Eclairages_122_ Mai2008.pub - Etudes économiques du Crédit

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Eclairages_122_ Mai2008.pub - Etudes économiques du Crédit
Eclairages
Eclairages
Direction des Études Économiques
Mensuel - N°122
Mai 2008
Inflation : retours et métamorphoses
Inflation : les trois retours
1
Inflation : les effets de premier tour
2
Encadré - Quelques raisons de la forte augmentation des prix des matières premières 2
Encadré - Inflation et prix agricoles dans les pays émergents
5
Stagflation : pas d’effets de second tour
6
Encadré - Inflation en zone euro : les effets de second tour sur les salaires et la BCE
Déflation : le risque du retour
Encadré - Déflation : le cas japonais
8
9
11
Inflation : les trois retours
On croyait l’inflation morte et enterrée, sous les effets de la concurrence, de l’ouverture aux marchés internationaux, du vaste réservoir de main-d’œuvre chinois, sans oublier la vigilance des marchés financiers et la crédibilité des banques centrales. Mais l’inflation est en train de revenir, sous
des formes variées, pour ne pas dire opposées, peut-être parce qu’elle a trop et trop longtemps disparu de nos écrans. Cette great moderation nous a fait oublier le risque de son retour.
La prime d’inflation ayant disparu, les taux d’intérêt à long terme ont baissé, poussant les opérateurs à se lancer dans des opérations toujours
plus risquées. Elles soutenaient l’inflation des
prix d’actifs, immobiliers en tête, sans effet visible sur les prix d’ensemble, jusqu’à ce que le
processus se renverse. Le premier retour de l’inflation se manifeste aux Etats-Unis par un doublet contradictoire : inflation des prix des
biens/déflation des prix d’actifs.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les pays émergents, longtemps abrités par des changes sousévalués, ont organisé une croissance forte par
l’exportation, mais une croissance qui a été globalement désinflationniste. Aujourd’hui, un autre effet boomerang de la great moderation se
dessine. Une Chine en pleine croissance, trop
gourmande de tout, voit monter chez elle une
tension inflationniste. La hausse du pétrole et
des matières premières, qu’elle a créée, y est
alors d’autant plus aisément importée que le
yuan est sous-évalué. Le deuxième retour de
l’inflation est ainsi : inflation des prix des commodities, inflation chez les émergents, fin de la
dynamique de great moderation.
Quant à l’Europe, elle se trouve dans une situation de fausse stagflation, souffrant des risques
conjoints de l’inflation chinoise et de la déflation américaine. La feuille de route de la Banque centrale européenne n’est pas adaptée à
cette situation. La crainte déflationniste fait monter l’euro par effet refuge et mine la croissance,
tandis que l’inflation importée fait croître les
prix non core. Mais comme la BCE ne considère
que l’indice dans son ensemble, elle ne peut
que tenir des taux nominaux élevés. Ainsi, en
Europe, troisième retour de l’inflation, c’est la
crainte d’une inflation de second tour qui alimente des tendances déflationnistes.
Bref, l’inflation est de retour, multiforme, quitte
à passer sous les formes de son contraire. Elle
doit donc être combattue de manière différenciée, mais ceci ne peut réussir que si le combat
est coordonné au niveau mondial. Jean-Paul BETBEZE
[email protected]
N°122 – Mai 2008
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Eclairages
Inflation : les effets de premier tour
L’inflation porte mécaniquement la trace de la flambée du prix des matières premières. Dans la
zone euro, la composante « énergie » compte en effet pour 10 % dans le panier de biens de l’indice
des prix à la consommation et la composante « alimentaire » pour 20 %. Ces chiffres sont respectivement de 10 et 14 % aux Etats-Unis.
1. Quarterly Report on the
Euro Area (mars 2008).
Depuis début 2008, la progression de l’indice
général des prix à la consommation harmonisé (IPCH) dans la zone euro dépasse les 3 %
en glissement annuel et a atteint 3,6 % en
mars, un plus haut depuis le début du calcul
de l’indice en 1997. Aux Etats-Unis, sur la
base de l’indice des prix à la consommation
(IPC) publié par le Département du travail,
l’inflation dépasse les 4 % depuis novembre
dernier et s’affichait à 4 % en mars. Le dérapage de l’inflation reflète essentiellement la
flambée du prix des matières premières et,
plus particulièrement, du pétrole. On appelle
effets de premier tour cette transmission
mécanique des variations de prix relatifs à
l’ensemble des prix à la consommation. L’inflation est ainsi tirée vers le haut dans tous les
pays ; seuls les rythmes diffèrent. Hors composantes volatiles (énergie et alimentation),
l’inflation sous-jacente reste sous contrôle et
les effets de « second tour » marginaux. Il s’agit ici de rappeler les mécanismes de transmission de type premier tour et de fixer quelques ordres de grandeur.
Des rythmes d’inflation mécaniquement
élevés
Le prix du pétrole a été multiplié par un facteur de 5,5 entre début 2002 (le prix du baril
de Brent étant alors à 20 dollars, sa moyenne
sur la décennie 1990) et avril 2008 (110 dol-
Encadré 1
lars le baril) et par un facteur de 11, si on
prend le point bas de 10 dollars fin 1998début 1999. En mars, sa hausse atteignait
presque 70 % en variation sur un an. De
même, le prix du blé a grimpé de 130 % entre mi-mars 2007 et mi-mars 2008. L’encadré
ci-dessous reprend les principaux éléments
explicatifs de la flambée des prix des matières
premières.
Or, la forte progression des cours du pétrole
impacte directement l’évolution de l’ensemble des prix à la consommation du fait de sa
transmission immédiate à la composante
« énergie » de l’indice des prix. Celle-ci inclut
les prix des produits pétroliers et dérivés tels
que les carburants, le fuel de chauffage, le
gaz, et l’électricité. L’évolution des prix des
produits agricoles se répercute également
directement sur l’inflation, avec une incidence qui peut être plus ou moins forte selon
qu’ils entrent dans la composition de biens
non transformés ou de produits transformés
(i.e. selon la part des produits agricoles dans
le produit fini). Dans ce dernier cas, les coûts
de production dépendent d’un plus grand
nombre de facteurs, ce qui dans une certaine
mesure dilue l’impact direct de la hausse des
prix des matières premières agricoles.
Dans une étude récente1, la Commission européenne a régressé les variations trimestrielles de la composante énergie de l’IPCH sur la
variation du prix du Brent libellé en euros.
Quelques raisons de la forte augmentation des prix des matières premières
L’envolée des prix du pétrole et des matières premières agricoles et industrielles résulte à la fois de facteurs conjoncturels et structurels.
Les économies émergentes en phase de rattrapage ont fait grimper la demande. Sur le marché de l’énergie, l’offre est de son côté
contrainte (capacités d’extraction et de raffinage limitées) et gérée en partie par un cartel dont la volonté est de maintenir sa rente en
dollar, qui lui baisse en tendance. Les risques géopolitiques ajoutent une prime sans compter des prises de position spéculatives sans
doute importantes en cette période de crise financière.
Sur le marché des produits agricoles, les mêmes mécanismes sont à l’œuvre. L’équilibre est de surcroît affecté par les crises sanitaires et
les aléas climatiques (la flambée des prix relève pour une part significative de la sécheresse qu’ont connue de grands pays exportateurs
tels que l’Australie ou l’Ukraine). En outre, les prix agricoles subissent indirectement les effets de l’envolée des prix des produits énergétiques, via le succès croissant des biocarburants (qui absorbent une part importante de la production de blé et de maïs, concurrençant
ainsi la production de biens alimentaires pour l’usage des terres cultivables) et le renchérissement des coûts de transport.
Par ailleurs, depuis 2003, on assiste également à une flambée des cours des minerais, portée par la demande chinoise. Le manque d’investissements et les caractéristiques propres de ce secteur ne permettent pas de faire face rapidement à de brutales augmentations de
la demande, et cette hausse des prix pourrait être durable en raison de la constitution croissante d’oligopoles.
Prévoir l’évolution des prix des matières premières, et du pétrole plus particulièrement, est une gageure. En toute logique, le retournement américain et le ralentissement attendu de la croissance dans le reste du monde devraient contribuer à modérer la demande de matières premières en général et entraîner une baisse des prix. Mais celle-ci tarde à se concrétiser. Cependant, pour que l’inflation continue
d’accélérer, il faudrait que les prix des matières premières continuent également de grimper. C’est possible mais ce n’est pas l’hypothèse
la plus probable. A contrario, il suffirait d’une simple stabilisation pour que, mécaniquement, l’inflation ralentisse assez nettement et ce
à brève échéance.
2
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Eclairages
Graphique 1
Ces estimations confirment la répercussion
immédiate sur l’inflation des variations des
prix du pétrole. Elles mettent aussi en évidence des effets retardés. Trois et quatre trimestres après le choc, la hausse du prix du
pétrole exerce de nouveau un effet sur l’inflation, du fait entre autre de la réaction décalée
des prix du gaz naturel (indexé sur les prix du
pétrole).
Pour avoir une idée des ordres de grandeur,
citons quelques chiffres. En mars 2008, l’inflation dans la zone euro a atteint 3,6 % en glissement annuel (sur cette période, la hausse
des prix de l’énergie a été de 11,2 % et celle
des biens alimentaires de 5,6 %). Si l’on examine plus en détail les déterminants de cette
évolution, il apparaît que les carburants pour
le transport ont contribué à hauteur de 0,51
point2, les combustibles liquides 0,26 point,
le lait, le fromage et les œufs 0,23, le pain et
les céréales 0,14 (le poids cumulé de ces
sous-indices dans l’inflation totale est de
10,4 %). Aux Etats-Unis, l’inflation s’est inscrite à 4 % : la contribution de la composante
« énergie » se monte à 1,5 point et celle de
l’alimentaire à 0,7 point. Les carburants pour
le transport ont contribué à hauteur de 1,4
point, les combustibles liquides 0,1 point, les
produits laitiers 0,1, le pain et les céréales
0,1. Malgré l’envolée de certains prix, le faible poids des postes de dépenses correspondantes dans le panier de l’indice des prix fait
que leur contribution à l’inflation est plus que
réduite3.
Il existe également des effets
a/a %
UEM : une tendance globale
plus indirects, qui 5
peuvent
être
4
substantiels.
Il
s’agit de l’impact 3
des chocs de prix
des matières pre- 2
mières sur le prix 1
d’autres biens et
services au tra- 0
97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08
vers de la presAllemagne
France
Italie
Espagne
IPCH ZE
sion à la hausse
Source : Eurostat, Crédit Agricole SA
qu’ils
exercent
sur les coûts de production (répercussion sur
le coût des consommations intermédiaires et
sur les coûts de transport). L’exemple le plus
classique est la hausse du prix des billets d’a2. La contribution d’une
vion. L’ampleur de la transmission dépend de composante à l’inflation
l’intensité en pétrole de l’économie, du posi- globale est le poids de cette
dans l’indice
tionnement de l’économie dans son cycle, composante
multiplié par sa variation.
ainsi que du degré de concurrence sur le mar- 3. Par exemple, la compoché des produits. Dans le cas des prix des sante « combustibles liqui» affichait certes une
produits agricoles, la transmission dépend des
hausse de 40,2 % sur un an
également de l’efficience des circuits de dis- en mars mais elle compte
pour seulement 0,351 %
tribution qui peuvent jouer sur les marges4.
Des rythmes d’inflation normalement
variés
Dans la zone euro, l’accélération de l’inflation est commune à tous les pays et coïncïdente, mais les rythmes atteints diffèrent en
revanche sensiblement entre Etats membres
(cf. graphique 1). On peut distinguer trois
Tableau 1
Pondérations de l’Indice des Prix à la Consommation Harmonisé, 2008
Zone
Euro 15
Allemagne
France
Espagne
Italie
Pr o d uit s aliment air es et b o isso ns no n alco o lisées
16
12
16
20
18
8
B o isso ns alco o lisées, t ab ac et nar co t iq ues
4
4
4
3
3
2
Articles d’habillement & chaussures
Et at s- U nis ( IPC ) *
7
5
6
9
9
4
15
23
1
10
10
35
Ameublement, équipement ménager, entretien maison
7
6
7
7
9
5
Santé
4
4
4
3
4
6
16
15
18
15
16
18
Lo g ement , eau, élect r icit é, g az , aut r es co mb ust ib les
T r ansp o r t s
Communications
3
3
4
4
3
3
Loisirs et Culture
10
12
10
8
7
6
Enseignement
1
1
1
1
1
3
Hôtels, cafés et restaurants
9
5
7
14
12
9
Autres biens et services
8
8
10
6
9
2
10 0
10 0
10 0
10 0
10 0
10 0
C o mp o sant e Ener g ie
10
12
9
10
8
10
C o mp o sant e A liment at io n ( y co mp r is alco o l et t ab ac)
20
17
20
23
21
14
Ensemb le IC PH
dans l’IPC américain.
4. En France, dans le cadre
des relations commerciales
entre fournisseurs et distributeurs dans le secteur de la
grande distribution, le seuil
de revente à perte a été de
nouveau modifié avec la loi
Chatel, entrée en vigueur au
01/03/2008. Elle prévoit la
déduction de l’ensemble des
marges arrière (i.e. ristournes,
rabais et remises versés par
les fournisseurs aux distributeurs, ou services de coopération liés à la vente) dans le
calcul du prix d’achat. Cette
révision devrait contraindre
plus fortement les marges des
intermédiaires.
* A des fins de comparaison, les poids ici présentés ne sont pas strictement ceux de l’IPC américain : les pondérations ont été adaptées aux postes de
dépenses de l’IPCH européen. La composante « logement » est augmentée de la partie « loyers » (shelter) qui compte pour 33 % dans l’IPC américain,
le poste « combustibles, eau, gaz, électricité » comptant, lui, pour 5 %. Le total n’est pas obligatoirement égal à 100 du fait des arrondis.
Source : Eurostat, Statistisches Bundesamt, INSEE, INE, ISTAT, BLS.
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raisons à cela. Ce
sont d’ailleurs les
mêmes qui expliSource : DGEMP/DIREM, février 2008 (Ministère de l’industrie)
quent les divergenSur essence
Sur gazole
Sur f uel domestique
ces de part et d’autre
Allemagne
0,65
0,47
0,06
de l’Atlantique. Le
Espagne
0,4
0,3
0,08
France
0,6
0,43
0,06
poids
des composanItalie
0,56
0,42
0,4
tes « énergie » et
UE 15
0,55
0,39
0,14
« alimentation »
dans le panier de l’indice des prix à la
5. IPCH et IPC nationaux
diffèrent par : le traitement
consommation (harmonisé ou national5) vade l’enseignement et des
rie selon les pays (cf. tableau 1).
soins de santé subventionnés
(l’IPCH inclut le prix net payé
La fiscalité sur les produits pétroliers diffère
par les consommateurs, cerégalement d’un pays à l’autre. Elle permet
tains IPC nationaux enregisplus ou moins d’atténuer l’impact des variatrent le prix brut ou excluent
ces achats), le traitement des
tions de prix. En France, le droit d’accise sur
propri éta ire s o cc upa nt s
les produits pétroliers, la taxe intérieure sur
(l’IPCH exclue les prix imputés aux services fournis), les
les produits pétroliers (TIPP), est perçu sur les
formules d’agrégation, la
volumes et non sur les prix de vente. Ceci
couverture géographique et
démographique (l’IPCH coupermet d’amortir quelque peu l’impact d’une
vre les dépenses effectuées
hausse des prix du pétrole (le montant de
sur le territoire, alors que
taxes payées étant indépendant de la valeur
certains IPC nationaux sont
construits sur les dépenses
de l’achat, l’augmentation du prix de la mades résidents nationaux au
tière première n’est pas répercuté dans la fissein et hors du pays).
calité afférente).
6. Même en l’absence de
variation du prix du pétrole,
A contrario, aux Etats-Unis, l’essence est cerle prix de l’essence varie de
tes peu chère et moins taxée, mais son prix
manière saisonnière. Le candidat républicain à la présivarie beaucoup plus en fonction du prix du
dence John McCain a ainsi
pétrole6. A la mi-avril, le gallon d’essence
proposé de suspendre la taxe
fédérale durant la driving
était ainsi de 3,6 dollars (soit 95 cents le litre7,
season de cet été afin d’allé1 gallon équivalant à 3,8 litres) contre 1,2
ger le budget des Américains.
dollar début 2002, avant la flambée. Ce prix
7. Compte tenu du taux de
change actuel de l’euro/
intègre le coût du pétrole brut pour les raffidollar, le plein d’essence
neurs (à hauteur de la moitié environ), les
pour un Américain est désorcoûts de raffinage y compris la marge des
mais comparable au prix d’un
plein de diesel en France !
raffineurs (près de 20 % du prix), les coûts de
8. Au premier trimestre 2008,
distribution y compris la marge des distribusur un dollar payé pour un
teurs (10 %), et les taxes fédérales et des états
gallon d’essence, il y avait
28,6 cents de taxes d’état (en
(20 % en moyenne nationale sachant qu’il y a
moyenne) plus 18,4 cents de
des variations d’un état à l’autre et que des
taxe fédérale.
Tableau 2
Part des taxes dans le prix de vente à la pompe
au 1er octobre 2007 (en €/l)
Graphique 2
Etats-Unis : inflation (CPI)
a/a, %
16
a/a, %
16
14
14
12
10
sous-jacente
8
8
6
6
4
4
2
2
0
1972
0
1977
1982
1987
Source : BLS, Crédit Agricole SA
4
12
totale
10
N°122 – Mai 2008
1992
1997
2002
2007
en gris, les récessions
taxes locales au niveau du comté ou de la
ville peuvent se superposer8).
Enfin, des facteurs structurels jouent également un rôle non négligeable, comme le
mode de fixation des prix administrés, le
degré de concurrence sur les marchés de
l’énergie, les différences d’intensité énergétique. La baisse de cette dernière dans les pays
développés au cours du temps a permis de
réduire l’impact d’un choc pétrolier sur l’inflation et la croissance mais certains pays restent malgré tout de plus gros consommateurs
de pétrole que d’autres. Pour produire une
unité de PIB (en M USD de 1995), les EtatsUnis consomment en effet 221 tonnes équivalent pétrole, la France 137 et l’Allemagne
117. Par rapport à 1971, ces pays sont moitié
moins gourmands en pétrole.
Concernant, la différenciation des rythmes
d’inflation de part et d’autre de l’Atlantique,
l’évolution de la parité bilatérale est un élément supplémentaire à prendre en compte.
Ainsi l’envolée de l’euro face au billet vert a
permis d’amortir en partie le choc de la
hausse du prix des matières premières sur
l’inflation en zone euro.
Des rythmes d’inflation problématiques
Des rythmes d’inflation aussi élevés restent
néanmoins problématiques à de nombreux
égards. Ils pèsent sur le moral et le pouvoir
d’achat des ménages, conduisant même à des
situations critiques dans les pays en développement. Ces évolutions alimentent les craintes d’une stagflation (cf. article page 6), même
si on est très loin des vitesses de progression à
deux chiffres en vigueur dans les années 1970
(cf. graphique 2).
Cette poussée inflationniste n’est pas exempte
d’un risque d’apparition d’effets de « second
tour » où hausse des prix et des salaires s’auto-alimentent. C’est une source d’inconfort
pour les banques centrales des pays industrialisés (cf. encadré 3), les cibles d’inflation,
qu’elles soient explicites ou officieuses, étant
largement dépassées. A l’heure où la croissance ralentit et si l’inflation persiste, c’est
bien alors la crainte de la stagflation qui refait
surface. Hélène BAUDCHON
[email protected]
Florence TOUYA
[email protected]
Eclairages
Encadré 2
Inflation et prix agricoles dans les pays émergents
Si l’inflation est historiquement plus élevée dans les
pays émergents (5,7 %/an en moyenne de 2000 à
2007, contre 2,1 %/an pour les pays industrialisés),
le retour actuel de tensions inflationnistes les affecte
particulièrement. Auparavant, le débat économique
se focalisait principalement sur les questions de surchauffe et de sous-évaluation des taux de change,
notamment en Chine et dans les pays du Golfe. Aujourd’hui, l’inflation émergente, ou l’emflation, est
principalement vue sous l’angle « alimentaire ».
La flambée des matières agricoles est réelle
Depuis 36 mois, les prix des denrées alimentaires ont progressé de 83 % en moyenne.
Trois raisons principales expliquent cette augmentation. Premièrement, les habitudes alimentaires des pays en développement évoluent en raison de l’émergence de classes
moyennes1, qui consomment par exemple plus
de viande2. On peut noter qu’entre 1999 et
2007, les importations chinoises de soja ont
été multipliées par sept, face à un simple doublement des exportations. Deuxièmement,
l’engouement actuel envers les biocarburants
est à l’origine d’un phénomène d’éviction à
grande échelle : ainsi, l’intégralité de l’augmentation de la production de maïs aux EtatsUnis enregistrée entre 2004 et 2007 (50 millions de tonnes) s’est orientée vers les biocarburants. Ce mouvement devrait s’amplifier.
Selon le rapport environnemental de l’OCDE3,
la surface des terres consacrées aux biocarburants devrait augmenter de 242 % d’ici à
2030. Ces deux tendances de fond4 indiquent
que la hausse des prix alimentaires devrait
être durable. Selon la FAO5, à l’horizon 2015,
les prix des denrées agricoles devraient demeurer supérieurs à ceux affichés en 2004.
Enfin, à l’image des cours pétroliers, il ne faut
pas négliger des phénomènes de spéculation,
particulièrement prégnants en ces temps de
crise financière. S’il est difficile d’en évaluer la
contribution à la hausse actuelle, certains dérapages des prix coïncident avec l’éclatement
de la crise. Les matières premières sont désormais une classe d’actifs arbitrées comme les
autres, potentiellement soumise à des excès
qui seront tôt ou tard corrigés. La fin de la
crise des subprimes pourrait ainsi aider à relâcher la pression.
Une double répercussion
La hausse des prix alimentaires se répercute
autant sur les balances commerciales des pays
émergents6 que sur les marchés domestiques. Que ce soit via des effets de premier
tour puisque dans les pays pauvres, les ménages consacrent en moyenne, selon la Banque
Mondiale, entre 50 % et 75 % de leurs revenus aux achats alimentaires7. Bien qu’atténuée
par un dollar affaibli et des politiques de stabilisation des prix alimentaires, l’inflation des
denrées agricoles est en général supérieure à
l’inflation totale. Ainsi, en Europe et Asie Centrales, en 2007, la première a atteint 15 %
alors que la seconde se limitait à 10 %. Que ce
soit via des effets de second tour, principalement à travers de fortes hausses de salaires,
notamment ceux des travailleurs non qualifiés
particulièrement exposés aux pertes de pouvoir d’achat.
Ivanic et Martin8 ont cherché à chiffrer les
conséquences de cette hausse des prix des aliments de base sur huit pays émergents, en
prenant en compte à la fois les effets de premier et de second tour. Ils concluent à une
hausse significative de la pauvreté dans six
des huit pays. Une étude récente concernant
l’Indonésie indique que plus de 75 % des ménages pauvres sont des acheteurs nets de riz,
et qu’une hausse de 10 % du prix du riz entraînerait plus de deux millions de personnes
sous le seuil de pauvreté. Plus généralement,
selon R. Zoellick9, l’inflation alimentaire devrait faire reculer de sept ans les objectifs de
réduction de la pauvreté fixés lors des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Enfin, une étude du FIDA10 indique qu’une augmentation de 1 % du prix des denrées alimentaires de base entraîne une hausse de 16 millions de personnes plongés dans l’insécurité
alimentaire.
« L’Emflation » est également source de fortes
tensions sociales et politiques, et la Banque
Mondiale s’attend à des « émeutes de la
faim » dans plus de trente pays émergents
particulièrement vulnérables à « l’insécurité
alimentaire », y compris dans les pays les plus
avancés tels que le Mexique ou la Malaisie11.
Des affrontements ont, par exemple, secoué
l’Egypte. Le gouvernement a budgeté près de
1 milliard USD pour stabiliser le prix du pain,
et les magasins d’état distribuent désormais
près de 210 millions de pains par jour à un
prix égal au dixième de leur prix de marché.
Au Pakistan et en Thaïlande, l’armée a été déployée près des champs et des entrepôts pour
décourager la recrudescence des vols de nourriture. Ces tensions sociales sont exacerbées
par l’urbanisation croissante des pays émergents12.
Contrôler, libérer … ou soutenir
Face à ces problèmes, de nombreux Etats
émergents ont adopté, ces derniers mois, deux
principaux types de mesure à court terme.
D’une part, l’imposition d’un contrôle des prix
alimentaires, parfois couplé à différents schémas de rationnement ou de distribution. D’autre part, la hausse des tarifs douaniers à l’exportation. La tentation du « chacun pour soi »
est grande, comme l’indique la multiplication
récente des accords agricoles bilatéraux, qui
avaient pourtant progressivement disparus durant les années 1990. Toutefois, ces mesures
ne devraient pas fournir de réponse à la crise,
en décourageant les opportunités d’augmentation de la production agricole pourtant nées de
la hausse des prix actuelle. De fait, la Banque
Mondiale, qui demande d’ailleurs aux pays donateurs 500 millions USD afin de couvrir la
hausse des dépenses du Programme Alimentaire Mondial pour l’année en cours, préconise
au contraire des solutions à plus long terme :
libéralisation des échanges agricoles via la
conclusion des négociations de Doha13 et
hausse de l’investissement public et international dans le secteur agricole14.
Clément GILLET
[email protected]
1. On estime par exemple
que l’addition des classes
moyennes chinoises et indiennes représente près de
500 millions de consommateurs.
2. Rappelons ici que la
« production » d’un kilo de
viande nécessite sept à huit
kilos de céréales. A titre
d’exemple, la consommation
annuelle de viande par habitant est passée en Chine de
20 kilos en 1980 à 50 kilos
aujourd’hui.
3. Voir notamment
www.oecd.org/environment/
outlookto2030.
4. Auxquelles on peut ajouter
des explications plus
conjoncturelles du côté de
l’offre, telles de mauvaises
récoltes et des stocks au plus
bas. A titre d’exemple, la
production des huit principaux exportateurs de céréales
a baissé de respectivement
4% et 7% en 2005 et 2006.
5. Food and Agriculture Organization. Voir notamment :
http://www.fao.org/.
6. Voir notamment le numéro
de mars 2008 de la revue
trimestrielle Finance & Development du FMI.
7. Les dépenses alimentaires
représentent ainsi 10% des
dépenses des foyers américains, contre 77% au Burundi.
8. Ivanic et Martin, Implications of Higher Global Food
Prices for Poverty in LowIncome Countries, 2008.
9. Président de la Banque
Mondiale.
10. Fonds International de
Développement Agricole.
11. Ces deux pays affichent
pourtant des PIB par habitant
d’environ 12 000 USD (PPA).
12. D’une part, les villes sont
plus vulnérables aux problèmes alimentaires que les
zones rurales. D’autre part,
les émeutes de la faim ont
plus d’impact dans les villes,
là où sont concentrées les
institutions politiques.
13. Voir notamment http://
www.wto.org/French/
tratop_f/dda_f/dda_f.htm.
14. A cet effet, la Banque
Mondiale a indiqué qu’elle
comptait doubler le montant
de ses prêts agricoles en
Afrique.
N°122 – Mai 2008
5
Eclairages
Stagflation : pas d’effets de second tour
Les symptômes de la stagflation sont là (conjonction d’une forte hausse du prix des matières premières, d’un rythme élevé de l’inflation, et d’un ralentissement de la croissance). Sauf que les apparences peuvent être trompeuses. Ce n’est pas la stagflation qu’il faut craindre mais la déflation.
Certes, la forte hausse du prix des matières pre­
mières (énergétiques, alimentaires et industrielles) est un choc de nature inflationniste. Et l’inflation en porte mécaniquement la trace
(cf. article page 2). De plus, d’autres sources
potentielles d’inflation s’ajoutent, comme la
baisse du dollar et la progression rapide des
agrégats monétaires. La vigilance des banques
centrales est donc nécessaire, essentiellement à
des fins d’ancrage des anticipations d’inflation.
Pourtant, l’inflation sous-jacente reste sage et les
signes d’effets de « second tour » marginaux.
Surtout, le freinage de la croissance, en cours et
à venir, devrait dissiper toutes pressions inflationnistes résiduelles.
Le second choc, négatif, auquel sont confrontés
les pays développés est l’essoufflement du modèle fordiste et le fort ralentissement de la productivité sur laquelle reposait la croissance des
Trente Glorieuses.
Un troisième élément intervient alors. Des banques centrales moins vigilantes à l’égard du
risque inflationniste, et évaluant mal la croissance potentielle, tentent alors de relancer la
croissance par des politiques monétaires expansionnistes1. Mais ceci ne fait que renforcer la
hausse de l’inflation sans avoir l’impact voulu
sur la croissance.
La vraie stagflation des années 1970
Flambée des cours pétroliers, hausse des prix à
la production, remontée de l’inflation, ralentissement des gains de productivité et de la croissance caractérisent aussi la période actuelle.
Faut-il craindre que les mécanismes qui ont
abouti à la stagflation dans les années 1970 se
reproduisent ? Non, dans la mesure où les mêmes chocs ne produisent pas toujours les mêmes effets et parce que les mécanismes à l’œuvre dans les années 1970 ne sont plus opérants
aujourd’hui.
Il convient d’abord de mettre en perspective le
rythme de l’inflation aujourd’hui avec celui qui
prévalait à l’époque. Après avoir atteint un
rythme de hausse à deux chiffres à la fin des
années 1970, l’inflation des pays de l’OCDE (en
même temps que sa volatilité) a progres­
sivement décrû et s’est stabilisée autour de 2 %
dans les années 1990 (cf. graphique 2).
A ce jour, la hausse du prix des matières premières correspond davantage à une déformation des
prix relatifs. Contrairement à l’épisode stagflationniste des années 1970, la hausse des prix n’est pas
généralisée. Les signes d’une transmission à l’inflation sous-jacente restent marginaux. L’inflation
sous-jacente n’a pas dérapé comme l’inflation totale. Et d’ici la fin de l’année, le risque que cela soit
le cas n’est pas nul, mais minime. D’une part, les
facteurs structurels responsables de la great moderation continueront de jouer. D’autre part, le ralentissement de la croissance exerce des pressions
Le spectre de la stagflation resurgit aujourd’hui,
alors que le prix du pétrole dépasse largement
la « barre » des 100 dollars le baril et que le
chômage remonte aux Etats-Unis. Evoqué par
1. Nelson E. & Nikolov K.
A.
Greenspan le 16 décembre dernier, la crainte
(2002): “Monetary Policy and
Stagflation in the UK”, Bank
de voir revenir le fléau des années 1970 s’est
of England Working Paper.
rapidement répandue. Définie en 1965 par le
futur Chancelier de l’Échiquier britannique, Iain
Macleod, la stagflation désigne la combinaison
d’une accélération de l’inflation et d’une récession. Ce concept décrit bien la situation des
années 1970.
A l’époque, en effet, l’économie mondiale subit
un double choc. Le premier choc, pétrolier, est
un choc d’offre. Il résulte de la décision de l’OPEP de réduire sa production. En 1973, le prix
du baril est ainsi multiplié par quatre (cf. graphique 1). Les coûts de production explosent, puis
les prix à la consommation des pays de l’OCDE.
Des boucles prix/salaires s’enclenchent et ampliGraphique 1
fient le dérapage de
Chocs pétroliers et croissance de
l’inflation. En 1979,
a/a, %
l'économie mondiale
us$/baril
les nouvelles restric7,0
0
10
tions de l’OPEP
6,0
20
provoquent de nou5,0
30
4,0
40
veau une multiplica50
3,0
tion par 2,5 des prix
60
2,0
70
du pétrole et une
80
1,0
nouvelle accéléra72 75 78 81 84 87 90 93 96 99 02 05 08
PIB réel
tion de l’inflation.
Moyenne annuelle 1970-2000
Sources: IMF, CASA
6
N°122 – Mai 2008
en us$ constant, 2005 (ech.inv.)
Le retour de la stagflation en 2008 : un
risque en trompe l’œil
Eclairages
désinflationnistes et la crise financière est de nature
déflationniste (cf. article page 9).
L’effet « great moderation »
Grâce à la mise en place de politiques d’ancrage nominal à partir des années 1980, les
banques centrales ont activement participé au
phénomène global de désinflation, aussi connu
sous l’expression de « great moderation ». C’est
le cas de la maîtrise de la masse monétaire à la
Fed (période Volcker) et à la Bundesbank, c’est
le ciblage d’inflation en Nouvelle-Zélande, au
Canada, puis au Royaume-Uni.
Ensuite, à partir de la fin des années 1990, ce
mouvement a été accentué par la globalisation
des échanges et l’intégration des pays à maind’œuvre abondante (Chine, Inde) au commerce
international. Si, aujourd’hui, les pays émergents
sont accusés de favoriser le retour de l’inflation,
au travers de leur forte demande de matières
premières, les effets désinflationnistes du bas
coût de leur main-d’œuvre persistent. En attisant
la concurrence, ils favorisent un mouvement
général de baisse des prix dans le secteur des
biens et services échangeables. La plateforme
manufacturière s’étant largement déplacée en
Asie, le pouvoir de fixation des prix s’est lui
aussi déplacé, avec, à la clef, des gains de pouvoir d’achat pour les ménages, mais aussi des
marges plus réduites pour les entreprises américaines et européennes2.
Hors remise en cause de l’engagement des banques centrales dans leur lutte contre l’inflation,
selon nous impossible, et du mouvement de
globalisation des échanges, très improbable,
leurs effets bénéfiques conjoints sur l’inflation
devraient ainsi continuer de s’exercer au cours
des prochaines années.
Effets désinflationnistes du ralentissement de la
croissance
La croissance, jusqu’à récemment, ne portait pas
les traces du choc pétrolier. De 2004 à 2007, forte
croissance et envolée du prix du pétrole sont allées
de pair (cf. graphique 1), contrairement aux épisodes précédents de fortes hausses du baril de brut
(1973-74 et 1979-81). En effet, comme le soulignent Blanchard et Galí3, la sensibilité de la croissance (mais aussi de l’inflation) aux prix du pétrole
s’est fortement amoindrie à mesure que la part du
pétrole dans la consommation et la production des
pays développés se réduisait.
Sauf que, au choc pétrolier, s’est ajouté un choc
immobilier à partir de 2006, doublé d’une crise
financière à partir de 2007. C’est la combinaison
de ces chocs qui pourrait avoir raison de la croissance mondiale et américaine en particulier. Aux
Graphique 2
Etats-Unis comme
dans la zone euro, la
Inflation OCDE et sa volatilité
(volatilité glissante sur 5 ans)
résultante de ces
%
20
chocs est une crois- 60%
sance sous-optimale 50%
15
en 2008 et 2009. Les 40%
30%
10
tensions qui pou- 20%
5
vaient encore exister 10%
0%
0
sur le marché du
75
80
85
90
95
00
05
travail et sur l’appaVolatilité
Inflation (éch. droite)
Sources : OCDE, Datastream, Crédit Agricole SA
reil productif vont se
dissiper, et avec elles, le risque inflationniste. Dans ce contexte, l’enclenchement d’une boucle prix-salaires nous paraît
hautement improbable (cf. encadré n°3).
Contrairement à ce qui prévalait dans les années
1970, les salaires ne sont plus indexés sur l’inflation, le lien entre hausse des salaires et inflation
s’est distendu, l’inflation salariale est limitée et
absorbée en partie par les gains de productivité.
Aux Etats-Unis, les salaires horaires nominaux sont,
d’ores et déjà, sur la voie du ralentissement. En
Allemagne, les négociations salariales en cours
inquiètent à tort. Pour l’ensemble de la zone euro,
le partage de la valeur ajoutée est encore en faveur
des profits, ce qui limite le pouvoir de négociation
des travailleurs, malgré la baisse nette du taux de
chômage. Aux Etats-Unis, la déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur des salaires est
engagée et est, potentiellement, porteuse d’inflation. Pour maintenir leurs profits, les entreprises
peuvent être tentées de répercuter dans leurs prix
de vente les hausses de coûts, mais l’environnement concurrentiel et la fragilité de la demande ne
s’y prêtent pas.
Une condition nécessaire à l’enclenchement
d’une boucle prix-salaires est le dérapage des
anticipations d’inflation. Celles-ci sont effectivement tirées vers le haut par la hausse du prix du
pétrole mais pas de manière persistante. A ce
jour, les anticipations d’inflation restent raisonnablement bien ancrées aux Etats-Unis comme dans
la zone euro.
2. Kohn D. (2005):
La récession est américaine, mais le ralentissement “Globalization, Inflation, and
Monetary Policy”, remarks at
sera mondial et les prix, même ceux des matières the James Wilson Lectures,
premières, devraient finir par refluer. La Fed a bien The College of Wooster,
compris que, dans son cas, le principal risque est Wooster, Ohio.
3. Blanchard O. & Galí J.
l’amorce d’une spirale baissière entre prix et activi- (2008): “The Macroeconomic
té, si la déflation financière à l’œuvre vient conta- Effects of Oil Price Shocks:
Why are the 2000s so diffeminer la sphère réelle. Ce n’est pas la stagflation rent from the 1970s”, MITCREI Working Paper.
qu’il faut craindre alors mais bien la déflation. Hélène BAUDCHON
[email protected]
Grégory CLAEYS
[email protected]
N°122 – Mai 2008
7
Eclairages
Inflation en zone euro : les effets de second tour sur les salaires et la BCE
« Pas d’effets de second tour ! ». C’est, en
substance, le message envoyé par le président
de la Banque centrale européenne depuis plusieurs mois pour résumer la priorité du Conseil
des gouverneurs. Et pour cause, l’absence de
dérive salariale constitue actuellement une hypothèse centrale des prévisions d’inflation produites par les économistes de la BCE, comme
l’a indiqué M. Trichet en décembre 2007. Plus
généralement, la BCE pointe depuis plus de
deux ans les pressions haussières sur les salaires émanant de la baisse continue du taux
de chômage. Les risques d’effets de second
tour sont, d’ailleurs, déjà mentionnés dans le
communiqué
accompagnant
la
première
hausse de taux en décembre 2005.
Or le niveau des salaires n’est pas un objectif
de politique monétaire, c’est au mieux une résultante des décisions de politique économique. Pourquoi vouloir « combattre » ces effets
de second tour ? En réalité, il est primordial
pour une banque centrale d’analyser la dynamique des salaires en relation avec celle des
prix à la consommation, car elles s’influencent
mutuellement.
Le second tour, comme auto-allumage
D’une manière générale, les effets de second
tour désignent les mécanismes par lesquels un
taux d’inflation durablement « élevé » exerce
par lui-même une pression haussière sur les
prix. L’inflation peut ainsi, dans certains cas,
s’auto-alimenter via des boucles prix-salaires.
En particulier, si les ménages font face à une
hausse des prix qu’ils jugent durable, et s’ils
disposent d’un pouvoir de négociation suffisant dans leur rapport à leur employeur, ils
tenteront d’obtenir des hausses de salaires
permettant de compenser leur perte de pouvoir d’achat anticipé. Un cercle vicieux se met
en place entre inflation et salaires, dès lors
que ces derniers ne sont plus en ligne avec les
fondamentaux microéconomiques de l’entreprise (profitabilité, productivité). L’apparition
d’effets de second tour dépend donc de façon
cruciale du niveau des anticipations des agents
et du rapport de force entre salariés et employeurs.
1. C’est l’objet des travaux du
groupe de recherche Inflation
Persistence Network (IPN) de
la BCE.
2. Voir, par exemple, Inflation persistence and pricesetting behaviour in the Euro
area (BCE, Juin 2006).
8
N°122 – Mai 2008
Le ton de la BCE est monté d’un cran depuis le
début de l’année, pour conjurer ce risque de
dérapage au moment où des négociations salariales à risque avaient lieu en Allemagne, et où
les prix des produits « de base » explosaient,
pétrole et produits alimentaires en tête. Il
reste aussi que la BCE a été freinée dans son
cycle de hausse de taux avec la crise financière qui a éclaté à l’été 2007, et se trouve aujourd’hui prise entre deux feux. Elle reconnaît
que l’activité ralentit et que l’environnement
global devient plus incertain, mais dans le
même temps, l’inflation a accéléré de façon
plus rapide et plus importante que prévu à la
charnière 2007-2008.
A moyen terme, les inquiétudes de la BCE doivent, selon nous, être nuancées dans la me-
Encadré 3
sure où le freinage de la croissance sous son
potentiel est de nature à calmer les pressions
inflationnistes résiduelles. Les tensions sur les
capacités de production devraient aller en se
modérant. Le nombre de chômeurs pourrait
cesser de baisser et les salariés se retrouveront dans une position moins favorable pour
renégocier leurs salaires l’année prochaine. Le
pricing power des entreprises pourrait diminuer lui aussi. Bref, le retournement du cycle,
accentué par la crise financière et la correction
du marché immobilier dans plusieurs pays, est
fondamentalement désinflationniste.
Le second tour, comme blocage
La BCE reste malgré tout très vigilante vis-àvis du risque de dérive salariale, pour deux raisons au moins. La première est liée à une différence structurelle majeure dans la dynamique de l’inflation des deux côtés de l’Atlantique. L’inflation totale est plus persistante en
zone euro qu’aux Etats-Unis, ce qui affecte a
priori la transmission de la politique monétaire1. Elle est un élément de blocage. Ainsi, l’inflation est moins volatile en zone euro : 13%
en moyenne sur les quinze dernières années
pour la volatilité glissante calculée sur 24
mois, contre 20% aux Etats-Unis. D’autre part,
elle est plus sensible à son évolution passée,
ce que l’on vérifie par exemple en régressant
l’inflation sur ses valeurs des mois précédents.
La somme des cœfficients obtenus (sur les
seuls retards qui apportent de l’information
pour expliquer l’inflation courante), donne une
mesure possible de la persistance de l’inflation, qui est plus élevée en zone euro qu’aux
Etats-Unis sur les dix dernières années. D’autres méthodes d’estimation plus élaborées, basées sur des modèles macro-économétriques2,
permettent de préciser le diagnostic. Ainsi,
l’inflation semble réagir moins vite aux variations du taux de chômage en zone euro ; côté
entreprises, les coûts d’ajustement liés à la
fixation des prix (« menu costs ») seraient par
ailleurs plus élevés sur le Vieux Continent.
La deuxième raison de la vigilance de la BCE a
trait à la formation des anticipations d’inflation, lesquelles se caractérisent aussi par une
forme d’inertie en zone euro, à la hausse
comme à la baisse. La BCE sait que leur dérapage aurait un impact durable sur le niveau
d’inflation de long terme et c’est la raison pour
laquelle son discours reste aussi ferme. L’ancrage des anticipations d’inflation au plus bas
niveau possible est le capital de crédibilité de
la BCE accumulé au fil des années. Après le
choc lié à l’introduction de l’euro, puis à la
hausse du prix du pétrole en 1999-2000, les
anticipations d’inflation étaient globalement
restées contenues. De leur évolution en cette
fin de cycle pourrait dépendre le succès de la
BCE à faire revenir l’inflation vers sa cible de
moyen terme.
Frederik DUCROZET
[email protected]
Eclairages
Déflation : le risque du retour
A l’heure où l’inquiétude grandit sur le risque inflationniste mondial, l’action de la Fed vise, elle, à
court-circuiter les enchaînements déflationnistes à l’œuvre dans la sphère financière. La question
vient alors de savoir s’il est possible d’avoir, de manière coïncidente et durable, de l’inflation des
prix des biens et de la déflation des prix d’actifs.
La réponse à cette question n’est pas facile, mais
l’ampleur de la crise financière actuelle et ses
effets de contagion à l’économie réelle sont des
éléments déterminants de l’issue, en conditionnant le passage d’un risque à l’autre. L’histoire
nous enseigne qu’à l’origine de toutes crises
financières se trouve l’accumulation à l’excès
d’un lourd passif au niveau global, avec en toile
de fond une erreur collective dans l’appréciation
du risque. Lorsque vient l’heure de la purge,
c’est alors un risque de déflation par la dette
qui plane sur l’économie. Rappelons à cet égard
que le krach de 1929 et les débouclages afférents ont plongé les Etats-Unis dans la plus grave
dépression de leur histoire. Comparaison n’est
pas raison, mais c’est pourtant ce référentiel qui
est utilisé aujourd’hui pour alerter sur les effets
délétères nés du dégonflement de la bulle majeure de crédit actuel.
Déflation et instabilité financière : Fisher
et la « debt deflation »
Le terme déflation strico sensu fait référence à
une baisse du niveau général des prix. Les mécanismes qui peuvent conduire à la matérialisation de ce risque sont connus sous le vocable de
« debt deflation », une terminologie attribuée à
Irving Fisher (1933)1. Ce dernier s’est intéressé,
lors de la crise de 1929, aux interactions existantes entre la baisse du prix des biens et l’accroissement en termes réels du poids des dettes.
Il a décrit à cette occasion les mécanismes
cumulatifs par lesquels l’économie s’enfonce
dans une spirale dépressive.
Le point de départ est la volonté des agents privés endettés (entreprises et/ou ménages), de
liquider leur passif. « (1) La liquidation des dettes conduit à des ventes de détresse et à (2) une
contraction de la monnaie de dépôt, puisque les
prêts bancaires sont remboursés, et à une baisse
de la vitesse de circulation de la monnaie. [Ceci
conduit à] (3) « la chute du niveau des prix ». En
supposant qu’aucune relance de l’activité ou
autre ne vienne interférer avec la chute des prix,
il en découle (4) une chute encore plus importante dans les valeurs nettes des affaires et (5)
une chute similaire des profits, ce qui conduit
les firmes qui font des pertes à procéder à (6)
une réduction de la production, du commerce
et de l’emploi. Ces pertes, ces faillites et le chômage mènent à (7) un pessimisme et une perte
de confiance, ce qui à son tour conduit à (8) la
thésaurisation et une diminution supplémentaire
de la vitesse de circulation »2.
Dans ce schéma, le surendettement apparaît
bien comme l’élément catalyseur d’un enchaînement vicieux où la contraction de l’activité
induit des pressions baissières sur les prix qui,
en retour, fragilisent la solvabilité des agents
endettés, et ainsi de suite. Cependant, l’auteur
ne met pas en avant le rôle joué par les ajustements du prix des actifs, facteurs pourtant présents en 1929. Des développements plus récents3, faisant écho aux travaux de Keynes ou de
Minsky (1968), ont complété l’analyse de Fisher.
L’accent est alors mis sur les effets de balanciers
de la finance et sur l’implication du système
financier dans l’enclenchement d’une spirale
déflationniste.
La baisse du prix des actifs agit sur la
contrainte de liquidité (voire la solvabilité) des
débiteurs, surtout lorsque le montant de l’emprunt est gagé par la valeur du collatéral4. Lorsque les prix d’actifs chutent, la valeur relative de
la dette s’accroît, ce qui peut nécessiter un rééquilibrage bilanciel via une réduction du levier
d’endettement. Il existe trois moyens de se procurer du cash pour rembourser ses dettes : les
revenus (les cash flow pour les entreprises, les
salaires et les revenus d’épargne pour les ménages), la levée de nouveaux fonds (sous forme de
crédits, d’émission d’actions ou d’obligations)
et/ou, finalement, la cession d’actifs. En période
de crise, cette contrainte de liquidité peut se
resserrer très brutalement lorsque l’économie
ralentit, avec les revenus, et que les agents,
contraints de se tourner vers le marché des
fonds prêtables, n’ont plus accès aux financements dont ils ont besoin. Les conditions tarifaires et de liquidité sur les marchés (dette ou actions) peuvent se détériorer rapidement, en liaison avec la remontée de l’aversion au risque.
Dans cet environnement déprimé, les banques
doivent elles-mêmes faire face à la montée du
coût du risque. Ceci les conduit à resserrer leurs
conditions de financement et à restreindre leur
offre de crédit. La seule issue, lorsque toutes les
sources de financement se sont asséchées, est
1. « The Debt Deflation Theory of Great Depression »
Econometrica, Octobre 1933.
2. Traduction du texte de
Fisher par B. Amable reprise
dans « D’un krach à l’autre »,
Olivier Brossard, Ed. Grasset
2001.
3. Voir notamment « Irving
Fisher’s debt-deflation theory : its relevance to current
conditions », Martin H. Wolfson, Cambridge Journal of
Economics n°20 1996.
4. A l’image des emprunts
hypothécaires aux Etats-Unis
qui ont pour garantie la valeur du bien immobilier sousjacent.
N°122 – Mai 2008
9
Eclairages
alors de céder des actifs. Si le mouvement est
général, ces ventes, qualifiées de détresse, alimentent la chute des prix des actifs. Dans les cas
extrêmes, le produit de la vente peut s’avèrer
insuffisant pour éteindre la dette. Les cercles
d’insolvabilité se développent avec un effet boomerang sur les créanciers, qui font face à une
envolée des taux de défauts. L’ensemble renforce les comportements de rationnement du
crédit avec un impact négatif sur l’activité et in
fine sur les prix. Dans sa version la plus sévère,
cette situation débouche sur un « credit
crunch », une récession, avec à plus ou moins
brève échéance des pressions baissières sur les
prix, y compris dans la sphère réelle.
Ces enchaînements pointent du doigt le rôle
clef joué par le secteur bancaire (et financier
en général) dans l’enclenchement d’un cercle
vicieux. Tant que les banques (ou les marchés)
continuent de distribuer du crédit (ou de donner
accès à de nouveaux financements) et contribuent à desserrer la contrainte de liquidité des
agents endettés, le processus cumulatif initié par
la purge des bilans privés a peu de chances de
se produire, repoussant de fait le spectre de la
déflation. La résilience du secteur bancaire apparaît bien comme un élément déterminant, ce
qui en l’occurrence dissocie la crise actuelle de
celle de 2001…
D’un choc déflationniste à l’autre : 2001
une alerte, 2007 le grand soir ?
Un premier coup de semonce a eu lieu à l’occasion de l’éclatement de la bulle Internet. A l’époque, le débouclage du triptyque liant dette,
hausse du prix des actions et investissement des
entreprises a fait peser une menace de nature
déflationniste, sur fond de krach boursier ramGraphique 1
pant, d’assainissement des bilans
Etats-Unis: déflation immobilière et inflation
a/a, %
privés et d’apureréelle
20
ment des surcapa15
cités. Pourtant, à
la
différence de la
10
Grande Dépres5
sion analysée par
0
Fisher, ce cercle
vicieux est resté
-5
circonscrit
au
-10
secteur
des
entre97
98
99
00
01
02
03
04
05
06
07
08
prises. Il n’a donc
Indice des prix à la consommation
Source : Datastream, NAR, CA
Indice de prix immobilier (mm, 3m)
pas plongé les
Etats-Unis dans la
déflation stricto sensu, la déflation financière
n’ayant pas entraîné dans sa spirale les autres
10
N°122 – Mai 2008
prix. La robustesse du système bancaire, qui a su
et pu continuer de jouer son rôle d’intermédiaire financier, et la réactivité du policy mix
américain ont été de bons remparts contre la
matérialisation de ce risque. Les baisses de taux
consentis par la Fed (475 pdb en l’espace d’une
année) ont simulé le crédit et les banques ont pu
réorienter leur activité vers les ménages, lesquels ont continué de consommer et de s’endetter, ce qui a constitué un soutien opportun à la
demande globale et aux prix.
Mais, les solutions d’hier sont en partie responsables des problèmes actuels. La dynamique
d’endettement a fini par s’emballer sur fond
d’envolée des prix immobiliers et dans un
contexte de sous-estimation chronique du risque. Cette logique a été par ailleurs renforcée
par les mécanismes de structuration qui ont
permis une marchéisation à grande échelle de
crédits risqués (les célèbres subprimes) et par les
techniques de rehaussement. Ceci nous amène
à la purge actuelle. Cette dernière est, selon
nous, porteuse d’un risque de déflation plus
important dans la mesure où les excès commis
sur un tandem immobilier-ménages reviennent
en boomerang dans les bilans bancaires via
notamment la finance titrisée. La crise déborde
aussi le cadre pur et simple du subprime et
entre dans une deuxième phase où la montée
du coût du risque concerne l’ensemble des
clientèles. Les hausses des impayés, des créances douteuses, des provisions et des défauts se
propagent désormais à l’ensemble des segments
du crédit (cartes de crédits, prêt immobilier
commercial, crédits automobiles, prêts étudiants…). Les banques doivent faire face à cette
remontée cyclique du coût du risque au moment où leurs bilans sont déjà lourdement grevés par les dépréciations d’actifs liés de près ou
de loin au subprime. Se profile, alors, le risque
d’un rationnement du crédit généralisé et indiscriminé (un « credit crunch ») qui pourrait plonger l’économie américaine et son système financier dans un cercle vicieux encore plus prononcé qu’aujourd’hui.
Mieux vaux prévenir que guérir : de la déflation à la reflation…
L’expérience de la Grande dépression des années 1930, et plus récemment celle du Japon
montrent qu’il est coûteux et difficile de sortir
d’épisodes déflationnistes. Une fois la déflation
avérée, les liens entre les instruments traditionnels de politiques économiques et les variables
macroéconomiques, ainsi que les mécanismes
Eclairages
Encadré 4
Déflation : le cas japonais
Le prélude à la déflation : c’est l’inflation des actifs. Le Japon a ainsi connu à la fin des années
80, une hausse rapide et simultanée des prix des
actions et de l’immobilier, le tout validé par des
anticipations exagérément optimistes quant aux
perspectives de croissance dans l’Archipel. Par
ailleurs, dans un environnement rendu plus
concurrentiel avec la déréglementation des marchés financiers et de crédit, les banques ont fait
la course aux parts de marchés en développant
agressivement leur offre de crédit. Ces dynamiques cumulatives entre progression de l’endettement et hausse des prix d’actifs, symptomatiques d’une économie de bulle, ont également
été soutenues par une politique monétaire expansionniste. Puis tout s’est retourné …
La banque centrale japonaise (BoJ) a tenté de
calmer cette surchauffe en resserrant sa politique à partir de juin 1989. Cette politique monétaire plus restrictive s’est répercutée sur l’offre
de crédit et a contraint les agents surendettés,
qui ne trouvaient plus de financement, à liquider
leur portefeuille d’actifs. Ces ventes ont alimenté des pressions baissières sur les prix, comme
en témoigne la dégringolade de la bourse japonaise qui a perdu près du quart de sa valeur au
cours des trois premiers mois de l’année 1990.
La raréfaction du crédit a également impacté le
marché immobilier qui a commencé à purger ses
excès. Les ménages ont vu leur patrimoine fondre. Ils ont temporairement puisé dans leur
épargne pour maintenir leur consommation,
avant de capituler. Les entreprises ont été prises
en tenaille entre la baisse des revenus et le
poids excessif de leur dette. Le tout a fait refluer
de concert croissance et inflation.
Les mécanismes de déflation par la dette étaient
présents dès l’éclatement de la bulle, mais ils
ont mis du temps à se transmettre à la sphère
réelle. Il aura fallu attendre près de dix ans
avant d’avoir une baisse du niveau général des
prix.
La forte contraction de l’investissement des entreprises a eu des effets récessifs. En effet, l’éclatement de la bulle a révélé l’ampleur du surendettement et du surinvestissement des entreprises. Ceci a entraîné une forte hausse des
faillites d’entreprises et la purge des bilans privés, avec en corollaire une baisse notable de
l’investissement productif. Par ailleurs, la faiblesse de la Bourse en 1990 a découragé l’émission d’actions comme moyen de financement
des entreprises, tandis que la baisse des prix
des actions et de l’immobilier ont diminué la valeur du collatéral utilisé pour sécuriser les nouveaux prêts. Ainsi les entreprises ont été
contraintes de réduire leur plan d’investissement et d’ajuster à la baisse leurs effectifs avec
des effets de ricochet sur la consommation qui
s’est affaiblie.
L’appréciation du yen par rapport aux autres
monnaies a également constitué un choc désin-
de transmission peuvent être altérés ou inefficients (cf. encadré n°4).
Le policy mix américain joue la carte de la prévention en cherchant à tout prix à éviter que le
choc déflationniste à l’œuvre dans la sphère
financière ne se propage à la sphère réelle, et
flationniste. L’économie japonaise, à l’origine
très fermée à la consommation de produits
étrangers, s’est progressivement ouverte sur
l’extérieur dans les années 80. Le yen s’est fortement apprécié sur la période - le taux de
change effectif nominal du yen ayant progressé
de 177 % entre 1980 et 1995, et les prix des importations ont eu tendance à reculer, participant
au mouvement global de reflux des prix.
La réaction très tardive de la BoJ n’a pas aidé à
sortir l’Archipel de cette spirale déflationniste.
Entre décembre 1989 et juillet 1991, la banque
centrale japonaise a poursuivi sa phase de resserrement monétaire. Son revirement de politique à partir de cette date est sans doute arrivé
trop tardivement pour juguler les effets de
contagion de la crise financière à la sphère réelle. Malgré une politique de taux zéro, la BoJ a
échoué à stabiliser les anticipations de prix et de
croissance et a dû se résoudre à employer des
moyens non conventionnels pour reflater le système.
Mais surtout, la dégradation patente des bilans
bancaires a nourri cet épisode déflationniste. La
déprime des marchés a provoqué une baisse de
la valeur des garanties bancaires. Les banques
ont dû faire face à une montée des créances
douteuses. Au lieu de solder rapidement les
comptes en apurant leurs bilans, les banques
ont continué de mettre sous perfusion des entreprises peu viables. Pour éviter des pertes immédiates, elles ont eu tendance à solvabiliser les
emprunteurs fragiles, afin que ces derniers puissent rembourser les intérêts dus et qu’elles ne
soient pas contraintes de classer ces crédits en
défaut. Le canal du crédit a alors perdu de son
efficience.
Finalement, le choc exogène de la crise asiatique
en 1997 a porté le coup de grâce à un système
bancaire déjà très affaibli et a probablement
rendu définitivement inopérant le canal du crédit. Le marché du travail a aussi fini par capituler et l’incertitude s’est alors répandue dans
toute l’économie. La déprime durable de la
consommation qui en a découlé a enraciné encore davantage la dynamique déflationniste qui
s’est finalement matérialisée en 1998.
L’expérience japonaise témoigne de la difficulté
à prévoir la déflation compte tenu de la lenteur
avec laquelle ce processus peut se mettre en
place. Elle montre aussi que l’affaiblissement du
secteur bancaire joue comme un effet d’accélérateur en favorisant la contamination à la sphère
réelle via un rationnement du crédit. Enfin, elle
vient rappeler qu’il vaut mieux agir pour prévenir la déflation car une fois installée, il est encore plus coûteux d’essayer d’en sortir.
Sandrine BOYADJIAN
[email protected]
n’entraîne l’économie dans une « trappe à déflation ».
D’abord, il faut agir à la source des problèmes
et stopper la spirale baissière sur le marché
immobilier. L’impossibilité de donner aujourd’hui un prix plancher aux actifs immobiliers
N°122 – Mai 2008
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Eclairages
alimente en retour la crise financière, compte
tenu des difficultés de valorisation de tous les
actifs adossés à ces crédits. Pour resolvabiliser
les ménages surendettés et éviter de nouvelles
défaillances, on agit à la fois sur les taux (baisse
des Fed funds de plus de 300 pdb en huit mois)
et sur les mécanismes de refinancement (gel des
taux, propositions en cours de refinancement
avec des décotes initiales…). Ensuite, il convient
de huiler les mécanismes de financement sur ce
marché, en étendant les capacités d’interventions des GSE (relâchement des contraintes réglementaires en capital pour Fannie Mae et
Freddie Mac). Il faut enfin assurer la continuité
du financement de l’économie et prévenir la
matérialisation d’un « credit crunch ». Les injections massives de liquidité pallient ainsi les dysfonctionnements du marché monétaire. La
baisse de taux courts doit elle finir par mordre
en ranimant la demande de crédit. Elle induit
également une repentification de la courbe des
taux favorable au système bancaire en général.
Par ailleurs, comme en 2001, ces actions de
politique monétaire sont coordonnées avec
celles des autorités budgétaires qui, pour maximiser leur efficacité, sont ciblées et temporaires. Le « paquet fiscal » à destination des ménages (d’environ 100 Mds USD) va permettre d’alléger la contrainte budgétaire des ménages et
donc d’amortir le choc cyclique de remontée
des taux de défauts sur des gammes élargies de
crédits.
B. Bernanke est un homme averti qui, tout au
long de sa carrière académique, a travaillé sur
les interconnexions entre les mouvements de
balancier de la finance et les cycles économiques. Il fera tout pour conjurer la menace déflationniste. Nous faisons le pari que son action
énergique, couplée à des mesures de politique
économique plus ciblées, va permettre d’éviter
le pire. Mais la purge est néanmoins nécessaire,
une forme de prix à payer pour les excès passés.
L’économie américaine est ainsi amenée à vivre
sur un sentier de croissance molle, le temps
d’apurer ses déséquilibres. La normalisation des
marchés financiers nécessitera aussi du temps.
Elle laissera assurément des cicatrices. Il y a
aura, autrement dit, un « avant crise » et un
« après crise », à moins bien sûr qu’au lieu de
solder les comptes, les marchés versent dans de
nouveaux excès.
Ceci nous ramène à notre question initiale sur
la cohabitation entre des risques asymétriques
d’inflation/déflation. On a tendance aujourd’hui à sous-estimer l’ampleur de la menace
déflationniste, laquelle est en partie masquée
par l’envolée du prix des matières premières.
Certes, les fondamentaux guident la tendance :
la demande est tirée par l’appétence des pays
émergents pour toute une série de produits de
base, tandis que l’offre s’adapte plus lentement
et/ou est contrainte physiquement. Cependant,
des phénomènes spéculatifs viennent amplifier
cette tendance de fond. Les marchés achètent
l’idée de découplage mondial de la croissance
et la hausse des matières premières qui va avec.
Dans ce cas, c’est un prix d’actif qui monte (un
actif de substitution, à l’heure ou peu de classes
d’actifs offrent de telles perspectives de rentabilité) et une nouvelle bulle qui se forme…qui
comme toutes les autres finira par éclater ! Est-ce
possible de changer cette logique, à tout le
moins de l’atténuer ?
Isabelle JOB
[email protected]
Olivier BIZIMANA
[email protected]
Directeur de la publication : Jean-Paul Betbèze
Rédaction en chef : Jean-Paul Betbèze — Isabelle Job
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N°122 – Mai 2008
Achevé de rédiger le 22 avril 2008