Les lésions radio-induites de l`ADN.

Transcription

Les lésions radio-induites de l`ADN.
J. Cadet
Les lésions radio-induites de l’ADN.
J. Cadet, Th. Douki, D. Gasparutto,
J.L. Ravanat, S. Sauvaigo
Laboratoire "Lésions des Acides Nucléiques"
DRFMC/SCIB et UMR 5046 CEA - Grenoble.
Résumé
Un bilan des principales modifications radio-induites des bases puriques et pyrimidiques
qui ont été identifiées et quantifiées dans de l’ADN cellulaire est présenté. L’utilisation de la
méthode de chromatographie liquide associée à une détection par spectrométrie de masse en
mode tandem a permis la recherche de 11 lésions sous la forme de 9 nucléosides oxydés et de 2
bases modifiées dans l’ADN de monocytes irradiés. Il est intéressant de noter que la 8-oxo-7,8dihydro-2'-désoxyguanosine (8-oxodGuo), un marqueur biochimique traditionnel de réactions
du stress oxydant, est formée en quantité plus faible que la 2,6-diamino-4-hydroxy-5-formamidopyrimidine (FapyGua) qui provient du même précurseur radicalaire de la 8-oxodGuo. Une
deuxième approche analytique qui a requis l’utilisation conjointe de la méthode alcaline des comètes et d’enzymes de réparation impliquées dans l’excision de bases modifiées, a été mise en
œuvre. Celle-ci est moins spécifique que la méthode CLHP-SM/SM mais beaucoup plus sensible.
Ainsi le niveau radio-induit de trois catégories de dommages a été mesuré dans l’ADN de cellules
isolées à des doses de rayonnement gamma comprises entre 0,3 et 10 Gy. Il apparaît que le nombre total des cassures de chaînes d’ADN franches et induites par le traitement alcalin est environ
le double du niveau des bases modifiées reconnues d’une part par l’endonucléase III (excision de
pyrimidines oxydées) ou d’autre part par la formamidopyrimidine ADN glycosylase (excision de
purines modifiées). On peut ajouter qu’un bref rappel des principales réactions radio-induites de
la guanine dans des composés modèles est effectué en préambule.
Lésions de l'ADN - Bases puriques et pyrimidiques - Stress oxydatif - Irradiation gamma
Correspondance : Jean Cadet - Laboratoire "Lésions des Acides Nucléiques" - DRFMC/SCIB et UMR 5046 - CEA/Grenoble
17 avenue des Martyrs - 38054 Grenoble Cedex 9
Tel : 04 38 78 49 87 - Fax : 04 38 78 50 90
Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2002 - vol.26 - n°3
119
Les lésions radio-induites de l'ADN
INTRODUCTION
ðLes effets biologiques des rayonnements ionisants sur les organismes
vivants s’expliquent principalement
par la formation de modifications chimiques dans la molécule d’acide désoxyribonucléique (ADN) consécutivement au dépôt d’énergie laissé par
le passage de la trace primaire de la
particule (électron primaire, ion) et
de son cortège d’électrons secondaires. Les processus d’ionisation et d’excitation de l’ADN et des molécules
d’eau liées représentent respectivement les effets directs et quasi-directs
de l’action du rayonnement ionisant.
Toutefois, environ 60 % des effets
moléculaires des radiations ionisantes sur l’ADN de cellule eucaryote ont
une origine indirecte qui fait intervenir la radiolyse des molécules d’eau
un peu plus distantes. Il en résulte la
production du radical hydroxyle et
d’espèces réductrices (électron
solvaté, atome d’hydrogène) qui sont
susceptibles de réagir avec les constituants de l’ADN. Ainsi diverses catégories de modifications de l’ADN
sont formées parmi lesquelles on
note les cassures simple et doublebrin d’ADN, les modifications de bases, les sites abasiques et les pontages ADN-protéines [1,2]. Il est important de préciser que l’action du rayonnement ionisant ne peut pas se résumer à la seule contribution d’événements radicalaires aléatoires donnant
naissance à des modifications isolées.
La notion d’événements multiples
dont l’importance quantitative augmente avec la valeur du transfert
d’énergie linéique (TEL) du rayonnement est à prendre en considération
[1,3]. La formation de cassures double-brin est l’illustration de la participation de réactions radio-induites qui
ont lieu de manière indépendante sur
chacun des deux brins d’ADN à une
distance inférieure à dix paires de
bases. Il est aussi possible d’envisager la formation d’autres types de lésions multiples associant deux ou
éventuellement trois dommages (cassures, bases modifiées) sur le même
brin ou sur les deux brins opposés
[3]. La distribution des lésions simples et complexes faisant intervenir
120
les cassures simple et double-brin
d’ADN ainsi que les dommages de
bases a récemment été estimée pour
différentes valeurs du TEL par des simulations de type Monte Carlo [4].
Les modifications simples des bases
puriques et pyrimidiques de l’ADN
constituent des événements radioinduits importants quantitativement.
On note aussi que les cassures simples sont souvent associées à une
modification de base dans un proche
environnement. La confirmation de la
formation de ces lésions complexes
a été obtenue récemment de manière
indirecte par la mise en évidence de
l’induction de cassures double-brin
additionnelles après incubation de
l’ADN provenant de cellules irradiées
avec des enzymes de réparation de
type N-glycosylases [5]. Il a été aussi
montré que ces mêmes enzymes de
réparation sont à l’origine de cassures double brins néo-formées dans de
l’ADN d’E. coli au cours de la période
post-irradiation [6].
Dans ce court article de revue, l’accent est mis sur la présentation des
données récentes concernant la formation radio-induite des lésions simples dans l’ADN de monocytes humains en culture. Pour atteindre cet
objectif des méthodes de mesure
sensibles et parfois spécifiques ont
été mises au point. La détermination
quantitative de lésions de la base guanine permet d’aborder l’étude de l’effet modulateur de l’environnement
cellulaire sur le cours des réactions
chimiques radio-induites de l’ADN.
Un bref rappel des mécanismes connus de formation de lésions dans des
systèmes modèles de la base guanine
par effet direct (ionisation) et action
indirecte (radical . OH) est tout
d’abord effectué.
MÉCANISMES DE FORMATION
DES PRODUITS DE MODIFICATION
RADIO-INDUITE DE LA GUANINE
ðLa compréhension des mécanismes de dégradation radio-induite de
l’ADN cellulaire implique l’étude de
systèmes modèles (ADN isolé, nucléosides, courts oligonucléotides).
Ces travaux reposent sur l’attribution
structurale des produits de modifica-
tion [1-3] et les informations cinétiques et chimiques concernant les
espèces radicalaires et excitées impliquées dans ces réactions [8]. Les
principales réactions du radical hydroxyle avec les bases puriques et
pyrimidiques de l’ADN isolé et de
composés modèles sont désormais
établies et les produits de modification qui en résultent ont été isolés et
identifiés. Il en est de même pour les
dommages qui résultent de l’arrachement d’un électron à une des bases.
Ainsi plus de 70 produits de modification de la thymine, cytosine, 5méthylcytosine, adénine et guanine
sont connus en tenant compte des
isomères et de produits initiaux relativement instables comme les hydroperoxydes pyrimidiques [2].
Les principales voies de dégradation
radio-induite de la guanine faisant
intervenir d’un part les réactions d’addition du radical hydroxyle et d’autre
part l’ionisation de cette base purique sont présentés dans la figure 1
1.
L’addition du très réactif radical °OH
sur la guanine (1) s’effectue principalement en position 5 et 8 pour engendrer les radicaux 2 et 3 qui montrent des propriétés oxydantes et réductrices respectivement [8]. L’intermédiaire 2 est susceptible de perdre
une molécule d’eau pour conduire à
la formation d’un radical oxyle 4 fortement oxydant dont les réactions
chimiques font l’objet de travaux
détaillés au laboratoire. La chimie de
transformation de l’intermédiaire
radicalaire 3 est désormais bien établie. L’oxydation de 3 par O2 donne
lieu à la formation de 8-oxo-7,8dihydroguanine (8-oxoGua) (5). Par
contre la réduction de ce même intermédiaire qui est prépondérante en
l’absence d’oxygène ou en présence
de thiols conduit à la production de
la 2,6-diamino-4-hydroxy-5 formamidopyrimidine (FapyGua) (6) après
ouverture du cycle imidazole. Les
intermédiaires radicalaires qui proviennent respectivement de la
déprotonation et de l’hydratation du
cation radical 7 de la guanine sont
identiques à ceux qui résultent de
l’addition initiale du radical °OH en
position 5 et 8 (vide supra). Il en résulte une similitude dans la nature des
produits de modification de la gua-
Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2002 - vol.26 - n°3
J. Cadet
que la réaction d’un seul radical °OH
avec la base thymine ou cytosine
peut conduire à la formation d’une
lésion tandem lorsqu'une base guanine est située en 3' ou 5' de la chaîne
oligonucléotidique [10,11]. Le mécanisme de cette réaction fait intervenir la fixation de O2 sur le radical
pyrimidyle qui est suivie par l’addition intramoléculaire de l’intermédiaire ainsi créé sur le carbone 8 de
la guanine. La transposition de
l’adduit radicalaire ainsi formé conduit à la formation de 8-oxoGua et
d’un résidu formamide pour la base
pyrimidique [12]. Ce dommage double dont l’existence n’a pas été encore validée dans l’ADN cellulaire illustre la complexité des réactions
radicalaires des bases puriques et
pyrimidiques.
nine provenant de la réaction du radical °OH et du processus d’oxydation à un électron (ionisation). On
peut ajouter que l’ionisation des bases puriques et pyrimidiques dans un
double brin d’ADN s’accompagne
d’un transfert des trous positifs ainsi
créés vers les bases guanines [9] qui
présentent le potentiel d’oxydo-réduction le plus bas parmi les constituants d’acides nucléiques. Cette migration de charge qui s’effectue sur
une distance maximale de quelques
paires de bases dépend étroitement
de la séquence en faisant intervenir
des mécanismes de sauts et/ou de
super échange. Il a été mentionné
précédemment que le rayonnement
ionisant est capable d’engendrer des
lésions complexes dans l’ADN cellulaire [3,4]. Il a été toutefois montré
O°
N
N
N
N
H2N
- H2O
4
O
Réduction
Déprotonation
HN
HO°
O
-
N
e-
N
N
H2N
7
N
OH
2
° N
HN
+°
H2N
N
H2N
O
N
HN
N
N
HO°
Hydratation
O
°
H2N
Oxydation
O
H
N
HN
H2N
N
N
OH
N
H
3
Réduction
O
O
NH
HN
O
N
N
5
ðLa recherche de modifications radio-induites des bases de l’ADN cellulaire reste un défi analytique qui
s’est heurté au cours de la dernière
décennie à divers problèmes méthodologiques [12]. Il existe deux approches principales pour mesurer les
bases et nucléosides oxydés. Une, que
l’on peut qualifier de spécifique, fait
appel à des techniques chromatographiques associées à diverses techniques de détection (électrochimie,
spectrométrie de masse) après extraction et digestion de l’ADN. La seconde approche qui est plus globale
repose sur la mise en œuvre de la
méthode modifiée des comètes ou
de la technique d’élution alcaline; elle
nécessite au préalable l’incubation de
l’ADN avec des ADN N-glycosylases
d’origine bactérienne, impliquées
dans l’excision de bases modifiées,
afin de convertir ces dommages en
coupures de chaîne additionnelles. Il
faut rappeler que le niveau de sensibilité qui doit être atteint pour la
mesure des dommages radio-induits
des bases puriques et pyrimidiques
est voisin de quelques modifications
pour 107 bases normales dans la molécule d’ADN.
Mesure par chromatographie
liquide à haute performance
associée à une détection par
spectrométrie de masse en mode
tandem (CLHP-SM/SM)
1
HN
MESURE DES DOMMAGES
RADIO-INDUITS DANS L’ADN
CELLULAIRE
H2N
NH
N
6
Figure 1.
Mécanismes de formation radio-induite par ionisation (effet direct) et par le radical hydroxyle (effet indirect) de deux produits majoritaires de dégradation de la
guanine (1) : la 8-oxo-7,8-dihydroguanine (5) et la 2,6-diamino-4-hydroxy-5-formamidopyrimidine (6).
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ðOn peut rappeler que l’utilisation
pendant plus d’une décade de la
méthode de chromatographie en
phase gazeuse avec une détection par
spectrométrie de masse (CG-SM) [13]
a conduit à l’obtention de résultats
erronés avec une surestimation de la
valeur des bases oxydées par un facteur compris entre 20 et 100 [14,15].
Ceci était dû à une oxydation artéfactuelle des bases normales au cours
de la réaction de dérivation qui est
nécessaire pour rendre les molécules volatiles avant l’analyse par CG. Il
faut ajouter la possibilité d’oxydation
des bases normales majoritaires au
cours de l’extraction de l’ADN de la
cellule et des étapes suivantes de
121
Les lésions radio-induites de l'ADN
purification et de digestion. Ces réactions d’auto-oxydation sont désormais en grande partie prévenues par
l’utilisation d’une méthode d’extraction faisant appel à NaI pour la précipitation de l’ADN, à une isolation préalable des noyaux et à l’utilisation
d’agents chélateurs de métaux [1618]. Ainsi le niveau d’induction radioinduite de 8-oxo-7,8-dihydro-2'désoxyguanosine dans l’ADN cellulaire a été déterminé en utilisant une
méthode alternative qui associe la
chromatographie liquide à haute performance (CLHP) à une détection
électrochimique [19]. Cette approche
est fiable mais elle est restreinte à la
mesure de quelques bases ou nucléosides électroactifs comme la 8oxodGuo. Plus récemment la recherche d’autres nucléosides oxydés (5,6dihydroxy-5,6-dihydrothymidine ou
GlydThd, 5-formyl-2'-désoxyuridine
ou 5-FordUrd, 5-(hydroxyméthyl)-2'désoxyuridine ou 5-HmdUrd, 5hydroxy-2'-désoxyuridine ou 5OHdUrd et 8-oxo-7,8-dihydro-2'-
désoxyadénosine ou 8-oxodAdo et de
bases modifiées (FapyGua, ou
Figure 2
FapyAde) (Figure
2) a été effectuée
en utilisant l’analyse CLHP associée
à une détection par spectrométrie de
masse en mode tandem (SM/SM) avec
une ionisation des molécules dans le
mode "electrospray" [17,20]. Cette
méthode est très performante, versatile, hautement spécifique et quantitative (calibration par des étalons internes enrichis avec des isotopes stables). Ainsi la formation radio-induite
de plusieurs dommages de bases a
été observée dans de l’ADN cellulaire
avec l’ordre décroissant d’importance suivant : FapyGua > ensemble
des quatre diastéréoisomères cis et
trans de GlydThd > 5-HmdUrd > 8oxodGuo ~ 5-FordUrd >> FapyAde
>8-oxodAdo [17,20]. Il est intéressant
de constater que la 8-oxodGuo qui
est le composé de référence utilisé
comme un indicateur d’exposition à
des agents du stress oxydant est formé
en quantités plus faibles que des produits d’oxydation de la thymidine
O
NH2
O
H
N
HN
H
N
N
OH
HN
O
O
8-oxodGuo
N
O
dR
dR
dR
5-OHdUrd
8-oxodAdo
O
O
O
CH2OH
HN
O
N
N
N
N
H2N
comme GlydThd et 5-HmdUrd. On
peut ajouter que le produit majoritaire radio-induit mesuré dans l’ADN
cellulaire est en fait FapyGua qui a le
même précurseur que 8-oxodGuo
(vide supra). La formation préférentielle de FapyGua s’explique par la
faible concentration de O2 et/ou la
présence d’agents réducteurs (thiols,
quinones) qui favorisent dans le milieu cellulaire la réaction de réduction du radical 8-hydroxy-7,8dihydroguanyle. L’étude comparative
de l’effet du rayonnement γ de faible
TEL et de particules chargées de 12C6+
de TEL élevé (25,2 keV/µm) sur la formation des produits de dégradation
radio-induite dans l’ADN de monocytes a donné lieu à des résultats intéressants [20]. Ainsi le profil de distribution des lésions est similaire
pour le rayonnement γ et les ions
lourds. Toutefois le rendement de formation est environ deux fois plus faible après exposition aux particules
chargées.
CHO
HN
HN
N
O
dR
5-HmdUrd
dR
dR
5-FordUrd
GlydThd
O
NH
H2N
N
FapyGua
NH2
O
NH2
O
HN
N
O
N
OH
H
OH
NH
N
N
NH2
FapyAde
Figure 2.
Nuc
léosides o
xydés et bases modif
iées mesurés par chr
omatog
or
Nucléosides
oxydés
modifiées
chromatog
omatogrraphie liquide à haute perf
perfor
or-mance associée à une détection par spectrométrie de masse en mode tandem (CLHP-SM/
SM).
122
Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2002 - vol.26 - n°3
J. Cadet
L’utilisation de la méthode CLHP-MS/
MS s’est heurtée à une contrainte qui
est la nécessité d’appliquer des doses relativement élevées de rayonnement ionisant (> 20 Gy) pour la mise
en évidence d’un accroissement du
niveau de dommages radio-induits
dans l’ADN cellulaire. Ceci s’explique par la faible rendement de formation des lésions qui pour le produit majoritaire est de 9,7 GlydThd, /
108 bases/Gy et de l’existence d’artéfacts associés en particulier à l’extraction de l’ADN.
Mesure de classes de dommages
radio-induits dans l’ADN de
cellules isolées par la méthode
modifiée des comètes faisant appel
à des enzymes de réparation
ðLe problème de sensibilité de détection rencontré dans les analyses
chromatographiques a été surmonté
au moins partiellement par l’utilisation conjointe de la méthode alcaline
des comètes et d’enzymes de réparation (endo III et protéine Fpg) qui
convertissent en coupures de brins
additionnelles des bases modifiées
pyrimidiques et puriques [16,18,21].
Il est vraisemblable que la libération
de la molécule d’ADN in situ dans le
gel d’agarose a un effet protecteur
contre d’éventuelles réactions d’oxydation artéfactuelles. Ainsi trois catégories de dommages radio-induits
sont formés linéairement avec la dose
appliquée dans un domaine compris
entre 2 et 10 Gy. Les valeurs moyennes du nombre d’événements par
cellule et par Gy sont les suivantes :
430 coupures et sites alcali-labiles,
171 bases reconnues par l’endonucléase III et 151 sites sensibles à
l’enzyme Fpg [16]. Il est intéressant
de constater que le nombre de coupures d’ADN radio-induites est assez
proche de la valeur proposée (~1000)
dans la littérature [1]. Il a été récemment estimé par des approches théoriques que le nombre de bases lésées
après exposition de l’ADN cellulaire
est deux fois plus important que ce-
lui des cassures de chaînes d’ADN
[4]. Ce rapport est plus faible (~ 1)
dans notre étude expérimentale mais
il est vraisemblable que plusieurs
nucléosides oxydés qui sont quantitativement importants comme 5HmUrd et 5-FordUr ne sont pas reconnus par les protéines endo III et
Fpg. On peut ajouter que l’optimisation récente de la méthode des comètes (remplacement du bromure
d’éthidium par l’agent de fluorescence YOYO-1, diminution de la concentration du gel d’agarose) a conduit
à un accroissement notable de la sensibilité [22]. Ainsi il est désormais
possible de mesurer des dommages
radio-induits dans de l’ADN cellulaire
pour une dose de rayonnement
gamma de 0.3 Gy. Des travaux sont
actuellement en cours pour calibrer
la méthode modifiée des comètes.
Pour cela, de l’ADN cellulaire dans
lequel des quantités connues de 8oxodGuo ont été introduites de manière très spécifique par incubation
avec une source chimique d’oxygène
singulet [18] sera utilisé. On peut ajouter que l’optimisation des conditions
d’extraction et d’hydrolyse enzymatique de l’ADN, étapes clé pour l’analyse CLHP-SM/SM repose aussi sur
l’utilisation d’ADN cellulaire contenant quelques résidus de 8-oxodGuo
qui ont été marqués isotopiquement
avec 18O.
CONCLUSIONS
ðDes progrès sensibles ont été effectués dans la connaissance de plusieurs dommages radio-induits de
l’ADN cellulaire par l’utilisation de
deux méthodes complémentaires, la
CLHP-SM/SM et la technique modifiée
des comètes. Comme cela a été souligné, des améliorations (calibration,
accroissement de la sensibilité) devraient être apportées à ces deux
méthodes. Il faut aussi noter qu’une
extension des mesures actuelles à
d’autres lésions par détermination
Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2002 - vol.26 - n°3
directe (recherche d’autres nucléosides oxydés) et par analyse indirecte
(utilisation de nouvelles enzymes de
réparation comme AlkA) est aussi
prévue. Les méthodes disponibles
qui ont été mises en œuvre au laboratoire ne permettent toutefois que
la mesure de dommages individuels
même si ces derniers appartiennent
à des lésions complexes. La faible
valeur de formation radio-induite des
nucléosides oxydés souligne indirectement le rôle biologique prédominant joué par les dommages multiples. La mesure de ces dommages
dont l’existence pour certains a été
montrée récemment de manière indirecte [5,6] reste un problème très
difficile puisque chaque dommage
est pratiquement unique. Toutefois la
mesure d’événements moléculaires
à de très faibles doses de l’ordre de
quelques cGy ne peut avoir pour cibles que les dommages multiples de
l’ADN, véritables signatures de l’action du rayonnement ionisant. Dans
ce contexte de la détermination des
effets de faibles doses, la mesure des
lésions individuelles radio-induites
se heurte au bruit de fond cellulaire
qui a pour origine le métabolisme
aérobie. Il est toutefois désormais
possible d’évaluer le rôle biologique
de dommages radio-induits multiples.
Ceci implique la synthèse d’oligonucléotides modifiés comportant des
lésions tandem ou multiples qui peuvent servir de substrats pour des études de réparation par excision de
nucléotides [23] et de nucléobases
[24], de synthèse translésionnelle [25]
et de mutagenèse [26]. On peut ajouter à ces processus déjà complexes
la contribution possible d’autres processus physico-chimiques tels que le
rôle des électrons lents secondaires
[27] et l’ionisation en couche K des
atomes de C, N et P par effet photoélectrique [28]. Il faut aussi signaler
l’existence de l’effet "bystander" pour
lequel des réactions de stress oxydant
seraient déclenchées dans des cellules non irradiées par la transmission
d’un signal [29].
123
Les lésions radio-induites de l'ADN
Radiation-induced damage to DNA
This short survey focuses on the main radiation-induced base lesions that have been
identified within cellular DNA. For this purpose, sensitive assays that are aimed at measuring a
few modifications per 107 normal bases were set-up. In that respect high performance liquid
chromatography – tandem mass spectrometry (CLHP-MS/MS) was found to be able to single out
the formation of 9 oxidized nucleosides and two modified nucleobases out of the 70 oxidative base
lesions that have been identified in model systems. As a striking result, it was found that in the
DNA of γ –irradiated human monocytes, the formamidopyrimidine derivative of guanine is
produced in a higher yield than the ubiquitous 8-oxo-7,8-dihydroguanine damage, both arising
from the same radical precursor. However, relatively high doses of ionizing radiation (> 20 Gy)
have to be applied in order to detect an increase in the level of the damage. This is due to the low
efficiency for both low and high LET radiations to generate oxidative damage to DNA on one
hand and the occurrence of artifactual oxidation of the overwhelming normal bases during DNA
extraction on the other hand. Interestingly, a modified comet assays that involves the combined
use of the alkaline single gel electrophoretic technique and DNA repair N-glycosylases has allowed
the detection of three main types of radiation-induced damage within the dose range 0.3 Gy – 10
Gy. It appears that the total of frank DNA strand breaks and alkali-labile sites is similar to the sum
of oxidized pyrimidine bases and modified purine bases that are recognized by the endonuclease
III protein and the formamidopyrimidine DNA N-glycosylase respectively.
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