Le Royaume-Uni et ses paradoxes Science, société, compétitivité
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Le Royaume-Uni et ses paradoxes Science, société, compétitivité
Le Royaume-Uni et ses paradoxes Science, société, compétitivité Carnets du voyage d’études à Londres et Manchester Cycle national de formation 2015 - 2016 Espaces de la science, territoires et sociétés 2 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni Sommaire Orientations générales 4 1. Financements publics, financements privés: impact sur la recherche au Royaume-Uni 6 2. Les grands axes de la coopération francobritannique10 3. Communautés politiques, communautés scientifiques : quelles interfaces, quels enjeux ? 14 4. Greater Manchester : entre dés-industrialisation et décentralisation, la réponse d’un territoire et de ses acteurs 18 5. L’évolution du système d’enseignement supérieur britannique : le cas de l’université de Manchester23 6. Influence de la recherche britannique à l’international26 7. Interactions sciences et société, public engagement et éthique : des spécificités britanniques ? 30 8. L’innovation dans l’économie britannique : enjeux et politiques 34 Programme du voyage d’études 38 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 3 Session 6 - voyage d’études Le Royaume-Uni et ses paradoxes Science, société, compétitivité mardi 9 - vendredi 12 février 2016 Ce premier voyage d’études de la promotion va lui permettre de prendre la mesure des différents espaces en jeu dans un pays européen emblématique, le Royaume-Uni. Huit ans après la crise, le Royaume-Uni a su tirer parti de la mondialisation pour faire rebondir son économie. Cinquième économie mondiale et deuxième économie européenne, le Royaume-Uni a eu un taux de croissance deux fois plus élevé et un taux de chômage deux fois plus faible que la France en 2015. Le Royaume-Uni, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies et membre de l’Otan, conserve une influence mondiale dans les domaines diplomatique et militaire. Bien que profondément eurosceptique et menaçant de la quitter, le pays a largement façonné l’Union Européenne et en a influé les orientations majeures, telles que l’élargissement, le marché unique, ou la dilution des pouvoirs de Bruxelles. Le Royaume-Uni, espace propice à l’expression de la créativité et à l’entrepreneuriat, attire les capitaux et les talents étrangers, et le rayonnement culturel britannique est incontestable. Dans le domaine scientifique, le pays qui ne représente que 0,9% de la population mondiale, a financé en 2013 3,2% de la R&D mondiale et publie 6,4% des articles à comité de lecture et le Royaume-Uni reste la deuxième destination des étudiants étrangers, après les Etats-Unis. Derrière ces réussites se cache une autre réalité. En lien avec la forte désindustrialisation du pays, le commerce extérieur britannique est largement déficitaire. La dette publique est en croissance constante. Les bons chiffres du chômage masquent des inégalités sociales grandissantes et la grande précarité de l’emploi, symbolisée par le très controversé zero-hour-contract qui ne garantit ni la sécurité de l’emploi ni le salaire et qui concernerait maintenant 10% des salariés britanniques. En raison de ses difficultés financières, l’Etat a réduit les budgets de l’enseignement supérieur et, dans une moindre mesure, de la recherche. Suite aux réductions budgétaires, les droits d’inscription universitaires ont triplé en 2012 pour s’élever à 9000 livres par an pour un étudiant de premier cycle. En novembre 2015, deux mois à peine après avoir annoncé son plan Teaching for Excellence Framework, le gouvernement a annoncé que le budget de l’enseignement supérieur baisserait encore de 8,5% d’ici 2020 avec, notamment, la réduction du student opportunity fund qui s’adresse aux étudiants les plus modestes et handicapés. Les politiques migratoires du Royaume-Uni entraînent une réduction notable du nombre d’étudiants internationaux. Le budget de la recherche, qui ne représentait que 1,7% du PIB en 2014 contre 2,25% en France , va rester stable jusqu’en 2020, alors que le gouvernement a lancé en décembre 2014 une ambitieuse stratégie pour la science et l’innovation, Our plan for growth , dans le but de «maintenir la science et l’innovation britanniques à la pointe de l’excellence mondiale». L’éventualité d’un Brexit inquiète non seulement les économistes mais également les communautés universitaires et scientifiques. En effet, l’Union Européenne est un financeur majeur de la recherche britannique. En 2013-2014, les établissements d’enseignement supérieur britanniques ont reçu près d’un milliard d’euros dans le cadre du 7e PCRD et d’H2020, et Erasmus+ finance la majorité des échanges d’étudiants et de personnels. Dans ce contexte difficile, les fondations et associations caritatives, telles que le Wellcome Trust ou Cancer Research UK prennent une part de plus en plus grande dans le financement et l’orientation de la recherche au Royaume-Uni. A Londres, capitale mondialisée en plein essor économique, la promotion abordera les modèles de gouvernance et de financement du système de recherche et d’innovation britanniques, les axes stratégiques de sa politique de recherche et d’innovation, les régulations à l’œuvre entre pouvoirs publics, recherche, enseignement supérieur et société et le mode de coopération entre ces acteurs, ainsi que la diplomatie que le Royaume-Uni entretient avec la France sur ces sujets. Aux inégalités sociales s’ajoutent des inégalités territoriales. La désindustrialisation du Nord et la tertiarisation de l’économie sont avancées pour expliquer le clivage entre le Nord, soumis à des difficultés économiques et sociales, et le Sud, riche et puissant du fait du développement des systèmes financiers et de la concentration du pouvoir économique à Londres. Ainsi Manchester, ville symbole de la révolution industrielle, qui avait bâti sa richesse sur la transformation et la commercialisation du coton, a tout particulièrement souffert de la désindustrialisation et s’est trouvée profondément sinistrée dans les années 1960-70. Avec un effort de reconversion depuis les années 1980, 90% des emplois du Grand Manchester sont maintenant dans le secteur tertiaire, et la ville est devenue le deuxième pôle financier du RoyaumeUni après Londres . Outre la finance, les secteurs phares de l’économie locale sont la santé, la création, les médias et les nouvelles technologies, l’éducation et l’enseignement supérieur, le sport et le tourisme. La croissance démographique du Grand Manchester, en deuxième position au Royaume-Uni après Londres, est la preuve du dynamisme de l’agglomération. Malgré cela, le Grand Manchester a un taux de chômage élevé pour le Royaume-Uni (7,3% en 2015) et fait partie des 5 agglomérations ayant la plus grande proportion de banlieues pauvres du pays. L’administration du Grand Manchester est assurée par le Manchester City Council à qui a été transmis une partie des pouvoirs et responsabilités de l’Etat en matière de transport, de déve- loppement de l’immobilier, de logement, de santé, de lutte contre le chômage, la pauvreté et la criminalité, lors de la signature du Devolution Agreement en novembre 2014. Pour permettre aux grandes villes du Nord de constituer un contre-pouvoir face à Londres et rééquilibrer l’économie du pays, le Chancelier de l’Echiquier George Osborne a créé en 2014 le Northern Powerhouse, qui vise à renforcer les connexions économiques et physiques entre les grandes villes du Nord de l’Angleterre, dont le Grand Manchester, pour dynamiser leur croissance. A Manchester, cité européenne de la science 2016 et hôte de l’Euroscience Open Forum (ESOF) 2016, la promotion étudiera comment se conçoit et se décline la stratégie territoriale d’une grande ville du Nord de l’Angleterre et son positionnement dans le paysage national. A l’université de Manchester, membre du Russel Group, un réseau de 24 universités de recherche intensive britanniques, et établissement de classe mondiale, en 41ème position au classement de Shanghai 2015, la promotion appréhendera la façon dont l’université concilie son inscription dans le territoire et son ambition d’excellence internationale, dans un contexte de restriction budgétaire. Marie-Françoise CHEVALLIER LE GUYADER directrice de l’IHEST Remerciements L’IHEST adresse ses remerciements à toutes les personnalités et les institutions qui viennent à la rencontre des auditeurs de l’IHEST ou les accueillent à l’occasion de ce voyage d’études : la ville de Manchester, l’université de Manchester, Lord Hunt of Chesterton, Nicola Blackwood, Clare Matterson et ses collaborateurs du Wellcome Trust, Rupert Lewis et le Government for Science, Claire Craig, Laura Wilton et la Royal Society, Lydia Harriss et le Parliamentary Office for Science and Technology et le Science Museum Group. L’IHEST tient également à remercier l’ambassade de France à Londres et particulièrement le Service pour la science et la technologie. Enfin, l’institut tient à remercier Philippe Laredo et Michel Becq pour leur efficace collaboration à l’élaboration du programme de ce voyage d’études. Cycle national de formation 2014-2015 • Rapport d’étonnement de l’atelier 5 1. Financements publics, financements privés: impact sur la recherche au Royaume-Uni Thierry ADVOCAT Florence CARRE L’écosystème de recherche et d’innovation au Royaume-Uni Caroline LETELLIER MARICHAL Le Royaume-Uni compte 194 000 universitaires (enseignants, enseignants/chercheurs, chercheurs) et 2,3 millions d’étudiants (dont 2,6 % sont européens et 7,8 % non européens) Pierre-Yves LOCHET répartis sur 170 établissements d’enseignement supérieur (en France, il y a 2,4 millions d’étudiants Vincent MOREAU pour 139 établissements) financés sur la base des coûts de scolarité des étudiants, de dotations à l’enseignement, de financements pérennes et d’appels à projets/bourses. Outre les universités, les opérateurs de recherche sont issus du secteur privé, de centres de recherche parapublics et d’établissements publics de recherche. Les ministères en charge du financement des programmes de recherche sont multiples (Energy and Climate Change, Business, Innovation, and Skills, HM Treasury, Defence, Health…). Le ministère en charge de « Business, Innovation and Skills » distribue environ 17 % des 27 milliards de livres (Md£) de budget global de recherche et développement (cf. annexe 1) grâce à un système basé sur l’allocation de fonds publics, par l’intermédiaire de trois types d’institutions : • les Conseils de recherche (Research Councils). Au nombre de 7, ils distribuent leurs financements (10% du budget global) par un système d’appel à projet (grants) ; • les Conseils de financement de l’éducation supérieure (Higher Education Funding Councils) qui distribuent les financements (7,4% du budget global) en fonction d’une évaluation périodique de la recherche ; • Innovate-UK ou agence britannique pour l’innovation, dispose quant à elle d’un fonds pluriannuel (1,6% du budget global de R&D). L’agence Innovate-UK vise à promouvoir 8 technologies jugées prioritaires par le gouvernement : stockage de l’énergie, Big data, satellites, robotique et systèmes autonomes, biologie de synthèse, médecine régénérative, bio-économie et biotechnologies et matériaux avancés. Elle participe au développement de start-ups, en collaboration avec des centres de transferts de technologie, des incubateurs, des centres d’innovation (les centres « Catapult ») et des parcs scientifiques (cf. §3 pour plus de détails). La R&D est financée à 30% par le secteur public, 46% par le secteur privé et 23% par les organismes de bienfaisance et l’étranger (cf. §2 pour plus de détails et annexe 1). Parmi ces organismes se trouve le Wellcome Trust1 qui est la deuxième fondation mondiale en matière de financement de la recherche derrière la Bill & Melinda Gates Foundation. Le Wellcome Trust est investi dans la recherche biomédicale depuis sa création en 1936. L’objectif ultime de valorisation de la recherche du Wellcome Trust est, outre la diffusion de la science auprès du grand public et la production de vaccins et de médicaments, d’influencer la réglementation européenne, voire internationale des secteurs couverts. 1.http://www.wellcome.ac.uk/ 6 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni Ajustement du rôle de l’état dans le financement de la recherche En 1985, les dépenses de R&D s’élevaient à 2% du PIB2. Ce budget a été réduit de manière très significative jusqu’en 1995 pour atteindre environ 1,7% du PIB, chiffre encore d’actualité aujourd’hui. Cette situation est assumée par le Royaume-Uni qui a diminué le nombre de laboratoires en conséquence. Par ailleurs, les universités sont incitées à se tourner vers des sources de financements autres, qu’elles soient privées ou issues de leurs fonds propres, afin de les rendre moins dépendantes des subsides publics. Pour l’année 2012, sur les 27 Md£ de budget global R&D, 8% ont été alloués aux établissements de recherche et 2% aux entreprises, qui pour leur part, ont contribué, en fonds propres à 45% de ce budget. Depuis 1995, ce sont les financements privés et étrangers qui ont augmenté le plus, le financement privé s’élevant annuellement à 17 Md£. Durant cette période, certains secteurs de recherche précédemment financés par le public ont été progressivement pris en charge par le privé, générant dans certains domaines une perte de maîtrise de la puissance publique sur des technologies potentiellement duales ou de souveraineté. C’est le cas notamment de certains secteurs relevant de la défense nationale et du nucléaire. Pour combler ce déficit sans pour autant avoir à apporter de l’argent public, le gouvernement britannique a choisi de favoriser les projets privés en facilitant les conditions d’investissement. L’écosystème réglementaire et juridique semble adapté aux entreprises et le gouvernement est considéré comme « business-friendly ». Cependant, la stratégie consistant à favoriser l’investissement privé pour couvrir la R&D de domaines d’intérêts souverains a ses limites car elle peut entraîner, à terme, une raréfaction des connaissances et créer des dépendances comme cela est le cas pour le nucléaire. En effet, le Royaume-Uni, qui a décidé de réinvestir dans le domaine pour renouveler son parc de centrales, doit procéder à une mise à jour des connaissances en faisant appel à des experts et des technologies étrangères principalement françaises, américaines et japonaises. Parmi les financements publics épargnés par le gouvernement on compte le « Global Challenge Fund » dont le but est de concourir au développement des pays pauvres, permettant ainsi au gouvernement de préserver son leadership international et de renforcer sa capacité d’influence dans le monde. Les stratégies d’influence sont multiples et usitées par les acteurs publics comme privés. C’est ainsi le cas du Wellcome trust qui, pour renforcer la cohérence de ses stratégies d’influence internationale, mène des actions de lobbying auprès de Westminster ainsi que d’autres instances réglementaires nationales et européennes. Ainsi, certains membres de la fondation sont présents au sein de structures étatiques chargées d’établir la stratégie publique de recherche. Des efforts fortement liés à une logique de rentabilité La dépense publique pour la recherche n’est pas perçue comme une simple dotation mais comme un véritable investissement qui doit permettre au Royaume-Uni de conserver son leadership dans ses domaines d’excellence et/ou de le positionner sur les 8 secteurs émergents prioritaires. Dans cette même logique, la dépense publique a été restructurée pour favoriser les financements par projets, seul budget public ayant connu une progression ces dernières années. Cette stratégie d’investissement public a également conduit le gouvernement à exiger des universités et des organismes de recherche qu’il finance, à rendre compte de l’utilisation de ces subsides. Ainsi, des audits d’évaluation de la recherche sont menés périodiquement. Ils permettent à l’État d’évaluer la qualité des projets de recherche présentés et ainsi d’orienter les financements. Le gouvernement britannique a poussé cette logique d’évaluation encore davantage au travers d’un audit sur l’impact Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 2. Source : House of Common Library, Number CDP 2015/0019. Debate Pack: Science and research in the UK and regional economies. 22 June 2015 7 socio-économique de la recherche mené en 2014. La production de connaissances scientifiques nouvelles et reconnues (publications scientifiques à fort impact), la création de valeur pour les citoyens ou de richesses à travers le développement de produits à fort potentiel économique ont notamment été analysées. A la suite de ces évaluations, des laboratoires et départements dont les résultats d’audit n’étaient pas satisfaisants ont dû fermer, laissant de nombreux chercheurs dans la précarité. Cette approche illustre la forte centralisation de la gestion de la dépense publique et le poids du gouvernement dans l’élaboration de la stratégie d’investissement. Globalement, le Royaume-Uni affiche un excellent ratio production écrite-livre sterling investie mais les retombées économiques ne profitent finalement que peu au pays lui-même. Ce facteur d’impact économique repose sur un cercle vertueux de la recherche, qui permet de passer de la recherche fondamentale à la recherche appliquée puis à son utilisation par l’industrie. Or, un des points faibles du système britannique actuel réside dans cette relation entre la recherche appliquée et l’industrie qui reste, aujourd’hui encore, ténue. Pour pallier ce problème, plusieurs dispositifs ont été mis en place. Les universités investissent dans la valorisation et le développement de l’esprit d’entreprise chez leurs étudiants. L’université de Manchester a ainsi créé un département spécifique visant à favoriser la création de start-ups par les étudiants. Quant au gouvernement, il s’appuie sur plusieurs programmes et sur l’agence Innovate-UK pour optimiser le transfert de technologie entre la recherche et l’industrie et créer les conditions favorables pour ces échanges. Ces programmes s’adressent principalement aux petites structures (petites et moyennes entreprises, start-ups…) que l’État britannique a du mal à atteindre. Elles bénéficient ainsi de dispositifs d’incitations financières spécifiques (bourses Smart, Small Business Research Innovation…). Parallèlement, le gouvernement a officiellement lancé en 2011 le programme « Catapult » qui a pour objectif de rapprocher sur un même site des laboratoires et des entreprises. Dix centres, inspirés des instituts Fraunhofer allemands et des instituts Carnot français, ont ainsi été créés dont sept sont aujourd’hui opérationnels. Chaque centre est articulé autour d’une thématique spécifique (satellites, technologies numériques, médecine…). Ces centres de technologie et d’innovation bénéficient de fonds publics et privés répartis selon une règle tripartite : 1/3 projets R&D collaboratifs, 1/3 subvention de base et 1/3 contrats R&D. Ils sont implantés sur l’ensemble du territoire autour de bassins de développement des connaissances préexistants. Le gouvernement s’appuie d’ailleurs sur ces centres pour redynamiser les territoires éloignés de la zone d’influence londonienne. L’impact de la réforme des universités La réforme universitaire visait à diminuer la dépendance des universités vis-à-vis des subsides publics et à les pousser à trouver des sources de financements propres. Elle a fortement influé sur les conditions d’inscription des étudiants, les contraignant de plus en plus à assumer financièrement leur scolarité. La réforme a bouleversé la philosophie de l’enseignement, de la recherche et de leurs financements mais a également contraint les universités à réfléchir à leur intégration territoriale et à l’impact social de leur recherche et leurs enseignements. Par ailleurs, elle a accru la concurrence féroce entre les universités pour obtenir les dotations publiques et privées et pour attirer les meilleurs étudiants. Les établissements cherchent des éléments permettant de les différencier et de les mettre en valeur. C’est le cas de l’université de Manchester qui revendique la création et le suivi d’indicateurs de responsabilité sociale. La concurrence entre universités pèse sur les épaules des chercheurs qui doivent prouver sans cesse, par le biais de leurs publications, qu’ils participent activement à la renommée et à la visibilité de l’université. Sous contrats de droit privé –il n’existe pas de fonction publique de la recherche– ils sont fortement incités à publier au détriment, souvent, des questions de propriété intellectuelle. Cette réforme a également contraint les universités, qui sont en forte concurrence pour attirer les talents, à réfléchir à la qualité de leur enseignement et de l’accueil des étudiants. Devenus des clients, les étudiants sont au centre de toutes les attentions. Les meilleurs doctorants, quant à eux, peuvent 8 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni se voir proposer des conditions salariales attractives. Néanmoins, cette volonté d’attraction des talents, principalement étrangers, se heurte à la problématique de la gestion des flux migratoires et de délivrance des visas. Au-delà de cet enjeu économique, se pose la question de la qualité de l’enseignement et de la capacité des universités à former la jeune génération aux sciences. C’est un point majeur pour les britanniques qui sont confrontés à un déficit de jeunes dans les cursus scientifiques. Ce déficit a un impact non négligeable sur la recherche – les laboratoires devant recourir à des chercheurs étrangers – et les entreprises. Il existe un décalage perceptible entre les ambitions de leadership du pays dans certains domaines de pointe (numérique…) et une insuffisance en ressources humaines qualifiées. Ce déficit est, en partie, lié à une approche culturelle qui favorise le secteur des humanités. L’élite britannique poursuit majoritairement des études en sciences humaines et ces cursus permettent d’accéder à des responsabilités importantes dans le secteur économique aussi bien qu’institutionnel, diplomatique ou militaire. Pour faire face à ce défi, les universités cherchent notamment à décloisonner les formations et à favoriser la transversalité des cursus. L’université de Manchester pousse ainsi ses étudiants à suivre des cours dans des domaines qui ne sont pas au cœur de leur formation. Un système d’excellence malgré tout Malgré la baisse des dépenses publiques, l’écosystème de recherche du Royaume-Uni peut être qualifié d’excellent puisque : (a) deux de ces universités (Cambridge et Oxford) font partie des 10 meilleures universités dans le classement de Shanghai (la première université française est classée 36ème), (b) 62 Prix Nobel ont été décernés à des scientifiques britanniques depuis 1945 (21 à des personnalités françaises), (c) 5,6% des publications scientifiques mondiales sont britanniques, contre 3,9% pour la France, avec un impact de citation élevé, (d) concernant le 7ème PCRD : (i) le Royaume-Uni a été le deuxième plus gros bénéficiaire de crédits (la France était 3ème) avec un taux de retour de 124% contre 68% pour la France, (ii) il était le premier pays d’accueil pour les bourses du Conseil européen de la recherche, (iii) les 4 meilleures universités sont anglaises, (e) il dispose d’institutions influentes dans la diffusion de la culture scientifique, comme les Académies nationales et les Sociétés savantes, la Royal Institution et le Science Media Centre. Annexe 1. Organigramme du système britannique public et privé de financement de la recherche et de l’Enseignement (données de l’année 2012)3. 3. Source : National Statistic bulletin-UK Gross Domestic Expenditure on Research and Development, 2012 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 9 2. Les grands axes de la coopération franco-britannique Claude AUDOUY Alexis COLLOMB Cyril CUVILLIER Eva-Maria GRONIGER-VOSS Françoise PAILLOUS Introduction Nous livrons ici quelques réflexions de voyage sur les grands axes de la coopération francobritannique, à la fois telle qu’elle nous a été parfois mentionnée mais aussi, et peut-être surtout, telle que nous la comprenons et la percevons. En effet, il faut avouer que, de manière générale, les aspects de la coopération franco-britannique ont été peu évoqués par nos interlocuteurs sauf peut-être à l’Ambassade de France. Cet état de fait paraît normal puisque la plupart des interventions écoutées, hors ambassade de France, avaient peu de raisons de se focaliser sur toute forme de coopération étatique en général, et franco-britannique en particulier. Inversement, il était normal que ce sujet soit bien davantage traité par les officiels de l’ambassade de France dont l’un des cœurs de métiers est précisément d’analyser et de nourrir les coopérations existantes ou potentielles entre les deux pays. Après un rapide rappel du contexte historique, nous passons en revue l’état du partenariat entre les deux Etats en se focalisant notamment sur leurs politiques de défense. Puis nous évoquons les partenariats d’entreprises, le système universitaire, la recherche, et les similarités et différences culturelles entre les deux pays avant de conclure. Contexte historique On décrit souvent l’Angleterre comme un « ennemi héréditaire » de la France. Si l’on veut comprendre les relations franco-britanniques et apprécier les britanniques, il semble important de dépasser la simple caricature d’un certain cynisme, de leur fierté insulaire et du French bashing de leurs tabloïds et de bien garder à l’esprit leur présence lorsque certaines valeurs communes sont menacées. Il convient alors de remarquer, par exemple, que David Cameron a été l’un des premiers à réagir aux attentats du 13 novembre et à se rendre au Bataclan. En effet, les deux Etats sont très proches en raison de leur puissance nucléaire, leurs valeurs et leurs économies comparables. Cette proximité crée des solidarités et une entente plus que cordiale sur quelques sujets clés comme l’adoption récente par le Royaume-Uni d’un Livre Blanc de la Défense comportant comme premier partenaire la France. Partenariat entre les deux Etats La France et la Grande-Bretagne sont deux anciennes puissances coloniales. Elles ont toutes les deux des façades maritimes importantes, des populations et un niveau de vie comparables. Il en découle probablement une lecture du Monde et une approche stratégique proches. Les coopérations militaires sur le continent africain ou dans la lutte contre le terrorisme constituent une illustration actuelle de cette proximité. Lors de notre voyage d’études, les relations bilatérales au niveau des Etats ont été essentiellement abordées lors de notre visite à l’Ambassade de France. Lors de notre visite de la Chambre des Communes et de la Chambre des Lords, nous nous sommes essentiellement focalisés sur la politique scientifique et les rôles respectifs des commissions parlementaires scientifiques de chaque chambre. L’illustration la plus évidente du partenariat entre nos deux Etats fut les évocations faites, tant à Westminster qu’à l’Ambassade de France, d’initiatives communes dans le domaine de la défense ou dans le secteur de l’énergie (avec des participations significatives de grandes sociétés françaises, telles qu’EDF ou Engie, à la production de l’énergie du Royaume-Uni). Que la France et le Royaume-Uni collaborent dans ces deux domaines clés, et névralgiques pour la survie et le bon fonctionnement d’un Etat, montre combien ces deux pays sont prêts à s’accorder sur l’essentiel. 10 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni La coopération Franco-Britannique pour la Défense La relation entre le Royaume-Uni et la France sur les aspects de défense est parfois décrite comme se faisant au détriment d’autres alliances de ces deux pays1. Ainsi certains auteurs mettent en opposition les tensions qui peuvent exister entre la proximité que le Royaume-Uni entend avoir d’une part avec Washington et d’autre part avec l’Union Européenne, et en particulier son bloc continental. Mais cette polarisation classique entre d’une part la Special Relationship que le Royaume-Uni entretiendrait avec les Etats-Unis2, et d’autre part son statut de membre à part entière de l’Union Européenne3 oublie la complémentarité de ces deux postures pour le RoyaumeUni : en effet, la force de l’influence de la Grande-Bretagne à Washington dépend pour bonne partie du rôle prépondérant que le Royaume-Uni peut jouer au sein de l’Union Européenne, et en particulier dans le domaine de la défense. La France s’est engagée quant à elle, dans une alliance avec l’Allemagne pour façonner l’Europe continentale mais a également renforcé sa présence au sein de l’Otan, et s’est ce faisant également rapprochée de son allié transatlantique. Mais si l’Union européenne a su développer une autonomie de marché au sein de ses vingt-huit pays membres, elle n’a pas encore réussi à structurer sa politique de défense. Ainsi, l’Agence européenne de Défense semble encore plutôt lutter pour son existence que vraiment assurer un rôle efficace dans le développement d’une force militaire européenne commune. Il paraît donc tout à fait naturel dans ce contexte où l’avenir européen semble encore incertain, en particulier en matière de défense, que le Royaume-Uni comme la France n’ignorent pas leurs partenariats historiques et s’appuient encore sur la superpuissance américaine et l’OTAN4. Et même si l’agenda plus “pro-européen” de la France, les attitudes pragmatiques de bon aloi face aux enjeux économiques (par exemple l’attractivité des composants off-the-shelf américains ne peut être ignorée) et une réelle concurrence à l’export entre les industries d’armements respectives des deux nations, contribuent à freiner l’épanouissement d’une forte coopération bilatérale, il n‘en reste pas moins que les appareils militaro-industriels des deux pays restent stratégiques pour l’Europe. Les ambitions stratégiques et les moyens alloués par les deux pays, qui représentent les deux plus importants budgets de défense européens, sont comparables et les font peser sur la scène internationale, sans parler de leurs positions privilégiées comme membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Sur la base de projets concrets, cette coopération s’articule autour de 4 axes : l’interopérabilité opérationnelle mais aussi technique ; la stratégie diplomatique ; la préservation de la souveraineté (avec ici une notion d’indépendance technologique) ; le soutien à l’industrie et enfin, la maîtrise des coûts d’équipement par un partage des coûts fixes et une réduction des coûts récurrents. Partenariats d’entreprises Lorsque l’on observe sous l’angle de la réalité commerciale ce qui pourrait se traduire par un partenariat d’initiative entre nos deux pays, là-aussi peu de projets sont évoqués : projets militaires avec la construction de drones, projets de nucléaire civil avec le programme de « re-nucléarisation » du Royaume-Unis par EDF. Si l’on nous indique à l’Ambassade que le Royaume-Uni constitue le premier excédent bilatéral français, avec des entreprises françaises présentes sur le sol anglais - l’électrique avec EDF, l’eau avec Véolia, Thalès pour les lignes de métro, ainsi que les bus de la RATP - il est cependant difficile d’évaluer si ces participations sont «anecdotiques» ou non. En tout cas, elles sont pour certaines dictées par une perte des compétences assumée par la Grande-Bretagne dans le domaine considéré (le nucléaire en particulier). 1. http://www.diploweb.com/TheUK-France-defence-relationship. html 2. Cette « Special Relationship » censée décrire les liens étroits entre les Etats-Unis et le RoyaumeUni fut évoquée la première fois par Winston Churchill dans un de ses discours en 1946. Un ancien ambassadeur de France aux EtatsUnis fit remarquer avec humour dans un discours donné au lycée français de Londres voici quelques années qu’il n’avait jamais entendu parler à Washington de cette « Special Relationship » si souvent mise en avant par les cercles diplomatiques anglais ! 3 Jusqu’à ce jour du moins, où le Brexit s’il reste possible n’est pas encore devenu une réalité. 4 Il est intéressant de remarquer que la sortie de la France des commandements intégrés de l’OTAN voulue par de Gaulle en 1966 fut critiquée par François Mitterrand en 1991comme par La Grande-Bretagne constitue un point d’entrée pour des entreprises internationales qui souhaitent Nicolas Sarkozy en 2007, et se se développer en Europe, y compris en France. Notons en particulier la localisation centrale de termina par une réintégration en Londres et son positionnement en porte d’entrée vers la France et l’Europe, tout en étant un 2009. Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 11 tremplin vers l’international pour les entreprises françaises qui souhaitent prendre leur essor. En matière de développement industriel, il convient de rappeler certaines initiatives passées qui furent un vrai succès comme le Concorde, et certaines formes de coopération dans le domaine spatial. Espérons que cela soit encore le cas. Mais il ne s’agit peut-être là que de notre difficulté à observer correctement une coopération économique et commerciale franco-britannique à cette trop petite échelle. L’université et les échanges étudiants Dans le domaine de l’éducation, l’université de Manchester ne rougit pas le moins du monde lorsqu’elle explique que les étudiants constituent sa clientèle, que l’université se place en prestataire de service et que dans cette logique, il est naturel d’identifier les principales clés de performance et de solliciter les étudiants pour évaluer le service livré. On se souviendra qu’en France, il n’est pas envisageable d’évaluer un enseignant-chercheur, et par extension, il est très difficile d’envisager l’évaluation d’un enseignement. La recherche de financements donne la priorité à certains étudiants internationaux avec un découpage en zones géographiques qui n’est pas très éloigné d’une étude de marché. Une question se pose cependant sur la fragilité de ce modèle avec, d’une part, une possible diminution de ces entrées au regard de la politique d’immigration et, d’autre part, la politique d’avance des frais de scolarité pour certains étudiants britanniques qui les remboursent lorsqu’ils trouvent un emploi avec un certain niveau de rémunération. Les présentations à l’université ne nous ont pas permis d’identifier des modes de collaborations entre nos deux pays alors que ces collaborations existent et une petite visite sur le site http://www. ambafrance-uk.org/ le montre assez bien, tant sur le domaine de l’échange des chercheurs et de la collaboration de recherche, que sur les grands programmes bilatéraux (et plus) comme ITER, dont le Royaume-Unis fait partie. Enfin, en termes d’accueil, les étudiants français sont en 8ème position pour les pays de l’Union européenne (et en 18ème position à l’échelle mondiale) à l’université de Manchester. La France semble plutôt occuper la 9e place selon un classement international établi par The Guardian fin 2014, derrière l’Allemagne et l’Irlande5. La recherche et l’innovation A les écouter, les britanniques mènent leurs projets tambours battants. La stratégie est claire et affichée. Ils s’enthousiasment d’emblée des succès escomptés et se réconfortent tout aussi vite des échecs dont le retour d’expérience valait la peine. La mise en œuvre d’indicateurs de performance est légitime. Ces indicateurs sont en phase avec les objectifs poursuivis, ils sont donc assumés et offrent de surcroît une lisibilité collective de l’avancement du projet. Faut-il croquer ici la manière trop commune avec laquelle de nombreuses réformes sont menées en France ? Et se priver de l’optimisme élégant avec lequel les britanniques entretiennent leur enthousiasme ? Il faut dire qu’en France, l’administration porte trop souvent seule la clé de la boite à idées, ne prête que bien peu la plume qui fixe la stratégie, endosse trop volontiers l’organisation et se place ainsi, au bout du compte, au centre de la critique que les plus passifs et les plus narquois ne manquent pas de formuler. Alors comment initier et nourrir une coopération ? Précisément en s’appuyant sur des acteurs qui savent se départir de toute forme de lenteur administrative, de toute prudence tracassière et qui sont en mesure d’inscrire leur action dans la réalité économique du temps. Or voilà que sur ce point, le partenariat des institutions françaises et britanniques articule deux cultures réciproquement exotiques. Ces britanniques nous semblent traiter des domaines régaliens à la manière 5. http://www.theguardian.com/ d’une entreprise commerciale et il y a fort à parier que les français que nous sommes doivent leur education/2014/oct/13/-sp- sembler aborder des politiques publiques avec la lenteur d’une lourde administration. international-students-in-the-ukwho-are-they Un exemple à observer est la stratégie de recherche et d’innovation et la capacité britannique à fixer et superviser un nombre limité de priorités, lorsque notre directeur général de la recherche et de 12 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni l’innovation expliquait lors d’une session passée de l’IHEST la difficulté qui avait été celle du ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à réduire le nombre des domaines prioritaires de recherche et à imaginer les indicateurs pertinents permettant de veiller à maintenir les priorités dégagées. Autrement dit, nos voisins britanniques aiment décider et nous rappellent qu’à bien des égards, décider, c’est renoncer. Dès lors, comment installer des partenariats de recherche sur les domaines retenus, si l’on y rassemble moyens humains et matériels d’un seul côté de la Manche ? Les Charities comme axe transverse entre l’éducation, recherche et innovation ? Un troisième temps de notre voyage d’étude a complété cet étonnement, il s’agit de la visite du Wellcome Trust. Cette entité indépendante se félicite de consacrer ses ressources économiques à des projets de très long terme et n’hésite pas à compter dans son portefeuille d’actions des programmes qui visent à corriger les carences du système éducatif offert par l’État. Une totale autonomie financière, une totale autonomie politique, apte à identifier les lacunes du système d’éducation public et à en accompagner la transformation ?! A quand une coopération franco-britannique selon un tel principe ? Cultures et différences culturelles Si l’Institut français a été fondé à Londres en 1910, nous n’avons malheureusement pas eu de temps lors de ce voyage pour aborder ces aspects autrement que par les évidents clichés. Si la référence au French bashing n’a pas manqué et si le second degré de la petite allusion à la « victoire » française contre l’Italie lors du premier match des 6 nations 2016 n’aura échappé à personne, il y a aussi une vraie fascination pour la culture française, ses hommes politiques, son doux climat (pour la partie Sud du moins), son art de vivre jugé souvent exceptionnel, et même parfois ses mœurs. On peut relever en guise d’anecdote que le Science & Technology Select Committee composé de peu de scientifiques et avec à sa direction une musicologue (diplômée d’Oxford et de Cambridge tout de même…), est tout-à-fait apte à juger et à se prononcer sur des questions scientifiques pour le Parlement. Et a contrario, la mise en exergue par l’attaché de la Défense à l’Ambassade de ce que nous résumerons ici par le manque de lisibilité à bien des niveaux (organisation/financement/ diplômes/titres...) entre nos deux « mondes ». Conclusion Il est intéressant pour comprendre la politique du Royaume-Uni, et son appétence parfois limitée pour les programmes de coopération avec l’étranger, de se rappeler la politique de splendid isolation prônée par Benjamin Disraeli alors qu’il était premier ministre en 18666 : “It is the duty of the Government of this country, placed as it is with regard to geographical position, to keep itself upon terms of goodwill with all surrounding nations, but not to entangle itself with any single or monopolising alliance with any one of them; above all to endeavour not to interfere needlessly and vexatiously with the internal affairs of any foreign country.” Cent cinquante ans ont passé mais cet énoncé semble toujours d’actualité pour certains d’entre nous qui ont l’impression que le Royaume-Uni à l’heure d’un potentiel Brexit historique est assez loin du concept de la coopération active avec le reste de ses partenaires européens, France comprise. Et en effet son comportement et sa politique dans le cadre de l’Union européenne laissent quelques doutes. Mais la politique de l’isolement peut-elle encore se justifier dans le monde globalisé que nous connaissons ? L’avenir le dira mais certains d’entre nous sont d’ores et déjà convaincus par la nécessité pour la France et le Royaume-Uni de nourrir de nouveaux liens au sein d’une Europe plus cohérente. Et l’existence de partenariats bilatéraux forts entre les pays les plus importants de l’Union européenne comme l’Allemagne, la France ou encore le Royaume-Uni, n’est pas du tout antithétique d’une politique européenne active et efficace. 6. Le terme de « splendid isolation » n’a jamais été utilisé par Disraeli lui-même mais par un homme politique canadien, George Eulas Foster, pour faire l’éloge de la position britannique défendue par Disraeli et Le prochain sommet franco-britannique aura lieu le 3 juin à Amiens. Les sujets qui seront évoqués consistant à se tenir à l’écart des affaires européennes. porteront sur la lutte contre le terrorisme, le nucléaire et la défense. La science et l’innovation seront aussi abordées. Gageons que nos relations s’en trouveront renforcées ! Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 13 3. Communautés politiques, communautés scientifiques : quelles interfaces, quels enjeux ? Introduction Philippe BERTIN Marie-Hélène BEAUVAIS Solène BELLANGER Marie-Odile OTT Jean-Louis NOYER La question de l’interaction entre communautés politiques et scientifiques est celle de la conception, de la mise en œuvre, voire de l’évaluation de politiques publiques : d’une part celles qui portent sur l’organisation, le financement, les résultats du domaine / secteur de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation : et d’autre part celles qui, portant sur d’autres domaines / secteurs, ont besoin d’un éclairage académique ou expert sur l’énergie, la santé, l’agriculture, l’économie, etc. : jusqu’où et comment elles sont informées par la connaissance produite et mise à disposition des décideurs. Sur ces questions, les similitudes et les oppositions entre Royaume-Uni et France nous sont apparues structurelles et structurantes : • Si les modèles britannique et français semblent converger théoriquement, par exemple avec de lents mouvements de décentralisation et la dualisation du financement de la recherche, les pratiques restent résolument différentes ; • Si le Royaume-Uni séduit par son pragmatisme affiché, l’absence revendiquée de pesanteurs idéologiques, une capacité de mouvement et d’élan dont on dit qu’ils manquent actuellement en France, on peut constater cependant que son modèle repose de fait sur des valeurs non explicitées, mais discutables, et craindre qu’il ne porte en germe des risques économiques, sociaux, voire intellectuels. Une confrontation paradoxale de modèles entre certaines convergences dans l’organisation et des pratiques résolument différentes La France est un pays réputé très centralisé, dominé sur les plans économique et académique par Paris et l’Île-de-France. Cependant, au Royaume-Uni, le pouvoir politique paraît plus centralisé encore autour du Parlement (dont le gouvernement découle directement et devant lequel il est responsable), pas vraiment équilibré par une « dévolution » territoriale à peine émergente ; et le Grand Londres paraît comme une capitale économique et intellectuelle encore plus écrasante, dans un pays autrefois riche de ses vieilles industries, mais aujourd’hui blessé économiquement et socialement. La dévolution au Grand Manchester est jusqu’ici plus une déconcentration impulsée par le pouvoir central qu’une décentralisation demandée et assumée par les populations locales ; l’élection prochaine d’un maire est même une demande du pouvoir central. Les objectifs de cette dévolution, ainsi que la création du Northern PowerHouse, sont eux-mêmes ambigus, pouvant être relatifs autant à des questions strictement politiques (affaiblir un vote local majoritairement travailliste, anticiper une éventuelle indépendance de l’Ecosse en cas de Brexit ?) ou budgétaires (déléguer l’exercice de fonctions coûteuses, comme la politique de santé…. avec le problème de leur financement ?), qu’à un souci de développement territorial. Quant aux comtés, jamais cités, ils semblent n’avoir aucune existence politique ou budgétaire. Le Grand Londres est une des quelques « villes-monde » comme New-York ou Shanghai. Il accueille tous les organes législatifs et exécutifs du pays, les centres de recherche et d’enseignement supérieur les plus prestigieux (Oxford, Cambridge et les universités londoniennes), le cœur économique de l’Angleterre, la City. A titre indicatif, son Produit intérieur brut est de plus de 300 G£, plus de 10 fois supérieur à celui de toute autre région du pays et 14 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni supérieur au total du reste du pays. Cependant, cette centralisation géographique et politique est pondérée par la multiplicité et l’importance des acteurs non gouvernementaux : des Councils de programmation et de financement pilotant la majorité des crédits publics, des Councils d’éthique réellement indépendants du gouvernement, des fondations privées dont certaines sont assez puissantes pour peser lourdement sur certaines politiques sectorielles, un recours régulier à des consultations publiques. En plus du BIS (Department for Business, Innovation & Skills), qui correspond schématiquement à notreministèredel’EnseignementSupérieuretdelaRecherche,chacundesdépartementsministériels est doté d’un conseiller scientifique. Des organes consultatifs conseillent le gouvernement et le Parlement (respectivement le Council for Science and Technology et le Parliamentary Office of Science and Technology, proche de l’OPECST français). Les Research Councils (agences de programmation et de financement) sont plus nombreux et plus sectorialisés qu’en France, où le rôle de l’ANR est prédominant. Des budgets publics sont aussi attribués aux académies nationales (Royal Society, British Academy, Royal Academy of Engineering). Il existe quatre instances autonomes pour l’enseignement supérieur, les Higher Education Funding Councils. Différents comités d’éthique spécialisés sont en partie complémentaires et concurrents, leurs membres se cooptent entre eux hors contrôle gouvernemental, comme au Nuffield Bioethics Council. Enfin, le poids de certains acteurs privés et indépendants de toute légitimité politique est important : le Wellcome Trust, fondation privée originellement liée à un grand groupe pharmaceutique, même si elle est maintenant supposée en être complètement indépendante, programme et finance directement près de 20% des actions de recherche biologique et médicale, ou développe en toute autonomie des partenariats internationaux significatifs pour les pays qui en bénéficient… ou pas. En France, ce mouvement a déjà touché le monde de la culture avec les fondations de B. Arnaud ou de F. Pinault, mais reste secondaire dans le secteur de la recherche, et alors plutôt basé sur l’appel au public que sur des fortunes privées. Notre visite ne nous a pas permis de rencontrer de thinktank ou d’associations de « plaidoyer » comme Greenpeace ou la Fondation Nicolas Hulot, nous supposons qu’il en existe. D’ailleurs, les élites britanniques, formées et sélectionnées aux « humanités » dans une société qui reste socialement très segmentée, sont plus loin encore des questions scientifiques que les élites françaises, issues en partie de grandes écoles scientifiques et techniques. Plus généralement, l’intérêt du public et le niveau scientifique moyen des lycéens et étudiants sont réputés médiocres, assez pour justifier des efforts tardifs de développement des relations entre les chercheurs et la société, et de renforcement des formations scientifiques initiales. Malgré ces faiblesses, l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation sont - comme presque partout maintenant - des éléments clés d’un marketing territorial volontariste au service de la renaissance des vieux territoires industriels… et des pouvoirs politiques locaux. Manchester fait de la taille de son université (38 000 étudiants, la plus importante du Royaume-Uni) ou de l’excellence de sa recherche (ses prix Nobel, dont celui obtenu pour la découverte récente du graphène) un argument important de sa nouvelle attractivité – au prix parfois de quelques excès ou imprécisions sur les durées de séjour de certains prix Nobel ou le nombre exact d’étudiants de 3ème cycle. L’université a aussi une mission explicite d’ouverture sur le territoire, dont l’activité et l’impact sont mesurés. Cependant, les dispositifs réellement implantés et les financements réellement disponibles au niveau local sont rares, les politiques publiques réellement dévolues aussi (santé). Les atouts et résultats, même s’ils sont bien valorisés, restent modestes, de second rang par rapport à ceux des établissements du Grand Londres - hors le simple effet d’optique du regroupement sous une même bannière d’établissements autrefois indépendants. Force est d’ailleurs de constater que le transfert des innovations au profit du redémarrage de l’industrie locale se fait mal, malgré le passé industriel de la région, et que le prix du logement et le coût de la vie très inférieurs à ceux de Londres restent des facteurs décisifs de l’attractivité du Grand Manchester pour les Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 15 entreprises et leurs salariés. Science et innovation sont déjà les composantes d’un marketing territorial, pas encore nettement celles de politiques publiques territoriales décisives. Mais surtout, au pays du libéralisme politique et économique, au centre de l’ancien empire britannique, le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche est, comme les autres et bien plus qu’en France malgré certaines convergences, férocement compétitif et résolument ouvert à la mondialisation. Les universités sont dépendantes financièrement de leur attractivité vis-à-vis des étudiants, directement par les frais d’inscription et indirectement par les règles d’affectation de leur subvention de fonctionnement. Depuis peu, les étudiants britanniques paient eux-mêmes des frais d’inscription élevés (9000 £/an), même s’ils bénéficient de prêts personnels remboursables à des conditions adaptées. Mais la part budgétaire du fonctionnement doit diminuer d’ici 2020. Les universités s’inscrivent donc résolument dans la compétition internationale de l’enseignement supérieur : à Manchester, plus de 25% des étudiants sont étrangers, 10% sont chinois, leurs frais d’inscription sont presque le double de ceux des étudiants britanniques (et leur scolarité très rentable pour l’université) ; les revenus correspondant à leur inscription ont plus que triplé en 10 ans. Le développement de ce marché et les actions en direction de ces prospects sont planifiés de manière volontariste comme une stratégie d’entreprise, des forces commerciales sont positionnées sur le terrain, elles sont payées par intéressement à leurs recrutements. Sur la recherche, le discours public est focalisé sur une logique étroitement économique : modération des crédits publics (1,70% du PIB contre 2,25% en France), sélectivité revendiquée (les évaluations peuvent déboucher sur des fermetures de laboratoires ou de départements de recherche, sans égard pour les personnels précaires ni pour la continuité des travaux), rendement élevé (1% de la population mondiale, 3% de l’investissement en recherche, 16% des articles les plus cités). Un élan britannique séduisant, mais basé sur des valeurs implicites contestables et porteur à nos yeux de risques importants Précisément, ce libéralisme et cette compétition, sous couvert d’« adhocratie », sans l’afficher ni le mettre en débat, sont autant idéologiques que pragmatiques : permettant incontestablement d’afficher certains résultats convaincants sur le court terme, ils incitent aussi à négliger, voire à provoquer ou amplifier, la dégradation de certaines composantes sociales. En outre, même en se plaçant d’un point de vue strictement pragmatique, le modèle de financement de l’enseignement supérieur et de la recherche britannique, s’il profite vigoureusement d’un moment intermédiaire de la mondialisation, n’est pas forcément soutenable à long terme. « Il n’y a qu’une seule Chine » : à court terme, le vivier des étudiants étrangers susceptibles d’acheter une scolarité occidentale dans une université anglaise n’est pas illimité, il ne peut pas continuer à croître indéfiniment. Mais pire : à long terme, après être devenue en quelques années l’« atelier du monde », la Chine ne risque-t-elle pas de devenir à son tour l’« université du monde », au moins d’une partie du monde, attractive à son tour parce que devenue économiquement et culturellement centrale… et restée moins coûteuse ? Quant au financement, par les étudiants eux-mêmes, de leurs frais de scolarité, il allège dans un premier temps le budget de l’Etat, donc la dette publique ou les impôts. Mais l’encours des prêts étudiants peut se révéler, pour les pouvoirs publics, une créance douteuse : le remboursement sous conditions de ressources est certes une mesure à caractère social, mais rend ce remboursement tributaire de la santé économique et sociale future du pays. En cas de période de crise prolongée, cet encours risque de se transformer en bulle, et de grever à terme les finances publiques. Plus généralement, le succès actuel du modèle massivement ouvert et compétitif proposé par le Royaume-Uni manifeste certes son attractivité internationale, mais repose aussi sur une dépendance peut-être excessive à l’égard des compétences et des financements étrangers. 16 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni Les crédits publics de recherche sont limités (1,70% du PIB contre 2,25% en France) ; les investissements nationaux privés en recherche & développement sont eux aussi modestes. De plus, les investissements étrangers, par définition plus volatiles, représentent près de 25% des investissements en recherche au Royaume-Uni, contre moins de 10% en France et 5% aux EtatsUnis ; la visite d’un premier ministre chinois à Manchester et sa mise en valeur médiatique sont symptomatiques de cette stratégie d’ouverture internationale. Les ingénieurs et techniciens sont formés en nombre insuffisant. Le transfert de la recherche à l’industrie, par les brevets, se fait mal. Le développement industriel est focalisé sur un nombre réduit de secteurs (pharmacie, aérospatial), d’autres sont largement abandonnés (électronique, chimie, équipements, agro-alimentaire). Les dispositifs et financement favorisant l’innovation dans et avec les PME sont insuffisants. Rien qui puisse favoriser un renouveau de l’industrie anglaise… En revanche, la City est une place de niveau mondial pour les services financiers. Mais elle ne peut fonctionner qu’avec des « quants » (spécialistes de mathématiques financières), statisticiens et informaticiens, massivement étrangers et formés à l’étrangers : chinois formés aux Etats-Unis , centraliens et polytechniciens français. Une communauté politique peut-elle être assurée de maîtriser son destin dans un monde résolument industrialo-technico-scientifique, certes en s’ouvrant largement à la communauté académique et financière internationale, mais sans se soucier de maintenir et de développer la force et la contribution d’une communauté technique « de proximité » ? A l’époque du Commonwealth triomphant, le Royaume-Uni avait fondé son développement industriel sur une dépendance assumée à l’égard des importations agricoles ; à l’époque de l’électronique, de l’informatique et des biotechnologies, pourra-t-il fonder le développement d’une pure économie de services, voire de services seulement financiers, sur une dépendance assumée à l’égard d’une maîtrise scientifique et technique abandonnée à d’autres ? Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 17 4. Greater Manchester : entre désindustrialisation et décentralisation, la réponse d’un territoire et de ses acteurs Introduction Denis ENTEMEYER Gérald DUMAS Cédric DENIS-REMIS Manchester et l’environnement dans lequel la ville évolue semblent s’inscrire dans un état d’esprit à la fois communautaire et cosmopolite fait d’histoire, de lien social, d’épreuves, et d’ingéniosité collective. Ce territoire nous enthousiasme comme si, loin de se jouer dans un cadre figé, dans une réponse technocratique, l’ancienne cité - symbole de la révolution industrielle et devenue selon le cas, Marie-Pauline GACOIN l’archétype du foot business ou le lieu mythique de l’underground - se réinventait un avenir technologique glorieux à la force de ses convictions sociales et du talent de ses concitoyens. Alain MARCUZZI L’ambition et la soif de trouver sa juste place dans le jeu économique de la Grande-Bretagne, et plus particulièrement de l’Angleterre transparaissent dans les présentations. A la fois, elles semblent empreintes du libéralisme, du « libre échange » hérités du XIXe et aller de pair avec la préoccupation du vivre ensemble, du volontariat et d’un coût de la vie permettant à chacun de trouver sa place. Ceci est particulièrement vrai dans les buts donnés à l’université de Manchester : l’innovation, le leadership, et la responsabilité sociale. En creux, Manchester paraît cependant avoir endossé des vêtements encore un peu grands pour elle : autonome pour sa politique de santé, sorte de capitale du Nord d’une région qui tente d’opposer, la tête haute, une résistance forcenée à l’aimant londonien, elle semble peiner à trouver un leadership politique local qui rassure et rassemble. Histoire : le passé industriel et la désindustrialisation de Manchester A 260 km au nord-ouest de Londres, Manchester est la deuxième ville d’Angleterre. Sans accès direct à la mer, elle développe néanmoins au cours du XVIIIe siècle un réseau de canaux qui permettront l’essor de l’industrie du coton, d’une part en reliant à bas coût la ville aux mines de charbons, d’autre part en favorisant les échanges et le commerce lorsque les nouvelle machines à vapeur de James Watt permettront de bâtir des usines de coton à l’écart des moulins à eau. Souvent décrite comme la ville manufacturière par excellence dont le démarrage correspond au moment où la filature du coton devint économiquement praticable, elle a fait converger un nombre toujours grandissant de fournisseurs, de sous-traitants et de fabricants dans la ville même et dans ses alentours. Cette surenchère d’activité commerciale attira les banques, les assurances qui ont ensuite favorisé l’essor de la construction de chemins de fer et d’autres services publics. On trouve dans la littérature1 cinq principaux facteurs dont l’accumulation a stimulé la croissance de Manchester au XVIIIème et au début du XIXème siècle : • la proximité d’un port international : Liverpool ; • le développement précoce d’une production textile (toiles et futaines), ainsi que de la fabrication de machines ; 1. Le district industriel de Manchester de 1750 à 1939 : grappes d’entreprises, réseaux et réalisations. John Wilson et John Singleton, © Presses universitaires François-Rabelais, 2002 18 • la construction d’une infrastructure de transports développée (routes, canaux et, en 1830, le premier chemin de fer du monde ouvert au trafic commercial) ; • les disponibilités en main d’œuvre qualifiée et non qualifiée ; • la croissance rapide d’un grand gisement charbonnier ; et, par-dessus tout, la compétence professionnelle et les ressources d’une communauté commerçante locale, incluant notamment la finance, les connaissances et les relations sociales. Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni Il est assez intéressant de constater qu’en 2016, au moins trois de ces critères restent déterminants dans la construction du projet économique et social de la ville : l’infrastructure avec un effort particulier mis sur les transports en périphérie de Manchester, la place prépondérante des compétences et d’une catégorie socio-professionnelle qui associe l’investissement et les connaissances, et la relation science et société pour faire du Greater Manchester un nouveau district industriel majeur. On perçoit la persistance d’un système socioculturel local, peut-être hérité de ce que certains ont décrit à propos de l’ère industrielle comme une sorte de « compétition coopératrice » , représentative d’un pouvoir économique et politique partagé entre tous les membres d’un réseau et dont tous bénéficient « aussi longtemps que le système demeure en état de fonctionnement ». A partir de 1890, sous le double effet de l’intensification de la compétition internationale et de la «seconde révolution industrielle», l’économie mondiale saisit de nouvelles occasions d’investir et les activités les plus anciennes commencent à péricliter. La première guerre mondiale a également un effet dévastateur sur les marchés d’exportation traditionnels de la Grande-Bretagne, ce qui affecte directement après 1918 des activités comme l’industrie cotonnière, la construction de machines et l’extraction charbonnière. Pendant soixante ans, le tissu industriel de Manchester ne cesse de vieillir sans que les acteurs industriels locaux n’envisagent de remettre en question leur cœur d‘activité et le coton comme rouage essentiel de l’économie anglaise. C’est donc à côté de l’industrie que Manchester trouve son renouveau : pour stopper cette spirale négative, la municipalité décide de mener une politique de renouvellement urbain afin d’attirer de nouveaux habitants. Elle se traduit par la reconstruction de quartiers et la reconversion de bâtiments abandonnés en bureaux ou en logements. Cependant, nous avons eu la surprise de constater la présence en centre-ville des signes encore visibles du passé industriel de Manchester en attente d’une destruction ou d’une réhabilitation future, alors qu’au même moment, il existe un fort besoin pour une urbanisation moderne et une demande accrue pour y disposer d’un habitat confortable et de services de transport, d’éducation et de santé. Cette pression semble due à une concentration, qui nous a parue excessive, des enjeux de renouveau du Greater Manchester sur de la ville et son centre (39% des nouvelles offres d’emploi dans les 10 ans), au regard de la taille du territoire (270 ha pour le centre-ville contre 11600 ha pour Manchester City et 127000 ha pour le Greater Manchester), sans pour autant qu’il y ait les efforts nécessaires pour moderniser celui-ci. La municipalité s’est appuyée également sur la culture pour opérer un changement d’image et afin d’être séduisante auprès des jeunes et des étudiants. Les autorités vont accompagner dans les années 70 et 80 le développement de la scène musicale pop/rock qui va se traduire par le développement de l’industrie musicale : espaces de concerts, magasins de disques ou labels musicaux, groupes mythiques (petit clin d’œil aux nostalgiques comme nous de Joy Division, New Order). Cependant le « Greater Manchester » va voir diminuer sa population de 10% durant les trois dernières décennies du XXème siècle, pâtissant de sa faible attractivité économique. Cette dynamique va pousser Manchester à se porter candidate à l’organisation des Jeux Olympiques en 1996 et 2000. Même si les deux candidatures furent un échec, elles ont cependant permis à la ville de «montrer le changement de dynamique à l’œuvre » et de « mobiliser de nombreux acteurs publics et privés vers un but commun, et de souder la population derrière ses institutions publiques»2. Nous avons ainsi pu observer combien étaient cohérents les discours des différents intervenants, profonde leur conviction que la voie à suivre est celle de l’éducation et de l’innovation, mais aussi combien était fort leur attachement à l’identité de Manchester, forte leur appartenance au Nord de l’Angleterre, Londres étant vue comme un Goliath auprès de qui exister, et le reste du RoyaumeUni, existant peu ou pas dans ce projet. Géographie : le Greater Manchester et la dévolution 2. http://www.senat.fr/rap/r10- Le programme du Greater Manchester est défini par ses protagonistes comme un programme 594-2/r10-594-223.html Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 19 de dévolution, forme de décentralisation, littéralement : « un transfert ou une délégation de pouvoir politique d’une entité à une autre ou d’une personne à une autre».3 Il concerne principalement à ce jour la santé et le bien-être des communautés locales du territoire mais si le territoire se dotait d’un maire élu au printemps prochain, il obtiendrait en échange un contrôle des compétences et des finances en matière de transport, de logement et de développement économique. La stratégie du Grand Manchester repose sur quatre axes : • • • • la gouvernance ; le transport et la connectivité ; les sciences (finances, numérique, génie civil et sciences de la vie sont évoqués) ; la culture (numérique et créativité). Cette stratégie repose sur le mot d’ordre « stronger together » et un argument qui à la fois, semble réaliste à des visiteurs de passage et surprenant pour un observateur lointain : « Grand Manchester : un territoire dans lequel il fait bon vivre ». Cette stratégie du regroupement semble « dévolue » (sic) aux Etats centralisés. L’Etat britannique ne dispose pas de structures administratives et politiques locales, ni même d’équivalents aux conseils régionaux en France. Si en France, les Régions sont demandeuses de pouvoir, c’est l’Etat britannique qui semble imposer la mise en place de structures administratives pour gérer le Grand Manchester, contre la culture et la volonté des administrateurs locaux, en échange de financement (5 G£). Il faut tout de même noter que la notion de Grand Manchester n’est pas neuve. Ce comté métropolitain constitué de 10 districts (Bolton, Bury, Oldham, Rochdale, Stockport, Tameside, Trafford, Wigan et les cités de Manchester et Salford) a été créé par décision du 1er avril 1974 à la suite du Local Government Act de 1972. Il est un système de référence géographique qui permet la coopération des différents districts ; le Grand Manchester semble vouloir s’affirmer avec l’apparition du Northern Powerhouse. Economie et politique : au cœur du Northern Powerhouse Le Northern Powerhouse, à l’initiative de Georges Osborne, le Chancelier de l’Echiquier chargé des Finances et du Trésor, consiste à combiner les forces de villes du Nord pour les réunir en une force collective qui pourrait commencer à rivaliser avec celle de Londres et du Sud-Est de l’Angleterre. L’espoir est de corriger le déséquilibre économique Nord-Sud, et d’attirer des investissements dans les villes du Nord. Ainsi il est moins coûteux (40%, sur le foncier et les salaires) pour les entreprises de s’installer à Manchester qu’à Londres (foncier, salaires). Alors que la capitale est perçue comme leader dans les services financiers, les économies du Nord revendiquent leurs points forts dans les secteurs de la fabrication, de la science, de la technologie. C’est ainsi que le Northern Powerhouse semble être entré dans le lexique politique local même si sa construction paraît encore assez virtuelle et méconnue des Mancuniens que nous avons pu rencontrer. Mélange de mariage de raison et de rivalités historiques, le Nord aura sans doute du mal à arborer un front cohérent et uni autour de Manchester, désignée comme locomotive du processus : pour ce faire Manchester devra se doter rapidement d’un maire élu, ce qui semble ne pas être une simple formalité. 3. https://fr.wikipedia.org/wiki/ D%C3%A9volution_du_pouvoir 20 Cette étape dans la construction d’un nouvel équilibre au sein de l’Angleterre (car il est rarement fait état des autres nations du Royaume-Uni, beaucoup plus autonomes) devrait s’avérer une sinécure d’une part à cause de la faible tradition de décentralisation politique et économique anglaise ; d’autre part en écho à une rivalité entre les villes et les territoires du Nord, dont les mots d’aujourd’hui dans la presse ne sont pas sans rappeler les arguments d’hier entre les tenants du protectionnisme agricole (les corn law) et ceux du libre-échange, bourgeoisie commerciale et industrielle au XIXème. Le Northern Powerhouse - symbole du paradoxe anglais entre course à la modernité et attachement Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni aux traditions, aux privilèges - semble être un modèle antagoniste de l’approche d’autres pays dont la France, qui possèdent une stratégie industrielle à l’échelle du pays et la traduisent sous forme de clusters technologiques au niveau local, comme par exemple le cluster formé par la ville de Stockholm avec Kista en Suède. Figure 1: Position du Greater Manchester dans l’Angleterre4 Education et recherche : le rôle prépondérant de l’université A Manchester et en Grande-Bretagne, l’université est un acteur fondamental et central de la stratégie de développement du territoire. Ce positionnement semble faire écho à la fois à la traditionnelle association entre recherche/invention et entrepreneuriat (on dit aujourd’hui qu’il s’agit d’innovation) et à la capacité de Manchester à saisir les opportunités nouvelles qui surgissent dans l’économie britannique. Ainsi l’université de Manchester vise à contribuer directement aux objectifs de construction du Greater Manchester par ses orientations majeures : • La recherche par le biais de l’excellence, mesurée dans un environnement très compétitif d’accès aux budgets et aux moyens, et de l’innovation qui se réalise par une interaction constante avec les acteurs industriels, fruit d’une culture ancienne. Il est à noter que cette compétition peut desservir Manchester, qui est encore une université de second rang, car elle repose largement sur des appels d’offre dont les fonds sont largement concentrés sur les universités Londoniennes, Oxford et Cambridge. Manchester bénéficie à la fois d’une tradition d’excellence (rappelée maintes fois en commençant par Le père de la physique atomique Ernest Rutherford) et d’atouts récents avec le prix Nobel de Physique d’Andre Geim et Konstantin Novoselov pour la découverte du graphène en 2010, possible alternative au silicium pour la nanoélectronique. • L’enseignement et le recrutement des étudiants. On note une véritable démarche marketing totalement décomplexée et assez largement orientée vers l’international: alors qu’en France, la possibilité d’une sélection assumée en master rend frileux les ministres successifs, ici les étudiants sont des clients et l’université se donne les moyens de leur fournir un « accès à l’emploi ». Malgré l’existence de dispositifs financiers pour assurer l’équité d’accès aux études supérieures, le niveau élevé des frais d’inscriptions (9000 £/an) rapproche sans doute le modèle économique de l’université de Manchester de celui des grandes écoles privées françaises. A ce titre, n’ont cependant pas été évoqués les événements de 2013 dans plusieurs universités Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 4. https://en.wikipedia.org/wiki/ Greater_Manchester 21 anglaises, étudiants et personnels déplorant la tendance fortement inégalitaire induite par une concurrence acharnée pour être plus attractive. • L’ancrage dans la cité et au-delà, avec un engagement des étudiants et de l’université à améliorer la vie sociale et à contribuer à de meilleures conditions de vie dans la ville. Une responsabilité sociale affirmée, qui participe aussi à la construction d’une image attractive dont le Grand Manchester tire bénéfice. Figure 2: Projet d’amélioration des connexions routières entre les villes du Northern Powerhouse5 Ce troisième point distingue clairement l’université anglaise. Le discours est clair, répété, cohérent entre tous les acteurs rencontrés lors de ce voyage d’étude. Des témoignages viennent à l’appui : « il faut penser à l’impact de la recherche sur la qualité de vie, le système de santé… », des exemples sont cités : programmes d’engagement e-public, essaimage d’entreprises, congrès ESOF (EuroScience Open Forum) en juillet 2016… Mais est-il réellement partagé par tous les étudiants ? En effet, le préalable à une stratégie science-société nécessite l’assimilation par l’ensemble des acteurs que « l’université doit avant tout comprendre son rôle dans la société ». Manchester (et son inscription dans le Greater Manchester) semble l’archétype d’une politique d’attractivité locale qui repose sur une double dimension : mettre en valeur les « produits de la ville» et positionner « la ville comme produit ». Nous restons vivement intéressés par cet engagement pour la société des acteurs de la science et de l’éducation, professeurs et étudiants, tel qu’il a été illustré par Dame Nancy Rothwell : « What a University is for ? For public good ». Conclusion On ne peut qu’approuver l’accent porté sur l’université en tant qu’élément stratégique de développement et l’égale importance donnée au rapport science-société ainsi qu’à la recherche et à l’innovation. Il reste cependant un mur à franchir : l’intelligentsia anglaise est issue principalement des Humanités, de l’Art et des Sciences Humaines et Sociales et focalisée sur la politique, la finance et l’économie. Les scientifiques sont des décideurs de second rang, des conseillers ou des technocrates et la connaissance un moyen et non une fin. Vouloir contrer cette tradition et miser sur les sciences mathématisées et expérimentales (mathématiques, sciences du vivant, ingénierie,…) dans les actions de « séduction » des étudiants peut avoir l’effet pervers d’augmenter la fracture entre sciences dures et sciences humaines (voire entre sciences et culture). Si la volonté est 5. http://www.skyscrapercity.com/ louable, l’articulation entre les sciences doit cependant se réfléchir à nouveau, pour que chaque showthread.php?p=122565002 citoyen puisse rendre compatible, dans son contexte, ses envies, aspirations et compétences. 22 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 5. L’évolution du système d’enseignement supérieur britannique : le cas de l’université de Manchester France, UK : même ambitions de l’Université, mais importantes différences culturelles… Telle qu’elle nous a été présentée, avec intelligence et conviction, la stratégie de l’université de Manchester pour accéder au rang mondial se résume en trois objectifs stratégiques : • • • Mener une recherche de rang mondial, Offrir une expérience d’apprentissage et de vie étudiante remarquable, Assumer pleinement sa responsabilité sociale. Serge ALPERINE Jean BOUVIERD’YVOIRE Laurent BREITBACH Luc DELATTRE Cécile DETANGDESSENDRE Cette triple ambition serait assurément partagée par bien des universités françaises. Quelle est alors la portée de cette stratégie, à défaut d’être originale ? Son affichage ne participe-t-il pas de la volonté de l’université de persuader qui veut bien l’entendre de sa capacité à attirer les meilleurs scientifiques et étudiants, et par là même de se rapprocher de ses objectifs ? Est-ce une incantation ? N’est-elle pas le simple produit de ce savoir-faire communicationnel qui entend servir la réalisation de ce qu’il dit par le seul fait de l’afficher ? Sans doute pas. Le plan stratégique de l’université, Manchester 20201, n’est pas qu’une opération de communication. C’est un exercice en soi : il décline chacun des grands objectifs en sousobjectifs au sein de « stratégies clés » dont un nombre restreint d’indicateurs de performance (Key Performance Indicators ou KPI) est censé apprécier la réalisation. Une ambition donc, mais aussi une méthode. Tout cela ne nous dépayse pas vraiment. Le discours de « management par objectifs » reste convenu. Quelle prise a donc la pensée stratégique ici à l’œuvre sur la réalité de la recherche, sur les motivations des chercheurs, y compris des plus géniaux qu’elle cherche à attirer ? L’université de Manchester n’est pas dupe : on nous rappelle que les grands scientifiques et les Nobels anglais n’étaient pas motivés par les records de popularité et les classements internationaux. Ils voulaient avant tout résoudre des problèmes fondamentaux et opérer des changements améliorant radicalement notre vie de tous les jours — en quoi nous retrouvons ici ce qu’Heinz Wismann disait lors de sa conférence d’ouverture à propos de l’institutionnalisation de la science, de l’esprit critique et de la marginalité du chercheur. De fait, l’université de Manchester nous a interrogés. Sa stratégie n’est pas seulement globale, elle vise aussi à cultiver ce qui la distingue et qui, en l’occurrence, vient de son environnement : ville pionnière de la révolution industrielle, prise voici près de quarante ans dans l’œil du cyclone thatchérien et de la financiarisation de l’économie, Manchester veut retrouver le chemin de la croissance et son université affiche pleinement sa « responsabilité sociale ». Si elle porte une grande attention à la qualité des personnes qu’elle cherche à attirer et recruter, que ce soit son personnel ou ses étudiants, c’est en se fixant des objectifs relevant autant d’une approche « sociale » (accroître la part d’étudiants venant de quartiers où il y en a peu et de groupes socioéconomiques défavorisés, cf. KPI 8) que d’une approche de marketing international (cf. infra). Vouloir être de rang mondial tout en étant ancrée localement, n’est-ce pas faire le grand écart ? Et cela ne va-t-il pas de pair avec un modèle économique plus complexe et risqué que celui des universités françaises, reposant sur la recherche de financements de sources plus diversifiées — chacune ayant ses aléas ? Mais cela ne vient-il pas du fait que l’université, qui en France est un service public, s’affiche, à Manchester et en Angleterre, comme concourant au bénéfice public2 – ce qui est bien différent ! Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 1. A télécharger sur : documents. manchester.ac.uk/display. aspx?DocID=11953 2. Manchester 2020, p. 19 23 Les études universitaires : un investissement en capital humain de plus en plus coûteux L’université anglaise s’américanise. Les premiers fees ont été mis en place au Royaume-Uni en 1998. De 1000£ par an, le coût facturé de la scolarité est passé à 3000£ en 2009 pour atteindre 9000£ en 2012. Cette augmentation drastique a accompagné une réforme profonde du financement des universités avec à la clef un désengagement massif de l’État. Dans ce système, l’étudiant (ou sa famille) est considéré comme un agent économique rationnel, qui décide d’un investissement en capital humain en début de cycle de vie, en vue d’un retour sur investissement au cours de son parcours professionnel. La théorie de Becker3 (1964) est ici appliquée, assumée et revendiquée. L’éducation est alors un service que l’étudiant vient acquérir. La logique de ce système aurait deux grandes vertus : le coût élevé des études placerait les étudiants devant une certaine obligation de travail (pour assurer le retour sur investissement). En contrepartie, l’université serait tenue à un peu plus qu’une simple obligation de moyens, une relative obligation de résultats. Ce qui l’amènerait sans doute à évaluer sa performance propre, à se remettre en cause et améliorer le service rendu. Le fonctionnement et la régulation par le marché sont bornés par une action limitée de l’État, qui d’une part propose des prêts aux étudiants et d’autre part, pose des règles pour leur remboursement. Ainsi, l’étudiant doit gagner un revenu supérieur à un certain seuil pour commencer à rembourser. Par ailleurs, des systèmes de bourses sont disponibles, selon les revenus. Pour autant, au cours de notre périple, rien de nous a été dit sur les problèmes d’impayés, qui selon The Guardian atteignaient 45% des prêts contractés en 2013. Rien non plus sur la diminution du nombre d’étudiants inscrits à l’université. Rien encore sur la portée très limitée des bourses, qui ne couvrent que très partiellement les coûts de formation. Enfin, la chargée de communication de l’université s’est bien gardée de répondre à la question de savoir si la sélection à l’entrée basée au moins autant sur la richesse que sur le talent était compatible avec les objectifs d’excellence en recrutement affichés. La réponse à cette question pourrait toutefois être positive : une université dotée de moyens importants par le truchement de fees élevés pourrait sans doute mettre en œuvre des moyens matériels et humains d’une qualité telle qu’elle transformerait en aigle un modeste faucon ! Internationalisation du recrutement universitaire Plusieurs de nos interlocuteurs (notamment à l’Ambassade de France à Londres) ont souligné à quel point la société anglaise était composée de strates. Dans le monde des sciences théoriques et appliquées, on trouve bien peu d’anglais « de souche ». Indo-Pakistanais dans les hôpitaux, asiatiques dans le monde de l’ingénierie. Il y a un vrai désamour - nous dit-on -des anglais pour les sciences dites exactes. Rien d’étonnant par conséquent à ce que leurs enfants ne se pressent pas sur les bancs des universités dans les disciplines des sciences physiques et mathématiques. À côté de cela, les universités ont une vraie problématique d’existence dans les grands classements internationaux, qui induisent un indéniable effet de concentration. Aucune petite structure ne peut y tenir bonne place (ce qui impacte d’ailleurs fortement le système des écoles d’ingénieur françaises, qualitatives mais compactes). Ajoutons à cela une problématique de coûts fixes pour les campus universitaires et il apparaît que les universités anglaises doivent être grandes et amplement pourvues d’étudiants pour espérer survivre économiquement et tenir leur rang. 3. Gary S. Becker (1964). Human Capital: a Theoritical and Empirical Analysis, with Special Reverence to Education. Chicago, University of Chicago Press. 24 Rapprochons les deux idées précédentes et une conclusion logique s’impose. Le nombre d’étudiants non anglais dans les universités anglaises doit croître. C’est ce mouvement qui est actuellement orchestré. À Londres, « Oxbridge » ou Manchester, des étudiants étrangers se bousculent : ils sont chinois, indiens, américains ou viennent de pays arabes riches de ressources pétrolières. L’Angleterre peut leur offrir tout le savoir-faire de l’enseignement d’excellence en petits groupes (le fameux « tutorat ») où professeurs et chercheurs interagissent de concert, de façon magistrale pour les premiers, et par suivi quasi-individuel pour les seconds, avec l’éducation des étudiants. Cette tradition d’excellence remonte dans ce pays au moins à l’époque élisabéthaine. Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni Une politique d’excellence établie, mais une politique de site encore en devenir ? L’université de Manchester est 41ème au classement 2015 de Shanghai (5ème britannique) pas très loin derrière l’université Pierre et Marie Curie, première université française du classement. Elle illustre la façon dont la science anglaise a su inspirer et mettre à son profit le credo d’excellence international : culture et outillage anglo-saxons, tels qu’ils nous sont apparus au cours du voyage, inspirent les classements des universités et écoles, au moment où se constitue le marché globalisé de l’enseignement supérieur. Ainsi, 25 Nobel décernés depuis 1915 ancrent l’université de Manchester dans une chronique d’excellence qui marie durée, intensité et constance. Cette constance, qui traduit à sa façon la capacité à attirer des scientifiques parmi les plus grands, a été obtenue malgré les vicissitudes politiques ou la déprise urbaine et économique qui ont affecté Manchester à l’époque thatchérienne. Au-delà du seul cas de Manchester, les publications scientifiques sont incontestablement un produit phare de la science anglaise, sous trois angles toujours associés : évaluation par les pairs toujours fortement affirmée, publication dans les meilleures revues, audience (citations) : « Publish or perish » est un vrai anglicisme. A contrario, la conjugaison de la puissance d’un acteur unique et du soutien de territoires forts apparaît comme une orientation à la fois nouvelle et moins concrète. L’université de Manchester résulte de la fusion récente de deux institutions universitaires, ce qui reste peu évoqué, tandis que les synergies avec les autres acteurs du site (Metroplitan University of Manchester par exemple) ne figurent pas à l’agenda stratégique. Dans le même ordre d’idée, si le renforcement institutionnel des territoires britanniques est prôné actuellement (Grand Manchester, Northern Powerhouse), il reste largement à concrétiser. Maillage territorial : un questionnement en cours… ou pas ? La logique du maillage territorial tel que nous la connaissons (recherche de la juxtaposition a minima d’un juste accès à l’enseignement supérieur sur l’ensemble du territoire et du contrôle de l’offre de formation) ne se pose pas en des termes identiques au Royaume-Uni. Il semble que seuls la qualité et les objectifs de la recherche soient définis et attendus par le gouvernement, notamment dans sa dimension académique. De même, les appels à projets - qui mobilisent l’essentiel des crédits gouvernementaux sont-ils publiés dans des secteurs précis au regard de besoins dûment identifiés, ou en réponse à des problématiques sociétales prégnantes. La conséquence directe est que l’essentiel du financement est mobilisé pour un nombre restreint d’universités. Ce qui, par effet mécanique, influe sur les classements et la concentration des crédits. De plus, les universités doivent prendre en compte les futures retombées de leur recherche et leur responsabilité sociale est engagée. Tout cela participe à leur évaluation. La prévalence du secteur innovation est également induite avec des partenariats public/privé et l’installation de centres Catapult, sorte d’incubateurs à l’anglaise. Cela constitue en soi une autre logique d’aménagement du territoire en favorisant la concentration de pôles. La mise en place du REF (Rechearch Excellence Framework) a amplifié, à partir de 2014, le phénomène de concentration des financements. Une prise de conscience récente amène le gouvernement à contrebalancer cet effet en prenant en compte la qualité de l’enseignement dispensé par le truchement du TEF (Teacher Excellence Framework). A contrario, plus d’une centaine d’universités existent au Royaume-Uni et nombre d’entre elles sont de petite taille et situées à proximité des lieux de vie des étudiants. Il semblerait que la problématique de la mobilité étudiante soit moins importante qu’en France, tout du moins dans les secteurs de Manchester et de Londres. Au regard du taux d’élèves de niveau Level 4+ , des questions se posent : est-ce que ces universités jouent le rôle de nos STS et BTS en lycée ? Forment–elles l’équivalent de DUT, de licences pro ? Estce que tous les élèves disposent des mêmes chances de s’engager sur un parcours ambitieux ? Si l’on garde en mémoire que le Royaume-Uni est le pays européen de l’OCDE qui compte les études les plus courtes pour ses étudiants avec 2,7 ans en moyenne contre 3,9 dans les autres pays de l’OCDE, on peut craindre le contraire... Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 25 6. Influence de la recherche britannique à l’international Isabelle JUBELIN Cyril MOULIN Fabienne EALET Tristan VEY Philippe VITEL Efficace. Le mot est revenu fréquemment sur les lèvres de nos intervenants pour qualifier l’excellence de la recherche britannique et son rayonnement mondial. A l’appui de ce constat d’efficience, une série de chiffres, issus d’un benchmark sur la recherche anglaise publié par le Department for Business, Innovation & Skills (BIS) en janvier 20141, et présentés par Jakob Edler, professeur de Stratégie et Politique d’Innovation à l’université de Manchester. La Grande-Bretagne représente moins d’1% de la population mondiale, mais produit 3,2% de recherche et développement (R&D) et rassemble à elle seule 4,1% des chercheurs du monde entier, dont les travaux représentent 9,5% des articles téléchargés, 11,6% des citations mondiales et 15,9% des travaux les plus cités. La Grande-Bretagne reste le 2e pôle d’attractivité mondial derrière les Etats-Unis. Sur la trentaine d’universités européennes du classement de Shanghaï - dont on peut évidemment contester la pertinence, ou constater son adéquation parfaite avec l’organisation du système de recherche anglo-saxon qui favorise les universités de recherche anglaises et laisse loin derrière les universités d’éducation et les organismes de recherche en France ou en Allemagne - une dizaine est britannique. Cambridge occupe même la 5e place (et c’est la première université non américaine). Le ratio d’étudiants étrangers sur le total d’étudiants du supérieur est de 17,5% contre 10,2% en France, 7,1% en Allemagne et 3,9% aux USA2, plaçant le Royaume-Uni juste derrière les EtatsUnis en termes d’attractivité pour les étudiants. 1. BIS Analysis Paper Number 3 “Insights from international benchmarking of the UK science and innovation system”, https:// www.gov.uk/government/uploads/ system/uploads/attachment_data/ file/277090/bis-14-544-insightsfrom-international-benchmarkingof-the-UK-science-andinnovation-system-bis-analysispaper-03.pdf 2. Statistiques UNESCO sur mobilité internationale des étudiants : http://www.uis. unesco.org/Education/Pages/ international-student-flow-vizFR. aspx?SPSLanguage=FR 26 Figure 1 : Pays d’origine des étudiants internationaux au Royaume-Uni2 Près de 11% des brevets dans le monde font référence à des travaux britanniques, souligne Mme Mist de la Royal Society. Une position de force étonnante puisque le pays sous-investit dans sa R&D, par rapport à la France, l’Allemagne ou les Etats-Unis : les dépenses R&D représentent 1,8% du produit intérieur brut au Royaume-Uni, contre 2,2% en France, 2,7% aux Etats-Unis et 2,8% en Allemagne. Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni Figure 2 : Comparaison de l’évolution des budgets de R&D de 8 principaux pays de l’OCDE3 Figure 3 : Evolution de la part des investissements R&D étrangers dans 11 pays de l’OCDE3 En revanche, la Grande-Bretagne parvient à draguer de grandes quantités de financements publics et privés européens : en 2012, les financements étrangers soutenant les dépenses de R&D représentaient 23,7% au Royaume-Uni contre 9% en France, 5,2% aux Etats-Unis et un peu moins de 5% en Allemagne3. Curieusement, peu d’intervenants britanniques l’ont mis en avant durant notre séjour. De façon surprenante, le rôle des grandes revues à comité de lecture britanniques (le groupe Nature en tête) dans le rayonnement de la Grande-Bretagne n’a pas été évoqué. Comme si les rapports de force ou de connivence entre chercheurs et éditeurs n’existaient pas. Quelles sont les clés de cette apparente réussite ? Pour commencer, un intérêt global de la population pour les sciences, estime Jakob Edler, spécialiste allemand de l’innovation et directeur exécutif du Manchester Institute of Innovation Research. Tous les quotidiens du pays parlent de science. Lors de notre séjour, tous plaçaient la Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 3. OCDE - Principaux indicateurs de la science et de la technologie, http://www. oecd.org/sti/msti.htm 27 découverte des ondes gravitationnelles sur leur Une. Et cet intérêt pour la science a été relayé par plusieurs intervenants : Mme Mist de la Royal Society a insisté sur l’importance de l’engagement de la science auprès du public « ensure that science inspires the nation ». On constate également que les britanniques n’hésitent pas à investir dans la dissémination de la science et contribuent ainsi à asseoir la légitimité du financement de la recherche. Mais ce n’est pas tout. Les universités, qui concentrent l’essentiel de la recherche dans le pays, sont sans cesse obligées de justifier de leur excellence auprès des pouvoirs publics pour obtenir leur financement, qu’il soit annuel (via le HEFCE, Higher education funding council for England) ou lié à des programmes de recherche spécifiques (via les sept conseils de recherche du pays). Cette compétition acharnée jouerait un rôle prépondérant dans l’efficacité britannique. C’est elle qui pousse les universités à investir lourdement dans le recrutement de chercheurs de haut niveau. Une possibilité offerte par la relative indépendance de ces institutions qui fonctionnent de plus en plus comme des organismes privés, chargés de trouver leur équilibre financier. L’influence britannique s’exerce aussi par son positionnement de choix sur le « marché » des étudiants étrangers : comme évoqué plus haut, seuls les Etats-Unis attirent plus d’étudiants que la Grande Bretagne, notamment aux niveaux masters et PhDs. Tous les moyens sont bons pour attirer les jeunes talents (et leur argent), notamment chinois. La Grande-Bretagne a clairement l’ambition d’être une porte d’entrée vers l’Europe pour la Chine, une volonté qui entrerait clairement en conflit avec une sortie de l’Union européenne. Toutefois, il existe des freins à cette politique d’attractivité. En particulier, le système de visas, complexe et lourd, ne permet pas de garder les étudiants et chercheurs. Cependant, le système britannique est loin d’être parfait. Si les universités excellent dans la recherche, cela ne se ressent pas sur le nombre de brevets déposés, et ce malgré la contribution de la recherche anglaise (cf les chiffres cités en première page). D’après l’étude BIS de 2014, l’investissement des compagnies en R&D se concentre sur seulement quelques secteurs : la pharmacie est largement en tête, suivie d’investissements dans les secteurs des services et des technologies de l’information, puis par l’aérospatial. Ce même rapport met également en exergue un niveau d’innovation insuffisant dans le tissu des PME. Pour y pallier, un système d’instituts thématiques (similaire à ce que l’on peut trouver en France ou en Allemagne) est en train d’émerger. Le modèle repose pour l’instant sur des clusters d’entreprises qui s’attachent géographiquement à certaines universités pour en drainer les savoir et les cerveaux, sans stratégie nationale coordonnée. Une autre source d’étonnement concerne la pénurie de compétences en sciences de l’ingénierie au sein du système universitaire anglais. Dans le rapport BIS de 2014, c’est un des freins importants aux capacités d’innovation de la Grande-Bretagne, qui doit importer ces compétences en attirant des chercheurs et étudiants étrangers. Certains d’entre nous estiment que le système français de formation d’ingénieurs généralistes est une force qui permet d’alimenter la recherche publique et privée. Sur le registre des financements étrangers, certains d’entre nous ont été surpris que les intervenants n’aient pas vraiment éclairé le rôle que jouent les financements européens dans l’excellence de la recherche anglaise. Faudrait-il l’interpréter comme le signe d’un repliement sur soi dû à l’âpreté de la compétition sur le territoire national qui fait que « la fin justifie les moyens » ? Plus généralement, le fait que l’international soit essentiellement une affaire de classement des universités, de compétitivité économique ou d’attractivité des meilleurs étudiants est un point marquant de cette visite. Au sujet de la compétitivité et du développement économique, plusieurs membres du groupe ont été marqués par le rôle central donné à l’université et à ses capacités de recherche, dans le projet de réaménagement du territoire touchant le Grand Manchester (Northern Powerhouse). En gardant en tête que ce séjour nous a donné une vision partielle du système de R&D anglais, ce constat éloigne beaucoup le système anglais de celui qu’on observe en France (et probablement aussi en Allemagne et aux Etats-Unis) où le leadership international au sein de collaborations ou de grands projets est souvent mis en avant par les organismes de recherche et, dans une moindre mesure, par les universités. 28 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni Ce constat fait d’ailleurs écho à une forme d’absence de stratégie nationale pour la recherche. En effet, la délégation par l’Etat de la stratégie et des moyens de la recherche aux universités a un grand nombre d’aspects positifs comme ceux mis en avant plus haut (compétitivité, dynamisme, attractivité,…), mais semble aussi restreindre le rayonnement international de la recherche anglaise qui nécessite un pilotage à un niveau national, comme on le pratique en France via les organismes de recherche. On peut s’interroger sur le danger d’une telle politique à long terme pour la performance globale de la recherche anglaise. Enfin, tout le groupe a été marqué par le modèle du Wellcome Trust. Créée au début du 20ème siècle, cette fondation, qui fait fructifier la donation initiale du milliardaire M. Wellcome, prévoit d’investir 5 milliards de livres pour le financement de projets de recherche portés par des chercheurs anglais sur les 5 prochaines années, dont une partie concernent des pays étrangers, essentiellement en Afrique et en Asie. C’est la plus grande fondation au monde à investir dans la recherche scientifique, sans équivalent en France (et probablement ailleurs). En écho aux commentaires sur l’absence de stratégie de recherche à un niveau global, le Wellcome Trust pallie en partie cette absence de l’Etat dans le secteur des biotechnologies. Une manière sans doute d’expliquer le très grand déséquilibre qui existe dans les investissements de R&D entre les différents secteurs. Concernant le rôle du Wellcome Trust dans l’influence internationale du Royaume-Uni, les constats ont été mitigés au sein du groupe. La stratégie internationale du Wellcome Trust est apparue opaque à certains d’entre nous. En effet, bien qu’elle nous ait été présentée comme basée sur l’excellence scientifique et la volonté de faire monter le niveau de recherche de pays en voie de développement, l’indépendance de cette stratégie vis-à-vis des pouvoirs politiques locaux et les liens avec la politique étrangère du Royaume-Uni ont soulevé de nombreuses interrogations au sein du groupe. En revanche, certains d’entre nous ont salué la capacité de financement offerte par ce type de fondation, qui permet de «booster» la R&D de tout un secteur économique au Royaume-Uni. Il pourrait être intéressant d’étudier l’impact du développement de ce type de fondations privées, en favorisant la diversité des thématiques de recherche couvertes, afin d’avoir une articulation efficiente entre la stratégie R&D nationale et les stratégies R&D privées. Au final, un bilan mitigé, tout aussi bien au niveau des constats partagés que des divergences d’opinion au sein du groupe, notamment sur le rôle du Wellcome Trust pour ce dernier point. Le groupe reconnaît d’un côté la réelle efficacité britannique dans sa capacité à produire de la science reconnue dans les réseaux académiques internationaux, et également de susciter l’intérêt et l’adhésion du grand public. Mais d’un autre côté, le groupe constate un succès limité dans la transformation des résultats scientifiques en innovation même si la recherche made in England alimente la production de brevets. Egalement, nous interrogeons la durabilité d’un système qui nécessite d’attirer des chercheurs dont les compétences sont peu présentes en Grand Bretagne pour nourrir les filières d’innovation. Et enfin, nous identifions un danger potentiel dans le manque de stratégie nationale des politiques de R&D. Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 29 7. Interactions sciences et société, public engagement et éthique : des spécificités britanniques ? Corinne BITAUD Sabrina CARON Anne TEZENAS DU MONTCEL, Benoit VERGRIETTE Les interactions science-société au Royaume-Uni s’inscrivent dans un contexte marqué d’une part par une politique de pragmatisme et de néo-libéralisme, d’autre part de défiance de la société visà-vis de la science et des scientifiques : une minorité de britanniques a une formation scientifique, les crises sanitaires et environnementales ont entamé – comme ailleurs – la crédibilité des experts, les développements technologiques inquiètent, et surtout la légitimité de l’université a été remise en cause. Celle-ci a été critiquée pour son coût élevé dans une période de crise économique, ses préoccupations centrées sur l’excellence scientifique paraissent déconnectées des réalités (le syndrome de la tour d’ivoire) et les nouvelles technologies accréditent l’idée qu’elle ne serait plus la porte privilégiée de l’accès au savoir. Le poids relatif de ces deux éléments de contexte dans les déterminants des interactions science-société a été débattu au sein de notre groupe d’observateurs. Une communauté scientifique qui cherche une nouvelle légitimité, ou qui a intégré un modèle économique néo-libéral ? Le système scientifique anglais conjugue une série d’impératifs extérieurs (prouver son utilité sociale par sa contribution à l’innovation et à la croissance économique, faire la preuve de l’allocation optimale des ressources, redonner confiance à la société) tout en répondant à un double objectif interne de produire des connaissances et de conserver le meilleur positionnement dans la compétition internationale. Autre obsession très spécifique : aller plus vite, comme dans le système de santé de Manchester, des besoins du terrain à la réponse scientifique et inversement. Le fait de poser constamment la question aux scientifiques de l’impact de leur recherche est une particularité tout à fait intéressante. Il s’établit ainsi un circuit court qui relie à la fois l’état de la science, aux besoins de la population et des entreprises. Objectif : là encore, être efficace sur des points identifiés, chiffrés scientifiquement. Mais aussi économiquement ou socialement, bien que cette dimension apparaisse bien peu prioritaire dans les propos de nos intervenants. La recherche d’efficacité économique conduit ainsi à réduire autant que possible l’intervention publique au profit d’acteurs privés et d’opérateurs de proximité jugés plus performants et plus en prise avec la réalité des problèmes à résoudre. La communication de l’université de Manchester insiste sur l’efficience des financements et Rupert Lewis, le directeur du Goverment Office for Science, fait valoir que le taux de retour sur investissement de la recherche scientifique au Royaume-Uni est de 20 %, pourcentage record alors que le pays investit bien moins que la plupart des autres pays européens dans ce secteur. L’université – tout comme ses financeurs privés et publics – affiche d’autre part un objectif de « public engagement », de « responsabilité sociale » comme 3ème pilier de sa stratégie, qui conjugue une ambition de vulgarisation, de communication et d’éducation du public mais aussi d’engagement concret à résoudre des problèmes publics. Concrètement, les enseignants et les étudiants sont ainsi fortement incités à s’investir dans des activités bénévoles ou caritatives et donc à participer à la cohésion sociale de la collectivité. Un autre moyen consiste à développer des relations étroites entre la ville et l’université afin de concevoir des programmes (Manchester Leadership Programme, programme TV, musée…) permettant une meilleure compréhension et « acceptation sociale » du travail mené par les scientifiques. 30 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni Un autre principe directeur majeur, martelé par tous nos interlocuteurs, est la notion d’evidence based, qu’il s’agisse de médecine, de science ou de politiques publiques et de réglementation. En préalable à toute initiative, ce principe consiste à s’appuyer sur des « preuves scientifiques », administrées notamment via des organismes privés tels que le Wellcome Trust. Cette démarche contribue-t-elle dans l’esprit de ses promoteurs au renforcement de la crédibilité de la science, à la défense de sa légitimité intellectuelle et sociale, ou s’agit-il principalement d’un souci d’optimisation de l’efficacité et de la rentabilité ? Une traduction dans les interactions science-société qui interpelle Cette posture de reconquête du côté du monde scientifique et/ou l’intégration d’un modèle néo-libéral et pragmatique se conjuguent avec une culture britannique qui d’une part valorise la compétition, d’autre part assume pleinement les pratiques de lobbying du secteur privé auprès des décideurs politiques. Nous avons tout d’abord été interpellés par une forme de marchandisation de la recherche et des étudiants, des visions qui nous semblent très normatives de la science, et une certaine relativisation des questions éthiques. - L’université de Manchester témoigne d’une logique marchande appliquée à l’enseignement supérieur et à la recherche. L’enseignement supérieur est un marché sur lequel il faut se positionner efficacement : les étudiants sont des clients à capter, pour les attirer il faut de bons enseignants, la qualité de la recherche mesurée à l’aune des publications dans des revues à hauts facteurs d’impacts assurant la visibilité internationale. L’excellence affichée, calculée à l’aide d’indicateurs qui ne semblent jamais remis en cause (comme le classement de Shangaï), permet de justifier des frais élevés d’inscription (9000 £ /an). Un système de prêt public est censé garantir l’accès aux étudiants à faibles ressources. L’endettement n’est pas évoqué comme un éventuel problème au motif que les filières de formation sont construites sur des critères d’employabilité, mais aussi parce que les modalités de remboursement sont adaptées aux revenus du jeune diplômé. Le recours à des étudiants étrangers (plus d’¼ des 38000 étudiants de Manchester) qui payent le prix fort (jusqu’à 16000 £/an) assure une double fonction d’équilibrage financier et d’ouverture internationale. A cet égard, le choix d’implantation des bureaux internationaux de l’université pour le recrutement des étudiants est sans équivoque (Chine, Inde, Nigéria). - La vision de la science portée par nos interlocuteurs et concrétisée notamment par le concept d’evidence based ne laisse pas de place au doute, à l’incertitude et encore moins au principe de précaution. Aucun de ces termes n’a d’ailleurs été prononcé durant notre séjour. Dans cette vision libérale du positivisme scientifique, n’est recevable que ce qui est quantifiable et avéré, démontré par l’expérience, même s’il nous a semblé que le processus de validation des « preuves » n’est pas clairement défini. Par contrecoup, les notions de débat public et d’approches participatives pour aborder d’éventuelles interrogations épineuses ou des controverses portées par des citoyens semblent totalement absentes. L’essentiel du discours sur le Public Engagement porte sur la nécessité « d’expliquer » au public les bienfaits de la science, et non pas sur la confrontation entre différents systèmes de valeurs (le site internet du National Co-ordinating Center for Public Engagement évoque néanmoins rapidement cette possibilité). Qu’il s’agisse de biotechnologie, de biologie synthétique ou encore de nanotechnologie, les préoccupations sociétales autour de conséquences indésirables éventuelles des innovations semblent totalement inexistantes ou en tout cas hors du domaine d’attention des interlocuteurs que nous avons rencontrés. La question des risques du graphène pour la santé ou l’environnement est ainsi renvoyée sans autre forme de procès à la toxicité des composés qui accompagnent le graphène. Enfin, nos interlocuteurs du Wellcome Trust parlent beaucoup de « s’assurer que la recherche soit correctement mise en œuvre » ou de « s’assurer que les choses vraies soient enseignées », ce qui nous a semblé témoigner d’une vision de la science assez normative et peu ouverte à la diversité des types de savoirs. Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 31 - Les questions éthiques que nous avons tenté de soulever, notamment auprès du Wellcome Trust, ont été évitées, ou qualifiées de questions « subjectives », de « problème », voire de frein au développement des travaux scientifiques. Un de nos interlocuteurs a souligné que « l’éthique n’est pas un domaine qui se prête facilement aux preuves », et l’on comprend bien que cela entre difficilement dans un système de pensée fortement marqué par l’evidence based. L’obsession de la rentabilité apparaît parfois de manière surprenante notamment à propos de la rémunération des « futurs cadavres » afin d’inciter les citoyens britanniques à faire don de leurs tissus humains très prisés de la recherche. Dans ce contexte, nous avons été surpris par la suppression par l’État de certaines agences éthiques publiques notamment en matière de thérapie génique, comme par la large ouverture faite à des acteurs non publics tels que le Nuffield Council on Bioethics (fondé notamment par le Wellcome Trust) sur les questions éthiques. Comme l’explique le directeur du GO Science, s’en priver serait une erreur. « Rien n’a démontré qu’un seul acteur public ferait mieux que plusieurs entités réfléchissant au même sujet ». Nous identifions ensuite des fragilités potentielles en ce qui concerne d’une part les conflits d’intérêt, d’autre part les contradictions internes du système d’évaluation. - La ligne de partage entre public et privé est de fait fort différente au Royaume-Uni et en France, comme en témoigne le rôle majeur d’un acteur non gouvernemental, le Wellcome Trust. Créé en 1936 et devenu en 80 ans l’acteur majeur du soutien à la recherche scientifique (notamment biomédicale) en Angleterre, depuis la diffusion de la culture scientifique à l’école jusqu’au financement de la recherche fondamentale, tel un ministère parallèle de la Santé, de l’Éducation et de la Recherche, en lien permanent avec la sphère publique, porteur en particulier de cette vision de la science evidence-based. Malgré les liens historiques entre cet acteur et l’industrie pharmaceutique, à aucun moment le soupçon de collusion d’intérêt entre la sphère économique et la sphère scientifique ne semble effleurer nos interlocuteurs, alors même que l’actuel Government Chief Scientific Adviser est l’ancien directeur du Wellcome Trust, ou que l’une des responsables du Parliamentary Office of Science and Technology est une ancienne salariée de cette même fondation. Un conflit d’intérêt majeur pourrait un jour émerger, par exemple sur la scène internationale où d’autres sensibilités peuvent s’exprimer, ce qui réduirait à néant les efforts de reconquête de la confiance du grand public envers les scientifiques. - La stratégie des universités fondée sur le Public Engagement trouve d’importantes limites dans l’enjeu économique très fort qui repose sur l’effort de publication, à la fois pour le système de classement international des universités, qui conditionne leur attractivité pour les étudiants-clients, et pour le système d’évaluation national de la qualité de la recherche, qui conditionne les fonds de base des établissements. Malgré les encouragements des institutions diverses, certains acteurs de l’université de Manchester comme le National Co-ordinating Center for Public Engagement reconnaissent qu’il est très difficile de concilier toutes ces exigences, et que cela nuit en pratique à l’investissement des chercheurs dans le dialogue avec la société. Néanmoins, la politique britannique en matière de dialogue science-société nous semble être un réel succès en matière de partage de la vision, ce dont témoigne une grande convergence des éléments de langage sur ce sujet quels que soient les institutions ou organismes rencontrés. Les moyens mis en œuvre pour promouvoir la science auprès du grand public sont considérables, notamment à l’échelle des programmes scolaires, et l’on peut s’attendre à ce que cette stratégie porte des fruits à moyen terme. Enfin, malgré le scepticisme qui a pu s’exprimer au début des années 2000 en France sur l’efficacité des réformes du dispositif de recherche et d’enseignement supérieur au Royaume-Uni, 15 ans plus tard il faut bien constater que la recherche britannique est toujours au meilleur rang international et que, du moins à Manchester, les populations, y compris défavorisées, ont de plus en plus accès à l’enseignement supérieur. Dans son écosystème, le pragmatisme britannique semble payant. Cet enchevêtrement subtil d’acteurs privés et publics pour traiter de sujets plus traditionnellement dévolus en France à la puissance publique nous est apparu comme une spécificité forte du système 32 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni britannique. Par ailleurs, les contraintes économiques sont tout à fait intégrées et le système est bâti sur cette réalité qui pourrait paraître bien froide et sans vision politique ni philosophique à un Français. Cela donne d’un côté un manque de vision humaniste de la science dans la société, voire d’une gratuité et d’une liberté de la recherche, et en même temps d’une certaine manière une grande adéquation aux besoins chiffrés du pays et une efficacité plus grande avec des moyens moins importants. Si tant est que le chiffre soit la seule preuve de l’efficacité de la science. Si ces éléments nous interpellent c’est probablement que le modèle de l’enseignement supérieur et de la recherche français, en mutation profonde depuis, a minima, 2007, oscille entre compétitivité, mondialisation, publish or perish, autonomie des universités, attractivité… et le financement public de la recherche en période de crise, l’ « absence » de sélection des étudiants, les valeurs d’émancipation et de socialisation de l’enseignement, une science à l’épreuve de l’éthique, une appropriation sociale des sciences renforcée... Un/des équilibre(s) que la France a bien du mal à trouver, si tant est qu’ils soient souhaités et souhaitables. Réferences bibliographiques : Sur le concept de “public engagement” des Universités britanniques : http://www.publicengagement.ac.uk/ Sur les conflits d’intérêt dans la définition des politiques publiques : OCDE (2015) « Scientific advice for policy making » Sur une analyse française du système britannique en 2000 : http://www.larecherche.fr/idees/livres/desarrois-science-anglaise-01-04-2000-89063 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 33 8. L’innovation dans l’économie britannique : enjeux et politiques L’économie britannique Comme celle des autres pays développés, l’économie britannique repose majoritairement sur les services qui représentent près de quatre cinquièmes du Produit Intérieur Brut. Elle se distingue Hervé PERNIN par un faible interventionnisme étatique, conjugué à un cadre juridique et fiscal avantageux pour Christian FOUSSARD les entreprises. Témoin de son dynamisme, le Royaume-Uni héberge plus de 100 000 sociétés de Jean-Charles CADIOU services en ingénierie informatique (SSII) et abrite le nombre le plus élevé́ de start-ups dans les logiciels en Europe. Dans un contexte économique mondial difficile, l’économie britannique a affiché d’une part une croissance de 2,2% en 2015, la plaçant dans le groupe de tête des pays développés, et d’autre part une baisse significative du chômage qui s’établissait à 5,1% en novembre 2015. De fait, le Royaume-Uni exerce un fort pouvoir attracteur, son solde migratoire annuel s’établissant désormais aux environs de 320 000 personnes. Sur le long terme, ses performances macro-économiques (hors emploi) sont très similaires à celles de la France, comme l’illustre la Figure ci-dessous Céline SERRANO Figure 1 : Produit intérieur brut par habitant (PIB/hab) en $ courant (source : donnees.banquemondiale.org). Un effort en matière de Recherche-développementinnovation limité et dirigé vers la recherche Le Royaume-Uni se situe dans le classement de queue de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) pour ce qui concerne les dépenses de Recherche et développement (R&D) rapportées au PIB, soit 1,7% en 2012 à 32 milliards de livres sterling (Md£). Ces chiffres sont stables depuis une quinzaine d’années après une forte diminution sur la période 1980-2000. Cet effort provient à 30% du secteur public, le reste étant apporté par des entreprises ou des fondations. Les dépenses privées de R&D, 64% de l’effort de recherche à 18,4 Md£, ne représentent pour autant que 1,2% contre 1,6% pour la moyenne des pays de l’OCDE, en stagnation depuis plusieurs années. La politique publique est fortement centralisée, le Department for Business, Innovation and Skills (BIS) étant responsable de la stratégie de recherche et d’innovation ainsi que de 50% environ des budgets publics, soit près de 6 Md£, dont une partie est sécurisée (fence ring arrangement). Environ 4Md£ supplémentaires proviennent d’autres ministères, dont le ministère de la Défense. L’effort public se concentre sur le financement de la recherche universitaire dans le cadre d’un dual system : une dotation de base pour le financement direct des universités associée à une évaluation 34 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni des laboratoires visant à l’excellence collective de la recherche; et un financement sur projet opéré par les Research Councils (équivalents de l’Agence nationale de la recherche (ANR)) avec une sélectivité accrue qui mise sur l’excellence individuelle. Cette forte concurrence pour le financement public et la précarité du statut des chercheurs conduit à une recherche focalisée sur les publications et le rayonnement international. Le rendement publications versus financements publics du Royaume-Uni est ainsi excellent. Le dépôt de brevet est toutefois peu valorisé et les chercheurs sont peu sensibilisés aux questions de propriété intellectuelle ou industrielle. Les dirigeants de la société et les élites en général ont une culture scientifique et technique moins forte qu’en France. De plus, les jeunes Britanniques auraient peu d’attrait pour les sciences. En termes d’innovation, cela se traduit par un manque d’ingénieurs, donc par un risque pour les entreprises, lesquelles se retrouvent dans l’incapacité de s’approprier les technologies issues de la recherche ou sont poussées par les centres Catapult. Pour pallier ces difficultés, un programme de sensibilisation des jeunes aux sciences et technologies a été lancé ainsi que des cours sur l’entrepreneuriat pour les doctorants. Ainsi, à Manchester, la formation des doctorants comporte obligatoirement la rédaction d’un business case/plan. C’est principalement avec les grands groupes que les universités et les instituts de recherche entretiennent des relations. Dans ces partenariats, la recherche publique reste sur des niveaux de maturation faibles (Technological Readiness Level (TRL) 5 au plus) sans s’intéresser aux applications qui sont prises en charge directement par les entreprises. Les relations avec les petites et moyennes entreprises (PME) sont quasiment inexistantes : elles nécessiteraient que les universités se dotent de compétences technologiques pour aller sur des TRL 6-7-8. À la différence de la France où le programme investissement d’avenir (PIA) accompagne toute la chaîne de l’innovation, l’intervention des pouvoirs publics britanniques sur les TRL élevés est ainsi très limitée : la priorité est à la recherche fondamentale et à un processus d’innovation poussé par la recherche amont. Il n’y a que peu de financements croisés recherche et entreprises : pas de fonds unique interministériel (FUI), pas d’ANR avec entreprise ni de PIA par filière (ex : transports du futur). La Figure 2, établie par l’agence Innovate UK (ex-TSB Technology Strategy Board), financée et sous la tutelle du BIS, récapitule la structure du soutien à l’innovation. Elle ne comprend pas les financements récurrents aux universités et centres de recherche et omet les crédits délégués aux ministères hors BIS (notamment défense) pour 4 Md£ environ. La fonction première de cette figure était d’illustrer l’effet « vallée de la mort » que rencontrent les entrepreneurs aux échelles intermédiaires de TRL 4 à 6 et de défendre un accroissement des budgets de Innovate UK devant le comité science et technologie du Parlement (Chambre des représentants), à l’occasion de l’ouverture de la session parlementaire 2015-2016. Figure 2 : Répartition des investissement en R&D au Royaume-Uni (source: http://data.parliament.uk/WrittenEvidence/CommitteeEvidence.svc/EvidenceDocument/Science%20 and%20Technology/The%20science%20budget/written/22562.html) Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 35 Pour mettre en lien la recherche avec les territoires, Innovate UK a été chargé de mettre en place des centres Catapult, centres d’excellence visant à combler le fossé entre les entreprises et le monde de la recherche. Les Catapult sont ainsi des structures de droit privé, dont le financement doit respecter un équilibre d’un tiers sur fonds publics récurrents (Innovate UK, 5 à 10 M£/an selon les centres), un tiers par contrats de recherche avec le secteur privé et un tiers sur projets de recherche collaboratifs (UK et Horizon 2020 (H2020)). Initialement imaginés comme des Fraunhoffers britanniques, leur modèle final, conçu en 2011 par le Professeur Hermann Hauser de l’université de Cambridge, tient à la fois des instituts Carnot, des instituts de recherche technologique (IRT) ou des instituts pour la transition énergétique (ITE), dans un double mouvement du marché vers la recherche et de la recherche vers le tissu industriel. Début 2016, sept centres Catapult sont pleinement opérationnels dans les domaines suivants: thérapie cellulaire, numérique, villes du futur, industrie à haute valeur ajoutée, énergie renouvelable offshore, applications satellites et transports. Deux nouveaux centres sont programmés à très court terme. L’objectif fixé est d’atteindre 20 centres en 2020 et 30 centres en 2030. Si le plus gros emploie près de 1500 personnes, les centres comptent généralement de 100 à 200 personnes, à fonctions scientifiques et techniques mais aussi juridiques voire commerciales d’accompagnement à la mise sur le marché. Cinq ans après son lancement, il est encore trop tôt pour évaluer quantitativement l’effet du programme Catapult en termes de création d’emplois et de valeur ajoutée. Les évaluations plus qualitatives sembleraient positives même si un rapport d’évaluation de novembre 2014 note que les Catapult doivent augmenter leurs collaborations avec les PME et ne pas se couper des universités. Le financement public pour un tiers apparaît très important pour éviter que ces centres ne se focalisent que sur des projets avec des débouchés à très court terme. En parallèle des Catapult, les centres techniques plus anciens, créés dans les années 1990 subsistent par exemple sous forme de Science Parks spécialisés (ex : à Bristol, à York…) sous la bannière de l’UK Science Park Association qui revendique 100 structures adhérentes employant 70000 personnes. Certains d’entre eux sont hébergés par des universités. L’existence des centres Catapult et des centres d’incubation ou de pépinières dispersés sur le territoire ne doit pas faire oublier que l’organisation territoriale anglaise est très fortement centralisée autour de Londres. Des tentatives de décentralisation – devolution - sont en cours, au premier rang desquelles le Northern Powerhouse. À ce sujet, tout est à mettre en place y compris la création de véritables structures politiques locales au niveau des agglomérations et des modalités de coopération intercommunale. Par ailleurs, le gouvernement britannique a créé une banque d’investissement, la British Business Bank, qui s’adresse exclusivement aux start-ups, PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI). Existent aussi de grands instruments de financement de l’innovation comme l’UKIF (UK Innovation Investment Fund). Qu’en est-il de l’effort privé de recherche ? Le privé prend donc en charge l’essentiel des dépenses de R&D britanniques, portées pour la plus grande partie par les entreprises et par un grand nombre de fondations, intervenant essentiellement dans les secteurs de la santé et du bien-être. Les financements européens à l’innovation - Fonds européen de développement économique et régional (FEDER) ou H2020 - bien que comptabilisés dans ces financement « non publics » sont le fait essentiellement des universités, avec au premier rang les plus prestigieuses d’entre elles: Cambridge, Oxford et l’Imperial College London. La Figure ci-dessous détaille la contribution des principaux secteurs économiques à l’effort privé de recherche. 36 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni Figure 3 : Contribution des principaux secteurs économiques à l’effort privé de recherche (source : Office national des statistiques 2014 (année 2012) http://www.ons.dz/) Au final, quelles sont les forces et faiblesses de l’écosystème britannique de soutien à l’innovation ? Les forces de l’écosystème de soutien à l’innovation comporte plusieurs aspects parmi lesquels des investissements étrangers importants, une forte attractivité pour les étudiants étrangers, une marché ouvert et très compétitif avec un fort intérêt des citoyens pour ce qui concerne les produits et services innovants (des compétences avérées dans le domaine de la finance et de l’industrie pharmaceutique), des exportations en hausse. Ces points forts sont contrebalancés par des faiblesses comme un sous-investissement chronique en R&D, un manque criant d’ingénieurs, des dépôts de brevets qui n’augmentent pas, des règles d’immigration difficiles et changeantes, une faible productivité du travail et des difficultés d’innovation pour les PME. Quelles opportunités pour les entreprises françaises ? Le Royaume-Uni représente 14% de l’excédent commercial de la France. Les entreprises françaises y sont très présentes, grandes entreprises (EDF, Véolia, Orange, etc) ou PME. Plus largement, l’investissement étranger au Royaume-Uni est à un niveau particulièrement élevé tout comme la contribution from abroad à l’effort de R&D, soit environ 23% de l’effort total de R&D et 50% de l’effort privé. C’est un sujet de fierté pour les britanniques mais aussi d’inquiétude car signe de dépendance et de fragilité face à une éventuelle fuite de capitaux, très prégnante aujourd’hui. Pour les pouvoirs publics français, il pourrait être intéressant d’identifier les bénéfices et les opportunités de cette présence d’entreprises françaises dans l’écosystème d’innovation britannique. A lire Informations macro économiques http://export.businessfrance.fr/royaume-uni https://data.oecd.org/united-kingdom.htm http://donnees.banquemondiale.org/ Une stratégie innovation (2011) http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/+/http:/www.bis.gov.uk/innovatingforgrowth Les débats en cours (session parlementaire 2015-16) sur le budget science et innovation http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201516/ cmselect/cmsctech/340/34002.htm Autres documents http://www.ambafrance-uk.org/Dossier-Les-centres-Catapult Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 37 Programme du voyage d’études Le Royaume-Uni et ses paradoxes Science, société, compétitivité mardi 9 février 2016 • Manchester Manchester Institute of Biotechnology, Accueil Tanya LUFF, Head of International Relations La stratégie territoriale du Greater Manchester Manchester 2025: économie, gouvernance et stratégie David HOULISTON, Policy and Partnerships Manager, Manchester City Council L’université de Manchester et son territoire - Présentation générale de l’université Andrew WALSH, Director of Research and Business Engagement Support Services The Northern Powerhouse Andrew WESTWOOD, Associate Vice-President for Public Affairs, Regional and Economic Affairs La décentralisation dans le secteur de la santé et ses conséquences Clive MORRIS, Honorary Chair in Translational Medicine mercredi 10 février 2016 • Manchester L’université de Manchester, stratégie et recherche - Rencontre avec... Professor Dame Nancy ROTHWELL, President and Vice-Chancellor Présentation du Manchester Institute of Biotechnology (MIB) Nigel SCRUTTON, Director of the MIB Visite du MIB Recherche et écosystème d’innovation Jakob EDLER, Professor of Innovation Policy and Strategy Présentation du National Graphene Institute (NGI) et de la recherche sur le graphène Vladimir FALKO, Professor of Theoretical Physics, Research Director of the NGI Recrutement et accompagnement des étudiants internationaux Tanya LUFF, Head of International Relations Jeudi 11 février 2016 • Londres Houses of Parliament Le Parlement : relations science et politique au Royaume-Uni Julian HUNT, Lord Hunt of Chesterton, Member of the House of Lords, Member of the Science and TechnologyCommittee (Lords) Visite du Parlement The science and Technology Select Committee (Commons) Nicola BLACKWOOD, Member of the House of Commons, Oxford West and Abingdon Constituency, Member of the Science and Technology Committee (Commons), Chair of the Science & Technology Select Committee Simon FIANDER, Science and Technology Select Committee Clerk The Science and Technology Committee (Lords) Julian HUNT, Lord Hunt of Chesterton, Member of the House of Lords, Member of the Science and Technology Committee (Lords) Wellcome Trust, Gibbs Building Le Wellcome Trust Clare MATTERSON, Director of Strategy Opérations internationales Simon KAY, Head of International Operations Claire FEARN, International Operations and Partnerships Adviser 38 Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni Politique: le Royaume-Uni et l’Union européenne Nicola PERRIN, Head of Policy Stuart PRITCHARD, EU Affairs Manager Actions dans le domaine de l’éducation et de l’apprentissage Matthew HICKMAN, National Programmes Manager Le Nuffield Council on Bioethics Place du Council dans le «système» de conseil bioéthique britannique Hugh WHITTALL, Director DoubleTree by Hilton London - Kensington Statégie de recherche, engagement public La Royal Society Rosalind MIST, Head of Education Le Parliamentary Office of Science and Technology Lydia HARRISS, Physical Sciences and ICT Adviser Le Government for Science Rupert LEWIS, Director vendredi 12 février 2016 • Londres Résidence de l’ambassadeur de France Présentation du système de recherche, de ses évolutions et échanges sur les journées précédentes Cyrille VAN EFFENTERRE, conseiller pour la science et la technologie Ludovic DROUIN, attaché pour la science et la technologie Actualités de la relation bilatérale Sylvie BERMANN, ambassadeur de France au Royaume-Uni Système économique, innovation Alain DE COINTET, chef du service économique régional, ministre conseiller pour les affaires économiques et financières Politique énergétique, nucléaire au Royaume-Uni Cyril PINEL, conseiller nucléaire régional Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives pour le Royaume-Uni et les pays nordiques Science, défense et armement. La recherche duale Nicolas FOURNIER, attaché d’armement, service de l’attaché de défense Science Museum Panorama des activités du Science Museum Group Helen JONES, Head of Strategy and Planning Les programmes publics Kenny WEBSTER, Head of Learning Operations Visites Cycle national de formation 2015-2016 • Carnet du voyage d’études au Royaume-Uni 39