L`appartenance des termes «couleur locale » et « exotisme » à une
Transcription
L`appartenance des termes «couleur locale » et « exotisme » à une
Minerva Access is the Institutional Repository of The University of Melbourne Author/s: Kapor, Dr Vladimir Title: Exotisme et couleur locale – essai d’une analyse constrastive des champs sémantiques respectifs Date: 2003 Citation: Kapor, Dr Vladimir (2003) Exotisme et couleur locale – essai d’une analyse constrastive des champs sémantiques respectifs, in Proceedings, France and the Exotic, University of Birmingham, UK. Publication Status: Unpublished Persistent Link: http://hdl.handle.net/11343/34666 File Description: Exotisme et couleur locale – essai d’une analyse constrastive des champs sémantiques respectifs Terms and Conditions: Terms and Conditions: Copyright in works deposited in Minerva Access is retained by the copyright owner. The work may not be altered without permission from the copyright owner. Readers may only download, print and save electronic copies of whole works for their own personal non-commercial use. Any use that exceeds these limits requires permission from the copyright owner. Attribution is essential when quoting or paraphrasing from these works. Vladimir Kapor, Université « Charles-de-Gaulle », Lille-III, France. Exotisme et couleur locale – essai d’une analyse constrastive des champs sémantiques respectifs L’appartenance des termes «couleur locale » et « exotisme » à une même constellation lexicale est de nos jours perçue d’une façon tellement intuitive, que la critique ne semble pas se préoccuper de circonscrire avec précision leur champ sémantique, ni celui de leur application. Le problème d’une délimitation terminologique précise est en réalité plus large, puisqu’il se pose pour toutes ces notions qu’Antoine Compagnon désigne comme des concepts « pré-théoriques », nées à l’époque où la terminologie n’était pas considérée comme un système, mais plutôt comme un glossaire des appellations utilisées. Pour les termes en question la difficulté est d’autant plus grande que les deux lexèmes ont fait leur entrée dans le vocabulaire commun, dépourvus de connotations terminologiques spécifiques. C’est pourquoi j’ai choisi de me pencher sur l’évolution sémantique des deux termes dans une analyse qui se voudra contrastive et diachronique, pour essayer d’esquisser brièvement les imbrications souvent complexes et subtiles des champs sémantiques des deux termes au cours de leur longue évolution, en me bornant ici à leur signification dans le domaine de la terminologie littéraire. Ce faisant j’espère contribuer à un déblaiement du terrain terminologique des valeurs intuitives attachées souvent aux « concepts pré-théoriques », en signalant les connotations spécifiques dont ils étaient dotés à un stade précis de leur évolution, ce qui pourrait apporter une contribution à la meilleure compréhension de leurs significations respectives dans un contexte historique donné. Malgré l’opinion reçue voulant que le terme « couleur locale » soit un concept né avec la poétique du romantisme français, la plupart des sources critiques font remonter sa création à l’époque du classicisme 1 : il s'agit, en réalité, d'un emprunt au langage pictural 1 Cf. F. Brunot: Histoire de la langue française, Tome VI, Première partie, Paris, A. Colin, 1968, Bloch et Wartburg: Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, PUF, 1996… 1 présent dès la fin du XVIIe siècle dans les traités de peinture. 2 Le premier cas attesté de l'emploi littéraire est celui relevé par Emile Malakis3 dans un passage d'Eloge de Racine de La Harpe, consacré au Bajazet (1772):"C'est là sans doute, posséder la science des couleurs locales, et l'art de marquer tous les sujets d'une teinte qui avertit toujours le spectateur du lieu où le transporte l'illusion dramatique" 4 . La façon spontanée dont La Harpe s'en sert, sans souci de définir son néologisme littéraire, permet à Malakis d'émettre l'hypothèse que cette occurrence n'est pas peut-être le tout premier cas de son emploi littéraire, mais il conclut toutefois que "this transfer, however could not have occurred much earlier, for it is in the second half of the eighteenth century that the ‘critique d’art’ was popularized and the painter’s idiom infiltrated the literary domain" 5 . A la fin du XVIIIe siècle, j’ai relevé d’autres occurrences de ce terme chez La Harpe et Sébastien Mercier, toujours attachées au domaine de la création dramatique. C’est au début du XIXe siècle qu’il est possible de constater une occurrence plus forte du terme qui s’applique désormais également à la poésie et à la prose dans le discours critique des articles parus dans les revues telles que le Conservateur littéraire et le Globe. A part le sème de spatialité perçu intuitivement dans l’adjectif « local », le terme se dote également d’une dimension temporelle, introduite définitivement avec l’essor du roman historique à la Walter Scott, le drame romantique et les travaux des historiens narrativistes. 6 Une institutionnalisation définitive du terme est marquée par son 2 Les premières occurrences dans le domaine français, relevées par Brunot datent de 1699. Il s'agit des passages suivants de l'Idée du peintre parfait de Robert de Piles: la couleur locale "n'est autre chose que celle qui est naturelle à chaque objet, en quelque lieu qu'il se trouve, laquelle le distingue des autres, et qui en marque parfaitement le caractère"2 et plus loin: "celle [la partie] du coloris étoit absolument ignorée et dans la couleur des objets en particulier, qu'on appelle Couleur Locale et dans l'intelligence du Clairobscur ») 3 E. Malakis, "The First Use of couleur locale in French Literary Criticism (?)", Modern Language Notes, LX (1945), pp. 98-99. 4 Oeuvres complettes de Jean Racine avec le commentaire de M. de La Harpe, Tome I; A Paris, chez M. Agasse, imprimeur-libraire, 1807. p 129. 5 "This transfer, however could not have occurred much earlier, for it is in the second half of the eighteenth century that the 'critique d'art' was popularized and the painter's idiom infiltrated the literary domain"; Malakis, op. cit. pp. 98-99. 6 Pour le sème de temporalité, voir par exemple le résume du roman historique Julia ou l’an 492 : « Quand on raconte des événements anciens avec le projet de les rendre présents à l'esprit des lecteurs, non seulement il faut éviter les tournures des phrases modernes, mais encore les expressions qui ne pourraient être d'usage dans les temps dont on veut réveiller les souvenirs... c'est pour cela qu'il est bon de mettre de l'imagination dans son style quand on le peut, avec de l'imagination on donne a tout ce qu'on veut peindre cette couleur locale qui seule complète l'illusion « (Le Journal des Débats, le 21 avril 1822) 2 occurrence dans deux textes critiques très importants considérés souvent comme des ‘arts poétiques’ de la nouvelle école romantique : La Préface de Cromwell de Victor Hugo de 1827 et le texte de Benjamin Constant A l’occasion d’une tragédie allemande de M. Robert, intitulée ‘Du pouvoir des préjugés’ de 1829. La victoire de la poétique de la nouvelle école est suivie par la première inclusion du mot dans sa connotation littéraire, dans le dictionnaire de Boiste en 1834, et enfin dans la VIe édition du Dictionnaire de l’Académie française qui date de 1835. On peut considérer qu’à cette époque le terme atteint sa signification « classique », telle qu’elle est analysée par Jan Kamerbeck dans son article du Dictionnaire international des termes littéraires dirigé par Robert Escarpit 7 . Kamerbeck, auteur d’une monographie consacrée à la couleur locale, parue en 1962 8 , définit le terme par la co-présence de trois sèmes caractéristiques : celui de la spatialité, celui de la temporalité et celui de la centralité 9 . La signification de ce dernier est illustrée à merveille par la métaphore de l’arbre employé par Hugo dans son passage célèbre de la Préface de Cromwell : On conçoit que, pour une œuvre de ce genre, si le poète doit choisir dans les choses, ce n’est pas le beau, mais le caractéristique. Non qu’il convienne de faire comme on dit aujourd’hui de la couleur locale ; c’est-à-dire d’ajouter après coup quelques touches criardes ça et là sur un ensemble du reste parfaitement faux et conventionnel. Ce n’est point à la surface du drame que doit être la couleur locale, mais au fond, dans le cœur même de l’œuvre, d’où elle se répand au dehors d’ellemême, naturellement également, et pour ainsi parler, dans tous les coins du drame, comme la sève qui monte de la racine à la dernière feuille de l’arbre. Le passage d’Hugo nous permet également d’attirer l’attention sur un autre phénomène : dans la première moitié du XIXe siècle déjà le terme est souvent doté d’une connotation péjorative, et c’est la raison pour laquelle la définition hugolienne se veut ouvertement normative. Ainsi, on dénonce souvent les effets néfastes de la négligence du sème de « centralité », qui réduisent la couleur locale à des effets de style hypertrophiés, 7 Dictionnaire international des termes littéraires, sous la direction de Robert Escarpit, Bern, Francke, 1987, pp. 397-398. 8 Jan Kamerbeck jr, Tenants et aboutissants de la notion ‘couleur locale’, uitgave van het instituut voor vergelijkend literatuuronderzoek aan de rijksuniversiteit te Utrecht, 1962. 9 « Couleur locale - « l’art de représenter, soit en peinture, soit dans une composition littéraire ou musicale certains détails caractérisant les personnes et les choses dans un lieu, dans un temps donné, et qui donne au sujet un aspect de réalisme » (J.Kamerbeek, Dictionnaire International des termes littéraires, 1987) 3 l’utilisation abusive des néologismes et des vocables étrangers et la recherche excessive du pittoresque dans les descriptions qui sont souvent peu justifiées et mal articulées avec la trame narrative. Les définitions de cette période, qui conçoivent la couleur locale comme l’utilisation des traits distinctifs authentiques d’un milieu donné, souffrent de la fameuse « illusion référentielle » dénoncée par la critique structuraliste, qui consiste à penser que le réalisme d’une transposition littéraire repose sur sa conformité au monde réel. Elles témoignent également d’un défaut conceptuel que l’on pourrait nommer par analogie l’« illusion relativiste » dénoncé par Tzvetan Todorov pour ce qui est de l’exotisme dans Nous et les Autres : Les traits distinctifs sont considérés comme immanents au milieu en question, alors qu’en réalité ils ne sont « distinctifs » qu’aux yeux des lecteurs partageant un sociolecte donné. A la différence de l’adjectif « exotique » que l’on rencontre déjà chez Rabelais, c’est vers le milieu du XIXe siècle que Bloch et Wartburg font remonter la création de la forme substantivée. La première occurrence attestée serait, d’après eux, celle que l’on trouve dans le dictionnaire de Bescherelle datant de 1845. L’occurrence du terme dans le domaine littéraire reste pourtant assez faible tout au long du XIXe siècle. Une formule célèbre de Gautier consignée dans le journal des Goncourt nous donne un témoignage révélateur sur la signification que l’on attachait au terme à cette époque : Ce qui nous distingue, c'est l'exotisme. Il y a deux sens de l'exotique: le premier vous donne le goût de l'exotique dans l'espace, le goût de l'Amérique, le goût des femmes jaunes, vertes, etc… Le goût plus raffiné, une corruption plus suprême, c'est ce goût de l'exotisme à travers le temps : par exemple, Flaubert serait heureux de forniquer à Carthage; vous voudriez la Parabère; moi, rien ne m'exciterait comme une momie" 10 Cet emploi peut nous sembler »aberrant« de notre point de vue contemporain, puisque de nos jours le sème de temporalité se trouve hiérarchiquement subordonné à celui de la spatialité. Autrement dit, si à peu près tout le monde est prêt à reconnaître que l'éloignement dans l'espace est souvent renforcé par un éloignement dans le temps, il y a 10 E et J. de Goncourt, Journal, Fasquelle-Flammarion, s.d.(1935), t.II, pp. 134-135 – le 23 novembre 1863 (cité d’après: P. Jourda L'Exotisme dans la littérature française depuis Chateaubriand. Le romantisme. Boivin et Cie, Paris, 1938, p. 13 (d’autres éditions comme celle de Ricatte remplacent « l’exotisme » par « le sens de l’exotique ») 4 très peu de théoriciens qui, comme Henry Remak, sont prêts à examiner les deux sèmes sur le pied d’égalité: The concept denotes a phenomenon outside and beyond our cultural experience, not only spatially remote, or culturally remote even if spatially fairly close, but potentially also one lying back so far in time that even if it has been part of our culture its remoteness in time (not necessarily in years) creates the same effect as the contemporary remoteness in space or in culture. 11 Une pareille définition peut sembler trop vaste, compte tenu de la signification habituelle contemporaine du terme, mais elle est, en réalité, plus conforme à la signification originelle du terme que l’on trouve dans le passage de Gautier. Cette utilisation, en revanche, peut être éclaircie par la méthode des »citations parallèles«, si l'on confronte le passage de Gautier datant de 1863 avec un autre passage de Gérard de Nerval, tiré du Voyage en Orient (1848): Il y a quelque chose de très séduisant dans une femme d'un pays lointain et singulier, qui parle une langue inconnue, dont le costume et les habitudes frappent déjà par l'étrangeté seule, et qui enfin n'a rien de ces vulgarités de détail que l'habitude nous révèle chez les femmes de notre patrie. Je subis quelque temps cette fascination de couleur locale, je l'écoutais babiller, je la voyais étaler la bigarrure de ses vêtements : c'était comme un oiseau splendide que je possédais en gage, mais cette impression pouvait-elle toujours durer? 12 Nerval semble mettre en oeuvre un des principes d’exotisme décrit par Gautier, en s’achetant une esclave javanaise. La parenté des contextes des deux passages nous permet d’hasarder l’équivalence sémantique « exotisme = fascination de couleur locale ». Cela nous permet de mieux situer l’entrée en scène du nouveau terme et d’émettre l’hypothèse suivante : la signification de la forme substantivée « exotisme » entrant dans le vocabulaire vers 1850 est initialement calquée sur celle du terme attesté et dominant « couleur locale », ce qui expliquerait la présence du sème de temporalité. Cette acception semble bien illustrer la création exotique du milieu du XIXe siècle où plus d'un titre classique de la littérature exotique obéit à ce régime de double éloignement: Le 11 Henry H.H. Remak : “Exoticism in Romanticism”, Comparative literature studies, vol. XV, n°1, march 1978, pp. 53-54. 12 Gérard de Nerval : Voyage en Orient, Gallimard, 1998, p. 252. 5 Roman de la momie (1858), Salammbô (1862), Les Poëmes antiques (1852) et les Les Poëmes barbares (1862), ainsi que la poésie parnassienne en général. C’est l’évolution ultérieure sur le plan de la poétique et de la thématique de la création exotique qui aura favorisé le sème de spatialité en tant que sème dominant. L’évolution des termes durant la seconde moitié du XIXe siècle semble confirmer cette hypothèse : l’occurrence du syntagme « couleur locale » baisse considérablement par rapport à la première moitié du siècle, et le terme est désormais de plus en plus souvent dépourvu de sa dimension temporelle, avec le mépris que l’école naturaliste et l’écriture artiste inaugurée par les Goncourt affichent à l’égard du genre historique. Ainsi, tout au début du XXe siècle Rene Dumesnil parlera en 1903 dans son Histoire illustrée du théâtre lyrique de la « couleur locale et la couleur temporelle » ainsi que d’autres critiques au cours du XXe siècle. Dans le Journal des Goncourt, nous trouvons en revanche six occurrences du terme « exotisme », qui apparaît également dans les Essais et les Nouveaux essais de psychologie contemporaine, de Paul Bourget en 1883 et 1885. On peut avancer que c’est la critique positiviste du début du XXe siècle qui apporte une consécration définitive du lexème « exotisme » en tant que terme littéraire. En effet, c’est l’époque des grands travaux de Gilbert Chinard et Pierre Martino 13 , devenus classiques, et qui seront suivis par l’ouvrage de Pierre Jourda dans lequels nous trouvons déjà en germe une esquisse de ce qui deviendront par la suite les études dites imagologiques. C’est également le moment où Victor Ségalen rédige ses notes préparatoires pour L’Essai sur l’exotisme qui ne serait publié que beaucoup plus tard. Le terme « couleur locale » est également employé par la critique de cette époque, surtout dans les articles visant à déterminer les « sources » d’une œuvre littéraire. Sa signification se ramène souvent à la désignation des effets de style, surtout l’utilisation des emprunts et des vocables étrangers, donc précisément aux mêmes excès qui ont valu au terme la connotation péjorative qu’il avait contractée au XIXe siècle. Cela semble évacuer de son champ sémantique le sème de « centralité », tant revendiqué par Hugo et les autres théoriciens de l’époque. En 1928 paraît, il faut reconnaître, le premier ouvrage 13 Pierre Martino, L’Orient dans la littérature française, Paris, Hachette, 1906 ; Gilbert Chinard, Amérique et le rêve exotique dans la littérature française au XVIIe et au XVIIIe siècle, Genève, Slatkine 1970 (ed. originale 1913) L’Exotisme américain dans l’œuvre de Chateaubriand, Hachette, Paris, 1918. 6 d’érudition consacrée exclusivement à la couleur locale, Prosper Mérimée et la couleur locale. Contribution à l’étude de la couleur locale 14 de Hovenkamp qui tâche de renouer avec la signification classique dix-neuvièmiste du terme en décomposant son champ sémantique en de nombreuses strates et distinguant ainsi « la couleur locale historique » et « la couleur locale exotique », suivant les deux sèmes dominants de Kamerbeek, avant de déployer une suite d’oppositions suivant des critères fort incohérents. Ces efforts théoriques n’auront pas de suite, puisque l’unique ouvrage théorique consacré à la couleur locale, que j’ai pu recenser au cours du XXe siècle, est la modeste monographie de Jan Kamerbeek jr Tenants et aboutissants de la notion « couleur locale », parue en 1962 15 qui, curieusement, analyse uniquement la dimension temporale de la notion par une approche terminologique bien novatrice, en cherchant à établir un rapport avec la tradition fort ancienne de « genius loci ». Enfin, les vingt dernières années ont témoigné d’un regain d’intérêt pour l’étude d’exotisme avec l’essor de l’imagologie culturelle, les études sur l’altérité et la critique postcoloniale dans la grille conceptuelle desquelles le terme « exotisme » trouve une place de choix. Le terme fait l’objet des travaux d’érudition importants en France avec Tzvetan Todorov et Jean-Marc Moura 16 , aux Etats-Unis avec Roger Célestin et Chris Bongie 17 , et de thèses universitaires (suivant la base de données « Docthèse », 44 thèses de doctorat comportent « exotisme » dans leurs mots-clés, toutes soutenues après 1986). Depuis 1983 l’exotisme a également été le sujet principal de plusieurs colloques scientifiques 18 et une publication spécialisée Les Carnets de l’exotisme paraît en France depuis 1992. 14 Hovenkamp. H.W, Prosper Mérimée et la couleur locale. Contribution à l’étude de la couleur locale,Belles Lettres, Paris, 1928. 15 Instituut voor verglelijkend literatuuronderzoek, Utrecht, 1962. 16 Todorov, Tzvetan, Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine. Editions du Seuil : Paris, 1989. Moura, Jean-Marc: L'Image du tiers monde dans le roman français contemporain. Paris : PUF, 1992 ; Lire l'exotisme. Dunod : Paris, 1992 ; La littérature des lointains. Histoire de l'exotisme européen au XXe siècle. Honoré Champion éditeur : Paris, 1998. 17 Roger Célestin, From Cannibals to Radicals; Figures and Limites of Exoticism, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1996; Chris Bongie Exotic memories; Literature, Colonialism an the Fin-de-siècle, Standford, California, Stanford University Press, 1991 18 Exotisme et création, Lyon, Publications de l'Université Jean-Moulin-L'Hermès, 1985, Exoticism in French Literature, (« French Literature Series », vol.13) Columbia, SC, Department of Foreign Languages and Literatures, College of Humanities an Social Sciences, University od South Carolina, 1986, Exotisme. Actes du colloque de Saint-Denis de la Réunion dirigé par Alain Buisine, Norbert Dodille et Claude Duchet 7 Comment expliquer ces évolutions sémantiques divergentes qui ont favorisé l’expansion d’un terme au détriment de l’autre ? La pérennité du terme « exotisme » est sûrement due en partie à sa structure morpho-dérivationnelle ouverte. En effet, la prolifération des études littéraires portant sur l’exotisme n’a pas contribué à fixer une définition du terme plus précise, ni uniforme. Concrètement, dans le domaine français, on trouve au moins trois types distincts de définition. D’abord celles qui s’appuient sur la signification traditionnelle de l’adjectif « exotique » comme ce « qui est relatif, qui appartient à un pays étranger, généralement lointain ou peu connu » (TLF) notamment aux civilisations non-occidentales. Elles définissent l’exotisme, en conséquence, comme le « caractère de ce qui est exotique », ce qui permet de circonscrire un exotisme de convention à l’aide des critères plus ou moins stables et « objectifs » 19 . Ensuite, les définitions qui favorisent l’autre acception courante de l’adjectif exotique comme ce qui est « étrange ou dépaysant » (Robert), et que nous pourrions nommer « subjectives » 20 . Enfin, les définitions les plus récentes que l’on trouve dans les travaux d’érudition et qui considèrent l’exotisme comme le « goût des choses exotiques », c’est-à-dire un horizon d’attente esthétique et/ou idéologique 21 . Cet aspect polysémique du terme semble dû à la (7-11 mars 1988), Cahiers CRLH-CIRAOI, n° 5 ; Diffusion Didier-Erudition, Paris, 1989 ;Crise fin-desiècle et tentation de l’exotisme (éd. G. Ducrey et J-M. Moura), Presses Universitraires du Nord, Lille, 2002 19 Pour un exemple de définition objective, on pourrait citer la suivante prise dans une édition de type scolaire : "En littérature, l'exotisme consiste à évoquer des pays lointains et peu familiers au lecteur. » (Ph. Forest et G. Conio, Dictionnaire fondamental du français littéraire 1993) 20 Parmi celles-ci, la célèbre définition de Ségalen : 1)"Définition du préfixe Exo dans sa plus grande généralisation possible. Tout ce qui est "en dehors" de l'ensemble de nos faits de conscience actuels, quotidiens, tout ce qui n'est pas notre "Tonalité mentale" coutumière." (définition très vaste, dont le champ d’application est restreint par l’auteur lui même) [l’exotisme] dans l’espace, le seul que l’on développera. (Segalen, Essai sur l’exotisme, 1919), ou bien celle de Mario Pratz qui insiste sur l’insuffisance des critères purement objectifs, voire géographiques : )"Une oeuvre d'art est appelée exotique non pas à cause de la seule présence d'éléments étrangers […], mais lorsqu'elle est inspirée par les émotions provoquées par l'évocation de pays étrangers ou par leur contact, en particulier par certains pays de l'Orient ou du Midi" (Pratz, 1997) 21 Voir par exemple la définition de Tzvetan Todorov : « Idéalement, l’exotisme est un relativisme au même titre que le nationalisme, mais de façon systématiquement opposée : dans les deux cas, ce qu’on valorise n’est pas un contenu stable, mais un pays et une culture définis exclusivement par leur rapport avec l’observateur. […] Il s’agit donc dans les deux cas d’un relativisme rattrapé à la dernière minute par un jugement de valeur (nous sommes mieux que les autres ; les autres sont mieux que nous), mais où la définition des entités comparées, « nous » et « les autres » reste, elle, purement relative. (Tzvetan Todorov, Nous et les Autres, 1989), ou bien celle de Jean-Marc Moura : « On l’entendra [l’exotisme] comme la totalité de la dette contractée par l’Europe littéraire à l’égard des autres cultures (idées, thèmes, formes, genres, mythes ) ». (Jean-Marc Moura, La Littérature des lointains, 1998) 8 forme ambivalente du substantif lui-même, ou plus précisément du suffixe « -isme » à l’aide duquel il est formé. Le Grand Robert de 1999 lui consacre l’entrée suivante: Le suffixe -isme est très productif; ajouté à un nom ou un adjectif, il forme des termes politiques et sociaux, avec la valeur axiologique de «système d'opinions» ou de «attitude, tendance»; des termes de philosophie, de religion ou de science («doctrine» ou «croyances»); des termes littéraires et artistiques («écoles, tendances»). Il a toujours la valeur de «attitude positive par rapport à (une croyance, etc., représentée par la base)». - Une deuxième valeur du suffixe est celle d' «attitude et activité» conforme à la tendance ou au modèle qu'exprime la base (bovarysme, constructivisme, etc.) ou favorable à une personne, un groupe humain, etc. (américanisme; - Pro-). - à côté de sa valeur de «activité professionnelle» (journalisme), -isme a celle de «caractère ou état particulier, maladie» (mongolisme, virilisme) ou «activité quelconque» (canoéisme, etc.). Il semble que l’existence des trois types de définitions ait été rendue possible par les différentes valeurs du suffixe mises en évidence par Robert. Les définitions « objectivistes » et subjectives conçoivent l’exotisme comme un « caractère ou état particulier » - les premières en se focalisant sur l’objet littéraire, et les secondes sur le sujet lisant. Le troisième type de définition correspond en revanche à la signification la plus fréquente du suffixe suivant Robert, « système d’opinions », avec parfois la nuance valorisante « attitude, tendance » (favorable à une personne, un groupe humain, etc.). De même l'étymologie et la signification du préfixe "exo" signifiant « dehors, hors » favorisent les définitions a contrario (tout dehors suppose un dedans; voire: Ce qui n'appartient pas à ma civilisation ou ma « tonalité mentale coutumière » pour reprendre les termes de Ségalen, peut être considéré comme « exotique ». Cette analyse met en évidence le caractère ouvert et accueillant du terme « exotisme » qui contribue à l’élargissement de son champ sémantique ainsi qu’à l’expansion des possibles champs d’application, quant aux différentes poétiques et esthétiques créatrices ainsi qu’aux approches méthodologiques critiques par lesquelles il peut être abordé. En revanche, la relative caducité du terme « couleur locale » est liée à sa signification intuitive qui semble aller plutôt dans la direction inverse en rétrécissant son champ sémantique par la mise à l’écart des sèmes de temporalité et de « centralité », dont il a été doté dans la première moitié du XIXe siècle. On peut constater que le terme demeure également fortement connoté quant à l’esthétique créatrice à laquelle il sacrifie, en restant attaché principalement à la poétique dite « réaliste » de l’époque romantique, 9 réaliste au sens stricte et naturaliste. Ce phénomène nous permet de remarquer aujourd’hui l’établissement d’un rapport entre les deux termes qui est d’ordre hiérarchique. Approximativement, en évacuant le sème de la temporalité, il est possible d’avancer que la couleur locale n’est qu’une des nombreuses facettes du terme ouvert et protéiforme de « l’exotisme » par quoi les résultats de notre analyse rejoignent le jugement de Jean-Marc Moura émis dans La Littérature des lointains : Enfin si les termes de pittoresque et de couleur locale reviennent fréquemment dans les travaux visant à circonscrire l’exotisme, ils permettent d’évoquer seulement certaines spécificités des textes exotiques et ne mènent nullement à une compréhension générale de la notion 22 Pour terminer, je souhaiterais préciser que mon analyse a été faite pour le domaine français, et que les résultats devraient être complétés par des analyses comparatives, faites dans d’autres aires linguistiques pour pouvoir prétendre à un statut d’universalité. Ainsi, à titre indicatif, on peut constater une très faible occurrence du terme ‘color local’ dans le domaine espagnol, et de l’équivalent italien ‘colore locale’ dans son domaine respectif. L’article de Kamerbeck indique d’ailleurs comme un des équivalents linguistiques espagnols le terme de ‘costumbrismo’ qui se rapporte en réalité à un mouvement littéraire purement national. La situation semble encore plus compliquée dans le domaine anglophone, où le terme de « local color » reste en générale privé de connotations péjoratives. De même, il n’est pas perçu comme caduc, ni obsolète puisqu’il figure parmi les mots-clés du système bibliothécaire standardisé, the Library of Congress Cataloging Publication Data. Sa signification est souvent nuancée par l’acception que les adhérents à un mouvement littéraire indigène au sol américain, surnommés the local color movement (1880-1915) donnaient à leur notion-clé 23 . A la différence du français, le terme et souvent dénué de sa dimension temporelle, et se définit en général non point par rapport au terme « exotisme » mais plutôt par opposition avec le terme « regionalism » suivant la façon dont les éléments distinctifs d’une localité sont intégrés dans la structure 22 La Littérature des lointains, op. cit. p. 34. Sur local color movement consulter: Robert D. Rhode, Setting in the Americain short story of local color 1865-1900, Mouton, Hague-Paris, 1975. 23 10 de l’œuvre et d’après le rôle qu’ils jouent dans le récit 24 . Dans cette optique, on peut dire que les résultats de cette analyse laissent entrevoir la complexité d’une constellation lexicale dont les rapports internes restent obscurcis par les significations intuitives inhérentes aux concepts pré-théoriques tout en indiquant de nombreux axes de réflexion et pistes de recherche à exploiter que ce domaine nous réserve sur le plan international et comparatif. 24 Cf Dictionary of world literature, criticism-forms-technique, edited by Joseph T. Shipley; Philosophical Library, New York, 1943; John Antony Cuddon: A Dictionary of literary terms and literary theory, Blackwell Reference, Oxford, 1993; Harry Shaw, Dictionary of Literary Terms, Mc Grain-Hill, New York, 1972; Harmon, William and Holman, Hugh, A Handbook to Literature, Prentice Hall, Upper Saddle River, New Jersay, 1996. 11