René BRAQUE, talentueux géographe-phytosociologue et excellent
Transcription
René BRAQUE, talentueux géographe-phytosociologue et excellent
ARRÊT SUR UN PERSONNAGE René BRAQUE, talentueux géographe-phytosociologue et excellent pédagogue. Par Roger GOUX J’ai rencontré René BRAQUE, Monsieur BRAQUE - devrais-je dire pour me replacer dans l’époque - bien avant de connaître François BUGNON puis Jean-Edme LOISEAU qui furent mes maîtres en Botanique et des amis pour finir. À diverses reprises, ma modeste voie a recoupé celle déjà notoire de M. BRAQUE. Ceci dit sans fausse modestie de ma part, car j’étais encore élève de l’école primaire quand pour la première fois je fus mis, tout à fait incidemment, en présence de cet homme. Il était venu consulter mon père à propos d’une installation électrique et je l’entendis expliquer, alors que la conversation professionnelle avait pris une tournure plus générale, que l’Amérique et l’Afrique selon la théorie de WEGENER s’étaient séparées il y a des millions d’années. M. BRAQUE était très convaincant. Effectivement le tracé des côtes, les affleurements géologiques, les faunes et les flores jusqu’à une certaine époque se correspondaient comme les pièces d’un puzzle… On était encore loin de parler de la tectonique des plaques mais l’étrangeté du propos devait rester gravée à jamais dans mon souvenir. C’est qu’en effet, avant d’avoir été ce botaniste et phytosociologue reconnu, René BRAQUE avait été géographe. Il avait même été instituteur durant quelques temps et enseigné l’allemand à L’EPS de La Charité puis était devenu professeur d’histoire géographie au Lycée de Nevers. C’est à ce dernier titre que, pour la seconde fois, ma voie recoupa la sienne : durant la seule année que j’accomplis dans ce Lycée, en classe de seconde, j’eus précisément M. BRAQUE pour professeur… Du haut de son estrade, il inspirait le respect et nul ne bronchait dans sa classe, sans qu’il n’ait jamais besoin d’élever la voix. Il nous enseignait la géographie physique et l’histoire des Temps modernes… C’est sans doute cette année-là que j’ai entendu parler pour la première fois du relief appalachien, de la morphologie karstique, des rivières conséquentes, subséquentes ou obséquentes… de la journée des dupes ou encore du complot déjoué de Cinq-Mars et de son ami de Thou. Je ne saurais oublier la clarté de ses exposés son langage riche et chatoyant… Mais pourquoi, fichtre ! ai-je retenu spécialement ce mot « rodomontade » que je n’entendis qu’une fois, venant de sa bouche, à propos de ces grands seigneurs arrogants que Richelieu ou Mazarin (?) s’efforçaient de mettre au pas. Insignifiant détail, certes, de surcroît en totale inadéquation avec le professeur. En somme, un de ces mots rares, sans usage, que l’on tient épinglé dans sa mémoire et que l’on contemple d’aventure comme un insecte de collection dans sa boîte. Sans plus… Ainsi souvent, c’est par une phrase ou un simple mot ou encore par un tic que le souvenir d’une personne s’impose à nous. Il y eut ensuite une longue éclipse dans ma relation avec ce professeur et quand je le revis, au cours de sorties botaniques communes avec J.-E. LOISEAU, j’étais bien persuadé qu’il n’avait gardé aucun souvenir de ma petite personne et a fortiori des infimes détails que je tenais de lui. Mieux valait taire ces futilités, d’autant que M. BRAQUE était d’un abord austère et qu’il restait pour moi auréolé du prestige du maître. Entre temps il avait fait son chemin. Au demeurant un brillant parcours universitaire. Professeur agrégé de géographie, il avait notamment soutenu en juin 1978 une thèse d’Etat devant l’Université René BRAQUE 51 de Clermont-Ferrand II. Plus précisément une étude de Géographie physique ayant pour sujet : la forêt et ses problèmes dans le sud du Bassin parisien. Une somme considérable d’investigations, d’observations et d’analyses consignée en 943 pages de 2 volumes plus 1 volume de figures, tableaux et planches photographiques de 532 pages. Il a montré dans cette étude « que la relation classique entre pluviométrie et relief est riche de combinaisons changeantes, en fonction du dynamisme et de la trajectoire des perturbations, et que la modestie des dénivellations n’empêche pas une vigoureuse influence de la topographie sur les régimes thermiques ». Il a surtout analysé « la réalité de l’action de la forêt comme facteur du climat » et montré comment les conditions climatiques locales et leur variation régionale interfèrent avec les propriétés du sol et du sous-sol pour expliquer les différences dans le manteau végétal, en particulier entre Berry et Nivernais. Il a conservé une large place à la Chorologie « en prenant soin de la relier aux données écologiques actuelles – environnement climatique et édaphique – et en s’efforçant de la situer, quand cela était possible, dans une perspective paléobotanique » grâce à la documentation palynologique disponible. Ainsi a-t-il souligné la confluence, dans le sud du Bassin parisien, des influences atlantiques, médio-européennes et méridionales, le plateau nivernais constituant, à cet égard, « un échelon d’appauvrissement entre domaine atlantique et domaine médioeuropéen ». Assurément la prospection du terrain lui a permis d’enrichir la connaissance floristique de la région, à la fois dans une perspective chorologique et surtout sociologique en distinguant, par exemple, plusieurs associations au sein des chênaies-charmaies et des chênaies-hêtraies-charmaies, en fonction de leur caractère thermo-basophile, neutrocline à acidocline ou acidocline-acidiphile… Pour remarquable que fut l’apport de cette thèse à la connaissance fondamentale du milieu forestier dans le sud du Bassin parisien, son mérite eut été moindre sans la prise de conscience qu’elle a suscitée de la part des décideurs forestiers de concevoir une gestion plus écologique de leur patrimoine. C’est ainsi à l’initiative de R. BRAQUE, conjointement avec d’autres concours, que fut entreprise la restauration de la tourbière de Prémery et la mise en valeur de son remarquable environnement. C’est par la géographie et plus précisément la phytogéographie, comme on le voit, que René BRAQUE est venu à la Botanique et, par une inclination plus affirmée, à la Phytosociologie. En ce domaine, il eut à ses débuts un conseiller éprouvé, en la personne de J.-E. LOISEAU (qui d’ailleurs fit partie de son jury de thèse). Les deux hommes se connurent bien avant la soutenance de la thèse et avaient déjà cosigné plusieurs publications parmi lesquelles je retiendrai : une Contribution à l’étude de la flore et de la végétation du Centre de la France, et une Note sur les Forêts alluviales intéressantes du cours moyen méridien de la Loire et de l’Allier. Leur association se poursuivit durant plusieurs années encore. Ils publièrent en commun, entre autres, une excellente étude sur les Pelouses et ourlets du Berry. Toutefois leurs prédilections différant sensiblement, J.-E. LOISEAU focalisa préférentiellement ses recherches sur le milieu ligérien tandis que R. BRAQUE s’intéressa davantage à la flore et aux végétations des pelouses calcicoles et des forêts thermophiles établies sur les terrains sédimentaires du sudest du Bassin parisien. Le cortège floristique d’espèces méridionales thermophiles contournant le Massif central par l’ouest que l’on suit d’îlots en îlots à travers le Poitou et le Berry et qui se raccorde partiellement par l’intermédiaire du Donziais à un cortège bourguignon similaire, 52 Roger GOUX Rev. sci. Bourgogne-Nature - 12-2010, 51-53 issu, lui, d’une pénétration par l’est, le long de la voie rhodanienne, une telle configuration constituait un champ d’investigations fructueux et inépuisable. R. BRAQUE limita sa contribution à l’étude de quelques îlots relictuels en Donziais et Clamecycois, réservant au Berry la part la plus large de ses recherches. « Les petits causses de la Chapelle-SaintUrsin – Morthomiers et de Dun-sur-Auron, avec leur couverture de pelouses, d’ourlets, de fruticées et de bois plus ou moins thermophiles » sont parmi les lieux qu’il parcourut le plus longuement, au cours d’une quarantaine d’années. « Les étonnantes friches calcaires du Berry » lui permirent de décrire « des ensembles végétaux inédits et signifiants » ; en tout cas d’un grand intérêt scientifique à l’échelle européenne. Hélas ! Il eut la tristesse d’en mesurer le grignotage progressif, sous la pression agricole, voire urbaine ou industrielle. Au fil des ans, les pelouses, les haies, les incultes d’une façon générale firent place à des champs de céréales ou de colza, à des autoroutes, à des installations industrielles…Adieu la biodiversité !! « Malgré les mises en garde, écrivait-il, les destructions se sont poursuivies. Des pertes irrémédiables ont été enregistrées ». Ainsi les forêts thermophiles, les marais basiclines tels ceux de Marmignole, de la Vauvise ou de Contres qui hébergeaient nombre d’espèces rares ont été asséchés. « Tout espoir est-il perdu désormais – s’interrogeait-il à la fin de son étude – de sauvegarder le reliquat des richesses naturelles berrichonnes ?» Peut-être que la prise de conscience, malheureusement tardive, du rôle essentiel dévolu à la biodiversité dans la pérennité des écosystèmes et, en corrélation, la mise en œuvre de projets de sauvegarde à l’échelle européenne répondront-ils à cet espoir ? Si j’ai bon souvenir, je n’ai participé, en tout et pour tout, qu’à quatre sorties avec M. BRAQUE. Trois sorties conjointement avec M. LOISEAU et à l’initiative de celui-ci, en des stations que j’avais remarquées pour leur intérêt, et une quatrième se déroulant sur plusieurs journées, dans le cadre de la 23e Session extraordinaire de la Société Botanique de France, en Berry – Nivernais – Puisaye – Pays de Tronçais (juin 1991). René BRAQUE en assumait l’organisation. Cela m’a donné l’occasion d’apprécier sa connaissance des paysages et des végétations, son autorité naturelle à diriger un groupe et son sens inné de l’organisation. C’est aussi à cette occasion que je vis pour la première et dernière fois Madame BRAQUE. Elle était chargée de l’accueil et de l’hébergement des participants. Je n’eus pas le loisir d’apprécier ses qualités que beaucoup lui reconnaissaient de gentillesse, bonne humeur et indéniable talents à réaliser des croquis malicieux ainsi que le rappelle mon ami J.-C. FELZINES dans l’hommage qu’il rend à René BRAQUE dans le Bulletin de la Société Botanique du Centre-Ouest, nouvelle série - Tome 40, 2009. Madame Braque, hélas !, devait décéder huit années plus tard, en mars 1999, des suites d’une longue maladie, sans que j’eusse l’occasion de la revoir. Mais en ce jour de juin 1991, elle débordait de dynamisme. C’est elle qui, dans le car, nous signala en traversant le petit village de Chamery, près de Châteauneuf-Val-de-Bargis, que c’était là le lieu de naissance de son mari … N’étant pas un familier de M. BRAQUE, je ne le revis qu’aux obsèques de sa femme. Je sus pourtant qu’il fit montre d’un grand courage tout au long de cette épreuve, sans rien laisser paraître de sa profonde affliction. Le soutien de ses enfants et son inextinguible passion pour la botanique lui tinrent lieu de viatique pour aller au bout de sa route. Durant cette période, il rédigea notamment pour la Camosine , les Annales des pays nivernais une excellente étude de vulgarisation sur la forêt et ses abords dans le Nivernais occidental. Qu’il s’agisse d’études destinées à des spécialistes ou, comme dans le cas présent d’articles visant un large public, René BRAQUE savait mettre en œuvre , en tout cas , une pédagogie adaptée, tant dans son écriture que dans la qualité de ses croquis ou le choix de ses photos. En 2001, il publia encore pour la SBCO Les friches du Nivernais. Pelouses et ourlets des terres calcaires ; sa dernière publication importante, à ma connaissance. Son état de santé fléchissant il s’ensuivit une hospitalisation qui lui interdit finalement de mener à bien les recherches qui occupaient son esprit. Monsieur Braque s’éteignit le 2 octobre 2008, dans sa 89e année. Bien que mon chemin ait recoupé sa voie à diverses reprises sur une longue distance, je ne saurais me prévaloir d’une véritable connaissance de l’homme. Sans doute parce qu’il n’invitait pas d’emblée à la familiarité et que son intelligence et son érudition inclinaient davantage à la déférence. Les personnes qui l’ont mieux connu tel J.-C. FELZINES sont unanimes cependant à reconnaître beaucoup de bienveillance à l’égard d’autrui et un respect du point de vue de son interlocuteur. Pour tous ceux qui le connurent et l’apprécièrent, René BRAQUE restera Monsieur BRAQUE, un talentueux géographe-phytosociologue, doublé d’un excellent pédagogue. René BRAQUE 53