245 La deuxième mort de la folle enchère

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245 La deuxième mort de la folle enchère
245
PROCÉDURES CIVILES D’EXÉCUTION
245
La deuxième mort de la folle
enchère
Denis Talon, avocat
L. n° 2015-177, 16 févr. 2015, art. 12 : JO 17
févr. 2015
I
nstituée au XIIIe siècle, la saisie des
immeubles fut, dès l’origine, soumise
à des restrictions et des formalités tendant à protéger les droits respectifs des
parties concernées avec un point d’orgue
dès l’édit des criées du 3 septembre 1551
qui tendait à uniformiser la diversité des
coutumes et usages locaux. Depuis lors,
le droit révolutionnaire, puis le droit napoléonien, puis celui du décret-loi du 17 juin
1938 ont maintenu une partie du vocabulaire traditionnel comme celui concernant
la « folle enchère ».
Son abrogation, qui a signé son enterrement et son remplacement par la « procédure de réitération », ne remonte qu’à
la toute récente ordonnance n° 2006-461
du 21 avril 2006, confirmée par le décret
n° 2006-936 du 27 juillet 2006, lui-même
toiletté avant même son entrée en vigueur
le 1er janvier 2007.
Le Code des procédures civiles d’exécution, qui a été présenté comme étant à
droit constant, n’a pas ressuscité la notion
médiévale qui désignait l’amateur qui
avait porté des enchères de façon déraisonnable puisqu’il n’arrivait pas à exécuter l’engagement qu’il avait pris. Le fondement en était d’une part l’article 2212
du Code civil et d’autre part l’article 100
du décret du 27 juillet 2006.
Dans le cadre de la validation par le
Conseil constitutionnel de la loi relative
à la modernisation et à la simplification
du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (Cons. const., déc. 12 févr. 2015,
n° 2015-710 DC), le décès déjà consommé
se trouve étendu au Code de commerce
où sa survie demeurait (L. n° 2015-177, art.
12).
L’expression de « folle enchère » est
remplacée par celle de « réitération des
enchères » au 1er alinéa de l’article L.
143-9 du Code de commerce.
Il en est de même au 2e alinéa du même
article où l’auteur de cette carence, le
« fol enchérisseur », est désormais qualifié, de façon moins imagée, d’ « adjudicataire défaillant ».
Bien plus, l’article L. 321-14 du Code de
commerce, qui était spécialement pesant
en son 3e alinéa qui visait la « folle enchère
de l’adjudicataire défaillant », est remplacé par, ce qui en est seulement la conséPage 410
quence, la « réitération des enchères ».
La même actualisation de vocabulaire se
retrouve aux premier et second alinéas
de l’article 685 et au dernier alinéa de
l’article 733 du Code général des impôts.
Un troisième code se trouve enfin affecté
par les nouvelles dispositions puisque le
Code général de la propriété des personnes publiques, qui comportait encore
cette indication en son article L. 3211-2,
par exclusion de recours à cette notion au
motif que le domaine n’était pas « tenu
à la folle enchère », est remplacé par la
mention qu’à son égard, « il n’y a pas lieu
à réitération des enchères ».
Disparaît donc a priori de façon généralisée ce qui, au fil des siècles, a suscité de nombreuses jurisprudences qui,
néanmoins, resteront d’actualité quant
à ce qu’elles entendaient contrôler.
En effet, l’article L. 322-12 du Code des
procédures civiles d’exécution, qui est
encore en pleine minorité même s’il reprend des textes anciens et s’est trouvé
étendu notamment à Wallis et Futuna
ainsi que dans d’autres territoires éloignés de l’hexagone ou ultra-marins, dispose que « à défaut de versement du prix
ou de sa consignation et de paiement
des frais, la vente est résolue de plein de
droit ».
Le texte est sévère dans la mesure où
la règle a vocation à s’appliquer même
si une repentance est manifestée par
l’adjudicataire dans un premier temps
défaillant, puisqu’il a été jugé que rien ne
pourrait a priori conduire à une rétractation du certificat émis par le greffe à cet
égard même en prenant en considération
une consignation postérieure (CA Paris,
10 mars 2011, n° 10/11475, inédit).
La Cour de cassation a confirmé cette
analyse en l’appliquant notamment à une
vente sur licitation de biens indivis où l’adjudicataire, qui était colicitant, entendait
déroger au paiement intégral du montant
de l’enchère portée en raison des comptes
susceptibles d’intervenir avec son contradicteur (Cass. 2e civ., 8 sept. 2011, n° 1030.693 : JurisData n° 2011-018417).
La sanction est rigoureuse, les juges du
fond n’hésitant pas à la valider en autorisant un débiteur confronté à la carence
d’un adjudicataire à saisir le « juge des
criées » pour constater la résolution de
plein droit (TGI Pontoise, JEX, 6 août
2009 : D. 2009, p. 2169).
Les effets d’une telle articulation, sur laquelle il semble bien que la plus haute jurisprudence tienne la main sans repentir,
a pour conséquence que l’adjudicataire
défaillant est tenu au paiement de la différence entre son enchère et le prix de la
revente si celui-ci est moindre. Dans l’hypothèse contraire, il ne peut prétendre à
la répétition des sommes qu’il a acquittées et qui seraient en quelque sorte
substituées par le nouveau prix atteint à
l’occasion de la remise aux enchères du
bien concerné.
L’opération peut être développée à l’initiative bien évidemment du créancier
poursuivant mais aussi de tout créancier
inscrit et aussi du débiteur saisi qui peut
avoir intérêt à ne pas laisser perdurer une
opération de nature à éteindre les dettes
et à faire produire à la saisie immobilière
son objet.
L’article R. 322-66 du Code des procédures civiles d’exécution précise que
l’opération est réalisée « aux conditions
de la première vente forcée ».
Le certificat qui initie l’opération est délivré par le greffe et ne peut être contesté
que par le seul adjudicataire dans le délai
de 15 jours à compter de la signification
qu’il reçoit (Cass. 2e civ., 13 déc. 2010 : D.
2011, p. 1519, obs. A. Leborgne).
Il fut jugé à l’antépénultième siècle que
la poursuite de folle enchère était ciblée
sur le bien concerné même si l’adjudicataire défaillant pouvait être poursuivi
sur d’autres biens personnels par ailleurs
(Cass. req., 24 déc. 1890 : D. 1892, 1, jurispr. p. 183).
L’adjudicataire défaillant ne pourrait pas
exciper qu’il est par ailleurs devenu créancier du débiteur saisi si cette qualité est
postérieure au moment où son prix aurait
dû être payé ou consigné (Cass. 2e civ., 5
mai 1978 : JCP G 1978, IV, 2005).
En appliquant à l’avocat ce qui était jugé
autrefois au profit de l’avoué de première
instance, il est également admis que celui
de l’adjudicataire peut agir pareillement
contre son propre client pour rentrer dans
ses débours (CA Agen, 22 févr. 1900 : D.
1900, 2, jurispr. p. 438).
Encore faut-il bien évidemment qu’il n’y
ait pas un abus de droit car si une revente
est poursuivie alors que son auteur a finalement été intégralement payé et si personne ne soulève de difficulté pour être
subrogé ou requérir à ses lieu et place
pour une autre créance, une faute pourrait
être commise si l’adjudicataire se trouvait
évincé dans des conditions critiquables
(Cass. req., 17 avr. 1883 : D. 1884, 1, jurispr. p. 301).
Cette pavane sous forme d’un ultime
hommage mortuaire pour une folle enchère défunte aurait pu être placée sous
le signe soit du cadran solaire du palais
de justice de Paris, quai des Orfèvres, qui
rappelle que hora fugit stat jus, soit du
Phénix !
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 9 - 2 MARS 2015