RHODES ET LA VICTOIRE DE SAMOTHRACE

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RHODES ET LA VICTOIRE DE SAMOTHRACE
Date : 01/11/2014
Pays : FRANCE
Page(s) : 36-37
Rubrique : Dossier Rhodes
Diffusion : (30200)
Périodicité : Mensuel
Surface : 165 %
RHODES ET LA VICTOIRE DE SAMOTHRACE
Emblème du musée du Louvre, cette
fascinante sculpture vient de Rhodes,
portant à travers l'espace et le temps la
mémoire de batailles navales.
exacte, un siècle plus tard, dans le cadre
d'examens menés en laboratoire.
En 1931, Hermann Thiersch soutint que le
monument de la Victoire était une com
mande des Rhodiens, commémorant une
Le sanctuaire d'Athéna Lindia sur l'acro
pole de Lindos a été exhumé par des
archéologues danois au début du XXesiè
cle, quand Rhodes faisait encore partie
de l'Empire ottoman.
Lesfouilles mirent au jour deux importants
monuments navals : le premier était une
importante victoire navale remportée à
Sidè ou à Myonnésos en 190 avant J.-C.,
tandis que l'épigraphiste danois Christian
Blinkenberg considérait que les trois
monuments navals représentaient la tn'hé-
sculpture représentantla poupe d'un navire
de guerre, taillée danslaparoi verticaled'un
rocher, qui formait la base d'une statue en
bronze d'Agésandros, fils de Micion, réali
sée par le sculpteur Pythocritos dans les
premièresdécenniesdu IIesiècle av. J.-C.
Le second était un socle en forme de
proue de navire de guerre, qui supportait
vraisemblablement une statue de la
Victoire consacrée, d'après sa dédicace,
par les équipages de deux ou trois
navires de guerre rhodiens (trihémiolies),
à la suite d'une bataille navale remportée
sur les pirates tyrrhéniens en 265255 avant J.-C.
L'IDENTIFICATION
DU MONUMENT
Le Danois qui fouilla le site de Lindos, Karl
Frederik Kinch, fut le premier à faire le
rapprochement entre ces deux bases rhodiennes représentant des navires et la
Victoire de Samothrace.
Cet ex-voto naval, le plus important de
l'Antiquité, avait été découvert en 1863
dans le sanctuaire des Grands Dieux par
Charles Champoiseau et restauré, à partir
de 1884, pour prendre sa place définitive
au Louvre. LaVictoire, taillée dans du mar
bre blanc de Paras,est représentée à l'ins
tant précis où elle se pose, lesailes encore
déployées, à la proue d'un navire de
guerre qui constitue son socle, fait de
marbre gris-bleu, ce qui crée un vigoureux
contraste avec la blancheur de la statue.
Kinch remarqua le premier que les trois
naviresétaient faits du même matériau, le
marbre gris de Lartos, et qui formula de
ce fait l'hypothèse que la Victoire de
Samothrace provenait elle aussi de
Rhodes. L'identification de lapierre s'avéra
miolie, le navire typiquement rhodien,
nommé dans l'inscription de la proue de
Lindos. C'est ainsi qu'on admit communé
ment que laVictoire de Samothrace n'était
pas seulement une œuvre représentative
de l'école de sculpture rhodienne mais
également un ex-voto rhodien.
Au cours des dernières décennies, l'iden
tité rhodienne de l'ex-voto a été remise en
cause. Karl Lehmann, qui fouilla le sanc
tuaire de Samothrace, affirma que le
monument de la Victoire avait été com
mandé par les habitants de Samothrace
eux-mêmes à un sculpteur de leur île,
Hiéronymos, qui avait travaillé auparavant
à Rhodes. Par ailleurs, d'autres archéo
logues, en s'appuyantsur des analogiesde
facture entre la sculpture et la frise de la
Gigantomachie du grand autel de
Pergame, l'attribuèrent à la dynastie des
Attaiides ou, du moins, la tinrent pour une
œuvre de l'école de Pergame, contempo
raine de cet autel, dont on sait qu'il fut édi
fié avecla participation d'artistes rhodiens.
Naturellement, lorsqu'on changea ladata
tion de l'autel de Pergame, pour le situer
dans le deuxième quart du IIesiècle après
Jésus-Christ, on considéra qu'il fallait aussi
décaler dans le temps le monument de la
Victoire. Tel n'est pas l'avis de Marianne
Hamîaux, qui estime certes que les deux
monuments sont proches par leur facture
mais pense que la Victoire de Samothrace
est antérieure à l'autel de Pergame. Parail
leurs, elle attribue sa baseà un atelier rho
dien. D'autres chercheurs rattachent le
monument à la dynastie des Antigonides,
qui avaient la haute main sur le sanctuaire
des Grands Dieux, tandis qu'on a récem
ment émis l'idée que laVictoire avait été
consacrée par un gouverneur romain,
après que Persée eut été écrasé, en 168
avant J.-C, à la bataille de Pydna. L'argu
ment essentielpour détacher de Rhodes la
statue est que la production de cette île,
en matière de sculpture, consiste en sta
tues de bronze plutôt qu'en statues de
marbre, lesquellessont d'ailleurs de petite
taille dans l'ensemble.
DES PROUES DE NAVIRES
Pourtant, un nombre significatif de
proues de navire, toutes fabriquées en
marbre de Lartos, ont été retrouvées à
Rhodes ou sont liées à l'État rhodien.
Ces proues présentent les mêmes parti
cularités d'équipement et donnent à voir
le même type de navire de guerre, dont
le signe distinctif est la caisse de rames,
c'est-à-dire la partie rectangulaire qui, à
l'image d'un balcon, dépasse de part et
d'autre des flancs du navire et dans
laquelle prenait place la rangée supé
rieure de rameurs. En dehors des monu
ments de Lindos, proviennent également
de Rhodes : une proue figurée dans la
partie supérieure d'un autel funéraire
cylindrique, un éperon de navire de
guerre, trois composantes d'une grande
proue et une petite proue votive qui vient
du sanctuaire de Zeus Atabyrios. Une
proue de marbre, avec les débris de sa
caisse de rames, provient de l'île voisine
Cos, tandis qu'une autre proue a été
retrouvée en 2007 à Nisyros, île qui,
depuis 200 avant J.-C, appartenait à
l'État rhodien. On rattache également à
Rhodes le monument de Scylla, dans la
grotte de Tibère à Sperlonga, en Italie,
qui eut œuvre des RhodiensAgésandros,
Athénodoros et Polydoros et qui repré
sente la poupe d'un navire de guerre.
Inversement, les proues de pierre en pro
venance d'autres régions du monde anti
que sont moins nombreuses et surtout
présentent des caractéristiques diffé
rentes. Laplus importante est la proue de
l'Agora de Cyrène, en Libye, qui suppor
tait une statue d'Athéna Nikè et que l'on
date du milieu du III*siècle avant J.-C.
CES GRANDS DIEUX,
PROTECTEURS DES MARINS
Le monument emblématique de la Vic
toire a été consacré dans le sanctuaire
des Grands Dieux, qui ont part à la pro-
Tous droits de reproduction réservés
Date : 01/11/2014
Pays : FRANCE
Page(s) : 36-37
Rubrique : Dossier Rhodes
Diffusion : (30200)
Périodicité : Mensuel
Surface : 165 %
tection des marins. On considérait
nement que l'initiation
Samothrace protégeait
certai
aux mystères de
du péril en mer.
du monu
qu'il ne s'agit pas de l'ex-
désormais la maîtresse absolue de l'Egée.
La consécration de monuments imposants
à des fins de propagande
n'était pas
La taille et la qualité artistique
inconnue à Rhodes. Le fameux Colosse,
ment indiquent
tout comme le quadrige d'Hélios, œuvre
de Lysippe, dans le sanctuaire panhellé-
voto d'un particulier
mais de l'offrande
d'un Etat ou d'un royaume de la période
hellénistique, pour le sanctuaire panhellénique des Cabires.
nique de Delphes, avaient été consacrés
un siècle auparavant, à la suite de la résis
tance victorieuse des Rhodiens, pendant
Rhodes, grâce à sa position avantageuse
au carrefour des routes maritimes les pius
III' siècle
fréquentées, était devenue, dès le
le grand siège de leur cité par Démétrios
Poliorcète, en 305-304 avant J.-C.
avant J.-C., h plaque tournante des rela
tions commerciales en Méditerranée orien
consécration
tale et convoyait de grandes quantités de
produits,
au point d'occuper
la première
place dans le commerce international
du
grain. Dotée d'une constitution démocra
tique et menant une politique extérieure
modérée, elle était organisée autour d'une
aristocratie maritime, dont les gros intérêts
économiques
dépendaient
de la sûreté
des mers. Rhodes fut la garante
de la
Nous considérons
donc que la
du monument de la Victoire
de Samothrace, à côté des
ex-votos des Ptolémées et
des Antigonides, avait pour
but de célébrer publiquement
faire reconnaître par
grâce
à sa base carac
tous,
téristique
de marbre de
et de
Lartos en forme de proue de
leur
hégémonie
navire,
navale incontestée en Egée,
au cours de la 2" décennie du
II' siècle avant J.-C.
entre les grands royaumes hellénistiques.
Mélina Fiiimonûs-Tsûpotou,
directrice honoraire
de la 22" éphorie des Antiquités
préhistoriques et classiques,
Rhodes
aux dieux de Samothrace et beaucoup de
ko'ma Samothrakiastôn, c'est-à-dire d'as
sociations à caractère religieux, confrater
GABRIEL5ENV, 1997, The Naval Aostocracy o!
rhe Heflenistic Rhodes, Aarhus
HAMIAUX M , 2007. La Victoire de Samothrace.
Pans, Rmn.
RICE E. E.. 1996, «The Rhodian Navy in the
HeHenistic Age ". dans Actes du Colloque
International ' Rhodes, 24 siècles. Rhodes, 1-5
octobre 1992. Athènes, p. 199-219.
par les Rhodiens
liberté des mers, pourchassa les pirates
avec ses vaisseaux rapides, les trihémiolies,
et lutta pour le maintien de l'équilibre
Il existait à Rhodes un sanctuaire consacré
ïTWvJSÏÏrlyl
nel et politique, dont les membres étaient
des personnes initiées au culte mystique
de Samothrace.
Au début du II» avant
J.-C, Rhodes était
parvenue à l'apogée de sa prospé
rité. Les batailles navales de Sidè
en
de Myonnésos,
190 avant J.-C, se sol
dèrent par la défaite
et
d'Antiochos
La
III.
flotte rhodienne eut un
rôle décisif dans la vic
toire des Romains, ce qui
explique pourquoi, lors du
en 188
d'Apamée,
elle
fut
large
avant J.-C,
ment récompensée.
L'État
traité
rhodien s'étendit
à la Lycie et
à la majeure partie de la Carie, jusqu'au
fleuve Méandre. A la tête de la confédé
ration des Nésiotes, depuis le début du
II5 siècle avant
Jésus-Christ, Rhodes était
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