Lapin 401 : l`humour poétique de Guillermo León Hecho en México
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Lapin 401 : l`humour poétique de Guillermo León Hecho en México
Liaisons 8 Revue éphémère de la manifestation Hecho en México - Fabriqué au Mexique Numéro des 8 & 9 juin 2011, fabriqué par le collectif L’Organisation. Lapin 401 : l’humour poétique de Guillermo León Il s’appelle l’Homme. À son complexe de supériorité il est facile de deviner que c’est un européen. Son identité exacte importe peu. Archétype de l’homme moderne, prototype de l’homme du futur, c’est un « type bien ». Un homme blanc bien dans sa peau. Digne représentant de cette humanité urbaine qui travaille à la production d’un monde nouveau dans d’éblouissantes tours de verre. Mais c’est usant à la longue d’être cet homme parfait, productif, proactif, toujours à l’heure, ou plutôt toujours en avance sur son époque. Notre Homme a reçu comme un coup de fatigue. Du jour au lendemain, il s’est pris à rêver d’une autre vie. En proie à un désir incontrôlable de rompre avec lui-même, il a traversé l’Atlantique. Une nouvelle fois. Pour retourner à l’endroit exact de son premier amour : une plage déserte du littoral mexicain. Dans l’espoir de remonter à l’instant même où sa vie a basculé dans le vide. La pièce s’ouvre avec la vision de ses fesses. Nous le découvrons échoué sur le sable. Dans une étrange position – mais bien vivant. On dirait qu’un ouragan lui est passé sur le corps. Guillermo León construit son monologue comme un puzzle poétique. Le temps est chaotique : au spectateur de reconstituer la chronologie des faits, de remettre dans l’ordre les bribes de souvenirs, les fragments d’histoires au présent et au passé, les visions hallucinées, les errances mentales : « Si j’avais eu le choix, j’aurais préféré être une tortue ou une baleine, ce genre d’animaux marins, placides et increvables. » En quête d’« un nouveau visage et d’un cœur », l’Homme, féru de cosmogonie indienne, va rencontrer notamment un jeune homme à l’allure de Petit Prince et un lapin – animal important dans le panthéon aztèque – qui va déclencher chez lui une crise mystique. Au milieu d’une nature de plus en plus sauvage, cette sorte de Socrate new age va tenter de se laisser vivre, se laisser aller à la grande tentation de n’être rien. Mais le mal de vivre est plus fort que tout. Difficile de devenir quelqu’un d’autre au beau milieu de nulle part… Loin de l’écriture réaliste et véloce de Life on mars ?, Guillermo León déroule dans Lapin 401 une langue d’une grande densité poétique, baroque à certains endroits, et incluant comme toujours cette ironie propre au théâtre mexicain. Familier des allers-retours entre le Mexique et l’Europe, l’auteur nous tend en quelque sorte un miroir de nous-mêmes. Portrait peu flatteur d’un homme pressé, sorte de rejeton du personnage exaspérant du roman de Paul Morand. Pressé comme un citron par un système de plus en plus difficile à décrypter et critiquer. Quelle audace. Nous faire faire le voyage jusqu’au Mexique pour nous parler au final de l’« immobilité » de l’homme européen… Conscient que les frontières de la fiction n’existent plus depuis longtemps et que la littérature est avant tout carrefour des mondes, Guillermo León a également glissé dans sa pièce un peu de lui-même, de sa passion pour les lettres mexicaines, comme dans la scène où l’Homme cite de mémoire un fragment du roman de Carlos Fuentes, La Mort d’Artemio Cruz. À noter : Lapin 401 est présenté le 8 juin en version originale et le 9 juin en français. O. M. Lapin 401 de Guillermo León. Nouvelle traduction française d’Olivier Mouginot. Titre original : Conejo 401. Entretien avec Elena Guiochins, une des nouvelles voix féminines du théâtre mexicain Invitée à Lyon par le collectif l’Organisation pour la lecture de sa pièce Prendida de Las Lámparas, Elena Guiochins n’a pas pu être présente. Nous l’avons contactée par courriel et elle a bien voulu répondre à quelques questions que nous souhaitions lui poser. O. M. : Grâce au travail mené par Sylvie MonginAlgan au Nouveau Théâtre du Huitième (Lyon), le public français a pu découvrir cette année l’œuvre théâtrale de Ximena Escalante. Quelle est la place des auteures dans le paysage théâtral mexicain ? E. G. : Je crois que depuis longtemps les femmes ont Olivier Mouginot : Comment est née l’idée d’écrire enrichi le théâtre mexicain et ont contribué à sa grande une pièce dédiée à la poétesse mexicaine Rosario diversité. Il y a de nombreuses « collègues » que j’adCastellanos, disparue en 1974 ? mire et dont je respecte beaucoup le travail : Estela Elena Guiochins : Je partage avec María Inés Pinta- Leñero, Silvia Peláez, Carmina Narro, Berta Hiriart, do, productrice de théâtre, une passion pour l’œuvre Verónica Brujeiro, pour n’en citer que quelqueset la vie de Rosario Castellanos. C’est ce qui m’a unes. Certaines ont été mes professeurs et restent motivée à écrire quelque chose sur cette femme ex- pour moi des références, comme Sabina Berman. ceptionnelle, figure incontournable de la littérature O. M. : Vous avez voyagé plusieurs fois en Europe. mexicaine. À travers ma pièce, je veux notamment Que connaissez-vous du théâtre européen contemmontrer combien l’œuvre littéraire de Rosario Cas- porain ? tellanos est le résultat d’un questionnement incessant E. G. : Bien que j’aie participé à quelques festivals, je sur la condition féminine. Son talent d’écrivain est le dois avouer que je connais peu le théâtre européen. fruit d’une grande intelligence émotionnelle. Dans Ces derniers temps, je suis en contact avec des aule même temps, sa vie amoureuse et personnelle a teurs anglais dans le cadre d’un atelier de dramaturtoujours été à l’opposé de son discours intellectuel. gie organisé par le Royal Court Theatre de Londres. C’est ce paradoxe que j’ai cherché à mettre au jour. O. M. : Aujourd’hui, c’est une oeuvre qui compte O. M. : Comme traductrice, vous avez traduit en pour les mexicains ? espagnol, en collaboration avec Boris Schoemann, deux œuvres de l’écrivain québécois Daniel Danis : E. G. : Son œuvre est d’une très grande richesse, à El puente de piedras y la piel de imágenes (Le pont de l’image de sa sensibilité. La personnalité contradicpierres et la peau d’images) et El Canto del Dimetoire de Rosario Castellanos rend bien compte de Dime (Le chant du Dire-Dire). Pouvez-vous nous notre condition humaine. La pièce est un moyen parler un peu de votre conception de la traduction pour moi de renouveler l’intérêt du public mexicain théâtrale ? pour cette poétesse. D’autant que les jeunes généraE. G. : Traduire du théâtre est un processus délicat. Je tions ne la connaissent pas. trouve plus intéressant quand ce sont les auteurs qui O. M. : Vu de France, le théâtre mexicain contem- traduisent les pièces d’autres auteurs. Ils connaissent porain semble en pleine effervescence. Qu’en est-il les logiques internes de la fiction dramatique. Ils selon toi ? sont aussi plus sensibles au statut de la parole, au E. G. : Ce qui caractérise le théâtre mexicain qui poids des mots, qui font de la traduction théâtrale s’écrit et se joue aujourd’hui, c’est non seulement sa un exercice à part. Je préfère aussi quand la traducvivacité mais aussi et surtout sa grande diversité. Les tion est le fruit d’un travail personnel avec l’auteur, formes sont très nombreuses. Il y a également un notamment concernant la question de la fidélité à théâtre pour le jeune public et les adolescents. l’œuvre originale. O. M. Á découvrir : le site internet Retors propose des traductions de textes étrangers inédits en français. L’atelier n°9 s’intitule Voix du Mexique et contient des extraits de recueils poétiques, de romans, de pièces de théâtre, dont Clipperton, un texte de David Olguín, traduit par Philippe Eustachon. http://retors.net/ Amour amor : retours sur la mise en espace de Prendida de Las Lámparas Ça commence par un corps qui fait le mort sur une table. Un cimetière de lampes à son chevet. Electra morte de lumière. Le texte sort de la morte, morte au bord de la mer Morte. Tout en creux. Le corps se redresse et la parole chante. Musique de l’usure du monde. Cette femme existe par sa parole qui regarde dedans. C’est une voix de marcheuse qui dit tous les kilomètres du temps. C’est une actrice qui écrit un poème avec les pieds. Je t’aime et je marche, dit-elle, et c’est pareil. Rosario, c’est cette femme, et deux autres aussi, plus jeunes. Parole toute en dehors, force et beauté, face au creux de la mortevive. Elles fabriquent du silence, ces trois-là, comme la lumière des étoiles mortes au milieu de cette galaxie d’ampoules. Tout ce que les deux jeunes femmes poussent dehors, la morte le déplie lentement de son dedans. Quand la parole sort c’est comme si elle laissait un espace pour que quelque chose entre. Elle égare ses lunettes, perd sa moustache postiche, ses doigts caressent le drap. Toute cette place qu’elle nous offre. C’est la grâce. Comme une abeille de silence. Ph. L. Guillermo León n’existe pas : retours sur la mise en espace de Lapin 401 Bouquet final ! Le texte et le corps de l’auteur (croiton) ensemble dans l’espace. Un auteur-danseur, un poète-shaman, qui danse avec sa langue. Quelques pages éparses dans le clair-obscur. On dirait l’archéologie d’un temple oublié. Chemin de feuilles. Topographie de papier. Il y a de la magie dans l’air. Celui que l’on prend pour l’auteur est échoué sur une plage. Corps animal. Oiseau. Singe. Lézard. Tortue. Baleine. C’est un pirate du plateau. Lutin 401. Ce type fabrique de la fiction comme il respire. Escamoteur, bonimenteur, il me fait le coup du lapin. Bugs Bunny inside of me. Tirons-nous d’ici avec lui. Dans le golfe, tu m’exiques. Et tu m’embarques dans la jungle de moi. Ombilic et limbes. Quel lapin es-tu, Guillermo LeÓn ? Je vois des fourmis rouges sur ta main. Un serpent-aigle au-dessus de toi. Tu as 400 frères et sœurs. Toutes tes bouches appellent le silence. Tu m’ensonges. Je est mille autres. Ph. L. Regards d’Ángel F. Flores Martínez sur le photojournalisme au Mexique Jeune photojournaliste mexicain, Ángel F. Flores Martínez a réalisé une série de clichés sur le catch mexicain, qui a servi à illustrer les documents de communication d’Hecho en México. Profitant de sa venue à Lyon, nous lui avons demandé, à l’issue de la mise en espace de Prendida de Las Lámparas d’Elena Guiochins, de nous parler un peu du photojournalisme au Mexique. populaire est récupéré par le système pour créer une sorte de « culture de masse de la terreur tropicale », une « apologie de la peur » qui se vend bien. » « Il y a, d’un côté, les photographes « importants » et, de l’autre, les « moins importants » : ceux-là, moins novateurs techniquement, ont cependant un discours critique et leur travail est comme un « caillou « Depuis quelques années, le photojournalisme mexi- dans la chaussure » de l’establishment. » cain est devenu une référence. Malheureusement, ce n’est pas seulement dû aux qualités des photo- « Le Mexique est un thème à la mode, comme le graphes, mais aussi à cette espèce de « nature morte » sont la violence, l’ambition démesurée, le chaos, la qu’est l’exposition continuelle dans les journaux de solitude, la peur. Tijuana devient une synthèse de cette vision apocalyptique de notre époque, comme photos de corps décapités ou démembrés. » Ciudad Juárez ou Acapulco. » « Il est vrai que ces clichés font comme partie de notre Propos recueillis par Guillermo León. culture populaire, même si ce qu’on appelle culture Ici et ailleurs Guillermo León clôture Hecho en México en lisant lui-même sa pièce Lapin 401, en espagnol et en français. L’écrivain-comédien prend encore le risque de se perdre dans son propre texte, après le trouble cérébral qu’a provoqué le don poétique d’ubiquité : être à Lyon et au Mexique, être entre deux langues. Faire le grand saut depuis notre modernité en manque de repères jusqu’aux mythes les plus anciens. La fugue nous tente, nous aussi. Filer au carrefour des langues, des cultures, des pays. Dissoudre les frontières. N’est-ce pas ce que nous avons tenté au cours de ces dix rendez-vous de théâtre mexicain ? Parmi les problèmes contemporains qu’abordent les pièces que nous avons découvertes, aucun ne semble plus mexicain que français. Ils traversent l’océan à la vitesse d’une dépêche apparaissant sur un écran d’ordinateur. La violence, dont on parle chaque jour, la condition des femmes dans nos sociétés, les migrations... Comment le théâtre les représente-til ? Comment les dramaturges proposent de mettre en mouvement les idées, de résister à la peur qui annihile toute possibilité de réfléchir ou au prêt-à-penser ? Et la poésie, que peut-elle encore ? Ces questions, nous les avons posées ensemble, nous les avons abordées chaque soir. Et cela ne nous a jamais privé du plaisir qu’on éprouve à découvrir une écriture, à imaginer ce qu’elle recèle comme propositions pour la scène. PROGRAMME D’HECHO EN MÉXICO SOIRÉE D’OUVERTURE – LUNDI 9 MAI (19 H 30) Aller simple pour le paradis de Jorge Celaya SOIRÉE NO 2 – MARDI 10 MAI (19 H 30) Le Ciel dans la peau de Edgar Chías SOIRÉE NO 3 – MERCREDI 11 MAI (19 H 30) Heures de nuit de Edgar Chías Théâtre de l’Élysée 14 rue Basse Combalot, Lyon 7e. Tarif : 6 euros. 04 78 58 88 25 – [email protected] www.elysee.com SOIRÉE NO 4 – SAMEDI 14 MAI (20 H) Cafards de Rodolfo Guillén Nouveau Théâtre du Huitième (NTH8) 22 rue du commandant Pégout, Lyon 8e. Tarif au choix : 0, 5, 10, 50 ou 100 euros. 04 78 78 33 30 – [email protected] www.nth8.com SOIRÉE NO 5 – VENDREDI 20 MAI (19 H 30) Bêtes, chiennes et autres créatures de Luis Enrique Gutiérrez Ortíz Monasterio Médiathèque de Vaise Place Valmy, Lyon 9e. Entrée gratuite. 04 72 85 66 20 – [email protected] SOIRÉE NO 6 – JEUDI 26 MAI (19 H 30) Life on Mars ? de Guillermo León Librairie Le Bal des Ardents Dans Lettres mexicaines, un documentaire de Car17 rue Neuve, Lyon 1er. men Castillo sur les écrivains du nord du Mexique, Entrée gratuite. 04 72 98 83 36 – www.lebaldesardents.com la romancière Cristina Rivera Garza confie à la réalisatrice : « De nombreux domaines de connaissance SOIRÉE NO 7 – VENDREDI 27 MAI (20 H 30) nous aident à clarifier la réalité, à nous orienter, mais Prendida de Las Lámparas de Elena Guiochins je ne crois pas que la littérature serve nécessairement Maison des passages à ça ; elle est plutôt liée à un processus d’élargisse44 rue Saint-Georges, Lyon 5e. Tarifs : 8 euros / 6 euros tarif réduit. ment de le la perception. » Notre pari reste que le 04 78 42 19 04 – www.maison-des-passages.com théâtre est un espace infiniment ouvert à ce processus. Nous vous remercions d’avoir fait ce pari avec SOIRÉES NO 8 & 9 – MERCREDI 8 & JEUDI 9 JUIN (19 H 30) nous. Á très bientôt, ici et ailleurs. Lapin 401 / Conejo 401 de Guillermo León Collectif l’Organisation Institut Cervantès 58 montée de Choulans, Lyon 5e. Tarifs : 6 euros / 4 euros tarif réduit. 04 78 38 72 41 – www.lyon.cervantes.es Contributeurs : Cedric Bonfils, Adeline Isabel-Mignot, Philippe Labaune, Laetitia Lalle Bi Benie, Guillermo Léon, Olivier Mouginot. RENDEZ-VOUS A L’I.N.S.A – LUNDI 16 MAI (12 H 45) Crédits photographiques : Ángel F. Flores Martínez (Mexique). Revue conçue par le collectif L’Organisation. Maquette : Zed. Avec le soutien de la Ville de Lyon et de l’Institut Français. En partenariat avec les Éditions Le Miroir qui fume, le Théâtre de l’Élysée, le Nouveau Théâtre du Huitième, l’I.N.S.A., la Bibliothèque de Lyon, la librairie Le Bal des Ardents, la Maison des Passages, l’Institut Cervantès. Institut National des Sciences Appliquées Campus La Doua, 1 rue des Humanités, Villeurbanne. Salle René Char. Entrée gratuite.04 72 43 83 83 – [email protected] Bélize de David Olguín