Blois 2013 - La conquête du Soudan français de Segou à Tombouctou

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Blois 2013 - La conquête du Soudan français de Segou à Tombouctou
Blois 2013 - La conquête du Soudan français de Segou à Tombouctou (1880-1894)
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Blois 2013 - La conquête du Soudan français de
Segou à Tombouctou (1880-1894)
Sophie Pereira, Patrick Bénéïto, Jean-Michel Crosnier, Marc de Velder
par Sophie Pereira
Mise en ligne : dimanche 13 octobre 2013
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Blois 2013 - La conquête du Soudan français de Segou à Tombouctou (1880-1894)
Un temps de guerre spécifique pour la colonisation française ?
Cette conquête a duré 14 ans, pratiquement sans interruption.
Les sources qui nous sont parvenues sont très diverses et surtout très volumineuses. Elles
comportent principalement des rapports rédigés par les commandants supérieurs du haut fleuve,
leurs subordonnés, ainsi que des correspondances plus ou moins privées. Ces sources sont
particulièrement précises et sont constituées non seulement de récits mais aussi de cartes, de
plans, de rapports généraux, de cas particuliers (exemple : les inspections vétérinaires). Ces
rapports sont composés aussi d’analyses des relations diplomatiques et militaires entretenues entre
les autorités françaises d’une part et l’empire Toucouleur, l’empire Malinké et les différents alliés
des uns et des autres.
Rappel : le traité de Paris rend à la France en 1814 des territoires comme le Sénégal, contrôlés
pendant les guerres napoléoniennes par le Royaume Uni. Ce sera le premier jalon de l’expansion
coloniale vers l’est, de la côte atlantique puis l’intérieur des terres en direction des fleuves Sénégal
et Niger jusqu’à Tombouctou, ville mythique aux confins du Sahara permettant à l’imaginaire
colonial de relier l’Afrique arabophone à l’Afrique subsaharienne. Les Français ont d’abord tenté
de rallier l’Algérie à Tombouctou par le Sahara, mais la mission Flatters a été massacrée par les
Touaregs. Cette expansion française prendra fin en 1898 du côté de l’Afrique de l’est avec la
confrontation entre l’expédition du français Marchand et de l’anglais Kitchener à Fachoda.
Deux conceptions de la conquête coloniale s’opposent ; d’une part la justification politique qui met
en avant une expansion pacificatrice fondée sur le mythe du Soudan auprès de Paris (richesses
minières et forte population). A cette conception politique s’oppose une vision plus privée et plus
exploratoire qui est celle de Brazza soutenue par une partie de l’opinion publique et du parlement
français … et qui aurait l’avantage de coûter moins cher.
Les militaires français comme Faidherbe, gouverneur du Sénégal de 1854 à 1865, veulent joindre
les deux fleuves par ce que l’on pourrait nommer « un collier de forts ». Ainsi on peut dater le
début de la conquête par la construction du fort de Médine de 1855 à 1857. Il fait partie des
hommes de terrain qui ignorent souvent les ordres du gouvernement...
Quelles sont les forces en présence ?
L’empire Toucouleur d’El Hadj Omar Tall – 1864
Source : Wikipedia
A la mort du sultan Toucouleur el hadj Omar Tall en 1880, son empire passe sous le contrôle
fragile de son fils Ahmadou qui fait de Segou sa capitale et peine à contrôler les trois autres régions
de l’empire dirigées par ses frères. Mais cet empire de conquête est constamment miné par des
populations qui cherchent à recouvrer leur indépendance. Le sultan bénéficie néanmoins malgré
ces forces de dislocation de l’appui du royaume vassal Fouta Djalon.
Sur la rive droite du Niger l’empire Malinké (un autre empire musulman) dirigé par Samory
(1830-1900) s’oppose à l’empire Toucouleur dans ses visées expansionnistes.
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Samory, le Coran entre les mains
Source : Wikipedia
Anglais et Français s’opposent territorialement et commercialement par le truchement de ces deux
empires et de leurs alliés respectifs, les Fouta Djalon pour les Toucouleur et le royaume
Kénédougou (avec leur chef Tiéba Traoré) pour les Français.
Quelle est la stratégie de conquête ?
La conquête française fonctionne d’une manière particulière, par colonnes expéditionnaires qui
partent de Bordeaux pour rallier Saint Louis. Elles comportent systématiquement les mêmes
éléments : un corps armé de 800 à 1500 hommes composé de Français et de supplétifs nordafricains (spahis et tirailleurs sénégalais) appuyés par de l’artillerie auquel s’ajoute les
« impedimenta », les familles des supplétifs ainsi que tout le matériel nécessaire à la construction
de la voie ferrée ralliant Médine à Bafoulabé (soit plus de 1000 tonnes), les interprètes, les guides
et les topographes. Les colonnes avancent par étapes de quatre heures, la nuit et uniquement en
saison sèche (entre 7 et 30 km par jour sur ce terrain parfois difficile). Les épidémies et épizooties
déciment régulièrement ces colonnes. Les villages et villes toucouleurs sont défendus par des
fortifications le plus souvent en pisé, mais parfois en pierres recouvertes d’argile. Les Français
canonnent les murailles, y font des brèches et y pénètrent en rencontrant souvent une vive
résistance (un chef se fait exploser avec son clan et ses guerriers plutôt que de se rendre). Les villes
prises sont équipées de fortins en pierres locales avec pour liant de la poudre de coquilles d’huitres
(faute de chaux). On encourage les officiers à écrire leurs hauts faits et récits de campagne remplis
de gloire et d’aventure. Ces récits seront une des bases de la mythologie coloniale.
Quelles sont les grandes étapes de la conquête ?
Les trois grandes périodes de la conquête sont une grande offensive de 1880 à 1883, une
stabilisation de la conquête de 1883 à 1888 et la chute des empires musulmans de 1888 à 1894.
La première période correspond au gouvernement Jules Ferry qui crée le commandement
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supérieur du haut fleuve le 6 septembre 1880 (relevant du gouverneur du Sénégal), confié au
colonel Gustave Borgnis Desbordes. Ce dernier a une grande liberté d’action et peut décider une
intervention militaire rapide. Le gouvernement français ne peut avancer que par la politique « des
petits paquets » car le parlement rechigne à investir beaucoup d’argent dans la conquête coloniale.
Jules Ferry, président du Conseil, en fera les frais en 1885 et son soutien indéfectible à la conquête
coloniale lui fera gagner le sobriquet de « Ferry Tonkin ». Cette situation politique a deux
conséquences sur la conquête : chaque année les Français lancent des expéditions pour gagner un
peu de territoire sur l’empire Toucouleur (il leur faudra 14 campagnes pour finaliser la conquête),
et un lobby colonial constitué des militaires du Soudan Français (« les Africains ») se renforce
chaque année. Ils ont en effet sur place, au Soudan, une grande liberté de manœuvre et ne doivent
rendre des comptes à Paris qu’une fois l’an, lorsque la saison des pluies empêche toute progression
du corps expéditionnaire.
La seconde période correspond à la chute du gouvernement Ferry et à une forte contre-attaque de
l’Empire Malinké. Les Français doivent également tenir compte de la position hostile des
Britanniques qui soutiennent en sous-main leurs adversaires en leur fournissant des armes venant
de la Sierra Leone ... Les deux campagnes de 1886 à 1888 menées par Gallieni permettent
cependant des avancées vers Ségou.
A partir de 1888, le commandement supérieur du Haut fleuve est confié au colonel Louis
Archinard qui en dépit des réticences du parlement accélère la conquête du Soudan français.
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Louis Archinard (1850-1932) – source : Wikipedia
Samory, malgré ses appuis britanniques, est vaincu : l’empire Malinké est annexé en 1889.
L’empire Toucouleur d’Ahmadou chute en 1890. Mais en 1892 une offensive du parlement est
lancée contre Archinard qui est contraint de quitter son poste en Juillet 1893. En 1892, le Soudan
est devenu une colonie autonome séparée du Sénégal : un gouverneur civil est nommé. En 1893, la
flottille du Niger (dont les officiers sont en rivalité avec les officiers de l’armée de terre) lance de
son propre chef une expédition vers Tombouctou. Le successeur militaire d’Archinard, le colonel
Bonnier, est contraint malgré lui d’envoyer des troupes vers Tombouctou : la première colonne est
massacrée par les Touareg, la seconde colonne sous les ordres de Joffre prend la ville en 1894.
C’est la fin de la conquête du Soudan français.
Comment les guerres de conquête proprement dites sont justifiées auprès de l’opinion
publique et du parlement ?
Dès le début, la politique de Jules Ferry est favorable à l’expansion mais doit tenir compte des
sensibilités du Parlement et de l’opinion publique, mais également de celle des entrepreneurs
attentifs à l’expansion de l’empire colonial. C’est pourquoi, suivant l’interlocuteur, les dirigeants
favorables à la conquête utilisent des arguments différents :
celui du « fardeau de l’homme blanc » (de la mission civilisatrice), et celui de la lutte contre
l’expansion britannique à l’attention des parlementaires ;
la propagande coloniale basée sur les récits héroïques de la conquête à l’attention de l’opinion
publique.
Malgré ces efforts, la conquête coloniale est critiquée par un nombre importants de
parlementaires. Le lobby colonial n’est en effet composé que d’une centaine de parlementaires (sur
500) en 1893, mais ils sont résolus. En revanche des politiques de premier plan, comme
Clémenceau, sont hostiles à la colonisation comme le prouve cette citation de 1885 en réponse à
Jules Ferry :
« N’essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ne parlons pas de droit, de
devoir. La conquête que vous préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation
scientifique sur les civilisations rudimentaires, pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la
force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n’est pas le droit, c’en est la négation. Parler à
ce propos de civilisation, c’est joindre à la violence, l’hypocrisie. »
Malgré cette belle citation, la plupart du temps les arguments avancés ne sont pas aussi moraux
mais plutôt financiers : la colonisation coûte cher et éloigne la France de ses objectifs européens.
Sources :
Que trouve-t-on dans les archives nationales d’outremer d’Aix en Provence ?
Les pages d’instruction aux officiers
Les rapports des officiers pendant les campagnes, fournis avec une dizaine de chapitres
(l’épaisseur d’un carton d’archives) : déroulé de la campagne, croquis de forts, plans,
reconnaissance de territoires, inspection vétérinaire, rapport sur l’adversaire (Samory) et l’allié
(Tiéba)
Des correspondances entre adversaires
Des comptes de dépenses, les morts et blessés
Des fonds géographiques et d’expéditions officiels mais aussi des fonds privés (Gallieni,
Marchand).
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