La Péniche ? Etc. Luimême pose des questions, pour voir si tout est en adéquation avec ce qu’il a vu
sur le site. Et en fait c’est pas ça. Bon bref, on parle et ensuite, on…après son
départ, nous on va en parler ensemble : oui, non, peut-être etc et voilà. [Hélène]
Le savoir-être semble donc primordial face au savoir-faire. Cependant, le
niveau scolaire de la majorité des membres de La Péniche (bac +5), permet de
supposer que le savoir est lui aussi essentiel.6 Ainsi savoir et savoir-être vont
permettre d’estimer la légitimité du candidat en tant que personne apte à se
responsabiliser et à participer à un projet collectif. De ce fait, les membres sont plus
attachés à recruter des gens qui aspirent à travailler selon des modes autogérés, que
des professionnels de la communication. Pour autant, si le repas permet de vérifier la
correspondance entre l’individu et la structure, comme tout processus d’embauche, il
n’est pas infaillible.
D’autre part, la forme du repas collectif que prend cet entretien semble
symboliser une première intégration dans la vie de l’entreprise. En effet, au
quotidien, les repas sont toujours pris collectivement dans les locaux de l’entreprise.
La table qui sert au repas est la même qui sert aux réunions et trône au milieu du
local. Cette table symbolise donc un lieu de rassemblement tout autant professionnel
que social. La volonté de faire de La Péniche un lieu de convivialité est en effet très
présente chez les plupart des salariés. Ce moment doit être l’occasion d’aborder
d’autres sujets que le travail en cours.
On essaie de pas discuter de boulot directement pendant le repas… mais d’avoir
plutôt des discussions… sans qu’il y ait une règle écrite, mais d’avoir plutôt des
discussions sur autre chose, quoi. [Alain]
Le rituel du repas a ainsi pour fonction de créer de l’affectif et du dialogue
chez les membres. Pour certains, c’est ce dialogue qui permet de réguler certains
conflits interpersonnels puisque, comme l’énonce Sylvain, à La Péniche, «on résout
6
Cf. III A
- 15 -
pas par la norme hiérarchisée, la force, le supérieur, etc, on résout ça par l’échange,
le dialogue ». Le repas, en permettant la rencontre des membres de l’entreprise,
permet au postulant une première approche affective de ses collaborateurs.
Enfin, le repas ayant lieu dans les locaux, les salariés communiquent au
candidat tous les travaux réalisés par La Péniche : ouvrages, journaux, revues, lettres
d’informations. Il peut aussi consulter les documents de la structure sur l’autogestion
qui lui donneront une idée de cette pratique.
Cette présentation concrète de La Péniche est considérée par Jordane comme
une « phase » de l’embauche. Celle-ci est importante car après son éventuelle
embauche, le candidat n’aura plus de formation à proprement parlé. Il devra
découvrir tous ces éléments au fur et à mesure de son travail, « sur le tas ». D’ailleurs,
Florian regrettait dans son entretien, qu’il n’existe pas de documents récapitulatif de
toutes ces informations. Il estime que cette transmission n’est pas suffisamment
claire et qu’il y aurait besoin de « quelque chose qui résumerait, plutôt que des
sources qui sont éparses ».
Cette phase ne se déroule pas de la même manière à chaque embauche. Pour
Odile, par exemple, cette phase s’est déroulée en amont du repas, lors de la réunion
d’équipe a laquelle elle a assisté : « au fur et à mesure des dossiers on m’a montré ce
qui s’est fait en concret […] et bien sur en trois heures de réunions, tu es submergé
d’informations ». Cette étape de l’embauche est destinée à donner un panorama
global du travail de la structure. La maîtrise de ces informations a lieu bien plus tard,
après un long processus d’apprentissage.
Ainsi, contrairement aux modalités d’embauche qui prévalent dans les
entreprises classiques, La Péniche choisit de ne pas créer une situation extraordinaire
(entretien formel dans un bureau) mais intègre directement le candidat à une
situation des plus quotidiennes de la vie de la structure, le repas. La mise en œuvre de
ce moyen répond de ce fait à la volonté d’une intégration de principe, c'est-à-dire
pleine et immédiate.
- 16 -
B Une intégration de principe
Lorsqu’un individu est embauché, le fonctionnement de La Péniche implique
son intégration instantanée à l’entreprise. En effet, il devient dès lors propriétaire de
l’entreprise au même titre que les autres membres, il est payé au même salaire et il
effectue les mêmes tâches. Si l’on considère les travaux d’Elton Mayo7, et plus
particulièrement ce qu’il a appelé « l’effet Hawthorne », le fait d’avoir une existence
reconnue entraîne une implication plus importante des membres de l’organisation.
C’est apparemment l’effet que les trois éléments cités plus haut ont sur les nouveaux
membres. Odile, arrivée en septembre dernier, estime que « on est intégrés de fait ».
Pour Alain :
Le p’tit nouveau, comme on dit, il arrive, il s’met autour d’la table, il touche la
même somme que les autres, il a le même pouvoir que les autres, et il participe à
l’organisation du travail comme les autres, le p’tit nouveau…ou la p’tite nouvelle.
Donc j’veux dire à partir de là, voilà il est plus nouveau. [Alain]
Les principes de La Péniche consacrent le partage égalitaire du capital entre
ses salariés. A chaque recrutement, s’effectue un nouvel apport en capital d’un
montant égal à celui détenu par chacun des salariés. Les nouveaux entrants apportent
généralement leur capital sous forme de crédit sur leurs salaires à venir. Cette notion
de propriété de l’outil de travail a des conséquences non négligeables dans
l’implication de l’individu. C’est un facteur important de motivation. La place de
l’individu dans l’entreprise est modifiée, du moins du point de vue psychologique.
Avec la possession d’une part du capital, l’existence du nouvel arrivant est effective.
« N’empêche qu’on est tous propriétaires à part égale de la boite, c’est pas rien. »
[Jordane]
Un nouveau salarié est donc payé exactement au même niveau que les autres,
avec un salaire horaire de 13 euros, décidé collectivement, même si sa productivité est
au départ bien inférieure. De plus, les lacunes de compétences, dues à une relative
méconnaissance de la profession, n’ont pas d’effet négatif sur la rémunération des
nouveaux. La Péniche les investi donc dès le départ au même niveau que les autres.
Pour Jordane,
Conclusions des travaux d’Ethon Mayo publiées par F.G Roethlisberger et W.J. Dickson in
Management and the worker, 1939.
7
- 17 -
Le salaire unique il crée une pression très intégratrice. Quand tu arrives à La
Péniche et que tu sais rien faire et on te dis t’es payé exactement la même chose
[…] tu te dis waou… je compte, c'est pas pour du beurre, je suis pas un apprenti à
deux francs cinquante à qui on demande de faire des cafés et j’en ai rien à branler.
Ça te met une vraie pression sur toi.
Cette pression impliquerait donc une volonté de progresser, d’acquérir une meilleure
connaissance du travail, pour gagner en efficacité. Cela nous renvoie à la notion de
salaire d’efficience, mécanisme selon lequel on paie un salarié au-delà de ce qui
correspondrait à sa productivité horaire, afin de le pousser à travailler plus8.
Lorsqu’un nouveau salarié arrive à La Péniche, la structure essaie de le
responsabiliser le plus possible afin qu’il intègre plus rapidement le travail et le
fonctionnement de La Péniche. « Responsabiliser les gens et ben, ça c’est sûr que
c’est
les investir un peu plus dans leur boulot, que s’ils n’étaient pas
responsabilisés » [Hélène]. Il leur sera demandé de s’investir dans les diverses tâches
de l’organisation, même si cela ne correspond pas à leurs dispositions naturelles. Les
nouveaux salariés étant toujours étrangers à au moins une des activités (rédaction,
gestion, prospection…) ou au secteur de l’Economie sociale et solidaire dans lequel La
Péniche exerce, ce système permet de les former.
Hélène, dans son entretien, se souvient de son premier article :
Je devais rencontrer toutes les associations, je ne savais rien de rien de rien du
truc mais c’était mon premier article et j’ai mis douze heures pour l’écrire là où il
en aurait peut-être fallu deux ou trois pour les autres. [Hélène]
Lorsque Jordane évoque l’arrivée de Florian, on s’aperçoit que très vite ce
dernier a été poussé dans des domaines différents de celui de la rédaction qu’il avait
déjà pratiquée dans son emploi précédent. Selon Jordane, « la première chose sur
laquelle il est formé c’est la gestion de l’info… ça c’est une bonne porte d’entrée… Il
fait tous les premiers rendez-vous commerciaux avec Alain ».
Les
rendez-vous
commerciaux,
semblent
être
un
moyen
privilégié
d’intégration. Ils comportent un double intérêt : former à l’un des métiers de La
8
Carl Shapiro, Joseph Stiglitz, in American Economic Review, n° 74 (3), 1984
- 18 -
Péniche, et porter le discours et les valeurs de la structure à l’extérieur en se
l’appropriant.
Jordane, lui aussi a été envoyé à son arrivée dans ce type de travail.
On a un gros client qui s’appelle « Territorial »[…] tous les ans on a une réunion
commerciale avec eux […] quand je suis arrivé ils représentaient plus d’un tiers de
notre chiffre d’affaire… On m’a envoyé à Voiron, alors que cela faisait un mois que
j’étais à La Péniche pour aller discuter avec le patron de Territorial. C’est à la fois
très intimidant, mais c’est une super manière de responsabiliser. [Jordane]
En ayant la volonté de considérer, par principe, le nouveau membre comme un
collaborateur à part entière et en le poussant à se dépasser et à se former sur des
nouveaux travaux, dès le départ, La Péniche les intègre dans son activité.
C Une stratégie d’intégration par l’empathie et patience
Si le collectif marque l’intégration des nouveaux venus par quelques « rites »
(le repas d’embauche, qui est déjà un premier pas dans La Péniche, par exemple) ou
quelques usages (comme le premier rendez-vous commercial), il y a avant tout « une
formation sur le tas tout le temps9 ». Plus encore, Christian insiste longuement, en
réponse à la question de savoir si ils ont « réfléchi à l’intégration » : « on met pas de
dispositifs en place, rien, vraiment ! » C’est Hélène et Jordane, notamment, qui nous
apportent en fait des éléments de réponses plus précis, nous montrant en quoi
l’intégration se fait finalement dans la durée – ce qui est assez intuitif – par la
patience et l’empathie des anciens envers les nouveaux.
S’intégrer à La Péniche, n’est pas tâche facile tant l’organisation et ses
membres paraissent soudés par le principe d’autogestion et sa mise en œuvre.
L’égalité de principe n’est pas une chose aisée à vivre, à accepter, le nouvel arrivant
pouvant se sentir « illégitime ». Hélène explique ; « c’est vrai que moi quand je suis
arrivé à La Péniche, je me sentais complètement illégitime à prendre des décisions
sur ce genre de questions, je venais d’arriver, je connaissais rien des gens, enfin oui
[…] J’ai tout appris sur le tas. » Ainsi le nouveau salarié de La Péniche, qui est aussi
un nouveau propriétaire (cf le statut de SCOP), est amené à devoir prendre des
9
Jordane, après avoir développé l’exemple de Florian et de son intégration les premiers jours.
- 19 -
décisions, avec en théorie le même pouvoir que les autres, sans qu’il n’ait été
particulièrement formé. Cela ne se fait pas sans peine. Les encouragements à
s’exprimer en réunion, les lundis principalement, viennent donc de tous.
Ce point est bien mis en avant par Jordane ou Hélène. Jordane se force luimême, en tant que « grande gueule » à se taire parfois, pour laisser parler les plus
réservés, ou les nouveaux. Hélène va dans le même sens : « peut-être que de temps en
temps tu te dis « d’accord laissons le parler, il parle moins que moi »… » Par son
histoire, elle nous permet en fait de mieux comprendre ce processus. Elle rappelle
que lorsqu’elle n’avait pas les moyens de prendre part à la décision, on a pris le temps
de lui expliquer les enjeux, les éléments à maîtriser, pour ensuite mieux pouvoir
s’exprimer :
Bon dans les grandes décisions je savais pas quoi dire : pour proposer tel
tarif à un client plutôt qu’à un autre, qu’est-ce que j’en sais voilà ! Enfin on
m’a expliqué « bah voilà il faut prendre en compte les charges sociales, donc
ça veut dire que dans ton devis va falloir que tu mettes ça » OK, alors là je
peux avoir une opinion. [Hélène]
Mais le plus important dans son propos vient juste après : « on essaye de donner à
tous les instruments pour avoir la même, le même pouvoir de décision. » Cette
transmission des savoirs prend du temps, elle n’est pas immédiate. Nous y
reviendrons plus précisément dans le paragraphe suivant. Aussi et surtout la
démarche collective d’autogestion requiert un apprentissage.
Il convient de remarquer ici qui si Christian nie toute démarche formelle
d’intégration, quand bien même il se souvient avoir été plus investi dans cette
dimension de La Péniche auparavant10, Jordane et Hélène, les « anciens-nouveaux »
sont eux beaucoup plus portés vers l’accueil des nouveaux venus. D’une part, ils ont
eux-mêmes vécu cette expérience, longue parfois, de l’intégration. D’autre part, ils se
sentent aujourd’hui la légitimité d’intégrer de nouvelles personnes. Florian est
presque porté à penser la même chose, alors qu’il n’est que depuis six mois à La
« C’est une vraie question par rapport à l’accueil des nouveaux sur laquelle j’étais beaucoup plus
offensif avant. Je pense que je me suis un peu fatigué. C’est peut-être à analyser. J’étais beaucoup
plus offensif les 5-6 premières années, c'est à dire, je faisais en sorte que…d’apprendre aux autres
comment on fait un bilan de gestion, qu’est-ce que ça voulait dire ? Mais aussi pour l’écriture… » Cf.
II C
10
- 20 -
Péniche.
Est-ce que du coup toi aujourd'hui tu te sentirais prêt à accueillir quelqu’un dans
la structure ?
Oui, oui, carrément, bien sûr…
[…] Dans quelle mesure ?
Parce que tu connais le problème et que t’es à même de suivre quelqu’un, tu vois,
qui est susceptible de connaître le même parcours, enfin voilà, puis c’est bien qu’il y
ait des gens nouveaux, faut ouvrir la fenêtre des fois… [Florian]
Pour autant lui-même admet se situer encore dans une phase « d’observation
participante11 »…
D’autres faits tendent à laisser penser que la structure sait user de patience, de
compréhension pour intégrer ses nouveaux membres. Deux éléments sont assez
marquants.
D’une part, il n’y a pas de productivité attendue chez le nouvel arrivant. Cela
tient certainement au fait que ce ne sont pas des compétences que La Péniche
recherche, mais une disposition particulière qui serait la capacité à accepter et porter
les principes de l’autogestion12. Encore une fois, c’est Hélène qui nous apporte des
indices : « peut importe que tu, toi tu écrives l’article en une demi-heure, pendant
que d’autres l’écrivent en trois heures, c’est pas mon problème, si t’as besoin de trois
heures pour le faire et ben tu prendras trois heures ! On a tous été débutant à La
Péniche. » Et d’évoquer alors son premier article… La question de la rentabilité, de la
productivité d’un salarié, ne peut faire l’objet d’une pression sur ce dernier pendant
son processus d’intégration. Ce n’est seulement qu’à long terme que cela pourrait se
poser, et encore une fois, la discussion serait collective.
L’autre point qui souligne la patience et l’empathie dont les membres de La
Péniche font preuve à l’égard des nouveaux, c’est la permissivité des temps de
présence. Ce temps n’est pas à concevoir comme le temps de travail quotidien, mais
plutôt comme l’alternance de périodes salariées dans La Péniche et de périodes en
dehors. Les cas d’Hélène, de Stéphanie et de Myriam illustrent cette souplesse.
11
12
En référence à notre propre démarche de recherche !
Idée que nous développerons en troisième partie.
- 21 -
Hélène, entrant dans La Péniche et achevant ses études, a pu partir quelques mois au
Niger pour continuer sa thèse. Christian évoque le cas de Stéphanie :
[Stéphanie] a eu beaucoup de mal à s’intégrer en fait […] Elle a passé son temps
à partir, puis à revenir ; pas partir vraiment, mais elle est partie un an au
Maroc, puis elle revenue, puis elle est repartie 3 mois en Allemagne. Puis elle est
revenue. Là aussi d’ailleurs je nous trouve…[rires]
A ce stade du commentaire il sous-entend, comme c’est le cas avec Myriam
nous allons le voir, que la structure a une capacité à supporter des comportements,
qui ailleurs poseraient problèmes. Myriam elle symbolise cette patience de La
Péniche vis-à-vis de ses nouveaux membres. « Elle est partie en congé maternité, et
puis après elle est partie au Maroc, elle aussi [rires], et puis après revenant du
Maroc elle s’est installé à Lyon13. », où elle travaillé seule pour La Péniche, avant de
rejoindre Sylvain à Grenoble.
Olivier, qui raconte aussi l’histoire de Myriam conclut ainsi « non, ouais
l’intégration, elle est assez difficile, assez difficile…mais on y arrive quand même. »
« On y arrive quand même… », cette phrase dénote bien du temps qu’il a fallu laisser
à Myriam, mais aussi à La Péniche en définitive, pour que l’intégration se fasse.
Jordane, encore une fois, développe cette lente maturation du collectif et de l’individu
dans l’intégration, et la patience que cela nécessite :
Les gens ils rentrent, ils font leur… ce qu’ils peuvent, de leur mieux… et puis… et
puis nous essaie de s’adapter et puis on voit euh… c'est long. Euh… intégrer à La
Péniche, c'est long.
D L’insertion permanente de l’individu dans le collectif
Si cette intégration est longue, et sans doute pas toujours simple14, il y a aussi
un souci constant d’insérer toujours plus les personnes dans le collectif, dans la
démarche, dans le travail. En quelque sorte, si l’intégration est réussie, il faudrait
aller encore plus loin. De nombreuses fois d’ailleurs au cours de cette enquête, et
notamment dans le cadre de conversations informelles autour des entretiens, nous
avons perçu l’ambition et la recherche quotidienne d’une adéquation parfaite entre
La description des membres de La Péniche par Christian est une source d’informations importantes
pour les données biographiques…
14
II A
13
- 22 -
une pratique et des idées. Pour cela, le collectif tente en permanence d’intégrer
toujours plus les nouveaux venus, et les moins nouveaux, dans son projet. La
démarche d’intégration semble n’avoir jamais de fin.
Florian arrive… la première chose sur laquelle il est formé c’est la gestion de l’info…
ça c’est une bonne porte d’entrée… Il fait tous les premiers rendez-vous
commerciaux avec Alain… Euh moi quand je suis arrivé à La Péniche c’était pareil.
Mmm mmm… En fait il y a une formation un petit peu… entre les membres… ?
[…] Il y a toujours quelqu’un à La Péniche qui sait un peu plus… pour
l’informatique… pour la compta… ou d’un point de vue… sur un aperçu historique…
sur un sujet sur lequel on doit écrire… […] C’est vraiment l’intelligence collective qui
fait… qui fait la force de La Péniche… [Jordane]
Jordane lui-même semble avoir pris un petit peu en charge la formation de Florian.
Mais cela, encore une fois, n’a rien de formel. Ainsi Florian ne nous le dit pas de luimême, il faut que nous lui en parlions pour qu’il développe15…
Mais cela n’est qu’une étape, ces premiers pas, que nous avons déjà
développés. La formation ne cesse de se poursuivre, à toutes les dimensions de La
Péniche. Écriture, comptabilité, PAO, démarchage, suivi clients, etc, les métiers de La
Péniche sont divers et quand il s’agit de faire vivre la non-spécificité, il faut aussi sans
cesse se former. Christian rappelle qu’aux débuts, avec Sylvain, ils se sont apportés
mutuellement, bien que Christian soit plus âgé.
Avec Sylvain le rapport a été immédiatement, totalement, égalitaire, donc…j’avais
rien à lui apprendre. […] On s’est beaucoup appris mutuellement dans le travail,
mais euh c’était pas intellectualisé…[Christian]
Alain, membre « historique » lui aussi, présente une certaine appréhension à
ce que Florian puisse faire du dessin avec des arguments qui vont dans ce sens : le
dessin ne peut pas s’apprendre à La Péniche, à l’inverse de l’écriture, ou du
démarchage. Le dessin pourrait devenir une activité spécifique, réservé à certains et
ainsi source de pouvoir.
On a toujours un peu l’idée que sur ce genre de chose, on peut apprendre, en plus
c'est des choses dont moi je me suis un peu retiré parce que des gens les ont pris et
15 « Et alors ça c’est plutôt avec Jordane ?
Alors sans doute d’avantage avec Jordane qu’avec un autre, davantage avec Jordane, mais dans
l’orientation au niveau des clients, moi, j’ai pu questionner les uns les autres sur la question. Fin tu
vois… »
- 23 -
moi je préférais aller ailleurs, mais je peux faire de la gestion, de la compta, ou je
peux faire de la maquette, quoique il faudrait que je réapprenne pas mal de
choses, parce que j’en fais plus, du tout, j’en ai un peu fait au début dans La
Péniche, mais bon. Le dessin, c'est pas pareil, tu vois l’apprentissage du dessin,
c'est…[Alain]
Il faut noter cependant, qu’au-delà de cette volonté de se former tout le temps,
une certaine spécialisation s’opère quand même, où le degré de technicité n’est pas
identique (les exemples types restent la comptabilité ou la PAO).
Il n’empêche que cette insertion ne passe pas seulement par l’acquisition de
compétences, ou par une empathie des anciens envers les nouveaux. Cette intégration
passe aussi par le rappel des limites, et cela autant aux nouveaux, qu’aux anciens.
Hélène remarque que les conflits liés à la répartition du travail sont rares, les rappels
à l’ordre qui pourraient en découler sont donc limités aussi. Nous avons eu tout de
même l’occasion d’observer un tel événement lors de la réunion à laquelle nous avons
pu assister :
Lors de la répartition du travail hebdomadaire, Florian ne se charge que de
brèves à rédiger sur internet. Alain intervient alors pour demander à Stéphanie si la
répartition entre eux a bien été faite car « il a un nombre d’heures à faire, il faut
quand même qu’il ait du travail ! » Dès lors, Florian récupère un travail, que
Stéphanie s’était engagée à faire juste auparavant. [réunion collective du lundi 31
octobre 2006]
Cela corroborerait les propos de Jordane pour qui La Péniche est « pleine de
règles », ou ceux de Christian qui admet qu’ils sont « normés ». Plus largement cela
conduit-il à des rappels à l’ordre réguliers comme celui que l’on a observé ?
Avec Cédric, la personne qui a eu le plus de mal à s’intégrer, ce qui a d’ailleurs
été jusqu’à un départ, les remarques ont été nombreuses, sur sa façon de travailler
principalement. Hélène nous présente les différentes étapes des mises au point
successives jusqu’à son départ :
On en a parlé parce que y’a eu plusieurs réunions, une première fois il a dit « Je
pars », et on lui a dit « Mais non réfléchis bien », parce qu’on était pas sûr nous non
plus, parce que bon on faisait des choses pour l’intégrer aussi. Est-ce qu’on était pas
en train de foirer nous aussi, de notre côté. Donc la première fois on lui dit « non
- 24 -
mais reste ». Y’a eu une deuxième réunion où ça été un peu plus dur, on a mis les
choses à plat, bon ça s’était pas amélioré, ça n’avait pas changé, etc. Une troisième
enfin où s’était, d’un commun accord, « bon bah c’est temps qu’on mette fin à notre
collaboration et voilà » [Hélène]
On le voit, ces rappels à l’ordre successifs témoignent à la fois d’une volonté de remise
en question de l’équipe, mais aussi de la capacité de cette dernière à être patiente et à
ne pas entrer en conflit frontalement.
Cet exemple est certainement celui qui a conduit au plus à des recadrages
affirmés. D’autres, plus précis, plus anodins peut-être, mais non moins essentiels, ont
été évoqués. Ainsi, Christian se permet, pendant l’entretien que nous avons eu, en
plaisantant, d’interpeller Stéphanie et de lui rappeler que lorsqu’elle rédige un article,
elle est bien souvent trop longue. Dans le cadre de son explication du travail collectif
de rédaction à La Péniche, il s’arrête sur les réajustements qui s’opèrent :
Ça peut être simplement repasser le texte et voilà il se le relit, ça peut être aussi
qu’on fasse des remarques, qu’on leur dise « C’est pas comme ça qui faut faire,
c’est comme ça ! » ou bon remarque, à Stéphanie [se tournant vers elle] on lui dit
toujours qu’elle devrait faire plus court ! [Christian]
Alain évoque les rappels à l’ordre le concernant. Étant le seul membre de La
Péniche vraiment investi dans le démarchage, ses collègues se permettent parfois de
tempérer ses nombreuses initiatives. Il développe :
C'est loin d’être évident de savoir qu’est-ce qui est pertinent de faire… à quel
moment il faut aller voir des gens en particulier, à quel moment il faut participer à
tel ou tel colloque ou telle ou telle rencontre […] Après ben oui on est toujours un
peu sur une espèce de tension, de négociation, de dire « ouais mais il faut y aller,
non il faut pas y aller »… euh… on s’interroge soi-même, les autres t’interrogent…
En terme de reproches, on essaie de pas trop se reprocher des choses dans La
Péniche mais de réfléchir ensemble sur la manière de les faire… C'est un paysage un
peu idyllique de le dire comme ça… on s’engueule des fois, on s’engueule, ou des
fois il y a des gens qui disent… ou qui le disent pas, mais qui en ont… sur la patate.
Mais on sait aussi à certains moments différer le moment où on va parler des choses
de manière à ne pas en parler sous l’emprise de la colère ou… bon. Mais on essaie
quand même de pouvoir en parler… [Alain]
Les rappels à l’ordre ne se formalisent donc pas toujours dans l’immédiat. Christian
admet qu’ils « ont beaucoup de mal, certains d’entre-nous, particulièrement les plus
- 25 -
anciens, Sylvain et moi, à dire aux gens ce qu’ils ont à faire. » Et de développer alors
sur l’exemple de Florian qui lit à table : « pour l’instant on a jamais dit à Florian de
ne pas lire à table, mais après tout, ça pourrait venir ! »
Peut-être dans le cadre de leur réunion hebdomadaire ? Car c’est bien cette
rencontre « rituelle » qui permet de cadrer les activités et les comportements de La
Péniche. « Cette réunion du lundi, c'est… notre âme, c'est notre… Alors elle a un
aspect très technique puisqu’on parle des boulots ; mais on ne parle pas que des
boulots, on parle de la gestion, éventuellement on se dit aussi quelques petites
choses… »
L’intégration est un processus lâche, informel et peu institutionnalisé, où en
définitive, le seul instrument mis en en place est le repas d’embauche. Celui-ci
intervient paradoxalement avant même l’arrivée formalisée de l’individu à La
Péniche. L’intégration est alors une intégration de principe, qui doit être complétée et
concrétisée par un processus d’apprentissage long et continu. C’est ici que peuvent
surgir les difficultés, tant pour l’individu que pour le collectif.
- 26 -
II « Les nouveaux, c’est difficile à intégrer » : une
intégration qui semble peu évidente
Face au constat que l’intégration est longue et que l’interaction entre l’individu
et le groupe déjà constitué n’est pas toujours vectrice d’intégration, cette dernière est
désormais vécu, par La Péniche, comme une question devant faire l’objet d’une prise
en charge collective.
A L’intégration, c’est long : un constat partagé
Il est évident que, pour les nouveaux arrivants, un temps est nécessaire
pour assimiler toutes ces étapes. En ce qui concerne Hélène, une année lui a été
nécessaire pour qu’elle se sente « légitime » au sein de La Péniche, mais il lui a fallu
trois ans pour bien maîtriser les dossiers et pouvoir prendre part aux décisions
collectives. Pour Jordane, un an également a été nécessaire pour qu’il se sente à l’aise
au sein de La Péniche et qu’à la fois, il puisse exprimer son opinion lors des réunions
hebdomadaires.
A ce stade, nous nous posons encore aujourd'hui la question de savoir si la
posture de l’individu peut jouer un rôle dans la durée nécessaire à l’intégration. Nous
faisons ici référence à la différence de posture des deux derniers arrivés, Odile et
Florian :
Moi je suis arrivé, avec un petit carnet d’adresse, pouvant être utile à La Péniche et
je suis arrivé aussi ici avec le souci d’y apporter quelque chose, et tant que faire ce
peut lucratif,[…] et puis mentalité active, essayer de placer, dans le souci
d’apporter des choses un peu lucratives, d’apporter des outils de compétences
timides, euh, en matière de dessin [Florian]
Je suis vraiment dans une attitude d’apprendre, d’apprendre mon métier nouveau
on va dire…voilà…[…] J’ai vraiment à acquérir des réflexes de rédaction avant
d’aller plus loin. Je suis arrivée avec cette idée de prendre le temps de
comprendre, de prendre le temps d’acquérir certains réflexes et le reste arrivera
derrière un peu naturellement je dirais. Je le vois comme ça. […]Je me suis mise
dans une certaine attitude d’ouverture et d’apprentissage et de comprendre
comment ça se passe, d’une façon empirique, pour que…..je suis pas arrivée avec
des présupposés, je suis pas arrivée avec des envies particulières, je suis arrivée
- 27 -
pour essayer de comprendre comment ça fonctionnait et avec une curiosité
euh…acérée.[Odile]
Nous constatons en effet que Florian s’inscrit dans une démarche active et dans
l’initiative tandis qu’Odile se laisse du temps pour « voir et comprendre ». Les
initiatives de Florian ne peuvent-elles pas devenir un frein à la rapidité de son
intégration, en remettant en cause le fonctionnement qui prévalait jusqu’alors ? Les
membres de La Péniche ne vont-ils pas trouver Odile trop attentiste, allongeant ainsi
la durée de son intégration ? Dans l’état actuel de notre étude, nous ne sommes pas
en mesure d’y répondre. Par contre, la question de la longueur du processus
d’intégration reste posée.
Cette dernière est liée au sentiment de légitimité, évoqué entre autre par
Hélène. La capacité à prendre des décisions ne peut être immédiate, c'est un
processus lent, puisque l’individu acquiert progressivement la connaissance des
clients, les données comptables, la « patte Péniche » [Hélène], etc. De même, il faut
se sentir bien dans le groupe, afin de se percevoir comme un acteur légitime et
pouvoir donner son avis. En effet, le nouvel arrivant ne se sent pas forcément en
mesure, en fonction de son expérience, de critiquer un point que les plus anciens
veulent mettre en place ou travailler.
Pour Odile, la dernière arrivée dans l’entreprise, le sentiment de légitimité
passe par les connaissances :
Non, parce qu’il y a plein de choses qui m’échappent, donc je suis dans les
décisions comme dans le reste, en apprentissage. […] C’est vrai que pour l’instant,
je me tiens surtout à essayer de suivre, à essayer de comprendre et d’évaluer un
peu en retrait peut-être. J’attends de connaître, mais c’est vrai qu’il y a certains
dossiers qui me paraissent plus clair parce qu’ils sont locaux. […] Mais c’est vrai
qu’il faut un temps d’observation moi j’ai pas l’impression d’avoir fini d’observer
les choses et de comprendre. Je sais pas combien de temps ça fait, ça doit prendre,
mais bon, c’est peut être pas plus différent que quelqu’un qui intègre n’importe
quelle entreprise. [Odile]
Le discours de Florian semble démentir l’idée que l’intégration serait longue.
En effet, Florian se considère comme intégré, depuis le premier jour de son arrivée. Il
faut en distinguer deux acceptions de la notion d’intégration, qui coexistent dans les
- 28 -
représentations des enquêtés : l’intégration signifie d’une part l’intégration de
principe
16
(par le salaire égal par exemple) et d’autre part, renvoie à un processus
d’insertion qui s’inscrit dans la durée (Hélène trois ans, Jordane un an). Florian
exprime cette double posture à travers le terme d’ « observation participante » :
C’est pas qu’une observation, je me sens pas en dehors, tu vois ce que je veux dire,
pour que peut-être je sois plus dedans, mais je pense que le temps …voilà c’est une
question de temps, voilà…..mais encore une fois, pour l’être pleinement, moi je me
sens complètement dedans. [Florian]
Pour autant, si l’intégration est un processus long, la « non intégration » se
perçoit très vite et les deux pôles, individu et équipe prennent rapidement conscience
qu’ils ne pourront pas travailler ensemble. Avec Cédric, les différences de méthode de
travail se sont très vite manifestées et d’un commun accord, il est sorti du groupe
après seulement trois mois passés au sein de la structure. Ainsi, si l’intégration se fait
au fil de l’expérience, de la prise de responsabilités et de cette sensation d’être La
Péniche, d’être le collectif, dans le sens opposé, les départs, s’ils doivent arriver faute
d’intégration, sont assez rapides et se font vite sentir comme nécessaires.
B « La mayonnaise prend ou pas » : la difficulté de l’interaction
« Le collectif, c'est prenant et frustrant », selon Jordane. Il faut accepter la
valorisation du collectif, car la valorisation individuelle ne prédomine pas. Il faut
pouvoir prendre les décisions en collectif car le groupe prévaut sur l’individu.
Certains membres de La Péniche ont des projets sur lesquels ils aimeraient travailler
dans le cadre de la coopérative, mais ils ne le font pas car il n’y a pas encore de
consensus sur leur projet (dessin pour Florian, cuisine pour Alain, soutenir Politis
pour Jordane, …)
Pour Sylvain, l’interaction, « ça dépend des gens, ça dépend de nous ». Ainsi
c'est « en bossant ensemble » que l’interaction a lieu. Pour cela le travail collectif
prend une dimension importante dans le processus d’intégration. De même, le temps
16
Cf. I-B
- 29 -
que les membres de La Péniche passent ensemble est essentiel dans cette démarche17.
Jordane confirme ce point en parlant de l’importance de la présence physique au sein
de La Péniche.
Si « la mayonnaise prend ou pas » [Sylvain], pour Alain cela tiendrait du
hasard. Selon lui, le recrutement pourrait se faire en jetant tous les curriculum vitae
dans un escalier et en en choisissant un au hasard. Ainsi, selon lui, il n’y a pas de règle
ou de caractère spécifique à l’individu qui soit essentiel dans ce processus, le
recrutement et l’intégration de l’individu serait le fruit du hasard. Pour Alain, cela va
dépendre du contexte, de la situation familiale, de l’envie, du moment que l’individu
traverse. Nous pouvons en douter, puisque tous sont diplômés à bac +5 (sauf Olivier)
et mettent en œuvre des compétences de rédaction, de
comptabilité, … Ainsi
Christian constate : « Il faut avoir en gros un bac +5 pour travailler, y’a quand
même le moins qu’on puisse dire pas de mixité sociale. » Le hasard semble donc
tempéré par des exigences professionnelles ou de formation18.
La personne doit s’adapter et le groupe aussi, nous a confié Alain en entretien.
Pour Jordane, si la « mayonnaise » ne prend pas, c'est parce qu’il y a un défaut
d’information. Une fois de plus, nous revenons sur l’importance de l’investissement
personnel de l’individu dans la structure collective afin de pouvoir s’intégrer et
interagir avec chaque membre. De plus, la communication est essentielle au sein du
groupe pour assurer la pérennité de l’activité. Christian s’attarde un peu sur l’exemple
de Florian :
Il demande pas, c’est… (tu vois Cédric était pareil, on hallucinait toujours), c'est à
dire que mais oui, oui : il se pose une question, il décroche son téléphone pour la
poser à quelqu'un. Il suffirait qu’il nous demande. Et en plus il fait peut-être une
connerie ! Il décroche son téléphone, il appelle quelqu'un qu’on connaît très bien
et… qui va pas comprendre pourquoi il est appelé par quelqu'un de La Péniche…
[…] et donc ça ça peut faire des grandes pertes de temps aussi, c'est à dire il s’est
mis sur des choses on les a déjà écrites. Il suffit de demander, on les a déjà écrites
trois fois, il suffit de redemander… [Christian]
En conséquence, c’est à l’individu d’entrer dans une démarche active de recherche
d’informations. C’est également au groupe de rendre ces informations disponibles.
17
18
Cf. III B
Cf. III A
- 30 -
Ainsi la réunion du lundi, en tant que mise en commun de l’information, est un
instrument d’intégration.
Selon Odile, si l’un des coopérateurs est en difficulté, un autre qui a moins de
travail peut venir le soulager dans sa charge de travail. Ainsi l’attention réciproque,
en tant qu’elle est une forme d’interaction parmi d’autres, est importante :
Et même après dans la semaine aussi si je vois que dans la semaine mon boulot
c’est très lourd, j’ai beaucoup de choses, etc, par exemple un autre dit bah moi j’ai
fini toutes mes urgences de la semaine, est-ce que je peux décharger quelqu’un
Ok ? Bah ouais, tiens prend mon article. On est tout le temps en train de recadrer
les choses quoi ! Suivant notre disponibilité en gros quoi. [Odile]
Hélène atteste cette attention mutuelle que les membres de La Péniche ont
entre eux. Tout comme l’échange d’information est important, le partage du travail
est un instrument d’intégration.
Cependant, la distance qui sépare les deux bureaux, celui de Paris et celui de
Grenoble peut poser problème sur cette question de l’interaction. En effet, Odile nous
a confié : « Et c’est vrai que je fais une différence avec Paris qui est beaucoup plus
loin, qui se passe à travers le micro. » Et, du fait de cette distance, elle s’occupe
beaucoup plus de dossiers locaux, relatifs à Grenoble et donc n’intervient pas trop sur
ceux de Paris. Ce point de la distance met clairement en évidence la question de la
difficulté de l’interaction.
Toutefois, comme il n’y a pas de hiérarchie entre les membres de La Péniche,
cela facilite l’interaction. Tous les éléments sont donnés pour qu’elle ait lieu. Pour
autant, d’après Alain, cela va dépendre du contexte, du moment que le groupe ou
l’individu traverse. Et, comme il n’y a pas de règles écrites, pas de « règlement
intérieur », selon Jordane, il ne faut pas formaliser ni l’organisation du travail, ni les
échanges interpersonnels, ni même l’intégration au sein de La Péniche pour que
l’alchimie se fasse. Ce serait justement en formalisant les processus que La Péniche
pourrait se retrouver face à une impasse.
- 31 -
C Une démarche de remise en question par l’équipe
La thématique de l’intégration de nouveaux membres pose aujourd’hui
question à La Péniche. En effet, depuis cinq ans, toutes les personnes arrivées durant
cette période sont reparties, pour des raisons diverses. Finalement, dans le groupe
ainsi constitué aujourd’hui, ne subsistent que des personnes qui ont plus de cinq ans
d’ancienneté et deux nouveaux venus qui n’ont que quelques mois d’expérience à La
Péniche19.
Si on laisse de côté les nouveaux venus, Odile et Florian, tous les enquêtés vont
nous faire part des interrogations engendrées par cette donnée durant l’entretien. On
peut citer ici pour exemple Sylvain, un des fondateurs qui décrit très bien la remise en
question que tous ces départs ont induite :
C’est une interrogation qu’on a effectivement. C'est-à-dire que depuis 4ans, 45ans, les gens qui sont venus, sont pas restés. On verra avec Florian et Odile, mais
c’est une interrogation qu’on se pose. Alors à chaque fois, ils ont tous des bonnes
raisons, mais c’est jamais des clash ou je sais pas quoi, mais on
s’interroge. [Sylvain]
Et plus loin :
Je pense aussi que le fait qu’on n’ait pas réussi à garder des gens depuis
récemment, ça doit nous interroger quoi. […] Tu vois à chaque fois c’est des
raisons. Y’en a une qu’a envie d’aller en Amérique Latine, l’autre qui veut être
pigiste, journaliste. C’est bien qu’au bout le fonctionnement tel qu’on l’a les
accroche pas suffisamment pour rester. [Sylvain]
Olivier, un autre fondateur, avoue ne pas comprendre le fait que des gens
puissent ne pas se plaire à La Péniche et la quitter : « Moi ce qui m’étonne, c'est que y
a toujours des gens qui s’en vont de La Péniche et je comprends pas pourquoi ! » Et
plus loin : « Oui mais ils savent pas vraiment pourquoi, ça leur plaît pas, parce que
on n’arrive pas à être bien dans La Péniche et ça, moi je comprends pas pourquoi. »
Enfin, on peut également donner l’analyse de Christian :
19
Pour ces données, se référer au tableau récapitulatif de la partie suivante.
- 32 -
On aurait pu continuer à s’interroger collectivement, je sais pas, j’en sais rien. Je
pense qu’il y a un problème. Je sais pas à quoi l’attribuer ; enfin si, si. J’ai une
vague idée à quoi l’attribuer, mais y’a un problème. […] On a suivi une évolution
qui va pas. Les nouveaux venus veulent plus rester, donc ça va pas ! [Christian]
Par ailleurs, il semble que cette interrogation ait été transmise aux nouveaux
venus, Odile et Florian, qui l’ont intégrée. On donnera ici l’exemple de Florian :
Comme l’a dit Christian à la réunion qu’on a eu…collective, le fait que bien des
gens soient pas restés à La Péniche depuis cinq ans, oui, ça, ça….je pense qu’il faut
renouveler, renouveler dans une certaine mesure, il s’agit pas de….mais je pense
que la structure elle gagne à….elle gagne à s’aérer aussi, voilà…. [Florian]
Comment les membres de La Péniche interprètent-ils ces départs ? Ici, les
conceptions divergent d’un enquêté à l’autre. Sylvain tente de résumer les différentes
positions :
Alors le problème c’est ça, c’est qu’il y a débat entre nous. C’est très…pour certains
c’est signe qu’on se sclérose un peu qu’on a du mal à s’ouvrir à des nouveaux. Pour
d’autres c’est quand même aussi les gens qui font des choix quoi. Bon, je
caricature un peu les deux positions. [Sylvain]
La question est donc de savoir si le responsable de l’échec est l’individu, soit parce
qu’il n’est pas capable de « travailler en collectif » - cas incarné par Cédric selon
beaucoup d’enquêtés - soit parce que ses envies personnelles vont l’éloigner – cas
incarné par Sarah - ; ou si le responsable est le groupe, trop contraignant et qui laisse
peu de place à la nouveauté apportée par l’arrivant.
Sylvain semble, pour sa part, pencher du côté de l’hypothèse d’un groupe
contraignant. Durant l’entretien, il s’interroge : « Je pense qu’on a peut-être des
fonctionnements qui sont trop lourds à gérer tout de suite ou trop je sais pas quoi ».
Cependant, sa position ne remet pas en question le groupe constitué. Pour lui, le
problème réside
principalement
dans l’amélioration
de l’apprentissage du
fonctionnement de La Péniche. Par exemple, à propos de la répartition du travail :
Ça se fait de manière un peu informelle, et du coup je pense que ça peut être une
des choses un peu déroutante pour quelqu'un qui débarque à La Péniche. On a
pris des modes de fonctionnement de ce genre où effectivement on se dispatche le
boulot hop, hop, hop euh…ben tiens moi j’aime bien ce truc la, je vais le faire, ah
- 33 -
ben ça ouais, faut faire je le fais. Voilà. (…) Mais du coup, peut être on gagnerait à
écrire un peu ou je sais pas quoi, à redéfinir un peu comment on partage le travail.
[Sylvain]
Ou encore, plus loin :
Non mais ça je pense que c’est un problème chez nous…..par rapport à la
réflexion qu’on doit avoir sur ça…c’est qu’en fait on a pas vraiment de procédure
entre guillemets, de manière d’intégrer les gens on s’est dit l’intégration, ça se fait
en bossant ensemble. On s’est dit « voilà, tu viens, on t’explique les choses au fur
et à mesure » mais je suis pas sûr que au bout vu le fait qu’il y en a qui repartent
peut-être je me dis que y a des choses n’ont pas circulé. [Sylvain]
Cependant, écrire et formaliser des règles ou une procédure d’intégration
serait une solution qui irait à l’encontre de conceptions portées par les membres de
La Péniche, dont Sylvain, pour qui la structure doit être la plus libre et la plus lâche
possible. L’enquêté n’est donc pas convaincu par cette solution qu’il ne fait
qu’effleurer. Le refuge est finalement dans la responsabilité de l’individu :
Mais bon je sais pas si le fait de l’écrire ou de mettre une règle de…de je sais pas
quoi, de mettre une procédure par rapport à ça changera ça…y a aussi une
démarche personnelle de dire à un moment, j’ai une responsabilité, je m’investis,
j’ai une responsabilité… je prends ma part… [Sylvain]
La question posée et qui interroge un certain nombre de nos enquêtés est donc
bien celle de la place respective de l’individu et du groupe dans l’intégration d’un
nouvel arrivant et plus largement, dans le travail de La Péniche.
Christian a pris une position différente dans ce débat sur l’intégration. Pour
lui, c'est bien le groupe constitué qui peine à accepter les nouveautés. Cette position a
d’ailleurs semble-t-il créé pas mal de remous au sein de La Péniche :
Je l’ai manifesté très négativement, on me l’a beaucoup reproché, enfin beaucoup
reproché… je pense que l’on s’est un peu sclérosé. Je pense que on, on est un
groupe qui produit de très très fortes normes, très contraignantes, et que euh… les
premiers arrivés ont participé à la structuration de ce truc, et on fini par y trouver
leur place, etc. Mais les nouveaux qu’arrivent ils arrivent pas à trouver leur place.
Dans cette structure, qui en réalité, est très très normative… on a des normes de
fonctionnement très fortes. Qui ne laissent pas de place à la déviance, la
- 34 -
nouveauté. Toute manifestation de nouveauté est en général mal vécue. En réalité,
je pense qu’elle est mal vécue. [Christian]
Pour illustrer, il cite le cas de Florian qui est pour lui un révélateur de ces
normes existantes :
Il fait ressortir ce que je disais tout à l’heure sur le comment on accepte les
nouveaux venus et comment eux ils trouvent leur place. Il correspond pas à nos
normes quoi! Il lit à table ! C’est pas normal de lire à table. Moi quand j’étais petit,
je me faisais taper sur les doigts ! Mais on lit pas à table ici ! […] Et du coup quand
même quand ça se produit on s’aperçoit bien que c’est nos normes. [Christian]
Pour Christian, le problème n’est pas dans le fait que le groupe ne veuille pas
s’adapter à un nouvel individu arrivant, et qu’il exigerait de cet individu qu’il se fonde
dans la structure existante, mais bien dans le fait que le groupe ne parvienne pas à
s’adapter et à s’ouvrir. Ainsi, plutôt que d’être exclus ou bien, brimés et contrôlés par
le groupe, les nouveaux entrants seraient plutôt « à côté », ni totalement isolés, ni
totalement intégrés.
Dans tous les cas, ces échecs répétés semblent avoir entamé la volonté de
Christian pour intégrer les nouveaux venus. Il évoque « peut-être une lassitude de la
chose » et avoue qu’il est « incontestablement moins investi que ce qu’[il] était dans
ce domaine là. Beaucoup moins présent ».
Cette « lassitude » semble d’ailleurs être quelque peu ressentie par Odile,
nouvelle arrivante : « C’est vrai que à force de faire des essais qui durent pas, ça doit
un peu les décourager. Donc je sais pas si ils sont tout à fait dans des attitudes
d’accompagnement des nouveaux aussi active. »
Ainsi, tous les enquêtés s’accordent pour dire que l’intégration se fait par une
démarche active à la fois du groupe et de l’individu arrivant. Les anciens tentent donc
de s’adapter à la nouveauté que peut apporter un individu ; en témoignent les efforts
faits pour intégrer une nouvelle activité, le dessin, proposée par Florian. Cependant,
selon les enquêtés, la démarche doit plus provenir de l’individu ou plus provenir du
groupe. Finalement, de l’individu au groupe, il existe un panel de positions possibles,
et certains membres se rapprocheront spontanément plus du pôle « responsabilité du
groupe » ou du pôle « responsabilité de l’individu », dans le processus d’intégration.
- 35 -
III La nécessaire implication de l’individu
A L’impact relatif de l’histoire personnelle
Nous proposons un tableau récapitulatif (voir page suivante) qui intègre des
données sur le parcours individuel de chacun, avec des variables qui sont susceptibles
d’influencer, à des degrés divers, l’intégration.
La première donnée qui pourrait jouer dans l’intégration est celle d’une
expérience autogestionnaire antérieure à l’arrivée dans La Péniche. Cependant, il est
possible de démentir cette influence par l’exemple évident de Sylvain, qui n’avait pas
d’expérience autogestionnaire précédente. D’autre part, Jordane et Hélène, recruté à
la fin de leurs études, n’avaient pas non plus cette expérience, et font pourtant partie
de La Péniche depuis respectivement six et sept ans. On peut ici opposer le fait que la
structure n’était pas encore bien constituée lors de l’arrivée de ces trois personnes, et
qu’aujourd’hui une expérience d’autogestion serait nécessaire pour intégrer un
groupe constitué. La Péniche n’a pas encore assez de longévité pour nous permettre
de répondre à cette hypothèse.
Une autre variable pourrait être celle de l’expérience professionnelle
antérieure. Un constat s’impose : pour l’instant, les personnes qui ont eu une
expérience professionnelle autogestionnaire (Olivier, Christian et Alain avaient créé
ensemble une librairie autogérée), ou celles qui n’ont pas eu d’expérience
professionnelle antérieure significative (en considérant les cas de Jordane, Hélène,
Sylvain, nous excluons ici les activités parallèles aux études) ont toutes réussi leur
intégration à La Péniche. Cédric, qui n’est resté dans la structure que trois mois, était
journaliste depuis cinq ans. Peut-on en conclure que seules des personnes ayant eu
une expérience professionnelle autogestionnaire ou étant immédiatement sorties de
leurs études sans expérience sont susceptibles d’intégrer une structure telle que La
Péniche ?
Le cas de Stéphanie, qui n’a pas pu être interrogée dans notre enquête, vient
peut-être démentir cette hypothèse. De formation journalistique, et ayant travaillé
pour le journal La Rue (journal à destination des Sans Domicile Fixe), Stéphanie fait
partie de La Péniche depuis huit ans.
- 36 -
Tableau récapitulatif : profil des enquêtés (disponible en PDF sur le CD-Rom)
- 37 -
Âge
Membre depuis
Autre expérience
autogestionnaire
Expérience Militante antérieure
et actuelle
Relations
Interpersonnelles avant
l’entrée
Autres expériences
Professionnelles
Alain
50 ou
+
9 ans
Oui
Librairie autogéré
Oui. Militantisme récent : LDH,
AMAP.
Oui (Olivier et Christian,
entreprise autogérée commune)
Cédric
33
Reste 3 mois
Oui
Lycée autogéré
Oui. Se définit comme militant.
Expérience associative.
Non.
Création d’une
librairie, salarié dans
l’associatif
Était journaliste
depuis 5 ans
Christian
+ de
55
Fondateur 11ans
Oui. Librairie
autogérée. A
adhéré au PSU
Vague.
Oui (Olivier et
Alain, entreprise autogérée
commune)
Florian
30
6 mois
Non
Oui. Associations,
mouvements sociaux
Non. Embauche par
rencontre hasardeuse
de Sarah
Hélène
34
7 ans
Non
Oui. Militance associative
dans l’aide à l’Afrique
Oui. (Sylvain, Jordane)
Jobs d’été étudiants.
6 ans
Non
Vague, héritage parental
communiste
Oui (Sylvain, Hélène,
Myriam)
Non
4 mois
Faible.
autour d’un squat
Vague. Associations.
Mouvements sociaux
Non.
Rencontre de Sylvain lors
d’une mission pour son travail.
Salariée à la maison
de la nature et de
l’environnement de
l’Isère
Oui.
École
Freinet. Librairie
autogérée.
Militance vague, AMAP.
Oui (Christian et
Alain, entreprise autogérée
commune)
Non
Oui. Aujourd’hui, militance
associative (Radio Campus,…)
Oui, a travaillé avec Alain,
puis rencontre Olivier et
Christian.
Petits boulots
(brocante, ménage et
cuisine dans
l’éducation nationale)
Salarié dans des
Non
Jordane
Odile
30
Olivier
Sylvain
35
Fondateur 11ans
Employé à La Poste
Création d’une
librairie, employé
dans une maison
d’édition
Salarié dans une
Association, journal
de l’association
Cependant, de l’aveu même de Christian, l’intégration de cette dernière a été
difficile. Il n’exclut d’ailleurs pas ici l’influence de sa formation professionnelle :
Elle avait peut-être une formation intellectuelle un peu différente. Et ça été
beaucoup plus long, beaucoup, beaucoup long. Je dirais même que c’est que
maintenant qu’elle est beaucoup plus à l’aise, beaucoup plus… [Christian]
Ainsi, l’expérience professionnelle antérieure pourrait être un frein ou un
vecteur d’intégration, sans jamais l’interdire ou la conditionner à elle seule. Le
devenir d’Odile ou de Florian dans La Péniche permettra d’infirmer ou de confirmer
cette hypothèse.
Le cas de Stéphanie nous révèle cependant une autre variable qui peut
influencer éventuellement l’intégration. En effet, selon Christian, l’intégration de
Stéphanie a été longue parce qu’elle ne connaissait personne en arrivant à La
Péniche, alors que jusque là, le recrutement s'était fait par connaissance et par
cooptation. Les relations interpersonnelles développées auparavant pourraient donc
être un vecteur. Jusque là, la composition actuelle de La Péniche semble aller dans le
sens de cette hypothèse. Cependant, au regard des allées et venues, il apparaît que la
variable des relations interpersonnelles joue plus en négatif : connaître quelqu’un à
La Péniche ne veut pas dire que l’on va s’y intégrer et y rester, par contre, ne
connaître personne est plus susceptible de constituer un frein selon les cas.
Finalement, l’histoire personnelle du nouvel arrivant semble avoir un impact
tout relatif. Toutefois, une donnée semble pourtant fondamentale, celle du niveau
d’éducation. En effet, même si La Péniche se veut ouverte à tous et peu regardante
sur les compétences des candidats, force est de constater que les membres actuels,
mis à part Olivier, ont un niveau d’éducation élevé. De l’aveu de Christian, tous les
membres de La Péniche sont des bacs + 5, à l’exception d’Olivier, ce qui a induit une
spécialisation de fait : « Olivier il est, donc il est pas bac +5 donc il écrit pas, en fait il
a beaucoup plus de mal, beaucoup plus de difficultés [pour écrire]. » Olivier a, en
réalité, reproduit une spécialisation qu’il avait acquise auparavant en s’occupant de la
comptabilité d’une librairie. C'est par cette compétence qu’il rentre à La Péniche : en
effet, avant d’être licencié et d’intégrer pleinement la structure, il vient régulièrement
aider ces amis, Alain et Christian, pour la comptabilité. Quand il est licencié des
Editions Syros, il rentre à La Péniche, dans laquelle il avait déjà un pied, et se
- 38 -
spécialise dans l’activité de comptable. Il est encore aujourd’hui quasiment le seul à
se charger de cette tâche.
Ainsi, dans ce cas, l’expérience professionnelle antérieure est déterminante
dans l’intégration, puisqu’elle induit une spécialisation. Cependant, l’exemple
d’Olivier demeure un cas isolé. Il faut d’ailleurs que La Péniche puisse intégrer la
nouvelle compétence apportée par l’arrivant, sinon, celle-ci sera un frein. Dès lors,
selon bon nombre de membres actuels, Cédric est arrivé avec une expérience, une
attitude et une compétence de journaliste, ce qui l’a empêché de s’intégrer, car les
manières de faire journalistiques ne correspondent pas avec les normes de La
Péniche. Cédric déclare d’ailleurs qu’on lui reprochait sans cesse sa qualité de
journaliste et qu’il devait s’en justifier perpétuellement. Selon lui, les membres de La
Péniche entretenaient une « grande méfiance » vis-à-vis de sa formation
professionnelle, nous avons pu nous en rendre compte nous même dans l’entretien
avec Christian.
Un autre exemple est celui de Christopher, ancien membre du groupe, qui n’a
pas réussi son intégration. Selon Christian, le recrutement de ce dernier « n’avait pas
de sens, c’était un mec qu’était complètement allumé, qui savait de toute façon pas
écrire, qui était ingénieur de formation, enfin bon son truc… c’était aussi un bac +5
mais de tout autre ordre ».
Ainsi, il semble que malgré la totale liberté de recrutement affichée, qui ne
serait basée que sur un critère d’adhésion aux principes de La Péniche, certaines
formations ou cultures professionnelles puissent interdire ou ralentir (cas de la
formation journalistique de Stéphanie) l’intégration.
Finalement, Christian évoque cette restriction de la liberté de recrutement par
une comparaison avec son ancienne librairie-restaurant autogérée :
D’une certaine manière c’était les mêmes principes, pas de hiérarchie de pouvoir, pas
de hiérarchie d’argent, tout le monde fait tout etc. C’était un tout petit peu plus
possible, enfin oui, un peu plus possible dans un restaurant, d’être autogéré, parce
que tout le monde peut faire quelque chose dans un resto parce que là ici, chez nous
c’est un peu plus délicat. Il faut avoir en gros un bac +5 pour travailler. [Christian]
- 39 -
B Une implication personnelle active indispensable
Dans la plupart des entretiens, il apparaît nécessaire que l’individu voulant
s’intégrer à La Péniche soit prêt à s’investir et à consacrer du temps au projet, à « être
dedans », selon le mot d’Olivier. Ce qui incite peut-être Florian, le dernier arrivé à
affirmer : « Ben à partir du moment où j’y étais, oui, moi je pars du principe que j’y
suis, j’y suis, tu vois, on y est, ou on y est pas. »
La question primordiale s’avère être celle de la présence. Quand bien même les
membres de La Péniche partagent la volonté de « travailler moins »20, être ensemble
apparaît comme un facteur d’intégration. Il s’agit d’avoir des temps communs pour
permettre l’effectivité du travail collectif.
Enfin moins de 20 heures après je vois pas comment tu t’impliques dans le
collectif, comment tu prends en charge le collectif, euh voilà après on a décidé de
fixer une frontière à 30 heures qu’on a pas envie de dépasser après parce que le
temps partiel te laisse le plus de temps à côté. Y’a pas que le travail dans la
vie ! [Hélène]
C’est vrai qu’un temps de présence, […] il faut un minimum quoi. Et même à mi
temps, ça me parait…on est tous à temps partiel, on travaille pas parce que
notamment on prend beaucoup de vacances. […] Ouais, il faut qu’on soit en
présence, parce qu’il y a énormément de choses qui circulent, il y a des
réajustements dans la semaine [Sylvain]
Pour autant, cette implication temporelle semble être une conséquence logique
du caractère passionné, souligné par Sylvain, de l’investissement des individus :
Tu vois, je crois que là-dessus, une bonne partie de nous on est quand même un
petit peu passionné…je sais pas mais quand même, on consacre pas mal de
temps….[…] T’organises ton temps comme tu veux, t’as quand même à
fonctionner avec les autres, qu’est-ce que ça veut dire ? Ben ça veut dire qu’il faut
être un peu présent avec les autres, ça veut dire que, oui, t’es en collectif quand
même. [Sylvain]
20
« Être plus nombreux et travailler moins » sur http://www.la-peniche.fr/principes2.htm#7
- 40 -
Nous pouvons voir que ce temps partagé est aussi censé être continu.
L’exemple des débuts un peu difficiles de Myriam, mentionnés par quelques
membres de La Péniche, nous en fournit une attestation :
Myriam, elle, est arrivée à La Péniche y’a quatre ans. Alors ça a été un peu
chaotique l’arrivée. Euh, elle est arrivée 3 mois, puis elle est repartie au Maroc
puis après elle revenue elle s’est installée à Lyon. Donc c'était un peu compliqué
de fonctionner à distance. Et elle est revenue sur Grenoble là il y a un an.
[Sylvain]
Le départ de Sylvain et la création de l’antenne à Grenoble auraient pu, de ce
fait, poser problème. Mais il a été résolu très vite, grâce à une webcam, qui permet
aux deux équipes d’être constamment en présence, et qui témoigne de leur volonté
d’être en interaction permanente.
On a très vite trouvé le truc de la webcam par Internet, qui a résolu pas mal de
choses, ben en fait, c’est comme, s’ils sont dans la pièce à côté, et moi je m’y suis
bien fait…donc j’étais pas présent physiquement, mais j’étais très présent….parce
que voilà, j’entendais, tu lèves le nez, voilà, tu dis un truc, c’est plus l’audio que la
vision, d’ailleurs maintenant on a plus la vision, que le son, ça permet vachement
de choses, après…c’est quand même qu’un outil, il faut avoir envie de ça, faut
quand même un investissement, j’avais envie de leur montrer que je me cassais
pas, je suis resté très présent. [Sylvain]
La présence soutenue et les temps partagés ne suffisent pas à intégrer un
membre, il faut aussi que celui-ci prenne sa part du gâteau, tant dans le travail, que
dans les décisions. Au moins quatre membres de La Péniche parlent en terme de
« responsabilité » individuelle qui se fait en faveur du collectif.
Il y a aussi une démarche personnelle de dire à un moment, j’ai une
responsabilité, je m’investis, j’ai une responsabilité…que je prends ma part…
[Sylvain]
Ça veut dire aussi en prendre un paquet sur les épaules, et un gros paquet.
Curieusement, c'est une responsabilité de… de chef d’entreprise, entre guillemets
parce qu’il n’y a pas de chef, mais c'est une responsabilité que tu as sur le
dos. [Alain]
Cette responsabilisation semble être une conséquence d’un des principes de
l’autogestion, à savoir l’égalité, ainsi que l’exprime Hélène, tout en soulignant que
c’est pour cette raison même qu’elle travaille à La Péniche :
- 41 -
Être responsable de cette boîte, parce que voilà en effet être égaux ça veut dire :
y’en a pas un qui est responsable pour les autres quoi. Donc c’est ma propre boîte,
c’est la propre boîte de tous les autres. [Hélène]
Au-delà de l’implication individuelle, l’initiative des nouveaux arrivants
apparaît enfin comme une clé d’intégration :
L’intégration c'est ça, c'est savoir sa place, c'est s’investir. Sans s’investir ça peut
pas marcher.[…] S’investir au sens des initiatives, proposer des choses, on y
arrive, c'est pas forcément évident, mais on y arrive ! [Olivier]
Je pense que pour moi l'intégration était très liée à ma capacité à prendre des
initiatives ou à intervenir dans les décisions du groupe, c'est à dire un moment où
j'ai eu la sensation de maîtriser suffisamment les sujets pour pouvoir opiner,
suggérer, conduire. [Sarah]
Pour autant, cette clé ne fait pas l’unanimité. Christian, fondateur de La
Péniche tempère cette idée du devoir d’initiative :
La personne qui vient elle doit faire ce qu’elle a à faire, d’abord et avant tout !
D’abord et avant tout elle doit faire ce qu’elle a à faire. Si éventuellement elle veut
faire autre chose, on en a parlé l’autre jour, Florian, il fait du dessin, euh, du
dessin d’illustration… ça c’est second ! Bon, euh c'est à dire si y’a possibilité, on
verra. Mais je pose que y’a 6 ou 7 ans c’est pas comme ça que ça se passait. Et euh
si quelqu'un vient et a ce potentiel là et ben on va voir. [Christian]
Ce problème de l’initiative des nouveaux entrants ne semble pas tranché. Nous
renvoyons à l’analyse des postures différentes de Florian et d’Odile, évoquées
précédemment.
Ainsi, l’implication personnelle active de l’individu semble indispensable,
parmi d’autres facteurs, s’il souhaite son intégration à La Péniche. Cette implication
apparaît trop excessive aux yeux d’un ancien membre, Cédric pour lequel « quand tu
travailles pour La Péniche, c'est que pour La Péniche. » *
S’impliquer au maximum est de fait une exigence éthique des membres de La
Péniche, qui prétendent réaliser les principes de l’autogestion et démontrer que ce
fonctionnement est possible. Cette implication déborde parfois le cadre de la vie
professionnelle.
Essayons de ne pas cloisonner nos vies. Certains à La Péniche du coup
pousseraient jusqu’à vivre ensemble carrément… collectiviser le milieu de vie, moi
- 42 -
je vais pas tout à fait jusque là, mais en même temps c'est vrai il n’y a pas de
différence entre moi… dans ma vie de couple… qu’avec moi euh… sur le milieu du
travail. J’autogère et je partage les tâches domestiques de la même façon que je le
fais ici… [Jordane]
C Comprendre et accepter les principes d’autogestion : l’essentiel ?
Le fonctionnement autogéré apparaît comme « le plus petit dénominateur
commun » [Jordane], le projet politique sur lequel se fonde le sens même de l’activité
économique et en cela, la proximité avec les principes de l’autogestion s’avère
essentielle dans l’intégration d’un nouveau membre, voire évidente, puisque
l’autogestion est ce qui réunit les fondateurs.
L’adhésion aux principes de l’autogestion demeure de ce fait le critère
d’embauche fondamental, revendiqué par toute l’équipe, qui relègue assez souvent les
considérations sur les compétences :
Il suffit que les gens s’intéressent à l’autogestion, et on les recrute ! Voilà, il suffit
qu’ils viennent et qu’ils disent « Oh ça me plaît chez vous ! » Et voilà. Et on se
pose normalement même pas la question au départ. Même pas la question de
savoir s’il y a du travail pour eux ou pas. On se pousse, on fait de la place et on
partage. Voilà. […] A l’heure actuelle, ça s’passe, effectivement, ça reste le critère
fondamental, pour nous c’est que ces gens aient envie de fonctionner selon les
principes d’une entreprise autogérée. [Christian]
Je reviens sur ce critère, c’est vraiment le projet…les gens qui envoient un CV
j’aime beaucoup le travail que vous faîtes, voilà ce que j’ai fait, c’est pas on les fout
à la poubelle, on les garde, mais on s’en fout. Par contre, les gens qui nous
envoient un message en mentionnant la façon dont on fonctionne, on essaie de les
voir…et après la compétence, on s’est beaucoup construit contre ça. [Sylvain]
Ce qu’on demande aux gens qui entrent dans La Péniche c’est d’être d’accord avec
deux grandes règles, on va dire, c’est celle de l’autogestion et celle de la rentabilité,
et que au delà de ça, y’a pas d’autres règles et que c’est par contre à chacun je
pense de faire son expérience et de comprendre comment fonctionnent les choses
de façon empirique. [Odile]
- 43 -
Ce critère d’embauche coïncide – assez logiquement - avec les motivations des
membres pour appartenir à La Péniche. « Les gens qui viennent autour de La
Péniche, c'est quand même parce que ils sont déjà grattés par des histoires
d’autogestion. » [Alain]
Alain, intégré assez tôt, sans réel processus d’embauche puisqu’impliqué
fortement affectivement avec l’équipe de base, comme Florian, le dernier arrivé,
partagent cet enthousiasme pour le fonctionnement autogéré.
La Péniche pour ça pour moi c'est vraiment parce qu’on est sur un mode de
production qui est particulièrement intéressant. [Alain]
Le fonctionnement autogéré avait déjà attiré mon attention. [Florian]
J'associe mes premières expériences d'autogestion à l'époque de mes voyages en
Amérique du Sud [….] je pense avoir toujours recherché ce modèle par la suite.
[…] J'ai retrouvé dans La Péniche, une manière de fonctionner collectivement
assez proche avec ce que j'avais connu là-bas. [Sarah]
Comment fonctionnent les choses de façon empirique ? Les membres de La
Péniche sont assez prolixes sur ce sujet. La mise en pratique de l’autogestion, pour les
enquêtés, passe par le travail collectif, l’absence de hiérarchie et son pendant,
l’égalité, la tentative de sortir de la division des tâches, etc.
La Péniche, le collectif, le le fait de pas avoir de hiérarchie, le fait de pas avoir
d’inégalités […] J’ai pas de chef au-dessus de moi et si j’ai des décisions, que j’ai
prises, voilà j’y aurais participé quoi ! En tout cas, j’aurais donné mon opinion, etc.
Si on se plante, on se plantera tous ensemble. Si on réussit, on réussit tous
ensemble ! [Hélène]
Il faut vouloir fonctionner sans pouvoir [Alain]
Des règles ? Euh ouais : c’est travailler collectivement. Ça c’est une règle, ne pas
travailler dans son coin, ça c’est obligatoirement…tout ce qui ici est de l’ordre de
l’individualisme est à bannir. C’est pas possible. Tu t’es trompé de projet. Si t’es
venu en croyant que t’allais pouvoir travailler tout seul dans ton coin tu t’es
trompé de projet, t’as pas très bien compris… [Hélène]
Pour autant, un contre-exemple vient tempérer ce discours. Cédric connaissant
l’autogestion puisque ayant fait sa scolarité dans un lycée autogéré, mettant en avant
son enthousiasme pour l’autogestion, est parti au bout de trois mois, après ce que
l’équipe de La Péniche appelle un « conflit » :
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[Cédric] avait un rapport à l’écriture qui était un rapport « journalistique », c'està-dire qu’il avait une manière de fonctionner qui était très solitaire heu d’une part,
et d’autre part heu il aimait bien avoir son nom au bout, sur le truc, donc il a
continué à travailler dans La Péniche dans cet esprit là, en ayant même, un
moment une partie d’activités qui étaient heu sur des trucs où on pouvait pas
intervenir parce que c'était lui qui avait le contact et il le gardait pour lui et au
bout d’un moment, s’est aperçu que c'était pas là qu’il devait d’être. [Alain]
Je pense que finalement fonctionner de manière collective, que on est vraiment..,
tu vois on fait circuler nos textes, on décide de tout. Lui [Cédric], il vivait ça de
manière pesante. Et donc ouais, y’a des gens pour qui, tu vois c’est quand même
un peu, comment dire, c’est un peu exigeant [Sylvain]
Le plus caricatural, c’est probablement l’exemple de Cédric qui dit que
l’autogestion ça l’intéresse, et en plus il a été au lycée autogéré, en tant que lycéen.
Alors finalement on se dit que pour lui, c’est pas un mystère, il sait ce que c’est
tout ça. Moyennant quoi, ça a été une catastrophe. C’est le seul, c’est la seule
personne avec qui on a eu un conflit et qui est parti sur un conflit, qui s’est bien
passé. Tous ceux qui sont venus, repartis, c’est parce qu’ils avaient de bonnes
raisons… […] Pourtant, à la limite, c’est un de ceux qu’on a recruté, qui a priori
correspondait le plus aux critères. [Christian]
Donc le premier [Cédric] parce que pour le coup on était pas du tout sur les
mêmes valeurs. C’était quelqu’un de très individualiste dans le travail. Euh oui il
travaillait en solitaire, il demandait jamais rien à ses collègues, euh, et pourtant
moi je trouvais que c’était pas toujours très brillant, donc euh du coup il prenait
très mal toutes les réflexions qu’on pouvait faire, il ne participait pas du tout à
l’élaboration collective, il ne répondait pas au téléphone, il ne regardait jamais les
mails, qui se désintéressait plus ou moins des décisions qui étaient prises du
moment qu’il avait son salaire à la fin du mois. [Hélène]
Cette unanimité pose la question de la mise en récit, au sein de La
Péniche, de l’échec de l’intégration de Cédric, pourtant animé par les mêmes idéaux
autogestionnaire. Cette question trouve difficilement sa réponse dans le cadre de
cette étude, basée principalement sur des entretiens. Pour autant, une conversation
téléphonique avec Cédric nous a renseigné à ce propos. Si Cédric avait moult raisons
de vouloir partir (familiale, géographique, etc.), il estime que son départ est surtout
dû à un « choc des cultures professionnelles » (entre journaliste et rédacteurs) ainsi
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qu’à une interprétation différente de l’autogestion, plus qu’à un individualisme
exacerbé. Ainsi, selon ses propos, son travail reste son travail, il ne s’agit pas de le
partager juste au nom de l’autogestion, et sous couvert de dire, que l’autogestion est
possible. Pour lui, la stratégie doit être différente. « On se retrouvait sur certaines
valeurs, mais qu’on interprétait différemment. » Reste que pour Sylvain, si les gens
partent, c’est essentiellement parce qu’ils ne sont pas assez accrochés au
fonctionnement autogéré.
En fait, à l’analyse des entretiens, on s’aperçoit que chacun porte sa propre
conception de l’autogestion, et de la militance qui peut lui être associée. Le cas de
Cédric ne souligne peut-être qu’une incompatibilité de projet, les autres ayant des
conceptions qui s’accordent, malgré les conflits que les différences d’implication
militante (au sujet du Réseau Repas, ou du site sur l’autogestion) peuvent induire :
En même temps c’est vrai que collectivement on a du mal à porter une militance…
elle serait… Il y a le site autogestion qui est censé le faire… il y a une activité de
propagande autour de ça. Euh… à la fois c’est le dénominateur… le plus petit
dénominateur commun… tout le monde est pour, en même temps ça soulève pas
les enthousiasmes euh… militants. [Jordane]
Mais c'est vrai que moi j’avais aussi dans l’idée de La Péniche d’arriver à aller plus
loin que simplement bosser ensemble. Ça aurait pu aller vers… monter… aussi un
lieu de vie… partager plus de trucs nous aussi dans… dans une optique de… de…
de toutes les aberrations qu’on a à vivre isoler dans une ville avec ce que ça coûte,
ce que ça dépense comme énergie, et puis on peut… on peut quand même… y
compris au niveau du partage éventuellement d’une bagnole… à 10 plutôt que d’en
avoir une pour trois comme on a… ou des trucs comme ça quoi tu vois. Et ça en
fait on a pas pu le… ça fait pas partie du projet. [Alain]
Une compatibilité entre les représentations individuelles de l’autogestion, voilà
ce qui compte et ce qui fait la différence avec une autre entreprise de rédaction. Les
membres de La Péniche se rejoignent sur la volonté et sur la conviction en la
possibilité de concrétiser ce qui est parfois considéré comme une utopie : un
fonctionnement égalitaire, pris en charge par tous, dans la responsabilité et le respect
des autres. Toutefois, ce projet commun n’est pas homogène et lorsque les
interprétations de cette « utopie » sont trop divergentes, même si elles se réclament
des mêmes valeurs, l’intégration de celui qui s’éloigne de la conception commune
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n’est pas possible. La désintégration d’un individu est par là même possible, lorsque
son propre projet évolue, comme le montre l’exemple d’Alain
Demain y a quelqu'un qui peut dire, y compris moi, moi je m’en vais parce que ça
me convient plus, c'est pas le problème du dernier arrivé ou de quoi que ce soit.
Chacun peut avoir des projets différents. [Alain]
Moi c'est vrai que j’ai envie de revenir à un projet de ce type, qui soit heu un projet
où on croise différentes activités, en étant dans une structure où on travaille à
salaire égal, mais en ayant des activités qui peuvent être très différentes les unes
des autres mais où on mutualise un maximum de choses et plus on mutualisera
plus je serai content. [Alain]
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Conclusion
Thème évoqué lors du dernier séminaire de La Péniche, les difficultés
soulevées par l’intégration sont effectivement un enjeu saillant dans les
interrogations actuelles de l’équipe. Aussi n’a-t-il pas été évident pour nous, de
départager les véritables questions, des discours sur ces questions, porteurs déjà
d’éléments normatifs. La mise en récit de cette problématique est en effet récurrente
chez les enquêtés. Notre question était donc complexe, mais des plus pertinentes. Les
résultats, quant à eux, demeurent tout de même relatifs, puisque nos moyens
logistiques se sont avérés limités (tout comme notre rationalité21).
Notre hypothèse d’une primauté du rôle de l’individu sur celui du groupe dans
le processus d’intégration, se révèle plutôt confirmée. En partant du postulat d’une
intégration de principe, l’équipe utilise, certes, un certain nombre d’instruments,
pour la plupart informels, en faisant preuve d’empathie et de patience sur la durée.
Les « rites » formels (repas, réunions du lundi, séminaires, etc) ne sont pas à négliger
pour autant. Ces mécanismes ne suffisent pourtant pas à assurer automatiquement
une véritable insertion du nouvel arrivant. Il en résulte une ébauche de remise en
question des membres de La Péniche, sans qu’une ou des solution-s tangible-s,
précise-s et consensuelle-s ne parvienne-nt à se dégager. La plupart des enquêtés
effleure le questionnement de la responsabilité du groupe dans cet échec relatif dans
le processus d’intégration. Mais bon nombre se réfugie dans l’affirmation du rôle
premier de l’individu.
Nous partageons cette idée, tout en y apportant une nuance. En effet, si
l’implication de l’individu et son profil sont des facteurs essentiels, la compatibilité de
la conception de l’autogestion du nouveau membre à celle qui prédomine au sein de
la structure, demeure l’élément central permettant une intégration réussie. En
témoignent le départ de Cédric ou la réflexion d’Alain sur une éventuelle évolution de
la structure sur un nouveau site, afin d’introduire du changement.
21
Herbert… ☺
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