Colloque International Troyes 2010

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Colloque International Troyes 2010
Colloque international "Les Espaces du Sacré" - Troyes - collège Saint-Bernard
du jeudi 7 au samedi 9 octobre 2010,
organisé par l'Association Rencontre avec le patrimoine religieux.
L'association Rencontre avec le Patrimoine religieux dont le siège se trouve à Orléans et dont
l'activité se situe en Région Centre organise régulièrement des colloques depuis 1994, basés sur des
thèmes liés au patrimoine religieux. Cette année, le colloque présentait "Les Espaces du Sacré, de la
Renaissance à la Révolution ». Il s’est tenu à Troyes du jeudi 7 au samedi 9 octobre 2010 au collège
Saint-Bernard.
Il s'agissait de présenter les transformations initiées par l'Eglise catholique après le concile de
Trente (1545-1563), concile en réaction à la Réforme protestante menée par Luther. Cette période
de la Contre-réforme se caractérise par le maintien de la séparation des clercs et des laïcs, héritage
médiéval, ce que refuse nettement la Réforme protestante. On retrouve donc une église avec son
chœur clos où se retrouve le collège des prêtres installé dans les stalles (en plus, dans une
cathédrale, le trône de l'évêque), de telle sorte qu'on peut évoquer le chœur comme une église pour
soi comprenant l'orgue, le lutrin, l'autel. En somme le clergé « confisque » le sacré aux laïcs.
La liturgie théâtralise néanmoins ce bâtiment qu'est l'église qui devient en fait une "salle de
spectacle" où le point central est dorénavant le tabernacle (le saint des saints) honoré par la mise en
place du retable, surmonté d'un baldaquin ou d'une gloire. Une grille ou un jubé ferment le chœur.
C’est l’époque du triomphe de l'art baroque qui tout au long des 17ème et 18ème siècles laisse son
empreinte dans le réaménagement et la rénovation des églises. Toujours dans le même esprit de
séparation clercs-laïcs, on constate l'apparition du confessionnal avec sa grille. Dans la France
traversée par le courant janséniste, l'abbaye de Port-Royal joue un rôle capital par un changement
dans le mode d'assistance à la messe à travers l'apparition du missel : grâce à lui, le laïc s'associe
aux intentions de la messe en suivant la liturgie célébrée par le prêtre dans le sanctuaire.
Durant ce colloque, plusieurs intervenants ont présenté des situations locales. Ainsi pour les anciens
Pays-Bas espagnols (l'actuelle Belgique), on voit le jubé (tribune en forme de galerie entre la nef et
le chœur) constituer un des trois éléments sur le chemin menant au saint des saints, le tabernacle:
l'entrée de l'église constituant le 1er portail, le 2ème portail étant celui du jubé, le 3ème portail
constitué par le retable. Le jubé apparaît dès le 11ème siècle ; il peut se présenter sous la forme d'une
poutre de gloire supportant la croix, les apôtres, la Vierge Marie, ou plus monumental aux 16ème et
17ème siècles comme une tribune servant à la lecture des épîtres et des évangiles, aux chants durant
la Semaine sainte, à Pâques. Il se trouve essentiellement dans les cathédrales (où il servait parfois
lors de l'intronisation de l'évêque), dans les collégiales et les abbatiales. Puis apparaît la tribune au
fond de la nf, qui accueille l’orgue et les chantres, enlevant au jubé sa fonction de lieu musical.
© Association pour la conservation du patrimoine rleigieux en Alsace.
Colloque "Les Espaces du Sacré" - Troyes - octobre 2010
En Catalogne, dès le 16ème siècle mais surtout au 18ème siècle, apparaissent les églises-halles,
constituées d'une seule nef avec des chapelles latérales et ceci même dans les villages grâce à une
économie florissante due aux cultures de la vigne, de la production d'huile d'olive et de céréales. La
décoration et l'ornementation sont financées par les confréries. Toutefois ces dépenses somptuaires
ont été condamnées par l'Académie royale et les façades stuquées remplacèrent les sculptures. Ces
églises étaient considérées comme les châteaux du peuple. C’est un franciscain qui importera
l'exemple de sa Catalogne natale à Potosi en Bolivie et dans les nouveaux territoires espagnols.
Revenons en France où la réforme monastique des ordres féminins dans la période post-tridentine
procède à la libération de la nef et fait migrer le chœur derrière l'autel (constituant un espace caché
dans certaines églises). On distingue ainsi une église intérieure réservée aux moniales – ni être vues,
ni voir - et une église extérieure pour le monde laïc. Elles se réunissent dans le chœur fermé par des
grilles et des rideaux et par ordre de préséance (hiérarchie). Les religieuses ne voient pas la messe
d'où l'expression "entendre la messe" ; elles communient par une grille ou un guichet.
Le chœur des moniales est souvent délocalisé : il faut se représenter une construction en L dont le
plan montre un chœur perpendiculaire à l’axe classique nef-sanctuaire ; cette forme trouve un vif
succès en Italie du Sud et du Centre. Mais à Port-Royal, les religieuses (cloîtrées) retrouvent leur
place dans le chœur près du sanctuaire.
La situation des églises paroissiales de Paris à l'heure de la Contre-Réforme est caractérisée par
l'architecture sacrée du 18ème siècle où l'on voit le style néo-classicisme s'articuler autour de
plusieurs points : restitution du plan inspiré des anciennes basiliques, spécialisation de l’espace,
renouveau liturgique "gallicaniste". On distingue deux familles d'église, les églises de ville comme
Paris ou Versailles (Saint-Symphorien, Saint-Philippe du Roule, Saint-Germain-en-Laye, SaintSauveur,…) et les églises des zones rurales où l'on construira à l'économie, par exemple des
clochers en bois plâtré.
Après la Guerre de Trente Ans, les églises en Alsace autour de l'an 1700 sont généralement en assez
mauvais état. Toutefois la religion catholique profite du soutien de l’autorité royale. Après 1682 se
développe la règle du simultaneum : le chœur est interdit aux protestants et réservé au sanctuaire
catholique, la nef étant commune aux laïcs des deux communautés, les Protestants ayant leur chaire
et leur autel dans la nef. Lors du culte, on pouvait, comme à Bourgheim, fermer l’arc triomphal par
des rideaux. La présence des Jésuites favorise la formation du clergé dans les collèges et séminaires
de Porrentruy et Strasbourg, Molsheim, Ensisheim, Colmar. Les couvents redeviennent riches et se
repeuplent. Au début du 17ème siècle, prévaut encore en Alsace le style gothique, mais dès 16151620 apparaît le style baroque. Le 18ème siècle est celui du style rocaille, bientôt suivi du néoclassicisme qui apparaît dès 1761. Le rôle des maîtres d’œuvre originaires de l’arc alpin est
essentiel. Peter Thumb travaille à Altorf, Thierenbach, Ebersmunster, Frauenalb. A la fin du 18e
siècle, les Alsaciens et les Français se partagent les postes. On se rappelle que le général Kléber fut
d'abord architecte (Masevaux). Mais ces espaces sont des lieux de liturgie : il n’est donc pas inutile
d’évoquer rapidement les objets et les ornements liturgiques dont subsistent quelques témoignages.
Le matin de la journée du vendredi était consacré à Troyes où nous avons d'abord découvert des
œuvres majeures en peinture dans deux églises de la ville. Le panneau de la Cène de la cathédrale,
réplique de la Cène de Léonard de Vinci, se compose de huit planches de chêne. Il est intéressant de
noter qu'entre 1506 et 1520, beaucoup d'artistes reproduisent la Cène de Léonard de Vinci. Le
deuxième exemple constitue la Déploration sur le Christ mort en l'église de Saint-Martin-les-Vignes
œuvre de Jacques de Létain (1597-1661).
A travers la présentation des peintres-verriers de la fin du 16ème siècle, début du 17ème siècle, on
assiste à une transformation du métier : le maître-verrier ou peintre-verrier devient vitrier, maître© Association pour la conservation du patrimoine rleigieux en Alsace.
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vitrier ou peintre-vitrier ; ces artistes du début du 17ème siècle refont les inscriptions, les bordures,
travaillent à la restauration des vitraux où le verre blanc va s'imposer. Ces restaurations font suite
aux guerres de religions(1568). La peinture sur verre subsiste jusque vers 1630. On rencontre ainsi
des verreries mixtes, peintes dans le bas et verre blanc dans le haut. Il devient également courant de
recourir à des contrats d'entretien des verrières dès la fin du 16ème siècle.
Le culte des Saints entre 1400 et 1430 au Sud-Est de Bruxelles dans la région de Jodoigne a été
traité à travers une enquête menée sur cette vaste campagne où à l'époque résidaient des
communautés rurales pauvres. Près de 70 églises et institutions religieuses ont ainsi été étudiées.
Aux alentours de l'an 1400 on recense 33 titulaires de saints et saintes pour 70 paroisses dont Marie
représente 20 %, Martin 16 % et Pierre 13 %. Dans les chapelles on recense le nom de Marie à 31
%. La période des croisades fait apparaître des saints orientaux tels Jean le Baptiste, Catherine,
Marguerite, Nicolas, … Vers 1500 on rencontre dans les chapelles des saints de la famille du
Christ ; de même une dévotion récente fait appel aux saints protecteurs et guérisseurs, apparition du
culte de saints en groupe comme les 14 saints protecteurs (Gruppenkult). Après 1500, se répand la
dévotion à sainte Anne Trinitaire (représentation des trois personnages: Anne, mère de Marie,
Marie et l'Enfant Jésus). Les années 1600 se caractérisent par un statu-quo des titulaires des
paroisses, les chapelles voient apparaître saint Roch, le patron invoqué contre la peste
(Pestpatrone). A cette période, l'influence des Jésuites amène le culte de la Sainte-Trinité et du
Saint-Nom-de-Jésus. Dans la région on note également le culte à sainte Gertrude (accompagnée de
son rat). Vers le début du 17ème siècle apparaissent les saints théologiens, docteurs de l'Eglise, et
mystiques représentés plutôt sous la forme de tableaux qu'à travers des statues. C'est l'image
imposée par le clergé en application de la réforme amenée par le concile de Trente. On notera
également l'apparition de saint Joseph dans l’iconographie à partir du début du 17ème siècle.
Plusieurs intervenants ont présenté des artistes locaux ou nationaux. Ainsi au 17ème et 18ème siècles
la dynastie des Tournié, peintres et sculpteurs locaux exercent leur art dans le Nord du Quercy et du
Périgord, en particulier dans la ville de Gourdon où se suivent quatre générations.
L'architecte Victor Louis, artiste et décorateur, constructeur d'espaces sacrés se révèle à travers
quatre œuvres. Deux bâtiments dans le 11ème arrondissement de Paris, dont la chapelle des Âmes du
purgatoire (église Sainte-Marguerite) avec son décor en trompe-l'œil (peinture où les objets sont
représentés avec une vérité qui fait illusion) réalisé par le peintre Briard (tableau de 1761) ; c'est la
première chapelle basilique en France (1760); le chœur de la cathédrale de Chartres avec son
nouveau jubé et le retable; et l'église Saint-Eloi à Dunkerque où l'on mesure son exceptionnelle
capacité d'adaptation quant à l'agrandissement de l'église existante. On a noté la remarquable
présentation de René-Michel dit Michel-Ange Slodtz, né à Paris (1705-1764) dans le cadre du
réaménagement du chœur de la cathédrale de Bourges au 18ème siècle où l'on ne parle de lui que par
le fait qu'il a fait enlever le jubé, alors que cet artiste a créé dans cet édifice un dispositif liturgique
de premier ordre. La rénovation en cours (sous l’égide de Patrick Ponsot, ACMH) se place dans sa
continuité.
La dernière journée était consacrée aux aménagements des églises.
Le souci de la décence (dignité extérieure) est le thème récurrent dans le cadre de l'aménagement
des églises paroissiales dans le diocèse d'Orléans. C'est grâce aux procès-verbaux des visites
pastorales où l'on propose des solutions menant à cette décence. Ainsi dans un registre de 1707 tenu
par le marguillier (membre d'un conseil de fabrique, chargé d'administrer les biens d'une paroisse)
on relève le souci d'uniformiser l'espace. Les principaux marqueurs mis en place ont des
conséquences sur la structure intérieure de l'église. Les bancs et stalles doivent présenter une
uniformité de style et un alignement ordonné, le pavage va du chœur carrelé à la nef pavée, une
grille est mise en place entre le chœur et la nef (voir et entendre), l'axe central doit présenter
l'ouverture du chœur, le mobilier : maître-autel, chaire au début du 18ème siècle, le rallongement des
églises interviend souvent vers la fin du 17ème siècle. On assiste également à une différenciation
© Association pour la conservation du patrimoine rleigieux en Alsace.
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entre la ville et la campagne. A la campagne, on trouve des statues, des retables, tandis qu'à la ville
les tableaux et les autels-tombeaux dominent. Mais plus tard cet écart est compensé par l'influence
de l'arrivée de l'artisan de la ville qui procéde aux aménagements dans les campagnes.
Le financement est assuré par le bénéfice sur le compte (où le marguillier garde l'argent), les quêtes,
(ordinaires et exceptionnelles). La fin du 17ème siècle voit une baisse des quêtes ordinaires au profit
des quêtes exceptionnelles qui sont en hausse. Le 18ème connaît l'instauration de la location des
bancs par adjudication viagère (à vie) puis par la location à l'année, système d'enchère nettement
plus lucratif. Le marguillier est alors tenu d’assumer une gestion rigoureuse : il ne garde plus
l'argent par-devers lui, les recettes et les dépenses sont planifiées. L'autorité ecclésiastique, lors des
visites pastorales, propose ou impose des délais pour la réalisation d'actions où les laïcs ont un rôle
d'acteurs, étant même susceptibles de refuser ces sollicitations. Ce fait amène une liberté de
circulation dans l'église, avec la suppression des enterrements dans le sol de l'église, la suppression
des dossiers hauts des bancs (uniformité), le surélèvement de l'autel (vision), l’apparition des
chantres et des bedeaux (ordre) : au final, la décence se différencie du mystère en ce sens qu'elle
apporte utilité, prestige.
Une communication a porté sur les sièges, bancs et bancs d'œuvre (réservés aux marguilliers) à
Paris entre 1680 et la Révolution. Le conseil de fabrique est dirigé alors par le 1er marguillier, plus
tard remplacé par le curé devenant à son tour le 1er marguillier. Les bancs apparaissent à Paris au
début du 16ème siècle, avec une juxtaposition vers la fin du 17ème siècle des bancs et et des chaises.
Les bancs sont loués annuellement puis pour 3, 6 ou 9 ans. Avant la Révolution, les bancs ont
disparu au profit des chaises louées à chaque office ou pour chaque sermon. Aux cérémonies du
Vendredi-Saint les prix s'envolent !
Pourquoi a-t-on remplacé les bancs par des chaises ? D'une part le banc était perçu comme un signe
d’appartenance à un rang social (les portillons des bancs étaient fermés à clé), d'autre part
l’hygiénisme naissant le condamne car il est réputé comme étant sale. Les chaises, en revanche, sont
perçues comme plus pratiques (elles sont mobiles) et plus rentables (leurlocation permet
d'augmenter les revenus).
Autre meuble incontournable : le confessionnal (sorte de guérite où se met le prêtre pour entendre le
pénitent). Avant le 15ème siècle, le pénitent s'agenouille devant le clerc ; il n'y a pas de lieu
spécifique. Vers 1500, des illustrations montrent un meuble spécifique : un siège à accoudoir avec
une marche-agenouilloir latérale. Ce dispositif apparaît dès 1366, à Florence, à Sainte-MarieNovelle : le pénitent est placé latéralement, ce qui évitele risque de contact direct des visages.
Avant le concile de Trente, la confession est visible par tous, devant la communauté, tandis que le
confessionnal détruit le rituel, la gestuelle : la visibilité est réduite à néant par le clôt du meuble.
Cela va de pair avec la définition du concile de Trente qui définit le rôle du confesseur comme juge.
Le confessionnal devient alors une chambre privée avec portes frontales et décor souvent inspiré du
fils prodigue.
Plusieurs visites ont agrémenté le colloque : visite nocturne de la cathédrale de Troyes en
compagnie de l'évêque Marc Stenger et de Dominique Roy, recteur de la cathédrale, qui nous ont
présenté les réalisations et les projets, en particulier le futur autel de la cathédrale qui sera l'œuvre
de Jean Kiras. Cette visite nocturne nous a permis d'admirer l'architecture de l’édifice sous un
éclairage merveilleux et d'apprécier un concert d'orgue présenté par l'organiste titulaire de l'église
de Nogent-sur-Seine.
Seconde visite commentée : les verrières de la cathédrale et de l'église Saint-Nizier par Françoise
Perrot qui nous fit découvrir l'école troyenne du vitrail des 16ème et 17ème siècles. In fine, Mathieu
Lours a présenté l'église Sainte-Madeleine et son jubé.
Georges Meyer
© Association pour la conservation du patrimoine rleigieux en Alsace.
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