Triste ou déprimé ?
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Triste ou déprimé ?
Triste ou déprimé ? La dépression n'ayant plus de limites bien définies, personne, y compris les médecins, ne s'y retrouve. Des gens très déprimés, qui devraient être traités, ne se reconnaissent pas comme malades et ne consultent pas ; d'autres, tristes ou fatigués, se retrouvent sous traitement. Par Martine Laronche, lemonde.fr du 18/09/2010 On dit de moins en moins "Je suis triste", mais "Je suis déprimé". Une rupture sentimentale, un problème professionnel, et l'on risque la prescription d'antidépresseurs. "En France, le discours sur la dépression confond sous le même terme une pathologie grave (c'est-à-dire une maladie), une souffrance, un trouble d'adaptation et un malaise", considère Alain Gérard, psychiatre et auteur de "Dépression, la maladie du siècle" (Albin Michel, 230 p., 16 euros). "A l'adéquation simple : les médicaments antidépresseurs sont prescrits pour soigner la dépression maladie, s'est substitué un espace flou à dimensions variables où de nouvelles configurations liées aux modes ou aux idéologies se dessinent", écrit-il. La dépression n'ayant plus de limites bien définies, personne, y compris les médecins, ne s'y retrouve. Des gens très déprimés, qui devraient être traités, ne se reconnaissent pas comme malades et ne consultent pas ; d'autres, tristes ou fatigués, se retrouvent sous traitement. "Au cours des années 1990, les dépenses en antidépresseurs ont augmenté de 600 % aux Etats-Unis, en dépassant les 7 milliards de dollars par an, en 2000, soulignent Jerome C. Wakefield, professeur à la faculté de médecine de l'université de New York, et Allan V. Horwitz, professeur de sociologie à l'université Rutgers (New Jersey), dans « Tristesse ou dépression ? Comment la psychiatrie a médicalisé nos tristesses « (Ed. Mardaga, 378 p, 32 euros). Les auteurs considèrent que le diagnostic actuel de la dépression est trop large et tend à "pathologiser" les réactions normales d'abattement apparaissant lors de certaines situations de vie difficiles. La tristesse est un sentiment normal quand il est consécutif à un événement lié, le plus souvent, à un sentiment de perte (emploi, conjoint, promotion, etc.). "Elle est à peu près proportionnelle à la perte qui la provoque ; elle tend à prendre fin quand la situation se termine, ou diminue progressivement au fur et à mesure que les mécanismes de défense adaptent l'individu à de nouvelles circonstances et font revenir un équilibre psychologique et social", indique Wakefield et Horwitz. Faire la distinction entre ces deux notions peut permettre une prise en charge mieux adaptée en fonction des causes. Souvent, dans la tristesse non dépressive, les personnes restent réactives à leur environnement et capables de ressentir des sensations agréables. Mais pas toujours, la triade - tristesse, inhibition psychomotrice, désintérêt - qui caractérise les dépressions peut être présente. "La perte violente d'un être cher, une fatigue extrême miment terriblement la dépression, considère Alain Gérard. Parfois le diagnostic est difficile à établir et je demande au patient de revenir une seconde fois." Car on ne traite pas de la même façon un patient abattu et une personne vraiment dépressive pour qui les médicaments sont utiles. "Il est parfois plus facile de traiter un déprimé authentiquement malade qu'une personne rencontrant des difficultés d'adaptation transitoire, écrit Alain Gérard. Parce qu'il faut en effet l'écouter, la conseiller et la revoir chaque semaine, parfois une demi-heure ou plus." Confrontés à la demande des patients - "Docteur, je fais une dépression" - et surtout à une maladie aux contours flous, médecins généralistes et psychiatres auraient tendance à prescrire trop vite. "Contrairement aux personnes déprimées, celles qui sont anxieuses ou tristes parlent facilement de leur malaise, et se voient prescrire des molécules antidépressives dont elles pourraient se passer", assure le psychiatre. L'auteur de "Dépression, la maladie du siècle" voit un piège dans la classification des dépressions (légère, modérée et sévère). "Alors que les recommandations de la Haute Autorité de santé réservent les antidépresseurs aux dépressions sévères et modérées, il est difficile d'expliquer à un patient atteint d'une dépression légère qu'il n'en a pas besoin", explique-t-il. A cela s'ajoute une dérive sociale : la nécessité d'être toujours performant et en forme. Une femme que son mari a quittée demande à son médecin de la mettre sous antidépresseur, par peur de s'effondrer. Une autre, de 85 ans, est sous Prozac depuis dix ans alors qu'elle va très bien. "On ne prend plus seulement un antidépresseur parce qu'on est déprimé, on le prend parce qu'on a envie d'améliorer son humeur. Cela ne relève plus d'un traitement, mais du dopage", commente André Comte-Sponville, philosophe, auteur du Goût de vivre et cent autres propos (Albin Michel, 408 p., 20 euros). L'apparition, en 1987, de médicaments antidépresseurs avec moins d'effets secondaires (les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine), a contribué à l'augmentation des prescriptions. "Il y a une espèce de devoir d'être heureux qui tend à considérer toute souffrance comme anormale. La civilisation a tendance à faire de la santé le but ultime, et de la médecine la discipline reine", poursuit le philosophe. "La science nous donne de plus en plus le contrôle de nos états émotionnels, et nous allons bien devoir nous demander si la tristesse profonde, intense, est une part de nos vies ou si elle doit être bannie", concluent Wakefield et Horwitz. Reconnaître la tristesse ne revient pas à renvoyer les gens à y faire face seuls, mais à les aider à passer une période douloureuse transitoire, sans pour autant les considérer comme malades. Dépression et travail : thème d'une Journée européenne Le 19 octobre 2011 a eu lieu la 8e Journée européenne de la dépression, à l'initiative de l'organisation European Depression Association. Cette manifestation, organisée en France par l'Association France dépression, composée de patients, de membres de leur entourage et de professionnels de la santé, aura pour thème "Dépression et travail". En 2020, prévoit l'Organisation mondiale de la santé, cette maladie sera la deuxième cause mondiale d'invalidité, après les maladies cardio-vasculaires. En France, les dépenses d'antidépresseurs remboursés par l'assurance-maladie ont atteint 572,5 millions d'euros en 2008. http://www.inserm.fr/zoom/8eme‐journee‐europeenne‐de‐la‐depression