Le Royaume-Uni et ses paradoxes Science, société, compétitivité

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Le Royaume-Uni et ses paradoxes Science, société, compétitivité
Le Royaume-Uni et ses paradoxes
Science, société, compétitivité
Carnets du voyage d’études
à Londres et Manchester
Cycle national
de formation
2015 - 2016
Espaces de la
science, territoires
et sociétés
2
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
Sommaire
Orientations générales
4
1. Financements publics, financements privés:
impact sur la recherche au Royaume-Uni
6
2. Les grands axes de la coopération francobritannique10
3. Communautés politiques, communautés
scientifiques : quelles interfaces, quels enjeux ? 14
4. Greater Manchester : entre dés-industrialisation
et décentralisation,
la réponse d’un territoire et de ses acteurs
18
5. L’évolution du système d’enseignement supérieur
britannique : le cas de l’université de Manchester23
6. Influence de la recherche britannique à
l’international26
7. Interactions sciences et société, public
engagement et éthique : des spécificités
britanniques ?
30
8. L’innovation dans l’économie britannique :
enjeux et politiques
34
Programme du voyage d’études
38
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
3
Session 6 - voyage d’études
Le Royaume-Uni et ses paradoxes
Science, société, compétitivité
mardi 9 - vendredi 12 février 2016
Ce premier voyage d’études de la promotion va lui permettre de prendre la mesure des différents espaces en jeu
dans un pays européen emblématique, le Royaume-Uni.
Huit ans après la crise, le Royaume-Uni a su tirer parti de la
mondialisation pour faire rebondir son économie. Cinquième
économie mondiale et deuxième économie européenne, le
Royaume-Uni a eu un taux de croissance deux fois plus
élevé et un taux de chômage deux fois plus faible que la
France en 2015. Le Royaume-Uni, membre permanent du
Conseil de sécurité des Nations Unies et membre de l’Otan,
conserve une influence mondiale dans les domaines diplomatique et militaire. Bien que profondément eurosceptique
et menaçant de la quitter, le pays a largement façonné
l’Union Européenne et en a influé les orientations majeures,
telles que l’élargissement, le marché unique, ou la dilution
des pouvoirs de Bruxelles. Le Royaume-Uni, espace propice à l’expression de la créativité et à l’entrepreneuriat, attire les capitaux et les talents étrangers, et le rayonnement
culturel britannique est incontestable. Dans le domaine
scientifique, le pays qui ne représente que 0,9% de la population mondiale, a financé en 2013 3,2% de la R&D mondiale et publie 6,4% des articles à comité de lecture et le
Royaume-Uni reste la deuxième destination des étudiants
étrangers, après les Etats-Unis.
Derrière ces réussites se cache une autre réalité. En lien
avec la forte désindustrialisation du pays, le commerce
extérieur britannique est largement déficitaire. La dette publique est en croissance constante. Les bons chiffres du
chômage masquent des inégalités sociales grandissantes
et la grande précarité de l’emploi, symbolisée par le très
controversé zero-hour-contract qui ne garantit ni la sécurité
de l’emploi ni le salaire et qui concernerait maintenant 10%
des salariés britanniques.
En raison de ses difficultés financières, l’Etat a réduit les
budgets de l’enseignement supérieur et, dans une moindre
mesure, de la recherche. Suite aux réductions budgétaires,
les droits d’inscription universitaires ont triplé en 2012 pour
s’élever à 9000 livres par an pour un étudiant de premier
cycle. En novembre 2015, deux mois à peine après avoir
annoncé son plan Teaching for Excellence Framework,
le gouvernement a annoncé que le budget de l’enseignement supérieur baisserait encore de 8,5% d’ici 2020 avec,
notamment, la réduction du student opportunity fund qui
s’adresse aux étudiants les plus modestes et handicapés.
Les politiques migratoires du Royaume-Uni entraînent une
réduction notable du nombre d’étudiants internationaux.
Le budget de la recherche, qui ne représentait que 1,7%
du PIB en 2014 contre 2,25% en France , va rester stable
jusqu’en 2020, alors que le gouvernement a lancé en décembre 2014 une ambitieuse stratégie pour la science et
l’innovation, Our plan for growth , dans le but de «maintenir
la science et l’innovation britanniques à la pointe de l’excellence mondiale». L’éventualité d’un Brexit inquiète non seulement les économistes mais également les communautés
universitaires et scientifiques. En effet, l’Union Européenne
est un financeur majeur de la recherche britannique. En
2013-2014, les établissements d’enseignement supérieur
britanniques ont reçu près d’un milliard d’euros dans le
cadre du 7e PCRD et d’H2020, et Erasmus+ finance la majorité des échanges d’étudiants et de personnels.
Dans ce contexte difficile, les fondations et associations caritatives, telles que le Wellcome Trust ou Cancer Research
UK prennent une part de plus en plus grande dans le financement et l’orientation de la recherche au Royaume-Uni.
A Londres, capitale mondialisée en plein essor économique, la promotion abordera les modèles de gouvernance
et de financement du système de recherche et d’innovation britanniques, les axes stratégiques de sa politique de
recherche et d’innovation, les régulations à l’œuvre entre
pouvoirs publics, recherche, enseignement supérieur et société et le mode de coopération entre ces acteurs, ainsi que
la diplomatie que le Royaume-Uni entretient avec la France
sur ces sujets.
Aux inégalités sociales s’ajoutent des inégalités territoriales. La désindustrialisation du Nord et la tertiarisation de
l’économie sont avancées pour expliquer le clivage entre
le Nord, soumis à des difficultés économiques et sociales,
et le Sud, riche et puissant du fait du développement des
systèmes financiers et de la concentration du pouvoir économique à Londres.
Ainsi Manchester, ville symbole de la révolution industrielle,
qui avait bâti sa richesse sur la transformation et la commercialisation du coton, a tout particulièrement souffert de
la désindustrialisation et s’est trouvée profondément sinistrée dans les années 1960-70. Avec un effort de reconversion depuis les années 1980, 90% des emplois du Grand
Manchester sont maintenant dans le secteur tertiaire, et la
ville est devenue le deuxième pôle financier du RoyaumeUni après Londres . Outre la finance, les secteurs phares
de l’économie locale sont la santé, la création, les médias
et les nouvelles technologies, l’éducation et l’enseignement
supérieur, le sport et le tourisme. La croissance démographique du Grand Manchester, en deuxième position au
Royaume-Uni après Londres, est la preuve du dynamisme
de l’agglomération. Malgré cela, le Grand Manchester a
un taux de chômage élevé pour le Royaume-Uni (7,3%
en 2015) et fait partie des 5 agglomérations ayant la plus
grande proportion de banlieues pauvres du pays. L’administration du Grand Manchester est assurée par le Manchester
City Council à qui a été transmis une partie des pouvoirs et
responsabilités de l’Etat en matière de transport, de déve-
loppement de l’immobilier, de logement, de santé, de lutte
contre le chômage, la pauvreté et la criminalité, lors de la
signature du Devolution Agreement en novembre 2014.
Pour permettre aux grandes villes du Nord de constituer un
contre-pouvoir face à Londres et rééquilibrer l’économie du
pays, le Chancelier de l’Echiquier George Osborne a créé
en 2014 le Northern Powerhouse, qui vise à renforcer les
connexions économiques et physiques entre les grandes
villes du Nord de l’Angleterre, dont le Grand Manchester,
pour dynamiser leur croissance.
A Manchester, cité européenne de la science 2016 et hôte
de l’Euroscience Open Forum (ESOF) 2016, la promotion
étudiera comment se conçoit et se décline la stratégie territoriale d’une grande ville du Nord de l’Angleterre
et son positionnement dans le paysage
national. A l’université de Manchester, membre du Russel Group, un
réseau de 24 universités de recherche intensive britanniques,
et établissement de classe
mondiale, en 41ème position au classement de
Shanghai 2015, la promotion appréhendera
la façon dont l’université concilie son inscription dans le territoire et son ambition
d’excellence internationale, dans
un contexte de
restriction budgétaire.
Marie-Françoise CHEVALLIER LE GUYADER
directrice de l’IHEST
Remerciements
L’IHEST adresse ses remerciements à toutes les personnalités et les institutions qui
viennent à la rencontre des auditeurs de l’IHEST ou les accueillent à l’occasion de
ce voyage d’études : la ville de Manchester, l’université de Manchester, Lord Hunt of
Chesterton, Nicola Blackwood, Clare Matterson et ses collaborateurs du Wellcome
Trust, Rupert Lewis et le Government for Science, Claire Craig, Laura Wilton et la
Royal Society, Lydia Harriss et le Parliamentary Office for Science and Technology et le Science Museum Group. L’IHEST tient également à remercier l’ambassade de France à Londres et particulièrement le Service pour la science
et la technologie. Enfin, l’institut tient à remercier Philippe Laredo et Michel
Becq pour leur efficace collaboration à l’élaboration du programme
de ce voyage d’études.
Cycle national de formation 2014-2015 • Rapport d’étonnement de l’atelier 5
1. Financements publics, financements
privés: impact sur la recherche au
Royaume-Uni
Thierry ADVOCAT
Florence CARRE
L’écosystème de recherche et d’innovation au
Royaume-Uni
Caroline LETELLIER
MARICHAL Le Royaume-Uni compte 194 000 universitaires (enseignants, enseignants/chercheurs,
chercheurs) et 2,3 millions d’étudiants (dont 2,6 % sont européens et 7,8 % non européens)
Pierre-Yves LOCHET
répartis sur 170 établissements d’enseignement supérieur (en France, il y a 2,4 millions d’étudiants
Vincent MOREAU pour 139 établissements) financés sur la base des coûts de scolarité des étudiants, de dotations
à l’enseignement, de financements pérennes et d’appels à projets/bourses. Outre les universités,
les opérateurs de recherche sont issus du secteur privé, de centres de recherche parapublics et
d’établissements publics de recherche.
Les ministères en charge du financement des programmes de recherche sont multiples (Energy
and Climate Change, Business, Innovation, and Skills, HM Treasury, Defence, Health…). Le
ministère en charge de « Business, Innovation and Skills » distribue environ 17 % des 27 milliards
de livres (Md£) de budget global de recherche et développement (cf. annexe 1) grâce à un système
basé sur l’allocation de fonds publics, par l’intermédiaire de trois types d’institutions :
• les Conseils de recherche (Research Councils). Au nombre de 7, ils distribuent leurs
financements (10% du budget global) par un système d’appel à projet (grants) ;
• les Conseils de financement de l’éducation supérieure (Higher Education Funding Councils)
qui distribuent les financements (7,4% du budget global) en fonction d’une évaluation périodique
de la recherche ;
• Innovate-UK ou agence britannique pour l’innovation, dispose quant à elle d’un fonds
pluriannuel (1,6% du budget global de R&D).
L’agence Innovate-UK vise à promouvoir 8 technologies jugées prioritaires par le gouvernement :
stockage de l’énergie, Big data, satellites, robotique et systèmes autonomes, biologie de synthèse,
médecine régénérative, bio-économie et biotechnologies et matériaux avancés. Elle participe au
développement de start-ups, en collaboration avec des centres de transferts de technologie, des
incubateurs, des centres d’innovation (les centres « Catapult ») et des parcs scientifiques (cf. §3
pour plus de détails).
La R&D est financée à 30% par le secteur public, 46% par le secteur privé et 23% par les organismes
de bienfaisance et l’étranger (cf. §2 pour plus de détails et annexe 1).
Parmi ces organismes se trouve le Wellcome Trust1 qui est la deuxième fondation mondiale en
matière de financement de la recherche derrière la Bill & Melinda Gates Foundation. Le Wellcome
Trust est investi dans la recherche biomédicale depuis sa création en 1936. L’objectif ultime de
valorisation de la recherche du Wellcome Trust est, outre la diffusion de la science auprès du grand
public et la production de vaccins et de médicaments, d’influencer la réglementation européenne,
voire internationale des secteurs couverts.
1.http://www.wellcome.ac.uk/
6
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
Ajustement du rôle de l’état dans le financement de
la recherche
En 1985, les dépenses de R&D s’élevaient à 2% du PIB2. Ce budget a été réduit de manière très
significative jusqu’en 1995 pour atteindre environ 1,7% du PIB, chiffre encore d’actualité aujourd’hui.
Cette situation est assumée par le Royaume-Uni qui a diminué le nombre de laboratoires en
conséquence. Par ailleurs, les universités sont incitées à se tourner vers des sources de financements
autres, qu’elles soient privées ou issues de leurs fonds propres, afin de les rendre moins dépendantes
des subsides publics.
Pour l’année 2012, sur les 27 Md£ de budget global R&D, 8% ont été alloués aux établissements de
recherche et 2% aux entreprises, qui pour leur part, ont contribué, en fonds propres à 45% de ce
budget.
Depuis 1995, ce sont les financements privés et étrangers qui ont augmenté le plus, le financement
privé s’élevant annuellement à 17 Md£. Durant cette période, certains secteurs de recherche
précédemment financés par le public ont été progressivement pris en charge par le privé, générant
dans certains domaines une perte de maîtrise de la puissance publique sur des technologies
potentiellement duales ou de souveraineté. C’est le cas notamment de certains secteurs relevant
de la défense nationale et du nucléaire. Pour combler ce déficit sans pour autant avoir à apporter
de l’argent public, le gouvernement britannique a choisi de favoriser les projets privés en facilitant
les conditions d’investissement. L’écosystème réglementaire et juridique semble adapté aux
entreprises et le gouvernement est considéré comme « business-friendly ». Cependant, la stratégie
consistant à favoriser l’investissement privé pour couvrir la R&D de domaines d’intérêts souverains
a ses limites car elle peut entraîner, à terme, une raréfaction des connaissances et créer des
dépendances comme cela est le cas pour le nucléaire. En effet, le Royaume-Uni, qui a décidé de
réinvestir dans le domaine pour renouveler son parc de centrales, doit procéder à une mise à jour
des connaissances en faisant appel à des experts et des technologies étrangères principalement
françaises, américaines et japonaises.
Parmi les financements publics épargnés par le gouvernement on compte le « Global Challenge Fund »
dont le but est de concourir au développement des pays pauvres, permettant ainsi au gouvernement
de préserver son leadership international et de renforcer sa capacité d’influence dans le monde.
Les stratégies d’influence sont multiples et usitées par les acteurs publics comme privés. C’est ainsi le
cas du Wellcome trust qui, pour renforcer la cohérence de ses stratégies d’influence internationale,
mène des actions de lobbying auprès de Westminster ainsi que d’autres instances réglementaires
nationales et européennes. Ainsi, certains membres de la fondation sont présents au sein de structures
étatiques chargées d’établir la stratégie publique de recherche.
Des efforts fortement liés à une logique de
rentabilité
La dépense publique pour la recherche n’est pas perçue comme une simple dotation mais comme
un véritable investissement qui doit permettre au Royaume-Uni de conserver son leadership dans
ses domaines d’excellence et/ou de le positionner sur les 8 secteurs émergents prioritaires. Dans
cette même logique, la dépense publique a été restructurée pour favoriser les financements par
projets, seul budget public ayant connu une progression ces dernières années. Cette stratégie
d’investissement public a également conduit le gouvernement à exiger des universités et des
organismes de recherche qu’il finance, à rendre compte de l’utilisation de ces subsides. Ainsi, des
audits d’évaluation de la recherche sont menés périodiquement. Ils permettent à l’État d’évaluer la
qualité des projets de recherche présentés et ainsi d’orienter les financements. Le gouvernement
britannique a poussé cette logique d’évaluation encore davantage au travers d’un audit sur l’impact
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
2. Source : House of Common
Library, Number CDP
2015/0019. Debate Pack:
Science and research in the UK
and regional economies. 22
June 2015
7
socio-économique de la recherche mené en 2014. La production de connaissances scientifiques
nouvelles et reconnues (publications scientifiques à fort impact), la création de valeur pour les
citoyens ou de richesses à travers le développement de produits à fort potentiel économique ont
notamment été analysées. A la suite de ces évaluations, des laboratoires et départements dont les
résultats d’audit n’étaient pas satisfaisants ont dû fermer, laissant de nombreux chercheurs dans la
précarité. Cette approche illustre la forte centralisation de la gestion de la dépense publique et le
poids du gouvernement dans l’élaboration de la stratégie d’investissement.
Globalement, le Royaume-Uni affiche un excellent ratio production écrite-livre sterling investie mais les
retombées économiques ne profitent finalement que peu au pays lui-même.
Ce facteur d’impact économique repose sur un cercle vertueux de la recherche, qui permet de
passer de la recherche fondamentale à la recherche appliquée puis à son utilisation par l’industrie.
Or, un des points faibles du système britannique actuel réside dans cette relation entre la recherche
appliquée et l’industrie qui reste, aujourd’hui encore, ténue. Pour pallier ce problème, plusieurs
dispositifs ont été mis en place.
Les universités investissent dans la valorisation et le développement de l’esprit d’entreprise
chez leurs étudiants. L’université de Manchester a ainsi créé un département spécifique visant
à favoriser la création de start-ups par les étudiants. Quant au gouvernement, il s’appuie sur
plusieurs programmes et sur l’agence Innovate-UK pour optimiser le transfert de technologie entre
la recherche et l’industrie et créer les conditions favorables pour ces échanges. Ces programmes
s’adressent principalement aux petites structures (petites et moyennes entreprises, start-ups…)
que l’État britannique a du mal à atteindre. Elles bénéficient ainsi de dispositifs d’incitations
financières spécifiques (bourses Smart, Small Business Research Innovation…).
Parallèlement, le gouvernement a officiellement lancé en 2011 le programme « Catapult » qui a
pour objectif de rapprocher sur un même site des laboratoires et des entreprises. Dix centres, inspirés
des instituts Fraunhofer allemands et des instituts Carnot français, ont ainsi été créés dont sept sont
aujourd’hui opérationnels. Chaque centre est articulé autour d’une thématique spécifique (satellites,
technologies numériques, médecine…). Ces centres de technologie et d’innovation bénéficient de
fonds publics et privés répartis selon une règle tripartite : 1/3 projets R&D collaboratifs, 1/3 subvention
de base et 1/3 contrats R&D. Ils sont implantés sur l’ensemble du territoire autour de bassins de
développement des connaissances préexistants. Le gouvernement s’appuie d’ailleurs sur ces centres
pour redynamiser les territoires éloignés de la zone d’influence londonienne.
L’impact de la réforme des universités
La réforme universitaire visait à diminuer la dépendance des universités vis-à-vis des subsides
publics et à les pousser à trouver des sources de financements propres. Elle a fortement influé sur
les conditions d’inscription des étudiants, les contraignant de plus en plus à assumer financièrement
leur scolarité. La réforme a bouleversé la philosophie de l’enseignement, de la recherche et de leurs
financements mais a également contraint les universités à réfléchir à leur intégration territoriale et
à l’impact social de leur recherche et leurs enseignements.
Par ailleurs, elle a accru la concurrence féroce entre les universités pour obtenir les dotations publiques
et privées et pour attirer les meilleurs étudiants. Les établissements cherchent des éléments permettant
de les différencier et de les mettre en valeur. C’est le cas de l’université de Manchester qui revendique
la création et le suivi d’indicateurs de responsabilité sociale. La concurrence entre universités pèse sur
les épaules des chercheurs qui doivent prouver sans cesse, par le biais de leurs publications, qu’ils
participent activement à la renommée et à la visibilité de l’université. Sous contrats de droit privé –il
n’existe pas de fonction publique de la recherche– ils sont fortement incités à publier au détriment,
souvent, des questions de propriété intellectuelle.
Cette réforme a également contraint les universités, qui sont en forte concurrence pour attirer les
talents, à réfléchir à la qualité de leur enseignement et de l’accueil des étudiants. Devenus des clients,
les étudiants sont au centre de toutes les attentions. Les meilleurs doctorants, quant à eux, peuvent
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Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
se voir proposer des conditions salariales attractives. Néanmoins, cette volonté d’attraction des
talents, principalement étrangers, se heurte à la problématique de la gestion des flux migratoires et de
délivrance des visas.
Au-delà de cet enjeu économique, se pose la question de la qualité de l’enseignement et de la
capacité des universités à former la jeune génération aux sciences. C’est un point majeur pour
les britanniques qui sont confrontés à un déficit de jeunes dans les cursus scientifiques. Ce déficit
a un impact non négligeable sur la recherche – les laboratoires devant recourir à des chercheurs
étrangers – et les entreprises. Il existe un décalage perceptible entre les ambitions de leadership
du pays dans certains domaines de pointe (numérique…) et une insuffisance en ressources
humaines qualifiées. Ce déficit est, en partie, lié à une approche culturelle qui favorise le secteur
des humanités. L’élite britannique poursuit majoritairement des études en sciences humaines et
ces cursus permettent d’accéder à des responsabilités importantes dans le secteur économique
aussi bien qu’institutionnel, diplomatique ou militaire.
Pour faire face à ce défi, les universités cherchent notamment à décloisonner les formations et
à favoriser la transversalité des cursus. L’université de Manchester pousse ainsi ses étudiants à
suivre des cours dans des domaines qui ne sont pas au cœur de leur formation.
Un système d’excellence malgré tout
Malgré la baisse des dépenses publiques, l’écosystème de recherche du Royaume-Uni peut être
qualifié d’excellent puisque : (a) deux de ces universités (Cambridge et Oxford) font partie des 10
meilleures universités dans le classement de Shanghai (la première université française est classée
36ème), (b) 62 Prix Nobel ont été décernés à des scientifiques britanniques depuis 1945 (21 à des
personnalités françaises), (c) 5,6% des publications scientifiques mondiales sont britanniques,
contre 3,9% pour la France, avec un impact de citation élevé, (d) concernant le 7ème PCRD : (i)
le Royaume-Uni a été le deuxième plus gros bénéficiaire de crédits (la France était 3ème) avec un
taux de retour de 124% contre 68% pour la France, (ii) il était le premier pays d’accueil pour les
bourses du Conseil européen de la recherche, (iii) les 4 meilleures universités sont anglaises, (e)
il dispose d’institutions influentes dans la diffusion de la culture scientifique, comme les Académies
nationales et les Sociétés savantes, la Royal Institution et le Science Media Centre.
Annexe 1. Organigramme du système britannique public et privé de financement de la recherche et de
l’Enseignement (données de l’année 2012)3.
3. Source : National Statistic
bulletin-UK Gross Domestic
Expenditure on Research and
Development, 2012
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
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2. Les grands axes de la coopération
franco-britannique
Claude AUDOUY
Alexis COLLOMB
Cyril CUVILLIER
Eva-Maria
GRONIGER-VOSS
Françoise PAILLOUS
Introduction
Nous livrons ici quelques réflexions de voyage sur les grands axes de la coopération francobritannique, à la fois telle qu’elle nous a été parfois mentionnée mais aussi, et peut-être surtout,
telle que nous la comprenons et la percevons. En effet, il faut avouer que, de manière générale,
les aspects de la coopération franco-britannique ont été peu évoqués par nos interlocuteurs
sauf peut-être à l’Ambassade de France. Cet état de fait paraît normal puisque la plupart des
interventions écoutées, hors ambassade de France, avaient peu de raisons de se focaliser sur
toute forme de coopération étatique en général, et franco-britannique en particulier. Inversement, il
était normal que ce sujet soit bien davantage traité par les officiels de l’ambassade de France dont
l’un des cœurs de métiers est précisément d’analyser et de nourrir les coopérations existantes ou
potentielles entre les deux pays.
Après un rapide rappel du contexte historique, nous passons en revue l’état du partenariat entre les deux
Etats en se focalisant notamment sur leurs politiques de défense. Puis nous évoquons les partenariats
d’entreprises, le système universitaire, la recherche, et les similarités et différences culturelles entre les
deux pays avant de conclure.
Contexte historique
On décrit souvent l’Angleterre comme un « ennemi héréditaire » de la France. Si l’on veut
comprendre les relations franco-britanniques et apprécier les britanniques, il semble important de
dépasser la simple caricature d’un certain cynisme, de leur fierté insulaire et du French bashing
de leurs tabloïds et de bien garder à l’esprit leur présence lorsque certaines valeurs communes
sont menacées. Il convient alors de remarquer, par exemple, que David Cameron a été l’un des
premiers à réagir aux attentats du 13 novembre et à se rendre au Bataclan.
En effet, les deux Etats sont très proches en raison de leur puissance nucléaire, leurs valeurs et leurs
économies comparables. Cette proximité crée des solidarités et une entente plus que cordiale sur
quelques sujets clés comme l’adoption récente par le Royaume-Uni d’un Livre Blanc de la Défense
comportant comme premier partenaire la France.
Partenariat entre les deux Etats
La France et la Grande-Bretagne sont deux anciennes puissances coloniales. Elles ont toutes les deux
des façades maritimes importantes, des populations et un niveau de vie comparables. Il en découle
probablement une lecture du Monde et une approche stratégique proches.
Les coopérations militaires sur le continent africain ou dans la lutte contre le terrorisme constituent une
illustration actuelle de cette proximité.
Lors de notre voyage d’études, les relations bilatérales au niveau des Etats ont été essentiellement
abordées lors de notre visite à l’Ambassade de France. Lors de notre visite de la Chambre des Communes et
de la Chambre des Lords, nous nous sommes essentiellement focalisés sur la politique scientifique
et les rôles respectifs des commissions parlementaires scientifiques de chaque chambre.
L’illustration la plus évidente du partenariat entre nos deux Etats fut les évocations faites, tant
à Westminster qu’à l’Ambassade de France, d’initiatives communes dans le domaine de la
défense ou dans le secteur de l’énergie (avec des participations significatives de grandes sociétés
françaises, telles qu’EDF ou Engie, à la production de l’énergie du Royaume-Uni). Que la France et
le Royaume-Uni collaborent dans ces deux domaines clés, et névralgiques pour la survie et le bon
fonctionnement d’un Etat, montre combien ces deux pays sont prêts à s’accorder sur l’essentiel.
10
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
La coopération Franco-Britannique pour la Défense
La relation entre le Royaume-Uni et la France sur les aspects de défense est parfois décrite
comme se faisant au détriment d’autres alliances de ces deux pays1. Ainsi certains auteurs mettent
en opposition les tensions qui peuvent exister entre la proximité que le Royaume-Uni entend
avoir d’une part avec Washington et d’autre part avec l’Union Européenne, et en particulier son
bloc continental. Mais cette polarisation classique entre d’une part la Special Relationship que
le Royaume-Uni entretiendrait avec les Etats-Unis2, et d’autre part son statut de membre à part
entière de l’Union Européenne3 oublie la complémentarité de ces deux postures pour le RoyaumeUni : en effet, la force de l’influence de la Grande-Bretagne à Washington dépend pour bonne
partie du rôle prépondérant que le Royaume-Uni peut jouer au sein de l’Union Européenne, et en
particulier dans le domaine de la défense.
La France s’est engagée quant à elle, dans une alliance avec l’Allemagne pour façonner l’Europe
continentale mais a également renforcé sa présence au sein de l’Otan, et s’est ce faisant également
rapprochée de son allié transatlantique.
Mais si l’Union européenne a su développer une autonomie de marché au sein de ses vingt-huit
pays membres, elle n’a pas encore réussi à structurer sa politique de défense. Ainsi, l’Agence
européenne de Défense semble encore plutôt lutter pour son existence que vraiment assurer un
rôle efficace dans le développement d’une force militaire européenne commune. Il paraît donc
tout à fait naturel dans ce contexte où l’avenir européen semble encore incertain, en particulier
en matière de défense, que le Royaume-Uni comme la France n’ignorent pas leurs partenariats
historiques et s’appuient encore sur la superpuissance américaine et l’OTAN4.
Et même si l’agenda plus “pro-européen” de la France, les attitudes pragmatiques de bon aloi face
aux enjeux économiques (par exemple l’attractivité des composants off-the-shelf américains ne
peut être ignorée) et une réelle concurrence à l’export entre les industries d’armements respectives
des deux nations, contribuent à freiner l’épanouissement d’une forte coopération bilatérale, il n‘en
reste pas moins que les appareils militaro-industriels des deux pays restent stratégiques pour
l’Europe.
Les ambitions stratégiques et les moyens alloués par les deux pays, qui représentent les deux
plus importants budgets de défense européens, sont comparables et les font peser sur la scène
internationale, sans parler de leurs positions privilégiées comme membres permanents du Conseil
de sécurité de l’ONU.
Sur la base de projets concrets, cette coopération s’articule autour de 4 axes : l’interopérabilité
opérationnelle mais aussi technique ; la stratégie diplomatique ; la préservation de la souveraineté
(avec ici une notion d’indépendance technologique) ; le soutien à l’industrie et enfin, la maîtrise des
coûts d’équipement par un partage des coûts fixes et une réduction des coûts récurrents.
Partenariats d’entreprises
Lorsque l’on observe sous l’angle de la réalité commerciale ce qui pourrait se traduire par un
partenariat d’initiative entre nos deux pays, là-aussi peu de projets sont évoqués : projets militaires
avec la construction de drones, projets de nucléaire civil avec le programme de « re-nucléarisation »
du Royaume-Unis par EDF.
Si l’on nous indique à l’Ambassade que le Royaume-Uni constitue le premier excédent bilatéral
français, avec des entreprises françaises présentes sur le sol anglais - l’électrique avec EDF, l’eau
avec Véolia, Thalès pour les lignes de métro, ainsi que les bus de la RATP - il est cependant difficile
d’évaluer si ces participations sont «anecdotiques» ou non. En tout cas, elles sont pour certaines
dictées par une perte des compétences assumée par la Grande-Bretagne dans le domaine
considéré (le nucléaire en particulier).
1. http://www.diploweb.com/TheUK-France-defence-relationship.
html
2. Cette « Special Relationship »
censée décrire les liens étroits
entre les Etats-Unis et le RoyaumeUni fut évoquée la première fois
par Winston Churchill dans un de
ses discours en 1946. Un ancien
ambassadeur de France aux EtatsUnis fit remarquer avec humour
dans un discours donné au lycée
français de Londres voici quelques
années qu’il n’avait jamais
entendu parler à Washington de
cette « Special Relationship » si
souvent mise en avant par les
cercles diplomatiques anglais !
3 Jusqu’à ce jour du moins, où le
Brexit s’il reste possible n’est pas
encore devenu une réalité.
4 Il est intéressant de remarquer
que la sortie de la France des
commandements intégrés de
l’OTAN voulue par de Gaulle en
1966 fut critiquée par François
Mitterrand en 1991comme par
La Grande-Bretagne constitue un point d’entrée pour des entreprises internationales qui souhaitent Nicolas Sarkozy en 2007, et se
se développer en Europe, y compris en France. Notons en particulier la localisation centrale de termina par une réintégration en
Londres et son positionnement en porte d’entrée vers la France et l’Europe, tout en étant un 2009.
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
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tremplin vers l’international pour les entreprises françaises qui souhaitent prendre leur essor.
En matière de développement industriel, il convient de rappeler certaines initiatives passées qui furent un
vrai succès comme le Concorde, et certaines formes de coopération dans le domaine spatial. Espérons
que cela soit encore le cas. Mais il ne s’agit peut-être là que de notre difficulté à observer correctement
une coopération économique et commerciale franco-britannique à cette trop petite échelle.
L’université et les échanges étudiants
Dans le domaine de l’éducation, l’université de Manchester ne rougit pas le moins du monde lorsqu’elle
explique que les étudiants constituent sa clientèle, que l’université se place en prestataire de service
et que dans cette logique, il est naturel d’identifier les principales clés de performance et de solliciter
les étudiants pour évaluer le service livré. On se souviendra qu’en France, il n’est pas envisageable
d’évaluer un enseignant-chercheur, et par extension, il est très difficile d’envisager l’évaluation d’un
enseignement.
La recherche de financements donne la priorité à certains étudiants internationaux avec un découpage
en zones géographiques qui n’est pas très éloigné d’une étude de marché. Une question se pose
cependant sur la fragilité de ce modèle avec, d’une part, une possible diminution de ces entrées
au regard de la politique d’immigration et, d’autre part, la politique d’avance des frais de scolarité
pour certains étudiants britanniques qui les remboursent lorsqu’ils trouvent un emploi avec un certain
niveau de rémunération.
Les présentations à l’université ne nous ont pas permis d’identifier des modes de collaborations
entre nos deux pays alors que ces collaborations existent et une petite visite sur le site http://www.
ambafrance-uk.org/ le montre assez bien, tant sur le domaine de l’échange des chercheurs et de la
collaboration de recherche, que sur les grands programmes bilatéraux (et plus) comme ITER, dont le
Royaume-Unis fait partie.
Enfin, en termes d’accueil, les étudiants français sont en 8ème position pour les pays de l’Union
européenne (et en 18ème position à l’échelle mondiale) à l’université de Manchester. La France
semble plutôt occuper la 9e place selon un classement international établi par The Guardian fin
2014, derrière l’Allemagne et l’Irlande5.
La recherche et l’innovation
A les écouter, les britanniques mènent leurs projets tambours battants. La stratégie est claire et
affichée. Ils s’enthousiasment d’emblée des succès escomptés et se réconfortent tout aussi vite des
échecs dont le retour d’expérience valait la peine. La mise en œuvre d’indicateurs de performance
est légitime. Ces indicateurs sont en phase avec les objectifs poursuivis, ils sont donc assumés et
offrent de surcroît une lisibilité collective de l’avancement du projet.
Faut-il croquer ici la manière trop commune avec laquelle de nombreuses réformes sont menées
en France ? Et se priver de l’optimisme élégant avec lequel les britanniques entretiennent leur
enthousiasme ? Il faut dire qu’en France, l’administration porte trop souvent seule la clé de la boite
à idées, ne prête que bien peu la plume qui fixe la stratégie, endosse trop volontiers l’organisation et
se place ainsi, au bout du compte, au centre de la critique que les plus passifs et les plus narquois ne
manquent pas de formuler.
Alors comment initier et nourrir une coopération ? Précisément en s’appuyant sur des acteurs qui
savent se départir de toute forme de lenteur administrative, de toute prudence tracassière et qui sont
en mesure d’inscrire leur action dans la réalité économique du temps.
Or voilà que sur ce point, le partenariat des institutions françaises et britanniques articule deux cultures
réciproquement exotiques. Ces britanniques nous semblent traiter des domaines régaliens à la manière
5. http://www.theguardian.com/ d’une entreprise commerciale et il y a fort à parier que les français que nous sommes doivent leur
education/2014/oct/13/-sp- sembler aborder des politiques publiques avec la lenteur d’une lourde administration.
international-students-in-the-ukwho-are-they Un exemple à observer est la stratégie de recherche et d’innovation et la capacité britannique à fixer
et superviser un nombre limité de priorités, lorsque notre directeur général de la recherche et de
12
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l’innovation expliquait lors d’une session passée de l’IHEST la difficulté qui avait été celle du ministère
de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à réduire le nombre des
domaines prioritaires de recherche et à imaginer les indicateurs pertinents permettant de veiller à
maintenir les priorités dégagées.
Autrement dit, nos voisins britanniques aiment décider et nous rappellent qu’à bien des égards, décider,
c’est renoncer. Dès lors, comment installer des partenariats de recherche sur les domaines retenus, si
l’on y rassemble moyens humains et matériels d’un seul côté de la Manche ?
Les Charities comme axe transverse entre l’éducation, recherche et innovation ? Un troisième
temps de notre voyage d’étude a complété cet étonnement, il s’agit de la visite du Wellcome Trust.
Cette entité indépendante se félicite de consacrer ses ressources économiques à des projets de
très long terme et n’hésite pas à compter dans son portefeuille d’actions des programmes qui
visent à corriger les carences du système éducatif offert par l’État. Une totale autonomie financière,
une totale autonomie politique, apte à identifier les lacunes du système d’éducation public et à
en accompagner la transformation ?! A quand une coopération franco-britannique selon un tel
principe ?
Cultures et différences culturelles
Si l’Institut français a été fondé à Londres en 1910, nous n’avons malheureusement pas eu de
temps lors de ce voyage pour aborder ces aspects autrement que par les évidents clichés. Si
la référence au French bashing n’a pas manqué et si le second degré de la petite allusion à la
« victoire » française contre l’Italie lors du premier match des 6 nations 2016 n’aura échappé à
personne, il y a aussi une vraie fascination pour la culture française, ses hommes politiques, son
doux climat (pour la partie Sud du moins), son art de vivre jugé souvent exceptionnel, et même
parfois ses mœurs.
On peut relever en guise d’anecdote que le Science & Technology Select Committee composé de
peu de scientifiques et avec à sa direction une musicologue (diplômée d’Oxford et de Cambridge
tout de même…), est tout-à-fait apte à juger et à se prononcer sur des questions scientifiques pour
le Parlement. Et a contrario, la mise en exergue par l’attaché de la Défense à l’Ambassade de ce
que nous résumerons ici par le manque de lisibilité à bien des niveaux (organisation/financement/
diplômes/titres...) entre nos deux « mondes ».
Conclusion
Il est intéressant pour comprendre la politique du Royaume-Uni, et son appétence parfois limitée
pour les programmes de coopération avec l’étranger, de se rappeler la politique de splendid
isolation prônée par Benjamin Disraeli alors qu’il était premier ministre en 18666 :
“It is the duty of the Government of this country, placed as it is with regard to geographical position,
to keep itself upon terms of goodwill with all surrounding nations, but not to entangle itself with
any single or monopolising alliance with any one of them; above all to endeavour not to interfere
needlessly and vexatiously with the internal affairs of any foreign country.”
Cent cinquante ans ont passé mais cet énoncé semble toujours d’actualité pour certains d’entre nous
qui ont l’impression que le Royaume-Uni à l’heure d’un potentiel Brexit historique est assez loin du
concept de la coopération active avec le reste de ses partenaires européens, France comprise. Et
en effet son comportement et sa politique dans le cadre de l’Union européenne laissent quelques
doutes. Mais la politique de l’isolement peut-elle encore se justifier dans le monde globalisé que
nous connaissons ? L’avenir le dira mais certains d’entre nous sont d’ores et déjà convaincus par
la nécessité pour la France et le Royaume-Uni de nourrir de nouveaux liens au sein d’une Europe
plus cohérente. Et l’existence de partenariats bilatéraux forts entre les pays les plus importants de
l’Union européenne comme l’Allemagne, la France ou encore le Royaume-Uni, n’est pas du tout
antithétique d’une politique européenne active et efficace.
6. Le terme de « splendid
isolation » n’a jamais été utilisé
par Disraeli lui-même mais par
un homme politique canadien,
George Eulas Foster, pour faire
l’éloge de la position britannique
défendue par Disraeli et
Le prochain sommet franco-britannique aura lieu le 3 juin à Amiens. Les sujets qui seront évoqués consistant à se tenir à l’écart des
affaires européennes.
porteront sur la lutte contre le terrorisme, le nucléaire et la défense. La science et l’innovation
seront aussi abordées. Gageons que nos relations s’en trouveront renforcées !
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3. Communautés politiques,
communautés scientifiques : quelles
interfaces, quels enjeux ?
Introduction
Philippe BERTIN
Marie-Hélène
BEAUVAIS
Solène BELLANGER
Marie-Odile OTT
Jean-Louis NOYER
La question de l’interaction entre communautés politiques et scientifiques est celle de la conception,
de la mise en œuvre, voire de l’évaluation de politiques publiques : d’une part celles qui portent sur
l’organisation, le financement, les résultats du domaine / secteur de l’enseignement supérieur, de la
recherche et de l’innovation : et d’autre part celles qui, portant sur d’autres domaines / secteurs, ont
besoin d’un éclairage académique ou expert sur l’énergie, la santé, l’agriculture, l’économie, etc. :
jusqu’où et comment elles sont informées par la connaissance produite et mise à disposition des
décideurs.
Sur ces questions, les similitudes et les oppositions entre Royaume-Uni et France nous sont apparues
structurelles et structurantes :
• Si les modèles britannique et français semblent converger théoriquement, par exemple avec
de lents mouvements de décentralisation et la dualisation du financement de la recherche, les
pratiques restent résolument différentes ;
• Si le Royaume-Uni séduit par son pragmatisme affiché, l’absence revendiquée de pesanteurs
idéologiques, une capacité de mouvement et d’élan dont on dit qu’ils manquent actuellement en
France, on peut constater cependant que son modèle repose de fait sur des valeurs non explicitées,
mais discutables, et craindre qu’il ne porte en germe des risques économiques, sociaux, voire
intellectuels.
Une confrontation paradoxale de modèles entre
certaines convergences dans l’organisation et des
pratiques résolument différentes
La France est un pays réputé très centralisé, dominé sur les plans économique et académique par
Paris et l’Île-de-France. Cependant, au Royaume-Uni, le pouvoir politique paraît plus centralisé encore
autour du Parlement (dont le gouvernement découle directement et devant lequel il est responsable),
pas vraiment équilibré par une « dévolution » territoriale à peine émergente ; et le Grand Londres
paraît comme une capitale économique et intellectuelle encore plus écrasante, dans un pays autrefois
riche de ses vieilles industries, mais aujourd’hui blessé économiquement et socialement.
La dévolution au Grand Manchester est jusqu’ici plus une déconcentration impulsée par le
pouvoir central qu’une décentralisation demandée et assumée par les populations locales ;
l’élection prochaine d’un maire est même une demande du pouvoir central. Les objectifs de cette
dévolution, ainsi que la création du Northern PowerHouse, sont eux-mêmes ambigus, pouvant
être relatifs autant à des questions strictement politiques (affaiblir un vote local majoritairement
travailliste, anticiper une éventuelle indépendance de l’Ecosse en cas de Brexit ?) ou budgétaires
(déléguer l’exercice de fonctions coûteuses, comme la politique de santé…. avec le problème
de leur financement ?), qu’à un souci de développement territorial. Quant aux comtés, jamais
cités, ils semblent n’avoir aucune existence politique ou budgétaire.
Le Grand Londres est une des quelques « villes-monde » comme New-York ou Shanghai.
Il accueille tous les organes législatifs et exécutifs du pays, les centres de recherche
et d’enseignement supérieur les plus prestigieux (Oxford, Cambridge et les universités
londoniennes), le cœur économique de l’Angleterre, la City. A titre indicatif, son Produit intérieur
brut est de plus de 300 G£, plus de 10 fois supérieur à celui de toute autre région du pays et
14
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
supérieur au total du reste du pays.
Cependant, cette centralisation géographique et politique est pondérée par la multiplicité et
l’importance des acteurs non gouvernementaux : des Councils de programmation et de financement
pilotant la majorité des crédits publics, des Councils d’éthique réellement indépendants du
gouvernement, des fondations privées dont certaines sont assez puissantes pour peser lourdement
sur certaines politiques sectorielles, un recours régulier à des consultations publiques.
En plus du BIS (Department for Business, Innovation & Skills), qui correspond schématiquement à
notreministèredel’EnseignementSupérieuretdelaRecherche,chacundesdépartementsministériels
est doté d’un conseiller scientifique. Des organes consultatifs conseillent le gouvernement et le
Parlement (respectivement le Council for Science and Technology et le Parliamentary Office
of Science and Technology, proche de l’OPECST français). Les Research Councils (agences de
programmation et de financement) sont plus nombreux et plus sectorialisés qu’en France, où le
rôle de l’ANR est prédominant. Des budgets publics sont aussi attribués aux académies nationales
(Royal Society, British Academy, Royal Academy of Engineering). Il existe quatre instances
autonomes pour l’enseignement supérieur, les Higher Education Funding Councils. Différents
comités d’éthique spécialisés sont en partie complémentaires et concurrents, leurs membres se
cooptent entre eux hors contrôle gouvernemental, comme au Nuffield Bioethics Council.
Enfin, le poids de certains acteurs privés et indépendants de toute légitimité politique est important :
le Wellcome Trust, fondation privée originellement liée à un grand groupe pharmaceutique,
même si elle est maintenant supposée en être complètement indépendante, programme et finance
directement près de 20% des actions de recherche biologique et médicale, ou développe en toute
autonomie des partenariats internationaux significatifs pour les pays qui en bénéficient… ou pas.
En France, ce mouvement a déjà touché le monde de la culture avec les fondations de B. Arnaud ou
de F. Pinault, mais reste secondaire dans le secteur de la recherche, et alors plutôt basé sur l’appel
au public que sur des fortunes privées. Notre visite ne nous a pas permis de rencontrer de thinktank ou d’associations de « plaidoyer » comme Greenpeace ou la Fondation Nicolas Hulot, nous
supposons qu’il en existe.
D’ailleurs, les élites britanniques, formées et sélectionnées aux « humanités » dans une société qui
reste socialement très segmentée, sont plus loin encore des questions scientifiques que les élites
françaises, issues en partie de grandes écoles scientifiques et techniques. Plus généralement,
l’intérêt du public et le niveau scientifique moyen des lycéens et étudiants sont réputés médiocres,
assez pour justifier des efforts tardifs de développement des relations entre les chercheurs et la
société, et de renforcement des formations scientifiques initiales.
Malgré ces faiblesses, l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation sont - comme presque
partout maintenant - des éléments clés d’un marketing territorial volontariste au service de la
renaissance des vieux territoires industriels… et des pouvoirs politiques locaux.
Manchester fait de la taille de son université (38 000 étudiants, la plus importante du Royaume-Uni)
ou de l’excellence de sa recherche (ses prix Nobel, dont celui obtenu pour la découverte récente du
graphène) un argument important de sa nouvelle attractivité – au prix parfois de quelques excès ou
imprécisions sur les durées de séjour de certains prix Nobel ou le nombre exact d’étudiants de 3ème
cycle. L’université a aussi une mission explicite d’ouverture sur le territoire, dont l’activité et l’impact
sont mesurés.
Cependant, les dispositifs réellement implantés et les financements réellement disponibles au
niveau local sont rares, les politiques publiques réellement dévolues aussi (santé). Les atouts et
résultats, même s’ils sont bien valorisés, restent modestes, de second rang par rapport à ceux
des établissements du Grand Londres - hors le simple effet d’optique du regroupement sous
une même bannière d’établissements autrefois indépendants. Force est d’ailleurs de constater
que le transfert des innovations au profit du redémarrage de l’industrie locale se fait mal, malgré
le passé industriel de la région, et que le prix du logement et le coût de la vie très inférieurs à
ceux de Londres restent des facteurs décisifs de l’attractivité du Grand Manchester pour les
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
15
entreprises et leurs salariés. Science et innovation sont déjà les composantes d’un marketing
territorial, pas encore nettement celles de politiques publiques territoriales décisives.
Mais surtout, au pays du libéralisme politique et économique, au centre de l’ancien empire britannique,
le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche est, comme les autres et bien plus qu’en
France malgré certaines convergences, férocement compétitif et résolument ouvert à la mondialisation.
Les universités sont dépendantes financièrement de leur attractivité vis-à-vis des étudiants,
directement par les frais d’inscription et indirectement par les règles d’affectation de leur
subvention de fonctionnement. Depuis peu, les étudiants britanniques paient eux-mêmes des
frais d’inscription élevés (9000 £/an), même s’ils bénéficient de prêts personnels remboursables à
des conditions adaptées. Mais la part budgétaire du fonctionnement doit diminuer d’ici 2020. Les
universités s’inscrivent donc résolument dans la compétition internationale de l’enseignement
supérieur : à Manchester, plus de 25% des étudiants sont étrangers, 10% sont chinois, leurs
frais d’inscription sont presque le double de ceux des étudiants britanniques (et leur scolarité
très rentable pour l’université) ; les revenus correspondant à leur inscription ont plus que triplé
en 10 ans. Le développement de ce marché et les actions en direction de ces prospects sont
planifiés de manière volontariste comme une stratégie d’entreprise, des forces commerciales
sont positionnées sur le terrain, elles sont payées par intéressement à leurs recrutements.
Sur la recherche, le discours public est focalisé sur une logique étroitement économique : modération
des crédits publics (1,70% du PIB contre 2,25% en France), sélectivité revendiquée (les évaluations
peuvent déboucher sur des fermetures de laboratoires ou de départements de recherche, sans
égard pour les personnels précaires ni pour la continuité des travaux), rendement élevé (1% de la
population mondiale, 3% de l’investissement en recherche, 16% des articles les plus cités).
Un élan britannique séduisant, mais basé sur des
valeurs implicites contestables et porteur à nos
yeux de risques importants
Précisément, ce libéralisme et cette compétition, sous couvert d’« adhocratie », sans l’afficher ni
le mettre en débat, sont autant idéologiques que pragmatiques : permettant incontestablement
d’afficher certains résultats convaincants sur le court terme, ils incitent aussi à négliger, voire à
provoquer ou amplifier, la dégradation de certaines composantes sociales.
En outre, même en se plaçant d’un point de vue strictement pragmatique, le modèle de financement
de l’enseignement supérieur et de la recherche britannique, s’il profite vigoureusement d’un moment
intermédiaire de la mondialisation, n’est pas forcément soutenable à long terme.
« Il n’y a qu’une seule Chine » : à court terme, le vivier des étudiants étrangers susceptibles
d’acheter une scolarité occidentale dans une université anglaise n’est pas illimité, il ne peut pas
continuer à croître indéfiniment. Mais pire : à long terme, après être devenue en quelques années
l’« atelier du monde », la Chine ne risque-t-elle pas de devenir à son tour l’« université du monde »,
au moins d’une partie du monde, attractive à son tour parce que devenue économiquement et
culturellement centrale… et restée moins coûteuse ?
Quant au financement, par les étudiants eux-mêmes, de leurs frais de scolarité, il allège dans un
premier temps le budget de l’Etat, donc la dette publique ou les impôts. Mais l’encours des prêts
étudiants peut se révéler, pour les pouvoirs publics, une créance douteuse : le remboursement sous
conditions de ressources est certes une mesure à caractère social, mais rend ce remboursement
tributaire de la santé économique et sociale future du pays. En cas de période de crise prolongée,
cet encours risque de se transformer en bulle, et de grever à terme les finances publiques.
Plus généralement, le succès actuel du modèle massivement ouvert et compétitif proposé par le
Royaume-Uni manifeste certes son attractivité internationale, mais repose aussi sur une dépendance
peut-être excessive à l’égard des compétences et des financements étrangers.
16
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
Les crédits publics de recherche sont limités (1,70% du PIB contre 2,25% en France) ; les
investissements nationaux privés en recherche & développement sont eux aussi modestes. De
plus, les investissements étrangers, par définition plus volatiles, représentent près de 25% des
investissements en recherche au Royaume-Uni, contre moins de 10% en France et 5% aux EtatsUnis ; la visite d’un premier ministre chinois à Manchester et sa mise en valeur médiatique sont
symptomatiques de cette stratégie d’ouverture internationale. Les ingénieurs et techniciens sont
formés en nombre insuffisant. Le transfert de la recherche à l’industrie, par les brevets, se fait mal.
Le développement industriel est focalisé sur un nombre réduit de secteurs (pharmacie, aérospatial),
d’autres sont largement abandonnés (électronique, chimie, équipements, agro-alimentaire). Les
dispositifs et financement favorisant l’innovation dans et avec les PME sont insuffisants. Rien qui
puisse favoriser un renouveau de l’industrie anglaise…
En revanche, la City est une place de niveau mondial pour les services financiers. Mais elle ne peut
fonctionner qu’avec des « quants » (spécialistes de mathématiques financières), statisticiens et
informaticiens, massivement étrangers et formés à l’étrangers : chinois formés aux Etats-Unis ,
centraliens et polytechniciens français.
Une communauté politique peut-elle être assurée de maîtriser son destin dans un monde
résolument industrialo-technico-scientifique, certes en s’ouvrant largement à la communauté
académique et financière internationale, mais sans se soucier de maintenir et de développer
la force et la contribution d’une communauté technique « de proximité » ? A l’époque du
Commonwealth triomphant, le Royaume-Uni avait fondé son développement industriel sur
une dépendance assumée à l’égard des importations agricoles ; à l’époque de l’électronique,
de l’informatique et des biotechnologies, pourra-t-il fonder le développement d’une pure
économie de services, voire de services seulement financiers, sur une dépendance assumée à
l’égard d’une maîtrise scientifique et technique abandonnée à d’autres ?
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
17
4. Greater Manchester : entre désindustrialisation et décentralisation,
la réponse d’un territoire et de ses acteurs
Introduction
Denis ENTEMEYER
Gérald DUMAS
Cédric DENIS-REMIS
Manchester et l’environnement dans lequel la ville évolue semblent s’inscrire dans un état d’esprit à la
fois communautaire et cosmopolite fait d’histoire, de lien social, d’épreuves, et d’ingéniosité collective.
Ce territoire nous enthousiasme comme si, loin de se jouer dans un cadre figé, dans une réponse
technocratique, l’ancienne cité - symbole de la révolution industrielle et devenue selon le cas,
Marie-Pauline GACOIN
l’archétype du foot business ou le lieu mythique de l’underground - se réinventait un avenir
technologique glorieux à la force de ses convictions sociales et du talent de ses concitoyens.
Alain MARCUZZI
L’ambition et la soif de trouver sa juste place dans le jeu économique de la Grande-Bretagne, et
plus particulièrement de l’Angleterre transparaissent dans les présentations. A la fois, elles semblent
empreintes du libéralisme, du « libre échange » hérités du XIXe et aller de pair avec la préoccupation
du vivre ensemble, du volontariat et d’un coût de la vie permettant à chacun de trouver sa place. Ceci
est particulièrement vrai dans les buts donnés à l’université de Manchester : l’innovation, le leadership,
et la responsabilité sociale.
En creux, Manchester paraît cependant avoir endossé des vêtements encore un peu grands pour elle :
autonome pour sa politique de santé, sorte de capitale du Nord d’une région qui tente d’opposer, la
tête haute, une résistance forcenée à l’aimant londonien, elle semble peiner à trouver un leadership
politique local qui rassure et rassemble.
Histoire : le passé industriel et la
désindustrialisation de Manchester
A 260 km au nord-ouest de Londres, Manchester est la deuxième ville d’Angleterre. Sans accès direct
à la mer, elle développe néanmoins au cours du XVIIIe siècle un réseau de canaux qui permettront
l’essor de l’industrie du coton, d’une part en reliant à bas coût la ville aux mines de charbons, d’autre
part en favorisant les échanges et le commerce lorsque les nouvelle machines à vapeur de James Watt
permettront de bâtir des usines de coton à l’écart des moulins à eau.
Souvent décrite comme la ville manufacturière par excellence dont le démarrage correspond au
moment où la filature du coton devint économiquement praticable, elle a fait converger un nombre
toujours grandissant de fournisseurs, de sous-traitants et de fabricants dans la ville même et dans ses
alentours. Cette surenchère d’activité commerciale attira les banques, les assurances qui ont ensuite
favorisé l’essor de la construction de chemins de fer et d’autres services publics.
On trouve dans la littérature1 cinq principaux facteurs dont l’accumulation a stimulé la croissance de
Manchester au XVIIIème et au début du XIXème siècle :
• la proximité d’un port international : Liverpool ;
• le développement précoce d’une production textile (toiles et futaines), ainsi que de la fabrication
de machines ;
1. Le district industriel de
Manchester de 1750 à 1939 :
grappes d’entreprises, réseaux et
réalisations. John Wilson et John
Singleton, © Presses universitaires
François-Rabelais, 2002
18
• la construction d’une infrastructure de transports développée (routes, canaux et, en 1830, le
premier chemin de fer du monde ouvert au trafic commercial) ;
• les disponibilités en main d’œuvre qualifiée et non qualifiée ;
• la croissance rapide d’un grand gisement charbonnier ;
et, par-dessus tout, la compétence professionnelle et les ressources d’une communauté
commerçante locale, incluant notamment la finance, les connaissances et les relations sociales.
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
Il est assez intéressant de constater qu’en 2016, au moins trois de ces critères restent déterminants
dans la construction du projet économique et social de la ville : l’infrastructure avec un effort particulier
mis sur les transports en périphérie de Manchester, la place prépondérante des compétences
et d’une catégorie socio-professionnelle qui associe l’investissement et les connaissances, et la
relation science et société pour faire du Greater Manchester un nouveau district industriel majeur.
On perçoit la persistance d’un système socioculturel local, peut-être hérité de ce que certains ont
décrit à propos de l’ère industrielle comme une sorte de « compétition coopératrice » , représentative
d’un pouvoir économique et politique partagé entre tous les membres d’un réseau et dont tous
bénéficient « aussi longtemps que le système demeure en état de fonctionnement ».
A partir de 1890, sous le double effet de l’intensification de la compétition internationale et de la
«seconde révolution industrielle», l’économie mondiale saisit de nouvelles occasions d’investir et
les activités les plus anciennes commencent à péricliter. La première guerre mondiale a également
un effet dévastateur sur les marchés d’exportation traditionnels de la Grande-Bretagne, ce qui
affecte directement après 1918 des activités comme l’industrie cotonnière, la construction de
machines et l’extraction charbonnière.
Pendant soixante ans, le tissu industriel de Manchester ne cesse de vieillir sans que les acteurs
industriels locaux n’envisagent de remettre en question leur cœur d‘activité et le coton comme
rouage essentiel de l’économie anglaise.
C’est donc à côté de l’industrie que Manchester trouve son renouveau : pour stopper cette spirale
négative, la municipalité décide de mener une politique de renouvellement urbain afin d’attirer
de nouveaux habitants. Elle se traduit par la reconstruction de quartiers et la reconversion de
bâtiments abandonnés en bureaux ou en logements. Cependant, nous avons eu la surprise de
constater la présence en centre-ville des signes encore visibles du passé industriel de Manchester
en attente d’une destruction ou d’une réhabilitation future, alors qu’au même moment, il existe un
fort besoin pour une urbanisation moderne et une demande accrue pour y disposer d’un habitat
confortable et de services de transport, d’éducation et de santé. Cette pression semble due à une
concentration, qui nous a parue excessive, des enjeux de renouveau du Greater Manchester sur
de la ville et son centre (39% des nouvelles offres d’emploi dans les 10 ans), au regard de la taille
du territoire (270 ha pour le centre-ville contre 11600 ha pour Manchester City et 127000 ha pour le
Greater Manchester), sans pour autant qu’il y ait les efforts nécessaires pour moderniser celui-ci.
La municipalité s’est appuyée également sur la culture pour opérer un changement d’image et
afin d’être séduisante auprès des jeunes et des étudiants. Les autorités vont accompagner dans
les années 70 et 80 le développement de la scène musicale pop/rock qui va se traduire par le
développement de l’industrie musicale : espaces de concerts, magasins de disques ou labels
musicaux, groupes mythiques (petit clin d’œil aux nostalgiques comme nous de Joy Division, New
Order). Cependant le « Greater Manchester » va voir diminuer sa population de 10% durant les
trois dernières décennies du XXème siècle, pâtissant de sa faible attractivité économique. Cette
dynamique va pousser Manchester à se porter candidate à l’organisation des Jeux Olympiques
en 1996 et 2000. Même si les deux candidatures furent un échec, elles ont cependant permis
à la ville de «montrer le changement de dynamique à l’œuvre » et de « mobiliser de nombreux
acteurs publics et privés vers un but commun, et de souder la population derrière ses institutions
publiques»2.
Nous avons ainsi pu observer combien étaient cohérents les discours des différents intervenants,
profonde leur conviction que la voie à suivre est celle de l’éducation et de l’innovation, mais aussi
combien était fort leur attachement à l’identité de Manchester, forte leur appartenance au Nord de
l’Angleterre, Londres étant vue comme un Goliath auprès de qui exister, et le reste du RoyaumeUni, existant peu ou pas dans ce projet.
Géographie : le Greater Manchester et la dévolution
2. http://www.senat.fr/rap/r10-
Le programme du Greater Manchester est défini par ses protagonistes comme un programme 594-2/r10-594-223.html
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19
de dévolution, forme de décentralisation, littéralement : « un transfert ou une délégation de pouvoir
politique d’une entité à une autre ou d’une personne à une autre».3
Il concerne principalement à ce jour la santé et le bien-être des communautés locales du territoire
mais si le territoire se dotait d’un maire élu au printemps prochain, il obtiendrait en échange un
contrôle des compétences et des finances en matière de transport, de logement et de développement
économique. La stratégie du Grand Manchester repose sur quatre axes :
•
•
•
•
la gouvernance ;
le transport et la connectivité ;
les sciences (finances, numérique, génie civil et sciences de la vie sont évoqués) ;
la culture (numérique et créativité).
Cette stratégie repose sur le mot d’ordre « stronger together » et un argument qui à la fois, semble
réaliste à des visiteurs de passage et surprenant pour un observateur lointain : « Grand Manchester :
un territoire dans lequel il fait bon vivre ».
Cette stratégie du regroupement semble « dévolue » (sic) aux Etats centralisés. L’Etat britannique ne
dispose pas de structures administratives et politiques locales, ni même d’équivalents aux conseils
régionaux en France. Si en France, les Régions sont demandeuses de pouvoir, c’est l’Etat britannique
qui semble imposer la mise en place de structures administratives pour gérer le Grand Manchester,
contre la culture et la volonté des administrateurs locaux, en échange de financement (5 G£).
Il faut tout de même noter que la notion de Grand Manchester n’est pas neuve. Ce comté métropolitain
constitué de 10 districts (Bolton, Bury, Oldham, Rochdale, Stockport, Tameside, Trafford, Wigan et
les cités de Manchester et Salford) a été créé par décision du 1er avril 1974 à la suite du Local
Government Act de 1972. Il est un système de référence géographique qui permet la coopération
des différents districts ; le Grand Manchester semble vouloir s’affirmer avec l’apparition du Northern
Powerhouse.
Economie et politique : au cœur du Northern
Powerhouse
Le Northern Powerhouse, à l’initiative de Georges Osborne, le Chancelier de l’Echiquier chargé des
Finances et du Trésor, consiste à combiner les forces de villes du Nord pour les réunir en une force
collective qui pourrait commencer à rivaliser avec celle de Londres et du Sud-Est de l’Angleterre.
L’espoir est de corriger le déséquilibre économique Nord-Sud, et d’attirer des investissements dans
les villes du Nord. Ainsi il est moins coûteux (40%, sur le foncier et les salaires) pour les entreprises
de s’installer à Manchester qu’à Londres (foncier, salaires).
Alors que la capitale est perçue comme leader dans les services financiers, les économies du Nord
revendiquent leurs points forts dans les secteurs de la fabrication, de la science, de la technologie.
C’est ainsi que le Northern Powerhouse semble être entré dans le lexique politique local même
si sa construction paraît encore assez virtuelle et méconnue des Mancuniens que nous avons pu
rencontrer. Mélange de mariage de raison et de rivalités historiques, le Nord aura sans doute du mal
à arborer un front cohérent et uni autour de Manchester, désignée comme locomotive du processus :
pour ce faire Manchester devra se doter rapidement d’un maire élu, ce qui semble ne pas être une
simple formalité.
3. https://fr.wikipedia.org/wiki/
D%C3%A9volution_du_pouvoir
20
Cette étape dans la construction d’un nouvel équilibre au sein de l’Angleterre (car il est rarement fait
état des autres nations du Royaume-Uni, beaucoup plus autonomes) devrait s’avérer une sinécure
d’une part à cause de la faible tradition de décentralisation politique et économique anglaise ; d’autre
part en écho à une rivalité entre les villes et les territoires du Nord, dont les mots d’aujourd’hui dans la
presse ne sont pas sans rappeler les arguments d’hier entre les tenants du protectionnisme agricole
(les corn law) et ceux du libre-échange, bourgeoisie commerciale et industrielle au XIXème.
Le Northern Powerhouse - symbole du paradoxe anglais entre course à la modernité et attachement
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
aux traditions, aux privilèges - semble être un modèle antagoniste de l’approche d’autres pays dont
la France, qui possèdent une stratégie industrielle à l’échelle du pays et la traduisent sous forme
de clusters technologiques au niveau local, comme par exemple le cluster formé par la ville de
Stockholm avec Kista en Suède.
Figure 1: Position du Greater Manchester dans l’Angleterre4
Education et recherche : le rôle prépondérant de
l’université
A Manchester et en Grande-Bretagne, l’université est un acteur fondamental et central de la
stratégie de développement du territoire. Ce positionnement semble faire écho à la fois à la
traditionnelle association entre recherche/invention et entrepreneuriat (on dit aujourd’hui qu’il s’agit
d’innovation) et à la capacité de Manchester à saisir les opportunités nouvelles qui surgissent dans
l’économie britannique. Ainsi l’université de Manchester vise à contribuer directement aux objectifs
de construction du Greater Manchester par ses orientations majeures :
• La recherche par le biais de l’excellence, mesurée dans un environnement très compétitif
d’accès aux budgets et aux moyens, et de l’innovation qui se réalise par une interaction constante
avec les acteurs industriels, fruit d’une culture ancienne. Il est à noter que cette compétition
peut desservir Manchester, qui est encore une université de second rang, car elle repose
largement sur des appels d’offre dont les fonds sont largement concentrés sur les universités
Londoniennes, Oxford et Cambridge. Manchester bénéficie à la fois d’une tradition d’excellence
(rappelée maintes fois en commençant par Le père de la physique atomique Ernest Rutherford)
et d’atouts récents avec le prix Nobel de Physique d’Andre Geim et Konstantin Novoselov pour
la découverte du graphène en 2010, possible alternative au silicium pour la nanoélectronique.
• L’enseignement et le recrutement des étudiants. On note une véritable démarche marketing
totalement décomplexée et assez largement orientée vers l’international: alors qu’en France,
la possibilité d’une sélection assumée en master rend frileux les ministres successifs, ici les
étudiants sont des clients et l’université se donne les moyens de leur fournir un « accès à
l’emploi ». Malgré l’existence de dispositifs financiers pour assurer l’équité d’accès aux études
supérieures, le niveau élevé des frais d’inscriptions (9000 £/an) rapproche sans doute le modèle
économique de l’université de Manchester de celui des grandes écoles privées françaises. A
ce titre, n’ont cependant pas été évoqués les événements de 2013 dans plusieurs universités
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
4. https://en.wikipedia.org/wiki/
Greater_Manchester
21
anglaises, étudiants et personnels déplorant la tendance fortement inégalitaire induite par une
concurrence acharnée pour être plus attractive.
• L’ancrage dans la cité et au-delà, avec un engagement des étudiants et de l’université à
améliorer la vie sociale et à contribuer à de meilleures conditions de vie dans la ville. Une
responsabilité sociale affirmée, qui participe aussi à la construction d’une image attractive dont
le Grand Manchester tire bénéfice.
Figure 2: Projet d’amélioration des connexions routières entre les villes du Northern Powerhouse5
Ce troisième point distingue clairement l’université anglaise. Le discours est clair, répété, cohérent
entre tous les acteurs rencontrés lors de ce voyage d’étude. Des témoignages viennent à l’appui :
« il faut penser à l’impact de la recherche sur la qualité de vie, le système de santé… », des
exemples sont cités : programmes d’engagement e-public, essaimage d’entreprises, congrès ESOF
(EuroScience Open Forum) en juillet 2016… Mais est-il réellement partagé par tous les étudiants ?
En effet, le préalable à une stratégie science-société nécessite l’assimilation par l’ensemble des
acteurs que « l’université doit avant tout comprendre son rôle dans la société ».
Manchester (et son inscription dans le Greater Manchester) semble l’archétype d’une politique
d’attractivité locale qui repose sur une double dimension : mettre en valeur les « produits de la
ville» et positionner « la ville comme produit ».
Nous restons vivement intéressés par cet engagement pour la société des acteurs de la science et
de l’éducation, professeurs et étudiants, tel qu’il a été illustré par Dame Nancy Rothwell : « What a
University is for ? For public good ».
Conclusion On ne peut qu’approuver l’accent porté sur l’université en tant qu’élément stratégique de
développement et l’égale importance donnée au rapport science-société ainsi qu’à la recherche et
à l’innovation. Il reste cependant un mur à franchir : l’intelligentsia anglaise est issue principalement
des Humanités, de l’Art et des Sciences Humaines et Sociales et focalisée sur la politique, la
finance et l’économie. Les scientifiques sont des décideurs de second rang, des conseillers ou des
technocrates et la connaissance un moyen et non une fin. Vouloir contrer cette tradition et miser sur
les sciences mathématisées et expérimentales (mathématiques, sciences du vivant, ingénierie,…)
dans les actions de « séduction » des étudiants peut avoir l’effet pervers d’augmenter la fracture
entre sciences dures et sciences humaines (voire entre sciences et culture). Si la volonté est
5. http://www.skyscrapercity.com/ louable, l’articulation entre les sciences doit cependant se réfléchir à nouveau, pour que chaque
showthread.php?p=122565002
citoyen puisse rendre compatible, dans son contexte, ses envies, aspirations et compétences.
22
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
5. L’évolution du système
d’enseignement supérieur britannique :
le cas de l’université de Manchester
France, UK : même ambitions de l’Université, mais
importantes différences culturelles…
Telle qu’elle nous a été présentée, avec intelligence et conviction, la stratégie de l’université de
Manchester pour accéder au rang mondial se résume en trois objectifs stratégiques :
•
•
•
Mener une recherche de rang mondial,
Offrir une expérience d’apprentissage et de vie étudiante remarquable,
Assumer pleinement sa responsabilité sociale.
Serge ALPERINE
Jean BOUVIERD’YVOIRE
Laurent BREITBACH
Luc DELATTRE
Cécile DETANGDESSENDRE
Cette triple ambition serait assurément partagée par bien des universités françaises. Quelle est
alors la portée de cette stratégie, à défaut d’être originale ? Son affichage ne participe-t-il pas
de la volonté de l’université de persuader qui veut bien l’entendre de sa capacité à attirer les
meilleurs scientifiques et étudiants, et par là même de se rapprocher de ses objectifs ? Est-ce une
incantation ? N’est-elle pas le simple produit de ce savoir-faire communicationnel qui entend servir
la réalisation de ce qu’il dit par le seul fait de l’afficher ?
Sans doute pas. Le plan stratégique de l’université, Manchester 20201, n’est pas qu’une opération
de communication. C’est un exercice en soi : il décline chacun des grands objectifs en sousobjectifs au sein de « stratégies clés » dont un nombre restreint d’indicateurs de performance (Key
Performance Indicators ou KPI) est censé apprécier la réalisation. Une ambition donc, mais aussi
une méthode.
Tout cela ne nous dépayse pas vraiment. Le discours de « management par objectifs » reste convenu.
Quelle prise a donc la pensée stratégique ici à l’œuvre sur la réalité de la recherche, sur les motivations
des chercheurs, y compris des plus géniaux qu’elle cherche à attirer ? L’université de Manchester n’est
pas dupe : on nous rappelle que les grands scientifiques et les Nobels anglais n’étaient pas motivés
par les records de popularité et les classements internationaux. Ils voulaient avant tout résoudre des
problèmes fondamentaux et opérer des changements améliorant radicalement notre vie de tous les
jours — en quoi nous retrouvons ici ce qu’Heinz Wismann disait lors de sa conférence d’ouverture à
propos de l’institutionnalisation de la science, de l’esprit critique et de la marginalité du chercheur.
De fait, l’université de Manchester nous a interrogés. Sa stratégie n’est pas seulement globale,
elle vise aussi à cultiver ce qui la distingue et qui, en l’occurrence, vient de son environnement :
ville pionnière de la révolution industrielle, prise voici près de quarante ans dans l’œil du cyclone
thatchérien et de la financiarisation de l’économie, Manchester veut retrouver le chemin de la
croissance et son université affiche pleinement sa « responsabilité sociale ». Si elle porte une
grande attention à la qualité des personnes qu’elle cherche à attirer et recruter, que ce soit
son personnel ou ses étudiants, c’est en se fixant des objectifs relevant autant d’une approche
« sociale » (accroître la part d’étudiants venant de quartiers où il y en a peu et de groupes socioéconomiques défavorisés, cf. KPI 8) que d’une approche de marketing international (cf. infra).
Vouloir être de rang mondial tout en étant ancrée localement, n’est-ce pas faire le grand écart ?
Et cela ne va-t-il pas de pair avec un modèle économique plus complexe et risqué que celui des
universités françaises, reposant sur la recherche de financements de sources plus diversifiées —
chacune ayant ses aléas ? Mais cela ne vient-il pas du fait que l’université, qui en France est un
service public, s’affiche, à Manchester et en Angleterre, comme concourant au bénéfice public2 –
ce qui est bien différent !
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
1. A télécharger sur : documents.
manchester.ac.uk/display.
aspx?DocID=11953
2. Manchester 2020, p. 19
23
Les études universitaires : un investissement en
capital humain de plus en plus coûteux
L’université anglaise s’américanise. Les premiers fees ont été mis en place au Royaume-Uni en 1998.
De 1000£ par an, le coût facturé de la scolarité est passé à 3000£ en 2009 pour atteindre 9000£ en 2012.
Cette augmentation drastique a accompagné une réforme profonde du financement des universités
avec à la clef un désengagement massif de l’État.
Dans ce système, l’étudiant (ou sa famille) est considéré comme un agent économique rationnel, qui décide
d’un investissement en capital humain en début de cycle de vie, en vue d’un retour sur investissement au
cours de son parcours professionnel. La théorie de Becker3 (1964) est ici appliquée, assumée et revendiquée.
L’éducation est alors un service que l’étudiant vient acquérir. La logique de ce système aurait deux
grandes vertus : le coût élevé des études placerait les étudiants devant une certaine obligation de
travail (pour assurer le retour sur investissement). En contrepartie, l’université serait tenue à un peu plus
qu’une simple obligation de moyens, une relative obligation de résultats. Ce qui l’amènerait sans doute
à évaluer sa performance propre, à se remettre en cause et améliorer le service rendu.
Le fonctionnement et la régulation par le marché sont bornés par une action limitée de l’État, qui d’une
part propose des prêts aux étudiants et d’autre part, pose des règles pour leur remboursement. Ainsi,
l’étudiant doit gagner un revenu supérieur à un certain seuil pour commencer à rembourser. Par ailleurs,
des systèmes de bourses sont disponibles, selon les revenus. Pour autant, au cours de notre périple,
rien de nous a été dit sur les problèmes d’impayés, qui selon The Guardian atteignaient 45% des
prêts contractés en 2013. Rien non plus sur la diminution du nombre d’étudiants inscrits à l’université.
Rien encore sur la portée très limitée des bourses, qui ne couvrent que très partiellement les coûts de
formation.
Enfin, la chargée de communication de l’université s’est bien gardée de répondre à la question de savoir
si la sélection à l’entrée basée au moins autant sur la richesse que sur le talent était compatible avec
les objectifs d’excellence en recrutement affichés. La réponse à cette question pourrait toutefois être
positive : une université dotée de moyens importants par le truchement de fees élevés pourrait sans
doute mettre en œuvre des moyens matériels et humains d’une qualité telle qu’elle transformerait en
aigle un modeste faucon !
Internationalisation du recrutement universitaire
Plusieurs de nos interlocuteurs (notamment à l’Ambassade de France à Londres) ont souligné à
quel point la société anglaise était composée de strates. Dans le monde des sciences théoriques et
appliquées, on trouve bien peu d’anglais « de souche ». Indo-Pakistanais dans les hôpitaux, asiatiques
dans le monde de l’ingénierie. Il y a un vrai désamour - nous dit-on -des anglais pour les sciences dites
exactes. Rien d’étonnant par conséquent à ce que leurs enfants ne se pressent pas sur les bancs des
universités dans les disciplines des sciences physiques et mathématiques.
À côté de cela, les universités ont une vraie problématique d’existence dans les grands classements
internationaux, qui induisent un indéniable effet de concentration. Aucune petite structure ne peut y
tenir bonne place (ce qui impacte d’ailleurs fortement le système des écoles d’ingénieur françaises,
qualitatives mais compactes). Ajoutons à cela une problématique de coûts fixes pour les campus
universitaires et il apparaît que les universités anglaises doivent être grandes et amplement pourvues
d’étudiants pour espérer survivre économiquement et tenir leur rang.
3. Gary S. Becker (1964).
Human Capital: a Theoritical
and Empirical Analysis,
with Special Reverence
to Education. Chicago,
University of Chicago Press.
24
Rapprochons les deux idées précédentes et une conclusion logique s’impose. Le nombre d’étudiants non
anglais dans les universités anglaises doit croître. C’est ce mouvement qui est actuellement orchestré. À
Londres, « Oxbridge » ou Manchester, des étudiants étrangers se bousculent : ils sont chinois, indiens,
américains ou viennent de pays arabes riches de ressources pétrolières. L’Angleterre peut leur offrir tout
le savoir-faire de l’enseignement d’excellence en petits groupes (le fameux « tutorat ») où professeurs et
chercheurs interagissent de concert, de façon magistrale pour les premiers, et par suivi quasi-individuel
pour les seconds, avec l’éducation des étudiants. Cette tradition d’excellence remonte dans ce pays au
moins à l’époque élisabéthaine.
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
Une politique d’excellence établie, mais une
politique de site encore en devenir ?
L’université de Manchester est 41ème au classement 2015 de Shanghai (5ème britannique) pas très loin
derrière l’université Pierre et Marie Curie, première université française du classement. Elle illustre la
façon dont la science anglaise a su inspirer et mettre à son profit le credo d’excellence international : culture et outillage anglo-saxons, tels qu’ils nous sont apparus au cours du voyage, inspirent les
classements des universités et écoles, au moment où se constitue le marché globalisé de l’enseignement
supérieur. Ainsi, 25 Nobel décernés depuis 1915 ancrent l’université de Manchester dans une chronique
d’excellence qui marie durée, intensité et constance. Cette constance, qui traduit à sa façon la capacité
à attirer des scientifiques parmi les plus grands, a été obtenue malgré les vicissitudes politiques ou la
déprise urbaine et économique qui ont affecté Manchester à l’époque thatchérienne. Au-delà du seul
cas de Manchester, les publications scientifiques sont incontestablement un produit phare de la science
anglaise, sous trois angles toujours associés : évaluation par les pairs toujours fortement affirmée,
publication dans les meilleures revues, audience (citations) : « Publish or perish » est un vrai anglicisme.
A contrario, la conjugaison de la puissance d’un acteur unique et du soutien de territoires forts apparaît
comme une orientation à la fois nouvelle et moins concrète. L’université de Manchester résulte de la
fusion récente de deux institutions universitaires, ce qui reste peu évoqué, tandis que les synergies avec
les autres acteurs du site (Metroplitan University of Manchester par exemple) ne figurent pas à l’agenda
stratégique. Dans le même ordre d’idée, si le renforcement institutionnel des territoires britanniques est
prôné actuellement (Grand Manchester, Northern Powerhouse), il reste largement à concrétiser.
Maillage territorial : un questionnement en cours… ou pas ?
La logique du maillage territorial tel que nous la connaissons (recherche de la juxtaposition a minima
d’un juste accès à l’enseignement supérieur sur l’ensemble du territoire et du contrôle de l’offre de
formation) ne se pose pas en des termes identiques au Royaume-Uni. Il semble que seuls la qualité et les
objectifs de la recherche soient définis et attendus par le gouvernement, notamment dans sa dimension
académique. De même, les appels à projets - qui mobilisent l’essentiel des crédits gouvernementaux sont-ils publiés dans des secteurs précis au regard de besoins dûment identifiés, ou en réponse à des
problématiques sociétales prégnantes. La conséquence directe est que l’essentiel du financement est
mobilisé pour un nombre restreint d’universités. Ce qui, par effet mécanique, influe sur les classements
et la concentration des crédits.
De plus, les universités doivent prendre en compte les futures retombées de leur recherche et leur
responsabilité sociale est engagée. Tout cela participe à leur évaluation. La prévalence du secteur
innovation est également induite avec des partenariats public/privé et l’installation de centres Catapult,
sorte d’incubateurs à l’anglaise. Cela constitue en soi une autre logique d’aménagement du territoire en
favorisant la concentration de pôles. La mise en place du REF (Rechearch Excellence Framework) a
amplifié, à partir de 2014, le phénomène de concentration des financements. Une prise de conscience
récente amène le gouvernement à contrebalancer cet effet en prenant en compte la qualité de
l’enseignement dispensé par le truchement du TEF (Teacher Excellence Framework).
A contrario, plus d’une centaine d’universités existent au Royaume-Uni et nombre d’entre elles sont de
petite taille et situées à proximité des lieux de vie des étudiants. Il semblerait que la problématique de la
mobilité étudiante soit moins importante qu’en France, tout du moins dans les secteurs de Manchester
et de Londres.
Au regard du taux d’élèves de niveau Level 4+ , des questions se posent : est-ce que ces universités
jouent le rôle de nos STS et BTS en lycée ? Forment–elles l’équivalent de DUT, de licences pro ? Estce que tous les élèves disposent des mêmes chances de s’engager sur un parcours ambitieux ? Si l’on
garde en mémoire que le Royaume-Uni est le pays européen de l’OCDE qui compte les études les plus
courtes pour ses étudiants avec 2,7 ans en moyenne contre 3,9 dans les autres pays de l’OCDE, on
peut craindre le contraire...
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
25
6. Influence de la recherche britannique
à l’international
Isabelle JUBELIN
Cyril MOULIN
Fabienne EALET
Tristan VEY
Philippe VITEL
Efficace. Le mot est revenu fréquemment sur les lèvres de nos intervenants pour qualifier l’excellence
de la recherche britannique et son rayonnement mondial.
A l’appui de ce constat d’efficience, une série de chiffres, issus d’un benchmark sur la recherche
anglaise publié par le Department for Business, Innovation & Skills (BIS) en janvier 20141, et
présentés par Jakob Edler, professeur de Stratégie et Politique d’Innovation à l’université de
Manchester.
La Grande-Bretagne représente moins d’1% de la population mondiale, mais produit 3,2% de
recherche et développement (R&D) et rassemble à elle seule 4,1% des chercheurs du monde
entier, dont les travaux représentent 9,5% des articles téléchargés, 11,6% des citations mondiales
et 15,9% des travaux les plus cités.
La Grande-Bretagne reste le 2e pôle d’attractivité mondial derrière les Etats-Unis. Sur la trentaine
d’universités européennes du classement de Shanghaï - dont on peut évidemment contester la
pertinence, ou constater son adéquation parfaite avec l’organisation du système de recherche
anglo-saxon qui favorise les universités de recherche anglaises et laisse loin derrière les universités
d’éducation et les organismes de recherche en France ou en Allemagne - une dizaine est
britannique. Cambridge occupe même la 5e place (et c’est la première université non américaine).
Le ratio d’étudiants étrangers sur le total d’étudiants du supérieur est de 17,5% contre 10,2% en
France, 7,1% en Allemagne et 3,9% aux USA2, plaçant le Royaume-Uni juste derrière les EtatsUnis en termes d’attractivité pour les étudiants.
1. BIS Analysis Paper Number
3 “Insights from international
benchmarking of the UK science
and innovation system”, https://
www.gov.uk/government/uploads/
system/uploads/attachment_data/
file/277090/bis-14-544-insightsfrom-international-benchmarkingof-the-UK-science-andinnovation-system-bis-analysispaper-03.pdf
2. Statistiques UNESCO sur
mobilité internationale des
étudiants : http://www.uis.
unesco.org/Education/Pages/
international-student-flow-vizFR.
aspx?SPSLanguage=FR
26
Figure 1 : Pays d’origine des étudiants internationaux
au Royaume-Uni2
Près de 11% des brevets dans le monde font référence à des travaux britanniques, souligne Mme
Mist de la Royal Society. Une position de force étonnante puisque le pays sous-investit dans sa
R&D, par rapport à la France, l’Allemagne ou les Etats-Unis : les dépenses R&D représentent 1,8%
du produit intérieur brut au Royaume-Uni, contre 2,2% en France, 2,7% aux Etats-Unis et 2,8% en
Allemagne.
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
Figure 2 : Comparaison de l’évolution des budgets de R&D de 8 principaux pays de l’OCDE3
Figure 3 : Evolution de la part des investissements R&D étrangers dans 11 pays de l’OCDE3
En revanche, la Grande-Bretagne parvient à draguer de grandes quantités de financements
publics et privés européens : en 2012, les financements étrangers soutenant les dépenses de
R&D représentaient 23,7% au Royaume-Uni contre 9% en France, 5,2% aux Etats-Unis et un peu
moins de 5% en Allemagne3. Curieusement, peu d’intervenants britanniques l’ont mis en avant
durant notre séjour.
De façon surprenante, le rôle des grandes revues à comité de lecture britanniques (le groupe
Nature en tête) dans le rayonnement de la Grande-Bretagne n’a pas été évoqué. Comme si les
rapports de force ou de connivence entre chercheurs et éditeurs n’existaient pas. Quelles sont les clés de cette apparente réussite ?
Pour commencer, un intérêt global de la population pour les sciences, estime Jakob Edler,
spécialiste allemand de l’innovation et directeur exécutif du Manchester Institute of Innovation
Research. Tous les quotidiens du pays parlent de science. Lors de notre séjour, tous plaçaient la
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
3. OCDE - Principaux
indicateurs de la science et
de la technologie, http://www.
oecd.org/sti/msti.htm
27
découverte des ondes gravitationnelles sur leur Une. Et cet intérêt pour la science a été relayé par
plusieurs intervenants : Mme Mist de la Royal Society a insisté sur l’importance de l’engagement
de la science auprès du public « ensure that science inspires the nation ».
On constate également que les britanniques n’hésitent pas à investir dans la dissémination de la
science et contribuent ainsi à asseoir la légitimité du financement de la recherche.
Mais ce n’est pas tout. Les universités, qui concentrent l’essentiel de la recherche dans le pays,
sont sans cesse obligées de justifier de leur excellence auprès des pouvoirs publics pour obtenir
leur financement, qu’il soit annuel (via le HEFCE, Higher education funding council for England)
ou lié à des programmes de recherche spécifiques (via les sept conseils de recherche du pays).
Cette compétition acharnée jouerait un rôle prépondérant dans l’efficacité britannique. C’est elle
qui pousse les universités à investir lourdement dans le recrutement de chercheurs de haut niveau.
Une possibilité offerte par la relative indépendance de ces institutions qui fonctionnent de plus en
plus comme des organismes privés, chargés de trouver leur équilibre financier.
L’influence britannique s’exerce aussi par son positionnement de choix sur le « marché » des
étudiants étrangers : comme évoqué plus haut, seuls les Etats-Unis attirent plus d’étudiants que
la Grande Bretagne, notamment aux niveaux masters et PhDs. Tous les moyens sont bons pour
attirer les jeunes talents (et leur argent), notamment chinois. La Grande-Bretagne a clairement
l’ambition d’être une porte d’entrée vers l’Europe pour la Chine, une volonté qui entrerait clairement
en conflit avec une sortie de l’Union européenne. Toutefois, il existe des freins à cette politique
d’attractivité. En particulier, le système de visas, complexe et lourd, ne permet pas de garder les
étudiants et chercheurs.
Cependant, le système britannique est loin d’être parfait.
Si les universités excellent dans la recherche, cela ne se ressent pas sur le nombre de brevets déposés,
et ce malgré la contribution de la recherche anglaise (cf les chiffres cités en première page). D’après
l’étude BIS de 2014, l’investissement des compagnies en R&D se concentre sur seulement quelques
secteurs : la pharmacie est largement en tête, suivie d’investissements dans les secteurs des services et
des technologies de l’information, puis par l’aérospatial.
Ce même rapport met également en exergue un niveau d’innovation insuffisant dans le tissu des PME.
Pour y pallier, un système d’instituts thématiques (similaire à ce que l’on peut trouver en France ou en
Allemagne) est en train d’émerger. Le modèle repose pour l’instant sur des clusters d’entreprises qui
s’attachent géographiquement à certaines universités pour en drainer les savoir et les cerveaux, sans
stratégie nationale coordonnée.
Une autre source d’étonnement concerne la pénurie de compétences en sciences de l’ingénierie au
sein du système universitaire anglais. Dans le rapport BIS de 2014, c’est un des freins importants
aux capacités d’innovation de la Grande-Bretagne, qui doit importer ces compétences en attirant des
chercheurs et étudiants étrangers. Certains d’entre nous estiment que le système français de formation
d’ingénieurs généralistes est une force qui permet d’alimenter la recherche publique et privée.
Sur le registre des financements étrangers, certains d’entre nous ont été surpris que les intervenants
n’aient pas vraiment éclairé le rôle que jouent les financements européens dans l’excellence de la
recherche anglaise. Faudrait-il l’interpréter comme le signe d’un repliement sur soi dû à l’âpreté de
la compétition sur le territoire national qui fait que « la fin justifie les moyens » ? Plus généralement,
le fait que l’international soit essentiellement une affaire de classement des universités, de
compétitivité économique ou d’attractivité des meilleurs étudiants est un point marquant de cette
visite. Au sujet de la compétitivité et du développement économique, plusieurs membres du groupe
ont été marqués par le rôle central donné à l’université et à ses capacités de recherche, dans le
projet de réaménagement du territoire touchant le Grand Manchester (Northern Powerhouse).
En gardant en tête que ce séjour nous a donné une vision partielle du système de R&D anglais, ce
constat éloigne beaucoup le système anglais de celui qu’on observe en France (et probablement aussi
en Allemagne et aux Etats-Unis) où le leadership international au sein de collaborations ou de grands
projets est souvent mis en avant par les organismes de recherche et, dans une moindre mesure, par
les universités.
28
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
Ce constat fait d’ailleurs écho à une forme d’absence de stratégie nationale pour la recherche. En effet,
la délégation par l’Etat de la stratégie et des moyens de la recherche aux universités a un grand nombre
d’aspects positifs comme ceux mis en avant plus haut (compétitivité, dynamisme, attractivité,…),
mais semble aussi restreindre le rayonnement international de la recherche anglaise qui nécessite un
pilotage à un niveau national, comme on le pratique en France via les organismes de recherche. On
peut s’interroger sur le danger d’une telle politique à long terme pour la performance globale de la
recherche anglaise.
Enfin, tout le groupe a été marqué par le modèle du Wellcome Trust. Créée au début du 20ème siècle,
cette fondation, qui fait fructifier la donation initiale du milliardaire M. Wellcome, prévoit d’investir 5
milliards de livres pour le financement de projets de recherche portés par des chercheurs anglais sur
les 5 prochaines années, dont une partie concernent des pays étrangers, essentiellement en Afrique
et en Asie. C’est la plus grande fondation au monde à investir dans la recherche scientifique, sans
équivalent en France (et probablement ailleurs). En écho aux commentaires sur l’absence de stratégie
de recherche à un niveau global, le Wellcome Trust pallie en partie cette absence de l’Etat dans le
secteur des biotechnologies. Une manière sans doute d’expliquer le très grand déséquilibre qui existe
dans les investissements de R&D entre les différents secteurs.
Concernant le rôle du Wellcome Trust dans l’influence internationale du Royaume-Uni, les constats ont
été mitigés au sein du groupe.
La stratégie internationale du Wellcome Trust est apparue opaque à certains d’entre nous. En effet,
bien qu’elle nous ait été présentée comme basée sur l’excellence scientifique et la volonté de faire
monter le niveau de recherche de pays en voie de développement, l’indépendance de cette stratégie
vis-à-vis des pouvoirs politiques locaux et les liens avec la politique étrangère du Royaume-Uni ont
soulevé de nombreuses interrogations au sein du groupe.
En revanche, certains d’entre nous ont salué la capacité de financement offerte par ce type de
fondation, qui permet de «booster» la R&D de tout un secteur économique au Royaume-Uni. Il
pourrait être intéressant d’étudier l’impact du développement de ce type de fondations privées,
en favorisant la diversité des thématiques de recherche couvertes, afin d’avoir une articulation
efficiente entre la stratégie R&D nationale et les stratégies R&D privées.
Au final, un bilan mitigé, tout aussi bien au niveau des constats partagés que des divergences
d’opinion au sein du groupe, notamment sur le rôle du Wellcome Trust pour ce dernier point.
Le groupe reconnaît d’un côté la réelle efficacité britannique dans sa capacité à produire de la
science reconnue dans les réseaux académiques internationaux, et également de susciter l’intérêt
et l’adhésion du grand public. Mais d’un autre côté, le groupe constate un succès limité dans la
transformation des résultats scientifiques en innovation même si la recherche made in England
alimente la production de brevets. Egalement, nous interrogeons la durabilité d’un système qui
nécessite d’attirer des chercheurs dont les compétences sont peu présentes en Grand Bretagne
pour nourrir les filières d’innovation. Et enfin, nous identifions un danger potentiel dans le manque
de stratégie nationale des politiques de R&D.
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
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7. Interactions sciences et société,
public engagement et éthique : des
spécificités britanniques ?
Corinne BITAUD
Sabrina CARON
Anne TEZENAS
DU MONTCEL,
Benoit VERGRIETTE
Les interactions science-société au Royaume-Uni s’inscrivent dans un contexte marqué d’une part
par une politique de pragmatisme et de néo-libéralisme, d’autre part de défiance de la société visà-vis de la science et des scientifiques : une minorité de britanniques a une formation scientifique,
les crises sanitaires et environnementales ont entamé – comme ailleurs – la crédibilité des experts,
les développements technologiques inquiètent, et surtout la légitimité de l’université a été remise
en cause. Celle-ci a été critiquée pour son coût élevé dans une période de crise économique,
ses préoccupations centrées sur l’excellence scientifique paraissent déconnectées des réalités
(le syndrome de la tour d’ivoire) et les nouvelles technologies accréditent l’idée qu’elle ne serait
plus la porte privilégiée de l’accès au savoir. Le poids relatif de ces deux éléments de contexte
dans les déterminants des interactions science-société a été débattu au sein de notre groupe
d’observateurs.
Une communauté scientifique qui cherche une
nouvelle légitimité, ou qui a intégré un modèle
économique néo-libéral ?
Le système scientifique anglais conjugue une série d’impératifs extérieurs (prouver son utilité
sociale par sa contribution à l’innovation et à la croissance économique, faire la preuve de
l’allocation optimale des ressources, redonner confiance à la société) tout en répondant à un
double objectif interne de produire des connaissances et de conserver le meilleur positionnement
dans la compétition internationale. Autre obsession très spécifique : aller plus vite, comme dans le
système de santé de Manchester, des besoins du terrain à la réponse scientifique et inversement.
Le fait de poser constamment la question aux scientifiques de l’impact de leur recherche est une
particularité tout à fait intéressante. Il s’établit ainsi un circuit court qui relie à la fois l’état de la
science, aux besoins de la population et des entreprises. Objectif : là encore, être efficace sur des
points identifiés, chiffrés scientifiquement. Mais aussi économiquement ou socialement, bien que
cette dimension apparaisse bien peu prioritaire dans les propos de nos intervenants.
La recherche d’efficacité économique conduit ainsi à réduire autant que possible l’intervention
publique au profit d’acteurs privés et d’opérateurs de proximité jugés plus performants et plus en
prise avec la réalité des problèmes à résoudre. La communication de l’université de Manchester
insiste sur l’efficience des financements et Rupert Lewis, le directeur du Goverment Office for
Science, fait valoir que le taux de retour sur investissement de la recherche scientifique au
Royaume-Uni est de 20 %, pourcentage record alors que le pays investit bien moins que la plupart
des autres pays européens dans ce secteur.
L’université – tout comme ses financeurs privés et publics – affiche d’autre part un objectif de
« public engagement », de « responsabilité sociale » comme 3ème pilier de sa stratégie, qui
conjugue une ambition de vulgarisation, de communication et d’éducation du public mais aussi
d’engagement concret à résoudre des problèmes publics. Concrètement, les enseignants et les
étudiants sont ainsi fortement incités à s’investir dans des activités bénévoles ou caritatives et
donc à participer à la cohésion sociale de la collectivité. Un autre moyen consiste à développer
des relations étroites entre la ville et l’université afin de concevoir des programmes (Manchester
Leadership Programme, programme TV, musée…) permettant une meilleure compréhension et
« acceptation sociale » du travail mené par les scientifiques.
30
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
Un autre principe directeur majeur, martelé par tous nos interlocuteurs, est la notion d’evidence
based, qu’il s’agisse de médecine, de science ou de politiques publiques et de réglementation.
En préalable à toute initiative, ce principe consiste à s’appuyer sur des « preuves scientifiques »,
administrées notamment via des organismes privés tels que le Wellcome Trust. Cette démarche
contribue-t-elle dans l’esprit de ses promoteurs au renforcement de la crédibilité de la science, à la
défense de sa légitimité intellectuelle et sociale, ou s’agit-il principalement d’un souci d’optimisation
de l’efficacité et de la rentabilité ?
Une traduction dans les interactions science-société
qui interpelle
Cette posture de reconquête du côté du monde scientifique et/ou l’intégration d’un modèle néo-libéral
et pragmatique se conjuguent avec une culture britannique qui d’une part valorise la compétition,
d’autre part assume pleinement les pratiques de lobbying du secteur privé auprès des décideurs
politiques.
Nous avons tout d’abord été interpellés par une forme de marchandisation de la recherche et des
étudiants, des visions qui nous semblent très normatives de la science, et une certaine relativisation
des questions éthiques.
- L’université de Manchester témoigne d’une logique marchande appliquée à l’enseignement
supérieur et à la recherche. L’enseignement supérieur est un marché sur lequel il faut se positionner
efficacement : les étudiants sont des clients à capter, pour les attirer il faut de bons enseignants,
la qualité de la recherche mesurée à l’aune des publications dans des revues à hauts facteurs
d’impacts assurant la visibilité internationale. L’excellence affichée, calculée à l’aide d’indicateurs
qui ne semblent jamais remis en cause (comme le classement de Shangaï), permet de justifier
des frais élevés d’inscription (9000 £ /an). Un système de prêt public est censé garantir l’accès
aux étudiants à faibles ressources. L’endettement n’est pas évoqué comme un éventuel problème
au motif que les filières de formation sont construites sur des critères d’employabilité, mais aussi
parce que les modalités de remboursement sont adaptées aux revenus du jeune diplômé. Le
recours à des étudiants étrangers (plus d’¼ des 38000 étudiants de Manchester) qui payent le
prix fort (jusqu’à 16000 £/an) assure une double fonction d’équilibrage financier et d’ouverture
internationale. A cet égard, le choix d’implantation des bureaux internationaux de l’université pour
le recrutement des étudiants est sans équivoque (Chine, Inde, Nigéria).
- La vision de la science portée par nos interlocuteurs et concrétisée notamment par le concept
d’evidence based ne laisse pas de place au doute, à l’incertitude et encore moins au principe de
précaution. Aucun de ces termes n’a d’ailleurs été prononcé durant notre séjour. Dans cette vision
libérale du positivisme scientifique, n’est recevable que ce qui est quantifiable et avéré, démontré
par l’expérience, même s’il nous a semblé que le processus de validation des « preuves » n’est
pas clairement défini. Par contrecoup, les notions de débat public et d’approches participatives
pour aborder d’éventuelles interrogations épineuses ou des controverses portées par des citoyens
semblent totalement absentes. L’essentiel du discours sur le Public Engagement porte sur la
nécessité « d’expliquer » au public les bienfaits de la science, et non pas sur la confrontation
entre différents systèmes de valeurs (le site internet du National Co-ordinating Center for Public
Engagement évoque néanmoins rapidement cette possibilité). Qu’il s’agisse de biotechnologie,
de biologie synthétique ou encore de nanotechnologie, les préoccupations sociétales autour de
conséquences indésirables éventuelles des innovations semblent totalement inexistantes ou en
tout cas hors du domaine d’attention des interlocuteurs que nous avons rencontrés. La question
des risques du graphène pour la santé ou l’environnement est ainsi renvoyée sans autre forme
de procès à la toxicité des composés qui accompagnent le graphène. Enfin, nos interlocuteurs
du Wellcome Trust parlent beaucoup de « s’assurer que la recherche soit correctement mise en
œuvre » ou de « s’assurer que les choses vraies soient enseignées », ce qui nous a semblé
témoigner d’une vision de la science assez normative et peu ouverte à la diversité des types de
savoirs.
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
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- Les questions éthiques que nous avons tenté de soulever, notamment auprès du Wellcome
Trust, ont été évitées, ou qualifiées de questions « subjectives », de « problème », voire de frein
au développement des travaux scientifiques. Un de nos interlocuteurs a souligné que « l’éthique
n’est pas un domaine qui se prête facilement aux preuves », et l’on comprend bien que cela entre
difficilement dans un système de pensée fortement marqué par l’evidence based. L’obsession de
la rentabilité apparaît parfois de manière surprenante notamment à propos de la rémunération des
« futurs cadavres » afin d’inciter les citoyens britanniques à faire don de leurs tissus humains très
prisés de la recherche. Dans ce contexte, nous avons été surpris par la suppression par l’État de
certaines agences éthiques publiques notamment en matière de thérapie génique, comme par
la large ouverture faite à des acteurs non publics tels que le Nuffield Council on Bioethics (fondé
notamment par le Wellcome Trust) sur les questions éthiques. Comme l’explique le directeur du
GO Science, s’en priver serait une erreur. « Rien n’a démontré qu’un seul acteur public ferait mieux
que plusieurs entités réfléchissant au même sujet ».
Nous identifions ensuite des fragilités potentielles en ce qui concerne d’une part les conflits d’intérêt,
d’autre part les contradictions internes du système d’évaluation.
- La ligne de partage entre public et privé est de fait fort différente au Royaume-Uni et en France,
comme en témoigne le rôle majeur d’un acteur non gouvernemental, le Wellcome Trust. Créé
en 1936 et devenu en 80 ans l’acteur majeur du soutien à la recherche scientifique (notamment
biomédicale) en Angleterre, depuis la diffusion de la culture scientifique à l’école jusqu’au
financement de la recherche fondamentale, tel un ministère parallèle de la Santé, de l’Éducation
et de la Recherche, en lien permanent avec la sphère publique, porteur en particulier de cette
vision de la science evidence-based. Malgré les liens historiques entre cet acteur et l’industrie
pharmaceutique, à aucun moment le soupçon de collusion d’intérêt entre la sphère économique et
la sphère scientifique ne semble effleurer nos interlocuteurs, alors même que l’actuel Government
Chief Scientific Adviser est l’ancien directeur du Wellcome Trust, ou que l’une des responsables du
Parliamentary Office of Science and Technology est une ancienne salariée de cette même fondation.
Un conflit d’intérêt majeur pourrait un jour émerger, par exemple sur la scène internationale où
d’autres sensibilités peuvent s’exprimer, ce qui réduirait à néant les efforts de reconquête de la
confiance du grand public envers les scientifiques.
- La stratégie des universités fondée sur le Public Engagement trouve d’importantes limites dans
l’enjeu économique très fort qui repose sur l’effort de publication, à la fois pour le système de
classement international des universités, qui conditionne leur attractivité pour les étudiants-clients,
et pour le système d’évaluation national de la qualité de la recherche, qui conditionne les fonds de
base des établissements. Malgré les encouragements des institutions diverses, certains acteurs
de l’université de Manchester comme le National Co-ordinating Center for Public Engagement
reconnaissent qu’il est très difficile de concilier toutes ces exigences, et que cela nuit en pratique à
l’investissement des chercheurs dans le dialogue avec la société.
Néanmoins, la politique britannique en matière de dialogue science-société nous semble être un
réel succès en matière de partage de la vision, ce dont témoigne une grande convergence des
éléments de langage sur ce sujet quels que soient les institutions ou organismes rencontrés. Les
moyens mis en œuvre pour promouvoir la science auprès du grand public sont considérables,
notamment à l’échelle des programmes scolaires, et l’on peut s’attendre à ce que cette stratégie
porte des fruits à moyen terme. Enfin, malgré le scepticisme qui a pu s’exprimer au début des
années 2000 en France sur l’efficacité des réformes du dispositif de recherche et d’enseignement
supérieur au Royaume-Uni, 15 ans plus tard il faut bien constater que la recherche britannique est
toujours au meilleur rang international et que, du moins à Manchester, les populations, y compris
défavorisées, ont de plus en plus accès à l’enseignement supérieur. Dans son écosystème, le
pragmatisme britannique semble payant.
Cet enchevêtrement subtil d’acteurs privés et publics pour traiter de sujets plus traditionnellement
dévolus en France à la puissance publique nous est apparu comme une spécificité forte du système
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Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
britannique. Par ailleurs, les contraintes économiques sont tout à fait intégrées et le système est
bâti sur cette réalité qui pourrait paraître bien froide et sans vision politique ni philosophique à un
Français. Cela donne d’un côté un manque de vision humaniste de la science dans la société,
voire d’une gratuité et d’une liberté de la recherche, et en même temps d’une certaine manière une
grande adéquation aux besoins chiffrés du pays et une efficacité plus grande avec des moyens
moins importants. Si tant est que le chiffre soit la seule preuve de l’efficacité de la science. Si ces
éléments nous interpellent c’est probablement que le modèle de l’enseignement supérieur et de
la recherche français, en mutation profonde depuis, a minima, 2007, oscille entre compétitivité,
mondialisation, publish or perish, autonomie des universités, attractivité… et le financement
public de la recherche en période de crise, l’ « absence » de sélection des étudiants, les valeurs
d’émancipation et de socialisation de l’enseignement, une science à l’épreuve de l’éthique, une
appropriation sociale des sciences renforcée...
Un/des équilibre(s) que la France a bien du mal à trouver, si tant est qu’ils soient souhaités et
souhaitables.
Réferences bibliographiques :
Sur le concept de “public engagement” des Universités britanniques : http://www.publicengagement.ac.uk/
Sur les conflits d’intérêt dans la définition des politiques publiques : OCDE (2015) « Scientific advice for policy making »
Sur une analyse française du système britannique en 2000 : http://www.larecherche.fr/idees/livres/desarrois-science-anglaise-01-04-2000-89063
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
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8. L’innovation dans l’économie britannique :
enjeux et politiques
L’économie britannique
Comme celle des autres pays développés, l’économie britannique repose majoritairement sur les
services qui représentent près de quatre cinquièmes du Produit Intérieur Brut. Elle se distingue
Hervé PERNIN
par un faible interventionnisme étatique, conjugué à un cadre juridique et fiscal avantageux pour
Christian FOUSSARD
les entreprises. Témoin de son dynamisme, le Royaume-Uni héberge plus de 100 000 sociétés de
Jean-Charles CADIOU services en ingénierie informatique (SSII) et abrite le nombre le plus élevé́ de start-ups dans les
logiciels en Europe. Dans un contexte économique mondial difficile, l’économie britannique a affiché
d’une part une croissance de 2,2% en 2015, la plaçant dans le groupe de tête des pays développés, et
d’autre part une baisse significative du chômage qui s’établissait à 5,1% en novembre 2015. De fait, le
Royaume-Uni exerce un fort pouvoir attracteur, son solde migratoire annuel s’établissant désormais
aux environs de 320 000 personnes. Sur le long terme, ses performances macro-économiques (hors
emploi) sont très similaires à celles de la France, comme l’illustre la Figure ci-dessous
Céline SERRANO
Figure 1 : Produit intérieur brut par habitant (PIB/hab) en $ courant
(source : donnees.banquemondiale.org).
Un effort en matière de Recherche-développementinnovation limité et dirigé vers la recherche
Le Royaume-Uni se situe dans le classement de queue de l’Organisation de coopération et de
développement économique (OCDE) pour ce qui concerne les dépenses de Recherche et
développement (R&D) rapportées au PIB, soit 1,7% en 2012 à 32 milliards de livres sterling (Md£).
Ces chiffres sont stables depuis une quinzaine d’années après une forte diminution sur la période
1980-2000. Cet effort provient à 30% du secteur public, le reste étant apporté par des entreprises
ou des fondations. Les dépenses privées de R&D, 64% de l’effort de recherche à 18,4 Md£, ne
représentent pour autant que 1,2% contre 1,6% pour la moyenne des pays de l’OCDE, en stagnation
depuis plusieurs années.
La politique publique est fortement centralisée, le Department for Business, Innovation and Skills
(BIS) étant responsable de la stratégie de recherche et d’innovation ainsi que de 50% environ des
budgets publics, soit près de 6 Md£, dont une partie est sécurisée (fence ring arrangement). Environ
4Md£ supplémentaires proviennent d’autres ministères, dont le ministère de la Défense.
L’effort public se concentre sur le financement de la recherche universitaire dans le cadre d’un dual
system : une dotation de base pour le financement direct des universités associée à une évaluation
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Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
des laboratoires visant à l’excellence collective de la recherche; et un financement sur projet opéré
par les Research Councils (équivalents de l’Agence nationale de la recherche (ANR)) avec une
sélectivité accrue qui mise sur l’excellence individuelle.
Cette forte concurrence pour le financement public et la précarité du statut des chercheurs conduit à
une recherche focalisée sur les publications et le rayonnement international. Le rendement publications
versus financements publics du Royaume-Uni est ainsi excellent. Le dépôt de brevet est toutefois peu
valorisé et les chercheurs sont peu sensibilisés aux questions de propriété intellectuelle ou industrielle.
Les dirigeants de la société et les élites en général ont une culture scientifique et technique moins
forte qu’en France. De plus, les jeunes Britanniques auraient peu d’attrait pour les sciences. En
termes d’innovation, cela se traduit par un manque d’ingénieurs, donc par un risque pour les
entreprises, lesquelles se retrouvent dans l’incapacité de s’approprier les technologies issues de
la recherche ou sont poussées par les centres Catapult. Pour pallier ces difficultés, un programme
de sensibilisation des jeunes aux sciences et technologies a été lancé ainsi que des cours sur
l’entrepreneuriat pour les doctorants. Ainsi, à Manchester, la formation des doctorants comporte
obligatoirement la rédaction d’un business case/plan.
C’est principalement avec les grands groupes que les universités et les instituts de recherche
entretiennent des relations. Dans ces partenariats, la recherche publique reste sur des niveaux
de maturation faibles (Technological Readiness Level (TRL) 5 au plus) sans s’intéresser aux
applications qui sont prises en charge directement par les entreprises. Les relations avec les
petites et moyennes entreprises (PME) sont quasiment inexistantes : elles nécessiteraient que les
universités se dotent de compétences technologiques pour aller sur des TRL 6-7-8.
À la différence de la France où le programme investissement d’avenir (PIA) accompagne toute la
chaîne de l’innovation, l’intervention des pouvoirs publics britanniques sur les TRL élevés est ainsi
très limitée : la priorité est à la recherche fondamentale et à un processus d’innovation poussé par
la recherche amont. Il n’y a que peu de financements croisés recherche et entreprises : pas de
fonds unique interministériel (FUI), pas d’ANR avec entreprise ni de PIA par filière (ex : transports
du futur).
La Figure 2, établie par l’agence Innovate UK (ex-TSB Technology Strategy Board), financée et
sous la tutelle du BIS, récapitule la structure du soutien à l’innovation. Elle ne comprend pas les
financements récurrents aux universités et centres de recherche et omet les crédits délégués
aux ministères hors BIS (notamment défense) pour 4 Md£ environ. La fonction première de cette
figure était d’illustrer l’effet « vallée de la mort » que rencontrent les entrepreneurs aux échelles
intermédiaires de TRL 4 à 6 et de défendre un accroissement des budgets de Innovate UK devant
le comité science et technologie du Parlement (Chambre des représentants), à l’occasion de
l’ouverture de la session parlementaire 2015-2016.
Figure 2 : Répartition des investissement en R&D au Royaume-Uni
(source: http://data.parliament.uk/WrittenEvidence/CommitteeEvidence.svc/EvidenceDocument/Science%20
and%20Technology/The%20science%20budget/written/22562.html)
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
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Pour mettre en lien la recherche avec les territoires, Innovate UK a été chargé de mettre en place
des centres Catapult, centres d’excellence visant à combler le fossé entre les entreprises et le
monde de la recherche.
Les Catapult sont ainsi des structures de droit privé, dont le financement doit respecter un équilibre
d’un tiers sur fonds publics récurrents (Innovate UK, 5 à 10 M£/an selon les centres), un tiers par
contrats de recherche avec le secteur privé et un tiers sur projets de recherche collaboratifs (UK et
Horizon 2020 (H2020)). Initialement imaginés comme des Fraunhoffers britanniques, leur modèle
final, conçu en 2011 par le Professeur Hermann Hauser de l’université de Cambridge, tient à la
fois des instituts Carnot, des instituts de recherche technologique (IRT) ou des instituts pour la
transition énergétique (ITE), dans un double mouvement du marché vers la recherche et de la
recherche vers le tissu industriel.
Début 2016, sept centres Catapult sont pleinement opérationnels dans les domaines suivants:
thérapie cellulaire, numérique, villes du futur, industrie à haute valeur ajoutée, énergie renouvelable
offshore, applications satellites et transports. Deux nouveaux centres sont programmés à très court
terme. L’objectif fixé est d’atteindre 20 centres en 2020 et 30 centres en 2030. Si le plus gros
emploie près de 1500 personnes, les centres comptent généralement de 100 à 200 personnes, à
fonctions scientifiques et techniques mais aussi juridiques voire commerciales d’accompagnement
à la mise sur le marché.
Cinq ans après son lancement, il est encore trop tôt pour évaluer quantitativement l’effet du
programme Catapult en termes de création d’emplois et de valeur ajoutée. Les évaluations plus
qualitatives sembleraient positives même si un rapport d’évaluation de novembre 2014 note que les
Catapult doivent augmenter leurs collaborations avec les PME et ne pas se couper des universités.
Le financement public pour un tiers apparaît très important pour éviter que ces centres ne se
focalisent que sur des projets avec des débouchés à très court terme.
En parallèle des Catapult, les centres techniques plus anciens, créés dans les années 1990
subsistent par exemple sous forme de Science Parks spécialisés (ex : à Bristol, à York…) sous la
bannière de l’UK Science Park Association qui revendique 100 structures adhérentes employant
70000 personnes. Certains d’entre eux sont hébergés par des universités.
L’existence des centres Catapult et des centres d’incubation ou de pépinières dispersés sur le
territoire ne doit pas faire oublier que l’organisation territoriale anglaise est très fortement centralisée
autour de Londres. Des tentatives de décentralisation – devolution - sont en cours, au premier
rang desquelles le Northern Powerhouse. À ce sujet, tout est à mettre en place y compris la
création de véritables structures politiques locales au niveau des agglomérations et des modalités
de coopération intercommunale.
Par ailleurs, le gouvernement britannique a créé une banque d’investissement, la British Business
Bank, qui s’adresse exclusivement aux start-ups, PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI).
Existent aussi de grands instruments de financement de l’innovation comme l’UKIF (UK Innovation
Investment Fund).
Qu’en est-il de l’effort privé de recherche ?
Le privé prend donc en charge l’essentiel des dépenses de R&D britanniques, portées pour la plus
grande partie par les entreprises et par un grand nombre de fondations, intervenant essentiellement
dans les secteurs de la santé et du bien-être. Les financements européens à l’innovation - Fonds
européen de développement économique et régional (FEDER) ou H2020 - bien que comptabilisés
dans ces financement « non publics » sont le fait essentiellement des universités, avec au premier
rang les plus prestigieuses d’entre elles: Cambridge, Oxford et l’Imperial College London. La
Figure ci-dessous détaille la contribution des principaux secteurs économiques à l’effort privé de
recherche.
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Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
Figure 3 : Contribution des principaux secteurs économiques à l’effort privé de recherche
(source : Office national des statistiques 2014 (année 2012) http://www.ons.dz/)
Au final, quelles sont les forces et faiblesses de
l’écosystème britannique de soutien à l’innovation ?
Les forces de l’écosystème de soutien à l’innovation comporte plusieurs aspects parmi lesquels des
investissements étrangers importants, une forte attractivité pour les étudiants étrangers, une marché
ouvert et très compétitif avec un fort intérêt des citoyens pour ce qui concerne les produits et services
innovants (des compétences avérées dans le domaine de la finance et de l’industrie pharmaceutique),
des exportations en hausse. Ces points forts sont contrebalancés par des faiblesses comme un
sous-investissement chronique en R&D, un manque criant d’ingénieurs, des dépôts de brevets qui
n’augmentent pas, des règles d’immigration difficiles et changeantes, une faible productivité du travail
et des difficultés d’innovation pour les PME.
Quelles opportunités pour les entreprises françaises ?
Le Royaume-Uni représente 14% de l’excédent commercial de la France. Les entreprises
françaises y sont très présentes, grandes entreprises (EDF, Véolia, Orange, etc) ou PME. Plus
largement, l’investissement étranger au Royaume-Uni est à un niveau particulièrement élevé tout
comme la contribution from abroad à l’effort de R&D, soit environ 23% de l’effort total de R&D et
50% de l’effort privé. C’est un sujet de fierté pour les britanniques mais aussi d’inquiétude car signe
de dépendance et de fragilité face à une éventuelle fuite de capitaux, très prégnante aujourd’hui.
Pour les pouvoirs publics français, il pourrait être intéressant d’identifier les bénéfices et les opportunités
de cette présence d’entreprises françaises dans l’écosystème d’innovation britannique.
A lire
Informations macro économiques
http://export.businessfrance.fr/royaume-uni
https://data.oecd.org/united-kingdom.htm
http://donnees.banquemondiale.org/
Une stratégie innovation (2011)
http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/+/http:/www.bis.gov.uk/innovatingforgrowth
Les débats en cours (session parlementaire 2015-16) sur le budget science et innovation http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201516/
cmselect/cmsctech/340/34002.htm
Autres documents
http://www.ambafrance-uk.org/Dossier-Les-centres-Catapult
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Programme
du voyage d’études
Le Royaume-Uni et ses paradoxes
Science, société, compétitivité
mardi 9 février 2016 • Manchester
Manchester Institute of Biotechnology,
Accueil
Tanya LUFF, Head of International Relations
La stratégie territoriale du Greater Manchester
Manchester 2025: économie, gouvernance et stratégie
David HOULISTON, Policy and Partnerships Manager, Manchester City Council
L’université de Manchester et son territoire - Présentation générale de l’université
Andrew WALSH, Director of Research and Business Engagement Support Services
The Northern Powerhouse
Andrew WESTWOOD, Associate Vice-President for Public Affairs, Regional and Economic Affairs
La décentralisation dans le secteur de la santé et ses conséquences
Clive MORRIS, Honorary Chair in Translational Medicine
mercredi 10 février 2016 • Manchester
L’université de Manchester, stratégie et recherche - Rencontre avec...
Professor Dame Nancy ROTHWELL, President and Vice-Chancellor
Présentation du Manchester Institute of Biotechnology (MIB)
Nigel SCRUTTON, Director of the MIB
Visite du MIB
Recherche et écosystème d’innovation
Jakob EDLER, Professor of Innovation Policy and Strategy
Présentation du National Graphene Institute (NGI) et de la recherche sur le graphène
Vladimir FALKO, Professor of Theoretical Physics, Research Director of the NGI
Recrutement et accompagnement des étudiants internationaux
Tanya LUFF, Head of International Relations
Jeudi 11 février 2016 • Londres
Houses of Parliament
Le Parlement : relations science et politique au Royaume-Uni
Julian HUNT, Lord Hunt of Chesterton, Member of the House of Lords, Member of the Science and TechnologyCommittee (Lords)
Visite du Parlement
The science and Technology Select Committee (Commons)
Nicola BLACKWOOD, Member of the House of Commons, Oxford West and Abingdon Constituency, Member of the
Science and Technology Committee (Commons), Chair of the Science & Technology Select Committee
Simon FIANDER, Science and Technology Select Committee Clerk
The Science and Technology Committee (Lords)
Julian HUNT, Lord Hunt of Chesterton, Member of the House of Lords, Member of the Science and Technology
Committee (Lords)
Wellcome Trust, Gibbs Building
Le Wellcome Trust
Clare MATTERSON, Director of Strategy
Opérations internationales
Simon KAY, Head of International Operations
Claire FEARN, International Operations and Partnerships Adviser
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Politique: le Royaume-Uni et l’Union européenne
Nicola PERRIN, Head of Policy
Stuart PRITCHARD, EU Affairs Manager
Actions dans le domaine de l’éducation et de l’apprentissage
Matthew HICKMAN, National Programmes Manager
Le Nuffield Council on Bioethics
Place du Council dans le «système» de conseil bioéthique britannique
Hugh WHITTALL, Director
DoubleTree by Hilton London - Kensington
Statégie de recherche, engagement public
La Royal Society
Rosalind MIST, Head of Education
Le Parliamentary Office of Science and Technology
Lydia HARRISS, Physical Sciences and ICT Adviser
Le Government for Science
Rupert LEWIS, Director
vendredi 12 février 2016 • Londres
Résidence de l’ambassadeur de France
Présentation du système de recherche, de ses évolutions
et échanges sur les journées précédentes
Cyrille VAN EFFENTERRE, conseiller pour la science et la technologie
Ludovic DROUIN, attaché pour la science et la technologie
Actualités de la relation bilatérale
Sylvie BERMANN, ambassadeur de France au Royaume-Uni
Système économique, innovation
Alain DE COINTET, chef du service économique régional, ministre conseiller pour les affaires économiques et financières
Politique énergétique, nucléaire au Royaume-Uni
Cyril PINEL, conseiller nucléaire régional Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives pour le
Royaume-Uni et les pays nordiques
Science, défense et armement. La recherche duale
Nicolas FOURNIER, attaché d’armement, service de l’attaché de défense
Science Museum
Panorama des activités du Science Museum Group
Helen JONES, Head of Strategy and Planning
Les programmes publics
Kenny WEBSTER, Head of Learning Operations
Visites
Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni
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