L`Etat empêche les collectivités locales de contester leurs prêts

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L`Etat empêche les collectivités locales de contester leurs prêts
L'Etat empêche les collectivités locales de contester leurs prêts
toxiques en justice
Avec le désamarrage du franc suisse vis-à-vis de l’euro on redécouvre les ravages
des prêts indexés sur la devise helvétique souscrits par de nombreux emprunteurs
de l’union européenne qui voient leur dette s’envoler. En une journée, le 15 janvier
2015, le franc suisse a flambé de 20% par rapport à l’euro. Deontofi.com revient sur
la loi d’amnistie des prêts toxiques imposée par l’État aux collectivités locales.
Piégées par l’explosion du coût de remboursement des prêts toxiques indexés sur le franc
suisse, les collectivités locales contestaient leur aspect trompeur en justice. Héritier de
ces créances douteuses après le renflouement de la banque Dexia en faillite, l’Etat a fait
voter une loi d’amnistie des prêts toxiques pour endiguer ces procès. Illustration : « Le
viol des anges » (Rape of the Angels) tableau de Llyn Foulkes, 1991, Collection Pinault
(Venise Dogona)
Un prêt toxique est un crédit présenté par la banque comme bénéficiant d’un taux
d’intérêt avantageux en cachant ses risques, notamment l’envolée du coût de
remboursement selon des facteurs variables. En Égénéral, les particuliers connaissent les
prêts à taux fixe, dont le taux d’intérêt est fixé pour toute la durée du prêt, et ceux à
taux variables, dont le taux varie durant la durée de remboursement, par exemple une
fois par an, en fonction d’un taux de référence, comme le taux Euribor (euro interbank
offered rate, ou taux interbancaire en euros).
Les prêts toxiques sont une forme de prêt à taux variable pernicieuse qui ne dit pas
son nom. C’est le cas par exemple des prêts indexés sur le franc suisse, comme le
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toxiques en justice
fameux contrat Helvet Immo de BNP Paribas, souscrit par de nombreux particuliers
français. Présentés comme des prêts à taux attractif, le capital à rembourser dépend de
l’évolution du franc suisse (CHF) par rapport à l’euro. Avant sa revalorisation du 15
janvier 2015, le franc suisse avait déjà flambé de 38% par rapport à son niveau d’octobre
2007 (passant de 1CHF = 0,6 € en octobre 2007, avant qu’il soit arrimé au cours de 1CHF =
0,83 €, par décision de la Banque nationale suisse du 6/9/2011). Au cours de 1CHF = 1€,
depuis le 15 janvier 2015, la monnaie helvétique s’est revalorisée de 67% par
rapport à 2007 ! Une mauvaise nouvelle pour les souscripteurs de prêts toxiques indexés
sur le franc suisse, dont les remboursements s’envolent dans les mêmes proportions.
De nombreuses collectivités locales et emprunteurs publics se sont fait piéger par
des prêts toxiques indexés sur le franc suisse, ou basés sur d’autres montages
scabreux, proposés par la banque Dexia, issue de la fusion entre le Crédit local de France et
son homologue le Crédit communal de Belgique. Beaucoup d’emprunteurs n’ont pas les
moyens de rembourser la dette toujours plus lourde de ces emprunts. Et comme de
nombreux prêts toxiques ne respectent pas les règles, ils sont contestés en justice.
Pour la banque, ce sont des créances douteuses.
Dans son livre
sur le scandale
Dexia, plus
grosse faillite
bancaire en
Europe, le
journaliste Alain
Piffaretti expose
les détails des
prêts toxiques
scabreux vendus
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toxiques en justice
aux collectivités
locales (p.209 et
suivantes).
Empêtrée dans ses imprudences, Dexia s’est écroulée en 2008, déclenchant «la plus
grosse faillite bancaire européenne» (1). En renflouant la banque, l’Etat français a hérité
de ses créances douteuses aux collectivités locales, qui plombent le bilan et la
capacité d’emprunt de la Caffil (Caisse française de financement local), banque 100%
publique filiale de la Sfil (Société de financement local), créée pour remplacer la banque
défaillante. Pour en sortir, l’Etat a fait passer une «loi de sécurisation des prêts
structurés», adoptée le 29 juillet 2014 malgré la saisine du Conseil constitutionnel par
60 députés (en vain), interdisant rétroactivement les recours de collectivités piégées par le
coût de ces prêts trompeurs. Cette loi exonère rétroactivement les marchands de prêts
toxiques de leur obligation d’afficher le taux effectif global, prévue par l’article
L313-1 du Code de la consommation.
Il fallait à tout prix empêcher la justice d’être rendue au profit des victimes de
prêts toxiques, comme l’expliquait le sénateur Jean Germain dès le 13 mai 2014 : «En
effet, par deux décisions du 8 février 2013 et du 7 mars 2014, le tribunal de grande instance
de Nanterre a relevé le défaut ou l’erreur de TEG et a jugé que ces manquements
devaient être sanctionnés par l’application du taux d’intérêt légal en lieu et place du
taux d’intérêt prévu par le contrat, taux qui, dans le cadre de prêts structurés, peut se
révéler très élevé». Les banques ont l’obligation d’informer clairement les emprunteurs du
taux réel de leur crédit, appelé taux effectif global, ou TEG. Si le contrat n’est pas clair sur
ce taux réel, les juges considèrent, en application de la loi, que l’emprunteur ne doit
rembourser que le taux d’intérêt légal, inférieur à 1% depuis 2010 et même proche
de zéro depuis 2013 ! Un taux sans commune mesure avec le racket des prêts toxiques.
Si les banques ne peuvent même plus dépouiller les emprunteurs avec des prêts
illégaux sans risquer de perdre leurs procès, où va-t-on ? L’anarchie menace, à en
croire le sénateur Jean Germain pour qui cette justice providentielle pour les
emprunteurs trompés «conduirait à une réaction en chaîne particulièrement
désastreuse pour nos finances publiques et, paradoxalement, pour le financement des
collectivités territoriales elles-mêmes : M. le secrétaire d’État a cité le chiffre colossal de
17 milliards d’euros». Intox ?
Oui, car l’étude citée, motivant la loi, se base sur des chiffres fournis par Dexia ellemême, qui a gonflé le montant de ses prêts toxiques potentiellement litigieux à 17
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milliards d’euros. En réalité cette évaluation ne tient pas compte des affaires prescrites et
de nombreux prêts à taux variables non toxiques (classiques Euribor sans indexation
devises). L’exagération du risque calculé par Dexia a été brandie par le
gouvernement pour justifier la pseudo-nécessité de voter la loi rétroactive.
En consolation, l’Etat a promis 1,5 milliard d’euros sur quinze ans, alimenté pour
moitié par les banques et pour l’autre par l’Etat, pour aider les collectivités à
rembourser leurs prêts en renonçant aux recours.
Mais l’association Acteurs publics contre les emprunts toxiques (APCET), réunissant
les victimes de ces prêts, dénonce un marché de dupes. Le fonds de soutien ne serait
doté que de 60 millions d’euros par an au lieu des 100 prévus, dont une partie pour le
Service de pilotage du dispositif de sortie des emprunts à risque, qui prépare ses critères
d’attribution. Au lieu de prendre en charge 45% des remboursements anticipés, il
n’en payerait plus que 20%. Selon les élus, l’Etat est aussi juge et partie au Comité
national de suivi du fonds de soutien (Cnos), présidé par le sénateur Jean Germain, le
très serviable rapporteur de la loi rétroactive. Pour bénéficier de cette obole, les
collectivités locales doivent adhérer au fonds de soutien avant le 15 mars 2015 en
renonçant à contester leurs prêts toxiques en justice.
La loi rétroactive et le fonds de soutien résisteraient mal à une mise en cause de sa
légalité devant de plus hautes instances, mais cela suspendrait les aides promises.
Certaines collectivités locales sont sensibles à ce chantage, préférant une promesse
d’allègement partiel à un espoir de victoire judiciaire. D’autres considèrent en revanche que
l’hypothétique soutien de l’Etat est insuffisant au regard du préjudice causé aux
contribuables locaux. Leur avocate, Maître Hélène Feron-Poloni, estime que la justice
est de leur côté : «le projet de loi ne supprime pas la possibilité de demander
l’application du taux légal quand le TEG n’était pas indiqué sur les contrats de
prêts toxiques», explique-t-elle. Surtout, la rétroactivité de cette loi visant à éteindre les
procès en cours serait contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’Homme : «il n’y a pas de motif d’intérêt général car seul l’Etat a un intérêt, ce qui
n’en fait pas un intérêt général au sens où cela a été jugé par la Cour européenne
des droits de l’Homme», rappelle l’avocate.
(1) : « Le scandale Dexia, enquête sur la plus grosse faillite bancaire européenne »,
livre du journaliste Alain Piffaretti, Nouveau Monde éditions 2013, 302 pages, 19€.
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