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L’art (se) joue de l’institution./////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////
newsletter 02 (juin 2008)
avec la participation de Laurent Mulot, créateur de Middle of Nowhere, Réseau international des centres d’art contemporain fantômes.
Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle,
une réflexion et une contestation de l’institution et de
ces différents pouvoirs marquent de nombreux pays
occidentaux. La notion d’analyse institutionnelle se
développe alors et identifie l’institution comme une
cristallisation d’un rapport de force. Par une analyse
théorique et pratique de l’institution, elle cherche à mettre
en avant des rapports de pouvoir réels, camouflés par le
"non-dit " ou la fausse banalité de l’évidence. À l’instar
des courants de la recherche-action, elle intervient par
des dispositifs, des évènements qui vont forcer l’institution
à prendre conscience de ses contradictions.
Cette démarche s’applique fortement dans le domaine artistique; le Salon des Refusés à Paris en 1863
en est l’un des prémices. Dans les années 1960/1970,
le champ de l’art contemporain avec son cadre muséal,
marchand et médiatique est souligné par de nombreux
artistes: Michael Asher, Robert Smithson, Daniel Buren,
Hans Haacke ou Marcel Broodthaers. Ils présentent, chacun à leur manière et à des degrés différents, l’activité
artistique comme conditionnée par ce contexte et
cherchent dès lors à le subvertir. La critique institution
nelle voit alors le jour dans le domaine artistique et devient un aspect à part entière de l’art conceptuel. Le langage devient un dispositif critique pour parler de l’exposition. Il brise la hiérarchie entre visuel - critique et souligne
l’importance du public et du contexte dans la réception
de l’oeuvre. Diverses actions témoignent de cette critique
de l’institution muséale depuis l’intérieur : BMPT (Buren,
Mosset, Parmentier, Toroni) avec «BMPT n’expose pas»
comme seul oeuvre à voir ou encore leur convocation du
public dans l’auditorium du Musée des Arts Décoratifs, où
il ne se passe rien. L’exposition de Mel Bochner en 1966,
à New York, Working Drawings and Other Visible Things
on Paper not Necessarily Meant to be Viewed as Art en est
également l’un des fondements; ce ne sont plus les objets
réalisés qui font oeuvre mais l’ensemble de l’exposition.
À la fin des années 1980, une deuxième génération d’artistes comme Renée Green ou Andrea Fraser.
poursuivent une critique institutionnelle en résonnance
avec l’actualité comme le dévellopement des études genres ou l’expansion d’une politique néo-libérale. Cette critique institutionnelle s’apparente pourtant peu à peu à une
démarche artistique intégrée. La critique des institutions
en vient à soutenir précisément les conditions muséologiques de la représentation, et devient par conséquent une
"institutionnalisation de la critique". Un besoin de s’extraire du champ de l’art et finalement de toute discipline
constituée se fait donc sentir. Une troisième génération
de critique institutionnelle développe des recherches, des
investigations, des expérimentations en dehors du cadre
disciplinaire artistique simple; elle mobilise des outils de
l’art pour critiquer d’autres institutions.
Face à l’évolution d’une société de plus en plus
complexe et diffuse, la notion de critique institutionnelle
n’est plus à voir comme une tentative de remanier l’institution artistique de l’intérieur, mais davantage comme
un mouvement d’aller-retour entre le champ artistique
et d’autres champs à fort potentiel de "bouleversement
social". Ce tropisme, besoin ou désir de se tourner vers
un ailleurs, accompagné d’une circulation entre les disciplines, permet une ouverture relationnelle extra disciplinaire et un développement de critique réciproque,
réflexive. Cette nouvelle critique institutionnelle, aussi
bien théorique que pratique, permet des attitudes instituantes qui remettent en question l’ordre des choses au
sein d’organisation. Face à une structuralisation institutionnelle préexistante, elle offre des possibilités de démarches constituantes via des réflexions communes,
ainsi que de manière complémentaire ou en parallèle,
des démarches destituantes via des actions communes.
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Une critique institutionnelle par une démarche théorique:
- l’Université Libre avec United Nation Plaza
- une plateforme de recherche comme
Université Tangente
- le travail éditorial avec la revue Multitudes
La pratique constituante comme critique institutionnelle:
- le laboratoire urbain AAA, Ateliers
d’Architecture Autogérée
- la production de désir avec Park Fiction
La pratique destituante comme critique institutionnelle:
- Yes Men, des activistes du canular
- le réseau Kein mensch ist illegal
- Troller, nouvelle dorme d’hacktivisme
Focus: Middle of nowhere en collaboration avec
Laurent Mulot
OMAC - organisation mondiale de l’art contemporain; L’art (se) joue de l’institution, newsletter 02.
La nouvelle critique institutionnelle s’exprime
notamment sous une forme théorique - textuelle et
confirme par là même sa parenté avec l’art conceptuel.
Benjamin H.D. Buchloh relève notamment à propos de
l’art conceptuel, dans son texte De l’esthétique d’administration à la critique institutionnelle (aspect de l’art
conceptuel, 1962-69) que «la substitution d’une exposition linguistique à une exposition visuelle est une attaque contre la position de supériorité du visuel dans l’art.
Celui-ci ne peut plus se contenter d’être un objet à
regarder.». De nombreuses démarches artistiques
témoignent de cette volonté de questionner, de
dépasser la notion d’accrochage et ainsi d’exposition
institutionnalisée. Des éditions dépassent le simple statut de catalogu d’exposition et se revendiquent comme pièce à part
entière. Des manifestations construites sous la forme de
colloque ou workshop prennent alors le statut de travaux
artistiques. Unitednationplaza, un projet d’école temporaire débuté en 2006 à Berlin par Anton Vidokle, se
présente comme une exposition en tant que telle. Dans
la tradition des Universités Libres, un programme de
Séminaire Unitednationplaza à Berlin.
conférences et de workshop sur une période déterminée
est ouvert à tous. Cette collaboration regroupe aussi
bien des artistes que des écrivains, des théoriciens dans
différents domaines ou toute personne pouvant être
intéressée à participer. Essentiellement structurée sur
l’étude des différentes démarches artistiques contemporaines, Unitednationplaza crée une plateforme de recherche
itinérante et évolutive dans le temps et dans
l’espace. Une pratique d’archivage par leur site Internet,
mais aussi par une radio en ligne, WUNP - The United
Nations Plaza Radio Network offre différents portails de téléchargement vidéo ou audio à propos de
conférence, de discussion, de projet de radio ou de
workshop. Forte de ces outils hypermédia comme moyen
de diffusion, elle s’apparente à une source ouverte
d’information dynamique construite sur la rencontre.
Essentiellement ancrée dans le domaine artistique,
Unitednationplaza crée une extradisplinarité toutefois
partielle où la notion de transversalité ne peut être
appliquée. Le cadre de recherche sur les démarches
artistiques contemporaines, présenté comme la base et
la force du projet, délimite de facto les possibilités
de collaboration et de champ d’investigation. La notion
de tropisme est dès lors bridée.
INFO-SPACE, INFO-WAR, de Bureau d’études.
Le désir de sortir du champ artistique, d’explorer
et d’analyser d’autres groupes ou organisations se
note davantage dans des pratiques comme Université
Tangente. Ce collectif ouvert, rassemblant des personnes
issues du monde l’art, du monde universitaire et scientifique, s’est structuré en 2001 autour d’un manifeste
et d’une chartre. Il s’articule autour de cinq domaines :
Centre de recherches sur la gratuité; Centre de recherches sur les savoirs/pouvoirs autonomes; Archives du
capitalisme; Centre de recherches sur les relations SudSud (Asie et l’Afrique); Centre de recherches sur le voyage. Ces secteurs d’observation ne se cantonnent pas au
champ de l’art, ils touchent aussi bien à l’économie, la
politique, que les sciences humaines. Cette altérité de
contexte et donc de référence suscite un "conflit cognitif"
ou culturel favorable à un échange différentiel et à
l’ouverture extradisplinaire. L’Université Tangente est un
lieu permettant de rassembler, de faire se rencontrer et
d’analyser des "savoirs humains singuliers et autonomes".
À travers leur site Internet, il diffuse différents textes
critiques issus de cette transversalité, la plupart du temps
accompagnés de cartes ou d’organigramme schématisant les rapports de force de certaines organisations ou
secteur d’activité. L’une d’elles, INFO-SPACE, INFO-WAR,
Governing by Networks de Bureau d’études présente
une recherche détaillée à l’échelle mondiale sur le
pouvoir du réseau Internet. Ce travail d’investigation
critique se base sur «le réseau militaire américain
ARPAnet (...) conçu pour maintenir les communications
en cas d’attaque nucléaire. Ancêtre de l’Internet et
fondement de la Global Information Infrastructure,
ARPAnet, à l’instar de la «guerre presse-bouton» qui
le motive, provient d’une seule et même source : le
changement d’échelle provoqué par les découvertes
en physique au début du XXe siècle dans une société
industrielle capable d’organiser la productivité - y
compris scientifique - de milliers d’agents.».
De manière similaire, des périodiques développent des lignes éditoriales qui recoupent plusieurs
disciplines ou secteurs à la fois. Multitudes, une revue
à parution trimestrielle, examine de manière critique les
nouvelles conditions d’énonciation, d’agencement et de
rapport de force de la politique. Pour réaliser ce projet,
elle favorise des attitudes transversales entre les champs
de l’économie politique, de la philosophie, des pratiques
artistiques ou des cultures émergentes du numérique
libre. Par le biais de l’Internet, elle offre en complément
du support-papier une possibilité de consultation en ligne,
OMAC - organisation mondiale de l’art contemporain; L’art (se) joue de l’institution, newsletter 02.
Lients internets:
- Unitednationplaza et Anton Vidokle
http://unitednationsplaza.org/intro.html
http://unitednationsplaza.org/radio.html
http://www.vonhundert.de/index.php?id=7
http://www.e-flux.com/shows/view/4987
http://www.radiodays.org/program_detail.php?programID=122
- Université Tangente
http://utangente.free.fr/index2.html
http://utangente.free.fr/2003/governingbynetworks.pdf
Revue trimestrielle Multitudes.
de traduction, d’archivage de leur numéro et de revues
complémentaires (Futur Antérieur et Alice) ainsi qu’un
espace commun de débat et d’échange collectif. Cette
déclinaison de la revue permet de diffuser, d’accompagner
des "mouvements sociaux qui travaillent le présent" et
de souligner des problématiques à l’échelle mondiale
comme la propriété intellectuelle, l’activisme médiatique avec notamment l’hacktivisme, la guerre globale,
les relations de pouvoir. Invitée pour Documenta XII
magazines avec une centaine d’autres magazines,
Multitudes refuse les modalités de participation à ce
projet et développe en contrepartie: Critique et Clinique de la documenta. Cette réponse est définie comme
une proposition «pour produire une contribution plus
"autonome", en interface critique et clinique avec la
proposition de la Documenta». Forte de leur travail
transversal, cette revue offre dans un mouvement de
réflexivité, un retour critique au domaine artistique
contemporain, une démarche de critique institutionnelle
extra disciplinaire.
- Bureau d’études
- revue Multitudes
http://bureaudetudes.free.fr/
http://multitudes.samizdat.net/
http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=MULT&ID_
NUMPUBLIE=MULT_029&ID_ARTICLE=MULT_029_0223
- revue Futur Antérieur
- revue Alice
http://multitudes.samizdat.net/spip.php?rubrique117
http://multitudes.samizdat.net/spip.php?rubrique144
- Documenta XII magazines
- Critique et Clinique de la documenta
http://magazines.documenta.de/frontend/
Basées sur la notion de tropisme et de transversalité, ces démarches essentiellement théoriques proposent
des alternatives à la neutralisation de toute recherche
approfondie, artistique ou non. Elles remettent en question
l’interdisciplinarité qui restreint trop souvent les domaines
d’investigation, de collaboration voir de diffusion. L’exode
vers d’autres territoires de recherche, d’autres moyens
de production ne signifie donc pas pour autant une
désertion de l’institution artistique. Au contraire, il s’agit
davantage d’un mouvement critique fluide d’entrées
et de sorties pour produire à chaque retour une différence,
une remise en question, un instituant dans le champ
institutionnel de l’art.
http://multitudes.samizdat.net/spip.php?article3040
http://multitudes-icones.samizdat.net/
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L’espace public investit en parallèle le champ de
l’art contemporain. Il devient à la fois objet et source
de création. De nombreuses démarches artistiques
cherchent ainsi à interpeller en réactivant la mémoire
collective à l’aide d’éléments indiciels urbains. L’intérêt
de l’appropriation peut être phénoménologique, sociologique, etc., mais il est et restera au premier
chef du domaine de la surprise poétique. Cette prise
ou expressivité directe crée un phénomène esthétique
nouveau qui se détache du monde subjectif des arts
de transposition.
Vues aériennes de Park Fiction à Hambourg.
Certains groupes d’individus, partageant des
caractéristiques mutuelles, présentent des images de
l’idéal social suffisamment proche pour parler d’un
imaginaire social commun. Cette situation peut alors
amener un processus collectif de réflexion et d’actions
pouvant aboutir à un pouvoir con-stituant en tant que
com-position. AAA - Ateliers d’Architecture Autogérée
est un réseau extra disciplinaire créé en 2001 qui développe
des "stratégies" et des "tactiques" urbanistique au croisement de multiples points de vue : architectes, urbanistes,
Installation rue St Blaise, Paris de AAA.
artistes, chercheurs, étudiants, activistes, retraités,
politiques chômeurs, militants, habitants. Leur recherche
et intervention dans la ville se fixent essentiellement sur
des espaces urbains délaissés. Par l’implication notamment
des habitants, ils se réapproprient ces lieux, les réaménagent, en font des plateformes d’expérimentation urbaine
et d’exploration collective. Ils définissent leur démarche
comme une «critique pour libérer le désir d’agir mais
aussi rassembler des compétences partagées et des
dynamiques collaboratives pour aller plus loin». De 2001
à 2005, dans un quartier populaire au nord de Paris, La
Chapelle, ils mirent au point un réseau d’éco-urbanité
/ ECObox. Autour d’une structure nomade, flexible,
dépliante et transportable les habitants comme les
professeurs, les étudiants ou tout autre personne peuvent
se retrouver et ainsi discuter, partager un instant de vie.
Des micros dispositifs mobiles, tel qu’un établi d’outil, une
cuisine urbaine, une médiathèque, média-lab permettent
de fournir une structure d’accueil et technique suffisante
pour collaborer sur différents projets communément élaborés. Ce laboratoire urbain extra disciplinaire, structuré
sur de micro ateliers participatifs, invite à une activation
ou une réappropriation des espaces collectifs, de proximité
dans un souci de prise de position politique et sociale. Ces
mises en relation autour d’un imaginaire social commun
permettent une participation à une démarche de recherche et d’action, à un processus institutionnel collaboratif,
à une pratique constituante de critique institutionnelle.
Depuis une dizaine d’années, un projet Hambourgeois mêlant art et politique suscite de manière similaire
un contexte de production collective de désir. En 1994
Park Fiction débute comme une rumeur de construction
d’un parc public sur les rives de l’Elbe afin d’empêcher
la spéculation urbanistique d’investisseurs. Depuis, cette
fiction a donné lieu à la conception auto organisée par les
habitants d’un parc d’une autre sorte. Afin de souligner
une politique urbaine institutionnalisée avec une participation limitée des citoyens dans l’aménagement de l’espace
public, ils inaugurent en 1997 un "container de l’aménagement". Durant six mois, ils permettent aux habitants
d’émanciper, de définir et de faire partager leurs désirs
sur la création d’un parc. L’ensemble des propositions des
plus réalistes au plus utopistes (des haies de buis taillées
en caniche, une cabane dans les arbres en forme de
fraise mûre, des boîtes aux lettres pour les jeunes dont
les parents contrôlent le courrier à la maison, à un cinéma
en plein air et un gymnase au toit couvert de verdure avec
des palmiers en bois sur rails, des morceaux de pelouse
roulants, des jardins à thé et des vergers, des bancs, des
fleurs, une piste de course pour les chiens, un toboggan
aquatique dans l’Elbe...) sont étudiées, présentées et
archivées. Sans se limiter à un simple documentaire,
Margit Czenki réalise en 1999 Park Fiction Film qui accompagne et fait partie intégrante de la production collective
de désir relatif au parc. Cette initiative "d’urbanisation par
le bas", finit par convaincre la municipalité de construire
un jardin selon les plans que les habitants avaient projeté.
Ces impulsions collectives de désir, en perpétuel recommencement car continuellement ouvert à tous, forment une
démarche constituante qui se recompose sans cesse et reste
à l’écoute de nouveaux rapports de force locaux et mondiaux.
Les démarches de com-position dans la critique
institutionnelle se rapprochent alors d’une pratique
instituante qui évite la structuralisation et la fermeture sur
soi-même. Le domaine des média numérique accompagné notamment de son support Internet offre également
un outil d’organisation au profit de la critique institutionnelle non négligeable. Le travail en réseau, les logiciels ou
bases de données en open source, ainsi que les forums
de discussion ou autres FAQ (frequently asked questions)
favorisent tout un contexte de démarche con-stituante, de
plateforme de recherche collaborative et dynamique. Ces
pratiques s’observent au niveau de l’utilisation de certain
software ou hardware, du développement d’application
en temps réel de musique et de multimédia comme avec
arduino, eyesweb. La notion de propriété intellectuelle,
d’auteur et de droits ou autres brevets qui en découlent
est ainsi remis en question. De telles démarches, de tels
analyseurs permettent de faire apparaître le non-dit de
certaines institutions, de révéler le concept marchand
qui structuralise et cantonne de multiples recherches
notamment scientifiques.
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Lients internets:
- AAA - Ateliers d’Architecture Autogérée
http://www.urbantactics.org/home.html
http://ecoboxvirtuel.free.fr/radio/
madeo.club.fr/pages/AAAposter.pdf
- Park Fiction
http://www.parkfiction.org/
http://www.inthefield.info/unwritten.pdf
http://www.peprav.net/tool/
En parallèle ou en complément à ces attitudes
discursives ouvrant sur des pratiques constituantes, des
interventions davantage intrusives se développent. Une
ou plusieurs personnes extérieures à un groupe, une
organisation se glissent à l’intérieur pour créer des
interstices, des perturbations au niveau des courants
de communication et de pouvoir. Cette critique institutionnelle basée sur la notion de destitution n’est pas à
entendre comme un travail de la négativité mais davantage
comme un "non-positif". Elle recherche un élargissement
du champ des possibles, une confirmation collective du
possible. Sans se focaliser sur un facteur instituant, ou
une ré-institution d’un encadrement modifié comme une
finalité, elle cherche à souligner le fonctionnement de
certaines institutions et à exprimer les transformations
éventuelles.
- Logiciels open source
http://fr.wikipedia.org/wiki/Open_Source
http://www.opensource.org/
http://www.arduino.cc/
http://www.eyesweb.org/
Le travail des Yes Men est en l’occurrence l’un
des exemples de cette critique institutionnelle destituante.
Formés par deux "activiste du canular", Jacques Servin
et Igor Vamos connus sous leur nom de scène Andy
Bichlbaum et Mike Bonanno, ils pratiquent une satyre des
http://eyw.free.fr/
Le film des YES MEN.
différentes formes de pouvoir libéral. Avec leur site
http://www.gatt.org/, qui reprend les anciennes initiales de l’OMC (General Agreement on Tariffs and Trade),
ils proposent une copie ironique du site de l’Organisation
Mondiale du Commerce. Pris au sérieux par le faire
valoir de cette appellation et par ce parodique site officiel,
ils sont invités à des conférences et autres présentations
reconnues sur le commerce international. Le 21 mai
2002 lors d’une conférence à Sydney, ils annoncent la
dissolution de l’Organisation Mondiale du Commerce
comme un mea culpa face à la mondialisation et à la
disparité Nord/Sud. En contrepartie, ils proposent une
nouvelle organisation s’attelant à développer des entreprises plus responsables, plus respectueuses des travailleurs,
des citoyens du monde et des plus pauvres. L’assistance,
bien que choquée de la nouvelle, soutient la décision et
l’encourage même par des suggestions comme l’implantation du nouveau siège dans un pays du Sud. Cette
annonce est alors diffusée de manière exponentielle
jusqu’à ce que l’OMC à Genève dénonce l’information. Cette
attitude subversive discrédite ainsi le fonctionnement
d’organisation internationale mais aussi l’inertie et l’inattention que les assemblées témoignent lors de telles
conférences.
OMAC - organisation mondiale de l’art contemporain; L’art (se) joue de l’institution, newsletter 02.
Manifestation de Kein mensch ist illegal.
La communication et ses flux étant une charnière
centrale du pouvoir, de nombreuses démarches critiques
cherchent à en jouer par une sur-affirmation subversive,
une sur-identification, un détournement voir une pollution.
Les «media tactiques» sont alors des domaines investis et
employés par les pratiques destituantes. Ces démarches
pénètrent, explorent et usent les moyens de communication
de certaines institutions afin de, non pas les détruire,
mais de mieux en dévoiler leur structuralisation. En 2000,
le réseau Kein mensch ist illegal (aucun être humain
n’est illégal / kmi) met en place le site de campagne
"deportation.class" contre la politique de vols d’expulsions
de la compagnie aérienne nationale Lufthansa. Par le
biais d’images et de textes satyriques diffusés sur cette
plateforme Internet, mais aussi par une perturbation
électronique des serveurs de la société Lufthansa, KMI
vise à prévenir les expulsions et à lutter pour les droits de
la résidence. Elle use d’outils symboliques directs et axe
sa critique destituante sur l’économie de l’attention. Cette
protestation on-line, co-organisée avec Libertad !, cherche
ainsi à perturber le site de la compagnie aérienne par un
bombardement d’emails sur une durée déterminée. Cette
technique, identique aux attaques de hackers qui bloquent un site en provoquant un Denial of service (DOS),
cherche à figer la Homepage, susciter l’attention voir la
non-confiance des potentiels clients et ainsi empêcher
la réservation en ligne de billets durant cette période. À
l’image d’un sit-in virtuel, cette critique institutionnelle
interroge la politique de campagne et son lien avec les
media qu’elle utilise.
Ces pratiques liées à l’hacktivisme deviennent
de plus en plus fréquentes dans les démarches de critique
institutionnelle, notamment destituante. Elles mixent et
détournent des outils de communication souples et adaptés
à des situations précises. Outre souligner les champs
de possible de certaines organisations et ainsi remettre
en cause leur structuralisation, ces attitudes intrusives
voir subversives analysent directement les medias, les
systèmes de pouvoir et de communication. Revenant à
interroger les différents supports qu’elle emploie, la critique
institutionnelle a notamment pris forme dans le statut du
troller. Ce terme désigne, dans le langage du réseau,
le personnage malfaisant qui perturbe le fonctionnement
des espaces de discussion. Il multiplie les messages sans
intérêt ou envenime le débat en suscitant volontairement
la polémique. Par un usage précis de la rhétorique et
des figures de styles, le tout lié à une bonne maîtrise du
langage réseau, il multiplie les propos sulfureux, les
attaques personnelles ou sous entendues, les contradictions
et disgrétions systématiques. Il cherche également à poster
une grande quantité de messages en peu de temps
afin de saturer le site de discussion. Essentiellement
actif sur les sites d’informations généralistes ouverts aux
commentaires, le troller met en exergue la fermeture de ces
plateformes face aux commentaires critiques, contraires
ou dis-créditeurs. Il joue finalement des médias dits
"participatifs" afin de montrer les limites du genre mais
surtout de démonter les faux-semblants utopiques dont
font preuves certains journalistes et lecteurs à partir
du moment où cela se retourne contre eux. La pratique
destituante du troller commence désormais à être
elle-même détournée par certaines sociétés. Ces dernières
rémunèrent des "professionnels" en la matière afin de ternir l’image d’un concurrent, de critiquer son organisation
et diminuer l’attention que peut lui porter son public.
Par une dérive de rapports de force et de pouvoir
économique, la critique institutionnelle peut elle-même
finir par se fermer et s’institutionnaliser.
Au fil du temps, l’analyse, la critique institutionnelle
s’est intéressée au pouvoir dans la société dans son
ensemble et plus seulement au pouvoir au sein d’une
organisation ou structure précise. On parle dès lors
d’une critique institutionnelle restreinte ou généralisée.
Elle peut prendre des formes aussi bien théoriques que
pratiques, cherchant soit une com-position par une
recherche collective ou davantage l’expression d’un
"non-positif"
ouvrant
des
possibles.
Évitant
la
structuralisation ainsi que la réaction dialectique par
la notion de transversalité et d’extra disciplinarité,
elle sort du domaine artistique pour investir des
domaines beaucoup plus larges et en résonance avec les
rapports de force et de cloisonnement actuels. Comme
toute démarche critique elle doit rester vigilante et en
perpétuelle évolution et recomposition dynamique pour
ne pas être détournée à des fins individuelles et donc
institutionnalisées.
Lients internets:
- The Yes Men
http://www.theyesmen.org/
http://www.unitedartists.com/yesmen/
- Kein mensch ist illegal
http://www.kmii-koeln.de/
http://www.libertad.de/
http://www.noborder.org/archive/www.deportation-class.com/
http://www.rtmark.com/luft/
http://www.noborder.org/
- Hacktivisme
http://fr.wikipedia.org/wiki/Hacktivisme
http://emedia.free.fr/hacktivisme.html
http://www.transfert.net/ARCHIVES-1-08-Dossier-dissidence,2678
http://www.chronicart.com/webmag/article.php?id=309
OMAC - organisation mondiale de l’art contemporain; L’art (se) joue de l’institution, newsletter 02.
Focus sur Middle of Nowhere, Réseau international des
centres d’art contemporain fantômes avec la collaboration
de Laurent Mulot:
Le projet-oeuvre Middle of Nowhere (MOFN) de
Laurent Mulot débute en 2001 lors de son voyage en
Australie. Durant sa traversée d’ouest en est du pays, il fait
une escale à Cook. Cette petite ville ferroviaire, située en
Australie Méridionale, ne compte que deux habitants dont
l’activité est rythmée par le passage du train. Ce statut de
ville « fantôme » amène Laurent Mulot à y implanter, en
un geste poétique, le Centre d’Art Contemporain Fantôme
de Cook, CGCAC (Cook Ghost Contemporary Art Center).
Il est signifié par la pose d’une plaque attestant de la
fondation de ce centre et ses gardiens sont les deux seuls
habitants. Elle ne présente aucune programmation, ni
même espace d’accrochage. L’unique plateforme de
présentation est son site internet intitulé «They come out
at night» où l’on peut devenir membres du CGCAC et
laisser son portrait "fantôme" comme base d’une
collection photographique. Par un questionnement des
structures d’institutionnalisation et de globalisation,
Laurent Mulot développe dans un second temps un réseau
international de centres d’art fantômes, Middle of Nowhere.
Cette association de loi 1901 regroupe une série de
centre d’art fantôme, tous situé sur des territoires
précis: "difficulté d’accès", "impossibilité d’y séjourner"
et "haut potentiel fictionnel". Chaque centre, voir
succursale, collabore avec le tissu local en invitant le peu
d’habitant à l’administrer. Il cible ainsi les spécificités
du territoire, la nature et la rencontre avec les
habitants de ces différents "nowhere".
Ce travail présent en différents lieux à la fois,
accompagné d’un mouvement d’aller retour entre le
champ de l’art contemporain et des domaines tout autres,
témoigne d’une volonté d’extradisiplinarité, d’un souci
de ne pas structuraliser sa démarche et d’un désir de se
rendre "au milieu de nulle part". Laurent Mulot l’explique
ainsi: «ma posture est extra-territoriale, j’essaie non
pas de conquérir des territoires pour le monde de l’art,
mais je tente de mettre de l’art là où je sens qu’il peut
s’installer, et cela ne peut se faire autrement qu’avec
l’adhésion des gens que je rencontre sur place. Le couple
de bushmen à Cook en Australie ne se préoccupe pas d’art
contemporain, pas plus que les octogénaires de ce petit
village drômois, ni les élus locaux de Mazagao dans la
forêt amazonienne, pas plus que les paysans du Sichuan
en Chine ou les deux habitants d’El Jadida au Maroc. Mais
tous se sont emparés du geste comme d’une revendication»
d’art « et ce faisant sont entrés dans le discours de l’art
contemporain et d’ailleurs dans son actualité car Middle
of nowhere est une œuvre qui s’expose sous la forme
d’installation, d’exposition photographique et sur le web».
In progress, sa démarche peut être suivie sur le site
internet mofn.org. Loin d’être un simple outil d’archivage
ou support documentaire de ce projet, elle présente une
facette à part entière de son travail. Cette plateforme
offre une diffusion de l’activité de Middle of Nowhere avec
ses différentes collections permanentes, notamment les
portraits des administrateurs et de ses membres, ses
résidences ainsi que le projet en cours de Ghost Fondation
créé avec la galerie Bleu du Ciel. Par le biais de borne
interactive accessible au public, ce réseau de centre d’art
fantôme réinvestit des espaces d’exposition propre au
domaine de l’art contemporain comme le Musée d’Art
Contemporain de Lyon ou le musée Duo Lun de Shanghaï.
Laurent Mulot souligne avec justesse «ma démarche a été dès le départ centrée sur le geste poétique qui
pourrait faire basculer un lieu de non-art vers un territoire de l’art. Sans reprendre la question Duchampienne,
comment un objet "devient d’art (dard)", il m’intéressait
d’introduire une variable sur un territoire à priori sans
intérêt, ou à priori vide "d’art" et développer avec les
gens (même au nombre de deux) habitant ou s’occupant
dudit territoire, le projet d’un centre d’art contemporain
fantôme. Bien sûr, la situation me permettait de poser
une critique sur le ton de l’ironie. Mes centres d’art sont
fantômes, l’institution est vide, aucune œuvre n’est visible
sur le lieu mais les gardiens existent pour de bon, la seule
chose tangible est humaine. Donc pas de public, pas de
bâtiment, pas d’œuvre enfin une centre d’art idéal sans
aucun soucis». Par ce positionnement Middle of Nowhere
se rapproche d’une critique institutionnelle. Elle souligne
le fonctionnement des centres d’arts et leur structuralisation. Par ce choix de lieux vides, d’absence , Laurent
Mulot sur joue le travail de décentralisation et de sur
médiation univoque de l’art contemporain jusqu’à
l’absurde. Il invite dès lors à un mouvement d’exode,
de déterritorialisation de l’art contemporain vers un
"nowhere", un non lieu et un non temps. Sans pour autant
se fermer sur une critique restreinte au milieu artistique et à son fonctionnement, ce réseau de centre d’art
fantôme finit par mettre en avant l’omniprésence de la
globalisation et du rayonnement international qui peut
même s’appliquer sur le vide. Ce jeu de "variable" au milieu
de nulle part introduit un "non-positif" vis-à-vis du système
de plus-value souvent esthétique, de territoires improbables à des fins économiques tel que le tourisme. Par un
acte poétique à la fois physique et virtuel, Laurent Mulot
nous invite à une parenthèse critique extra disciplinaire.
Les 5 photographies, représentant les 10 gardiens des 5
centres d’art contemporain fantômes de Middle of Nowhere:
Le Centre d’Art Contemporain Fantôme de Cook en Australie, CGCAC.
Le Centre d’Art Contemporain Fantôme de Rochefourchat en France, RGCAC.
OMAC - organisation mondiale de l’art contemporain; L’art (se) joue de l’institution, newsletter 02.
L.M - L’idée est effectivement de «couvrir» l’ensemble
de la planète à la manière de toute bonne multinationale
mais aussi à la manière de l’internationalisation de l’Art
Contemporain, de la surrenchère des biennales, du village
global ainsi je projette de partager un signal satellite pour
mettre Middle of Nowhere en orbite.
Continuez-vous à rechercher des «nulle part»
avec les critères suivants «difficulté d’accès», «impossibilité d’y séjourner» et «haut potentiel fictionnel», ou
allez-vous élargir ces spécificités comme avec la notion de
Micro-Nation, de pays auto proclamés, physique ou virtuel
(Second Life par exemple...)?
Le Centre d’Art Contemporain Fantôme de Zhu Hai Zhen en Chine, MGCAC.
Le Centre d’Art Contemporain Fantôme de Mazagao Velho Amapa en
Amazonie brésilienne, AGCAC.
L.M - Pour le 6éme se sera le cas, mais si Middle of Nowhere
repose sur les socles de ses centres d’art contemporains fantômes, c’est une entitité qui cherche à acceuillir.
L’accueil étant un axe fondamental à travailler, de mon
point de vue, lorsque l’on constitue un territoire. C’est
particulièrement le cas pour les rencontres que je mène
avec des personnes détenues en Maison d’arrêt dont
l’objet est «de proposer aux participants une résidence
virtuelle dans l’oeuvre Middle of Nowhere». La prison
est un lieu qui entre en résonnance avec le sens de
l’expression «milieu de nullepart». La prison est un trou,
disent les personnes détenues et c’est également un trou
urbain, un vide comme invisible dans le décor. Les personnes détenues avec lesquelles j’ai travaillé à la réalisation de vidéos et diaporamas sonorisés n’ont eu aucun
soucis à adhérer au concept de l’oeuvre car ils ont une
très forte conscience du nulle part et du désert artistique.
C’est en ce sens que Middle of Nowhere accueil de nouveaux territoires. Je travaille également avec un scientifique du CERN et j’espère que nous arriverons à intégrer un
territoire de recherche scientifique.
Les Micro-nations, et pays auto proclamés ne concernent
pas Middle of Nowhere, ils ne sont pas assez «vacants»
et Second Life serait le contre exemple car je tiens à la
physicalité du territoire, son existence géographique et
humaine, puis à partir de cela le territoirte virtuel peut
se dévellopper. Aller créer un centre d’art sur Second Life
inverserait le processus.
Pouvez-vous me préciser le projet Ghost Fondation en collaboration avec la galerie Bleu du ciel, et son
statut vis à vis de MOFN?
Le Centre d’Art Contemporain Fantôme de Mazagan au Maroc, MAGCAC.
Discussion avec Laurent Mulot:
Allez-vous continuer à créer des centres d’art
fantômes, notamment en Antartique pour faire le tour des
continents?
L.M - Le projet du 6éme centre sur les terres Antartiques
est en effet à l’étude.
Souhaitez-vous vous arrêtez à un centre par
continent?
L.M - La Ghost Foundation est là aussi un regard ironique
sur le système de la Fondation artistique et n’a bien sûr
pas le même statut juridique, mais l’idée est de promouvoir et de vendre les oeuvres produites dans Middle of
Nowhere (photos, vidéos, installations) et d’accueillir et
de promouvoir d’autres oeuvres développées par d’autres
artistes qui seraient dans une démarche proche de celle-ci.
Les résidences d’artistes dans Middle of Nowhere en
sont un départ, tel la résidence de l’artiste australien
David Burrows qui a produit une installation photographique sur le lieu même du centre d’art contemporain
fantôme de Rochefourchat.
Dans votre exploration de ces territoires vides, et
au travers de votre invitation à l’exode pour un nowhere,
vous placez-vous en résonance à la déambulation ou
dérive artistique?
ou pourquoi pas proche du mouvement pataphysique?
L.M - Je ne me place pas dans une recherche utopique, ni
une fuite, je m’appuie sur la nécéssité de ne jamais décoller
l’art de la vie.
Lients internets:
http://www.theycomeoutatnight.org/
OMAC - organisation mondiale de l’art contemporain; L’art (se) joue de l’institution, newsletter 02.