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UNIVERSITÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE DE RENNES I D.E.A. d’Histoire du droit et des Institutions _________ L’ANTICLÉRICALISME À TRAVERS LES CLASSES POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE D’ILLE-ET-VILAINE (1879-1914) Mémoire de D.E.A. d’Histoire du droit Présenté et soutenu publiquement le 29 juin 2004 par Jean-Marie LE MER Directeur de Recherche : M. Franck BOUSCAU, Professeur à l’Université de Rennes I Suffragant : M. Jean-Pierre BRANCOURT, Professeur à l’Université de Tours La faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans le présent mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propre à leur auteur. 1 SOMMAIRE ____ Remerciements 7 Introduction 8 -PREMIERE PARTIE- 13 LE FACE À FACE DES RÉPUBLICAINS ET DES « CLÉRICAUX » -CHAPITRE PREMIER- 15 LA TRANSPOSITION LOCALE DE LA POLITIQUE ANTICLERICALE SECTION PREMIERE : LE CONCORDAT COMME MOYEN EFFICACE DE LUTTER CONTRE LES « CLÉRICAUX » 15 I. Le fragile avantage de l’État républicain sur l’Église 15 II. La volonté de certains élus de mettre à bas le Concordat 21 SECTION DEUXIEME : LE COURANT ANTICLÉRICAL UNE FATALITÉ DECRIÉE MAIS LARGEMENT EXPLOITÉE 23 I. Une contestation de la législation anticléricale plus formelle que réformatrice 23 II. La construction d’un argumentaire électoral profitable 26 SECTION TROISIEME : LES PARADES DE L’ÉGLISE À LA SUITE DU VOTE DES LOIS DE 1901 ET DE 1905 2 30 I. Une Eglise noyée dans la laïcité 30 II. L’opposition remarquée des élus municipaux 35 -CHAPITRE SECOND- LA PARFAITE MÉCANIQUE DE LA MACHINE ADMINISTRATIVE DE LA RÉPUBLIQUE 40 SECTION PREMIERE : UNE TOILE ADMINISTRATIVE DÉPARTEMENTALE BIEN TISSÉE 41 I. Une structure administrative articulée autour du préfet 41 A. Le préfet: maître d'œuvre de la politique gouvernementale dans le Département 41 B. Le préfet : chef de l’armée républicaine du département 42 II. Un maillage administratif qui enserre les « cléricaux » 45 A. Une Administration organisée contre l' « Armée de Dieu » 45 B. La précieuse contribution des élus locaux 48 SECTION DEUXIEME : L’AUTORITARISME DE L’ADMINISTRATION RÉPUBLICAINE 52 I. La troublante immixtion du préfet dans la politique partisane 52 A. La bataille organisée autour de la presse 52 B. La mise en place de comités et associations 54 I. Les rapports particuliers entre les autorités civiles républicaines et les autorités religieuses du département 57 A. La nécessaire négociation 57 3 B. Une conciliation adaptée : les cas de Mgr Labouré et de Mgr Dubourg (1906) 60 Conclusion de la première partie 65 -SECONDE PARTIE- LE CONFLIT OUVERT ENTRE DEUX CAMPS QUE TOUT OPPOSE 66 -CHAPITRE PREMIERLA VOLONTÉ DES DEUX CAMPS D’ÉLARGIR SON INFLUENCE 66 SECTION PREMIERE : LA REMISE EN CAUSE PAR LES RÉPUBLICAINS DE L’AUTORITÉ ECCLÉSIASTIQUE 68 I. Une population rurale placée sous contrôle ecclésiastique 68 II. Le phénomène de la « délation partisane » 71 III. La collusion dénoncée entre le clergé et la noblesse 74 SECTION DEUXIEME : L’ENGOUFFREMENT DES RÉPUBLICAINS DANS LES VIDES JURIDIQUES : LE CAS DES FÊTES RELIGIEUSES ET DES SONNERIES DE CLOCHE 77 I. Les fêtes religieuses 77 II. L’embarrassante question des sonneries de cloche 79 -CHAPITRE DEUXIEMELES LUTTES ÉLECTORALES : DU DISCOURS AUX ACTES 82 SECTION PREMIERE : LA CONSTRUCTION D’UN ARGUMENTAIRE ÉLECTORAL MANICHÉEN 4 83 I. Un discours virulent contre le cléricalisme 83 II. La prudence des républicains modérés 86 SECTION SECONDE : TOUS LES MOYENS SONT BONS, MÊME ILLÉGAUX… 89 I. L’Eglise au service des candidats réactionnaires 89 II. Des moyens contestés mais enviés par les républicains 92 III. Une Administration clémente avec les prêtres modérés 95 -CHAPITRE TROISIEMELA GUERRE DE L’ENSEIGNEMENT 97 SECTION PREMIERE : UNE QUESTION QUI DÉCHAÎNE LES PASSIONS 98 I. La cruciale et empoisonnante question de l’enseignement 98 II. La délicate question de l’enseignement religieux 101 SECTION SECONDE : LA GUERRE DECLARÉE ENTRE L’ÉCOLE DU DIABLE ETL’ÉCOLE DE DIEU 104 I. Le catéchisme interdit 104 II. La campagne scolaire de 1909 106 Conclusion de la seconde partie 109 Conclusion générale 111 Bibliographie 113 5 Annexes Annexe 1 114 Annexe 2 127 Annexe 3 141 Annexe 4 154 Annexe 5 156 Annexe 6 163 Annexe 7 169 Annexe 8 187 Annexe 9 194 Annexe 10 207 Annexe 11 219 6 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier ici : Monsieur le Professeur Franck BOUSCAU, dont les conseils avisés m’ont permis d’avancer dans mes recherches, Monsieur le Professeur Jean-Pierre BRANCOURT, qui fut mon professeur à Tours, et qui a accepté d’être membre de mon jury, L’ensemble du personnel des Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine qui a toujours su faciliter mes recherches, Enfin ma mère et Adeline qui ont accepté de relire et de corriger mon travail. 7 Introduction ____ « Vous êtes dans un département où il faut beaucoup de patience, Beaucoup de philosophie. Oubliez les hommes et ne voyez que la cause. Avec cela vous aurez raison des caractères les plus difficiles. »1 De la patience et de la philosophie. Il ne faut rien de moins selon le préfet Leroux2 pour infuser l’arôme de la République dans son département. A la veille de son départ d’Ille-etVilaine, et surtout après huit années passées à la préfecture de Rennes, ce fonctionnaire a parfaitement compris que ce ne serait pas seulement à coups de décrets et de lois que le régime républicain pourrait s’établir solidement. Non. Il en faudrait davantage, bien davantage. Et pour commencer, il faut s’adapter à cette population installée dans une région située aux confins de l’ouest bretonnant et catholique, et de l’est angevin et chouan. Il n’est pas étonnant alors, au vu de cette situation, que les meilleurs soldats de l’armée de Dieu soient recrutés dans ce grand Ouest. Rien de surprenant non plus à ce que le commandement de cette armée soit confié aux membres respectés et écoutés du clergé.3 Aussi, l’on comprend qu’il ne saurait être question ici de s’attaquer impunément aux institutions catholiques. Or, depuis la victoire totale des républicains en 1879, le pays tout entier doit subir les salves incessantes des opposants à la religion. Les premières victimes ne tardent d’ailleurs pas à tomber…4 Il semble déjà loin le temps où les conservateurs espéraient rétablir la monarchie. Le vent républicain avait, dès 1877, soufflé une première fois sur la France : Le Maréchal de MacMahon était, à n’en pas douter, moins bon stratège sur le terrain politique qu’il ne l’était sur les champs de bataille. Une dissolution, et la droite perdait le palais Bourbon. Pendant deux années encore, l’Elysée et le Sénat résisteront. Mais les jours des conservateurs sont déjà comptés, et en janvier 1879, leurs dernières citadelles tombent irrésistiblement. 1 - ADIV 2M14. Lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au sous-préfet de Redon du 16 juillet 1897. - Préfet d’Ille-et-Vilaine installé le 9 juin 1889. Il quittera le département le 1er octobre 1897. 3 - SIEGFRIED André, Tableau politique de la France de l’Ouest, Imprimerie nationale, 1995, 636 pp. 4 - Le gouvernement s’en prendra, dès 1880, aux congrégations religieuses. 2 8 La Chambre haute échappe aux anciens partisans du Comte de Chambord. Mac-Mahon n’a donc plus d’autre choix que de délaisser la rue du Faubourg Saint-Honoré. Une page est tournée, une autre va s’écrire… Ce sont les héritiers des révolutionnaires de 1789 qui occupent désormais la scène politique du pays.5 Ces hommes, pétris de la culture des Lumières, tous francs-maçons6, veulent incontestablement continuer l’œuvre des « pères de la Liberté » qui a trop souvent été interrompue par le retour incessant de la monarchie. Maintenant qu’ils sont au pouvoir, ils veulent y rester. Et pour y rester, il faut consolider les bases encore trop fragiles de ce nouveau régime. Ferry et Gambetta, les nouveaux chefs du pays, ne cachent pas leurs ambitions pour la France et pour la société qu’ils veulent « libre, égale, fraternelle ». Il faut aussi, pour créer cette société régénérée, « organiser l’humanité sans Dieu et sans roi ».7 Opposer la trinité républicaine à la Sainte Trinité : Il n’en faudra pas moins pour faire triompher la Raison.8 Et puisque le préambule de la Déclaration de 1789 a déjà consacré l’Etre Suprême, pourquoi s’embarrasser du Dieu crucifié ? Les révolutionnaires étaient même allés plus loin puisqu’ils avaient, sous la Convention, débarrassé l’Etat de la tutelle de l’Eglise. Dès lors que les pères vénérés de la Révolution avaient osé s’affranchir du pouvoir pontifical, il n’était pas possible pour leurs héritiers de ne pas l’envisager à nouveau. Il se trouve seulement qu’une séparation prématurée entre l’Eglise et l’Etat aurait pu gêner les nouveaux détenteurs du pouvoir, et cela dans la mesure où l’anticléricalisme était pour eux un redoutable argument électoral, mais surtout un formidable moyen de gouvernement. D’aucuns ont par ailleurs considéré que l’anticléricalisme était un moyen pour les dirigeants d’occulter les questions intéressant directement le pays.9 5 - GREVY Jérôme, La République des opportunistes, Ed. Yves Manhès, Perrin, Terre d’histoire, 1998, 415 pp. - La franc-maçonnerie ainsi que la Ligue des droits de l’Homme vont rechercher à sublimer la raison humaine indépendante de toute théologie, de toute intervention des religions révélées. In TRIPIER Yves, La Laïcité, ses prémices et son évolution depuis 1905 (le cas breton), L’Harmattan, Paris, 2003, 183 pp., p. 34. 7 - Réponse faite par Jules Ferry à Gambetta en 1885. 8 - En réalité, Gambetta est loin d’être le plus virulent des pourfendeurs de l’Eglise. Suivant les conseils de sa maîtresse, Léonie Léon, il comprend qu’une politique ouvertement antireligieuse serait dangereuse car elle risquerait de précipiter les modérés et tous les catholiques républicains dans le camp de la réaction et, à terme, de mettre à mal la République. Il convient donc de ne pas attaquer la religion et le clergé pris comme un tout, mais de concentrer les critiques sur le cléricalisme et l’ultramontanisme. La lutte s’engagera donc avec le clergé régulier. 9 - REMOND René, L’anticléricalisme de 1815 à nos jours, Ed. Complexes, Bruxelles, 1985, 375 pp. 6 9 Aussi le Concordat de 1801, signé par le premier Consul Bonaparte et par le Pape Pie VII, est-il considéré comme une aubaine par les opportunistes puisque ses dispositions, ainsi que celles des articles organiques, leur permet de contenir l’Eglise. Le pacte concordataire pose, ne l’oublions pas, la sujétion de l’Eglise romaine à l’Etat. Bonaparte avait une vision utilitariste du pouvoir spirituel : Ce pouvoir était et demeure encore à la fin du XIXème siècle un facteur d’ordre social.10 Mais en plus d’être un facteur d’ordre social, le pouvoir spirituel devient, à partir des années 1880, un facteur d’ordre politique et plus encore, un facteur d’ordre électoral. Pourtant, même si le Concordat devient une arme pour les républicains, ceux-ci l’utilisent de manière modérée. La France est catholique et le régime encore fragile. La prudence reste de mise… L’idée de séparation est pourtant avancée de temps à autre, mais les opportunistes savent qu’il est trop tôt pour l’envisager sérieusement. L’accession au pouvoir des radicaux en 1899 va nettement bouleverser la tendance : l’anticléricalisme devient plus virulent et l’avenir est présagé avec beaucoup d’anxiété par les réactionnaires. Le second procès Dreyfus qui a lieu cette année là à Rennes provoque l’agitation dans tout le pays qui voit deux grandes tendances s’affirmer : d’un côté les cléricaux, de l’autre les anticléricaux. Waldeck-Rousseau ne cache pas sa position à l’égard de l’Eglise : Le Concordat sera pour lui un moyen de la tourmenter, pour ne pas dire plus. Mais là où l’anticléricalisme devient presque religion d’Etat, c’est lorsque le Bloc républicain radical accède au pouvoir en 1902. Le Président du conseil, Emile Combes, est le premier à envisager, cette fois-ci tout à fait sérieusement, la séparation entre l’Eglise et l’Etat. Aussi, en lisant l’ensemble des articles écrits à cette époque à propos de cette hypothétique séparation, il ressort que le seul qui croyait véritablement au vote rapide de cette loi, c’était Combes luimême. En effet, ni l’opinion publique, ni la classe politique du moment, n’auraient un seul instant imaginé que la loi séparant l’institution ecclésiale de l’Etat aurait pu être votée trois ans après qu’elle eut été proposée. C’est sous la présidence du successeur de Combes, 10 - Bonaparte disait à ce sujet : « Dans la religion, je ne vois pas le mystère de l’Incarnation mais celui de l’ordre social. (…). Les hommes qui ne croient pas en Dieu, on ne les gouverne pas, on les mitraille. » 10 Rouvier, que la loi sera votée le 9 décembre 1905.11 L’esprit des Loges avait alors définitivement envoûté le législateur… Inutile d’insister sur le fait que les dernières années du Concordat furent, pour les défenseurs de l’Eglise, intenables. Pourtant, nombreux furent les parlementaires de gauche qui voulaient maintenir l’accord de 1801 pour mieux bâillonner l’Eglise. Cette période de troubles fut diversement ressentie en Ille-et-Vilaine. Nous avons tendance à penser que tous les départements bretons se sont placés à ce moment là derrière les saintes bannières pour défendre l’Eglise, le Pape et l’ensemble du clergé. Il n’est pas faux de le dire, mais la situation n’était pas si simple que cela. Surtout en Ille-et-Vilaine. Il faut pour s’en convaincre se reporter à l’analyse socio-politique d’Alain Siegfried12 qui étudie, arrondissement par arrondissement, les mentalités des habitants du département. Les arrondissements de Vitré et de Montfort13 sont directement sous la domination du clergé et de la noblesse. On retrouve curieusement la société d’ordres qui était celle de l’Ancien Régime et d’ailleurs l’esprit chouan s’y fait encore largement ressentir. Du côté de Fougères et de Redon, le poids hiérarchique entre la population et la noblesse ne pèse aucunement alors que le clergé règne sans partage sur cette région. Il n’y a guère qu’à Rennes et dans l’arrondissement de Saint-Malo que la population, bien que fortement catholique, sait remettre en cause l’autorité du clergé. Le sens critique y est plus développé que dans le reste du département. Nous voyons qu’il faut apprécier diversement la situation sociologico-politique de l’Ille-etVilaine sous la IIIème République. Pourtant, une chose est sûre, la religion tient ici une place primordiale dans le cœur des femmes et des hommes. Nous verrons à travers le présent mémoire que la classe politique locale a toujours tenu, du moins publiquement, à ménager les susceptibilités en ne l’attaquant pas frontalement. Même les rares personnalités de gauche d’Ille-et-Vilaine à avoir connu un destin national ont souvent dû, de leur ministère, calmer les vives ardeurs antireligieuses des préfets disons-le 11 - Emile Combes démissionna en janvier 1905 à la suite de « l’affaire des fiches » ; son ministre de la Guerre, le général André, ayant établi un fichier des officiers allant à la messe, discriminatoire pour leur avancement. Des pratiques semblables furent constatées dans d’autres ministères. 12 - SIEGFRIED André, Tableau politique de la France de l’Ouest, Imprimerie Nationale, 1995, 636 pp. Op. cit. 13 - Ces arrondissements sont voisins du Maine et subissent directement son influence. On se souvient que les menées contre-révolutionnaires sont nées dans cette région en 1793 et que la République y fut violemment combattue. 11 parfois un peu trop dévoués.14 Mais c’est bien la différence qu’il y a entre un élu qui a absolument besoin des voix du peuple pour se maintenir et un fonctionnaire qui n’est en aucun cas prisonnier des règles de séduction voulues par le jeu démocratique… Il apparaît en revanche que si la religion est dans l’ensemble épargnée15, il n’en va pas de même pour ses serviteurs, pour ses représentants. Le clergé a donc été en Ille-et-Vilaine autant combattu que soutenu. Ce mémoire essaiera de faire ressortir l’état d’esprit qui régnait sous la IIIème République dans ce département. Traiter un tel sujet nécessite de faire des choix puisque l’anticléricalisme a pris en réalité de très nombreuses formes. Il s’agira donc pour nous d’approcher les milieux politique et administratif, et de tenter d’apporter un éclairage sur ce qui pouvait véritablement les animer lorsqu’ils s’en prenaient, parfois violemment, aux membres du clergé et aux « réactionnaires ». Il sera également intéressant de démontrer que politiques et fonctionnaires appréhendaient différemment leur combat anticlérical, leurs fonctions et leurs statuts n’étant absolument pas les mêmes. Notre étude s’attachera à envisager la question anticléricale sous un angle qui empruntera beaucoup à la technique militaire. En effet, les anticléricaux comme leurs opposants ont appris petit à petit à se connaître. L’observation mutuelle faisait évidemment partie de la stratégie : Il n’eût pas fallu diriger les armes contre un ennemi inconnu, le risque aurait été trop grand… Chapitre Ier : Le face à face des républicains et des « cléricaux » Chapitre II : Le conflit ouvert entre deux camps que tout oppose 14 - On peut retrouver cette modération chez Martin-Feuillée (1830-1896) qui fut membre des gouvernements qui se sont succédés de 1879 à 1885. Son dernier portefeuille ministériel a été la justice et les cultes (du 27 février 1883 au 5 avril 1885) ce qui fit de lui le premier lecteur des dispositions concordataires. La position de Waldeck-Rousseau est en revanche plus contrastée puisqu’il fut l’instigateur de la loi de 1901 sur les congrégations. Notons cependant qu’il ne fut député d’Ille-et-Vilaine que pour un mandat de 1879 à 1884. 15 - La liberté de conscience est une notion sacrée chez les républicains de la IIIème République : c’est pourquoi la religion ne peut être, du moins directement, l’objet d’un plan de destruction. Il faut également voir que la France compte à ce moment là 36 millions de catholiques sur les 38 millions d’habitants ! 12 - PREMIÈRE PARTIE LE FACE À FACE DES RÉPUBLICAINS ET DES « CLÉRICAUX »16 -CHAPITRE PREMIERLA TRANSPOSITION LOCALE DE LA POLITIQUE ANTICLÉRICALE Lorsque les républicains s’emparèrent de la totalité des pouvoirs en France, il n’y avait plus d’obstacles qui les eût empêchés de mettre en application leur programme. Aussi ce programme n’allait pas dans un sens très favorable à l’Eglise et on pouvait se douter, dès 1879, que les rapports entre l’Etat et l’Eglise de France allaient connaître un net bouleversement. Par ailleurs, l’élan législatif anticlérical s’est affirmé et n’a pas manqué d’inquiéter de plus en plus une large frange de la population. En Ille-et-Vilaine, le souffle de l’anticléricalisme n’est pas passé inaperçu et dans une terre qui a donné plus d’élus nationaux républicains que d’élus conservateurs sur toute la période étudiée, et même si les premiers n’étaient pas tous farouchement anticléricaux, la division s’est faite. En effet, tous les élus républicains n’étaient pas opposés à l’Eglise et à ses institutions. Dans le même sens, l’on peut dire que les républicains d’Ille-et-Vilaine sont en majorité des catholiques sincères et des pratiquants réguliers. Le clergé du département devra ainsi faire face à ces paroissiens qui n’observeront pas toujours, et c’est peu de le dire, la ligne politique tracée par le clergé.17 Il est cependant nécessaire de souligner, comme nous allons le voir, que les élus, même s’ils sont au départ les instigateurs de la politique menée contre l’Eglise dans le pays, ont été largement relayés et parfois même supplantés par une administration dont une des qualités essentielle était l’efficacité, pour ne pas dire le zèle. Dès lors que le pays est aux mains des anticléricaux, les relations entre l’Etat et l’Eglise vont très vite se dégrader et le Concordat de 16 - Le terme « clérical » a une dimension péjorative. Voir pour cela l’ouvrage de René REMOND, L’anticléricalisme en France de 1815 à nos jours, Ed. Complexes, Bruxelles, 1985, 375 pp. 17 - GOALLOU Henri, Pratique religieuse et opinions politiques en Ille-et-Vilaine à la fin du XIXème siècle, Annales de Bretagne, 1965, pp. 299 à 309. 13 1801 ne sera plus lu de la même façon. La « jurisprudence concordataire » va soudain connaître un revirement… 14 SECTION PREMIERE : LE CONCORDAT COMME MOYEN EFFICACE DE LUTTER CONTRE LES « CLÉRICAUX » I. Le fragile avantage de l’Etat républicain sur l’Eglise Lorsque le premier Consul Bonaparte signait en 1801 le Concordat avec le Vatican, il voulait à ce moment assainir les rapports entre la France et l’Eglise après une période révolutionnaire traumatisante pour les catholiques.18 Il voyait également dans le catholicisme un facteur d’ordre qui « donne à l’Etat un appui stable, ferme et durable ». Il était aussi et surtout question pour l’Etat de surveiller l’Eglise afin d’éviter que celle-ci ne tende par trop vers l’ultramontanisme.19 L’idée du Concordat était en réalité d’inscrire de manière officielle la façon dont l’Eglise de Rome devait mener sa politique sur le territoire national, cette politique devant de surcroît être supervisée par les autorités gouvernementales de la France. En effet nul prêtre, nul évêque ne pouvait plus être imposé exclusivement par les autorités diocésaine ou papale. Ces nominations devaient désormais être prises de concert avec les plus hautes autorités de l’Etat. Aussi, depuis 1801, tous les régimes qui se sont succédés ont à peu près tous clairement et « sainement » collaboré avec le pape et ses représentants, sans cependant négliger de faire valoir les prérogatives concordataires que Bonaparte avait réussi à arracher à Rome… Il en ira néanmoins différemment dès la victoire totale, en 1879, de la gauche républicaine. En effet, même si le Concordat survit à ce raz-de-marée anticlérical, il apparaît presque certain que la lecture qui en sera faite ne sera plus la même que celle faite jusque là. Comment pouvait-on en douter dès lors que le pays est désormais entre les mains des ennemis déclarés du « cléricalisme » ?20 18 - GICQUEL Jean-François, Le Concordat en Bretagne (1801-1879), thèse droit, Rennes I, 2000. - Il apparaît certain que le Concordat consacrera pendant plus d’un siècle le gallicanisme en France. Notons que le Concordat est encore appliqué en Alsace-Lorraine (après une interruption de quatre années due à l’invasion allemande de 1940) ; la Guyane a également un statut propre ainsi que Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis et Futuna. 20 - Discours de Gambetta à la Chambre des députés le 4 mai 1874 qui déclarait : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ». Il faut néanmoins attribuer la paternité de cette formule à Alphonse Peyrat, ami de Gambetta, qui la prononça en 1863. Notons au passage que Gambetta fut Président de la Chambre des députés de 1879 à 1881 et Président du conseil et ministre des affaires étrangères du 14 novembre 1881 au 27 janvier 1882. 19 15 Mais la Bretagne a ses particularités, et dans cette région, la religion est bien ancrée dans les esprits. Aussi quiconque oserait s’en prendre à elle et au clergé risquerait de se voir aliéner l’ensemble de la population. Ceci, les républicains l’ont parfaitement compris. Ils savent qu’ils doivent avancer avec prudence et circonspection s’ils veulent avoir une chance de s’implanter durablement sur cette terre singulière. Aussi la description faite des bretons par les administrateurs départementaux à leur ministre est bien souvent méprisante, voire dégradante. Les termes choisis par le préfet en place en 1907 illustrent parfaitement cette tendance, lui qui écrit que Le breton d’Ille-et-Vilaine bien que moins arriéré que ses frères de la Basse Bretagne est néanmoins resté, en général, attaché aux pratiques religieuses. Le mysticisme est, a-t-on dit, une des maladies de l’âme celtique et, en Ille-et-Vilaine, où, il ne faut pas l’oublier, l’on garde encore beaucoup du tempérament ancestral des mœurs traditionnelles, la question religieuse conserve une importance plus grande que dans la plupart des autres départements français en dehors de la Bretagne.21 Quelques années auparavant, en 1889, le préfet considérait que Frapper le prêtre en Bretagne quand on s’appelle l’Etat, c’est en faire un martyre ; c’est éveiller la susceptibilité religieuse de nos adversaires sans avoir même la certitude que les amis du gouvernement le soutiennent vraiment.22 L’Eglise et le clergé composent, à n’en pas douter, la force la plus incontestée mais aussi la plus encombrante pour les républicains en Ille-et-Vilaine. Il n’est donc pas question pour ces derniers de l’ignorer, faute de quoi leur implantation dans le département aurait toutes les chances d’être compromise. Mais non seulement il ne faudrait pas ignorer cette force, mais il apparaît nécessaire de ne pas s’y opposer. L’on s’aperçoit pourtant que l’exercice s’avère périlleux pour l’administration préfectorale qui doit régulièrement – pour ne pas dire constamment – collaborer avec l’autorité archiépiscopale en vertu des dispositions concordataires relatives à la nomination ecclésiastiques. 21 22 - ADIV 1M142. Lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’intérieur du 29 octobre 1907. - ADIV 3M396. Lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre des cultes du 3 décembre 1889. 16 des En effet, les nominations sont le fait du gouvernement qui se prononce après que l’évêque eut formulé une proposition. L’Eglise propose, l’Etat dispose… Il va de soi que l’Etat va profiter de cette disposition du Concordat pour composer comme bon lui semble la carte diocésaine, et surtout pour éviter de placer dans les cures ultra conservatrices des prêtres frondeurs et par trop antirépublicains. Il ne faut surtout pas oublier qu’il s’agit pour le gouvernement de se prononcer sur l’ « investiture d’un titre inamovible »23. ce qui suppose que le gouvernement doit absolument user de toutes les dispositions légales dont il dispose pour ne pas commettre d’erreur. User de toutes les dispositions légales… et même un peu plus ! Le caractère irréversible de la nomination inquiète tellement le pouvoir central que celui-ci demandera aux préfets de Prendre, confidentiellement, et (…) transmettre, le plus promptement possible, des renseignements sur [les] ecclésiastique(s). La plus grande réserve doit être apportée dans une information de cette nature.24 Le gouvernement, et plus particulièrement le ministre de l’intérieur, souhaitent Connaître les antécédents, la vie publique et privée, les aptitudes et les tendances des prêtres qui (…) auront paru dignes de recevoir du gouvernement, sur ma proposition et sous ma responsabilité, l’investiture d’un titre inamovible.25 L’influence des notables du département, des arrondissements et des communes sera déterminante dans la décision que prendra le ministre, puisque les préfets et les sous-préfets n’hésiteront pas à avoir recours à eux pour leur demander les renseignements réclamés par Paris.26 Nous le voyons, on ne lit pas le Concordat en Bretagne comme on le lit dans les autres régions françaises. Ici, il faut avancer prudemment en entretenant avec le clergé des relations qui, si elles ne sont cordiales, restent du moins correctes. Cette prudence apparaît très formellement dans la lettre du ministre de l’intérieur susvisée lorsqu’il rappelle que « la loi du 18 germinal an X défend, par son article 19, aux évêques de manifester leur choix avant qu’ils aient obtenu agrément du gouvernement ». 23 - ADIV 1V45. Lettre du ministre de l’intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine du 11 janvier 1894. - Ibid.. 25 - Ibid.. 26 - LE YONCOURT Tiphaine, Le préfet et ses notables en Ille-et-Vilaine au XIXème siècle (1814-1914), thèse droit, Rennes I, 2000, 677 pp, p. 309. 24 17 Cette discrétion n’incombe pas seulement à l’autorité épiscopale comme le souligne bien justement le ministre lorsqu’il ajoute que L’administration n’a pas plus le droit de [manifester ce choix] que l’autorité diocésaine. Il importe donc de prendre toutes les précautions nécessaires pour prévenir les indiscrétions dont les évêques se sont plaints en plusieurs circonstances.27 L’administration a ses droits et elle s’en prévaut, mais il ne saurait être question pour elle de méconnaître ceux de l’Eglise. Prudence oblige… Il est aussi un autre aspect auquel se heurte régulièrement l’autorité civile : c’est le militantisme des prêtres qui s’observera surtout en période électorale. La procédure prévoit en effet que les ecclésiastiques qui contreviennent aux lois et règlements – et militer contre la République peut constituer une contravention aux lois – peuvent être déplacés à la demande de l’administration mais seulement sur décision de l’évêque. L’on imagine alors aisément le malaise qui peut survenir lorsqu’un cas comme celui là se présente ! Mais ce qui est curieux, c’est que dans la pratique, les sous-préfets demandent le déplacement des contrevenants alors que les autorités gouvernementales font preuve d’une plus grande réserve en demandant à ce qu’il soit procédé à des enquêtes sérieuses. L’on retrouve certainement le militantisme fougueux de ces jeunes fonctionnaires qui saisissent la moindre occasion pour « taper » sur le clergé. Cette exaltation, nous la trouvons dans la correspondance du sous-préfet de Redon qui, en 1895, a dû faire face à l’épineux problème que nous venons de soulever. Voici ce qu’il écrit à ce sujet à son supérieur : J’ai l’honneur d’appeler votre attention sur l’attitude de M. Délépine, vicaire au Grand-Fougeray, un des prêtres les plus militants du canton contre le gouvernement de la République. Cet ecclésiastique a combattu la candidature de M. Guérin [républicain] dans l’exercice même de son ministère : le dimanche 5 mai, jour de l’élection législative, il a commenté en chaire le catéchisme interdit, à la messe même du matin, quelques instants avant l’heure où les électeurs ont l’habitude de se rendre au scrutin : « il vous sera demandé compte de vos votes, a-t-il dit, n’oubliez pas que vous commettez un péché mortel si vous ne mettez pas dans l’urne le bulletin du candidat de la religion. Je vous le répète bien haut et je ne crains pas d’être dénoncé. » (…) En présence de ces faits qui ne peuvent pas être contestés, je ne doute pas, Monsieur le Préfet, qu’à la suite de 27 - ADIV 1V45. Lettre du ministre de l’intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine du 11 janvier 1894. 18 votre haute intervention, M. l’Archevêque de Rennes ne prononce le déplacement immédiat de l’abbé Délépine. Je me permets d’insister pour qu’il reçoive une autre destination en dehors de mon arrondissement. (…) Il importe de provoquer d’urgence une mesure rigoureuse vis-à-vis de cet ecclésiastique.28 Cette affaire, survenue au Grand-Fougeray, n’est pas isolée, et les élections législatives de mai 1895 ont permis de dévoiler la fibre anti-républicaine de dix-huit autres ecclésiastiques. Et la mesure disciplinaire que préconisait le sous-préfet de Redon à l’encontre de l’abbé Délépine, le préfet la requerra auprès du ministre des cultes à l’encontre des dix-neuf « réfractaires ». Pour lui, L’intérêt politique du département commande impérieusement (…) que de tels actes de pression ne restent pas impunis et que les mesures de sévérité (…) soient prises aussitôt que possible pour prévenir, aux élections départementales prochaines, le retour de semblables agissements contre lesquels le parti républicain est impuissant à lutter.29 « Impuissant » ! Les républicains avouent donc entre eux leur impuissance à faire face aux agissements du clergé dans le département. Il n’y a donc qu’un seul remède : utiliser le concordat et radicaliser les actes contre le clergé récalcitrant. La réponse du ministre ne se fait pas attendre, puisque quatre jours plus tard, il répond au préfet : (…) J’estime (…), comme vous, qu’il convient pour l’exemple et dans l’intérêt de la sincérité des futures consultations électorales d’exiger le changement de ceux de ces prêtres qui se sont gravement compromis. Mais vous n’ignorez pas que nos demandes de déplacement près des autorités diocésaines n’ont quelque chance de succès que lorsqu’elles sont sanctionnées par des suppressions de traitement, et cependant vous ne vous êtes pas prononcé sur le point de savoir si je puis avoir recours à cette mesure et quels sont les ecclésiastiques à qui elle doit être appliquée.30 La suite de la réponse du ministre Poincaré fait apparaître toute sa raison et son discernement qui ne feront que calmer l’ardeur légaliste des représentants de l’Etat dans le département : Il ne vous échappera pas en effet que les griefs exposés dans votre rapport ne sont pas tous nettement établis et que, d’autre part, ils ne sont pas d’une égale gravité. Je ne saurais évidemment 28 - ADIV 3M325. Lettre du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine du 18 mai 1895. - ADIV 3M325. Lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre des cultes du 17 juin 1895. 30 - ADIV 3M325. Lettre du ministre des cultes au préfet d’Ille-et-Vilaine du 21 juin 1895. 29 19 exiger la même répression contre un ecclésiastique qui, comme M. l’abbé Jehamin, n’est accusé que d’avoir offert du tabac à un électeur et contre les desservants qui ont organisé la distribution périodique de journaux, refusé des sacrements ou lu des brochures politiques en chaire. Enfin je ne trouve au dossier aucune pièce, ni même de mention me faisant connaître l’avis écrit ou verbal de l’autorité ecclésiastique. Les autorités départementales, Monsieur le Préfet, ont le devoir de traiter directement et personnellement en première ligne avec les autorités diocésaines toutes les affaires de la nature de celles dont il s’agit ici, et ce n’est que sur le vu des réponses écrites ou sur le vu du résumé des réponses verbales des Evêques que le Ministre des cultes peut intervenir en sa qualité de juge d’appel, chargé de résoudre les conflits. Faisant application de ces principes dont je ne saurais me départir, je vous invite à entretenir d’urgence le chef du diocèse de Rennes des faits imputés à ses subordonnés, à me transmettre sa réponse et à me désigner ceux des ecclésiastiques compromis dont vous croyez le déplacement indispensable et dont le traitement, par suite, devra être supprimé.31 Le ministre préconise en l’espèce de n’appliquer la sanction qu’aux cas qui l’exigent, et uniquement à ceux-là. Il ne saurait être question, selon lui, de réprimer des actes qui ne présentent aucune gravité. En revanche, il lui apparaît indispensable de sévir contre ceux des membres du clergé qui auraient contrevenu aux dispositions concordataires32 qui imposent la neutralité. Ne serait-ce que pour l’exemple. En réalité, les républicains sont bien démunis face à ces situations qui ne peuvent être débloquées que par l’intervention archiépiscopale. Or, l’Archevêque – ou le vicaire général – argumente toujours en faveur de son clergé en lui trouvant à chaque fois des circonstances atténuantes. Il ne faut bien sûr pas entendre par là que ce dernier ne reconnaît pas l’attitude de ses subordonnés. Lors des élections de 1889, les rapports des sous-préfets rendaient déjà compte de l’attitude controversée du clergé.33 Il en sera de même pour tous les scrutins à venir. Aussi, nombreux sont les républicains, élus ou fonctionnaires, qui souhaitent mettre un terme aux relations entre l’Eglise et l’Etat. Le Concordat permet peut-être à l’autorité civile républicaine d’exercer un contrôle direct et permanent sur l’action de l’Eglise, mais il n’en demeure pas moins que partager des compétences avec son ennemi n’est pas toujours chose aisée. 31 - Ibid.. - articles L .II et L.III de la loi du 18 germinal an X. 33 - LE YONCOURT Tiphaine, Le préfet et ses notables en Ille-et-Vilaine au XIXème siècle (1814-1914), thèse droit, Rennes I, 2000, pp. 270 à 273, op.cit. 32 20 II. La volonté de certains élus de mettre à bas le Concordat (…) L’intervention du clergé dans nos luttes et récemment encore dans les élections est pour tous les esprits sages un sujet de sérieuses préoccupation. Chacun a compris qu’une telle situation ne saurait se perpétuer et que le grave problème de la séparation des Eglises et de l’Etat ne tarderait pas à s’imposer irrésistiblement (…).34 Cette déclaration, faite par le gouvernement près de vingt ans avant l’adoption de la fameuse loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, laisse présager un durcissement dans les relations entre les deux camps ennemis. C’est assurément à partir de ce moment que la politique anticléricale qui sera appliquée en France, trouvera son souffle. En effet, à l’occasion des élections législatives du 27 août 1881, l’anticléricalisme ne se confond pas encore tout à fait avec le républicanisme, du moins en Ille-et-Vilaine. Il ne saurait, dès lors, être question de dénoncer l’état statutaire de l’Eglise de France. A la lecture de la profession de foi commune aux candidats républicains du département35, on saisit l’évolution de la pensée de la gauche républicaine à propos de la question religieuse. Voici la réponse apportée par ces candidats à ceux qui prétendent que la religion est bafouée depuis l’accession au pouvoir des républicains : (…) sous quel règne avez-vous joui d’une liberté religieuse plus grande, plus absolue, et le clergé fût-il jamais plus honoré dans le libre exercice de ses fonctions ? Les fidèles ont-ils été séparés de lui ? Est-il enfin un seul mot de vérité dans ces accusations dirigées contre le gouvernement républicain ?36 Nous le disions, il ne semble pas question à ce moment là de remettre en cause l’existence du Concordat. Aussi, nous l’avons vu, aucun homme politique du département ne saurait être suffisamment téméraire pour s’attaquer à la religion catholique tant celle-ci, par la voie du clergé, dirige et organise en Bretagne le quotidien de la population, et à plus forte raison des électeurs… 34 - ADIV 1M141. Déclaration du gouvernement lue au Sénat par le garde des sceaux Demôle et à la Chambre des députés par le Président du conseil, ministre des affaires étrangères Freycinet, le 16 janvier 1886. 35 - ADIV 3M319. Profession de foi des candidats républicains – Elections législatives de 1881. Cette profession de foi est cosignée par Brice, Waldeck-Rousseau, Martin-Feuillée, Hovins et Durand. 36 - Ibid.. 21 Il est en revanche indiscutable que le discours antirépublicain se radicalise avec le temps et que le rattachement de l’Eglise à l’Etat se trouve être de plus en plus contesté par une partie de la classe politique. L’allocution gouvernementale du 16 janvier 1886, ainsi que la nouvelle lecture faite du Concordat, ne manqueront pas d’inquiéter une partie de la classe politique d’Ille-et-Vilaine qui sent un changement d’attitude de l’Etat à l’endroit de l’Eglise. En effet, lors des élections législatives des 22 septembre et 6 octobre 1889, les candidats conservateurs condamnent déjà la façon dont le Concordat est appliqué. Le candidat La Chambre réclamera « le Concordat loyalement pratiqué »37 . Certains vont même plus loin et sentent véritablement l’affirmation de la tendance abolitionniste. Ce sera le cas de Pinault qui se dit « partisan résolu du Concordat »38, ce qui signifierait que son maintien n’est plus garanti. Le clergé commence, lui aussi, à pressentir le bouleversement à venir et la fin du Concordat. Il appelle les fidèles à voter pour les candidats favorables à la religion catholique mais aussi à prier pour « la liberté de l’Eglise catholique, garantie par le Concordat, dans son culte, ses associations religieuses, ses bonnes œuvres et le recrutement de son sacerdoce » 39. Mais d’autres, un peu plus tard, semblent déjà considérer les questions religieuses avec résignation, comme si le traité de 1801 était déjà enterré. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à l’édition du 24 janvier 1901 de L’Avenir de Rennes, organe républicain, qui revient sur les déclarations du président Waldeck-Rousseau et sur celles du député M. Ribot à propos du devenir des congrégations. M. Ribot aurait ainsi déclaré que l’ « on ne doit pas traiter les congrégations comme on les traitait au moment du Concordat »40. Il est tout de même saisissant qu’à l’heure où le Concordat demeure encore en vigueur, certains hommes politiques fassent comme s’il ne l’était plus. Une telle déclaration pose les fondements d’une réelle réflexion sur le devenir de l’Eglise de France comme sur le positionnement intellectuel du pays par rapport à la question religieuse. En tout état de cause, s’il s’agit là d’un lapsus, il n’a pas dû laisser Combes indifférent. 37 - ADIV 3M322. Profession de foi de La Chambre – Elections législatives de 1889. - ADIV 3M322. Profession de foi de Pinault – Elections législatives de 1889. 39 - ADIV 3M323. La semaine religieuse du diocèse de Rennes du samedi 21 septembre 1889. 40 - ADIV 3M295. Cet article de presse reprend le débat devant la Chambre des députés de la future loi du 1er juillet 1901 sur les associations et les congrégations religieuses. 38 22 SECTION DEUXIÈME : LE COURANT ANTICLÉRICAL : UNE FATALITÉ DECRIÉE MAIS LARGEMENT EXPLOITÉE I. Une contestation de la législation anticléricale plus formelle que réformatrice Le vent législatif anticlérical qui souffle sur la France depuis l’accession au pouvoir de la gauche républicaine ne manque pas de susciter les plus vives réactions du côté des conservateurs. Il suffit pour s’en convaincre de lire les professions de foi des candidats « cléricaux » durant les périodes qui précèdent ou qui suivent le vote de ces lois souvent jugées iniques. Mais ce dont on s’aperçoit le plus en réalité, c’est le fatalisme qui accompagne les déclarations de ces candidats qui donnent tout bonnement le sentiment qu’ils sont bien désarmés pour lutter contre un courant que tout emporte. En effet, à chaque fois qu’une loi à tendance anticléricale a été votée ou est sur le point de l’être, les candidats qui y sont hostiles ne font que dénoncer la persécution de la religion, et il est rare qu’ils promettent l’abrogation des textes dans le cas où ils seraient élus. Citons tout de même la lettre adressée par les sénateurs conservateurs sortants aux électeurs sénatoriaux pour le renouvellement de leur mandat en 1896 : Nous avons toujours protesté contre les lois qui portent atteinte à la liberté religieuse et aux droits des pères de famille, et nous ne cesserons d’en réclamer l’abrogation. (…) Pour nous, les lois scolaires, loin d’être intangibles, ont besoin d’être révisées. (…).41 L’abrogation de la loi de 1905 fut également demandée par le député du Halgouët, à nouveau candidat pour les élections législatives du 6 mai 1906. Sur un placard apposé dans un certain nombre de communes de sa circonscription, on pouvait y lire : (…) Depuis le mois de juin 190242, depuis l’avènement du ministère Combes, ce n’a été que : - fermetures d’écoles, poursuites, sécularisations, laïcisations, expulsions … Commencées à Pipriac, à La Chapelle-Saint-Melaine et à Comblessac, ces mesures ont atteint plus de SOIXANTE ECOLES LIBRES de notre arrondissement, - violant la liberté des pères de familles, 41 - ADIV 3M291. Lettre des sénateurs sortants MM. Véron, Grivart et Frain de la Villegontier aux électeurs sénatoriaux du 22 décembre 1896. 42 - Les législatives de 1902 ont porté les radicaux au pouvoir, c’est-à-dire la frange la plus anticléricale de la gauche française. 23 - surchargeant les budgets de nos communes ou imposant de nouveaux sacrifices aux catholiques que nous sommes. (…) Un autre dessein, poursuivi depuis longtemps par la F . : .-Maç. : . , avait occupé bien davantage le Parlement, il s’agissait de faire la SEPARATION DE L’EGLISE ET DE L’ETAT le bon sens le plus élémentaire indiquait que pour modifier le traité conclu autrefois entre le Pape et la France, le Concordat, il aurait fallu s’entendre avec le Pape. FAUTE DE L’AVOIR FAIT, il est arrivé ce que vous savez et le premier acte d’exécution de cette loi a rencontré chez vous une FERME ET LEGITIME OPPOSITION. CETTE LOI EST A ABROGER et à refaire par un nouvel accord avec le Saint-Siège. (…).43 De toutes les déclarations renfermées aux Archives, celles-ci sont certainement les plus virulentes à l’endroit de la politique anticléricale menée par le gouvernement. D’ordinaire, les élus ou les candidats catholiques qui se prononcent font partager, au mieux leur désarroi, au pire leur opposition dont on sait, dont ils savent eux-mêmes, qu’elle n’aura absolument aucune portée. Finalement, les termes empruntés par les élus catholiques d’Ille-et-Vilaine ne sont pas beaucoup plus virulents que ceux utilisés par le Pape Léon XIII lorsqu’il condamna le projet de loi sur les congrégations religieuses : Il adressa en effet au Cardinal Richard, Archevêque de Paris, un courrier dans lequel il faisait part de son « amère tristesse »44. Mais juste avant que le pape ne se prononce, les autorités diocésaines s’étaient permises, par la voie de leur organe interne, la semaine religieuse, de dénoncer sans ambages l’attitude de quelques parlementaires qui « ont renié la foi de leurs pères [en votant] la loi de persécution religieuse ! ».45 Lors des élections du 28 juillet 1883 pour le renouvellement du Conseil général, le candidat Guibert écrira que 43 - ADIV 3M327. Placard rédigé par le Colonel du Halgouët, député, le 22 avril 1906. - ADIV 3M295. Lettre du Pape Léon XIII au Cardinal Richard, publiée dans le journal de Rennes le 31 décembre 1900. Le pape Léon XIII s’est toujours gardé d’entrer en conflit avec la République française. Au contraire. Ce pape, issu de la haute aristocratie italienne, avait bien compris que la restauration monarchique n’avait plus que de faibles chances en France, après l’échec provoqué en 1873 par l’intransigeance du Comte de Chambord. Il invita donc les catholiques français à ne pas s’isoler, ni à s’enfermer dans le regret d’une cause perdue, mais au contraire à agir sur la République pour l’améliorer. Son encyclique «Inter innumeras sollicitudines » du 20 février 1892 reconnaîtra même les grands principes défendus par la République. Un peu plus tard, le 3 mai 1892, il dira aux cardinaux français : « Acceptez la République, soyez lui soumis comme représentante du pouvoir venu de Dieu. » 45 - ADIV 1V1510. La semaine religieuse du diocèse de Rennes du 16 décembre 1905. 44 24 (…) Les temps que nous traversons sont fort tristes : la religion est sans cesse attaquée, nos libertés les plus chères sont ou supprimées ou menacées… Le désordre est partout. Espérons que Dieu abrégera ces mauvais jours.46 On ne manque pas d’être surpris de voir que, déjà en 1883, certains candidats sont abattus par ce qui n’est que le début de la politique anticléricale. Cet abattement est tel qu’ils vont jusqu’à compter sur l’intervention divine et non plus sur la pure intervention politique pour espérer une amélioration. Y aurait-il un réel abandon de la part des candidats catholiques qui perçoivent bien en réalité qu’ils resteront pendant longtemps dans l’opposition au gouvernement ? L’on serait en effet bien tenté de le croire. On peut également revenir sur la molle réaction de Brager de la Ville-Moysan, candidat aux élections sénatoriales partielles de 1904, pour qui La liberté d’enseignement a été (…) gravement atteinte par la suppression des congrégations enseignantes ; [il] estime qu’il faut rendre le droit d’enseigner aux frères et aux sœurs (…)47. Les élections sénatoriales de 1906 qui surviennent à peine un mois après le vote de la fameuse loi de séparation des Eglises et de l’Etat va permettre aux candidats catholiques de dénoncer encore une fois la politique injuste du gouvernement. La consternation et l’accablement sont à ce moment là à leur comble. N’est-ce pas là le dernier acte de la tragédie qu’écrit le gouvernement depuis bientôt vingt-cinq ans ? Ils écrivent à ce sujet dans leur profession de foi que La liberté religieuse vient de recevoir une nouvelle atteinte par le vote de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat ; cette loi spoliatrice et dangereuse n’a qu’un but : rendre difficile et précaire l’exercice de la religion ; elle aura comme inévitable résultat de susciter dans nos communes des divisions, des conflits et des haines.48 A l’évidence, les élus conservateurs d’Ille-et-Vilaine ne se font pas d’illusions sur un revirement législatif qui balayerait l’ensemble des lois anticléricales, et encore moins celle du 9 décembre. 46 - ADIV 3M361. Profession de foi de M. Guibert pour les élections au Conseil général du 28 juillet 1883. - ADIV 3M295. Profession de foi de M. Brager de la Ville-Moysan pour les élections sénatoriales partielles du 15 mai 1904 en remplacement de M. Guérin, décédé. 48 - ADIV 3M295. Profession de foi de MM. Brager de la Ville-Moysan, Baston de la Riboisière, Pinault et Saint-Germain pour les élections sénatoriales du 7 janvier 1906. 47 25 Sans le dire, ils savent parfaitement, comme l’affirme le républicain Le Hérissé dans l’une de ses professions de foi, que « la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat est aujourd’hui un fait accompli ».49 On sent une réelle résignation dans chacune des déclarations des candidats conservateurs catholiques. Il faut souligner cependant que les professions de foi des candidats, et plus particulièrement des candidats conservateurs, font toujours état de la législation anticléricale, ce qui signifie que la situation est largement exploitée politiquement. Il eût été surprenant par ailleurs qu’elle ne le fût pas dans une région où politique et religion se mêlent et ne peuvent s’ignorer. II. La construction d’un argumentaire électoral profitable Il apparaît certain que dans une région où le catholicisme est fortement ancré, les questions relatives à la législation anticléricale seront largement récupérées par la classe politique, nous l’avons partiellement vu. Aussi, il serait bien imprudent pour un élu d’Ille-et-Vilaine d’attaquer de manière trop brusque l’Eglise et la religion. Et, même s’ils sont relativement nombreux à se rallier à la politique menée par le gouvernement, il n’en demeure pas moins qu’ils doivent, dans leur département, tenir des propos mesurés. L’on discerne très clairement dans le discours des républicains du département une aversion réelle pour le clergé et pour l’Eglise au sens d’institution, mais ce n’est jamais vrai pour la religion catholique. Au contraire. L’anticléricalisme ne doit certainement pas se confondre avec l’anticatholicisme.50 Ce serait une erreur de le penser. Il ne serait en vérité pas imaginable qu’un élu se revendique anticatholique dans un département comme l’Ille-et-Vilaine : ses mandats pourraient alors être sérieusement remis en cause. Et de cela, chacun en est conscient. 49 - ADIV 3M328. Profession de foi de M. Le Hérissé pour les élections législatives du 24 avril 1910. Le Hérissé, député de Rennes, a été boulangiste, nationaliste et antidreyfusard. Il fut cependant l’un des plus ardents anticléricaux de la classe politique d’Ille-et-Vilaine. 26 Aussi les élus républicains se défendent-ils particulièrement des accusations de leurs adversaires conservateurs. Ces accusations portent essentiellement sur la liberté du culte qui serait, selon eux, menacée par un gouvernement qui se proclame l’héritier de la Révolution de 1789. Et cette Révolution fut, nous le savons, une période de troubles pour l’Eglise de France. Déjà en 1881 le débat était engagé et les élus de gauche, réunis sous la bannière du "comité républicain du drapeau tricolore" s’adressant à leurs électeurs, écrivaient : Les champions de l’opposition monarchique et cléricale prétendent encore que vos églises sont fermées, que vos prêtres sont persécutés, qu’ils n’ont plus le droit de vous enseigner Dieu, la religion, la morale chrétienne, qu’ils sont proscrits ou martyrs. Vous en êtes-vous aperçus ? Sous quel règne fut-il jamais plus honoré dans le libre exercice de ses fonctions ? Les fidèles ont-ils été séparés de lui ? Est-il enfin un seul mot de vérité dans ces accusations dirigées contre le gouvernement républicain ?51 Cette mise au point intervient après que le candidat monarchiste eût dénoncé comme nous l’avons vu les agissements du gouvernement. Il s’en prenait en effet à la République qui Ne souffre ni les frères ni les sœurs (…). Elle les met brutalement à la porte, sans procès, sans jugement, par la main des gendarmes (…). Elle interdit l’enseignement de la Religion dans l’école. Elle veut l’instruction…laïque ? Non, athée, et, dans sa rage elle décrète que ce poison mortel sera obligatoire, sous peine d’amende et de prison, contre les pères de famille qui refuseront ou négligeront de le laisser infuser à leurs enfants.52 On se rend dès lors compte que très peu de temps après l’arrivée au pouvoir des républicains, le sujet anticlérical est largement exploité politiquement. Et il le sera avec de plus en plus de force. Il semble qu’aucun terme n’est assez fort pour décrire un état qui fait coexister deux mouvements opposés. Ainsi lors des législatives de 1886, un candidat conservateur n’hésite pas à qualifier la situation de « guerre contre la religion »53. 50 - REMOND René, L’anticléricalisme en France de 1815 à nos jours, Ed. Complexes, Bruxelles, 1985, introduction. 51 - ADIV 3M319. Profession de foi des candidats républicains. Elections législatives du 27 août 1881. Voir également annexe 10. 52 - ADIV 3M319. Profession de foi de M. Mainsard. Elections législatives du 27 août 1881. 53 - ADIV 3M320. Profession de foi de M. Carron de la Carrière. Elections législatives du 23 mai 1886. 27 Le candidat La Chambre sommera quant à lui ses électeurs de « [condamner] la politique de persécution religieuse qui proscrit le catéchisme de l’école et essaie par tous les moyens d’anéantir le catholicisme »54. Ainsi ce candidat, qui sera par ailleurs élu, n’hésite pas à dénoncer purement et simplement la politique anticatholique – et non plus simplement anticléricale – du gouvernement. Il ne fait aucun doute que l’usage d’une telle formule suffit, en Ille-et-Vilaine, à émouvoir l’électorat catholique, qui se rangera aussitôt derrière la bannière du candidat conservateur. Aussi, nous avons vu que les candidats adverses se trouvent presque dans l’obligation de démontrer qu’ils ne sont pas des agents destructeurs de la religion. Celle-ci se trouve toujours au cœur des débats politiques, et tous les responsables publics se doivent obligatoirement de prendre une position claire et non ambiguë. Celui qui ne prend pas nettement position dans le débat public par rapport à la question religieuse apparaîtra comme suspect aux yeux des électeurs. Il faut cependant admettre que certains candidats n’évoquent que très peu cette question. Ce fut notamment le cas du député Brune55 dont la tendance anticléricale était connue de tous mais qui ne jugeait peut-être pas utile de trop la développer dans ses professions de foi. Le cas de Brune reste toutefois suffisamment singulier pour qu’on le signale ici. Ceci nous amène à analyser la construction de l’argumentaire électoral des candidats, ce que nous avons partiellement fait au demeurant. Mais il est à souligner que l’attitude politique des candidats tient moins à une logique constructive et de proposition réelle qu’à une logique de dénigrement et de médisance systématique de l’adversaire. Chacun élabore donc son programme en fonction de son adversaire, et, puisque le système politique du pays est bipolaire, alors il ne reste pour chaque camp qu’à exploiter le thème qui fait naître la plus grande divergence entre eux. Et ce thème est, bien entendu, l’anticléricalisme. Les argumentaires électoraux se construisent donc en réalité en fonction du discours des opposants : une attaque suppose forcément une riposte. 54 - ADIV 3M322. Profession de foi de M. La Chambre. Elections législatives du 6 octobre 1889. - Député républicain de la 1ère circonscription de Saint-Malo de 1893 à 1902, Conseiller général (1870), Maire de Pleine-Fougères (1877). 55 28 Et selon une telle logique, chacun essaie de tirer profit de la situation, et on se retrouve d’un côté à crier à la persécution, et de l’autre, à réclamer la liberté ou plus exactement la désaliénation des esprits. Nous voyons donc que la liberté n’est pas entendue de la même façon suivant que l’on se trouve dans l’un ou l’autre camp. 29 SECTION TROISIÈME : LES PARADES DE L’ÉGLISE À LA SUITE DU VOTE DES LOIS DE 1901 ET DE 1905 I. Une Eglise noyée dans la laïcité Les bouleversements survenus dans les relations entre l’Eglise et l’Etat depuis l’avènement des républicains obligent le clergé à s’adapter à cette nouvelle situation dont nous avons vu qu’elle était bien souvent délicate. Les lois du 1er juillet 1901 et du 9 décembre 1905 ont largement modifié la structure de l’Eglise catholique en France, ces lois étant destinées à entamer son autorité et son influence trop étendues au goût des dirigeants du pays. La loi de 1901 sur les congrégations religieuses56 a sans conteste été l’une des plus rigoureuses pour l’Eglise, dans la mesure où elle atteint l’une de ses ramifications vitales, à savoir les congrégations. Par cette loi, l’autorité centrale entend contrôler très étroitement ces groupements qui, selon elle, sont une sorte d’Etat dans l’Etat et constituent de ce fait un réel danger, surtout pour un gouvernement farouchement républicain qui se méfie du pli ultramontain qui séduit de nombreux ecclésiastiques. C’est pour cette raison que le rapporteur de la loi devant le Sénat, Ernest Vallé, dira de celleci qu’ « aux associations elle donne la liberté, une liberté qu’elle n’ont jamais connue [et] aux congrégations elle refuse cette liberté ». Selon lui, la distinction est très nette.57 Ajoutons par ailleurs que cette loi fut voulue et présentée par un homme qui avait fait de l’Ille-et-Vilaine sa terre d’élection dans les années 1880 : Pierre Waldeck-Rousseau. Il devient désormais impossible pour les congrégations religieuses de « se former sans une autorisation donnée par une loi qui déterminera les conditions de son fonctionnement ».58 Un an après son vote, la loi sur les congrégations va être interprétée dans son sens le plus absolu. Emile Combes vient en effet de prendre les rênes du pouvoir et, fort de son autorité, entreprendra la fermeture de quelques 2.600 écoles congréganistes.59 56 - Loi du 1er juillet 1901, Titre III, J.O. du mardi 2 juillet 1901. Annexe 1. - SORREL Christian, La République contre les congrégations, histoire d’une passion française 1899-1904, Ed. Cerf, Paris, 2003, 223 pp., p. 77. 58 - Article 13, Titre III, loi du 1er juillet 1901. Annexe 1. 59 - Cette mesure préfigure la loi du 7 juillet 1904 que le même Emile Combes fera voter et qui exclura de l’enseignement toutes les congrégations, même celles qui sont autorisées. 57 30 Cette interprétation législative reste au demeurant fort discutable mais apparaît comme le dénouement de l’offensive inachevée de Jules Ferry en 1880.60 L’autorité préfectorale d’Ille-et-Vilaine va également, dans cet élan, procéder à la dissolution de plusieurs congrégations dans le département.61 Il reste toutefois que les congréganistes évincés n’entendaient pas rester inactifs face à des dispositions qui allaient de toute évidence contre les vœux perpétuels par eux prononcés. Que faire dès lors pour rester fidèle à une vocation librement consentie ? La réponse n’est pas aisée, il faut en convenir. Une partie du clergé préférera sacrifier les congrégations pour sauver les œuvres en recourant à une sécularisation massive. Cette option est choisie par un grand nombre de congréganistes qui ne doivent bien sûr pas poursuivre les missions pour lesquelles leur congrégation a été fermée. Le sous-préfet de Vitré en place en 1906 relativise l’efficacité et la portée de la loi de 1901 ainsi que de celle du 7 juillet 1904, lui qui dit que Les anciens établissements d’enseignement congréganiste, sous la forme de sécularisation, existent comme par le passé et la même direction cléricale qu’auparavant est donnée.62 La situation ne semble pas avoir réellement évolué en 1909 si l’on en croit le sous-préfet de Montfort, M. Piettre, qui s’étonne que Les établissements congréganistes de femmes fermées par application de cette loi [du 1er juillet 1901], se reconstituent peu à peu, à l’abri de la jurisprudence adoptée par les tribunaux en ce qui les concerne. (…). Il en résulte que les religieuses d’un établissement congréganiste quelconque fermé en vertu des lois des 1er juillet 1901, 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904, peuvent rester impunément dans la commune où elles sont installées ou s’établir dans une autre commune, à la condition de changer dès la notification de l’arrêté de fermeture, les œuvres qu’elles poursuivent en commun : si elles 60 - Parmi l’œuvre législative de Ferry, on retient l’exclusion de l’enseignement, public ou libre, des membres des congrégations non autorisées (article 7 de la loi du 15 mars 1879). Cet article qui fut voté par la Chambre en juillet 1879 fut en revanche rejeté par le Sénat le 9 mars 1880 –du fait de l’opposition de certains républicains modérés. Malgré cette opposition, Ferry prit tout de même deux décrets le 29 mars 1880, le premier imposant la dissolution de la Compagnie de Jésus dans un délai de trois mois, le second refusant aux congrégations non autorisées le droit à une existence de fait mais leur prescrivant cependant de demander dans le même délai une autorisation. Annexe 1. 61 - Le préfet fait connaître au gouvernement les motifs de la dissolution avant que celui-ci ne la prononce, en vertu de l’article 13 de la loi de 1901, par décret pris en conseil des ministres. 62 - ADIV 1M142. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de septembre 1906. 31 sont enseignantes, elles deviennent hospitalières, si elles sont hospitalières, elles ouvrent un atelier d’apprentissage pour les jeunes filles, etc, etc… Elles peuvent ainsi faire échec à la loi et continuer dans leur commune la lutte contre les institutions républicaines.63 Le sous-préfet de Montfort poursuit son rapport en informant son supérieur que Par arrêté du 11 août 1904, un établissement de la congrégation des filles des S.S.N.N. des Jésus et Marie de Paramé, existant dans la commune de Saint Péran, était supprimé. Les religieuses le constituant se retirèrent dans les délais impartis par la mise en demeure qui leur fut notifiée, et l’immeuble qu’elles habitaient et qui était propriété de la fabrique, resta quelques temps inoccupé. Mais dans les premiers jours de l’année 19.. [illisible], à l’instigation du conseil de fabrique et quelques personnalités réactionnaires du pays, deux religieuses de la congrégation du Saint-Esprit, de Saint-Brieuc, qui n’a jamais possédé aucun établissement dans cette commune, venaient s’installer dans l’immeuble abandonné, en violation des prescriptions formelles des lois des 1er juillet 1901 et 4 décembre 1902. (…). Déférées au parquet de Montfort elles ont été l’objet d’une ordonnance de non lieu du 31 décembre 1908. La présence à Saint Péran de ces religieuses constitue un précédent qui provoquera de nombreuses violations de la loi.64 Le chef de l’arrondissement de Vitré fait quant à lui remarquer au préfet que « l’école libre [de Coësmes] est dirigée par les anciennes sœurs sécularisées sur place »65. Les cas de sécularisation sont apparemment nombreux. Les congréganistes sécularisés sont d’ailleurs souvent contraints par l’administration de comparaître devant le ministère public qui prononce presque toujours le non lieu.66 Le clergé doit donc absolument s’adapter à ce nouveau courant législatif qui lui est hostile. Mais ce sera surtout la loi du 9 décembre 1905 qui bouleversera le plus en profondeur l’Institution ecclésiale puisqu’elle prévoit une véritable modification statutaire : désormais, 63 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Montfort au préfet d’Ille-et-Vilaine de juin 1909. - Ibid.. 65 - Ibid.. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine d’octobre 1909. En l’espèce, le sous-préfet a saisi le procureur de la République pour que des poursuites soient engagées à l’encontre de ces religieuses. 66 - Dans la mesure où la loi voulait anéantir les congrégations, nous sommes surpris que le pouvoir ait inquiété les anciens réguliers désormais sécularisés. Quel était là leur objectif ? 64 32 les ecclésiastiques ne sont plus des agents publics et ne dépendent donc plus de l’Etat, et de ce fait, leur traitement sera petit à petit supprimé67. Mais comment le clergé d’Ille-et-Vilaine a-t-il réagi devant cette loi qui reste sans nul doute la plus offensive à leur égard ? Il est certain que les premières réactions ont été vives, même si le clergé s’est dans un premier temps heurté à des difficultés d’interprétation du texte.68 En réalité, personne ne sait véritablement comment appréhender les termes mêmes de la loi, mais surtout, tout le monde attend que les autorités diocésaines, et plus particulièrement pontificale69, s’expriment sur le sujet. Or, au mois de septembre 1906, personne n’a d’indication sur la marche à suivre. Le sous-préfet de Montfort fait état de cette situation, et dans l’un de ses rapports, il écrit : Il [semble] que le clergé de mon arrondissement se trouve, à l’heure actuelle, dans une situation très gênée relativement à l’application de cette loi. Les instructions ne sont pas encore venues de l’évêché ou tout au moins celles qui ont été données n’ont pas encore permis au clergé d’indiquer clairement la ligne de conduite à suivre. On sent qu’il existe un flottement très grand et il est à croire que le clergé attend une manifestation du gouvernement pour préparer la résistance (…). Aujourd’hui 26 courant, une soixantaine de jeunes gens de l’arrondissement se sont rendus à Rennes conduites par les curés (…) pour assister à des réunions ecclésiastiques, ou, sous le prétexte de recueillir la bonne parole, ils sont allés prendre les ordres de résistance à la loi.70 Le Cardinal Labouré71 n’entendait pas, avant même le vote de la loi de séparation, organiser de résistance. En effet, plutôt que de s’opposer à un courant irréversible, il lui paraissait préférable d’adopter une attitude conciliante, ou plus exactement, une attitude qui appelait au calme. Sans approuver la loi, Mgr Labouré entend a priori l’utiliser en prenant les axes tracés par elle. Ainsi dit-il à son clergé: 67 - L’article 11 de la loi du 9 décembre 1905 prévoit la suppression progressive du traitement du clergé. Il recevra « pendant quatre ans à partir de la suppression du budget des cultes, une allocation égale à la totalité de leur traitement pour la première année, au tiers pour la deuxième, à la moitié pour la troisième, aux tiers pour la quatrième. Toutefois, dans les communes de moins de 1.000 habitants et pour les ministres du culte qui continueront de remplir leurs fonctions, la durée de chacune des quatre périodes ci-dessus indiquées sera doublée ». Annexe 1. 68 - Annexe 2. 69 - Les relations diplomatiques entre la France et le Vatican sont à ce moment là rompues, ce qui n’empêche pas le pape de s’exprimer sur la situation politique du pays. 70 - ADIV 1M142. Rapport du sous-préfet de Montfort au préfet d’Ille-et-Vilaine de septembre 1906 71 - Archevêque de Rennes de 1893 à 1906. 33 Vous formerez, sous notre direction et après les instructions données par nous en temps utiles, les associations nécessaires au culte.72 Avant même que le pape ne se prononce officiellement sur les associations cultuelles, le prélat de Bretagne semble d’avis que leur mise en place soit la meilleure solution.73 Le préfet d’Ille-et-Vilaine, dans son rapport du mois de septembre 1906, écrivait à son ministre, au sujet de Mgr Labouré, qu’ On lui reprochait de n’avoir point favorisé, et d’avoir même laissé entendre qu’il désapprouvait les manifestations violentes organisées autour des inventaires, d’être un partisan résolu des associations cultuelles, dont il devait préconiser la formation à la réunion des évêques, en même temps que l’acceptation de la loi de Séparation –toutes choses vraies d’ailleurs, et qui lui avait aliéné la grande majorité de son clergé et des fidèles, à un point tel que les outrages dont il a été abreuvé ont abrégé ses jours.74 Si les termes du préfet sont exacts, alors on peut penser que le clergé d’Ille-et-Vilaine ne suit pas la ligne libérale de son chef. Mais la mort de Mgr Labouré est suivie d’une longue vacance du pouvoir archiépiscopal, et c’est pourtant à ce moment là que l’Eglise de France élabore sa doctrine, non sans difficulté par ailleurs, les intransigeants s’opposant aux libéraux. Pie X semble lui plus proche des intransigeants et se méfie véritablement des associations cultuelles. Aussi, l’assemblée des évêques de France, réunie du 30 mai au 1er juin, adopte une solution médiane en préconisant la création d’association cultuelles qui seraient placées sous l’autorité du curé, et qui devraient surtout obéir aux règles canoniques afin de prévenir de tout schisme. Le successeur de Mgr Labouré, Mgr Dubourg, prend possession de l’archevêché en septembre 1906. Le nouvel Archevêque n’est assurément pas un partisan de la ligne libérale75 tant et si bien que le préfet informe son ministre que « tout le clergé s’est mis à préconiser la résistance intransigeante à la loi »76. 72 - Archives historiques du diocèse d’Ille-et-Vilaine, Mandements et lettres pastorales de Mgr Labouré, 18931906. 73 - Le Cardinal Labouré est l’un des premiers à se prononcer en faveur des associations cultuelles. Il fut incontestablement le plus haut représentant de la ligne libérale. Mais il mourra quelques semaines avant la réunion de l’assemblée des évêques de France (mai 1906) qui devait tracer la ligne officielle d’interprétation de la loi de séparation. 74 - ADIV 1M142. Rapport du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’intérieur de septembre 1906. Annexe 3. Voir également à ce sujet, MEJAN L.V., La séparation des Eglises et de l’Etat, l’œuvre de Louis MEJAN, Paris, P.U.F., p. 35. 75 - Annexe 2. 76 - ADIV 1M142. Rapport du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’intérieur de septembre 1906. Annexe 3. 34 Dans son rapport de septembre 1906, le sous-préfet informe son supérieur « qu’il n’a été constitué jusqu’à présent, aucune association cultuelle dans l’arrondissement »77. Il ajoute ensuite que Dans les églises, la récente encyclique du pape a été lue en chaire et [a été] commentée très favorablement par le clergé, qui a engagé tous les fidèles à suivre les instructions données par le chef de l’église.78 Son homologue malouin s’inquiète également auprès du préfet du fait que Les catholiques et les membres du clergé ne paraissent pas se remuer encore en vue de la formation des associations cultuelles.79 La situation semble être la même dans l’arrondissement de Fougères.80 Le sous-préfet de Redon pense, quant à lui, que « le clergé affectera l’ignorance de la loi de séparation et attendra les mesures que prendra le gouvernement »81. Ces lois, nous l’avons vu, ont été largement condamnées par le clergé dans son ensemble, et ceci malgré les regrets exprimés par l’administration qui jugeait qu’elles n’étaient pas assez strictement appliquées. Mais il est toutefois surprenant de voir que l’opposition a certainement été plus forte de la part de la population, et plus précisément de la part des élus municipaux qui n’ont pas hésité à dénoncer ce qui était pour eux des lois scandaleuses. II. L’opposition remarquée des élus municipaux Pour faciliter l’application des dispositions renfermées dans la loi du 1er juillet 1901 relatives à l’enseignement, le préfet espérait bien obtenir le soutien plein et entier des maires du département. Il écrivait à ce sujet aux sous-préfets que les magistrats municipaux devaient considérer comme 77 - ADIV 1M142. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de septembre 1906. - Ibid.. 79 - ADIV 1M142. Rapport du sous-préfet de Saint-Malo au préfet d’Ille-et-Vilaine d’octobre 1906. 80 - ADIV 1M142. Rapport du sous-préfet de Fougères au préfet d’Ille-et-Vilaine d’octobre 1906. 81 - ADIV 1M142. Rapport du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine d’octobre 1906. 78 35 Un devoir impérieux de prêter dans la circonstance leur concours le plus absolu à MM. Les inspecteurs dans l’accomplissement de leur tâche (…).82 Il invitait de plus ses subalternes à « adresser [aux maires] des instructions dans ce but »83. Seulement, c’était sans compter sur la position nettement affirmée d’une majorité d’élus en faveur des œuvres des congrégations. Et les élus républicains qui auraient pu répondre favorablement à l’invitation du préfet auraient été gênés par une population souvent plus à l’écoute du clergé qu’à celle de ses représentants. Le risque politique serait bien trop grand, comme en atteste cette lettre du maire de Chateauneuf au sous-préfet de Saint-Malo, qui explique que s’il prêtait son concours à l’administration pour l’installation d’une institutrice laïque, « ce serait me tuer complètement avec tout mon conseil ».84 Il finit par manifester sa peine de ne pouvoir donner satisfaction à la demande qui lui a été faite… Mais il va de soi que tous les élus ne sont pas calculateurs, et le chef de l’administration dans le département reçoit à ce moment là sur son bureau les délibérations de nombreux conseils municipaux qui apportent leur plein soutien aux ex-congrégations, et plus particulièrement aux ex-congrégations enseignantes. Ainsi, le conseil municipal de Rennes demande-t-il Que les autorisations qui sont ou vont être sollicitées par les congrégations religieuses de Rennes, leur soient accordées.85 Pour Combes, il est hors de question d’accéder à ces demandes. Ceci est d’autant plus vrai qu’il va même jusqu’à demander aux préfets de fermer les établissements congréganistes antérieurs à la loi su 1er juillet 1901. Face à un gouvernement aussi radical, il semblait bien impossible aux élus de s’opposer efficacement. La résistance consistait donc simplement à exprimer son opposition par la seule voie des délibérations prises en conseil municipal. 82 - ADIV 11T227. Lettre du préfet aux sous-préfets du 25 août 1902. - Ibid.. 84 - Ibid.. Lettre du maire de Chateauneuf au sous-préfet de Saint-Malo du 1er septembre 1902. 85 - Ibid.. Délibération du conseil municipal de Rennes du 18 juillet 1902. 83 36 Il en ira autrement au moment de l’application de la loi du 9 décembre 1905 et des dispositions relatives aux inventaires des biens ecclésiastiques.86 La résistance des élus sera soudain plus active. Il est à remarquer que le législateur avait admis la possibilité que s’organise une résistance à la loi, car l’article 4 de la loi dispose que Si l’agent rencontre un obstacle dans l’accomplissement de sa mission, il le constate et en réfère immédiatement par l’intermédiaire du directeur, au préfet qui prescrit les mesures nécessaires . En Ille-et-Vilaine, les inventaires s’effectuent de la mi-février à la mi-mars. Comme on pouvait s’en douter, ceux-ci donnent lieu à de nombreux incidents dans le département. Aussi ces incidents sont le fait de la population avec la participation parfois active des élus municipaux, même si, le plus souvent, ils doivent calmer la foule pour éviter des débordements. Les élus préfèrent résister en délibérant. De nombreux conseils municipaux se prononceront en effet contre les mesures des lois des 2 janvier 1907 et 13 avril 1908 qui attribuent définitivement les biens des anciens établissements publics du culte aux bureaux d’assistance et de bienfaisance. Ce sont en effet ces lois qui officialisent ce que certains appelaient déjà en 1905 la spoliation des biens ecclésiastiques. La mise en place de ces bureaux suscite bien souvent l’émoi des conseils municipaux87 comme des membres des bureaux eux-mêmes. Le préfet d’Ille-et-Vilaine s’inquiète auprès du ministre de l’intérieur, Aristide Briand, de l’impopularité de ces lois qui pourraient compromettre les intérêts du parti républicain si elles étaient appliquées trop tôt. Voici en substance ce qu’il écrit : (…) Quant à la vente des immeubles, il serait à craindre qu’elle ne soulevât, s’il y était procédé avant les élections générales qui doivent avoir lieu au cours de l’année, une agitation d’autant plus vive que les partis d’opposition croiraient y trouver un intérêt électoral. Aussi je me suis résolu à moins d’instructions contraires de votre part, à demander au directeur des domaines de vouloir bien y surseoir jusqu’au mois d’août prochain.88 86 - Les dispositions relatives aux inventaires sont renfermées dans l’article 3 de la loi du 9 décembre 1905. Elles sont complétées par le décret du 29 décembre 1905. 87 - Annexe 2. 88 - ADIV 1V1535. Lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’intérieur du 29 janvier 1910. 37 Comme nous allons le voir, le préfet avait toutes les raisons de prévenir le gouvernement tant il est vrai que les dispositions législatives de 1907-1908 ont été mal ressenties un peu partout dans le département. Il n’est pas besoin de débattre longuement au sein des assemblées municipales pour que se dégage un consensus défavorable à ces textes. Il est surprenant par ailleurs lorsqu’on prend connaissance des délibérations, de constater que certains maires semblent lire la loi comme si celle-ci était supplétive alors qu’en réalité, elle est impérative. Prenons par exemple la délibération du conseil municipal de Le Gronais du 27 février 1910 : En réponse à la lettre de Monsieur le sous-préfet en date du 27 décembre dernier le conseil, à l’unanimité, décide de n’accepter l’attribution des biens ayant appartenu à la Fabrique de Le Gronais, qu’à la condition formelle de les employer selon les intentions des donateurs. Ils estiment que leur conscience ne leur permet pas de les faire servir à un autre but. Si donc l’administration veut bien approuver cette délibération, la Commune prendra possession des biens dont il s’agit. Dans le cas contraire, le Conseil se verrait obligé de les refuser.89 De nombreux bureaux de bienfaisance s’en prennent de manière plus virulente au gouvernement. C’est le cas de celui de Sainte-Anne sur Vilaine qui, lors d’une réunion présidée par M. de Gouyon, qui n’est autre que le maire de la commune, prend position en déclarant que Les membres du bureau de bienfaisance réunis le 4 décembre 1909 au lieu ordinaire de leurs réunions protestent, à l’unanimité des membres présents, contre la dévolution des biens de la fabrique au bureau de bienfaisance, et déclarent que l’Etat n’a pas le droit de disposer de biens qui ne lui appartiennent pas. Ils ne veulent donc en aucune façon se rendre les complices de ce qu’ils considèrent comme un vol.90 Le sous-préfet de Redon s’insurgera quelques jours plus tard contre « les termes absolument inconvenants contre un acte législatif ». 89 90 - Ibid.. Délibération du conseil municipal de Le Gronais du 27 février 1910. - Ibid.. Délibération du bureau de bienfaisance de Sainte-Anne sur Vilaine du 4 décembre 1909. 38 Ajoutons enfin que toutes les délibérations des conseils municipaux qui se sont ouvertement opposés à la loi ont été annulées par le préfet. En effet, la loi est impérative et s’impose donc aux autorités municipales comme aux bureaux d’assistance et de bienfaisance, sans que ceuxci ne puissent y apporter le moindre assouplissement. 39 -CHAPITRE SECONDLA PARFAITE MÉCANIQUE DE LA MACHINE ADMINISTRATIVE DE LA RÉPUBLIQUE Lorsque le Premier Consul Bonaparte créait le corps préfectoral par sa loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800), il était bien sûr question de doter la France d'une administration cohérente et efficace, mais il était aussi – et surtout? – question de quadriller l'ensemble du territoire afin d'avoir le regard posé en permanence sur la France, et cela depuis les Tuileries. En fait, l’on comprend bien que ceux que l'on appellera plus tard les "Empereurs aux petits pieds" ne seront ni plus ni moins que les oreilles et les bras du pouvoir central. Avoir le contrôle du territoire: voilà la clef réelle du pouvoir. Et cela, le premier Consul l'avait parfaitement compris, lui qui dota les successeurs des intendants de pouvoirs délégués élargis, parce qu'il ne voulait pas que le régime qu'il venait de mettre en place ne succombât comme avait succombé la monarchie quelques années auparavant. Renforcer le pouvoir en tous points du territoire, ce sera désormais l'obsession de tous les régimes qui se relayeront jusqu'à nos jours, et ceci sera d'autant plus vrai que les nombreuses révolutions populaires survenues tout au long du XIXème siècle en auront balayé plus d'un. En janvier 1879, lorsque les républicains arrachent le dernier bastion détenu par les monarchistes – le Sénat –, leur victoire est réelle. Mais très vite ils comprendront qu'il la leur faut consolider. Et pour cela, ils n'inventeront rien: ils se contenteront de reprendre l'institution qui n'a pas cessé d'exister au demeurant, et qui fut créée par l'oncle de celui qu'ils avaient renversé quelques neuf années auparavant, en 1870, Napoléon III. 40 SECTION PREMIÈRE : UNE TOILE ADMINISTRATIVE DÉPARTEMENTALE BIEN TISSÉE I. Une structure administrative articulée autour du préfet A. Le préfet: maître d'œuvre de la politique gouvernementale dans le département A toutes les époques, le rôle du préfet a été de mettre en place dans le département la politique du gouvernement. Il est un instrument indispensable et incontournable dans la chaîne administrative du pays. Il est responsable devant le gouvernement tout comme les souspréfets, à cette différence que les sous-préfets sont également responsables devant le préfet. Il est donc question d’une structure administrative très hiérarchisée et on s’en aperçoit lorsque l’on dépouille les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine. L’on y découvre, sans surprise au demeurant, que toutes les actions politiques et administratives sont visées -et même supervisées- par le préfet. Rien, ou presque, n’est décidé sans son aval, et ceux des téméraires qui se risqueraient à entreprendre des actions pour lesquelles le préfet a un droit de regard intuitu personae verraient non seulement leurs actes cassés mais en sus, ils seraient « fichés » par les services de l’administration préfectorale. Bien sûr, les préfets ont l’obligation de rendre des comptes au gouvernement à chaque fois que cela s’impose, mais ils doivent également rédiger un rapport mensuel91, et ceci en vertu des dispositions d’une circulaire du ministre de l’intérieur de 1889.92 Le préfet est, certes, le chef de l’administration départementale, mais il tient ses pouvoirs du gouvernement, comme nous l’avons vu, et il travaille pour lui. Aussi le gouvernement, qui attend des résultats, ne laisse pas démuni son représentant, et il l’épaule même, comme en témoigne cette lettre adressée aux préfets de France par le Président du Conseil, Ministre de l’intérieur (Georges Clemenceau) en date du 15 avril 1909 et qui dit en substance : Mon Administration facilitera cette tâche [de raffermissement des institutions de la République] de tout son pouvoir, soit par ses instructions et par ses décisions lorsqu’il s’agira d’initiatives qui 91 92 - Annexe 3. - ADIV 1M142. Circulaire du ministre de l’intérieur en date du 30 mars 1889. 41 ressortissent à elle-même, soit par ses interventions auprès d’autres Départements ministériels, lorsque la compétence appartiendra à ceux-ci (…).93 L’on comprend donc aisément, à la lecture de cette lettre, que le gouvernement fait véritablement du préfet l’instrument qui permet la mise en place de la structure républicaine. Et parce que le préfet est un instrument, c’est au gouvernement de l’aiguiller, de le diriger, et comme le dit Clemenceau, de lui faciliter la tâche autant que faire se peut. Le préfet, nous l’aurons compris, a un rôle de coordonnateur, et à ce titre, il tient une place essentielle dans les administrations municipales. Ses pouvoirs sont étendus puisqu’il surveille les municipalités et dispose de la faculté de suspendre un maire qui contreviendrait à la lettre de la loi – ou qui n’aurait pas suffisamment la fibre républicaine… Il va sans dire que les sous-préfets sont soumis aux mêmes obligations mais cette fois-ci à l’endroit des préfets. Et, si les affaires évoquées par le sous-préfet étaient sujettes à intrigue, alors le préfet les ferait connaître au gouvernement. En réalité, l’on s’aperçoit que les rapports mensuels des sous-préfets sont plus ou moins complets, mais cela tient simplement au fait que, parfois, il ne se passe absolument rien dans l’arrondissement. Il peut également s’agir des premiers rapports rédigés par des sous-préfets nouvellement nommés et qui n’ont pas encore eu le temps de faire connaissance ni avec leur arrondissement, ni avec les principaux notables. Avoir une parfaite connaissance du terrain est certainement la clé des succès futurs pour les républicains et leur administration en place.94 Notons cependant que les sous-préfets qui prennent leur poste font part de leur étonnement quant à la mauvaise organisation des structures républicaines. Ils en font part dans leurs rapports en se permettant des suggestions pour remédier à cet état souvent jugé lamentable… Mais aussi pour déstabiliser au passage les « cléricaux », comme nous le verrons plus loin. B. Le préfet : chef de l’armée républicaine du département Outre son rôle de chef de l’administration du département, le préfet va également être propulsé à la tête de l’ « armée des républicains ». 93 94 - ADIV 1M142. Lettre du ministre de l’intérieur aux préfets de France du 15 avril 1909. - ADIV 1M143. Premier rapport mensuel -août 1909- de M. La Couloumère, sous-préfet de Redon. 42 Son autorité en tant que chef de parti va largement s’accroître après le vote de la loi de séparation. Il se trouvera en effet déchargé d’une partie de la compétence que lui attribuait le Concordat et qui faisait de lui un acteur engagé dans les affaires cléricales. Puisqu’il a perdu une de ses prérogatives qui lui permettait de contenir les membres du clergé, il lui faut maintenant trouver un autre moyen d’agir contre eux. C’est ainsi qu’il va non seulement s’immiscer dans la vie politique départementale, mais il sera le coordinateur général, celui qui met en place cette politique. Encore une fois, il rend compte au gouvernement de l’action politique globale, et les termes qui apparaissent dans les correspondances ne permettent absolument aucun doute sur le rôle partial – et même partisan – de ces fonctionnaires. Le rapport mensuel de juin 1909 du préfet Sagébien fait très clairement apparaître ce parti pris lorsqu’il rend compte au gouvernement des élections au conseil général et qu’il signale que Dans l’arrondissement de Rennes, l’élection d’un conseiller d’arrondissement, pour le canton de Châteaugiron, a eu lieu le 11 juillet. M. Ravalet, républicain de gauche, a recueilli 1476 suffrages sur 2415 électeurs inscrits. Son succès est d’autant plus marqué qu’il n’avait pas de concurrent et bien que nouveau venu dans la politique, les déclarations très nettes qu’il a faites nous permettent de compter sur son concours le plus entier. (…) A la Chapelle-Saint-Melaine, commune réactionnaire, le candidat républicain, très violemment combattu par le clergé, a été élu par 180 voix contre 124, que se partageaient deux candidats réactionnaires –dont l’un est un ancien instituteur public. C’est un succès qui en fait présager d’autres. En effet, le nouvel élu jouit d’une grande considération et par son entrée au conseil, il ouvre largement la porte aux républicains.95 Il n’est ici question que d’un compte-rendu, mais l’administration préfectorale ne se contente pas de parler. Elle agit également. Et l’action sera plus particulièrement confiée aux souspréfets qui seront chargés de « dénicher » les candidats républicains, ceux qui seront capables de freiner l’adversité conservatrice. Ainsi dans son rapport mensuel de mars-avril 1909, le sous-préfet de Vitré, M. Lucron, informe son supérieur hiérarchique que Trois élections partielles survenues en mars et avril pour remplacer des conseillers municipaux décédés, n’ont modifié en quoi que ce soit la situation. Même remarque pour le choix de maires et 95 - ADIV 1M143. Rapport du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministère de juin 1909. 43 adjoints au sein des municipalités ; à noter cependant l’élection de M. Richard, conseiller général républicain, comme maire de Rétiers : il remplace d’ailleurs un maire dévoué à nos institutions. L’année prochaine auront lieu : les élections législatives et des élections au Conseil général et au Conseil d’arrondissement. Le député sortant est M. Le Gonidec de Traissan, réactionnaire qui, selon toute vraisemblance, briguera de nouveau les suffrages. A la Chambre depuis plus de vingt années il a presque toujours été élu sans concurrent : en 1902 cependant un candidat républicain lui fut opposé : M. Le Gonidec l’emporta de plus de 5000 voix. En 1906, il ne fut pas combattu. 96 Ce qui suit nous montre bien à quel point l’administration de la République s’engage directement dans la course aux investitures, et M. Lucron poursuit dans ce style direct qui laisse penser que le fonctionnaire a cédé sa place au militant, en affirmant que Quel que doive être le résultat, je m’efforcerai de lui susciter un concurrent, et, si parmi nos amis je puis découvrir un homme actif, disposé à affronter la lutte, j’espère tout au moins prouver aux républicains, souvent trop pessimistes, que la citadelle réactionnaire n’est pas inexpugnable. …) En organisant sérieusement la lutte, je pourrai, je crois, obtenir quelques améliorations dans la représentation cantonale, mais je commence à remarquer qu’il est fort difficile de trouver des candidats à opposer à nos adversaires : les uns redoutent des attaques qui compromettraient leurs intérêts, les autres ne sont pas en état de supporter les frais, ni même une partie des frais, d’une campagne électorale. « Prouver aux républicains (…) que la citadelle réactionnaire n’est pas inexpugnable » : par cette seule phrase, le sous-préfet de Vitré a parfaitement résumé le rôle de son administration qui tend le plus souvent à soutenir moralement les troupes républicaines qui semblent souvent désespérées d’étendre leur influence dans une terre qu’ils jugent par trop conservatrice, par trop réactionnaire. Car, oui en effet, à cette époque où le gouvernement de la France est depuis près de trente ans républicain, il semble que l’ancrage de leur action soit en Ille-et-Vilaine plus délicat, comme en témoigne en réalité la constatation faite par le sous-préfet de Redon, Eugène Moury-Muzet, dans son rapport d’avril 1909, lui qui écrit que 2 partis se trouvent en présence. D’un côté les réactionnaires cléricaux ; de l’autre les républicains sans distinction de nuance. 96 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de mars-avril 1909. 44 L’arrondissement de Redon est en majorité réactionnaire et en 1902 (époque à laquelle le député actuel avait un concurrent) M. Du Halgouët était élu par 12.900 voix contre 8.300 à M. Thélohan.97 C’est surtout ce qui suit qui nous intéresse car le sous-préfet poursuit en informant son supérieur que « lors des élections dernières, personne [du camp républicain] n’osa affronter la lutte ».98 Et de craindre qu’il en sera de même lors de la consultation électorale du 24 avril 1910. L’on se doute bien que les républicains appellent au rassemblement non seulement pour marcher en ordre de bataille au moment des élections, mais aussi pour mieux combattre la garnison de Dieu dans le département… II. Un maillage administratif qui enserre les « cléricaux » A. Une Administration organisée contre l' « Armée de Dieu » « La citadelle réactionnaire n’est pas inexpugnable ». C’est ce que s’efforcent de croire les républicains de gauche qui ont bien conscience cependant d’évoluer dans une région qui ne leur est pas complètement dévouée. Oui, les réactionnaires sont bien implantés dans ce département d’Ille-et-Vilaine, mais les forces de gauche ont néanmoins largement réussi à s’imposer dans quelques bastions.99 Il faut tout de même souligner que ce département fait un peu figure d’exception dans une région qui, il y a encore peu, a été largement recouverte par la réaction chouanne. Nous ne sommes en effet pas dans le Finistère où l’armée républicaine fait grise mine face aux forces conservatrices et cléricales.100 Non, nous sommes en Ille-et-Vilaine, et ici, l’on veut croire que les mentalités pourront être remodelées, à la condition toutefois que les opérations soient parfaitement dirigées. 97 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine d’avril 1909. - Ibid.. 99 - Il n'y a en réalité que dans l'arrondissement de Vitré que les républicains ne réussiront pas à s'implanter. 100 - LE FEBVRE Yves, La Terre des Prêtres, Le Bouquiniste (Morlaix), 203 pp. 98 45 Mais pour organiser au mieux la bataille, il faut compter ses troupes. Et c’est ce que fait, entre autre, le sous-préfet Félicien Lucron lorsqu’il établit dans son rapport que « 16 municipalités seulement sur les 62 dans l’arrondissement sont républicaines » et d’ajouter que Tous les conseillers généraux, sauf un, sont réactionnaires ; 3 conseillers d’arrondissement peuvent être considérés comme de nos amis.101 « Nos amis ». Le sous-préfet ne peut ici être plus clair. Il y a d’un côté les amis, et de l’autre, les ennemis. Favoriser les uns pour contrer les autres, c’est bien à cela qu’il faut concentrer tous les efforts. Il est par ailleurs surprenant de voir figurer dans les divers rapports préfectoraux des termes qui, s’ils ne sont insultants pour les élus conservateurs catholiques, sont en tout cas malveillants. Cela est d’autant plus curieux que ces rapports sont adressés à des autorités dont l’appartenance politique est bien connue : on se rapproche vraisemblablement de l’autopersuasion. Ainsi M. Le Gonidec de Traissan est-il qualifié d’ « ancien zouave pontifical »102 par le souspréfet de Vitré dans l’un de ses rapports.103 Il ne fait donc aucun doute, vu la violence dans les termes empruntés par les administrateurs, que la République est très clairement organisée contre les cléricaux et que l’impératif pour elle est, comme nous l’avons vu plus avant, de structurer son action, l’action républicaine, en trouvant des personnalités dévouées à la bonne cause. Les rapports du sous-préfet de Redon, M. La Couloumère, regorgent de cas semblables au précédent. Celui d’août 1909, le premier qu’il rédige en sa qualité de sous-préfet, ne laisse pas de place au doute quant aux objectifs qu'il s'est fixé. Après avoir donné son impression première sur la situation politique de son arrondissement, il s’emploie à tracer le ligne à suivre pour réduire l’influence du courant clérical. Ainsi se désole-t-il lorsqu’il constate que (…) la situation politique de l’arrondissement n’est guère favorable au parti républicain qui manque d’abord de personnalités de premier plan, et qui est par suite dans un isolement et dans un abandon absolus. Il n’existe ni groupement, ni journal, permettant de prendre contact et de combattre utilement les adversaires de nos institutions. 101 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de mars-avril 1909. - Il faut bien-sûr comprendre que le terme de « zouave pontifical » qualifie ceux qui sont prêts à se battre pour la cause religieuse. Il n’est donc pas forcément connoté péjorativement. 103 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de juillet 1909. 102 46 (…) le fanatisme religieux le plus absolu et le moins discuté les met [les citoyens] sous la domination du premier curé de campagne. Celui-ci pour vivre, tient par-dessus tout à faire les affaires du châtelain et d’un commun accord, ils mettent l’un et l’autre tout en œuvre pour tenir en coupe réglée nos malheureuses populations, leur rappelant toujours leur devoir, et se gardant bien de leur parler de leurs droits et par suite, d’en tolérer le libre exercice.104 Les curés tiennent, aux yeux de l’administration, une grande part de responsabilité dans le fait que la population soit maintenue dans l’ignorance la plus absolue. Selon eux, on tient cette population volontairement à l’écart des bienfaits des progrès voulus et mis en oeuvre par la République et qui délivrent les hommes de leurs chaînes.105 De plus, face au complot aristocratico-ecclésiastique, il faut agir, et il apparaît alors très clairement pour La Couloumère que Le temps seul et une activité sans borne pour la réalisation continue d’un programme nettement tracé permettra aux républicains de regagner le terrain perdu à la suite de l’élection [mot illisible]. Pour obtenir ce résultat, il est nécessaire de faire le siège des citoyens unité par unité et de leur donner ensuite conscience de leur force par l’union et le groupement. Il faut opposer au chef de la réaction un chef républicain de grande valeur et bénéficiant lui aussi d’une grosse situation de fortune.106 La remarque conclusive du sous-préfet s’inscrit parfaitement dans ces logiques manichéenne et de lutte, lui qui écrit que l’ On a l’habitude de faire surtout de la politique sous le manteau du clergé, et par suite de tout accepter sans en faire la preuve et sans même se donner la peine de raisonner les arguments dont on se sert pour nous combattre.107 Le clergé est ici considéré comme le chef de l’opposition. Et le pire, c’est qu’il est un chef qui rassemble autour de lui la majorité des électeurs de l’arrondissement et que cette majorité, non seulement ne lui conteste rien, mais accepte tout ce qu’il dit en bloc. C’est là, aux yeux de 104 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine d’août 1909. - Cet aspect de mission d’éducation des populations apparaît également très clairement dans le rapport de septembre 1906 rédigé par le sous-préfet de Montfort qui écrit ce qui suit : « J’estime que, dans cette région, la création d’un journal défendant les chefs du parti républicain et les fonctionnaires républicains, déterminerait un courant utile aux idées de progrès que nous sommes chargés de faire comprendre aux populations placées sous notre administration. » 106 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine d’août 1909. 107 - Ibid.. 105 47 l’administration, la situation la plus dangereuse et c’est pourquoi il faut à tout prix « casser » cette logique. Et pour cela, il faut s’en prendre à la tête, c’est-à-dire au clergé lui-même. Le rapport d’octobre du sous-préfet de Vitré est plus optimiste dans sa formulation que ne l’était celui de son homologue de Redon. Ce fonctionnaire nous apprend que le moral des troupes républicaines remonte, et il ne manque pas d’ajouter qu’il n’est pas étranger à cela, lui qui écrit dans un délicieux style direct : (…) J’ai réussi, jusqu’ici, à réchauffer leur zèle [des républicains] ; aujourd’hui ils souhaitent la lutte alors que, il y a quelques mois à peine, ils ne paraissaient nullement disposés à l’affronter. (…) Et si les prêtres et hobereaux ne devaient pas faire cause commune pour imposer aux cultivateurs un bulletin de vote au nom de M. Le Gonidec, un échec de ce dernier ne semblerait pas impossible… Mais il ne faut pas s’illusionner : l’alliance sera aussi étroite qu’elle a toujours été entre le « trône et l’autel » et aucun moyen ne sera négligé pour assurer le succès de la candidature royaliste.108 Notons au passage que le couple prêtre-hobereau est encore ici considéré comme responsable de l’échec dans l’implantation des républicains. Il faut enfin ajouter que les cléricaux sont persuadés, à tort ou à raison, que l’administration les enserre en plaçant dans toutes les communes du département des « mouchards » qui sont chargés de renseigner le sous-préfet de toutes leurs actions.109 B. La précieuse contribution des élus locaux Il va sans dire que l’administration seule, même si elle dispose de tout l’appui du gouvernement de la République, ne saurait se passer de la participation active des élus locaux acquis aux causes républicaine et anticléricale. Les succès électoraux des républicains sont toujours, pour l’administration préfectorale, une bonne occasion de se réjouir… et d’égratigner au passage le clergé. Le sous-préfet de Redon ne manque pas cette occurrence quand il fait parvenir au préfet son rapport mensuel et qu’il écrit : 108 109 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine d’octobre 1909. - ADIV 1M143, Annexe, Annales de Notre-Dame du Roc, bulletin paroissial de Montautour, avril 1909. 48 Je suis heureux de vous faire connaître que l’élection municipale complémentaire qui a eu lieu à Maure, le 15 de ce mois, s’est traduite par un succès pour le parti républicain. (…) Le maire réactionnaire de Maure a avoué, sans ambages qu’il était battu et le clergé, en particulier, s’est montré profondément affecté du succès du candidat adverse. C’est la première fois qu’à Maure – commune inféodée à la réaction – un candidat républicain remporte semblable victoire.110 Lorsqu’on lit les rapports des sous-préfets, des préfets ou des ministres, on comprend que tout est mis en œuvre pour que les forces républicaines occupent la plus grande partie du territoire et que les municipalités, que l’on espère de plus en plus nombreuses dans le camp des républicains, seront autant de relais qui pourront assurer, à terme, la victoire de la République sur le conservatisme clérical. Aussi ne néglige-t-on pas de serrer le maillage en s’appuyant sur les élus locaux (municipaux et départementaux). Il faut par ailleurs souligner que le principal foyer de résistance à la République et au régime en place est bel et bien la commune, puisqu’elles sont, avec les Conseils généraux, les derniers bastions que les conservateurs détiennent encore en majorité – du moins en Ille-etVilaine. En effet, depuis la loi des 28-29 mars 1882, le préfet ne peut plus nommer les maires, et ceuxci tiennent leur légitimité du conseil municipal directement.111 Autrement dit, le préfet ne pourra procéder à une révocation que dans le cas où le maire faillirait gravement à ses devoirs les plus élémentaires en n’obéissant pas aux lois et règlements. Il ne semble cependant pas souhaitable de révoquer tous les maires qui ne sont pas favorables aux institutions républicaines, cette faculté de révocation offerte au préfet ne devant s’exercer qu’avec parcimonie car la République ne gagnera que si elle avance avec prudence… Il demeure en revanche certain que le concours apporté par les maires et adjoints à la cause républicaine est apprécié comme il se doit par la préfecture. Ce qui est parfois surprenant, c’est le caractère officiel de la collaboration, puisque certaines municipalités délibèrent de manière très solennelle pour dénoncer auprès des autorités supérieures les attitudes du clergé. Voici par exemple une délibération du conseil municipal de Visseiche : 110 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine d’août 1909. - Loi du 28-29 mars 1882 (annexe 1) abroge le dernier paragraphe de l’art.2 de la loi du 12 août 1876 relative à la nomination des maires et adjoints. A partir de cette date, les maires et adjoints sont élus par le conseil municipal. 111 49 Vœu relatif aux devoirs du Clergé ! Le Conseil, après en avoir délibéré est d’avis que le Gouvernement empêche les prêtres de s’occuper de politique en chaire, attendu que aucune discussion contradictoire ne peut s’établir et qu’il empêche surtout toute insinuation diffamatoire telle que celle résultant du prêche du sieur Ronprau, le dimanche vingt-quatre octobre dernier (…).112 Les Archives nous livrent encore quelques pages de délibérations de conseils municipaux qui tiennent le préfet informé de la soustraction de certains desservants à leur obligation de faire, et notamment de l’obligation qui leur est faite de chanter et de faire chanter le Domine salvam fac republicam. C’est donc fort de son autorité que M. Lévêque, maire de Renac, invite son Conseil municipal à dénoncer auprès du préfet cette situation, par voie de délibération encore une fois.113 Certains élus municipaux font parfois preuve d’un zèle souvent excessif –qui s’apparente presque à de la délation– et n’hésitent pas à saisir l’autorité judiciaire dans l’espoir de voir poursuivre certains membres du clergé qui se seraient montrés peu empressés de faire la promotion des lois de la République. Ainsi M. Roul de la Hellière, conseiller municipal de Janzé, prend-il l’initiative de porter plainte auprès du procureur de la République près le tribunal civil de Rennes contre le curé de sa ville. On peut se rendre compte également de tout le soin qu’a pu apporter cet élu de second rang pour donner au magistrat toute la dimension dramatique de cet épisode.114 Il ne faut pas non plus négliger l’importance des pouvoirs de police dont les maires sont les garants. Ces pouvoirs propres permettent aux autorités municipales de trancher elles-mêmes des affaires sans qu’il soit besoin d’une intervention extérieure et supérieure. Certaines municipalités ont usé de cette faculté pour prendre des arrêtés contre des ecclésiastiques. Ce fut notamment le cas du maire de Saint-Hilaire-des-Landes qui, par arrêté du 20 octobre1889, interdit « au bedeau de faire la quête chez les habitants de la Commune ».115 112 - ADIV 1V45. Délibération du Conseil municipal de Visseiche du 4 novembre 1880. - ADIV 1M147. Délibération du Conseil municipal de Renac du 15 août 1882. Annexe 6. 114 - ADIV 1M147. Lettre de M. Roul de la Hellière, conseiller municipal de Janzé, au Procureur de la République en date du 22 octobre 1882. Annexe 11. 115 - ADIV 1V11. Arrêté municipal du maire de Saint-Hilaire-des-Landes du 20 octobre 1889. De tels arrêtés ont été également pris par les maires de Rennes le 3 juin 1889, de Rétiers le 26 juin 1890 et de Dol le 28 mai 1891. 113 50 De tels arrêtés ont été également pris par les maires de Rennes le 3 juin 1889, de Rétiers le 26 juin 1890 et de Dol le 28 mai 1891. Il faut par ailleurs ajouter que, sans la coordination préfectorale, la collaboration des uns et des autres pour promouvoir la République anticléricale serait bien vaine. Le préfet apparaît toujours en effet comme la pièce maîtresse sur l’échiquier politique dans le département. C’est lui la caisse de résonance de toutes les voix qui s’élèvent contre les « cléricaux ». 51 SECTION DEUXIÈME : L’AUTORITARISME DE L’ADMINISTRATION RÉPUBLICAINE I. La troublante immixtion du préfet dans la politique partisane A. La bataille organisée autour de la presse Avant l’accession au pouvoir des républicains, la presse était scrupuleusement surveillée. Or, les dispositions de la célèbre loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse vont permettre d’assouplir les règles – rigides – qui gouvernaient cette activité.116 Cette loi, on l’imagine bien, va permettre d’inciter les forces républicaines à s’exprimer de plus en plus mais va surtout permettre de répandre leurs idées jusque dans les foyers les plus reculés des campagnes françaises. On ne se cache cependant pas, du côté de l'administration, « que l’action de la presse est relativement peu considérable [dans la circonscription de Vitré] car les populations, peu instruites et indifférentes au progrès social, sont entièrement dominés (sic) par le clergé et la noblesse. »117 Les services de la préfecture d’Ille-et-Vilaine vont toujours porter une attention toute particulière à la question de la presse surtout dans la mesure où les conservateurs cléricaux diffusent plusieurs titres dans le département. L’on s’étonne par ailleurs que près de trente ans après le vote de la loi sur la presse, les rapports des sous-préfets fassent encore état des difficultés rencontrées par les républicains qui se plaignent du peu de titres en comparaison des conservateurs qui en publient plusieurs. Voici ce qu’écrit à ce sujet le sous-préfet de Vitré en 1909 : La presse républicaine est représentée par 2 journaux hebdomadaires, Le Patriote de Bretagne (à 0 F 05) et La chronique de Vitré (à 0 f 10). La presse réactionnaire comprend : Le journal de Vitré, le Vitré-journal, Le Courrier de Vitré, feuilles hebdomadaires à 0 F 05. 116 - DALLOZ, Jurisprudence générale, Année 1881, Quatrième partie. Pp. 65 à 88, loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, « Article 5 : Tout journal ou écrit périodique peut être publié sans autorisation préalable et sans dépôt de cautionnement, parés de la déclaration prescrite par l’article 7 ». 117 - ADIV 1M142, Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de septembre 1906. 52 L’Ouest-Eclair et le Nouvelliste de Bretagne, quotidiens publiés à Rennes, sont très répandus dans l’arrondissement. Il est regrettable que nous ne possédions pas un journal quotidien, surtout dans la période préparatoire aux élections : une telle publication coûterait fort cher, car, pour le faire lire dans les campagnes, il faudrait, pendant un certain temps, le distribuer gratuitement aux cultivateurs : nos adversaires ne négligent jamais cet important moyen de propagande.118 Il est certain, et on le comprend en lisant ce rapport, que la presse n’a pas, à l’époque, le souci de la neutralité.119 Les journaux ne sont que des organes destinés à propager les doctrines des deux camps. C’est pourquoi il est non seulement nécessaire mais en définitive indispensable, de gagner la bataille de la presse. Aussi les républicains accusent-ils un retard sur leurs adversaires conservateurs, retard qu’ils comptent bien à terme rattraper. Et ce n’est pas la bonne volonté qui fait défaut, à en croire le sous-préfet de Redon qui pense qu’ « avec un peu de méthode, d’énergie et de direction, la presse républicaine verrait augmenter rapidement son tirage ».120 Encore une fois, on retrouve le rôle moteur de l’administration préfectorale qui donne l’impulsion et invite les républicains, et plus particulièrement les notables, à créer des organes de presse dans l’ensemble du département.121 Les organes de presse placés sous le contrôle de l’administration lui permettent de répliquer aux « journaux (…) très militants [qui] combattent activement les lois et les institutions républicaines ».122 L’on se félicite même du côté républicain de tenir des journaux « bien rédigés et [qui] contrebalancent souvent avec succès l’influence des feuilles cléricales ».123 En 1909 pourtant, un vent de panique soufflera sur le camp républicain à la suite d’un congrès tenu par les conservateurs qui souhaitent, avant les élections législatives de 1910, améliorer leurs organes de presse. Le préfet informe à ce sujet le ministère que 118 - ADIV 1M143, Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de mars-avril 1909. - Annexe 4. 120 - ADIV 1M142, Rapport du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine de septembre 1906. 121 - LE YONCOURT Tiphaine, Le préfet et ses notables en Ille-et-Vilaine au XIXe siècle, thèse droit, Rennes I, 2000, pp.290 à 292. op.cit. 122 - ADIV 1M142. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de septembre 1906. Op. cit. 123 - Ibid.. op. cit. 119 53 Le 30 septembre dernier s’est tenu à Rennes le congrès de « la Bonne Presse », sous la présidence de M. l’Archevêque de Rennes. A ce congrès assistaient les évêques de Blois, Vannes, SaintBrieuc, Quimper, les sénateurs Pinault et Jenouvier, le député de l’Estourbeillon, une foule de prêtres, vicaires-généraux, etc. Le but de cette assemblée était de chercher le moyen de rendre plus active et plus profitable la propagande des journaux réactionnaires tels que Le Nouvelliste, La Croix et le Journal de Rennes. Un violent effort va être tenté au moment de la période électorale et le parti clérical est décidé à ne reculer devant aucun sacrifice pécuniaire pour assurer le succès de ses candidats et maintenir en place les députés qui représentaient ses opinions.124 L’on s’aperçoit, à la lecture de ce rapport, que la bataille organisée autour de la presse mobilise l’effort des plus hauts représentants des deux partis adverses. B. La mise en place de comités et associations Avant même de considérer la manière dont les associations et les comités se sont mis en place, reportons-nous à la définition juridique donnée à la fin du XIXème siècle.125 Les deux termes étant dans ce sens synonymes, nous ne nous attacherons qu’à définir l’association. Le conseiller d’Etat Emile Morlot définit ainsi l’association comme étant “le fait de plusieurs personnes se réunissant pour se concerter et pour agir dans un but commun. Son but est de donner aux hommes ainsi réunis des moyens d’action qui leur manqueraient s’ils procédaient isolément et de leur permettre de développer avec plus de force, avec plus de liberté, avec plus de profit, leurs facultés morales ou leurs moyens d’existence”. Jusqu’en 1901, les associations étaient soumises à autorisation du gouvernement, et cela selon les dispositions de l’article 291 du code pénal ainsi rédigé: “Nulle association de plus de vingt personnes dont le but sera de se réunir tous les jours ou à certains jours marqués, pour s’occuper d’objets religieux, littéraires, politiques ou autres, ne pourra se former qu’avec l’agrément du gouvernement et sous les conditions qu’il plaira à l’autorité publique d’imposer à la société.” Etaient ainsi tolérées a contrario les associations ne comportant pas plus de vingt membres.126 124 - ADIV 1M143, Rapport du préfet au ministre de septembre 1909. - BEQUET Léon, Répertoire du droit administratif, Paris, Ed. Paul Dupont, 1884, Tome II, pp. 485 à 490. Annexe 5. 126 - Pour détourner la loi, plusieurs associations se divisèrent en section et purent ainsi se constituer et vivre sans autorisation du gouvernement. 125 54 La procédure s’assouplît, nous le savons, avec la loi du 1er juillet 1901, et les associations purent ainsi se constituer sans autorisation préalable de l’autorité gouvernementale.127 Aussi, l’action des républicains, comme celle des conservateurs, va-t-elle s’inscrire considérablement par la création d’associations et de comités. Et, en réalité, l’essentiel de l’activité politique va s’organiser autour de ces pôles associatifs qui vont se placer sur les terrains culturel, social, sportif mais aussi bien sûr politique avec la création des partis. Républicains et conservateurs vont donc prendre très tôt conscience de la nécessité de créer ces comités afin de couvrir l’ensemble du département et y exercer la plus grande influence possible. De fait, l’administration préfectorale va vivement s’intéresser à la création de ces structures, surtout de celles qui appartiennent à la mouvance républicaine. Dans son rapport de septembre 1906 au ministère, le préfet s’implique directement pour encourager la création des comités républicains. Il pense en effet que [Les comices agricoles] présentent un intérêt politique d’autant plus sérieux que si, au point de vue de nos intérêts particuliers, nous ne désirons pas le scrutin de liste, que le parti républicain ne nous semble pas encore assez solide pour affronter, il nous parait nécessaire, en toute éventualité, de nous y préparer et de développer dans le département le programme républicain avec le concours des hommes qui porteraient alors notre drapeau.128 Au même moment, le sous-préfet de Redon était persuadé que Par l’organisation de comités communaux fédérés par canton et dirrigés (sic) par un comité central d’arrondissement, [il serait possible] de rendre courage à toutes les bonnes volontés éparses (…).129 Pourtant, en 1909, le sous-préfet de Redon se désole de l’inexistence de groupements qui « [permettraient] de combattre utilement les adversaires [des] institutions [républicaines] ».130 127 - Loi du 1er juillet 1901, J.O. du 2 juillet 1901. Annexe 1. - ADIV 1M142. Rapport du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’intérieur de septembre 1906. 129 - ADIV 1M142, compte-rendu du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine de septembre 1906. 130 - ADIV 1M143, compte-rendu du sous-préfet de Redon d’août 1909, op. cit. 128 55 Il semble à la lecture de ces rapports – espacés de trois années – que l’arrondissement de Redon connaisse quelques difficultés pour mettre sur pied les comités républicains. Ceci est d’autant plus surprenant que la loi de 1901 sur les associations met en place, comme nous l’avons vu, une procédure simplifiée qui n’impose qu’une déclaration à la préfecture.131 Les élections législatives à venir ne sont certainement pas pour rien dans l’inquiétude palpable de l’administration en cette année 1909. Mais ce qui inquiète certainement le plus les forces républicaines, ce sont les initiatives de ses adversaires. Aussi, le ministre de l’intérieur ne manque-t-il pas de pousser les autorités départementales pour qu'elles procèdent à La création ou l’extension d’associations et d’œuvres multiples répondant à un louable besoin d’activité et de progrès (…) Il ne manque pas d’ajouter en revanche que ces créations ou ces extensions sont Souvent poursuivies (…) par les partis d’opposition qui conçoivent l’espoir de regagner ainsi la faveur de l’opinion en servant, avec les lois et au besoin avec l’aide pécuniaire de la République, les intérêts matériels et moraux de la population.132 Car bien sûr, si la loi reconnaît aux républicains le droit de créer des associations, elle ne peut, suivant le principe de l’égalité devant les lois et règlements – inscrit dans la DDHC – le refuser à leurs adversaires. C’est pourtant là un paradoxe que la République doit assumer car en effet, elle offre à ses opposants les armes qui leur permettront de la combattre en restant au demeurant dans le champ de la loi. Il ne leur reste donc plus comme solution, comme le souligne le ministre, qu’à multiplier les structures favorables au gouvernement et à la République. Seulement on se doute que ces initiatives se heurteront à la résistance plus ou moins active du clergé local, et le chef de l’arrondissement de Vitré remarque au sujet du travail d’organisation des comités républicains « qu’il est fort délicat à cause des nombreux intérêts à ménager ». 131 - loi du 1er juillet 1901. Il faut relever que cette loi n’impose aucune autorisation préalable, exception faite bien sûr des congrégations. Annexe 1. 132 - ADIV 1M142. Lettre du ministre de l’intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine du 15 avril 1909. 56 Il ajoute que « les fermiers, les commerçants, pour éviter de nombreux ennuis, tiennent à ne pas être mis en avant, et il leur est fort difficile d’échapper à la surveillance incessante des prêtres ».133 Mais l’action en faveur du fleurissement des associations semble porter ses fruits, si l’on en croit le sous-préfet de Vitré qui, dans son rapport de juin, informe son supérieur que les « sociétés de préparation militaire et [les] mutuelles-bétail semblent déjà avoir réussi à faire perdre [aux] adversaires [des institutions républicaines] une partie de leur assurance d’autrefois ».134 Comme pour la presse, l’administration préfectorale encourage autant qu’elle participe, à la création de structures associatives qui permettent non seulement de compter les troupes républicaines, mais surtout d’organiser les batailles électorales contre les conservateurs. II. Les rapports particuliers entre les autorités civiles républicaines et les autorités religieuses du département A. La nécessaire négociation Même si les républicains ont toujours considéré les cléricaux comme leurs principaux adversaires (l’inverse étant également vrai), il n’en demeure pas moins que les autorités archiépiscopale et préfectorale devaient absolument maintenir des rapports étroits, ne serait-ce que pour honorer les dispositions du Concordat. La tendance plus ou moins anticléricale des gouvernements successifs, mais aussi la personnalité des préfets, ont eu une réelle incidence – plus ou moins fâcheuse ou plus ou moins heureuse – sur les rapports que les représentants de l’Etat entretenaient avec les autorités religieuses du département. Les deux autorités étaient, dans certains cas, obligées de collaborer. C’était notamment le cas en matière de déplacements ou de nominations de curés. Le Concordat prévoyait en effet que les nominations des curés devaient se faire de manière concertée entre le ministre des cultes, par la voie du Préfet, et l’Archevêque. D’une manière générale, les nominations n’ont pas donné lieu à contestation sauf dans quelques rares cas qui, en général, ont trouvé une issue heureuse. 133 134 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine du mois de mai 1909. - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de juin 1909. 57 Aussi, nous l’avons déjà vu, l’Archevêque propose la nomination du curé et le ministre des cultes, après enquête menée par les préfet et sous-préfets, accepte ou refuse ladite nomination. Il n’est bien sûr pas question, pour l’autorité civile, d’aller systématiquement à l’encontre de la volonté de l’Archevêque, tout simplement parce que l’on a toujours à l’esprit que dans cette région, se mettre à dos le clergé, c’est s’aliéner l’ensemble de la population ! Mais il ne faut pas en conclure que les autorités de l’Etat procèdent aux nominations de manière systématique après que l’Archevêque eût fait ses propositions. Non. Et nous en voulons pour preuve ce compte-rendu d’enquête réalisée par le sous-préfet de Montfort à la demande de son supérieur, et dans lequel il écrit : Vous avez bien voulu me demander des renseignements sur M. l’abbé Martin curé de Montfort, à qui M. l’Archevêque aurait l’intention, le cas échéant, de confier un poste plus important. J’ai l’honneur de vous informer qu’au point de vue de la moralité et de la conduite privée cet ecclésiastique est irréprochable. Quant à son attitude politique elle est en apparence correcte, mais il est, en réalité, un adversaire résolu, très militant, des institutions républicaines et de l’école laïque. Il évite avec soin, il est vrai, de manifester publiquement ses sentiments à cet égard; mais il se livre en secret (au confessionnal, dans des conversations intimes et même par la voie de la presse) à une propagande antirépublicaine des plus actives. (…). Quoiqu’il en soit, M. l’abbé Martin, réactionnaire extrêmement militant, je le répète, ne mérite aucunement à mon avis la confiance du gouvernement de la République.135 Il se trouve par ailleurs que l’abbé Martin est le frère du premier adjoint au maire républicain de Fougères et qu’à ce titre, il recevra le soutien des autorités pour sa nomination qui sera, de ce fait, prononcée par le ministre des cultes. La question des traitements des ecclésiastiques aboutit également à une action concertée entre les deux autorités, civile et religieuse, la première étant encore une fois la seule à décider in fine. L’autorité préfectorale a, en effet, le pouvoir de supprimer les traitements des desservants qui manqueraient à leurs obligations. Ceci s’explique par le fait que, sous le Concordat, les ecclésiastiques sont des agents publics rétribués par l’Etat et dépendant donc de lui, du moins partiellement. L’Archevêque est, bien sûr, tenu informé des mesures prises à l’encontre de ses 135 - ADIV 1V45. Lettre du sous-préfet de Montfort au préfet d’Ille-et-Vilaine du 24 juin 1901. 58 subordonnés. Et c’est à la suite de ces notifications qu’il procède à une enquête qui doit déterminer si les fautes imputées aux ecclésiastiques accusés sont, ou non, fondées. A aucun moment, les conclusions de l’archevêque ne sont allées dans le même sens que celles des autorités civiles. Au contraire. Même si l’autorité archiépiscopale reconnaît que certains prêtres et desservants du diocèse ont méconnu parfois leurs obligations, elle amoindrit à chaque fois les faits et protège ainsi les religieux incriminés. Il en fut ainsi dans l’affaire du desservant de Le Blernais, dont les absences répétées furent dénoncées par le maire de la ville. Il fut en effet adressé au préfet, le 1er juin 1895, un formulaire type, mentionnant bien que l’abbé Emmanuel Jollivet résidait dans la paroisse. Mais une mention manuscrite du maire poursuit que le desservant « réside présentement [dans la paroisse], mais non continuellement. » Le magistrat ajoute que « le 4 avril, il n’était pas à son poste. » La demande de suspension du traitement fut donc formulée. Le Cardinal Labouré mena aussitôt son enquête et conclut, de manière très courtoise au demeurant, à l’exagération. Le traitement du desservant ne fut donc pas suspendu grâce à l’intervention du prélat.136 Mais avec la promotion de Combes à la tête du gouvernement, les autorités de l’Etat dans les départements verront leur marge de manœuvre et leur arbitraire réduits. Le nouveau président du conseil souhaite en effet supprimer les traitements facultatifs alloués par les municipalités aux vicaires. Les sous-préfets se trouvent ainsi chargés, dès 1902, de faire remonter les renseignements obtenus sur le terrain, et doivent signaler – ou plus exactement anticiper – les réactions de la population si une telle mesure venait à être appliquée. Aussi il n’est pas surprenant que le sous-préfet de Saint-Malo invite, dans le cas d’espèce, à la prudence. Il répond en effet au préfet ce qui suit : Par dépêche en date du 30 octobre dernier, vous avez bien voulu me demander mon avis au sujet de la suppression éventuelle des crédits destinés à servir de traitements ou de suppléments de traitements aux vicaires de vingt-cinq communes de mon arrondissement. J’ai l’honneur de vous faire connaître que tous mes correspondants que j’ai consultés à ce sujet m’ont déclaré que cette mesure produirait le plus fâcheux effet au point de vue politique. (…). 136 - ADIV 1V45. Certificat individuel de résidence délivré par le maire de Le Blernais au préfet d’Ille-et-Vilaine le 1er juin 1895. 59 J’estime en conséquence qu’il y a lieu, du moins pour le moment, de maintenir aux budgets les allocations votées par les conseils municipaux en faveur de ces vicaires.137 Le sous-préfet de Montfort avait abouti aux mêmes conclusions dans une lettre qu’il adressa au préfet le 19 novembre 1902. Nous noterons cependant que leur homologue redonnais n’appréhende pas la question de la suppression des traitements de la même manière. Aussi établit-il la liste des communes dans lesquelles la mesure de suppression pourrait être prise.138 Il ne fait pas de doute que, même au moment où le vent anticlérical soufflait le plus fort, il n’était pas question ni pour l’autorité archiépiscopale, ni pour l’autorité préfectorale, de rompre tous contacts. Ces contacts ont même été maintenus à la suite de la rupture des relations diplomatiques survenue entre la France et le Saint Siège le 30 juillet 1904.139 En effet, même s’il était difficile pour les deux Etats, au moment où la France, par la voie d’Emile Combes140, remettait unilatéralement en cause le Concordat, de maintenir des rapports cordiaux, il ne pouvait être question, dans le département, de rompre toute négociation. L’intransigeant Combes signait, par cette rupture, son passage à Matignon. Son successeur Rouvier poursuivra le travail en mettant fin unilatéralement au Concordat par le vote de la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat141. Cette loi ne mettra cependant pas fin aux relations plus ou moins orageuses entre les deux autorités préfectorale et diocésaine. B. Une conciliation adaptée : les cas de Mgr Labouré et de Mgr Dubourg (1906) Lorsque la mort surprend le Cardinal Labouré en avril 1906, la question de sa succession ne manque pas de tourmenter l’administration. Et l’inquiétude est d’autant plus grande que le prélat breton qui s’apprête à assurer la succession sera le premier depuis le vote de la loi de 137 - ADIV 1V1507. Lettre du sous-préfet de Saint-Malo au préfet d’Ille-et-Vilaine du 27 décembre 1902. Annexe 7. 138 - ADIV 1V1507. Lettre du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine du 19 novembre 1902. Annexe. 139 - La rupture des relations diplomatiques avec le Vatican survint à la suite de la visite que fit le Président de la République Emile Loubet au roi d’Italie, Humbert Ier, en vue de la conclusion avec ce pays d’un traité d’alliance. Or depuis Pie IX, les papes considérait comme une offense au saint-siège toute visite des chefs d’Etat des pays catholiques aux spoliateurs des Etats pontificaux qu’étaient, à leurs yeux, les rois d’Italie. Les relations ne seront rétablies entre les deux Etats qu’en 1920 par le « Bloc national », et la France envoya, le 18 mai 1921, un ambassadeur (M. Jonnard) auprès du Vatican. 140 - MERLE Gabriel, Emile Combes, Fayard, 1995, 664 pp. 141 - Annexe 1. 60 Séparation à être nommé à la seule discrétion du pape. En effet, le gouvernement n’a plus à intervenir en concurrence avec le souverain pontife dans les nominations des évêques comme il pouvait le faire sous le Concordat. La lecture du rapport du préfet Rault au ministère présente un très grand intérêt car il permet d’évaluer l’appréciation que portait l’administration sur Mgr Labouré mais également celle qu’elle portait sur Mgr Dubourg au moment même de sa nomination par le Vatican, en septembre 1906. L’intérêt est encore plus grand lorsqu’on sait que la succession au siège archiépiscopal s’est faite durant l’année de mise en œuvre de la loi du 9 décembre 1905. Le compte-rendu du préfet est surprenant dans ce sens que, à un des moments où le courant anticlérical était certainement l’un des plus forts, il n’hésite pas à dresser un portrait plutôt flatteur du Cardinal décédé. Peut-être l’ecclésiastique avait-il gagné l’estime des républicains, et plus particulièrement de l’administration, parce que justement, il n’avait pas celle de ceux qui auraient naturellement dû être ses appuis? A ce sujet, le préfet écrit que « les partis d’opposition se plaignaient amèrement du Cardinal Labouré (…) ». Il explique cette opposition des cléricaux à l’endroit de leur chef par le fait qu’ On lui reprochait d’entretenir avec le préfet des relations correctes, de n’avoir point favorisé, et d’avoir même laissé entendre qu’il désapprouvait les manifestations violentes organisées autour des inventaires, d’être un partisan résolu des associations cultuelles, dont il devait préconiser la formation à la réunion des évêques, en même temps que l’acceptation de la loi de Séparation.142 Ces affirmations méritent toutefois d’être nuancées, même s’il est vrai que « le Cardinal vert »143 était favorable pour collaborer avec le gouvernement pour mettre en application la loi de séparation. Une opposition systématique et catégorique aurait eu, selon lui, les plus fâcheux effets. Le préfet ajoute enfin, et cela démontre que les relations qu’entretenaient les deux autorités étaient relativement bonnes, que 142 - ADIV 1M142. Rapport du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’intérieur de septembre 1906. - Nom attribué aux Cardinaux libéraux membres de l’académie française qui préconisaient un rapprochement avec la République. Mgr Labouré fut un de ces "Cardinaux verts" puisqu'il siégea quelques années sous la Coupole du Quai Conti. 143 61 Toutes [ces] choses [sont] vraies d’ailleurs, et lui avaient aliéné une grande majorité de son clergé et de ses fidèles, à tel point que les outrages dont il a été abreuvé ont abrégé ses jours.144 Louis Méjan, le directeur des cultes au ministère de l’intérieur au moment de l’élaboration puis du vote de la loi sur la séparation, revenait également dans l’une de ses nombreuses notes sur cette réalité.145 La question se pose tout de même de savoir si le fait pour le Cardinal Labouré d’avoir été l’objet de lourdes contestations au sein de son propre clergé n’a pas été l’une des causes de l’appréciation plutôt positive qu’avait de lui l’administration ? A l’inverse, son successeur au diocèse de Rennes n’a pas eu droit aux mêmes égards de la part de l’administration préfectorale. On le comprend lorsqu’on lit la description faite par le préfet qui perçoit Mgr Dubourg comme « le candidat de la droite et de la grande majorité du clergé (…) ».146 La question que nous posions alors trouve une réponse, du moins partielle, dans cette description : puisque le nouvel Archevêque trouve un appui, semble-t-il considérable, dans le rang des cléricaux, alors il paraît impossible pour l’autorité civile anticléricale d’entretenir des rapports étroits avec lui. C’est en tout cas ce que semble vouloir dire le préfet à son supérieur. Mais il faut ajouter que l’appui qu’a reçu le nouveau prélat de la droite cléricale ne va pas sans trouver de justification ! En effet, le nouvel Archevêque, nommé par Pie X, tient davantage de la ligne dure, et cela s’est ressenti au moment où l’Eglise de France changeait de statut. Cette nouvelle orientation prise par le nouveau détenteur du pouvoir religieux dans le département a par ailleurs trouvé un écho plus que favorable au sein du clergé tant diocésain que congréganiste. Le rapport du préfet Rault remarquait à ce sujet qu’ Un changement d’attitude s’est immédiatement produit, même parmi les familiers du Cardinal Labouré, et tout le clergé s’est mis à préconiser la résistance intransigeante à la loi. L’attitude changeante au sein du clergé est également ressentie au sein de l’administration. On sent ainsi, dès l’installation de Mgr Dubourg que les relations vont désormais changer de nature. Le préfet ajoutant que 144 - ADIV 1M142. Rapport du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’intérieur de septembre 1906. - MEJAN L.V., La séparation des Eglises et de l’Etat, l’œuvre de Louis MEJAN, Paris, P.U.F., 1959, p. 35. 146 - ADIV 1M142. Rapport du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’intérieur de septembre 1906. Annexe 3. 145 62 Le nouvel Archevêque, après m’avoir envoyé, dès le lendemain de sa désignation, une lettre de déférence, à laquelle j’ai fait une réponse de pure courtoisie, a, le jour même de son installation, commencé ses visites par la Préfecture : Nous avons échangé des compliments d’une politesse banale, sans qu’il laissât rien percer de ses intentions.147 Le temps de l’entente cordiale semble bel et bien révolu entre les hauts responsables administratifs et religieux dans le département. Les uns et les autres semblent désormais résolus à n’entretenir que des rapports purement formels. Ce n’est pas pour autant que l’administration braquera tous ses canons en direction de l’archevêché. En témoigne cet épisode survenu à propos de la mise sous séquestre des biens immobiliers ecclésiastiques et plus particulièrement de l’archevêché lui-même. Cette mesure fut prise en l’absence de constitution d’associations cultuelles qui auraient dû recevoir, selon la loi, l’ensemble de ces biens.148 A cette occasion, le préfet voulait éviter de prendre à l’encontre de l’Archevêque des mesures drastiques qui n’auraient eu pour effet que d’envenimer les relations encore davantage. Une médiation est alors trouvée entre le secrétaire général de l’archevêché et le préfet, celui-ci informant le ministre de l’intérieur qu’il résulte de l’accord trouvé avec le bras droit de Mgr Dubourg Que si l’on ne [remet] pas les clés au séquestre, elles seront placées bien en évidence de telle sorte qu’il n’ait point à forcer l’armoire.149 C’est bien la prudence et le souci de l’ordre public qui animent l’administrateur départemental lui qui ajoute que l’ On ne paraît pas disposé à se prêter, lors de la prise de possession par le séquestre à des protestations ou des manifestations violentes.150 L’on remarque néanmoins que si l’on veut ici éviter tout incident par cette mise en scène, on veut aussi, de part et d’autre, éviter tout contact. 147 - Ibid.. - Article 8 du décret du 16 mars 1906. 149 - ADIV 1M142. Rapport du préfet au ministre de l’intérieur de décembre 1906. 150 - Ibid 148 63 Eviter tout contact et éviter tout incident : c’est bien cela que feront les locataires successifs de la préfecture vis-à-vis de l’archevêque, digne représentant du traditionaliste Pie X dans le diocèse… Trop traditionaliste au goût des radicaux. 64 - Conclusion de la première partie - L’avènement de la République des opportunistes à la fin des années 1870 a fait souffler sur la France la première brise anticléricale qui, très vite, s’est transformée en un vent violent devenu presque incontrôlable. L’Ille-et-Vilaine s’est, à ce moment là, trouvée dans une situation bien singulière, puisqu’elle était influencée par la doctrine catholique bien ancrée à l’Ouest, mais également par les idées modernistes propagées par la République et qui trouvaient un écho considérable plus à l’Est. Il fallait donc, dans ce département, composer avec la tradition et avec le modernisme. C’est pourquoi les hommes politiques républicains du département ont souvent cherché à modérer leurs prétentions et leurs discours sachant parfaitement que les esprits, s’ils pouvaient être bousculés en certains points du territoire national, n’étaient pas aussi réceptifs dans leurs circonscriptions. Si les élus se sont parfois montrés hésitants à attaquer la religion, nous avons vu que c’était beaucoup moins vrai pour l’administration qui obéissait à la ligne tracée par Paris et qui visait, surtout à partir des années 1890, à déstabiliser l’institution ecclésiale. Les votes de la loi du 1er juillet 1901 sur les congrégations mais surtout du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat ont, semble-t-il, consacré la nette victoire des anticléricaux sur les « cléricaux ». Les rapports entre les autorités religieuses et civiles changent, également à partir de ce moment là, de nature. Chacun a parfaitement conscience de l’influence exercée par l’autre et, en conséquence, la circonspection reste le principal mot d’ordre pour les deux camps. Il se trouve pourtant que les deux camps ont dû, à certains moments s’affronter, et parfois même violemment. Ces affrontements avaient le plus souvent lieu à l’occasion des échéances électorales, mais aussi chaque fois que la question de l’enseignement refaisait surface. 65 -SECONDE PARTIE - LE CONFLIT OUVERT ENTRE DEUX CAMPS QUE TOUT OPPOSE « La lutte est possible entre les Droits de l’Homme et ce que l’on appelle les droits de Dieu. L’alliance ne l’est pas. En tous cas, la lutte est engagée ; il faut qu’elle se poursuive. L’avenir dira le vainqueur. »151 -CHAPITRE PREMIER- LA VOLONTÉ DES DEUX CAMPS D’ÉLARGIR LEUR INFLUENCE Lorsque les républicains remportent les élections législatives en 1877, c’est à ce moment là la réelle consécration du bipartisme en France. Jamais le pays n’avait en effet connu d’alternance politique aussi nette, du moins par le biais du suffrage universel. Et à partir de cette date, républicains et monarchistes comprennent véritablement que le pouvoir peut ou bien leur être acquis, ou bien leur être confisqué par le corps électoral. Séduire l’ensemble des électeurs va désormais être le souci de l’un et l’autre camp. Aussi cette opération de séduction passera inévitablement par une parfaite structuration de leur action. Toutes les forces seront désormais utilisées pour parvenir à s’imposer au mieux face à l’opposition. Et, justement, connaître son rival sera considéré comme l’une des clés des succès futurs. Chaque camp va alors se surveiller de près comme deux armées qui, avant la bataille, observent les mouvements de leur ennemi. 151 - Réponse de Clemenceau lancée de la tribune la Chambre des députés le 18 février 1892 au Pape Léon XIII qui invitait au rapprochement entre l’Eglise et la République. In MELOR Alec, Histoire de l’anticléricalisme français, Tours, Ed. Mame, 1966, 496 pp., p. 325. 66 Il suffit pour le comprendre de se reporter à la circulaire édictée par le ministre Lepère, le 3 avril 1879, et qui enjoint aux préfets de porter à la connaissance du gouvernement les discours politiques tenus en chaire, mais également de surveiller les prédications dans les diocèses. Ils doivent pour cela « se faire aider des maires et des conseillers municipaux ».152 Outre ces surveillances – réciproques –, il y a la réelle influence exercée par les relais de l’un et l’autre parti sur la population. On se retrouve donc en présence d’un côté du clergé, qui agira plus ou moins officiellement mais toujours avec efficacité pour le compte des conservateurs, et de l’autre, avec l’administration qui elle, travaille sans relâche pour imposer les idées républicaines dans la région. 152 - ADIV 3V1-182. 67 SECTION PREMIÈRE : LA REMISE EN CAUSE PAR LES RÉPUBLICAINS DE L’AUTORITÉ ECCLÉSIASTIQUE I. Une population rurale placée sous contrôle ecclésiastique Nous avons jusqu’ici largement souligné l’influence considérable exercée par le clergé sur les habitants d’Ille-et-Vilaine. Mais depuis que les républicains sont au pouvoir en France, les mesures prises par l’autorité diocésaine pour préserver sa suprématie dans le département se sont largement renforcées. Il n’est pas question pour elle de laisser échapper cette emprise sur les populations, surtout dans une région où il est presque un devoir naturel pour l’Eglise d’organiser, ou plus précisément, d’orienter le pouvoir temporel. On s’en aperçoit lorsque le sous-préfet de Vitré en place en octobre 1906 rend compte de la lecture faite de la loi du 9 décembre 1905. Il informe en effet son supérieur que Jusqu’à présent, il n’a été fondé dans l’arrondissement, aucune association cultuelle, dont la constitution est prévue par la loi du 9 décembre 1905, sur la Séparation de l’Eglise et de l’Etat. Il est à craindre qu’il n’en soit pas créé dans l’arrondissement étant donné l’esprit profondément clérical de la majorité de la population, l’influence prépondérante d’un clergé violent et militant qui, tout dévoué au pape et aux évêques, mettra tout en œuvre pour empêcher la constitution des associations cultuelles.153 L’obéissance aux membres du clergé est largement relatée dans les rapports administratifs. Mais ce qui l’est tout autant, c’est l’omnipotence dans toutes les affaires de la vie des habitants du département. En effet, les correspondances échangées entre les différentes autorités administratives rapportent très fréquemment les immixtions du clergé dans la vie quotidienne de la population. Notons par exemple le rapport mensuel du sous-préfet de Vitré qui porte sur le recrutement d’adhérents au comité républicain de l’arrondissement. Il précise que 153 - ADIV 1M142. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine d’octobre 1906. 68 Les fermiers, les commerçants, pour éviter de nombreux ennuis, tiennent à ne pas être mis en avant, et il leur est fort difficile d’échapper à la surveillance incessante des prêtres.154 Ce qui est également souvent dénoncé, c’est la présence intimidante des prêtres lors des réunions organisées par les républicains. Le sous-préfet de Vitré rapporte en effet que Le dimanche 9 mai, m’étant rendu à Etrelles pour présider à la création d’une mutuelle bétail, j’ai remarqué, à mon arrivée aux abords de la salle d’école, la présence du recteur qui notait les noms de tous ceux qui entraient à la salle de conférence. En me voyant il a fermé son carnet et s’est dirigé vers l’église.155 Le sous-préfet de Redon fait quant à lui état du climat délétère dans lequel se déroule la campagne pour les élections législatives dans son arrondissement. Il y apprend à son supérieur que « beaucoup d’électeurs (…) sont dans l’impossibilité d’assister aux réunions de M. Thélohan [candidat républicain] parce que surveillés par le curé ou par le propriétaire. »156 Ainsi est dénoncée l’aliénation des esprits par le clergé. En réalité, ce que dénoncent les républicains, ce n’est pas tant l’opposition, finalement logique, des ecclésiastiques à l’endroit de la République que la pression exercée sur l’ensemble de la population pour que celle-ci ne dévie pas de la trajectoire politique par eux tracée. Ce qui est encore plus surprenant, c’est la soumission des principaux acteurs républicains à l’autorité des prêtres et desservants : Dans son rapport portant sur la situation politique du département, le préfet s’inquiète de la situation dans les arrondissements de Redon et de Vitré dans lesquels « les réactionnaires dominent nettement ». Il ajoute à ce sujet que « tous, aussi bien les rares républicains qu’on y rencontre que les réactionnaires, sont sous l’influence cléricale ».157 L’administrateur de l’arrondissement de Redon relève quant à lui une singularité, lui qui prévient son supérieur que Trop nombreux sont encore les maîtres d’écoles qui ne font rien pour assurer le succès de la priorité de l’enseignement laïque, et qui par crainte de l’habitant et du curé, en sont encore à prendre sur les heures de classes, pour enseigner le catéchisme aux enfants.158 154 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de mai 1909. - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de mai 1909. 156 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine de juin 1910. 157 - ADIV 1M143. Rapport du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministère de juillet 1909. 158 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine de septembre 1909. 155 69 Il est vrai que l’on peut ici être surpris par l’emprise du clergé sur ceux qui sont en général considérés comme les plus ardents défenseurs des idées laïque et républicaine. Néanmoins, les représentants de l’Etat font parfois preuve d’un optimisme, certes mesuré, lorsqu’ils font état de l’influence des gens d’Eglise sur la population. En effet, à la fin de la première décennie du XXème siècle, quelques rapports établissent que l’emprise du clergé sur les habitants des villes et des villages du département se trouve de plus en plus diminuée du fait, si l’on en croit les rédacteurs de ces rapports, d’une adhésion de plus en plus grande à l’idéal républicain. Le sous-préfet de Vitré écrit à propos des habitants de Vitré que (…) Ici on craint plus encore qu’on ne croit ; la plupart se soumettront à la volonté des évêques et des « recteurs » (je parle bien entendu de tous les indifférents en matière politique) mais de tous les côtés on me signale une sourde révolte contre cette ingérence du clergé dans les choses de l’école : on commence à se fatiguer d’obéir sous la perpétuelle menace de refus des « sacrements » ou d’ « absolution » ; nombreux sont les pères de famille qui souffrent de ne pouvoir envoyer leurs enfants aux écoles publiques où ils apprendraient quelque chose…159 Le même sous-préfet établira dans son rapport du mois suivant que Les pères de famille sont las de la tyrannie que le clergé leur impose : ils souhaiteraient l’établissement du monopole de l’enseignement qui leur permettrait enfin d’envoyer sans risques leurs enfants dans les écoles officielles où ils savent que l’enseignement donné est de beaucoup supérieur à celui que leurs fils reçoivent des anciens frères sécularisés.160 On s’aperçoit, à la lecture de ces rapports, que le combat mené entre les républicains et les cléricaux pour accroître leur influence se situe principalement sur le terrain scolaire. Les républicains ont bien compris, en effet, que le clergé disposait d’une arme redoutable en dirigeant les écoles libres. Il est à noter, toutefois, que le clergé n’était pas le seul à user de ce genre de procédés. Certes les républicains n’hésitaient pas, dès que cela leur était permis, à user de leur influence, mais ce qu’ils dénonçaient chez leurs rivaux, c’était l’utilisation de la religion pour « tenir » la population. 159 160 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine d’octobre 1909. - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de novembre 1909. 70 En tout état de cause, chacun des deux camps disposait de relais pour se tenir informé des actions de leur adversaire. II. Le phénomène de la « délation partisane » Comme nous le voyons, les républicains ne disposaient peut-être pas de la même influence que le clergé pour asseoir leur autorité, mais ils ont presque toujours œuvré pour décourager l’action des « cléricaux » en espérant ainsi accroître leur ascendant sur la population. Aussi retrouvons-nous dans les Archives départementales plusieurs documents qui témoignent de l’ardeur avec laquelle les républicains ont parfois pu agir. Cette ardeur se traduisait par un phénomène pur et simple de délation.161 En effet, il n’était pas rare pour les administrateurs départementaux de voir posées sur leur bureau des lettres dénonçant les comportements des ecclésiastiques jugés par eux comme inconvenants. Notons au passage que ces courriers sont, le plus souvent, rédigés par des maires ou conseillers municipaux ou encore, et on le comprend peut-être mieux, par les commissaires de police. Autrement dit, par des républicains convaincus ou par des fonctionnaires de l’Etat qui se doivent de défendre les institutions républicaines. Reprenons par exemple l’intégralité de la lettre envoyée par M. Pierre Salmon, conseiller municipal de Maxent, au sous-préfet de Montfort le 27 septembre 1889 : Le lundi 23 septembre 1889 le jeune Armant Drouin habitant chez son père au bourg de Maxent faisant fonction de corrice est venu me déclaré que le même jour vers 9 h 1/2 du matin Mr Gonin Vicaire à Maxent en allant cherché un mort à la Malois commune de Maxent a chanté en présence de plusieurs témoins sur témoignage desquels ils seraient illusoires de compter : (Emile Drouin sabotier au bourg Hedan laboureur à Sandigerais Victor Brégère domestique chez le curé) : « A bas Pinault Pilate est toute sa clique, à bas la république : » Le vendredi soir 27 courant ayant rencontré l’abbé Gonin sur la pente du Moulin proche Catillon village de Maxent, je l’ai interrogé et lui ai demandé si les propos qu’il m’avait été rapporté avait été réellement tenu par lui après s’être défendu quelque temps il a fini par me dire : » vous me connaissez vous savez ma pensée je vous dit ce que je pense et croyez dans ma parole. Eh bien ! oui je reconnais l’avoir chanté. 161 - Le curé de la paroisse de Montautour avait, dans le bulletin paroissial d’avril 1909, mis en garde ses paroissiens contre les délégués placés par les préfets et chargés par lui de l’informer de tous les faits étant susceptibles de l’intéresser. Annexe 8. 71 En foi de quoi moi Pierre Salmon conseiller municipal de Maxent j’ai rédigé le présent procès verbal dont je garantis toute la véracité. [Sic].162 Les délateurs espèrent bien entendu que leur courrier soit à l’origine d’une enquête et que des sanctions soient prononcées à l’égard des « factieux ». C’est bien là l’intention du maire de Saint Brice lorsqu’il écrit au préfet que (…) d’après les aveux de quelques enfants, l’abbé Peleux aurait, hier, pendant une leçon de catéchisme, tenu des propos injurieux pour l’autorité préfectorale et pour l’école municipale de Saint Brice. L’opinion s’en étant émue, je pense que vous voudrez bien prescrire à la gendarmerie de faire une enquête à ce sujet.163 Un autre magistrat municipal, celui de Laillé, rapporte avec force détails les faits et gestes du curé de sa ville. Et c’est avec déférence qu’il écrit au préfet : J’ai l’honneur de vous informer qu’il est absolument exact que M. l’abbé Lemonnier, vicaire à Laillé, a distribué à tous les enfants du catéchisme, le 2 mai 1895, les deux leçons interdites se rapportant l’une aux écoles, l’autre à la manière de voter. (…).164 Le préfet est toujours considéré par les républicains comme l’homme fort qui peut contrarier les agissements des conservateurs et des cléricaux. Et en lui adressant des courriers faisant état des comportements abusifs de ces derniers, leurs auteurs donnent l’impression qu’ils agissent pour le bien, pour la République. Ou peut-être agissent-ils simplement pour des raisons plus personnelles et espèrent-ils une reconnaissance en haut lieu ? Nous trouvons également un cas dans les Archives départementales d’un instituteur qui dénonce les agissements du maire de sa commune. Voici ce qu’il écrit au préfet : Monsieur le Préfet, J’ai l’honneur de vous informer du fait suivant : dimanche dernier, le maire de Rannée, entouré de quelques conseillers, suivait la procession de la fête-Dieu, ceint de son écharpe, et cela en tête du cortège, immédiatement après le dais. 162 - ADIV 3M323. En réalité, il fallait comprendre : « A bas Pinault, à bas sa clique / à bas Pilate, à bas la République » (note du sous-préfet). 163 - ADIV 1M147. Lettre du maire de Saint Brice au préfet d’Ille-et-Vilaine du 28 mai 1884. 164 - ADIV 3M325. Lettre du maire de Laillé au préfet d’Ille-et-Vilaine du 12 mai 1895. 72 Tous les ans à pareille époque le même fait se reproduit aux deux fêtes Dieu. Je vous rapporte ce fait car il me paraît inadmissible qu’un maire même à titre privé, assiste à une fête religieuse en prenant son écharpe. (…). P.s : Les prêtres du haut de la chaire invitent le maire et le conseil municipal à leur faire un cortège d’honneur.165 La surprise vient certainement d’un rapport rédigé par le commissaire central de la ville de Rennes qui, à n’en pas douter, atteint les abîmes de l’ignominie. Voici ce qu’il écrit au préfet le 18 novembre 1904 : J’ai l’honneur de vous faire connaître que le bruit suivant circule en ville : Un vicaire de la paroisse Saint-Hélier, nommé Prél doit ces jours-ci jeter le froc, pour épouser une Delle Raison, directrice de la congrégation des femmes de cette paroisse, et avec laquelle il entretiendrait depuis plusieurs années des relations intimes (…).166 Il est tout de même surprenant qu’un commissaire de police rédige un rapport fondé sur une simple rumeur. Il n’apparaît pas en effet que ces faits, apparemment non avérés, menacent l’ordre public. Aussi en quoi peuvent-ils intéresser le préfet ? Tout au plus, s'en amusera-t-il. Il est à souligner que les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine ne livrent aucun document – du moins à notre connaissance – prouvant que les « cléricaux » ont usé des mêmes procédés de dénonciation contre les républicains. Cela se justifie dans ce sens que l’autorité archiépiscopale –dont on peut imaginer qu’elle aurait recueilli les lettres de délation– n’a pas entre ses mains les fonctions régaliennes de l’Etat et plus particulièrement la coercition légitime. Elle n’aurait donc pas pu diligenter d’enquêtes et encore moins prononcer des sanctions à l’encontre des républicains qui auraient agi contre l’Eglise ou son clergé. Ainsi nous le voyons, chacun procède avec ses moyens propres. 165 - ADIV 1M147. Lettre de l’instituteur de Rannée au préfet d’Ille-et-Vilaine du 6 juin 1907. - ADIV 1V45. Rapport du commissaire central de la ville de Rennes au préfet d’Ille-et-Vilaine du 18 novembre 1904. Annexe 8. 166 73 III. La collusion dénoncée entre le clergé et la noblesse Les administrateurs départementaux, placés par le pouvoir central, ont nécessairement dû, dès la victoire des républicains, trouver des appuis au sein du collège des notables d’Ille-etVilaine. En réalité, les relations se sont nouées naturellement entre les représentants de l’Etat dans le département et les notables républicains, chacun défendant la même cause et les mêmes institutions. Nous avons vu au sein de la première partie que le préfet était « la clé de voûte » des institutions républicaines dans le département et qu’à ce titre, il était l’organisateur pour les partis de gauche des scrutins électoraux. Il en a été de même au sein des franges réactionnaires qui ont dû réagir aux succès de plus en plus nombreux des républicains : Cette situation les a, en quelque sorte, obligés à resserrer leurs rangs et très vite, châtelains et propriétaires fonciers se sont alliés au clergé dans la lutte engagée contre la République. Cette situation est naturellement dénoncée par les autorités civiles qui voient dans cette collusion un danger pour elles, car elles ne mésestiment pas l’influence de ces personnages sur la population. Le sous-préfet de Vitré n’écrit-il pas à ce sujet que Les châtelains et gros propriétaires fonciers [se] servent-ils habilement [de l’influence de l’Eglise] pour défendre leurs positions et combattre les idées de progrès préconisées par la République.167 Il semble que les républicains soient dérangés par le maintien d’une société d’ordre qui aurait dû, selon eux, disparaître avec la Révolution française de 1789. En effet, le rapprochement entre le clergé et la noblesse représente certainement pour eux une anomalie des temps modernes qu’il faudrait supprimer. Il suffit de lire ce qu’écrivait le sous-préfet de Vitré dans l’un de ses rapports à propos de l’application de la loi de séparation de 1905 dans son arrondissement : (…) l’application [de la loi] a donné lieu à de graves troubles dans l’arrondissement au moment des opérations des inventaires. Organisée par la noblesse et le clergé, la rébellion avait pris un caractère dangereux et constituait un véritable mouvement de chouannerie168. 167 168 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de mars-avril 1909. - ADIV 1M142. Rapport du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine de septembre 1906. 74 Nous saisissons à travers ces lignes toute la méfiance de l’administration à l’égard de la traditionnelle alliance entre le clergé et la noblesse. Ce qui est encore plus surprenant, c’est la manière dont les membres de cette administration comparent ce début de XXème siècle avec la période révolutionnaire et post-révolutionnaire. Ceci étant, l’ordre établi de l’Ancien Régime n’a manifestement pas été bouleversé dans les campagnes françaises et le pouvoir est encore largement partagé entre hobereaux et ecclésiastiques. Et même s’ils ne détiennent pas toujours le pouvoir institutionnel, ils exercent néanmoins une influence réelle sur l’ensemble de la population, et c’est bien cela qui contrarie en définitive l’administration républicaine. Le chef de l’arrondissement de Vitré conclut son rapport en faisant remarquer au préfet que dans sa circonscription, « les populations (…) sont entièrement dominés [sic] par le clergé et la noblesse ».169 Et là, il ne s’agit plus seulement d’une simple influence qu’exerceraient la noblesse et le clergé sur les populations mais bel et bien d’une domination ! Et c’est bien cette domination que l’administration veut à tout prix anéantir. Le sous-préfet de Fougères l’exprime parfaitement lorsqu’il dit que « républicains et socialistes [doivent] s’unir comme à Rennes contre la tyrannie des châtelains alliés au clergé ».170 Mais il n’y a pas que les administrateurs qui dénoncent cette collaboration des deux anciens premiers ordres de la société française : les responsables politiques se plaignent également de cet efficace rapprochement. Ainsi en est-il de M. Guérin qui dénonce, au cours de la campagne pour les législatives de mai 1895, le « déchaînement éhonté de l’action des prêtres et des nobles ».171 Il est à noter que ce candidat a connu une défaite et s’était bien gardé de dénoncer publiquement, au moment de la campagne électorale, les faits qu’il rapporte confidentiellement au préfet. Une telle dénonciation n’aurait certainement pas été du meilleur goût, et cela, les hommes politiques du département l’ont bien compris. Par certains excès de langage, les républicains donnent parfois l’impression qu’ils considèrent que clergé et propriétaires ne font qu’un : Le sous-préfet de Redon insiste effectivement sur ce point lorsqu’il écrit que « beaucoup d’électeurs (…) sont dans l’impossibilité d’assister aux 169 - Ibid.. - ADIV 3M330. Lettre du sous-préfet de Fougères au préfet d’Ille-et-Vilaine du 4 mars 1914. 171 - ADIV 3M325. Lettre de M. Guérin au préfet d’Ille-et-Vilaine du 9 mai 1895. 170 75 réunions de M. Thélohan [candidat de gauche] parce que surveillées par le curé ou par le propriétaire (…) ».172 La conjonction de coordination ainsi employée par le sous-préfet donne l’impression que les deux représentants –de la noblesse et du clergé– peuvent se substituer à l’envi ; les intérêts étant tellement communs entre eux qu’il importe peu que ce soit l’un ou l’autre qui soit présent pour surveiller les réunions des républicains, à partir du moment où il y en a au moins un. Le jeu des alliances entre les serviteurs de Dieu et la noblesse déconcertait à double titre les partis de gauche qui y voyaient non seulement une coalition influente et néfaste pour l’idée de progrès qu’incarne selon eux la République, mais aussi parce que, des trois ordres qui composaient la société d’Ancien Régime, la noblesse et le clergé étaient toujours liés. Ce qui provoque la contrariété chez ceux qui se considèrent comme les héritiers du tiers-état. 172 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine de juin 1910. 76 SECTION DEUXIÈME : L’ENGOUFFREMENT DES RÉPUBLICAINS DANS LES VIDES JURIDIQUES : LE CAS DES FÊTES RELIGIEUSES ET DES SONNERIES DE CLOCHE I. Les fêtes religieuses Le parti hostile aux « cléricaux » manquait rarement une occasion de dénoncer l’attitude, selon eux provocante, du clergé à chaque fois qu’une fête religieuse avait lieu. Ces fêtes restaient au demeurant un moyen pour leurs organisateurs d’inquiéter leurs adversaires en leur montrant qu’elles étaient toujours couronnées de succès. Il faut bien dire qu’il arrivait parfois au clergé de faire preuve soit de maladresse, soit de provocation à l’endroit de ceux qui ne leur étaient pas favorables. Mais qu’il se fût s’agit de maladresse ou alors de provocation, ces comportements étaient toujours le fait, selon les rapports rédigés par les autorités, de prêtres ou desservants farouchement hostiles aux institutions républicaines. Il s’agissait par ailleurs le plus souvent d’incidents sans gravité, mais, malgré cela, il n’était pas rare que les autorités administratives aient engagé des procédures soit d’enquête, soit judiciaire. Jugeons-en nous-même en lisant la lettre adressée par le sous-préfet de Fougères à son supérieur le 18 août 1906 : Je suis informé qu’au cours d’une procession qui a eu lieu, le 15 août, à Louvigné-du-Désert, le drapeau National aurait été déployé et porté. Cet emblème, en violation de l’arrêté préfectoral du 15 février 1894, et contrairement aux prescriptions de la circulaire ministérielle du 14 juin 1901, était armé d’un cœur saignant, d’une croix de Malte, et de l’Hermine de Bretagne.173 Mais en plus de cela, le fonctionnaire rend compte de la passivité du maire de la localité et du Maréchal des Logis commandant la brigade de Gendarmerie qui, selon lui, « auraient dû l’un et l’autre dresser procès-verbal aux auteurs de cette contravention ». 173 - ADIV 1M147. Lettre du sous-préfet de Fougères au préfet d’Ille-et-Vilaine du 18 août 1906. 77 Aussi estime-t-il « qu’il y aurait lieu de faire procéder à une enquête par la Gendarmerie, et, si les faits précités sont reconnus exacts, de traduire les contrevenants devant les juridictions compétentes ». Nous voyons par la présente affaire que ce qui gène l’autorité préfectorale, ce ne sont pas tant les débordements des participants à la procession que la passivité des représentants de la loi face à ces débordements. Il reste cependant que tous les magistrats municipaux ne restent pas passifs et certains, comme le maire de Saint-Servan, usent de leur pouvoir de police pour mettre fin aux processions religieuses sur la voie publique. Voyons l’arrêté qu’il prend le 16 janvier 1885 : Les processions et manifestations religieuses sur la voie publique sont interdites. Seules les processions de la fête Dieu de la mi-août et celles de la communion des enfants sont autorisées, à la condition que les reposoirs et autels élevés dans les rues et places n’entravent pas la circulation publique et qu’ils soient enlevés aussitôt après le passage des processions.174 La presse républicaine, par ailleurs souvent virulente quand il s’agit pour elle d’aborder les questions religieuses, semble prendre un certain plaisir à relater dans ses colonnes les fêtes dans lesquelles le clergé s’est particulièrement illustré. Dans son édition du 20 juin 1909, Le Patriote de Bretagne s’est fait l’écho d’un épisode certes anodin, mais qui en dit beaucoup sur l’esprit qui pouvait régner dans les rédactions des organes républicains. Il y est écrit ce qui suit : La procession de dimanche dernier a été marquée par un incident qu’il ne nous est pas permis de passer sous silence. Alors que le dais n’était qu’à la hauteur de la rue Duguesclin, M. le curé de Notre-Dame s’avança vers un spectateur qui se tenait appuyé contre la grille du café de l’Ouest, et de ce ton arrogant qui lui est familier, intima à ce monsieur l’ordre de se découvrir. Ce n’est pas la première fois que M. l’abbé Durocher profite de la procession de la Fête-Dieu pour donner libre cours à son tempérament bilieux et vindicatif. La même scène se reproduit tous les ans, et ce n’est pas sans tristesse que les catholiques de Vitré assistent aux incartades du potentat au petit pied qui règne au presbytère de Notre-Dame.175 Aussi les rédacteurs du Patriote de Bretagne n’arrêtèrent pas là l’affaire. En effet, l’abbé Durocher, non content d’avoir été l’objet de ces railleries, s’en indigna auprès de ses paroissiens. 174 175 - ADIV 1V11. Arrêté municipal du 16 janvier 1885. Commune de Saint-Servan. Annexe. - ADIV 1M143. Le Patriote de Bretagne du 20 juin 1909. Annexe 4. 78 La semaine suivante, le 27 juin, le journal revenait sur cette histoire en y ajoutant les faits nouveaux, et plus précisément la réaction du prêtre raillé : Il est donc écrit que M. le curé de Notre-Dame ne perdra aucune occasion de manifester son mauvais caractère ! Les quelques lignes que nous avons dû lui consacrer la semaine dernière l’ayant mis fort en colère, M. l’abbé Durocher a éprouvé le besoin de s’épancher publiquement dans le cœur de ses paroissiens. Dimanche, à la grand’messe, M. le curé est monté en chaire, ce qui ne lui arrive que dans les grandes circonstances, et, en termes qu’il a vainement essayé de rendre amers, il a dit son fait au Patriote de Bretagne.176 Ces trois exemples sont suffisamment significatifs pour que l'on s'aperçoive que toutes les forces républicaines – administration, élus, presse – unissent leur force pour importuner, à chaque fois qu’ils le peuvent, le clergé. Ainsi si ce n’est pas l’administration qui fait valoir de manière outrancière les dispositions légales auxquelles contreviennent en effet parfois les participants aux fêtes et processions religieuses, c’est la presse républicaine qui prend le relais pour écorcher les ecclésiastiques présents à ces manifestations. Et toujours avec une expression supérieure et ironique… Nous verrons que les républicains se heurteront également au clergé lorsqu’il s’agira pour eux de fêter leurs grands événements. II. L’embarrassante question des sonneries de cloches Il va de soi que le clergé ne dispose pas du même arsenal – en tout cas législatif – que les républicains pour nuire aux manifestations que ces derniers organisent. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il reste inactif. Au contraire, certains ecclésiastiques usent du « pouvoir » qui est le leur en matière de sonnerie des cloches pour contrarier le pouvoir civil. Très vite en effet après leur accession au pouvoir, les « petits élus » républicains se sont aperçus que leurs opposants – parmi lesquels figuraient en premier lieu les prêtres et les curés – les indisposaient dès lors qu’ils souhaitaient faire sonner « civilement » les cloches. Il n’était pas rare que les prêtres refusent aux tenants de l’autorité municipale l’accès au clocher en prétextant qu’eux seuls étaient les gardiens des clés. Un avis du Conseil d’Etat du 17 juin 176 - ADIV 1M143. Le Patriote de Bretagne du 27 juin 1909. Annexe 4. 79 1840 avait effectivement pris position en admettant que « le curé ou desservant doit avoir seul la clef des cloches (…). Le maire n’a pas le droit [d’en avoir une seconde]. »177 Il arrivait pourtant que certains élus municipaux prennent d’assaut le clocher sans même prévenir l’ecclésiastique responsable de l’Eglise. Le Cardinal Place se plaint à ce sujet du comportement du maire de Saint-Uniac qui « a fait sonner, contrairement aux prescriptions légales, sans demander l’autorisation du Recteur, un glas en l’honneur de M. Escolan, en son vivant maire de Montauban.178 Le préfet, par la voie du sous-préfet de Montfort, adressa une remontrance au magistrat qui, en effet, avait outrepassé ses droits.179 Ce dernier déclarera qu’ « il n’avait pas eu l’intention d’empiéter sur les droits de l’autorité ecclésiastique [et] qu’un fait semblable ne se renouvellerait plus. » 180 Il fallait donc légiférer pour régulariser cet épineux problème de sonneries par trop souvent source de conflit. L’article 100 de la loi municipale du 5 avril 1884 intervint donc pour réglementer la matière, et il fut convenu que les cloches pourraient être utilisées dans certains cas précis par le pouvoir civil, et dans d’autres cas par le pouvoir religieux. Cette loi, initiée par le ministre de la justice et des cultes Martin-Feuillée, par ailleurs élu d’Ille-et-Vilaine181, afficha clairement la volonté du gouvernement de pacifier les rapports trop souvent houleux entre le clergé et les maires des villages. La loi, qui reste générale, dispose en substance que les autorités civile et religieuse du département doivent élaborer bilatéralement le règlement relatif à l’usage des cloches. Cependant, le ministre se permet de rappeler aux préfets que les règlements qui seront adoptés devront nécessairement prévoir que les « sonneries [civiles] ne doivent pas avoir une durée supérieure à celle des grandes fêtes religieuses (…) ».182 Autrement dit, il ne saurait être question de provoquer inutilement les prêtres. Un mois plus tard, Martin-Feuillée, par voie de circulaire, invitait le corps préfectoral à adopter une attitude conciliante vis-à-vis des chefs religieux pour rédiger le fameux règlement. Voici ce qu’il recommandait : 177 - Cité par M. Goyard, Régime concordataire et police des cultes (1801-1905), Administration et Eglise, Droz, Genève, 1987, p. 139. 178 - ADIV 1V12. Lettre de Mgr Place au préfet d’Ille-et-Vilaine du 30 juin 1881. Annexe 9. 179 - ADIV 1V12. Lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au sous-préfet de Montfort du 1er juillet 1881. 180 - ADIV 1V12. Lettre du sous-préfet de Montfort au préfet d’Ille-et-Vilaine du 8 juillet 1881. Annexe 9. 181 - Il est intéressant pour nous d’étudier l’élaboration de cette loi rédigée par un élu du département. 182 - ADIV 1V12. Lettre du ministre de la justice et des cultes aux préfets du 8 juillet 1884. Annexe 9. 80 L’autorité diocésaine, avec laquelle vous aurez à vous concerter, pourra introduire dans le titre Ier de ce règlement tous les cas de sonneries religieuses qu’elle jugerait utile de mentionner. Sur ce premier point, je vous engage à vous monter très conciliant, du moment que les modifications proposées ne vous paraîtront compromettre ni l’ordre public, ni les droits des autres cultes pratiqués dans votre département.183 La modération de Martin-Feuillée est encore plus visible lorsqu’il insiste pour que « le titre II, relatif aux sonneries civiles, ne reçoive pas une étendue trop considérable. »184 La méthode du ministre est bien celle d’un opportuniste : déposséder en douceur l’Eglise de ses prérogatives et de ses pouvoirs en l’invitant à faire des concessions à son insu. Le gouvernement est encore à ce moment là un interlocuteur obligeant. Le ton ne sera en effet pas le même quinze ans plus tard. Aussi le règlement est-il adopté le 10 janvier 1885 par le Cardinal Place et le préfet M. de Brancion.185 Le préfet avait au préalable demandé à l’ensemble des conseils municipaux du département s’ils avaient des recommandations ou des demandes particulières à formuler par rapport aux sonneries civiles, et chacune d’elles avaient répondu avec beaucoup de modération. Seules les communes républicaines réclamaient une réquisition du clocher à l’occasion de la fête nationale du 14 juillet. Mais aucune demande abusive ne fut véritablement formulée. Le Cardinal Place ne manqua bien sûr pas de faire connaître à son clergé les dispositions réglementaires, et les « conflits de clocher » cessèrent à peu près à partir de ce moment sans qu’on ait assisté à la laïcisation des sonneries.186 183 - ADIV 1V12. Circulaire du ministre de la justice et des cultes aux préfets du 17 août 1884. Annexe 9. - Ibid.. 185 - ADIV 1V12. Règlement sur les sonneries des cloches du 10 janvier 1885. Annexe 9. 186 - Voir également RIOLET Fabien, Les rapports de l’autorité civile et de l’Eglise en Indre-et-Loire sous la République anticléricale, Mémoire de D.E.A., Université de Paris II, 1995. 184 81 -CHAPITRE DEUXIÈME- LES LUTTES ÉLECTORALES : DU DISCOURS AUX ACTES Les campagnes électorales sont toujours, pour les républicains, un moyen de contester les actions des « cléricaux ». Tous, du moins en Ille-et-Vilaine, sont conscients que leurs opinions seront mieux acceptées s’ils s’opposent à un ennemi qui, s’il n’existait pas, devrait être nécessairement désigné. Sans ennemi, on ne peut parler de victoire. Et s’en prendre à un ennemi que l’on détermine va permettre également d’occulter les sujets les plus délicats que les élus ne souhaitent pas particulièrement aborder. La stratégie est finalement bien connue… Nous assistons donc, de part et d’autre, au renforcement d’un système politique bipartite construit autour de la question religieuse, ou plus exactement de la question des religieux. Pour les uns, les religieux freinent la construction de la société moderne voulue par les gouvernants. Pour les autres, les gouvernants sont dans une logique d’odieuse persécution religieuse comme la France n’en avait pas connu depuis la période révolutionnaire. Voilà les arguments que développent les cléricaux et les anticléricaux durant les campagnes électorales. Aussi les discours des élus, qui restent, nous le verrons, relativement modérés dans le département, trouvent une transcription plus brutale dès lors que le relais est passé à l’admirable machine exécutive qu’est l’administration. Là, il n’est plus question de modération. Les administrateurs sont des agents du gouvernement et ils ne répondent que devant lui. Autrement dit, ils ne risquent pas d’être éconduits par un corps électoral auquel ils ne doivent finalement rien. Nous verrons qu’en réalité, les deux camps se trouvent dans une situation qui les oblige à user de moyens parfois douteux pour convaincre, au moment des élections, l’ensemble de la population du département. Tous sont en effet conscients que l’Ille-et-Vilaine est une terre qui peut offrir autant de chances aux républicains qu’aux conservateurs. L’aiguille de la balance électorale ne se fixe jamais d’un côté ou de l’autre et les alternances sont finalement fréquentes.187 187 - Excepté dans la circonscription très conservatrice de Vitré qui n’a jamais donné un seul élu républicain durant la IIIème République. 82 SECTION PREMIÈRE : LA CONSTRUCTION D’UN ARGUMENTAIRE ÉLECTORAL MANICHÉEN I. Un discours virulent contre le cléricalisme Les élections sénatoriales du 20 janvier 1901 furent l’occasion pour les anticléricaux de se déchaîner contre les institutions catholiques. Le discours prudent des premières années de la République semblait, à ce moment là, céder le pas à la virulence désormais déclarée, et l’on n’hésitait déjà plus à dénoncer haut et fort « le cléricalisme envahisseur des consciences et ennemi de toute réforme républicaine. »188 En ce début de XXème siècle, alors que les radicaux gagnent considérablement du terrain, l’heure n’est plus au discernement et les attaques anticléricales s’avèrent beaucoup plus brutales que celles qui venaient des opportunistes. Le ton mesuré et diplomate du Waldeck-Rousseau des années 1880 semble en effet déjà oublié, lui qui souhaitait que son programme « comporte l’établissement et le respect de toutes les libertés, sauf celle de conspirer contre les institutions du pays ou d’élever la jeunesse dans la haine de la société moderne. »189 En définitive, entre Maugère et Waldeck-Rousseau, le fond est à peu près le même : Seule la forme change. C’est bien un signe que les temps ne sont plus les mêmes et que l’anticléricalisme a véritablement progressé. Peut-être serait-il plus exact de dire que ce sont les institutions républicaines du pays qui ont évolué et qui, en définitive, se sont renforcées. En fait, au moment où les républicains accédaient aux plus hautes fonctions, la menace monarchiste pesait encore sur le pays, et chacun savait que l’Eglise catholique aurait énergiquement soutenu le retour d’un monarque sur le trône de France.190 Or, depuis que les radicaux ont envahi la Chambre des députés, il s’agit bel et bien de mettre fin à l’influence de l’Eglise catholique. Non plus parce qu’elle est l’alliée des monarchistes 188 - ADIV 3M295. Propos tenus par le candidat Maugère, repris par Le journal de Rennes (quotidien « réactionnaire ») du 4 janvier 1901. 189 - ADIV 3M319. Profession de foi de Waldeck-Rousseau. Elections Législatives du 6 avril 1879. 190 - On sait aussi que depuis la Révolution de 1789, les régimes plébiscités un jour peuvent être balayés le lendemain. Cette réalité est unanimement admise par l’ensemble de la classe politique française en 1880. 83 devenus au demeurant inoffensifs, mais parce qu’elle exerce un pouvoir propre et trop indépendant.191 Ainsi à l’occasion des élections sénatoriales du 3 janvier 1897192, les candidats républicains proclament qu’ils ont « été choisis sur un programme absolument net, énergiquement déterminé, et qui se résume en ces mots : Vaincre la Réaction ! ». Voilà. Le programme est en effet net et déterminé. L’on sent déjà que les radicaux ne sont plus très loin des portes du pouvoir. Les discours se durcissent au fur et à mesure que le temps avance. Les élus, même ceux d’Ille-et-Vilaine, n’hésitent plus à affirmer leur tendance anticléricale, et ils sont relayés pour cela par la presse républicaine entièrement acquise à leur cause. Les journaux républicains du département empruntent en effet un style particulièrement offensif contre leurs pieux ennemis. Le célèbre éditorialiste Louis Muller est de ceux qui font du combat contre les cléricaux la principale cause de leur engagement. Il demandera par exemple, sous la forme d’une question purement rhétorique, « qui a arrêté dans son essor prodigieux, l’influence néfaste et sans cesse grandissante des moines ? »193 On le voit, les attaques sont de plus en plus ciblées et de plus en plus dures. A la suite du vote de la loi de séparation, le discours anticlérical se fit plus nuancé. Il n’en demeura pas moins cependant que les républicains –et plus exactement les radicaux– gardaient une certaine vigilance. Les plus modérés parmi lesquels on retrouve M. Le Hérissé194, ont su adopter un ton moins virulent contre les cléricaux. Ce dernier écrivait en effet en 1910 à propos des relations nouvellement établies avec l’Eglise de France : Qui dit Séparation ne dit point forcément lutte et batailles, et j’ai la conviction qu’avant qu’il soit longtemps, l’accord se fera sur les bases loyales qui ont été posées.195 191 - De plus, depuis le ralliement de l’Eglise à la République en 1891 –encyclique Rerum Novarum du Pape Léon XIII–, la menace monarchiste semble écartée. 192 - L’Ille-et-Vilaine envoya lors de ces élections deux républicains de gauche (MM. Garreau et Guérin) et un conservateur (M. Grivart) au Palais du Luxembourg. 193 - ADIV 3M293. Editorial de Louis Muller paru dans L’Avenir de Rennes (organe républicain) du 10 janvier 1901. 194 - Les Archives départementales nous livrent quelques pages qui montrent la méfiance du gouvernement à l’égard de Le Hérissé. Voici ce qu’écrit le préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’intérieur le 31 octobre 1905 : « Depuis l’arrivée aux affaires du Ministère Rouvier, la situation de M ; Le Hérissé s’est sensiblement améliorée ; c’est que non seulement au Parlement il a voté pour le Ministère, mais qu’en Ille-et-Vilaine il a accentué sa ligne de conduite républicaine ; et ses votes sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les attaques dont à cette occasion il a été l’objet de la part de la droite, lui ont ramené nombre de républicains. » 195 - ADIV 3M328. Profession de foi de M. Le Hérissé. Elections Législatives du 24 avril 1910. 84 La vigilance dont nous parlions, on la retrouve également chez Emile Ferron. Il écrit en effet que : Si je suis respectueux des croyances religieuses, j’entends que le clergé soit maintenu dans les limites qui ont été déterminées par la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat.196 Certains en revanche éprouvent quelques difficultés à se détacher du ton « querelleur » de l’avant 1905. Ainsi en est-il de Francis Eon197, candidat aux élections cantonales de juillet 1910, lui qui se dit Républicain de gauche [qui] répudie toute alliance publique ou occulte avec les partis rétrogrades dont l’objectif ne peut être que d’entraver l’évolution politique et sociale [du pays].198 Il apparaît certain qu’après 1905, mais surtout après la période durant laquelle s’est faite la redistribution des biens ecclésiastiques, l’esprit anticlérical se répandait avec moins de force. Même la presse républicaine, dont on a vu qu’elle pouvait être violente, a su s’adapter aux temps nouveaux et désormais plus sereins. Cela ne veut pas dire pour autant que les hostilités ont pris fin. Non. Mais elles sont en réalité beaucoup moins brutales qu’auparavant. Lisons, pour nous en convaincre, les lignes parues dans L’Avenir hebdomadaire, journal républicain, le jour des élections législatives du 26 avril 1914 : 199 (…) nous ne voulons pas mêler le chef du clergé dans le département d’Ille-et-Vilaine à nos luttes politiques. Nous continueront d’ailleurs à penser que son influence doit s’exercer à l’église, et non sur la place publique. Nous ne pouvons que regretter que M. le marquis [Kernier] veuille toujours mêler deux choses qui devraient rester séparées : la politique et la religion.200 Les attaques contre les « cléricaux » sont à ce moment là beaucoup moins générales. Elles semblent davantage destinées à condamner ceux des candidats qui auraient tendance à revenir au temps où Eglise et Etat n’étaient pas séparés. 196 - ADIV 3M328. Profession de foi de M. Ferron. Elections Législatives du 24 avril 1910. - Francis Eon était par ailleurs Procureur général près la Cour d’appel de Bordeaux. 198 - ADIV 3M370. Profession de foi de M. Eon. Elections cantonales du 24 juillet 1910. Les partis occultes sont, pour Eon, ceux qui sont alliés au clergé. 199 - L’Avenir hebdomadaire dénonçait ici la collusion entre le candidat M. de Kernier et l’Eglise. 200 - L’Avenir hebdomadaire du 26 avril 1914. 197 85 Par ailleurs, il semble difficile pour les républicains d’enterrer définitivement l’un de leurs principaux arguments. Il s’est pourtant trouvé en Ille-et-Vilaine de nombreux élus de gauche qui ont su « manipuler » la question religieuse avec tact et habileté. Même aux moments les plus troubles… II. La prudence des républicains modérés Se montrer irrévérencieux à l’égard de la religion risque, en Ille-et-Vilaine, d’être source de polémique. Nous nous en sommes jusque là aperçus. Aussi on sait que ce que redoutent par dessus tout les candidats à des postes électifs, c’est de susciter ou de provoquer la polémique. Or, dans un système qui donne nécessairement raison a celui qui détient la majorité, il apparaît indispensable pour les élus que se forme autour de leur nom le plus large consensus. Et pour cela, il leur faudra éviter de considérer la question religieuse avec dédain et hauteur. Pour éviter cet écueil, les républicains modérés se montrent le plus souvent soucieux de respecter la liberté de la pensée, mais aussi la pratique religieuse. Cela leur permet, en définitive, de ne pas déplaire à l’électorat catholique et de rester proche des valeurs de la République qui sont, ne l’oublions pas, partagées par un grand nombre d’électeurs dans le département. Le républicain Le Hérissé201, qui s’était montré relativement proche du ministère Rouvier et de sa politique radicale, savait dans sa circonscription faire preuve de modération202. Ainsi quatre ans après l’adoption par le Parlement de la loi de séparation, qu’il avait par ailleurs luimême votée, il écrit que 201 - René-Félix Le Hérissé fut député de la circonscription urbaine de Rennes de 1889 à 1913. Il fut sénateur d’Ille-et-Vilaine de 1913 à 1920. 202 - Le Hérissé était politiquement singulier. Il fut « boulangiste, nationaliste et antidreyfusard mais il [a été] social, et surtout (…) anticlérical ». In Rennes en 1906, pesanteurs et avancées d’une capitale de Province, Mémoire Ultra de Bretagne, Université du temps libre du pays de Rennes, 1998, 175 pp. p. 89. Par ailleurs, Le Hérissé vota au début de l’année 1898 la proposition pour supprimer l’ambassade de France au Vatican. Cette proposition fut rejetée par 343 voix contre 183. Il vota également, tout comme Surcouf, pour la loi du 9 décembre 1905. En revanche, il se rallia à la position de ses collègues d’Ille-et-Vilaine en ne votant pas pour la loi du 28 mars 1904 sur l’interdiction faite à toutes les congrégations, autorisées ou non, d’enseigner. 86 La liberté religieuse a été respectée ; il n’a été, et il ne sera touché en rien aux droits de croire et de pratiquer librement.203 Il est fort délicat de dresser un portrait de Le Hérissé car autant il sut indiquer la voie de la modération quand la religion était le plus fortement attaquée, autant il figure parmi les anticléricaux les plus acharnés que l’Ille-et-Vilaine a connues. C’est pourquoi il serait bien imprudent de le classer parmi les républicains modérés : Cette position pourrait à juste raison être contestée à n’importe quel moment. Le Hérissé était en fait un défenseur de la liberté de conscience et il intégrait pleinement dans cette conception « la liberté [pour tous] de croire et de pratiquer ». D’autres, en revanche, ont des vues différentes et posent des conditions avant d’annoncer – parfois mollement– leur attachement à la liberté religieuse. Emile Ferron, conseiller général d’Antrain et candidat à la Chambre des députés, est de ceux-ci. Au même moment il écrit : Si je suis respectueux des croyances religieuses, j’entends que le clergé soit maintenu dans les limites qui ont été déterminées par la loi de séparation des Eglises et de l’Etat.204 Bien avant l’adoption des grandes lois anticléricales, la tendance était déjà à la mesure chez bon nombre d’élus de gauche du département. Retenons par exemple les termes du candidat Faisant aux élections cantonales d’août 1885 : Vous connaissez mon attachement aux Institutions Républicaines. Seules elles peuvent nous garantir toutes nos libertés compatibles avec l’ordre et la paix. Je les aime surtout comme l’appui des faibles et des déshérités de la fortune. Je désire vivement l’apaisement, de plus en plus, des passions politiques et la conciliation des deux intérêts permanents : la religion et la société civile.205 Il est assez surprenant d’observer, dans cette profession de foi, que l’attitude hautement républicaine du candidat ne l’empêche nullement de souhaiter la paix sociale qui ne se fera, selon lui, que par l’adoption d’une attitude sereine à l’endroit de la religion. Car n’oublions pas que nous sommes en 1885 et que les titulaires du pouvoir craignent encore une fronde des 203 - ADIV 3M328. Profession de foi de M. Le Hérissé. Elections législatives du 24 avril 1910. - ADIV 3M328. Profession de foi de M. Ferron. Elections législatives du 24 avril 1910. 205 - ADIV 3M356. Profession de foi de M. Faisant. Canton de Saint-Méen. Elections cantonales d’août 1885. 204 87 clérico-monarchistes. Le cléricalisme est plus que jamais l’ennemi à ce moment là. Et il ne cessera de l’être avec de plus en plus de force… Ainsi, malgré l’accession au pouvoir des radicaux en 1899, l’Ille-et-Vilaine sut toujours garder des élus républicains modérés et relativement bienveillants à l’égard de la religion. Auguste-Pierre Reculoux, candidat malheureux aux élections sénatoriales de 1901, faisait partie de cette catégorie d’élus. Il se proclamait en effet Partisan résolu du respect des opinions et des croyances religieuses, de la liberté de conscience, des droits du père de famille (…).206 La nette tendance radicale qui se dégage du scrutin national de 1902 ne semble pas concerner l’Ille-et-Vilaine. Sur les huit députés élus, quatre sont républicains207. Parmi eux figure Le Hérissé que nous avons rencontré plus haut, ainsi que Brice208 qui siégea au centre gauche durant la quasi totalité de sa carrière. Il se déclarait « républicain modéré mais très convaincu ». Il est par ailleurs intéressant de noter qu’il exerça, en 1871, son premier mandat à l’Assemblée nationale en votant avec la droite… Les deux autres, Jehanin209 et Surcouf210, étaient des républicains libéraux et défenseurs de la liberté de conscience. Jehanin se disait en effet « ni franc-maçon, ni sectaire, ni dreyfusard ». La vague anticléricale qui déferle sur la quasi-totalité de la France au début du XXème n’est, semble-t-il, pas parvenue à recouvrir l’Ille-et-Vilaine. Il ne faut pas en conclure que les élus de gauche du département n’ont pas donné leur voix aux gouvernements radicaux. Non. Mais il est certain que la plupart devait à ce moment là se couvrir du masque de Janus : anticléricaux à Paris, modérés dans leur circonscription… 206 - ADIV 3M295. Profession de foi de M. Reculoux. Elections sénatoriales du 27 octobre 1901. - Les quatre élus conservateurs sont MM. du Halgouët, La Chambre, Le Gonidec de Traissan et Lefas. 208 - Représentant à l’Assemblée nationale de 1871 à 1876. Député de la circonscription de Redon de 1876 à 1889 et de 1893 à 1921. 209 - Député de la circonscription de Montfort de 1902 à 1906. 210 - Député de la seconde circonscription de Saint-Malo de 1898 à 1919. Il fut toujours réélu au premier tour à partir de 1902. 207 88 SECTION SECONDE : TOUS LES MOYENS SONT BONS, MÊME ILLÉGAUX… I. L’Eglise au service des candidats réactionnaires Les périodes électorales servent toujours de prétexte aux républicains pour contester les pratiques, il est vrai parfois douteuses, de leurs adversaires. Il est indéniable en effet que les membres du clergé usent, durant les campagnes électorales, de procédés contestables pour rallier un maximum d’électeurs sur le nom des candidats « réactionnaires ». L’immixtion des ecclésiastiques est en effet régulièrement dénoncée par les autorités civiles ou judiciaires, et cela à chaque fois qu’une échéance électorale approche. En est-il ainsi à l’occasion de l’élection législative du 21 septembre 1889 au cours de laquelle le Procureur général près la Cour d’appel de Rennes écrit au préfet que M. Gérard, desservant de Charmé (…) aurait dit en chaire – « J’espère bien que vous ne voterez pas pour les voleurs et les polissons, partisans de l’école sans Dieu. » (…) Une femme seule déclare qu’il aurait dit « que les femmes devraient rougir de honte de savoir que leurs maris votent pour ces gens là. » (…) M. Simon, vicaire à Pancé, aurait essayé de corrompre les électeurs en voulant les forcer, à l’aide de menaces, à voter pour le candidat conservateur, mais les témoins, entendus au cours de l’enquête, n’ont pas maintenu les allégations auxquelles M. le Maire faisait allusion dans une plainte exposée par lui au Parquet de Redon et ont affirmé que jamais le Sr Simon ne les avait engagés à intervenir dans tel ou tel sens. Un seul, une femme Marchand, a maintenu que l’ecclésiastique, alors qu’elle allait lui demander de la marier, lui aurait conseillé d’exercer sur son fiancé la plus grande influence, en la menaçant, si celui-ci ne votait pas pour M. Barbotin de ne pas la marier. Simon, interrogé, a, sans nier absolument le propos, affirmé que s’il l’avait tenu, c’était sous forme de plaisanterie (…).211 Si l’on en croit le représentant du Ministère public, les membres du clergé seraient, dans certaines paroisses du département, fortement impliqués politiquement. 211 - ADIV 3M323. Lettre du Procureur général près la Cour d’appel de Rennes au préfet d’Ille-et-Vilaine du 12 décembre 1889. 89 L’argent et la privation éventuelle des services sacerdotaux sont vraisemblablement les moyens les plus efficaces dont dispose le clergé pour infléchir les résultats des élections en faveur des candidats conservateurs. Le sous-préfet de Redon informe à ce sujet son supérieur que Le curé de Bruc a dit en chaire le dimanche suivant les élections : « vous n’avez certes pas mal voté [du Halgouët a en effet été élu] mais cependant il s’est trouvé 28 mauvais esprits ou plutôt 28 ignorants qui n’ont pas su remplir leur devoir. Ces gens là ont commis un pêché mais nous les verrons à la confession. Il faudra bien qu’ils nous disent pour qui ils ont voté ; ils n’auront l’absolution qu’autant qu’ils promettront de changer d’opinion. En vous disant toutes ces choses, je fais mon devoir de pasteur et je ne crains rien. Si vous connaissez de ces gens là, ne les fréquentez plus.212 Les prêtres vont parfois plus loin et n’hésitent pas, selon les propres termes des autorités civiles, à menacer gravement les intérêts les plus élémentaires des paroissiens qui s’écartent de la logique de pensée dictée par les religieux. Le sous-préfet de Redon en place en 1909 rapporte que Le curé est encore le maître dans beaucoup de communes et celui qui fait connaître trop nettement sa façon de penser est mis à l’écart. S’il est fermier on lui retire la location de sa ferme et s’il est ouvrier agricole ou domestique, on le renvoi.213 Mais il faut noter qu’à chaque fois que les autorités civiles manifestent leur intention de poursuivre les délinquants devant les tribunaux, elles en informent l’Archevêque. Ce dernier tente toujours, l’on s’en doute, de délier le problème au profit de son clergé dont l’on sait pourtant qu’il influence, souvent sans finesse, les paroissiens. Le desservant de Saint Georges de Gréhaigne est ainsi accusé par le sous-préfet de Saint-Malo d’avoir influencé les électeurs de sa paroisse en usant de divers procédés. L’Archevêque, tenu informé de ces faits, demande une enquête. Les résultats de celle-ci indiquent que 212 - ADIV 3M325. Lettre du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine du 27 mai 1895. Lors des élections législatives de 1889, le curé de Bovel aurait, à l’occasion d’une grande fête religieuse, refusé toute absolution à 96 hommes sur les 169 inscrits sur les listes électorales, au motif qu’ils auraient voté pour le républicain René Brice (ADIV 3M323). 213 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine d’avril 1909. 90 M. Ollivier [desservant mis en cause] affirme, et donne des preuves à l’appui de son affirmation une trentaine de signatures, qu’il n’a pas dit un mot en chaire concernant les élections, ni parcouru les maisons. Quant aux paroles qui lui sont prêtées à l’adresse d’un électeur qui lisait une affiche : cet électeur dans une protestation signée de son nom, dit qu’il a simplement demandé à M. le Recteur qui se trouvait à passer, ce que signifiait le mot « progressiste », et que la conversation s’est bornée à cette explication. La fille d’un électeur aurait aussi reçu une aumône à la condition que son père vota pour M. La Chambre. Il est vrai que cette personne a prononcé ce propos dans une auberge : mais elle déclare qu’elle l’a dit « pour rigoler ».214 Il est tout à fait surprenant qu’aucune des enquêtes menées par l’archevêché n’aboutissent à établir la véracité des allégations de l’administration. Toutes, en effet, exonèrent les ecclésiastiques mis en cause en concluant qu’ils ont soit été victimes de la calomnie, soit qu’ils ne fallait pas prêter à leurs actes ou propos la portée que certains voulaient leur donner. Les autorités diocésaines, quant à elles, sont plus prudentes que certains prêtres et desservants du département. Les indications de vote ne sont pas forcément plus voilées mais elles sont au moins consignées dans les organes officiels. Le bulletin diocésain paru à la veille du scrutin de septembre 1889 explique bien en effet que De ces élections dépendent, non seulement l’avenir de la patrie, mais la liberté et la vie même de la religion catholique dans notre pays. La France, dont le passé a été si glorieux et qui n’a connu les revers que le jour où elle a abandonné son Dieu, ne peut être sauvée, à l’heure présente, que par des hommes de foi et d’honneur, fermement résolus à maintenir les principes religieux, en dehors desquels la société ne saurait subsister.215 Les gens de l’archevêché ne cachent pas en réalité leur position à l’égard du pouvoir en place depuis maintenant dix ans. En opposant ainsi le passé glorieux de la France à son présent chaotique, ils pressent les électeurs catholiques de voter pour les candidats conservateurs, défenseurs de la religion. Ils poursuivent leur plaidoyer en prévenant des dangers qui menacent directement les intérêts de l’Eglise, et plus généralement de la religion. Et, bien sûr, les dangers dont parlent les 214 215 - ADIV 3M323. Compte-rendu d’enquête remis au Cardinal archevêque de Rennes du 3 décembre 1889. - ADIV 3M323. La semaine religieuse du diocèse de Rennes, samedi 21 septembre 1889. 91 personnalités du diocèse ne sont ni plus ni moins que les propositions législatives républicaines qui animent le débat depuis 1879. Ainsi rappellent-ils aux catholiques du département que Les fondements d’une société prospère sont (…) l’enseignement chrétien donné aux enfants, et, comme conséquence, l’abrogation de la loi qui bannit des écoles publiques, contre le vœu des pères de famille, le crucifix, le catéchisme et la prière [ainsi que] la liberté de l’Eglise catholique, garantie par le Concordat, dans son culte, ses associations religieuses, ses bonnes œuvres et le recrutement de son sacerdoce.216 Il est en tout cas indéniable que la pression exercée par le clergé sur les électeurs d’Ille-etVilaine est déterminante des résultats obtenus par les uns et les autres des candidats à l’issue des scrutins. Bien sûr, les républicains s’en plaignent… II. Des moyens contestés mais enviés par les républicains L’attitude du clergé pendant les périodes électorales nous est simplement rapportée par les rapports et les correspondances des administrateurs du département. Eventuellement de temps en temps par des plaintes déposées auprès du Procureur de la République près la Cour d’appel de Rennes. Les Archives départementales nous livrent un cas pour lequel la section du contentieux du Conseil d’Etat a dû se prononcer en tant que juridiction électorale, et cela à l’occasion des élections cantonales de 1889. Reprenons le motif de l’arrêt rendu le 14 mars 1890 :217 « Attendu que dans diverses communes, le clergé a pris une part active à la lutte électorale : que des distributions de tabacs, de boissons et d’argent ont été effectuées par les partisans du candidat élu ; que des bulletins de dimensions excessivement exiguës et en papier non collé étaient distribuées (…) ; le Conseil d’Etat ne retiendra pas dans le dispositif la part active prise par le clergé mais retient les autres arguments et annule de ce fait les opérations électorales.218 216 - Ibid.. - C.E. 14 mars 1890, Electeurs du canton de Tinténiac c/ sieur Lorgeril. 218 - Ibid.. 217 92 Le Conseil d’Etat semble, en l’espèce, plus frileux que les républicains du département, dès lors qu’il s’agit de s’en prendre au clergé. L’élection est certes annulée… Mais pour un simple problème de forme. Il importe d’ajouter que le canton de Tinténiac est situé dans l’arrondissement contestataire de Saint-Malo : Ici, les gens sont certes très attachés à la religion, mais l’autorité du clergé est parfois contestée. Les prêtres ne peuvent ici imposer leur volonté comme ils le font beaucoup plus facilement dans les arrondissements de Vitré, de Redon ou encore de Fougères.219 C’est pourquoi il n’est pas si surprenant que, dans ce secteur du département, des électeurs se soient plaints du comportement du clergé et aient engagé une procédure devant le juge chargé du contentieux électoral. Il arrive pourtant que des jugements soient prononcés à l’encontre de prêtres qui se seraient montrés trop « coopératifs » avec les candidats conservateurs. Prenons par exemple l’arrêt de la Cour d’appel en date du 17 décembre 1889 « qui a condamné l’abbé Pinault et le Sr Legrand, chacun à 50 francs d’amende, pour corruption électorale ».220 Comme nous l’indiquions, les autorités civiles informent toujours l’archevêché des excès du clergé diocésain durant les périodes électorales. Ces informations ouvrent la plupart du temps à des enquêtes menées par des commissaires de l’Archevêque. Aussi les résultats de ces enquêtes nous aident-elles à comprendre que, même s’il y a une nette volonté d’exonérer les prêtres trop partisans221, il se dégage le sentiment que le clergé sort bien souvent de ses attributions. Il n’est dès lors pas possible de dire que les rapports qui mettent en cause les ecclésiastiques sont infondés. C’est donc sur la seule base de l’ensemble de ces documents que nous avons dégagé l’attitude du clergé visée dans le paragraphe précédent. Aussi, nous l’avons vu, l’administration s’étonne des moyens, tant pécuniaires que spirituels, que le clergé et les élus conservateurs mettent au service de la cause qu’ils défendent. Le sous-préfet de Redon écrit à ce sujet au préfet : Je m’empresse de vous adresser (…) de nombreux renseignements concernant des actes de pression électorale exercée par les partisans de M. du Halgouët et par le clergé de l’arrondissement 219 - SIEGFRIED André, Tableau politique de la France de l’Ouest, Imprimerie Nationale, 1995, 636 pp. Op. cit. 220 - ADIV 3M361. Lettre du conseiller d’Etat, directeur de l’administration des cultes, pour le ministre de l’intérieur, au préfet d’Ille-et-Vilaine du 9 janvier 1890. 221 - Le préfet, dans une lettre adressée au ministre des cultes en date du 3 décembre 1889, pense que « convaincre l’Archevêché de ces agissements regrettables [du clergé], il n’y faut pas songer ». ADIV 3M323. 93 au cours de la récente campagne. (…). Les plus modestes et les plus humbles [parmi les électeurs républicains] ont eu la vaillance de résister à l’action violente exercée par la plupart des ecclésiastiques qui n’ont pas craint de transformer le confessionnal en un bureau d’élection et de se servir du masque de la religion pour troubler les consciences ; ils n’ont pas cédé non plus à la propagande effrénée, aux dépenses énormes, aux offres d’argent faites par M. du Halgouët dont la fortune est considérable.222 Mais ce qui est le plus déconcertant à la lecture des rapports dénonçant cette immixtion du clergé, c’est lorsqu’on découvre que les forces politiques républicaines, ainsi que l’administration, ne seraient pas dérangées d’appliquer, durant les campagnes électorales, les mêmes méthodes que leurs adversaires. Et de corrompre ainsi les électeurs indécis. Le député René Brice est en effet de cet avis, lui qui dit que L’argent, la distribution de boissons et les questions religieuses ont dans l’arrondissement une influence capitale ; nous avons eu le tort de ne pas faire boire cette année ; on peut affirmer que l’écart qui s’est produit entre M. Guérin et M. Récipon est fait de tous ces buveurs entraînés par les largesses de M. Récipon qui sont revenus à leur camp naturel ou qui trouvant moyen de se faire offrir par M. du Halgouët beaucoup plus que par nous, ont marché avec qui les abreuvait.223 Plus tard, le sous-préfet de Redon, non content des résultas obtenus par la gauche dans son arrondissement, préconise pour les élections futures d’ Opposer au chef de la réaction [M. Le Gonidec de Traissan] un chef républicain de grande valeur et bénéficiant lui aussi d’une grosse situation de fortune.224 Aussi ajoute-t-il que « le prestige de l’argent tient dans cette région [dans l’arrondissement de Redon], une place de tout premier plan ».225 Une chose est sûre pourtant : Les élus de gauche ne disposent pas des mêmes fonds que les élus conservateurs du département. On peut le comprendre lorsqu’on lit les correspondances entre les administrateurs et les hommes politiques du département : Toutes font état de la fortune considérable de M. du Halgouët. Toutes expliquent également volontiers les succès de ce dernier par cette énorme 222 - ADIV 3M325. Lettre du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine du 13 mai 1895. - Ibid.. Propos du député Brice repris par le sous-préfet de Redon dans sa lettre au préfet du 13 mai 1895. 224 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine d’août 1909. 225 - Ibid.. 223 94 fortune. Les uns et les autres se convainquent donc que si les républicains disposaient de tels moyens, ils pourraient réunir sans mal un plus grand nombre de scrutins. III. Une Administration clémente avec les prêtres modérés Il reste cependant à remarquer que l’administration, même si elle supporte mal l’immixtion du clergé dans les affaires électorales, sait tout de même reconnaître la modération chez certains prêtres d’Ille-et-Vilaine. Sous le régime concordataire, l’attitude générale des ecclésiastiques a une réelle incidence sur leur avancement, et cela dans la mesure où le gouvernement détenait, en concurrence avec l’archevêché, le pouvoir de procéder aux nominations. Aussi les prêtres et desservants qui n’entraient pas en conflit avec la République ont toutes les chances d’être soutenus par le pouvoir en place. Le sous préfet de Redon écrit à ce sujet au préfet d’Ille-et-Vilaine en 1895 : Je suis heureux de pouvoir vous signaler à titre exceptionnel l’attitude correcte de M. le curé de la Dominelais, qui s’est tenu à l’écart des dernières luttes électorales. M. le curé de la Dominelais m’est représenté comme un prêtre à l’esprit libéral et tolérant ; le parti républicain accueillerait avec plaisir sa nomination à la cure de Fougeray, dont la vacance est prochaine par suite de la mise à la retraite du titulaire.226 Peu de temps avant la fin du Concordat, le sous-préfet de Montfort écrit à son supérieur : J’ai l’honneur de vous transmettre, en l’appuyant de l’avis le plus favorable, la demande de secours formée par M. Mariniaux, prêtre retiré à Saint Méen. Cet ecclésiastique professe des opinions politiques républicaines et je serai [sic] heureux de voir sa demande recevoir une solution utile.227 Il reste cependant à insister sur la lettre adressée par le député républicain Brune au préfet. Voici ce qu’il y écrit le 21 novembre 1897 : L’un de mes amis à Dol me prie de vous recommander Mr Maréchal, Recteur de Betton, proposé, paraît-il, par l’Archevêque pour une cure du canton. Je ne connais pas personnellement Mr 226 227 - ADIV 3M325. Lettre du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine du 18 mai 1895. - ADIV 1V45. Lettre du sous-préfet de Montfort au préfet d’Ille-et-Vilaine du 10 juin 1905. 95 Maréchal, mais j’en ai entendu dire beaucoup de bien. Je n’aime pas beaucoup à m’occuper de ces Messieurs parce qu’en général, bien disposés à la tolérance quand ils sont petits, ils deviennent souvent fougueux et intolérants avec le pouvoir qu’on leur donne par l’inamovibilité. Si vous croyez devoir le proposer à la Direction des cultes, je ferai une petite visite à Mr le Directeur pour le prier de hâter la nomination.228 Les termes que renferme ce courrier montrent bien toute la méfiance que peuvent avoir les responsables politiques de gauche vis-à-vis des ecclésiastiques. Il se dégage des propos de Brune un sentiment de nette supériorité du pouvoir civil sur les ecclésiastiques : Il n’hésite en effet pas à parler « du pouvoir qu’on leur donne ». C’est bien la preuve que, nombreux sont les républicains –élus et administrateurs– qui voient le Concordat de 1801 comme un moyen de contenir le clergé dans son ensemble… Notons également, par parenthèse, la parfaite collusion entre les parlementaires de gauche et l’administration préfectorale. Les Archives départementales nous livrent de très nombreux exemples à partir desquels on s’aperçoit que « la politique militante » menée par les prêtres, l’ « hostilité [de ces prêtres], adversaires [des] institutions républicaines [et du] gouvernement » ne sont pratiquement jamais soutenus par les tenants du pouvoir en place.229 Sauf à avoir un appui politique intéressant, les ecclésiastiques trop engagés ont très peu de chances de voir leurs demandes aboutir. Cet appui, M. Martin, curé de La Bazouges-duDésert, l’a obtenu. Il a pu en effet, grâce à la situation de son propre frère, premier adjoint au maire de Fougères, accéder à la cure tant convoitée de Montfort.230 Ici, l’adversité aux institutions de la République de M. Martin est nettement soulevé par le sous-préfet de Montfort. Or, en temps normal, l’avis du sous-préfet est déterminant dans la procédure de nomination des prêtres. Mais en l’espèce, et eu égard à la délicate situation, le préfet a préféré dressé un portrait flatteur du curé de La Bazouges au ministre des cultes. A situation particulière, dénouement particulier… 228 - ADIV 1V45. Lettre du député Brune au préfet d’Ille-et-Vilaine du 21 novembre 1897. - Voir pour cela la liasse 1V45 des archives départementales d’Ille-et-Vilaine. 230 - ADIV 1V45. Lettre du maire de Fougères au préfet d’Ille-et-Vilaine du 27 août 1895. op. cit. Voir aussi la lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre des cultes du 6 septembre 1895. Se reporter également à la lettre du sous-préfet de Montfort au préfet d’Ille-et-Vilaine du 24 juin 1901. 229 96 -CHAPITRE TROISIÈMELA GUERRE DE L’ENSEIGNEMENT Les attaques menées par les républicains opportunistes contre les congrégations enseignantes marquent la reprise de la longue lutte anticléricale en France.231 C’est d’abord et avant tout la Compagnie de Jésus qui est visée par les nouveaux détenteurs du pouvoir. Les Jésuites apparaissent effectivement comme les principaux ennemis des anticléricaux, et cela dans la mesure où ils échappent, selon leurs adversaires, à l’autorité de l’Etat. Pour eux, la culture gallicane qui s’est imposée en France depuis l’Ancien Régime est mise en cause par cette congrégation qui semble répondre davantage aux ordres du souverain pontife qu’à ceux donnés par des autorités ecclésiastiques plus proches du pouvoir politique national. Ce qu’il faut éliminer, c’est donc bien l’ultramontanisme défendu par les congrégations religieuses et donc plus particulièrement par les Jésuites. Ceux-ci détenaient en effet en France le quasi monopole de l’enseignement. On comprend ainsi que les Jésuites exerçaient une influence considérable dans le pays puisqu’ils assuraient la formation intellectuelle de la jeunesse.232 Et ils pouvaient également, selon certains, manipuler les esprits dans un sens qui ne convenait évidemment pas à ceux qui faisaient de la religion le principal mal de la société moderne en construction. Il est incontestable aussi, pour les raisons que nous venons de voir, que la question de l’enseignement devait être prise immédiatement en considération par les nouveaux détenteurs du pouvoir. La République devait, selon eux, imposer son modèle d’enseignement. La laïcisation du système scolaire passait donc, inévitablement, par une rupture violente et radicale avec le système existant jusque là. L’Ille-et-Vilaine n’a, bien sûr, pas été épargnée par les salves tirées par les républicains contre les congrégations enseignantes. L’Histoire retiendra que cette politique anti-congréganiste fut, dans ce département, difficilement vécue. 231 - Les hommes de la fin du XIXème siècle vont dans le même sens que leurs pères de 1789 qui, eux aussi, s’en étaient pris au clergé régulier. Les députés de la Constituante avaient en effet décrété, en février 1790, qu’il n’était plus possible pour aucun congréganiste, au nom de la liberté, de prononcer des vœux perpétuels. 232 - De nombreux hommes politiques de gauche de la IIIème République ont, rappelons-le, été formés par les jésuites. 97 SECTION PREMIÈRE : UNE QUESTION QUI DÉCHAÎNE LES PASSIONS I. La cruciale et empoisonnante question de l’enseignement233 Le 29 mars 1880, le ministre de l’instruction publique, Jules Ferry, impose deux décrets234 par lesquels il ordonne aux Jésuites de quitter l’enseignement dans les trois mois. Il donne également aux enseignants des congrégations catholiques non autorisées le même délai pour se mettre en conformité avec la loi ou quitter l’enseignement.235 L’année précédente, le Sénat –pourtant républicain– avait rejeté sa loi qui renfermait par ailleurs les mêmes dispositions. Le 28 mars 1882, la loi portant sur l’organisation de l’enseignement primaire est votée.236 Sont ainsi abrogées de nombreuses dispositions de la loi Falloux 237 : l’instruction religieuse est désormais supprimée des programmes pour être remplacée par l’instruction morale et civique. La religion ne peut être enseignée qu’en dehors des heures de classe et en dehors des locaux scolaires. Il va sans dire que ces textes vont à l’encontre des congrégations238 trop ultramontaines selon les républicains et trop inféodées à la puissance étrangère239. Mais ils ont aussi pour but de nuire aux intérêts de l’Eglise catholique. Et de l’affaiblir. Comme l’on pouvait s’en douter, l’ensemble de ces dispositions a eu, en Ille-et-Vilaine, un très fort retentissement. Elles marquent le début d’une lutte qui, encore de nos jours, n’a toujours pas pris fin… Nous sommes effectivement dans un département où l’enseignement congréganiste est très important. Ainsi apparaît-il logique, aux yeux de tous, que les républicains convaincus et militants soutiendront l’enseignement laïc, et que les cléricaux défendront l’école des frères. 233 - SORREL Christian, La République contre les congrégations, histoire d’une passion française 1899-1904, Ed. Cerf, Paris, 2003, 223 pp. 234 - BASDEVANT-GAUDEMET Brigitte, Le jeu concordataire dans la France du XIXème siècle, P.U.F., Paris, 1988, pp. 70-77, 298pp. 235 - 5.000 congréganistes sont presque aussitôt expulsés de France. Beaucoup émigrèrent pour aller enseigner librement à l’étranger. Notons par ailleurs, ironie de l’histoire, que la France jouit à ce moment là d’une forte notoriété et servit de modèle à beaucoup grâce, pour une grande part, à la qualité de l’enseignement dispensé par les congréganistes. 236 - Annexe 1. 237 - Loi du 15 mars 1850. 238 - Et plus précisément à l’encontre des Jésuites. 239 - Entendons par là que les congrégations dépendent du représentant du Saint Siège. 98 Très vite, la question de l’enseignement devient un moyen pour les républicains –mais aussi pour les catholiques– de mesurer l’attachement des uns et des autres aux valeurs laïques ou religieuses. Il sera dès lors délicat pour un fonctionnaire de placer ses enfants dans une école religieuse : Il pourra être suspecté de « complicité avec l’ennemi ». La lettre adressée par le sous-préfet de Fougères à l’hôte de la préfecture de Rennes nous permet de bien saisir cette réalité. En effet, après s’être plaint du manquement d’un brigadier de la Gendarmerie à ses devoirs, et cela à la suite d’une affaire mettant en cause des cléricaux, il fait part à son supérieur de ce que Ce sous-officier fait paraît-il élever ses garçons, âgés de plus de 7 ans, par des instituteurs congréganistes au lieu de les placer à l’école laïque. (…). Ce n’est qu’un détail mais il permet de conclure que la mollesse avec laquelle leur père fait respecter les règlements administratifs n’est peut-être pas involontaire.240 Il faut néanmoins relever que la période qui suit immédiatement le vote de ces lois semble inconfortable pour les républicains qui se heurtent à une assez vive opposition de la population mais aussi de certains élus locaux. L’administration est d’ailleurs parfois indécise lorsqu’il s’agit d’appliquer la loi. Reprenons, pour nous en convaincre, la lettre du secrétaire général délégué au sous-préfet de Redon, quatre mois après l’adoption de la loi de 1882 sur l’organisation de l’enseignement primaire : Monsieur le Sous-Préfet, Vous m’avez renvoyé avec votre avis, la délibération en date du 28 mai 1882, par laquelle le Conseil municipal de Bourg-des-Comptes demande qu’il soit réservé des places dans l’Eglise de cette commune pour les élèves de l’école publique de garçons qui assistent aux offices sous la surveillance de l’Instituteur. Aux termes de la loi du 28 mars 1882, l’enseignement religieux n’est pas autorisé dans les classes, et, par suite, les instituteurs sont dispensés de conduire leurs élèves aux offices. Dans cette situation, il ne me paraît pas possible de donner une autre suite à cette affaire. Je vous prie de vouloir bien en informer le Maire.241 Il est également important de relever l’annotation du sous-préfet en marge de ce courrier. Il écrit effectivement qu’ 240 - ADIV 1M147. Lettre du sous-préfet de Fougères au préfet d’Ille-et-Vilaine du 18 août 1906. - ADIV 1M147. Lettre du secrétaire général délégué de la préfecture d’Ille-et-Vilaine, pour le préfet d’Ille-etVilaine, au sous-préfet de Redon du 20 juillet 1882. 241 99 Etant donné l’esprit de nos populations Bretonnes, cette solution ne me semble pas opportune. Pareille situation existait en 1879 à Fougeray et grâce à l’intervention préfectorale un emplacement spécial a fini par être affecté aux enfants de l’école communale laïque.242 Nous percevons bien l’embarras des administrateurs. Certains veulent une application stricte de la loi. D’autres préconisent une lecture plus souple et plus adaptée des dispositions législatives. Cependant, le principe de l’application uniforme de la loi sur l’ensemble du territoire ne semble souffrir aucune exception… L’attitude récalcitrante du clergé à l’égard des écoles de la République indispose parfois les autorités communales qui ne manquent pas d’en référer aux sous-préfets. Le maire de SaintBrice-en-Coglais s’émeut en effet de ce que D’après les aveux de quelques enfants, l’abbé Peleux aurait, hier, pendant une leçon de catéchisme, tenu des propos injurieux pour l’autorité préfectorale et pour l’école municipale de Saint-Brice.243 A la demande du maire, une enquête est ouverte. Il arrive parfois que les instituteurs laïques se plaignent des agissements des membres du clergé à leur égard. Celui de la commune de La Baussaine écrit en effet à l’Inspecteur d’Académie que le vicaire « ne cherche qu’à me faire du mal et à nuire à mon école ».244 Nous sommes également surpris que le temps n’atténue pas l’opposition des « cléricaux » qui continuent à combattre, avec acharnement, l’enseignement laïque. Une lettre de 1909 du souspréfet de Redon revient sur un fait qui s’est passé dans une commune de l’arrondissement : Le jour de la Toussaint, le curé de Mernel a tenu du haut de la chaire des propos outrageants envers la corporation des instituteurs de la République et particulièrement vis-à-vis de l’institutrice de cette commune, en l’accusant, elle et sa collègue, d’être la cause de tous les malheurs de la chrétienté. 242 - Ibid.. - ADIV 1M147. Lettre du maire de Saint-Brice-en-Coglais au sous-préfet de Fougères du 28 mai 1884. 244 - ADIV 1M147. Lettre de l’instituteur de La Baussaine à l’Inspecteur d’Académie du 27 novembre 1892. Annexe 11. 243 100 Puis, poussant l’audace encore plus loin, cet ecclésiastique a incité l’institutrice à sortir de l’église, faisant ressortir son indignité, à tel point que Madame Jan dut en effet s’en aller, pour ne plus être en butte aux plus lâches attaques de ce ministre du culte. Le curé en effet l’accompagna dans sa sortie de toutes sortes de sarcasmes. Vous avez raison criat-il publiquement ! votre place n’est pas avec nous ! (…).245 A la lecture de ces propos, on comprend que la question de l’enseignement a réellement déchaîné les passions. Chacun a parfaitement conscience que la formation intellectuelle des enfants sera déterminante pour l’avenir de la jeune République mais aussi de l’Eglise séculaire. II. La délicate question de l’enseignement religieux En s’en prenant violemment aux congrégations enseignantes, les membres du gouvernement, et plus précisément Jules Ferry, voulaient déstabiliser l’institution ecclésiale. Il n’était plus question pour eux de laisser le quasi monopole de l’enseignement aux frères, et encore moins aux Jésuites. Il était temps que l’esprit des Lumières étouffe l’obscurantisme religieux. Enseigner la Raison et apprendre la liberté, c’est presque la raison d’être de la République. Comme de nombreux élus du département, Le Bastard pense qu’une « instruction laïque, scientifique et moraliste rendra à l’homme sa liberté ».246 Pour ces héritiers de la Révolution, « la jeunesse, embastillée dans de hauts murs, pareils à ceux des couvents, apprend à obéir aveuglément et non à user de sa raison ».247 Et c’est bien cela qu’ils veulent bouleverser. Or, quand la loi du 28 mars 1882 supprime l’enseignement religieux dans les écoles laïques, beaucoup s’en étonnent en Ille-et-Vilaine. La mesure ne semble pas comprise par tout le 245 - ADIV 1M147. Lettre du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine du 6 novembre 1909. Le souspréfet demandera à ce que soient engagées des poursuites judiciaires contre le curé de Mernel. 246 - DEMAY François, Edgard Le Bastard (1836-1892), Mémoire de maîtrise, Rennes II, 2000, 130 pp. 247 - Dionys Ordinaire, Seize lettres aux jésuites, Bibliothèque républicaine, 1879, p. 153. 101 monde. Ainsi en est-il du conseil municipal de Pancé qui « émet le vœu que l’Instruction religieuse soit donnée comme par le passé aux élèves des écoles de la commune ».248 Aussi lorsque le sous-préfet de Redon adresse cette délibération au préfet, il ajoute en bas de page : La commune de Pancé est administrée par un conseil municipal républicain. Je ne m’explique pas bien le vœu ci-dessus. 249 Le chef de l’arrondissement finit même par écrire que « le mieux serait de laisser l’instituteur libre ».250 Cette recommandation est surprenante : elle montre que le légalisme dont font preuve la plupart des sous-préfet peut parfois céder le pas à la souplesse. Paradoxalement, ce sont certains petits élus qui demandent à ce que la loi soit strictement appliquée et surtout à ce qu’elle ne souffre aucune critique. Reprenons, à titre d’exemple, et dans son intégralité, la lettre adressée par le maire de Janzé au préfet le 22 octobre 1882 : Monsieur le Préfet, J’ai l’honneur de vous informer que le 23 août dernier, j’ai adressé à M. Le Procureur de la république près le tribunal civil de Rennes une plainte motivée au sujet d’un sermon prononcé par M. Le Curé de Janzé à la 3è messe du dimanche 20 du même mois critiquant d’une façon grave des actes du gouvernement de la république concernant la loi sur l’enseignement du 28 mars 1882. N’ayant à cet effet reçu aucune satisfaction ni entendu parler de rien que ce soit je crois de mon devoir au nom du respect que méritent les lois de mon pays de vous adresser exclusivement cette affaire et la lettre de M. Le Curé de Janzé251 en réponse à l’avis que je lui donnais que j’avisais M. Le Procureur de la république de la sortie aussi grossière qu’irrespectueuse qu’il avait faite et la lettre que j’envoyais au chef du parquet près le tribunal.252 La question de l’enseignement religieux, l’on s’en doute, ressurgit toujours au moment des élections. Après le coup porté contre l’enseignement congréganiste en 1880, les candidats aux élections législatives du 27 août 1881 commencent à réagir. Félix de Bourgerel, qui ne sera pas élu, veut 248 - ADIV 1M147. Délibération du conseil municipal de Pancé du 20 août 1882. - Ibid.. 250 - Ibid.. 251 - Annexe 11. 252 - ADIV 1M147. Lettre du maire de Janzé au préfet d’Ille-et-Vilaine du 22 octobre 1882. Annexe 11. 249 102 Défendre la religion et la liberté de l’enseignement à tous les degrés. [Il veut également que les] enfants soient élevés chrétiennement, et que Dieu ait toujours dans l’école et dans l’Etat la première place.253 En 1889, le candidat conservateur La Chambre écrira : Vous condamnez la politique de persécution religieuse qui proscrit le catéchisme de l’école et essaie par tous les moyens d’anéantir le catholicisme. (…) Je veux le rétablissement de la liberté d’Enseignement.254 En 1895, le Colonel du Halgouët déclare dans un style très martial : (…) Je réprouve et je combattrai de toute mon énergie (…) la laïcisation absolue des écoles publiques, au mépris de la liberté des pères de famille et de la liberté des communes qui paient ces écoles.255 Durant les campagnes électorales, chacun des candidats est placé devant ses propres contradictions. Louis Oberthür, au nom du candidat Porteu, ne comprend pas que son adversaire, M. Beauchef, fasse « dans son discours l’apologie de l’Ecole sans Dieu alors qu’il est notoire qu’il fait élever ses enfants par des prêtres sécularisés (…) ».256 D’autres candidats sont en revanche des défenseurs de l’école publique. Ainsi en est-il de M. Surcouf qui réclame La paix pour notre école laïque, si calomniée et qui supporte dans nos pays de l’Ouest de si furieuses attaques, alors que partout ailleurs elle triomphe.257 Cette dernière réclamation peut paraître surprenante, et cela à deux titres : d’abord parce que la loi de laïcisation est, en 1914, vieille de plus de trente ans ; mais aussi parce qu’elle démontre que le clergé breton est parvenu, au moins partiellement, à faire face à la tempête qui s’est abattue sur l’enseignement catholique. 253 - ADIV 3M319. Profession de foi de Bourgerel. Elections législatives du 27 août 1881. - ADIV 3M322. Profession de foi de La Chambre. Elections législatives du 6 octobre 1889. 255 - ADIV 3M325. Profession de foi de M. du Halgouët. Elections législatives du 5 mai 1895. 256 - ADIV 3M328. Réponse de M. Oberthür à M. Beauchef. Elections législatives du 24 avril 1910. 257 - ADIV 3M330. Profession de foi de M. Surcouf. Elections législatives du 26 avril 1914. 254 103 SECTION SECONDE : LA GUERRE DÉCLAREE ENTRE « L’ÉCOLE DU DIABLE » ET « L’ÉCOLE DE DIEU » I. Le catéchisme interdit258 Le 12 septembre 1891, Mgr Place ajoutait au catéchisme du diocèse de Rennes deux suppléments259, le premier touchant aux devoirs des parents, l’autre aux devoirs des chrétiens comme citoyens. Ces apports faisaient désormais du catéchisme du diocèse de Rennes l’un des quatre plus virulents de France.260 Bien entendu, la question de l’enseignement est très clairement abordée. L’Archevêque invite plus ou moins insidieusement les parents à placer leurs enfants dans les écoles privées catholiques. Du moins parle-t-il des mauvaises écoles. A contrario, l’on comprend parfaitement que les bonnes sont celles qui sont dirigées par le clergé, par son clergé. Cependant, ces deux suppléments sont jugés trop virulents par les autorités civiles qui y voient, de surcroît, une violation faite à la loi. Aussi décident-elles de saisir les juridictions administratives afin d’annuler ces dispositions gênantes. Pourtant, Léon XIII avait exhorté Mgr Place à supprimer ces dispositions propres à exaspérer les esprits. Mais l’Archevêque de Rennes était resté sourd à cet ordre pontifical. Il n’aura en revanche pas d’autre choix que d’écouter l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 10 août 1892. Et de l’appliquer. Le dispositif de cet arrêt concluait que « l’évêque [avait] voulu tracer à ses fidèles une ligne de conduite dans des domaines simplement civiques ou civils ».261 Bien sûr, les deux suppléments sont annulés. Néanmoins, les autorités sont conscientes que les décisions de justice qui vont à l’encontre des intérêts des cléricaux, peuvent être contestées et déniées par ceux qui se sentent lésés. 258 - BASDEVANT-GAUDEMET Brigitte, Le jeu concordataire dans la France du XIXème siècle, P.U.F., Paris, 1988, pp. 76-77, 298 pp. 259 - Suppléments au catéchisme diocésain du 12 septembre 1891. Annexe 11. 260 - TRIPIER Yves, La laïcité, ses prémices et son évolution depuis 1905 (le cas breton), L’Harmattan, 2003, p. 29, 177 pp. 261 - C.E. 10 août 1892. 104 A un moment où l’anticléricalisme connaît un regain au sommet de l’Etat, on peut pressentir que les catholiques ne resteront pas sans réagir. Aussi quand le Conseil d’Etat rendit son arrêt, le ministre de la justice et des cultes s’inquiéta auprès du préfet de savoir si ledit arrêt était bien appliqué et que les dispositions litigieuses du catéchisme diocésain étaient dans les faits supprimées. La méfiance du ministre à l’endroit du prélat breton est palpable lorsqu’il demande au représentant de l’Etat dans le département De vouloir bien [lui] adresser le plus tôt possible un rapport [lui] faisant connaître si, en dépit d’une note récemment insérée dans la « Semaine Religieuse » de Rennes, M. l’Archevêque a pris les mesures propres à assurer l’exécution de sa décision. 262 Le ministre demande par ailleurs « si des ordres sont donnés par [le] prélat pour que les passages condamnés soient retirés des manuels des enfants (…) ».263 Les lettres des sous-préfets de Saint-Malo264 et de Vitré265 indiquent que la situation est redevenue normale et que le clergé de leur arrondissement observe l’arrêt du Conseil d’Etat. Pourtant, par une lettre adressée à l’Inspecteur d’Académie, l’instituteur de La Baussaine apprend que le curé de la paroisse fait encore réciter le catéchisme désormais interdit aux enfants qui préparent leur communion. Il ajoute de plus que « Le jeune Demay Léon n’a rien répondu au vicaire, qui l’a mis à la porte de l’église ».266 Puis il évoque le cas de son propre fils, Albert Lepannetier, qui aurait répondu à l’ecclésiastique : « mon père m’a défendu d’apprendre ces deux leçons ».267 Comme le jeune Demay, le fils de l’instituteur a été invité par le curé à quitter la salle. La suite du récit montre l’acharnement de certains ecclésiastiques pour faire appliquer ce que la justice a pourtant défendu. L’instituteur poursuit en effet en écrivant que Dès le mardi soir, le vicaire est venu me trouver pour me prier de laisser mon fils réciter 2 ou 3 questions de ces deux chapitres : j’ai refusé catégoriquement. Alors il m’a dit qu’il ne céderait pas et que mon fils ne pourrait plus retourner au catéchisme que sur une autorisation du Grand vicaire Contin. 262 - ADIV 1M147. Lettre du ministre de la justice et des cultes au préfet d’Ille-et-Vilaine du 22 août 1892. - Ibid.. 264 - ADIV 1M147. Lettre du sous-préfet de Saint-Malo au préfet d’Ille-et-Vilaine du 20 octobre 1892. Annexe. 265 - ADIV 1M147. Lettre du sous-préfet de Vitré au préfet d’Ille-et-Vilaine du 8 novembre 1892. Annexe 11. 266 - ADIV 1M147. Lettre de l’instituteur de La Baussaine à l’Inspecteur d’Académie du 27 novembre 1892. Annexe 11. 267 - Ibid.. 263 105 Ensuite qu’il parlerait en chaire de cet incident, pour me déconsidérer vis-à-vis de la population qui est pourrie réactionnaire. J’ose espérer que l’autorité compétente me sera favorable ainsi qu’à mon fils (…). 268 Il semble que l’arrêt du Conseil d’Etat a, dans une large part, été respecté par le clergé d’Illeet-Vilaine. Les prêtres et les vicaires ont été respectueux de l’autorité archiépiscopale, et ce n’est qu’exceptionnellement que certains d’entre eux ont désobéi en continuant à enseigner le catéchisme pourtant frappé d’interdit. Mais il ne s’agissait là que d’une trêve. En effet, il en faut parfois peu pour que les hostilités reprennent… Et celles-ci reprendront après la nomination, à la tête du diocèse, d’un Archevêque intransigeant, Mgr Dubourg. II. La campagne scolaire de 1909 A la fin de l’année 1909, la guerre de l’enseignement reprend à l’initiative du clergé. Le 23 octobre en effet, Mgr Dubourg a fait publier dans La semaine religieuse le catéchisme du diocèse de Rennes. Celui-ci reprend, dans ses lignes principales, celui de 1857 adopté par Mgr Brossay Saint-Marc, jadis Archevêque dans le département. Mais l’on retrouve aussi, et surtout, l’essentiel des dispositions du catéchisme de 1891. Et la question de l’enseignement y est bien sûr abordée : l’école laïque, comme on pouvait s’en douter, y est violemment attaquée. Il est curieux par ailleurs que le Conseil d’Etat n’ait pas été saisi cette fois-ci. Nous pouvons penser que l’Etat, depuis la séparation, ne s’occupe plus des affaires de l’Eglise qui demeure, dès lors, plus libre que sous le régime concordataire. Le nouveau catéchisme est ainsi rédigé : DEVOIR DES PARENTS. – « ECOLES MAUVAISES. – Les parents peuvent-ils envoyer leurs enfants à des écoles mauvaises ? – Non, les parents ne peuvent pas envoyer leurs enfants à des écoles mauvaises. Qu’entendez-vous par des écoles mauvaises ? – J’entends par écoles mauvaises, celles où les instituteurs ou institutrices mettent entre les mains des enfants des livres impies ou tiennent devant eux des propos contraires à la religion et à la morale chrétienne. Les parents commettent-ils un péché grave en envoyant leurs enfants à une école mauvaise ? – Oui, car ils exposent ainsi leurs enfants à perdre la foi et l’innocence et à se damner pour l’éternité. Que doivent faire les parents lorsqu’ils sont forcés d’envoyer leurs enfants à une école neutre où le catéchisme n’est plus enseigné ? – Ils ont l’obligation de conscience de suppléer à ce manque 268 - Ibid.. 106 d’enseignement religieux et d’apprendre eux-mêmes le catéchisme et les prières à leurs enfants. »269 A la suite de cette publication, l’ensemble du clergé d’Ille-et-Vilaine s’est rangé en ordre de bataille et a mené une offensive, par ailleurs très efficace, contre les écoles publiques. Les rapports préfectoraux rédigés à cette époque ne laissent pas de place au doute : les écoles de la République déclinent de manière significative dans le département. Le sous-préfet de Vitré commence rapidement à s’inquiéter de la tournure que prennent les événements. Il renvoie ainsi au préfet une lettre écrite par la directrice de l’école communale de Saint-Martin. Elle dresse le bilan inquiétant de la rentrée dans son établissement et explique au sous-préfet qu’elle [Vient] encore de perdre 2 élèves (les 10 et 11ème depuis août). Ces deux fillettes, les petites Chopin, route d’Ernée, nous ont quittées sur les sollicitations instantes du curé de Saint- Martin.270 La situation est semble-t-il la même dans l’arrondissement de Fougères, et plus précisément dans la commune de Dompierre-du-chemin où Six élèves sur vingt-et-un ont quitté l’école des filles, dix l’école des garçons où il ne reste plus que dix-sept élèves. 271 Jamais, depuis l’adoption de la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire, le clergé d’Ille-et-Vilaine n’aura mis autant de ferveur pour « convaincre » les pères de famille de placer leurs enfants dans les écoles libres. C’est bien d’ailleurs ce que leur reprocheront les autorités administratives qui dénonceront sans relâche la pression odieuse exercée par les prêtres sur les parents.272 L’administrateur de Vitré, dans une lettre envoyée au préfet, écrit que 269 - ADIV 1M147. Lettre de Mgr l’archevêque publiée dans La semaine religieuse du 23 octobre 1909. Annexe 11. 270 - ADIV 1M147. Lettre de la directrice de l’école primaire de Saint-Martin du 17 novembre 1909. 271 - ADIV 1M147. Lettre du sous-préfet de Fougères au préfet d’Ille-et-Vilaine du 2 novembre 1909. Le sous-préfet de Redon, dans une lettre au préfet du 9 novembre fait la même constatation. Il écrit que « des défections nombreuses et fort inquiétantes viennent de se produire dans les rangs de la population scolaire (…). 272 - La pression du clergé s’exerce également sur les instituteurs de l’école laïque. Nous sommes ainsi surpris de lire, dans le rapport du sous-préfet de Redon de septembre 1909, que « trop nombreux sont encore les maîtres d’écoles qui ne font rien pour assurer le succès de la priorité de l’enseignement laïque, et qui par crainte de l’habitant et du curé, en sont encore à prendre sur les heures de classes, pour enseigner le catéchisme aux enfants ». ADIV 1M143. 107 (…) Le clergé s’en va promenant ses menaces de ne pas faire faire la première communion aux enfants et de ne pas donner l’absolution aux parents. 273 Le même sous-préfet espère cependant que Toute cette pression sur des malheureux, [qui] produit ici un effet détestable pour la cause cléricale et cette campagne des évêques aura peut-être pour effet d’avoir au contraire réveillé à nouveau un courant d’opinion de plus en plus favorable à nos écoles laïques. 274 En ce qui concerne l’affaire des fillettes de Saint-Martin, la directrice de l’école déclare que « le curé avait menacé [la mère] de refuser la communion aux enfants si elle ne cédait pas ».275 A Dompierre, dans l’arrondissement de Fougères, la situation est pire. Le sous-préfet informe en effet son supérieur que « Maire et propriétaires menacent de la porte leurs fermiers qui oseraient leur désobéir »276 en envoyant leurs enfants dans les écoles laïques. L’attitude du clergé est, en matière d’enseignement, précisément la même que celle qu’il adopte au moment des élections. L’on ne compte plus les menaces, exécutées ou non, contre ceux qui ne voudraient pas observer les recommandations archiépiscopales. Bien entendu, ces comportements ne font que renforcer la fibre anticléricale des républicains. 273 - ADIV 1M143. Rapport du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine d’août 1909. - Ibid.. 275 - ADIV 1M147. Lettre de la directrice de l’école primaire de Saint-Martin du 17 novembre 1909. 276 - ADIV 1M147. Lettre du sous-préfet de Fougères au préfet d’Ille-et-Vilaine du 2 novembre 1909. 274 108 - Conclusion de la seconde partie - Au terme de cette seconde partie, plusieurs constatations peuvent être faites. Et tout d’abord, il est indéniable que, dans le conflit qui les opposait aux « cléricaux », et plus particulièrement au clergé, les élus d’Ille-et-Vilaine ont été moins virulents que les représentants de l’Etat et les fonctionnaires. Cela tient en grande partie au fait que la classe politique détenait son pouvoir d’une population fortement catholique et qu’ici, les suffrages ne pouvaient pas se porter sur des candidats ennemis de la religion. Cela ne signifie bien sûr pas que l’Ille-etVilaine n’a pas envoyé au Parlement des hommes issus de la gauche anticléricale. Non. Mais ces hommes savaient toujours, dans leurs discours et leurs professions de foi, rester mesurés. En revanche, certains d’entre eux n’ont pas hésité à voter les lois les plus anticléricales de la IIIème République… Il faut bien comprendre aussi que de nombreux catholiques étaient également républicains et que, parmi eux, beaucoup étaient agacés par un clergé qu’ils étaient nombreux à considérer comme trop envahisseur. Nous avons surtout le sentiment que l’anticléricalisme était, ici, un moyen de s’opposer à la main mise des ecclésiastiques sur l’ensemble des affaires civiles et politiques. En ce qui concerne les administrateurs, la logique n’est pas la même. Ils sont envoyés par le pouvoir central pour faire imposer l’idée républicaine partout en France. Or, la République a une grande ennemie : c’est l’Eglise. Cette Eglise n’a en effet jamais accepté la fin de la monarchie française277 et n’a, non plus, jamais cessé d’œuvrer en faveur des conservateurs. De plus, l’Eglise n’est-elle pas dirigée par un souverain étranger ?… C’est pour ces raisons que les gouvernements républicains qui se sont succédés depuis 1879 ont toujours cherché à réduire ce pouvoir parallèle. En se débarrassant de la puissance ecclésiale par trop encombrante, les républicains pensaient assurer la pérennité de leurs institutions. Telle était donc la mission des représentants du pouvoir gouvernemental dans les départements. Et plus ils la rempliraient avec zèle, plus les portes de la réussite s’ouvriraient à eux. 277 - Et cela malgré l’encyclique Rerum novarum de 1891 à travers laquelle le Pape Léon XIII reconnaissait officiellement le régime républicain en France. 109 L’on comprend dès lors que l’Administration républicaine dans le département ait souvent été si hostile, tant par les paroles que par les actes, envers le clergé du diocèse de Rennes. 110 - Conclusion générale ________ Nous pourrions penser qu’à la suite du vote de la loi de séparation, les anticléricaux avaient définitivement gagné la bataille qu’ils avaient engagée depuis déjà quelques décennies. Mais, pour plusieurs raisons, il serait imprudent et hâtif de tirer cette conclusion. Il est vrai que Pie X, après une longue attente, protesta énergiquement par l’encyclique Vehementer Nos 278 , tant contre le principe même de la séparation telle qu’elle avait été réalisée279, que contre l’inadmissible institution des Associations cultuelles qui constituaient un danger de schisme: Leur constitution se faisait assurément au mépris des droits de la hiérarchie sur lesquels toute l’Eglise repose. Cette protestation pouvait, de prime abord, faire penser aux républicains radicaux qu’ils étaient parvenus à toucher leur ennemi. Mais il ne faut pas s’y méprendre. La réalité fut tout autre. En effet, avec la loi de séparation disparaissait en France l’idée gallicane prise dans son acception la plus juridique. Le gouvernement, mais peut-être ne le savait-il pas encore, venait là de perdre cette occasion unique d’empiéter sur les intérêts de l’Eglise. Peut-être était-il parvenu à déstabiliser l’Institution ecclésiale durant les premiers mois qui avaient suivis le vote de la loi. Mais c’était méconnaître la capacité à rebondir des fidèles et du clergé français qui parvinrent, en réalité, à trouver des ressources pour la faire vivre. Non seulement l’Eglise semblait se relever honorablement des coups portés contre elle, mais elle avait même gagné une autonomie pleine et entière. Le Pape pouvait désormais nommer librement les évêques français sans attendre le consentement des autorités gouvernementales.280 278 - Encyclique parue le 21 février 1906. - Le Concordat n’a en effet pas été dénoncé par la voie diplomatique mais bien d’une manière unilatérale par le gouvernement français. Le Pape Pie X soulignait également que le séparatisme « constituait une négation de l’ordre surnaturel en ce qu’il limitait l’action de l’Etat à la seule poursuite de la prospérité publique durant cette brève vie, laquelle n’est que la raison prochaine des sociétés politiques ». 280 - Il en fut de même pour l’épiscopat français qui pouvait dès lors nommer librement les curés. 279 111 Nous avons aussi vu, dans le présent mémoire, que l’anticléricalisme avait souvent servi de prétexte aux républicains pour donner une consistance à leur programme politique. La question anticléricale permettait en fait d’occulter les véritables débats qui intéressaient directement le pays mais qui demandaient un courage politique pour être engagés. Il était donc difficile pour les hommes politiques issus des rangs de la gauche anticléricale, au vu de cette constatation, de changer leurs habitudes. D’ailleurs, la classe politique républicaine d’Ille-et-Vilaine n’a pas, après 1905, modifié son discours à l’endroit de l’Eglise et du clergé. L’influence exercée par ces derniers sur l’ensemble de la population fut toujours autant décriée. En revanche, la classe administrative du département a sensiblement changé sa mission : Puisque l’Etat ne pouvait plus inquiéter directement l’Eglise, il fallait bien que les préfets et sous-préfets organisent autrement la lutte. Ils se sont alors auto investis de la charge de chefs du parti républicain répondant du gouvernement de la République. Nous comprenons bien alors que l’anticléricalisme n’avait pas pris fin avec le vote de la loi qui aurait pu, pouvons-nous penser, mettre fin au climat d’hostilité entretenu largement depuis les années 1880. Mais au lieu de cela, ce fut un armistice manqué. Clemenceau était bien présomptueux lorsque, le 18 février 1892, il affirmait à la Chambre des députés que « l’avenir [désignerait] le vainqueur ». Il n’y eut en réalité ni gagnant, ni perdant. Il faudra en revanche attendre encore quelques années pour que la lutte se désamorce presque totalement. Le calme sembla en effet revenir à l’occasion des élections législatives d’avril 1914. Mais, cette année là, un autre conflit éclata… 112 BIBLIOGRAPHIE Historiographie générale : • AVON Dominique, ROCHER Philippe, Les Jésuites et la société française XIXe-XXe siècles, Toulouse, Privat, 2001, 288 pp. • BASDEVANT-GAUDEMET Brigitte, Le jeu concordataire dans la France du XIXème siècle, P.U.F., Paris, 1988, 298 pp. • BOUSCAU Franck, L’Église de France en régime de séparation : état des lieux, Revue Certitudes n° 30, Nouvelle Imprimerie Laballery, 1999, pp. 19 à 23. • DEBIDOUR Antonin, L’Église catholique et l’État sous la Troisième République (18701906), 2 vol., Paris, Librairie Félix Alcan, 1909, 634 pp. • GOYARD M., Régime concordataire et police des cultes (1801-1905), Administration et Eglises, Droz, Genève, 1987. • GRÉVY Jérôme, La République des opportunistes, Ed. 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