Introduction du livre de Danièle Cogis, "Pour enseigner et apprendre l`

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Introduction du livre de Danièle Cogis, "Pour enseigner et apprendre l`
Introduction du livre de Danièle Cogis, "Pour enseigner et apprendre l'orthographe" p.7 à 9 Editions Delagrave 2005 ORIENTATIONS XXI siècle, III° millénaire; l'écriture n'a pas disparu de l'horizon, bien au contraire. Et qui dit écriture dit orthographe. Connaitre l'orthographe constitue donc un impératif, aujourd'hui comme hier. Toutes les disciplines scolaires réévaluent périodiquement leurs contenus et méthodes en fonction de nouvelles connaissances théoriques ou didactiques. Curieusement, l'orthographe fait bande à part. Son apprentissage, son enseignement, l'orthographe des élèves, suscitent des interrogations, ce qui est normal, mais surtout des passions irrationnelles, des levées d'obscurantismes, des nostalgies absurdes, des contrevérités grossières, ce qui l'est moins. Pas une rentrée scolaire sans qu'un ministre ou un « intellectuel médiatique » ne parte en guerre contre l'abandon de l'orthographe à l'école. La preuve ? Les élèves font de plus en plus fautes. Le remède ? Pas compliqué: la dictée. Réflexion bien courte, mais c'est là la spécificité du domaine. S'interroger sur la matière et sur sa transmission, se demander comment les élèves acquièrent l'orthographe, quelles sont les difficultés propres à cet apprentissage et comment tenter de les résoudre, ou que faire pour améliorer les démarches, c'est presque déjà une atteinte à une institution nationale, dont Molière aurait pu faire une scène... Je viens d'apprendre là-­‐bas, à la porte, de jolies nouvelles ; qu'on se moque ici de mes ordonnances, et qu'on a fait refus de prendre la dictée que j'avais prescrite. Voilà une hardiesse bien grande, une étrange rébellion ! Une dictée que j'avais pris plaisir à composer moi-­‐même. Inventée et formée dans toutes les règles de l'art. Et qui devait faire dans les copies un effet merveilleux. La renvoyer avec mépris ! C est une action exorbitante ! Un attentat énorme contre l'Orthographe ! Un crime de lèse-­‐Tradition, qui ne se peut assez punir! Ah, les bonnes vieilles méthodes d'autrefois, quand, dans le Secondaire, on n'accueillait que ceux qui avaient surmonté l'épreuve de la dictée à l'examen d'entrée en sixième! Ah, les bonnes vieilles méthodes d'autrefois, celles qui réussissaient si bien en 1965 à mener au baccalauréat 13 % d'une génération ! Soyons sérieux. En déplorant avec constance les résultats des élèves, des publications du Ministère aux émissions de télévision, l'enseignement traditionnel d'aujourd'hui ne cesse en réalité de proclamer son impuissance ou son échec. En ne voyant de salut que dans un retour en arrière -­‐ c'était tellement mieux avant! -­‐, il frôle l'inconséquence. Cet esprit critique que les défenseurs de la tradition » réclament des élèves, dommage qu'ils n'en fassent pas davantage usage eux-­‐mêmes pour examiner les attendus de leurs jugements et de leurs recommandations. Dommage que l'immobilisme intellectuel -­‐ refaire ce qui a déjà échoué -­‐ soit la seule solution qu'ils puissent envisager pour «sauver l'orthographe». Dommage qu'ils confondent les buts et les moyens, s'obstinant à ignorer ce qu'on sait aujourd'hui des apprentissages en général et de celui de l'orthographe en particulier. Ainsi, les enseignants n'ont pas seulement à conduire un enseignement délicat, ils ont à se battre sur le front des idées toutes faites et souvent contre la mauvaise foi, loin de la sérénité dont ils ont besoin pour enseigner l'orthographe, et leurs élèves pour l'apprendre. C'est avec cet immobilisme, ces positions préjudiciables, qu'il est temps de rompre. Page 1 sur 6 Nouveau contexte, nouveaux enjeux Depuis plusieurs décennies, de très nombreux travaux de recherche ont accumulé des connaissances. Ces travaux, qui nous viennent de la linguistique et de la psycholinguistique, des théories du langage, du texte et des discours, de la didactique du français et de celle des sciences, de la psychologie cognitive, sociale, du travail ou des apprentissages, de l'histoire, de la sociologie de l'école ou du langage, dessinent de façon convergente un tout autre tableau que celui du classique chaos orthographique sans autre forme de procès. Si des problèmes existent, encore faut-­‐il les analyser avec les outils de compréhension contemporains, pas avec ceux d'hier, en tenant compte de l'école et des élèves tels qu'ils sont, dans la société telle qu'elle est. Cessons de croire au mythe de l'âge d'or ou à la baisse de niveau généralisée: ceux qui, autrefois, développaient rapidement une bonne orthographe existent toujours, ceux qui n'y parvenaient pas aussi. Mais, avec la démocratisation de l'enseignement, ces derniers apparais-­‐
sent aujourd'hui plus nombreux puisqu'ils restent dans le système éducatif plus longtemps, tandis que les premiers disparaissent dans les grands nombres. Cessons de penser que ce qui s'enseigne aisément s'apprend facilement, que ce que nous décrétons simple, sans aucun critère scientifique, est simple pour l'enfant, au déni de la réalité enregistrée par les évaluations nationales, année après année. Cessons surtout de jeter dans l'échec et la mésestime de soi des quantités d'élèves au nom d'idées fausses. Pour trop de jeunes sans formation, en effet, l'orthographe est le symbole de leur rejet de l'école, au double sens du terme: l'école les a rejetés dans une spirale négative -­‐ mauvais en orthographe, mauvais en français, mauvais élèves-­‐, et ils ont rejeté l'école et les savoirs. Inutile d'en rappeler le cout psychologique et social. Si l'orthographe n'est pas responsable à elle seule de l'échec scolaire, on ne peut la tenir totalement pour innocente, tant elle pèse dans les jugements dès le début des apprentissages, et alors même que les critères manquent de rigueur. L'orthographe du français est reconnue comme une des plus difficiles au monde. Ne peut-­‐on accorder aux enfants d'aujourd'hui le temps de la scolarité obligatoire pour l'apprendre? Écrire sans faute est le résultat d'un lent processus d'appropriation des normes de la langue écrite, où les erreurs ont une autre signification que celle qu'on leur prête ordinaire-­‐ment La maîtrise de l'orthographe n'est pas le simple résultat d'une mise en application de règles apprises par cœur, mais une affaire de réflexion et de conceptualisation, autant que de répétition ; les procédures ne s'automatisent qu'à terme. Aujourd'hui, ce processus est appréhendé pour l'essentiel. C'est l'apport le plus neuf et le plus récent de la recherche. Décisif, il ouvre de nouvelles perspectives. L'enjeu de cet ouvrage est donc de proposer des réponses aux questions récurrentes des enseignants (les premier et second degrés, telles qu'ils se les posent et nous les posent quand nous les rencontrons en formation initiale ou continue. Il est surtout de présenter une démarche d'enseignement en cohérence avec les connaissances actuelles sur l'apprentissage de l'orthographe. Il est encore de donner envie d'enseigner autrement à ceux qui le souhaitent, mais ne se lancent pas, faute de repères et d'outils suffisants. Page 2 sur 6 Pour enseigner l'orthographe Il faut d'abord cerner sa place comme une composante de l'activité d'écriture. On échappe alors à l'emprise de l'orthographe sur les activités de production écrite et leur évalua-­‐tion. Il faut ensuite connaitre son fonctionnement en tant que système d'écriture. On bénéficie d'une description linguistique qui en donne une vision plus rigoureuse que le bric-­‐à-­‐brac de règles et pseudo-­‐règles habituel. Il faut aussi connaitre la manière dont les élèves la comprennent et la mettent en œuvre. On dispose d'une représentation déjà assez précise de l'acquisition de l'orthographe au fil des années. Il faut enfin savoir comment organiser l'apprentissage des élèves pour qu' ils l'apprennent et l'assimilent. Des démarches pertinentes ont d'ores et déjà été expérimentées dans les classes. Enseigner et apprendre l'orthographe n'est pas un manuel. Il tient tout à la fois de l'ouvrage théorique, du compte rendu de séquences, du témoignage, du guide pédagogique. •
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Il s'adresse en priorité aux enseignants du cycle 3 et des premières années du collège, mais concerne également ceux qui, en amont ou en aval, doivent enseigner l'orthographe. Il s'organise autour d'orientations argumentées et de situations didactiques. Il propose de nombreux exemples de déroulement de séances et des pistes de travail. De cette manière, nous pensons pouvoir fonder le travail d'enseignement en le donnant à voir. Nous espérons rendre ainsi chacun libre de conduire le sien dans sa classe. C'est le pari que nous faisons. Parcours La première partie présente les raisons d'une mutation indispensable, qu'il s'agisse de la place de l'orthographe dans l'évaluation des écrits ou des leçons elles-­‐mêmes, ou encore des fondements linguistiques de l'orthographe qu'il est nécessaire de connaitre pour enseigner. La deuxième partie donne des clés théoriques -­‐ psychologiques et linguistiques – qui apportent un nouveau regard sur l'acquisition de l'orthographe: elle situe ainsi l'enjeu d'un enseignement renouvelé. Le parti pris de cet ouvrage est de faire connaitre largement les "idées orthographiques" des élèves: ce cheminement évitera de faire apparaître comme dogmatique ce que nous appelons une approche combinée de l'orthographe. La troisième partie détaille la démarche d'enseignement qui articule trois types de situations correspondant chacune à un objectif majeur: - comment amener les élèves à prendre en compte l'orthographe dans leurs écrits; - comment les aider à construire des connaissances orthographiques cohérentes ; -­‐ comment faire évoluer leurs représentations qui, si elles ne sont pas travaillées, font obstacle à la progression de leurs connaissances et à l'appropriation de la norme. Elle montre aussi de quelle manière une telle démarche peut produire des effets bénéfiques dans des domaines plus larges, en français et ailleurs. Page 3 sur 6 En conséquence : 1 -­‐ Si l'on souhaite accéder directement aux propositions didactiques, on commencera par la troisième partie. 2 -­‐ Si l'on souhaite avoir en priorité une information nouvelle et approfondie sur les conceptions orthographiques des élèves, on commencera par la deuxième partie; elle se présente comme une "orthographe de l'acquisition", de l'entrée dans l'écrit aux différents domaines de la langue. 3 -­‐ Si l'on souhaite d'abord faire le point sur le fonctionnement de l'orthographe sous l'angle linguistique, on commencera par le deuxième chapitre de la première partie. Remerciements Cet ouvrage est redevable d'une longue lignée de recherches théoriques et didactiques, notamment les recherches de tous ceux qui, depuis le Plan de Rénovation de 1970 jusqu'aux années 2000, ont oeuvré pour améliorer l'enseignement et l'apprentissage du français; il doit plus particulièrement pour l'orthographe au groupe LEA (Linguistique de l'Écrit et Acquisition), animé par Jean-­‐Pierre Jaffré, à la richesse de ses recherches et de ses échanges. Leurs travaux, dont seuls certains ont pu être cités, inspirent bien des analyses et des propositions qui vont suivre. Qu'ils en soient vivement remerciés. … Page 4 sur 6 Personne n’abandonne aisément une idée qu’il croit juste, qui a une efficacité suffisante
d’un point de vue probabiliste (nombre de chances) ou économique (rapport coût/bénéfice),
qui relève de l’habitude ou du sens commun, voire des sens (Le soleil tourne d’une fenêtre à l’autre de la classe).
Il faut en fait souvent renoncer à ce qui est un système de pensée au profit d’un autre,
mais ce passage ne se décrète pas de l’extérieur, il s’opère dans le sujet,
même s’il ne s’opère pas tout seul, par simple maturation.
D. COGIS – Pour enseigner et apprendre l’orthographe – p. 60
Delagrave Editions 2005
APPORTS de Mme Danièle Cogis
D. COGIS – Pour enseigner et apprendre l’orthographe – Delagrave Editions 2005
1. Quelques clarifications
1.1. Pourquoi font-ils des fautes? (p. 143, 144)
Une faute est une idée linguistique qui doit encore évoluer. Les élèves font des fautes parce qu'ils
réfléchissent.
- Soit l'E a les connaissances nécessaires pour ne pas faire de faute: la faute est liée à une surcharge
cognitive lié à la rédaction à un ancien automatisme, à un télescopage. En principe, elles sont
corrigées à la relecture. C'est une affaire de mise à distance, de temps et de vigilance.
- Soit l'E n'a encore les connaissances : ils écrivent ce qu'ils pensent être juste. Dans la grande majorité,
les Es écrivent comme ils pensent. C'est pourquoi même en copie ils font des fautes. On ne copie pas
en photographiant des suites de lettres mais en reconstituant le mot ou un segment du mot. Ceci
explique le non résultat des auto-dictées, dans le cas d'une copie ou d'une dictée préparée seule.
Moins les graphèmes ont de sens pour l'E, moins il a de chances de les voir. On ne peut observer que
ce que l'on conçoit.
1.2. Pourquoi les fautes persistent-elles? (p. 144)
Si les fautes persistent c'est que les conceptions qui en sont l'origine persistent.
L'enseignement traditionnel de l'orthographe ne s'occupe pas des raisonnements des Es. La
seule technique proposée, c'est répéter. On rappelle aux Es ce qu'ils savent mais on ne
touche pas aux conceptions. C'est pourquoi, on doit refaire chaque année les mêmes
leçons. On gaspille du temps à tenter d'évacuer les fautes plutôt que de travailler à partir
de ce que les élèves échafaudent dans leur tête.
1.3. Pourquoi n'appliquent-ils pas les règles qu'ils connaissent? (p. 145)
Contrairement à ce que les profs disent, les Es ne connaissent pas les règles. C'est pour
ça qu'ils ne les utilisent pas. Ce qu'ils connaissent c'est la partie qu'ils peuvent réciter.
Un élève qui connaît la litanie des nombres ne connait pas pour autant les naturels.
Exemple : les Es accordent le verbe mais pas forcément avec le sujet, ils utilisent la
position.
Si on creuse un peu, chaque mot de la règle est vide ou contient encore très peu de
sens construit. Tant que les Es considèrent chaque mot comme un cas isolé, ils ne
peuvent appliquer les règles que dans les exercices, où il leur est dit explicitement
quelle règle ils doivent utiliser. Chez l'E, la syntaxe se construit en même temps que
l'orthographe. Or classiquement on considère qu'ils maîtrisent la syntaxe. De plus
appliquer des règles demandent des capacités cognitives de mémoire, de raisonnement
qui ne sont là et efficaces qu'à partir d'un certain âge.
1.4. Pourquoi ne progressent-ils pas davantage? (p. 145)
Les Es progressent, mais on ne le voit pas car on mesure les fautes. Or 1 an est une période trop courte
pour voir la disparition de fautes. De plus, on a tendance à surévaluer les Es. On pense que puisqu'ils
peuvent réciter des règles ou écrire certaines formes correctement ils ont compris ce qu'on voulait. Il faut
plusieurs années pour que les écrits des Es évoluent, le temps qu'ils passent de procédures
morphosémantiques à des syntaxiques. En fait, ils progressent mais certains types de fautes durent plus
longtemps. Comment les Es pourraient-ils progresser davantage? En touchant aux causes.
Page 5 sur 6 2. Une autre perspective.
2.1. Un traitement des erreurs différent. (p. 146 à 148)
Il faut aider l'E à construire une vision structurée, hiérarchisée du système sans viser un savoir
encyclopédique. Le but n'est pas de construire toutes les variétés de formation de pluriel mais de
construire le concept de pluriel (langue), parfois différent de celui de pluralité (monde). Plus important
de savoir pourquoi une équipe ne prend pas de s que de connaître les 7 exceptions pour ou. Il faut donner
à l'E l'occasion de se tromper, de se poser des questions, de s'expliquer. En orthographe, ce qui compte
c'est le lien entre les graphies et les raisonnements qui les ont amenés car il y a 4 possibilités :
Surface du texte : graphie juste
graphie fausse graphie fausse graphie juste
Structure
Cognitive
raisonnement
faux
raisonnement
juste
raisonnement
juste
raisonnement
faux
On s'occupera des causes des graphies plutôt que de vérifier seulement leur conformité à la norme.
2.2. Un déplacement vers les processus. (p. 148, 149)
Un E qui met des s partout alors qu'avant il n'en mettait pas: bon signe. Il construit la catégorie des mots
variables en nombre. Passer du s au verbe à nt, ne sera plus qu'une petite marche à monter.
Comme ce n'est pas facile d'expliquer à de jeunes élèves des relations syntaxiques en termes syntaxiques,
le M a tendance à utiliser le sémantique (On met un s quand il y en a plusieurs). On ne sait pas faire
autrement. Or il faudra lutter contre les procédures morphosyntaxiques des Es. On a un niveau de
formulation qui correspond à des niveaux de savoirs. Il faut veiller à ce que les Es ne s'immobilisent pas
dans des procédures et des niveaux de formulation non pertinents pour leur âge.
2.3. Une modification des attentes. (p. 149, 150)
Toutes les disciplines admettent qu'il faut plus que quelques années pour atteindre un niveau d'expertise.
C'est vrai aussi pour l'orthographe. Le délai raisonnable pour la majorité des Es est toute la scolarité
obligatoire (primaire, collège et après ). Tant mieux pour les Es qui iront plus vite. L'acquisition /
apprentissage de l'orthographe est un travail exigeant, un processus continu, non linéaire et dynamique.
Enseigner sera accompagner l'E dans son trajet, trajet souvent labyrinthique.
2.4. Une autre voie. (p. 150,151)
La tradition de la leçon (règle-exercices) parachevée par la dictée est restée trop forte, enracinée dans
des conceptions d'école plus que séculaires. Ce qui est nouveau, c'est de connaître l'aspect systématique
des raisonnements des Es, qui concernent toute l'orthographe.
2.5. Un pari sensé, raisonné, raisonnable. (p. 151, 153)
Tout le monde se forge des représentations pour interpréter le monde. On manipule les objets de nos
pensées de bonne ou de mauvaise manière. Les conceptions, raisonnements des Es sont parfois obstacles
mais ils sont aussi des points d'appui. L'enjeu, ce sont leurs conceptions.
Rappel du triangle pédagogique : M – E – savoir. Le M doit organiser au mieux le rapport de l'E au savoir.
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