Un petit peuple si divers - Eau et rivières de Bretagne

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Un petit peuple si divers - Eau et rivières de Bretagne
C O N T E S E T PAT R I M O I N E
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L
Un petit peuple si divers
a biodiversité fait aussi merveille dans les contes, là encore le milieu naturel fait éclore
des êtres adaptés à leur environnement, on ne le citera jamais à l’enquête publique
mais la disparition d’une lande, d’une tourbière d’une zone humide s’accompagne assurément de la disparition du petit peuple…de notre imaginaire culturel collectif… bref une
partie de nous.
François-Marie Luzel et René-François le Men, les deux éminents folkloristes collecteurs de contes populaires bretons, moissonnèrent la matière de leurs ouvrages à une période qui n’est pas anodine. Les
thèses de l’évolutionnisme triomphaient, portées au final par Darwin (1856) l’hygiénisme et la notion de
microbes faisaient leur chemin...
Ma mère, née avec le 20e siècle, une femme très rationnelle et terre-à-terre dans la gestion du quotidien,
entretenait pourtant des croyances mêlées à ses convictions. Ses incertitudes en matière de lutins et
autres Yann bonned ruz illustraient à la lettre la phrase inscrite à l’entrée de la bibliothèque dans le film
« Kerity ou la maison des contes » :
« Ce n’est pas parce que c’est inventé que ça n’existe pas. »
Dans son ouvrage « Vie et mœurs des lutins bretons », Françoise Morvan répertorie une bonne centaine
de créatures nées de l’imagination de nos ancêtres ; et sans compter les nombreuses variantes très localisées. Un certain nombre affectionne les milieux aquatiques ou leurs abords. D’autres utilisent rivières,
mares ou marais pour leurs méfaits.
Il est des appellations bien connues tels les korrigans et les lutins ; ils ont bien entendu leurs équivalences
hors des frontières bretonnes. L’aspiration à rêver et la capacité à l’imaginaire ne sont-elles pas les attributs les mieux partagés de l’espèce humaine ?
Mais avez-vous déjà croisé le chemin des Martine, des Buguel-Noz, des Fouannette, des Crassous, des Paotran-Aod, des Viltansou, des Petit-Jean, des Teuz-ar-Pouliet, … ?
Au sujet de la malveillance largement avérée, selon les témoignages, de la « gente minus » Luzel avance
l’explication suivante : « L’origine des Nains est complètement inconnue, mais l’opinion générale en
Bretagne, en raison de leur propension au mal, est qu’ils sont les suppôts du diable, et que c’est de lui qu’ils
tiennent leurs facultés surnaturelles… » Ajoutons qu’ils peuvent aussi se mettre au service des humains
si la demande est faite dans les formes qui leur conviennent et si les termes du « contrat » sont respectés ; sinon gare !
Mais pourquoi ce recours si fréquent chez les humains à des explications concernant leurs propres faits
et gestes qui font intervenir ces créatures et leur particularités ?
Ces êtres ne sont-ils pas finalement des sortes de boucs émissaires ? Les faits et gestes inexplicables,
inavouables, défiant la raison ou, pire encore, la bienséance peuvent trouver des issues présentables si
l’on fait intervenir l’un ou l’autre des cent et quelques créatures existant dans l’imaginaire des femmes
et des hommes du lieu et de l’époque (pas forcément révolue : « la dame blanche » du pont de Plougastel ! ) ; créatures que l’on a préalablement pris soin de doter de malices, de défauts, d’intentions préjudiciables aux humains.
On porte alors à leur crédit des actes qui ne manqueraient pas de jeter l’opprobre sur des voisins, des parents
si ceux-ci devaient les endosser. Un blanchiment des actes, en somme, qui réconcilie à bon compte la communauté humaine au détriment du « petit peuple ».
Tout l’éventail des comportements honteux est ainsi concerné. Cela va de la maladresse d’un homme fatigué et alcoolisé à l’acte désespéré d’une mère qui abandonne son enfant. Les Viltansou malintentionnés
ou une Korrigane enleveuse d’enfant sont alors incriminés.
Et les lutins bienveillants alors ? Quel intérêt une ménagère ou un valet d’écurie ont-ils à prétendre qu’à
leur réveil ils ont trouvé leur travail achevé avec soin à leur insu ?
Vous pouvez avancer des hypothèses, avec l’aide de … votre lutin préféré, cela va de soi !
LES YEUX DU BUGEL NOZ .
Nains
Nain se dit Korr
en breton, d'où
Korrigan et
le patronyme Le Corre
(Ar C'horr) qui fut
d'abord un surnom.
Ces créatures sont
réputées avoir
une petite taille
(cf. nains de jardin !).
Marcel Benot
Eau & Rivières Été 2010 n° 152 - 9