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La dépression : des pratiques aux théories 11 Symptômes psycho-comportementaux du sujet âgé J. Roblin Service Hospitalo-Universitaire, Centre Hospitalier Sainte-Anne, 7, rue Cabanis, 75674 PARIS cedex 14 GÉNÉRALITÉS Les symptômes psycho-comportementaux du sujet âgé sont très fréquents, en particulier chez les sujets présentant une maladie d’Alzheimer ou une démence apparentée (plus de 80 % des cas). Lors d’un épisode de confusion, ces symptômes sont observés chez un tiers des patients hospitalisés en urgence. Ils sont une source de souffrance pour le patient et son entourage, et engendrent un épuisement des aidants et des soignants. Il est essentiel de les connaître et de les repérer afin d’évaluer leurs conséquences fonctionnelles et d’adapter la prise en charge. En France, en 1995, la population âgée de 65 ans et plus représentait 14,9 % de la population. Avec le vieillissement démographique, on estime qu’en 2010, 16,8 % de la population française aura plus de 65 ans. Dans cette tranche d’âge, la prévalence de la démence est de 4,3 % et celle de la maladie d’Alzheimer de 3,1 % ; la maladie d’Alzheimer constituant la première cause de démence (70 % des cas). Les syndromes démentiels décrits par l’ICD10 et le DSM IV (figure 1) ne se réduisent pas à des troubles cognitifs d’aggravation progressive. Ils se manifestent aussi par des symptômes neuropsychiatriques qui sont fréquemment associés entre eux (9). Le champ des symptômes neuropsychiatriques est vaste et regroupe de façon hétérogène : les délires, les troubles de l’identification, les hallucinations, l’agitation verbale et/ou physique (non agressive ou agressive), l’instabilité motrice, les compulsions, la désinhibition et/ou l’exaltation, l’apathie, l’hyperémotivité, les manifestations dépressives, l’anxiété, les troubles du sommeil et du rythme circadien, les troubles des conduites alimentaires, les troubles du comportement sexuel. L’International Psychogeriatric Association (IPA) a proposé de regrouper ces symptômes sous le terme de « signes et symptômes psychologiques et comportementaux des démences (SSPCD) » Syndrome démentiel (ICD 10) Syndrome démentiel (DMS IV) • Mise en évidence de (1) et (2) – 1 : Altération de la mémoire (principalement faits récents) – 2 : Altération d’au moins une autre fonction cognitive • 2 : Absence d’obnubilation de la conscience • 3 : Au moins une des manifestations suivantes : – Labilité émotionnelle – Irritabilité – Apathie – Altération du comportement social • 4 : Évolution sur au moins 6 mois • A : Apparition de déficits cognitifs multiples comme en témoigne la présence de (1) et (2) – 1 : Altération de la mémoire – 2 : Altération d’au moins une des fonctions suivantes - Phasie - Praxie - Gnosie - Fonctions exécutives • B : Les déficits cognitifs des critères A1 et A2 interfèrent de manière significatives avec le fonctionnement social et/ou professionnel, et constituent un déclin significatif/fonctionnement antérieur • Évolution > 6 mois FIG. 1. — Critères diagnostiques du syndrome démentiel selon ICD-10 et DSM-IV. L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêt. © L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés. La dépression : des pratiques aux théories 11 J. Roblin (« Behavioural and Psychological Signs and Symptoms of Dementia ») qui sont définis comme des troubles de la perception, du contenu des pensées, de l’humeur et du comportement fréquemment observés chez les patients présentant une démence (22, 28). Ainsi, cette notion permet la description d’un champ hétérogène de réactions psychologiques, de symptômes psychiatriques et de comportements survenant chez des patients présentant une démence quelle que soit son étiologie. Les SSPCD se caractérisent par leur physiopathologie complexe et une grande variabilité interindividuelle (7, 32). Ils ne sont pas spécifiques de la maladie d’Alzheimer. Ils varient avec le type de démence (hallucinations fréquentes dans les démences à corps de Lewy, désinhibition et comportements impulsifs fréquents dans les démences fronto-temporales) et peuvent donc aider à l’orientation diagnostique. Ils peuvent survenir à tous les stades de la maladie démentielle, parfois précèdent l’apparition des autres troubles en constituant le(s) symptôme(s) initial(aux). Il est nécessaire de les distinguer des troubles liés à une confusion, une autre affection organique, une origine iatrogène ou une dépression. Ils surviennent souvent de façon imprévisible, sont variables dans le temps et d’évolution progressive. Ils sont le plus souvent durables (51). L’environnement du patient joue, pour partie, un rôle dans l’apparition ou l’aggravation de certains de ces symptômes (par exemple, un milieu inapproprié ou des attitudes inadaptées de l’entourage). Un tiers des sujets avec une démence présentent des symptômes psycho-comportementaux d’intensité sévère (11, 19, 31, 32). L’apathie et les symptômes dépressifs sont les symptômes les plus fréquemment retrouvés dans les formes S 20 L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S19-S27 légères à modérées de maladie d’Alzheimer (19, 32, 41). Ces symptômes signent une rupture avec le fonctionnement antérieur. Ils doivent constituer un signal d’alerte pour le diagnostic. Ils conditionnent l’évolution de la maladie. Ils sont source de souffrance et d’altération de la qualité de vie pour le patient et son entourage (26). QUELLE ÉVALUATION DES SYMPTÔMES PSYCHOCOMPORTEMENTAUX DU SUJET ÂGÉ ? L’évaluation des signes et symptômes psycho-comportementaux présentés par un sujet âgé est un temps essentiel en pratique clinique : il convient d’identifier précisément le mode de survenue, l’influence de l’environnement, le type et l’intensité des symptômes, leur évolution dans le temps, l’association à d’autres symptômes, et le retentissement fonctionnel (sur l’adaptation et la vie quotidienne du patient et des aidants). Il est nécessaire d’identifier le problème qui prédomine au sein de l’ensemble des troubles. L’évaluation des SSPCD doit être répétée dans le temps car ces symptômes évoluent de manière discontinue. Des échelles d’évaluation ou des entretiens semi-structurés permettent de réaliser une hétéro-évaluation quantitative de la symptomatologie globale [Inventaire Neuropsychiatrique [NPI] (17, 44), Behave AD (43)] ou spécifique [Inventaire Apathie (45), échelle de dépression gériatrique (55), échelle d’agitation de Cohen-Mansfield (16), échelle de l’école de Columbia (19)]. L’Inventaire Neuropsychiatrique [NPI] (17, 44), utilisé dans la majorité des études évaluant la fréquence des SSPCD, consiste en une hétéro-évaluation standardisée explorant 12 do- maines (idées délirantes, hallucinations, agitation/agressivité, dépression/dysphorie, anxiété, exaltation de l’humeur/euphorie, apathie/indifférence, impulsivité/désinhibition, impulsivité/désinhibition, irritabilité/instabilité de l’humeur, comportement moteur aberrant, troubles du sommeil, troubles de l’appétit et de l’alimentation) en terme de fréquence (de < 1 fois par semaine à quotidiennement) et de gravité (de 1 à 3), avec un score total sur 12 (fréquence x gravité). Les scores sont fortement dépendants de l’entourage. Il s’agit d’une description phénoménologique univoque des symptômes. Il existe diverses versions de l’Inventaire Neuropsychiatrique : standard, pour l’équipe soignante, réduite à 10 items. Les principaux intérêts de cet instrument sont d’une part, d’être un outil pédagogique en pratique clinique et d’autre part, d’être un outil épidémiologique. Les hétéro-évaluations, souvent effectuées par l’aidant principal ou par un accompagnant informé des troubles du patient, sont plus utilisées que les auto-évaluations. Le retentissement des troubles du comportement (ou fardeau) sur les aidants est évalué par des échelles globales de fardeau telles que l’échelle de Zarit (56) ou par un item spécifique portant sur le retentissement des SSPCD au sein d’un instrument d’évaluation tel que le NPI. ÉVOLUTION DES SYMPTÔMES PSYCHO-COMPORTEMENTAUX DANS LE TEMPS Les symptômes psychocomportementaux sont fréquents et indicateurs de gravité de l’état clinique du patient et aussi de la situation dans son environnement, qu’il soit familial ou institutionnel. Ces symptômes sont divers : idées délirantes, halluci- Symptômes psycho-comportementaux du sujet âgé maladie (MMSE > 21), 92,5 % aux stades modérés (11 < MMSE < 21) et 100 % aux stades sévères (MMSE < 11). Les symptômes les plus fréquemment retrouvés étaient l’apathie, l’anxiété et la dépression. L’agitation et les comportements moteurs aberrants étaient significativement plus présents aux stades avancés de démence. (7) (figure 4). Dans les principales études européennes évaluant la fréquence des SSPCD (par le NPI) dans la maladie d’Alzheimer, l’apathie était le symptôme le plus fréquent (55,5 %), suivie par la dépression (44,9 %), l’anxiété (42 %), l’agitation (35 %) et l’irritabilité (30, 6 %) (7, 10, 46, 53). Une étude récente menée par le groupe de l’EADC (European Alzheimer’s Disease Consortium) sur un grand nombre de patients a permis, après réalisation d’analyses factorielles, de subdiviser les SSPCD en sous-groupes cohérents de symptômes et d’isoler 4 syndromes : hyperactivité (incluant les items agitation, désinhibition, irritabilité, comportements moteurs aberrants et euphorie), psychose (avec les items Agitation Anxiété Paranoïa Idées suicidaires Comportement accusateur 20 0 – 30 Hallucinations Changement d’humeur Détérioration du comportement social Délire Comportement sexuel inapproprié – 20 – 10 0 10 Mois avant/après le diagnostic 20 30 FIG. 2. — Délai d’apparition des SSPCD dans la maladie d’Alzheimer (29). multicentrique (16 centres) prospective, a permis le suivi sur 4 ans par des évaluations semestrielles (dont NPI et MMSE) d’une cohorte de 510 patients ambulatoires présentant une maladie d’Alzheimer probable. À l’inclusion, la prévalence des SSPCD était élevée quel que soit le stade de la démence : 84 % chez les patients présentant des stades légers de la 10 Léger (%) (n = 17) Modéré (%) (n = 20) Sévère (%) (n = 13) 8 6 ** *** * 4 Dysphorie Agitations Hallucinations 0 Anxiété * 2 Délires Sous-score compsite moyen nations, agitation, apathie, hyperémotionnel, trouble du sommeil et du rythme circadien… Des sujets atteints de démence d’alzheimer présentent des problèmes psychiques avec avec une intensité sévère. Ceux-ci sont possibles à tout moment de la maladie y compris avant que le diagnostic ne soit posé (29) (figure 2). De même, plusieurs auteurs ont retrouvé que des modifications inattendues du caractère précèdant le début de la maladie démentielle (11, 31). L’évolution variable des SSPCD dans le temps (apparition puis disparition puis réapparition d’un symptôme chez un même individu) met en difficulté l’utilisation de critères diagnostiques nécessitant la présence stable de symptômes pendant une durée définie. La fréquence des SSPCD tend à croître avec la sévérité du déficit cognitif même si des pics peuvent survenir à des moments particuliers de l’évolution (37, 32). La figure 3 présente les résultats de l’étude américaine de Mega et al. La fréquence de ces symptômes tend à croître avec la sévérité du déficit cognitif (figure 3). L’étude REAL.FR, étude française Troubles psycho-comportementaux Instabilité psychomotrice 40 Agressivité Irritabilité Dépression Repli social Rythme diurne Irritabilité Fugues Désinhibition 60 Apathie 80 Euphorie Fréquence (% de patients) 100 FIG. 3. — Sous-score composite moyen de l’Inventaire Neuropsychiatrique NPI en fonction de la sévérité de la démence (sévérité de la maladie d’Alzheimer évaluée en 3 stades : léger, modéré, sévère) (37). S 21 La dépression : des pratiques aux théories 11 L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S19-S27 L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S19-S27 70 63,5 MMSE 21 – 30 MMSE 11 – 20 n = 50 60 50 44,3 40 42,7 44,3 47,9 46,3 36,9 32,8 30 29,8 28,3 25,0 24,7 20 Appétit Sommeil Comp. mot. aberr. Irritabilité Désinhibition Apathie Euphorie Anxiété 4,5 Dépression 5,7 7,8 13,5 12,9 10,2 9,8 Agitation 0 14,7 13,3 10,5 Hallucinations 10 24,3 20,5 Délire La dépression : des pratiques aux théories 11 J. Roblin FIG. 4. — Prévalence des signes et symptômes psycho-comportementaux à l’inclusion de l’étude REAL.FR en fonction de la sévérité de la démence évaluée par le score au MMSE (7). délire, hallucinations et troubles du sommeil), affectif (avec les items dépression et anxiété) et apathie (incluant l’apathie et les troubles de l’appétit) (1). Cette subdivision a un intérêt tout particulier dans l’approche étiologique des SSPCD. L’apathie est le symptôme le plus souvent retrouvé. La détermination de ces symptômes est probablement multifactorielle avec des composantes neurobiologiques, somatiques, psychiques et environnementales. DÉTERMINISME DES SYMPTÔMES PSYCHOCOMPORTEMENTAUX ET CORRÉLATIONS CLINICOANATOMO-BIOLOGIQUES Encore mal connu, le déterminisme des signes et symptômes psychocomportementaux des démences est probablement multifactoriel avec des composantes neurobiologiques, somatiques, psychologiques et environS 22 nementales. Parmi les facteurs étiologiques les plus probables, on retiendra la personnalité (traits de personnalité antérieurs), le retentissement affectif de la démence, le dysfonctionnement cérébral, les troubles cognitifs, l’environnement (modifications récentes de l’environnement) et les relations interpersonnelles, les comorbidités somatiques (en particulier les déficits sensoriels, les affections sous-jacentes), la iatrogénie et l’histoire individuelle (facteurs biographiques et familiaux). Ces facteurs interagissent entre eux, certains prédominent à une période donnée puis deviennent secondaires ensuite face à d’autres facteurs. L’individualisation en sous-groupes des SSPCD a permis d’affiner les connaissances quant aux atteintes neurofonctionnelles. D’après des données d’imagerie cérébrale, l’apathie serait associée à une hypoperfusion des régions fronto-médianes (5, 38) et à une augmentation des lésions neuropathologiques au niveau du cingulum antérieur (35). Il a également été observé une atteinte préférentielle des systèmes dopaminergique et cholinergique (17, 18). Peu de données d’imagerie existent sur l’anxiété. À l’inverse, les symptômes dépressifs ont été plus étudiés : ils seraient associés à une hypoperfusion des régions frontales (25, 27, 49). Une corrélation entre des anomalies de la substance blanche et des idées de dévalorisation a été retrouvée dans une étude (34). Les patients avec une maladie d’Alzheimer et des symptômes dépressifs présenteraient une plus grande perte cellulaire au niveau du locus coeruleus que les patients déments non déprimés (12, 23). Une diminution du taux de recapture de la sérotonine au niveau cortical a été mise en évidence chez les sujets présentant une démence et des symptômes dépressifs (13). Les symptômes psychotiques et l’agitation s’accompagneraient, en imagerie cérébrale, d’une hypoperfusion des régions frontales (25, 37). Une atrophie fronto-temporale plus importante à droite qu’à gauche a été retrouvée chez les patients avec une démence et des symptômes psychotiques (24). Une augmentation de la densité des plaques séniles et des dépôts neurofibrillaires a été observée dans le cortex frontal médian et le prosubicullum chez les patients avec une démence et des symptômes psychotiques (52). Un déficit cholinergique plus important a été mis en évidence chez les sujets déments présentant des symptômes psychotiques comparativement à ceux indemnes de tels symptômes (36) (tableau 1). SÉMIOLOGIE DES SYMPTÔMES PSYCHO-COMPORTEMENTAUX Délires et troubles de l’identification Ce sont des « croyances paranoïdes souvent simples et non systémati- Symptômes psycho-comportementaux du sujet âgé TABLEAU 1. — Corrélations clinico-anatomo-biologiques des symptômes psycho-comportementaux Symptômes Localisation des dysfonctionnements cérébraux Récepteurs impliqués Apathie Régions frontale et cingulaire Acétylcholine Noradrénaline Dépression Lésions locus coeruleus Noradrénaline Sérotonine Exaltation de l’humeur Non déterminée Balance dopaminocholinergique Hallucinations Cortex temporal Balance dopaminocholinergique Idées délirantes Cortex frontal Acétylcholine Anxiété Non déterminée Sérotonine Agressivité Cortex temporal antérieur G Cortex frontal dorsolatéral D et G Non déterminés Déambulation Région orbitofrontale Sérotonine Troubles alimentaires Région frontale interne gauche Non déterminés sées, parfois sous-tendues par un trouble de la perception visuelle pouvant conduire à de fausses reconnaissances » (30). Selon les études, ils sont signalés dans 10 à 73 % des cas : cette variabilité s’explique par l’évolutivité de la symptomatologie démentielle. Les thèmes fréquemment retrouvés sont le préjudice, la persécution, la jalousie, l’abandon, l’infidélité… Ont été décrits le phénomène du compagnon imaginaire (ancien proche revécu dans un soignant ou un objet), le syndrome d’Ekbom (délire d’infestation interne), le syndrome de Capgras (non-reconnaissance d’un proche, illusion des sosies), le délire de Frégoli (fausse reconnaissance de plusieurs personnes sans ressemblance comme étant la même personne), le délire d’inter-métamorphose (plusieurs individus différents reconnus dans une même personne). Les hallucinations (perception sans objet à percevoir) sont retrouvées dans 12 à 49 % des cas. Elles sont le plus souvent visuelles, et d’avantage dans la démence à corps de Lewy (80 % des cas) que dans la maladie d’Alzheimer (10 % des cas). Elles sont corrélées à un déclin cognitif rapide. Une entité particulière est constituée par le syndrome de Charles Bonnet qui se caractérise par des hallucinations visuelles complexes isolées. Les hallucinations peuvent aussi être auditives, en général peu élaborées. Les délires peuvent être sous-tendus par un trouble perceptif visuel entraînant de fausses reconnaissances (phénomène du fantôme, trouble de la reconnaissance de sa propre image dans le miroir, trouble de l’identification d’une autre personne). Agitation/agressivité L’agitation et l’agressivité sont rapportées dans 10 à 60 % des cas. L’agitation se caractérise par un excès d’activité motrice sans efficience objective, non agressive ou agressive. Elle est soit physique avec des déambulations calmes ou forcées (9 à 20 % des cas), une akathisie (incapacité à rester assis ou allongé) ; soit verbale avec des gémissements, des cris et des vocalisations anormales (10 à 30 % des cas). Les facteurs environnementaux jouent un rôle déterminant dans l’apparition de l’agitation. L’agressivité peut être verbale (en paroles : menaces, insultes) ou physique (en actes : agrippements, morsures, griffures, bousculades, coups). Elle survient habituellement dans des situations de « contact » avec le patient, particulièrement pendant la toilette, les changes, le repas, l’administration de médicaments. Compulsions Elles sont retrouvées dans 20 à 50 % des cas. Il s’agit de comptages à haute voix, de répétitions gestuelles (frottements) ou verbales, de conduites de vérification, de déshabillage-réhabillage. Elles sont difficilement différenciées des stéréotypies. Désinhibition et/ou exaltation La désinhibition (et/ou l’exaltation), retrouvée dans 8 à 12 % des cas, se définit comme un trouble du contrôle de soi. La conduite relationnelle ou sociale du patient est inappropriée tant au niveau du discours que du comportement. L’existence d’une euphorie inhabituelle doit toujours faire rechercher une origine iatrogène médicamenteuse. Apathie L’apathie est présente dans 25 à 72 % des cas. Elle associe une démotivation et un émoussement affectif. Cliniquement, on note une perte d’initiative, de volonté, de motivaS 23 La dépression : des pratiques aux théories 11 L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S19-S27 La dépression : des pratiques aux théories 11 J. Roblin tion et de ressenti affectif. Il s’agit du symptôme le plus douloureusement vécu. L’apathie est plus fréquente dans la démence fronto-temporale que dans la maladie d’Alzheimer. Il faut toujours éliminer l’imputabilité à un traitement neuroleptique. Hyperémotivité Un trouble du contrôle des émotions est observé dans 30 % des cas. Il s’agit de pleurs faciles en réaction à des pensées attristantes ou des expressions de sympathie. Dépression Les manifestations dépressives sont fréquentes (30 à 70 % des cas) et surviennent à tous les stades de la maladie démentielle. Elles sont souvent de sévérité modérée, faisant préférer le terme de dysthymie à celui de dépression. Elles peuvent engendrer des attitudes régressives (15 % des cas). L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S19-S27 tation, pouvant aller jusqu’à une inversion complète du rythme nycthéméral. On peut aussi observer une somnolence diurne, un « sun downing syndrom ». Troubles des conduites alimentaires Les troubles des conduites alimentaires sont souvent liés à un trouble du jugement, une désinhibition, un trouble de la satiété, ou une perte du goût et de l’odorat. Ils peuvent consister en une hyperphagie, une hyperoralité, un pica, ou un renoncement à l’alimentation ayant pour conséquence une perte de poids. Troubles des conduites sexuelles Le sujet avec une démence peut présenter une baisse de libido, une activité sexuelle avec indifférence, ou une hypersexualité et une désinhibition (plus fréquentes dans les démences fronto-temporales). Anxiété L’anxiété, dont la fréquence est de 15 à 48 %, est souvent associée à d’autres symptômes psycho-comportementaux. Elle peut être en lien avec la dépression, des symptômes psychotiques, une situation interpersonnelle particulière (rejet, changement d’environnement) (2). Deux types d’anxiété plus spécifiques sont décrits : le syndrome de Godot (manifestation anxieuse consistant à suivre l’aidant principal dans tous ses déplacements) et le « Sun downing syndrom » (angoisse agitée survenant au coucher du soleil). Troubles du sommeil et du rythme circadien Le sommeil est parfois perturbé avec une désorganisation et une fragmenS 24 LES CONSÉQUENCES DES SYMPTÔMES PSYCHOCOMPORTEMENTAUX Les conséquences des symptômes psycho-comportementaux sont multiples et ponctuent l’évolution de la maladie. Les SSPCD sont la principale cause d’hospitalisation et d’institutionnalisation chez le sujet âgé avec une démence (50). Souvent, l’agitation et la désinhibition déterminent le passage en institution (6). La présence de symptômes psychocomportementaux augmente la durée d’hospitalisation (54) et majore le risque de maltraitance. Concernant l’évolution de la pathologie démentielle, ils sont de mauvais pronostic et prédictifs d’un déclin co- gnitif plus marqué (40). D’autre part, ils entraînent une altération de la qualité de vie du patient et de son entourage (26). Ils sont reconnus comme étant les facteurs qui influencent le plus le fardeau de l’aidant puisqu’ils sont associés à la charge en soins, à la détresse psychologique et à la dépression de l’aidant (48). Une étude de Cohen et al. a rapporté que 55 % des proches (notamment les épouses) directement impliqués dans le soin aux patients déments sont déprimés (15). Alors que la prévalence de la dépression chez les conjoints de sujets porteurs d’une maladie mentale (toutes pathologies confondues) est évaluée à 24 %, elle s’élève à 47 % lorsqu’il s’agit d’une démence (33). Enfin, les SSPCD représentent un des facteurs ayant des conséquences économiques majeures en augmentant les coûts par patient : ils engendrent 30 % du coût total de la prise en charge d’un patient présentant une démence (4) et augmentent le coût économique global de la maladie (21). LA PRISE EN CHARGE La prise en charge est multidimensionnelle, guidée par le degré de sévérité de la maladie, les caractéristiques des symptômes présentés. Elle doit prendre en compte les pathologies somatiques intercurrentes, ou une iatrogénie potentiellement en cause. Il est nécessaire de repérer attentivement l’ensemble des symptômes psychologiques et comportementaux, d’identifier le symptôme prédominant, de comprendre pourquoi un comportement devient un trouble du comportement, de décrire le (s) trouble(s) (trouble aigu ou chronique, typologie, intensité…) et d’en chercher l’origine (repérer les facteurs externes éventuellement déclenchants, recherche d’une cause curable), d’évaluer le retentissement. Une séquence d’évaluation devant un SSPCD a été décrite en 5 points par Pancrazi en 2003 (42). L’approche non pharmacologique constitue le premier temps de la prise en charge. Des traitements pharmacologiques peuvent y être associés. Approches non pharmacologiques Les approches non pharmacologiques doivent être privilégiées. Les interventions sont centrées sur : – la relation entre l’aidant et le patient pour atténuer le fardeau de l’aidant (soutien psychologique, programmes de formation, mise en place d’un réseau de soutien), – l’environnement du patient pour créer un milieu apaisant (aménagement de l’environnement spatial), respecter les rythmes de vie, faciliter l’orientation temporelle en renforçant les indicateurs temporels (aménagement de l’environnement temporel) et favoriser les actions visant à renforcer un rythme veille/sommeil normal. Les approches psychothérapeutiques et sociothérapeutiques reposent sur des techniques de renforcement, des techniques orientées sur les émotions (évocation du passé « reminiscence therapy »…) ou sur la simulation de la présence d’un proche, des stimulations externes sensorielles, motrices ou cognitives afin de lutter contre l’apathie (musicothérapie, aromathérapie, activités manuelles, thérapie utilisant des animaux domestiques…). Les recommandations et consensus d’experts précisent que ces types d’approches non pharmacologiques peuvent être bénéfiques chez certains patients à certaines périodes de l’évolution de la maladie (28). Symptômes psycho-comportementaux du sujet âgé Approches pharmacologiques Les approches pharmacologiques interviennent en deuxième intention. Aucune recommandation spécifique au sujet âgé avec SSPCD n’est disponible à ce jour. On distingue les traitements spécifiques de la maladie d’Alzheimer des traitements qui agissent plus spécifiquement sur un symptôme précis. La monothérapie doit être privilégiée. Il convient de savoir que l’éviction d’éventuel(s) facteur(s) favorisant(s) permet parfois de réduire les doses des médicaments prescrits (3) et de ne pas méconnaître le risque d’effets extrapyramidaux iatrogènes invalidants et les effets latéraux de type cognitif de certains psychotropes. Les molécules le plus souvent utilisées sont : – les médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer : les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (actions sur les fonctions cognitives et au niveau comportemental, sur les dimensions d’apathie, de dépression, d’anxiété, d’agitation et les hallucinations) et la mémantine (actions sur les habiletés fonctionnelles, les fonctions cognitives et les manifestations comportementales dont la dimension délirante) ; – les antipsychotiques : ils sont actifs sur les symptômes psychotiques, l’agitation et l’agressivité. Le tiapride, à une dose inférieure à 300 mg/jour, peut être utile dans les états d’agitation avec ou sans agressivité de la maladie d’Alzheimer. Les antipsychotiques de nouvelle génération ont fait preuve de leur efficacité dans le traitement des symptômes psychotiques, de l’agitation et de l’agressivité dans la maladie d’Alzheimer (olanzapine, rispéridone) et présentent moins de risque d’effets extrapyramidaux que les neuroleptiques conventionnels. Selon l’AFSSAPS (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé), il est déconseillé de prescrire ces antipsychotiques dans la population des sujets âgés avec une maladie d’Alzheimer et des facteurs de risque cérébro-vasculaires du fait d’un risque plus élevé d’accidents vasculaires cérébraux retrouvés dans certains essais cliniques. Cependant, d’autres études relativisent ce risque cérébrovasculaire. Quelle que soit la molécule employée, toute prescription devra être précédée d’une évaluation du rapport bénéfice/risque puis réévaluée régulièrement dans le temps ; – les antidépresseurs : les molécules à privilégier sont les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine, les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, les inhibiteurs de la monoamine-oxydase sélectifs ou de nouvelle génération (moclobémide). Les antidépresseurs tricycliques doivent être prescrits avec précaution en raison de leurs effets secondaires fréquents (confusion, hypotension orthostatique) ; – les anxiolytiques : en cas d’agitation ou d’anxiété, des benzodiazépines peuvent être utilisées en choisissant préférentiellement des molécules à demi-vie courte, non métabolisées par le foie et sans métabolite actif telles que le lorazépam et l’oxazépam. La buspirone peut être indiquée en cas d’anxiété ou d’agitation mais le délai d’action prolongé (5 jours à 2 semaines) en limite la prescription ; – les antiépileptiques : ils peuvent être utilisés en cas d’agitation ou d’agressivité en deuxième intention après échec des sérotoninergiques ou des antipsychotiques. Les effets secondaires de ces molécules (hyponatrémie, confusion, sédation…) doivent être surveillés attentivement car peuvent être à l’origine de troubles du comportement. Toute prescription médicamenteuse chez un sujet âgé, quelle que soit la S 25 La dépression : des pratiques aux théories 11 L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S19-S27 La dépression : des pratiques aux théories 11 J. Roblin molécule employée, doit suivre les recommandations suivantes : évaluation du rapport bénéfice/risque, monothérapie à privilégier, prescription à la dose minimale efficace, réévaluation fréquente des signes et symptômes, surveillance de la tolérance et de l’efficacité, réévaluation régulière de la posologie, réévaluation des interactions médicamenteuses lors de toute nouvelle prescription, déprescription à envisager si molécule inefficace ou mal tolérée. Conclusion Les symptômes psycho-comportementaux ont un impact significatif sur le pronostic de la maladie d’Alzheimer. Leur évaluation est essentielle et doit être répétée dans le temps en raison de la labilité de ces symptômes. Leur prise en charge repose en premier lieu sur des mesures non pharmacologiques puis sur un traitement pharmacologique si nécessaire. Références 1. Aalten P, Verhey F, Boziki M et al. Neuropsychiatric syndromes in dementia ; results from the european Alzheimer’s disease consortium. 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