CANCER ET SOPHROLOGIE - Observatoire National de la

Transcription

CANCER ET SOPHROLOGIE - Observatoire National de la
CANCER ET SOPHROLOGIE
Sylvie SICARD
Psychologue clinicienne – Sophrologue
Syndicat Inter-hospitalier Allauch – Aubagne – La Ciotat
RESUME
Le patient atteint de cancer est confronté à des ressentis corporels éprouvants qui viennent
s’inscrire dans une crise identitaire plus globale. Dans l’accompagnement psychologique de
ces patients, la sophrologie s’inscrit comme une proposition d’accéder à des ressources
internes permettant de faire face à la maladie.
Dans une relation au corps malmenée par la maladie, cette méthode peut permettre de
redécouvrir un corps apaisé mais aussi d’accompagner les transformations corporelles
induites par les traitements. Le cas de Madame M. révèle en effet la manière dont cet accès
à un corps apaisé a pu favoriser l’émergence de la parole ainsi que des ressources internes.
L’accompagnement psychologique des personnes atteintes de cancer a maintenant toute sa
place dans les lieux de soin, et de nombreux travaux témoignent de la nécessité de laisser
une place à l’expression émotionnelle ainsi que l’élaboration des vécus qui se retissent dans
une histoire de vie. C’est dans ce cadre-là qu’une approche corporelle a pris sa place dans
ma pratique de psychologue clinicienne. Ainsi l’apport d’une méthode, la sophrologie, a
constitué une ressource et une alternative possible dans l’accompagnement de ces patients.
Fondements et méthode de la sophrologie
Alfonso Caycedo, neuropsychiatre colombien installé à Madrid, crée la sophrologie en 1960.
Ses travaux sur la conscience s’inspirent de la phénoménologie, ainsi que de techniques
orientales qu’il va mettre au service de la société occidentale.
Le mot sophrologie, dans sa définition étymologique, désigne l’étude de l’harmonie de la
conscience. C’est ainsi un travail sur la conscience qui est proposé, d’où un étayage sur le
corps, support de l’ici et maintenant.
La sophrologie est introduite en France quelques années plus tard, pour donner lieu au
premier congrès de la Société Française de Sophrologie en 1968. Elle connaît un essor
important en France, ainsi qu’en Belgique, en Espagne et en Suisse. Les pays anglo-saxons
eux sont davantage centrés sur l’hypnose ainsi que la technique de relaxation de Jacobson.
1
Actuellement, la sophrologie connaît une certaine popularité en France, et elle se développe
dans le milieu médical particulièrement autour de la préparation à l’accouchement, la prise
en charge de la douleur, ainsi que l’oncologie (plusieurs Centres de Lutte contre le Cancer
proposent aujourd’hui la sophrologie à leurs patients).
Cette méthode corporelle s’inscrit dans une approche phénoménologique et accorde une
place privilégiée à la « vivance », terme utilisé par Caycedo pour désigner le vécu pendant la
séance, sans analyse ni jugements.
La méthode peut faire appel à des mobilisations corporelles (relaxation dynamique), la
respiration et la visualisation. Les séances commencent par une prise de conscience du
corps qui progressivement amène à un seuil de vigilance privilégié, puis des activations sont
proposées en fonction de l’intentionnalité de la séance. Celle-ci se termine par une reprise,
retour à l’état de vigilance ordinaire, puis un temps de verbalisation autour de ce qui a été
vécu. Le patient est donc guidé par la voix du sophrologue pendant la séance.
La sophrologie est souvent assimilée à de la relaxation, censée apporter une détente et un
bien-être immédiat. Si cette détente est l’un des effets de la méthode, sa richesse réside
néanmoins dans le but qu’elle s’est donné : l’étude de la conscience. Ce travail sur la
conscience de soi se décline ensuite vers des objectifs plus précis, selon la demande et le
domaine d’intervention du sophrologue. Car la méthode est avant tout un outil, et la manière
dont elle est utilisée dépend en grande partie du sophrologue qui l’exerce, de sa formation et
de son propre champ de compétences. Il importe de revenir à cette réalité objective, afin
d’éviter les croyances parfois associées à la sophrologie : l’idéalisation ou le scepticisme
témoignent bien souvent d’une méconnaissance de cette méthode.
Dans l’accompagnement psychologique du patient atteint de cancer, elle constitue un
support dans la relation, ainsi que la transmission d’une technique visant à mieux vivre la
maladie et les traitements. Passer par une technique, sans jamais perdre de vue l’autre dans
sa singularité.
Du corps malade au corps ressource
Pour mieux cerner les enjeux de cette approche, il nous faut revenir sur ce que la maladie
met en jeu dans le rapport au corps et les bouleversements qu’elle implique. Et c’est tout en
paradoxes que le cancer vient bousculer la connaissance et la perception du corps, alors
même que le diagnostic vient bien souvent nommer la folie des cellules invisibles, le
dysfonctionnement d’un organe silencieux, la menace de mort dans un quotidien où le corps
« fonctionnait » plus ou moins bien. Puis ce sont les traitements et leurs effets secondaires
qui amènent le corps à prendre toute la conscience de la transformation qui s’est initiée.
Ainsi la médecine agresse ce corps qui trahit, et l’imagerie médicale vient nourrir la
surveillance anxieuse de cette menace qui vient de l’intérieur.
2
Dans ce rapport au corps malmené, comment ne pas évoquer les profonds bouleversements
identitaires qui peuvent émerger de cette expérience ? C’est comme si l’atteinte corporelle
venait résonner dans tous les endroits de l’être, au sens où elle viendrait réinterroger les
identifications et les modalités de la relation à soi et au monde.
Et pourtant, dans le lieu du corps comme dans les lieux du psychique, le processus mortifère
côtoie aussi les processus de vie, le thanatos rencontre l’éros, c’est ce que nous apprennent
les patients dans la manière dont le récit qu’ils font de la maladie vient s’intégrer à l’histoire
de vie et à leur subjectivité. Combien de paroles déposées dans la rencontre avec le
psychologue témoignant de la vie amoureuse, familiale et affective ? Combien de projets
évoqués viennent « tenir » la personne à la pulsion de vie et à la tentative de réinscrire
l’événement traumatique dans une continuité de vie ?
Premières « vivances »
Prenons le chemin d’une méthode corporelle pour aller à la rencontre de ces lieux du vivant.
La séance de sophrologie propose de rencontrer le monde corporel dans une acuité plus fine
liée à la baisse de vigilance.
A ce niveau de conscience, les premières découvertes peuvent concerner des sensations de
vie : les rythmes du corps, la respiration, battements du cœur, circulation... Il s’agit alors de
redécouvrir les sensations les plus simples, vivre l’ordinaire avec un regard neuf, et prendre
conscience que ça vit en soi.
La lecture du corps effectuée en début de séance invite à revisiter les lieux du corps, or
l’attention est souvent focalisée sur la zone douloureuse ou malade. Dans ce parcours étayé
par la voix du sophrologue, la conscience peut s’élargir à l’ensemble de la corporalité et
intégrer des lieux de bien-être encore possible. Les patients que j’ai pu rencontrer par le
biais de cette approche évoquent largement une première sensation de relaxation et de bienêtre, si précieux dans ce contexte de maladie grave. Le corps n’est pas seulement souffrant,
mais il peut être vécu aussi dans sa partie saine et devenir un corps plaisir, corps apaisé.
C’est un nouveau regard qui peut alors se porter sur la corporalité.
Accompagner les transformations corporelles
Si la chirurgie est un élément essentiel du traitement de certains cancers, alors la
sophrologie est une méthode toute indiquée dans la préparation à ces opérations. Dans ce
contexte, les séances pourront être planifiées quelques temps avant l’opération et associer
un chemin de relaxation à des visualisations. Le but étant que la personne s’approprie cette
méthode, mais aussi qu’elle puisse évacuer en amont autant que possible les peurs et les
tensions liées à l’intervention.
3
Pensons également à la chirurgie lorsqu’elle vient modifier le schéma corporel, notamment
dans la mastectomie. La clinique auprès de ces patientes nous apprend le difficile travail de
deuil auquel elles sont confrontées. Il faut associer le soin à l’amputation, la guérison
possible à la mutilation. La perte dans le réel du corps s’accompagne de réaménagements
profonds. Une patiente me faisait le récit de l’histoire de ce sein avant l’opération : le sein
dans sa fonction érotique, sa féminité, mais aussi le sein qui avait nourri ses enfants. Les
résonances symboliques sont mises à jour dans l’entretien. Le travail de deuil est lent, on le
sait, mais le calendrier oblige à s’ajuster. Et avec cette perte dans le réel du corps, comment
laisser mourir en soi ce qui s’était construit depuis l’enfance ? Laisser mourir, puis accueillir
la nouvelle forme. Accompagner ce double mouvement.
Durant la séance de sophrologie, la zone amputée est nommée, dans une parole qui fait
tiers, qui contient. Visite des lieux du corps qui ont été mutilés, avec la proposition d’un
réinvestissement et d’une intégration à la globalité corporelle .
Le cas de Mme M.
Mme M. est atteinte d’un cancer du sein à 46 ans, opérée et en fin de chimiothérapie.
Encore sous les effets désagréables de ce traitement, les mois qui vont suivre s’annoncent
difficiles car elle doit subir une radiothérapie et une mastectomie. Lors du premier entretien,
elle s’exprime avec une cadence qui traduit son émotivité, la respiration s’accélère et la voix
tremble. Elle évoque alors une demande explicite : « mieux gérer ses émotions », qui
peuvent aller jusqu’à des crises d’angoisse proches de l’évanouissement. Nos entretiens
suivant révèlent une certaine contraction face à l’émergence émotionnelle, et les larmes sont
contenues. Tensions également dans la posture et la relation, jusqu’à ce que la séance de
sophrologie lui permette de dénouer cette position défensive et d’amener de la détente. Mme
M. exprime une conscience fine de ces éprouvés qui peuvent devenir envahissants, et décrit
la manière dont les battements du cœur ralentissent à mesure de la séance, les pensées se
déposent, le bien-être s’installe. C’est ce que révèle la première séance, alors que je lui
propose une lecture du corps et, après une baisse de vigilance, un temps d’observation de
sa respiration.
Mme M. pratique la natation et rapproche le vécu de la première séance à cette sensation de
bien-être qu’elle éprouve sous l’eau, isolée du monde extérieur, ce qui m’éclaire sur la
fonction apaisante de cette recherche sensorielle.
Il semble aussi que la pensée entraîne dans son sillon des angoisses débordantes, et
l’élaboration par la parole du vécu de la maladie est encore difficile.
Les séances sont centrées sur des activations respiratoires : d’abord apprivoiser les trois
étages de la respiration, le trajet de l’air, puis dans la séance suivante, associer l’inspir et
l’expir à la tension et la détente. La respiration devient le support de la relaxation. Elle
4
évoque un état de bien-être et de détente après chaque séance : « je ne pense plus à rien »,
me dit-elle.
Après ces premières séances centrées largement sur la respiration, je lui propose de
l’associer maintenant à des contenus plus imagés. La proposition est d’utiliser l’expiration
pour mettre à distance le négatif, ainsi que dans un deuxième temps utiliser le souffle pour
se remplir de positif. Je lui propose de libérer des tensions physiques, afin de ne pas
mobiliser trop directement les émotions pénibles. Effectivement elle évoque en fin de séance
les résonances dans sa vie actuelle, le poids du « négatif » et la chaîne d’images et de
pensées qui viennent s’y associer. La verbalisation est prudente, quelques larmes coulent.
Lorsque je la sollicite dans le vécu global de la séance, elle décrit à nouveau cette
respiration si agréable pour elle : « c’est comme si je flottais, je ne sens plus les sensations
désagréables de mon corps, c’est super, c’est magique ! ». Je réalise que la baisse de
vigilance et le bercement du mouvement respiratoire constituent pour elle un refuge,
davantage que les activations en elles-mêmes. Baisse des tensions physiques et
psychiques, retour à un état protégé. Mme M. évoquera à d’autres reprises cet état de
détente très profond allant presque jusqu’à l’endormissement, ainsi que cette sensation de
légèreté après les séances qui se prolonge dans la journée. Lors d’une séance
particulièrement propice à la détente, Mme M. retrouvera une image de son enfance lors
d’un travail sur l’inspiration. La montée de ce souvenir, si étonnant pour elle dans ce
moment-là, lui apportera un nouveau regard sur ce qui constitue du positif pour elle, lié à son
histoire.
Mme M. chemine avec lenteur, profite des moments agréables dans ce retour idyllique à une
absence de tensions. Les résonances se font entendre dans mes théories implicites, et les
travaux de la psychanalyse me sont d’une aide précieuse. Mais les « résistances »
manifestées dans l’accompagnement m’apprennent à maîtriser mon impatience et
m’amènent à me libérer progressivement d’un désir d’une « efficacité » trop rapide.
Mme M. semble savourer la découverte de cette méthode, et par là même la découverte
d’un chemin d’apaisement momentané. Il s’agit là de reconstituer un sentiment de sécurité
interne, étayage nécessaire dans la traversée de la maladie et des traitements agressifs.
Mme M. renoue également avec la dimension du plaisir et me le fait savoir : « la respiration,
me dit-elle, je sens que c’est bénéfique pour moi ». Les sourires spontanés, la posture
corporelle, les bâillements et les étirements en fin de séance, sont autant de moments
privilégiés dans une relation à l’autre plus détendue.
Mme M. commence à apprivoiser les séances dans son quotidien. La respiration constitue
une ressource dans les moments difficiles, elle évoque avec enthousiasme cette capacité en
elle à recontacter un souffle apaisé lorsque c’est nécessaire pour elle.
5
Un espace de bien-être
La sophrologie s’inscrit ici dans le respect des positions défensives, et propose une plongée
dans les ressources propres de la personne. Pour Mme M., la respiration, mobilisée dans un
état de relaxation, se fait apaisante et constitue un appui dans son quotidien. C’est en allant
à la rencontre de cette capacité et en soutenant les vécus « positifs » qu’il pourra peut-être y
avoir une libération de la parole, parole perçue comme moins dangereuse lorsqu’elle émerge
d’un état de bien-être. Ce type de séance a une fonction contenante et propose donc un
accès à des ressources intérieures qui émergent à la conscience à l’occasion du travail
corporel. De la même manière que les tensions corporelles se dénouent lors de la séance,
les résistances à l’expression émotionnelle, bien légitimes pour Mme M. aux vues de
l’angoisse qu’elles suscitent, peuvent s’abaisser alors même qu’une sécurité interne est
vécue par la patiente, lui permettant doucement, à son rythme, d’apprivoiser les peurs et de
les verbaliser ensuite.
Ainsi c’est l’aspect relationnel et clinique de l’accompagnement qui va guider le sophrologue
dans l’élaboration des séances, à distance des protocoles qui pourraient masquer la
singularité et la sensibilité individuelle.
Le récit de cette rencontre témoigne aussi d’une demande fréquente des patients en
traitements : trouver un espace de bien-être, à l’image d’une bulle protectrice, alors qu’ils
sont pris dans des vécus corporels d’agression voire d’intrusion. Par ailleurs, la maladie a fait
traumatisme, et il faudra du temps pour qu’elle se réinscrive dans une continuité psychique,
puis dans une continuité de vie. Cette temporalité particulière est à prendre en compte, et
l’élaboration de cette expérience prendra sens parfois des années après la guérison. Face à
cette demande d’un bien-être « immédiat » ou d’une meilleure « gestion des émotions », la
vigilance du sophrologue ici « clinicien » sera de tenir compte de la force des non dits, des
évitements, et de ne pas nier la dimension inconsciente de la relation et de l’implication dans
la méthode.
Ainsi la sophrologie constitue une méthode d’accompagnement au quotidien dans la
traversée de la maladie, mais aussi dans la vie quotidienne lorsque la personne reprend
pieds dans un temps rendu à ses cycles, lorsque la maladie s’éloigne de la conscience et
laisse s’ébaucher un avenir dont la relation au corps sera peut-être renouvelée.
© Springer-Verlag France 2009 – DOI 10.1007s/11839-009-0146-9 Psycho-oncologie - 3:184-187
6