palestine : agir maintenant - L`observatoire des armements
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palestine : agir maintenant - L`observatoire des armements
n° 88 - 1er trimestre 2001 — 40 FF. / 6,1 € Dessin paru dans Le Monde du 10 avril 2001 ISSN 0296-1199 DA MOCLÈS PALESTINE : AGIR MAINTENANT Vers un nouveau mouvement de paix en Israël ? • Conférence des Nations unies : attirer l’attention sur les armes légères • Impact du transfert des activités d’entretien des SNA à Brest • Notes de lecture REVUE DE RÉFLEXIONS ET D'ÉCHANGES SUR LA PAIX, LES CONFLITS ET LA SÉCURITÉ MUTUELLE D AMOCLÈS S O M M A I R E • Conflit israélo-palestinien Vers un nouveau mouvement de paix en Israël ? Gush Shalom : Quatre-vingts thèses pour un nouveau camp de la paix en Israël ..................................... 4 Responsable de la rédaction : ..................................................... 6 Rapport : Palestine, agir maintenant ................................................................... 13 Appel à la création urgente d’une force d’interposition en Palestine ........................................................... 17 • Campagne Le Terrible, enfant de la prolifération nucléaire française ............... 18 • De Brest à Toulon Transfert des activités d’entretien des SNA : quel impact à Brest ? ............................................................................................................ 20 • Conférence des Nations unies de 2001 Attirer l’attention sur les armes légères Revue trimestrielle de réflexions et d’échanges sur la paix, les conflits et la sécurité mutuelle ........................................................... 22 • Étude ......................................... 28 ................................................................................................. 29 ....................................................................................................................... 32 La coopération militaire française en question Patrice Bouveret Comité de rédaction : Bruno Barrillot, Patrice Bouveret, Belkacem Elomari, Bernard Ravenel, Michel Robert, Jean-Luc Thierry 187 montée de Choulans F-69005 Lyon Tél. 04 78 36 93 03 Fax 04 78 36 36 83 Attention nouvelle adresse e-mail : [email protected] • Bonnes feuilles La mondialisation armée • Notes de lecture • Bulletin d'abonnement ...................................................................................................... 35 Retrouvez toute l’actualité du Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits sur Internet : Ont participé à ce numéro : Bruno Barrillot Patrice Bouveret Christian Brunier Xavier Collard Belkacem Elomari Guy Morvan Bernard Ravenel Michel Robert Thierry Sauvin Claude Serfati La reproduction des articles est autorisée à condition d'en indiquer la source et de nous faire parvenir un exemplaire de la publication. www.obsarm.org DAMOCLÈS est édité par le Centre de Documentation et de Recherche sur la Paix et les Conflits. 1er trimestre 2001 É DITORIAL L’ inversion de calendrier ne devrait pas toucher seulement les élections présidentielles et législatives… En effet, le ministère de la défense avait annoncé que la loi de programmation militaire 2003-2008 (traçant les grandes lignes directrices pour l’organisation de la défense et des armées et surtout fixant les priorités pour la fabrication des équipements militaires) serait soumise au vote durant le printemps 2001. Or, à ce jour, aucune date n’a encore été fixée sur l’ordre du jour parlementaire, aucun document n’a été soumis aux députés, les commissions de la défense des deux assemblées n’ont pas encore nommé les rapporteurs pour avis… Plusieurs raisons sont évoquées officieusement du possible report du vote de la loi après les élections présidentielles et législatives d’avril et juin 2002 : un désaccord sur le montant des crédits alloués à l’équipement des armées pour les années à venir entre le président de la République et le premier ministre… Jacques Chirac, qui au début de son septennat a mis en route le chantier de la professionnalisation de l’armée souhaite que les crédits d’équipements — qui représentent grosso modo la moitié de l’ensemble des dépenses militaires — soient de l’ordre de 92 milliards de francs par an, en augmentation par rapport au budget actuel… Le ministère des finances propose une enveloppe oscillant aux alentours de 82 milliards de francs, en fait au mieux le maintien des dépenses à leur niveau actuel… En période pré-électorale, cette querelle de chiffres pourrait bien faire « mauvais genre » face aux priorités d’ordre social comme le plein emploi, la santé, l’éducation, etc. D’autant qu’il est maintenant admis par tous que la France n’a plus d’ennemi à ses portes… Et cela sans compter le fait que la cohabitation ne favorise pas l’élaboration d’un compromis, même s’il faut bien chercher pour trouver des différences entre les conceptions de la gauche et de la droite en matière de défense… Une seconde divergence se superpose à celle sur le montant des dépenses : la question de l’intégration militaire au niveau européen. En effet, Paul Quilès, le président de la commission de la défense lors d’un récent colloque à l’Assemblée nationale en janvier dernier a affirmé lors de son intervention « qu’il serait préférable qu’il n’y ait pas pour l’instant de nouvelle loi de programmation militaire » car si elle « devait être présentée au Parlement dans les mois qui viennent, elle ne pourrait véritablement prendre en compte l’exigence européenne ». Se demandant même si « cette absence de programmation […] ne pourrait pas avoir un effet salutaire »… D’accord, mais pour cela il faudrait que le débat sorte des cercles restreints dans lesquels il est confiné et qu’une inversion soit opérée au niveau de l’élaboration de la loi de programmation militaire. En effet, de manière schématique actuellement ce sont les états-majors qui établissent leur « catalogue » sur lequel le gouvernement opère un premier tri et ensuite le débat se déroule dans les assemblées parlementaires sur les montants alloués… La discussion porte sur les moyens sans qu’il y ait auparavant un véritable débat politique et public sur les objectifs de la défense. En effet, quand le projet de loi est déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat, il est déjà quasi bouclé… les parlementaires ne peuvent intervenir que sur la marge du projet. Damoclès 3 Damoclès n° 88 INTIFADA Vers un nouveau mouvement de paix en Israël ? G ush Shalom (Bloc de la paix ; mouvement créé en 1993) vient de rédiger un texte — publié par le quotidien Ha’aaretz du 13 avril dernier — sous forme de quatre-vingts points afin de provoquer un débat au sein de la société israélienne sur le développement d’un nouveau camp de la paix en Israël. Un document important à l’heure où les lueurs d’espoirs d’un règlement du conflit israélo-palestinien semblent plus éloignées que jamais… Bernard Ravenel 4 « La rupture du vieux camp de la paix rend nécessaire la création d’un nouveau camp israélien de la paix qui soit dans la réalité, remis à jour, efficace et fort, qui puisse influencer le public israélien et provoquer une réévaluation complète des vieux axiomes, afin d’effectuer un changement du système politique israélien. » « Pour ce faire, le nouveau camp de paix doit amener l’opinion publique à une réévaluation courageuse du « récit » national et le débarrasser des faux mythes. Il doit tâcher d’unir les versions historiques des deux peuples dans un « récit » simple, exempt de tromperies historiques, qui sera acceptable par les deux parties. » Avec cette double thèse (n° 76 et 77), le mouvement pacifiste radical israélien, Gush Shalom, dont l’animateur le plus connu est Uri Avnery 1, fixe l’ambition stratégique du projet. Dans le contexte où il se situe, il faut mesurer la portée de cette démarche. En effet, chaque jour qui passe, il devient toujours plus violemment évident qu’en Palestine s’est mise en mouve- ment une machine infernale tragique dont en ne voit pas l’issue. Une tragédie qui semble bouleverser toutes les coordonnées de la logique politique, de la négociation : les protagonistes désormais sont les mitrailleuses lourdes des tanks israéliens et les actes de terrorisme de groupes extrémistes. La gauche et les pacifistes israéliens sont marginalisés et Yasser Arafat qui condamne les attentats en est affaibli. Toutes les voies ou sentiers de la paix ont été détruits : Madrid, Oslo, Camp David sont les noms de l’illusion d’une époque révolue. En Palestine, c’est l’addition et la multiplication de deux tragédies, celle des Juifs et celle des Palestiniens chassés de leurs terres et humiliés dans leur dignité. Et chacune des parties ne voit pas — ou mal — la tragédie de l’autre : Jérusalem est le lieu symbolique de cette précipitation vers la catastrophe. L’échec de Ehud Barak et le succès d’Ariel Sharon ont initié l’extraordinaire accélération de ce processus destructif. Destructif non seulement pour les Palestinien auxquels Ariel Sharon ne reconnaît aucun droit sinon celui de la sujétion mais aussi pour Israël. Aux journalistes du Figaro qui lui demandent si dans cette manière de procéder Israël ne risque pas de perdre son identité, Ariel Sharon répond : « Nous pouvons compter sur les 1er trimestre 2001 VERS UN NOUVEAU MOUVEMENT DE PAIX EN ISRAËL ? Palestiniens pour que cela n’arrive jamais. » Ariel Sharon, le « guerrier », affirme, contre l’avis de beaucoup d’Israéliens pourtant angoissés par le terrorisme, que l’identité et la vie d’Israël se fondent sur la guerre continuelle. Le terrorisme devient ainsi produit et ressource essentielle de sa politique. On ne voit pas d’issue. Les Palestiniens les plus favorables à la paix entre les deux peuples se demandent si ce qui se passe ne démontre pas que le seul moyen d’arriver à des négociations vraies ne passe pas à travers l’action violente. C’est dans ce contexte dramatique qu’en Israël, dans la société civile, émerge une opposition à cette folle politique. Cette contestation prend différentes formes : appels d’intellectuels et d’écrivains, refus de jeunes soldats ou de rappelés — près d’un millier de cas connus — de faire leur service dans les territoires occupés. C’est la prise de conscience progressive du mouvement La Paix maintenant qui s’autonomisant enfin du Parti travailliste, rompt le silence en décembre dernier pour demander l’évacuation des colonies de peuplement 2. Mais le moteur principal a été et reste l’action courageuse et initialement très minoritaire du mouvement Gush Shalom qui dès le début de l’Intifada a entendu se manifester. Et maintenant, à travers son analyse de la situation, il a senti la nécessité d’un saut qualitatif pour être à la hauteur des défis terribles qui sont devant lui. D’où ces thèses qui apparaissent comme un tournant culturel fondamental de la problématique du mouvement de paix israélien. Elles contribuent à dépasser la fragilité d’un mouvement devenu incapable d’accomplir une double opération : — vaincre la résignation diffuse de ceux qui ne veulent pas la guerre mais qui, se sentant incapables d’unifier une réelle volonté de paix, estiment ne pouvoir rien faire pour l’empêcher, faisant ainsi, involontairement, le jeu des va-t-en guerre ; — dépasser la simple exigence immédiate « Nous ne voulons pas la guerre » par sa détermination à vouloir savoir où sont les racines de la guerre, à les étudier et à les attaquer. Or, ces racines, les thèses le démontrent, sont historico-politiques et seules leur connaissance non superficielle permet de dépasser l’émotivité immédiate, de s’appuyer sur une argumentation politique forte pour fonder une proposition qui fait de la logique de paix la condition du changement. Ce qui est un fait historique nouveau dans la mesure où aujourd’hui, comme le rappelle la thèse 11, « vu la vitesse de développement des armes de destruction de masse, d’autres rounds d’hostilité pourraient mener à la destruction de toutes les parties en conflit ». Pour renverser l’hégémonie culturelle de la violence, cette nécessité historique contraint à qualifier politiquement cette paix permettant le passage d’un pacifisme immédiat et émotif comme choix éthique, à un pacifisme qui se situe d’emblée dans la sphère politique, là où se joue le destin de la guerre et de la paix. Au MoyenOrient comme ailleurs 3. Quels rapports ce nouveau mouvement de paix pourrait-il avoir avec cet autre mouvement socio-politique qu’est l’Intifada ? Comment celle-ci va-t-elle se situer par rapport à la logique de guerre qui semble l’emporter ? À ces questions comme à d’autres, l’Intifada est déjà confrontée. À partir de ces thèses, Gush Shalom établit les fondements d’un dialogue politique inévitable pour définir ensemble une politique commune au MoyenOrient, une politique de paix au Moyen-Orient, c’est-àdire une politique fondée sur l’application du droit. ▲ 1) Uri Avnery, qui a combattu dans les rangs de la Haganah en 1948, a été très tôt un acteur du dialogue israélo-palestinien. Il a écrit en particulier Mon frère l’ennemi (Éditions Liana Lévi) en 1986 où il raconte treize ans de combat pour une paix judéo-arabe. 2) Le Monde, du 6 décembre 2000. 3) Lire la préface de Michel Warschawski au livre d’Isabelle Avran, Israël-Palestine : les inventeurs de la paix, Éditions l’Atelier, 2001. Il y écrit notamment : « … il faut reconstruire un discours de paix qui puisse être commun aux deux peuples, il faut inventer la paix » (p. 11). inq ans après Barcelone qui avait défini un partenariat euro-méditerranéen, la conférence de Marseille en novembre 2000 se proposait de redéfinir le rapport politique entre les deux rives de la mer commune avec l’adoption d’une « Charte de paix et de stabilité ». À cette occasion, nous avons publié un document rédigé par Bernard Ravenel analysant le contexte et les enjeux de ce processus dit « de Barcelone ». 112 pages C Disponible auprès du CDRPC, 187 montée de Choulans, 69005 Lyon 75 F. / 114,34 € port compris 5 Damoclès n° 88 GUSH S HALOM Quatre-vingts thèses pour un nouveau camp de la paix en Israël 1. Le processus de la paix s’est effondré et a entraîné avec lui une grande partie du camp israélien de la paix. 2. Les circonstances passagères, telles que des questions personnelles ou partisanes, les échecs de la conduite, l’intérêt politique personnel, les développements politiques nationaux et mondiaux — tous ceux-ci sont comme la mousse au-dessus des vagues. Si importants qu’ils puissent être, ils ne peuvent pas, en juste proportion, expliquer totalement l’effondrement. 3. La véritable explication peut seulement être trouvée sous la surface, aux racines du conflit historique entre les deux nations. 4. Le processus Madrid-Oslo a échoué parce que les deux côtés cherchaient à réaliser des buts contradictoires. 5. Les buts de chacun des deux côtés ont émané de leurs intérêts nationaux de base. Ils ont pris forme à partir de leurs récits historiques, par leurs vues disparates du conflit au cours des cent vingts dernières années. La version historique nationale israélienne et la version historique nationale palestinienne sont entièrement contradictoires, dans leur ensemble et dans tous les détails. 6 6. Les négociateurs et les décideurs du côté israélien ont agi dans l’oubli complet du récit national palestinien. Même lorsqu’ils ont eu une sincère bonne volonté d’arriver à une solution, leurs efforts ont été condamnés à échouer car ils ne pouvaient pas comprendre les désirs, les traumatismes, les craintes et les espoirs nationaux des Palestiniens. Même s’il n’y a aucune symétrie entre les deux parties, l’attitude palestinienne était semblable. 7. La résolution d’un aussi long conflit historique est possible seulement si chaque côté est capable de comprendre le monde spirituel-national de l’autre et disposé à l’approcher comme un égal. Une attitude peu sensible, condescendante et autoritaire exclut n’importe quelle possibilité d’une solution d’accord. 8. Le gouvernement de Ehud Barak, qui avait inspiré tellement d’espoir, a été affecté par toutes ces attitudes, d’où, l’énorme abîme entre sa promesse initiale et les résultats désastreux. 9. Une partie significative du vieux camp de paix (également appelé « sioniste de gauche » ou « collège électoral raisonnable ») est pareillement affectée et s’est donc effondrée avec le gouvernement qu’elle a soutenu. 10. Le premier rôle d’un nouveau camp israélien de la paix doit donc être de se débarrasser des faux mythes et de la vision unilatérale du conflit. Ceci ne signifie pas que le récit israélien doive automatiquement être rejeté et le récit palestinien être accepté sans contestation. Mais la situation exige l’écoute avec un esprit ouvert et la compréhension de l’autre position dans le conflit historique, afin de jeter un pont entre les deux récits nationaux. 11. Toute autre manière mènera à la poursuite éternelle du conflit, avec des périodes de tranquillité apparente et de conciliation fréquemment interrompues par des éruptions d’actions hostiles violentes entre les deux nations et entre Israël et le monde arabe. Vu la vitesse de développement des armes de destruction de masse, d’autres rounds d’hostilité pourraient mener à la destruction de toutes les parties en conflit. 1er trimestre 2001 Les racines du conflit 12. Le conflit israélo-palestinien est la suite du désaccord historique entre le mouvement sioniste et le peuple arabe palestinien, un désaccord qui a commencé à la fin du XIXe siècle et qui est encore à conclure. 13. Le mouvement sioniste était essentiellement, une réaction juive à l’apparition en Europe des mouvements nationaux, qui étaient hostiles aux Juifs. Après avoir été rejetés par les nations européennes, certains Juifs décidèrent de s’établir en nation indépendante et suivant le nouveau modèle européen, pour installer leur propre État national où ils pourraient être les maîtres de leur propre destin. Le principe de la séparation, qui a formé la base de l’idée sioniste, a eu des conséquences à long terme. La doctrine sioniste de base, celle qu’une minorité ne peut pas exister dans un État national homogène selon le modèle européen, a conduit plus tard à l’exclusion pratique de la minorité nationale dans l’État sioniste qui vint à l’existence cinquante ans après. 14. Des motifs traditionnels et religieux ont conduit le mouvement sioniste vers la Palestine (Eretz Israël en hébreu) et la décision a été prise d’établir l’État juif sur cette terre. La maxime était : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre. » Cette maxime a été non seulement inspirée par l’ignorance, mais également par l’arrogance générale envers les peuples non-européens qui existait en Europe à ce moment-là. 15. La Palestine n’était pas vide — pas à la fin du XIXe siècle ni à aucune autre période. À ce moment-là, il y avait un demi-million de personnes habitant en Palestine, 90 % d’entre eux étaient des Arabes. Cette population s’est opposée naturellement, à l’incursion d’une autre nation sur ses terres. 16. Le mouvement national arabe a émergé presque simultanément avec le mouvement sioniste, pour combattre au début l’empire ottoman et ensuite les régimes coloniaux qui lui ont succédé à la fin de la Première Guerre mondiale. Un mouvement national indépendantiste arabe palestinien s’est développé dans le pays après que les Anglais eurent créé un État séparé appelé « Palestine » et dans le cours de la lutte contre l’infiltration sioniste. 17. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, il y a eu une lutte continuelle entre les deux mouvements nationalistes, le sionisme juif et le mouvement arabe palestinien qui, tous les deux, ont aspiré à réaliser leurs buts — qui s’opposent entièrement — sur le même territoire. Cette situation demeure sans changement à ce jour. 18. Comme la persécution juive en Europe s’intensifiait, et comme les pays du monde fermaient leurs portes aux Juifs essayant de se sauver de l’enfer, le mouvement sioniste a ainsi gagné en force. L’Holocauste qui a pris les vies de six millions de Juifs, a donné la puissance morale et politique à la revendication sioniste. Cela a conduit à l’établissement de l’État d’Israël. 19. Les Palestiniens, étant témoins de la croissance de la population juive sur leur terre, ne pouvaient pas com- D OCUMENT prendre pourquoi on leur demandait de payer le prix des crimes commis contre les Juifs par les Européens. Ils se sont violemment opposés à la poursuite de l’immigration juive et à l’acquisition des terres par les Juifs. 20. L’oubli total par chacun des deux peuples de l’existence nationale de l’autre a inévitablement mené aux perceptions fausses et tordues qui ont pris racine profondément dans la conscience collective de ces deux peuples. Ces perceptions affectent leur attitude de l’un envers l’autre jusqu’à ce jour. 21. Les Arabes ont considéré que les Juifs avaient été implantés dans le pays par l’impérialisme occidental afin de subjuguer le monde arabe et prendre le contrôle de ses trésors. Cette conviction a été renforcée par le fait que le mouvement sioniste a essayé, dès le début, d’obtenir une alliance avec au moins une puissance occidentale (Allemagne, Grande-Bretagne, France, États-Unis) pour surmonter la résistance arabe. Les résultats étaient une coopération pratique et une communauté d’intérêts entre l’entreprise sioniste et les forces impérialistes et colonialistes, dirigées contre le mouvement national arabe. 22. Les Juifs, d’autre part, ont été convaincus que la résistance arabe à l’entreprise sioniste — prévue pour sauver les Juifs des flammes de l’Europe — était la conséquence de la nature meurtrière des Arabes et de l’islam. À leurs yeux, les combattants arabes étaient des « gangsters », et les soulèvements du temps ont été appelés des « émeutes ». (En fait, dans les années 1920, le chef sioniste le plus extrême, Ze’ev Jabotinsky, était presque seul à reconnaître que la résistance arabe à l’installation sioniste était une réaction inévitable, normale et de ce point de vue une juste réaction d’un peuple « indigène » défendant son pays contre les envahisseurs étrangers. Ze’ev Jabotinsky a également reconnu le fait que les Arabes dans le pays étaient une entité nationale indépendante et ridiculisa des tentatives faites pour suborner les chefs d’autres pays arabes afin de mettre un terme à la résistance arabe palestinienne. Cependant, la conclusion de Ze’ev Jabotinsky était d’ériger un « mur d’acier » face aux Arabes et de briser leur résistance par la force. 23. La contradiction totale dans la perception des faits affecte chaque aspect du conflit. Par exemple, les Juifs ont interprété leur lutte pour « le travail juif » comme un effort social progressiste de transformer une nation de négociants et de spéculateurs en une nation d’ouvriers et de fermiers. Les Arabes, d’autre part, l’ont vue comme tentative criminelle de la part des sionistes de les déposséder de les expulser du marché du travail et de créer, sur leur terre, une économie juive indépendante, sans Arabe. 24. Les sionistes étaient fiers de leur « Rédemption par la terre ». Ils l’avaient achetée à sa juste valeur avec de l’argent rassemblé par des Juifs du monde entier. Les « Olim » (nouveaux immigrés, littéralement pèlerins) qui avait été des intellectuels et des négociants dans leur ancienne vie, maintenant gagnaient leur vie à la sueur de leur front. Ils ont cru qu’ils avaient réalisé tout ceci par moyen paisible et sans déposséder un seul Arabe. Pour 7 Damoclès n° 88 les Arabes c’était un récit cruel de dépossession et d’expulsion : les Juifs ont acquis les terres de riches propriétaires fonciers arabes absents et ensuite ils ont de force expulsé les fellahin qui, pendant des générations, y avaient vécu et avaient gagné leur vie sur ces terres. Pour les aider dans cet effort, les sionistes ont engagé la police turque et, plus tard, la police britannique. Les Arabes regardaient cela désespérément pendant que les terres leur étaient prises. 25. Contre la proclamation sioniste d’avoir avec succès « transformé le désert en jardin », les Arabes ont cité les témoignages des voyageurs européens qui décrivaient la Palestine comme une terre peuplée depuis plusieurs siècles et florissante à l’égal de n’importe lequel de ses voisins régionaux. L’indépendance et le désastre 8 26. Le contraste entre les deux versions nationales a atteint un sommet lors de la guerre de 1948, une guerre appelée « la guerre de l’indépendance » ou même « la guerre de libération » par les Juifs, et « El Naqba », le désastre, par les Arabes. 27. Alors que le conflit s’intensifiait dans la région, et avec l’impact retentissant de l’Holocauste, les Nations unies décidaient de diviser le pays en deux États, juif et arabe. Jérusalem et ses environs étaient censés rester une unité indépendante, sous juridiction internationale. Aux Juifs étaient attribués 55 % de la terre y compris le Néguev non peuplé. 28. Le mouvement sioniste a accepté le plan de partition, convaincu que la question cruciale était d’établir une base ferme pour la souveraineté juive. Lors des réunions à huis clos, David Ben-Gourion n’a jamais caché son intention d’augmenter, à la première occasion, le territoire donné aux Juifs. C’est pourquoi la déclaration de l’indépendance d’Israël n’a pas défini les frontières du pays et le pays est resté sans frontières définies jusqu’à ce jour. 29. Le monde arabe n’a pas accepté le plan de partition et l’a considéré comme une vile tentative des Nations unies, qui était essentiellement alors un club des nations occidentales et communistes, de diviser un pays qui ne lui appartenait pas. La remise de la majeure partie du pays à la minorité juive, qui représentait un seul tiers de la population, l’a rendu plus impardonnable à leurs yeux. 30. La guerre lancée par les Arabes suivant le plan de partition était, inévitablement, une guerre « ethnique », un type de guerre dans lequel chaque côté cherche à conquérir autant de terre que possible et expulse la population de l’autre côté. Une telle campagne (qui plus tard a été dénommée « nettoyage ethnique ») implique toujours des expulsions et des atrocités. 31. La guerre de 1948 était une prolongation directe du conflit sioniste-arabe dans lequel chaque côté a cherché à atteindre ses objectifs. Les Juifs ont voulu établir un État national homogène qui serait aussi grand que possible. Les Arabes ont voulu supprimer l’entité juive sioniste qui avait été établie en Palestine. 32. Les deux côtés ont pratiqué le nettoyage ethnique comme partie intégrale du combat. Il n’y avait pas beaucoup d’Arabes restant dans les territoires conquis par les Juifs et aucun Juif n’est resté dans les territoires conquis par les Arabes. Cependant, comme les territoires conquis par les Juifs étaient de loin plus grands que ceux capturés par les Arabes, le résultat n’était pas équilibré. (L’idée d’un « échange de population » et d’un « transfert » a été évoquée dans les organisations sionistes, dès les années 1930. Effectivement cela signifiait l’expulsion de la population arabe du pays. De l’autre côté, beaucoup parmi les Arabes ont cru que les sionistes devraient retourner vers là d’où ils étaient venus). 33. Le mythe du « petit nombre face au grand nombre » a été cultivé par les Juifs pour décrire la situation de la communauté juive de six cent cinquante mille personnes contre le monde arabe entier de plus de cent millions. La communauté juive a perdu 1 % de ses membres dans la guerre. Les Arabes ont dépeint un tableau complètement différent : une population arabe fragmentée, sans direction nationale pour parlementer, sans commandement unifié dirigeant ses maigres forces, avec peu d’armes et la plupart du temps désuètes, confrontée à une communauté juive extrêmement bien organisée, bien entraînée dans l’utilisation de ses armes. Les pays arabes voisins ont trahi les Palestiniens et, quand ils ont finalement envoyé leurs armées, ils se sont principalement comportés en concurrents les uns des autres, sans coordination et aucun plan commun. Du point de vue social et militaire, les possibilités de combat du côté israélien étaient de loin supérieures à ceux des États arabes, qui avaient à peine émergé de l’ère coloniale. 34. Selon le projet des Nations unies, l’État juif était censé inclure une population arabe s’élevant à environ 40 %. Pendant la guerre, l’État juif a étendu ses frontières et a fini par s’approprier 78 % de la surface du pays. Ce secteur était presque exempt d’Arabes. Les populations arabes de Nazareth et de quelques villages en Galilée sont demeurées presque accidentellement ; les villages dans ce triangle avaient été donnés à Israël au terme d’un marchandage avec le roi Abdallah et n’ont pas pu, en conséquence, être évacués. 35. Dans la guerre un total de sept cent cinquante mille Palestiniens ont été déracinés. Certains d’entre eux ont fui par crainte des combats, comme les populations civiles le font dans chaque guerre. Certains ont été chassés par des actes de terreur tels que le massacre de DirYassin. D’autres ont été systématiquement expulsés au cours du nettoyage ethnique. 36. Non moins important que l’expulsion est le fait qu’on n’ait pas permis aux réfugiés de retourner dans leurs maisons quand les combats furent terminés, comme cela se pratique après une guerre conventionnelle. Bien au contraire, le nouvel Israël a vu le déplacement des 1er trimestre 2001 POUR UN NOUVEAU CAMP DE LA PAIX EN ISRAËL Arabes tout à fait comme une bénédiction et a procédé à la démolition totale de quatre cent cinquante villages arabes. De nouveaux villages juifs ont été construits sur les ruines et de nouveaux noms hébreux leur ont été donnés. Les maisons abandonnées dans les villes étaient repeuplées avec de nouveaux immigrés. « Un État juif » 37. La signature des accords de cessez-le-feu à la fin de la guerre de 1948 n’a pas apporté un terme au conflit historique. Celui-ci a, en fait, atteint des degrés nouveaux et plus intensifs. 38. Le nouvel État d’Israël a consacré ses premières années à consolider son caractère national homogène comme « État juif ». Des grandes surfaces du territoire ont été expropriées au détriment des « absents » (les réfugiés), de ceux officiellement désignés comme « absents de fait » (des Arabes qui sont physiquement restés en Israël, mais à qui on n’a pas permis de devenir des citoyens) et même des arabes citoyens d’Israël, à la plupart desquels les terres ont été retirées. Sur ces terres un réseau dense de communautés juives a été créé. Les « immigrés » juifs ont été invités à venir en masse et même cajolés. Ce grand effort a multiplié plusieurs fois la puissance de l’État, rien qu’en quelques années. 39. Dans le même temps l’État a vigoureusement conduit une politique pour effacer l’entité palestinienne comme entité nationale. Avec l’aide israélienne, le monarque de Transjordanie, Abdallah, prit le contrôle de la rive occidentale et depuis lors il y a, en effet, une garantie militaire israélienne de l’existence du royaume de la Jordanie. 40. La raison principale du traité entre Israël et le royaume hashémite, qui est resté en vigueur pendant trois générations, était d’empêcher l’établissement d’un État indépendant arabe-palestinien, qui était considéré — alors et maintenant — comme un obstacle à la réalisation de l’objectif sioniste. 41. Un changement historique s’est produit à la fin des années 1950 du côté palestinien quand Yasser Arafat et ses associés ont fondé le mouvement du Fatah conçu pour libérer le mouvement palestinien de la surveillance des gouvernements arabes. Ce n’est pas par accident que ce mouvement a émergé après l’échec de la grande conception pan-arabe dont le représentant le plus renommé était Gamal Abd-el Nasser. Jusqu’à ce moment-là beaucoup de Palestiniens avaient espéré être absorbés dans une nation unie pan-arabe. Quand cet espoir s’est dissipé, l’identité palestinienne nationale indépendante est réapparue. 42. L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a été créée par Gamal Abd-el Nasser pour empêcher une action palestinienne autonome qui aurait pu l’impliquer dans une guerre peu désirée avec Israël. L’organisation a été prévue pour imposer l’autorité égyptienne au-dessus des Palestiniens. Cependant, après la défaite arabe dans la guerre de juin 1967, le Fatah, mené par Yasser Arafat, a pris le contrôle de l’OLP et a été depuis l’unique représentant des Palestiniens. « La guerre des six jours » 43. La guerre de juin 1967 est vue sous une lumière très différente par les deux côtés, comme chaque incident au cours des cent vingt dernières années. Selon le mythe israélien, c’était une guerre défensive désespérée, qui a miraculeusement rapporté beaucoup de terres dans les mains d’Israël. Selon le mythe palestinien, les chefs de l’Égypte, de la Syrie et de la Jordanie sont tombés dans un piège tendu par Israël afin de capturer tout ce qui restait de la Palestine. 44. Beaucoup d’Israéliens croient que « la guerre de six jours » est la racine de tout le mal et que c’est seulement après qu’Israël, alors progressiste et aimant la paix, s’est transformé en conquérant et occupant. Cette conviction leur permet de soutenir la pureté absolue du sionisme et de l’État d’Israël jusqu’à ce moment-là dans l’histoire et de préserver leurs vieux mythes. Il n’y a aucune vérité dans cette légende. 45. La guerre de 1967 était encore une autre phase de la vieille lutte entre les deux mouvements nationaux. Elle n’a pas changé d’essence ; elle a seulement changé de circonstances. Les objectifs essentiels du mouvement sioniste — un État juif, son expansion, et une colonisation — progressaient à grands pas. Les circonstances particulières ont rendu impossible dans cette guerre, un nettoyage ethnique étendu mais plusieurs centaines de milliers de Palestiniens ont été néanmoins expulsés. 46. Par le plan de partition de 1947, 55 % du territoire (de Palestine) était attribué à Israël, ensuite 23 % ont été annexés durant la guerre de 1948 et maintenant les 22 % restants, à travers « la ligne verte » (la ligne d’armistice avant 1967), ont été également annexés. En 1967 Israël par inadvertance a regroupé les Palestiniens (y compris des réfugiés) sous son autorité. 47. Dès la fin de la guerre, le mouvement de colonisation a commencé. Presque chaque faction politique dans le pays a participé à ce mouvement depuis le messianique et nationaliste « Gush Emunim » jusqu’au mouvement « gauchiste » uni des Kibboutz. Les premiers colons ont reçu un large appui de la plupart des politiciens, de gauche et de droite, de Yigal Alon (la colonie juive de Hebron) à Shimon Peres (la colonie de Kdumim). 48. Le fait que tous les gouvernements d’Israël aient cultivé et développé les colonies, quoique à des degrés différents, montre que l’aspiration aux colonies ne se limitait à aucun camp idéologique spécifique et s’étendait au mouvement sioniste tout entier. On a suscité le sentiment qu’une petite minorité conduisait le mouvement des colonies, mais c’était illusoire. Seul un effort soutenu de la part de tous les organismes gouvernementaux depuis 1967 et jusqu’à ce jour a pu produire l’infrastructure législative, stratégique et budgétaire exigée pour un effort aussi durable et coûteux. 9 Damoclès n° 88 49. L’infrastructure législative incorpore la prétention fallacieuse que l’autorité d’occupation est le propriétaire « des terres, propriété de l’État », bien que ce soient les réserves de terre essentielles de la population palestinienne. Il est de soit évident que le mouvement des colonies viole le droit international. 50. Le conflit entre les partisans du « plus grand Israël » et ceux du « compromis territorial » est essentiellement un conflit sur la manière de réaliser l’aspiration sioniste de base : un État juif homogène sur un territoire aussi grand que possible. Les partisans du « compromis » soulignent la question démographique et veulent empêcher l’inclusion de la population palestinienne dans l’État. Les partisans du « plus grand Israël » mettent l’accent sur la question géographique et croient (en privé ou publiquement) qu’il est possible d’expulser la population non juive du pays (nom de code : « transfert »). 51. L’état-major de l’armée israélienne a joué un rôle important dans la planification et la construction des colonies. Il a réalisé la carte des colonies (élaborée avec Ariel Sharon) : des blocs de colonies et des routes de déviation, latérales et longitudinales, de sorte que la rive occidentale et la bande de Gaza soient découpées en morceaux et que les Palestiniens soient emprisonnés dans des enclaves isolées, chacune étant entourée par des colonies et des forces d’occupation. 52. Les Palestiniens ont utilisé plusieurs méthodes de résistance, principalement des raids à travers les frontières de Jordanie et du Liban et des attaques à l’intérieur d’Israël et partout dans le monde. Ces actes sont qualifiés de « terroristes » par les Israéliens tandis que les Palestiniens les considèrent comme la résistance légitime d’une nation occupée. La direction de l’OLP, dirigée par Yasser Arafat, a été longtemps considérée par les Israéliens comme une direction terroriste, mais elle a été progressivement reconnue internationalement comme « représentant légitime unique » des Palestiniens. 53. Quand les Palestiniens se sont rendu compte que ces actions ne mettaient pas un terme à la vague de colonisation, qui leur a graduellement retiré la terre de dessous les pieds, ils ont lancé à la fin de 1987 l’Intifadah — un soulèvement de la base dans tous les secteurs de la population. Durant cet Intifadah, mille cinq cents Palestiniens ont été tués, parmi eux des centaines d’enfants, un chiffre plusieurs fois supérieur à celui des pertes israéliennes. Le processus de paix 10 54. La guerre d’octobre 1973 — qui a débuté avec la victoire par surprise des forces égyptiennes et syriennes et a culminé avec leur défaite — a convaincu Yasser Arafat et ses proches associés que l’action militaire ne permettra pas d’atteindre les objectifs nationaux palestiniens. Il a décidé de s’embarquer sur une voie politique pour conclure un accord avec Israël et pour permettre, au moins par la négociation, la réalisation partielle des buts nationaux. 55. Pour engager ce processus, Yasser Arafat a établi pour la première fois des contacts avec des personnalités israéliennes qui pouvaient avoir un impact sur l’opinion publique et sur la politique gouvernementale en Israël. Ses émissaires (Hamami et Issam Sartawi) ont rencontré des figures publiques israéliennes, les pionniers de paix qui en 1975 établirent « le Conseil israélien pour la paix israélo-palestinienne ». 56. Ces contacts ainsi que la fatigue croissante de l’Intifadah ressentie par les Israéliens, le retrait jordanien de la rive occidentale, les changements des conditions internationales (l’effondrement du bloc communiste, la guerre du Golfe) ont conduit à la conférence de Madrid et, plus tard, aux accords d’Oslo. Les accords d’Oslo 57. Les accords d’Oslo ont eu des qualités positives et négatives. 58. Du côté positif, ces accords ont amené Israël à reconnaître pour la première fois officiellement le peuple palestinien et sa direction nationale et ont amené le mouvement national palestinien à reconnaître l’existence d’Israël. À cet égard l’accord (et les lettres qui l’ont précédé) ont eu une importance historique primordiale. 59. En effet, les accords ont donné au mouvement national palestinien une base territoriale sur la terre palestinienne, la structure d’un « État en formation » et des forces armées — éléments qui devaient jouer un rôle important dans la lutte palestinienne en cours. Pour les Israéliens, les accords ont ouvert les portes au monde arabe et ont mis un terme aux attaques palestiniennes — aussi longtemps que les accords sont demeurés en vigueur. 60. La faille la plus réelle dans ces accords était que les deux côtés ont espéré atteindre des objectifs entièrement différents. Les Palestiniens les ont considérés comme des accords provisoires préparant le terrain à la fin de l’occupation, l’établissement d’un État palestinien sur tous les territoires occupés. De leur côté, les gouvernements israéliens respectifs les ont considérés comme une manière de maintenir l’occupation dans de grands secteurs de la rive occidentale et de la bande de Gaza, avec le gouvernement autonome palestinien remplissant le rôle d’une agence auxiliaire de sécurité protégeant Israël et les colonies. 61. Oslo n’a donc pas représenté le commencement d’un processus pour mettre fin au conflit mais, plutôt, une nouvelle phase différente du conflit. 62. Comme les espérances des deux côtés étaient très divergentes et comme chacun est demeuré entièrement lié à son propre « récit » national, chaque section des accords a été interprétée différemment. Finalement, bien des points de ces accords n’ont pas été respectés, principalement par Israël (le troisième retrait, les quatre passages protégés, etc.). 1er trimestre 2001 POUR UN NOUVEAU CAMP DE LA PAIX EN ISRAËL 63. Pendant toute la période du « processus d’Oslo » Israël, a continué sa vigoureuse expansion des colonies, principalement en en créant de nouvelles sous divers prétextes, élargissant celles qui existaient, établissant un réseau minutieux de routes de « déviation », expropriant les terres, démolissant des maisons et déracinant les plantations, etc. Les Palestiniens, de leur côté, ont passé leur temps à établir leur force, dans le cadre des accords et en dehors. En fait, la confrontation historique a continué, inchangée, sous l’apparence de négociations et du « processus de paix », qui est devenu un substitut de la paix réelle. 64. En opposition avec son image, qui s’est renforcée après son assassinat, Yitzhak Rabin a maintenu le conflit actif « sur le terrain », tout en organisant simultanément un processus politique pour réaliser la paix aux conditions israéliennes. Comme il était un adepte du récit « sioniste » et a accepté sa mythologie, il a souffert d’une crise de conscience quand ses espoirs pour la paix ont été en contradiction avec sa conception du monde conceptuel. Il s’avère qu’il a commencé à intérioriser quelques parties du récit historique palestinien seulement à la fin de sa vie. 65. Le cas de Shimon Peres est beaucoup plus grave. Il s’est créé une image internationale de conciliateur et a même adapté son langage pour refléter cette image (« le nouveau Moyen-Orient ») tandis qu’il restait essentiellement un faucon sioniste traditionnel. Ceci est apparu clairement dans la courte et violente période où il a servi comme premier ministre après l’assassinat de Yitzhak Rabin et encore dans son acceptation actuelle du rôle de porte-parole et d’apologiste d’Ariel Sharon. 66. L’expression la plus claire du dilemme israélien a été fournie par Ehud Barak qui est venu au pouvoir complètement convaincu de sa capacité de couper le nœud gordien du conflit historique dans une course dramatique, à la manière d’Alexandre le Grand. Ehud Barak a approché le problème en ignorant totalement le récit palestinien et en méprisant son importance. Il a présenté ses propositions comme des ultimatums et était consterné et furieux par leur rejet. 67. À ses yeux et à ceux de la partie israélienne dans son ensemble, Ehud Barak a « retourné chaque pierre » et a fait aux Palestiniens des « propositions plus généreuses que n’importe quel premier ministre précédent ». En échange, il voulait que les Palestiniens s’engagent à « terminer le conflit ». Les Palestiniens ont considéré ceci comme une prétention absurde puisque Ehud Barak leur demandait effectivement d’abandonner leur aspiration nationale fondamentale, telle que le droit au retour, la souveraineté sur Jérusalem-Est et sur le Mont du Temple. En outre, alors qu’Ehud Barak présentait les revendications pour l’annexion de territoire comme une question de pourcentages négligeables (« blocs de colonies »), selon des calculs palestiniens, ceci s’est élevé à une annexion réelle de 20 % de la terre au-delà de la ligne verte. 68. Selon la vision palestinienne, ils avaient déjà fait le compromis décisif en acceptant d’établir leur État à l’intérieur de la ligne verte, dans simplement 22 % de leur patrie historique. Par conséquent, ils pouvaient seulement accepter les changements de frontière mineurs dans le contexte de permutations territoriales. La position israélienne traditionnelle est que les acquis de la guerre de 1948 sont des faits établis qui ne peuvent pas être discutés et le compromis exigé doit se fixer sur les 22 % restant. 69. Comme cela se produit avec la plupart des termes et des concepts, le mot « concession » a des significations différentes pour les deux côtés. Les Palestiniens croient qu’ils ont « déjà concédé 78 % » de leur terre quand ils sont d’accord pour en accepter 22 %. Les Israéliens croient qu’ils « concèdent » quand ils sont d’accord pour accorder à la partie palestinienne ces mêmes 22 % (la rive occidentale et la bande de Gaza. 70. Le sommet de camp David, l’été 2000, qui a été imposé à Yasser Arafat contre sa volonté, était prématuré et a poussé les choses à leur paroxysme. Les demandes d’Ehud Barak, présentées au sommet comme celles de Bill Clinton, étaient que les Palestiniens acceptent de finir le conflit en cédant sur le droit au retour et sur le retour lui-même, en acceptant des arrangements compliqués sur Jérusalem-Est et le Mont du Temple, sans obtenir de souveraineté sur eux ; qu’ils soient d’accord sur de grandes annexions territoriales sur la rive occidentale et la bande de Gaza, sur une présence militaire israélienne dans d’autres grands secteurs et sur le contrôle israélien des frontières séparant l’État palestinien du reste du monde. Aucun chef palestinien ne voudrait jamais signer un tel accord et ainsi le sommet s’est terminé dans l’impasse et l’arrêt des carrières de Bill Clinton et Ehud Barak. L’Intifadah d’El-Aqsa 71. La rupture du sommet, l’élimination de tout espoir d’un accord entre les deux parties et la position inconditionnellement pro-israélienne des Américains, a mené inévitablement à un autre round de confrontations violentes, qui ont gagné le titre d’Intifadah d’El-Aqsa. Pour les Palestiniens, c’est un soulèvement national justifié contre l’occupation prolongée, qui n’a aucune fin en vue et qui permet le retrait continuel et quotidien de leur terre de dessous leurs pieds. Pour les Israéliens, c’est un accès de terrorisme meurtrier. Les auteurs de ces actes apparaissent aux Palestiniens comme des héros nationaux et aux Israéliens comme des criminels impitoyables qui doivent être liquidés. 72. Les médias officiels en Israël ne mentionnent plus le mot des « colons », mais parlent des « résidents » contre qui toute attaque est un crime contre des civils. Les Palestiniens considèrent les colons comme l’avant-garde d’une force ennemie dangereuse dont l’intention est de les déposséder de leurs terres et elle doit être défaite. 11 Damoclès n° 88 73. Une grande partie du « camp de la paix » israélien s’est désintégré pendant l’Intifadah al-Aqsa et il s’avère que plusieurs de ses convictions ont eu des pieds d’argile. Particulièrement après que Ehud Barak ait « retourné chaque pierre » et ait fait « des propositions plus généreuses que n’importe quel premier ministre précédent », le comportement palestinien fut incompréhensible à cette partie du « camp de la paix », puisqu’il n’avait jamais opéré une révision complète du « récit sioniste » et n’avais pas intériorisé le fait qu’il y a aussi « un récit palestinien ». La seule explication restante était que les Palestiniens avaient dupé le camp israélien de paix, qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de faire la paix et que leur vrai but était de jeter les Juifs à la mer, comme la droite sioniste l’a toujours déclaré. 74. Comme résultat, la ligne de division entre la « droite » et la « gauche » sioniste a disparu. Les chefs du parti travailliste ont rejoint le gouvernement d’Ariel Sharon et sont devenus ses apologistes les plus efficaces (Shimon Peres) et même l’opposition gauchiste formelle (Yossi Sarid) a participé. Ceci montre que le récit sioniste est toujours le facteur décisif unificateur de toutes les facettes du système politique en Israël, rendant insignifiantes les distinctions entre Rehavam Zeevi et Avraham Burg, Yitzhak Levi et Yossi Sarid. 75. Il y a un déclin notable de la bonne volonté palestinienne de rouvrir un dialogue avec les forces israéliennes de paix, conséquence de la déception totale « du gouvernement de gauche » qui avait inspiré tellement d’espoir après les années Netanyahou, et aussi conséquence du fait qu’indépendamment de petits groupes radicaux de paix, on n’a entendu aucune indignation israélienne aux réactions brutales des forces d’occupation. La tendance à serrer les rangs, typiques chez n’importe quelle nation dans une guerre de la libération, rend possible que des forces nationalistes et religieuses extrêmes du côté palestinien s’opposent à toute tentative de coopération israélo-palestinienne. Un nouveau camp de la paix 12 76. La rupture du vieux camp de paix rend nécessaire la création d’un nouveau camp israélien de paix qui soit dans la réalité, remis à jour, efficace et fort, qui puisse influencer le public israélien et provoquer une réévaluation complète des vieux axiomes afin d’effectuer un changement du système politique israélien. 77. Pour ce faire, le nouveau camp de paix doit amener l’opinion publique à une réévaluation courageuse du « récit » national et le débarrasser des faux mythes. Il doit tâcher d’unir les versions historiques des deux peuples dans un « récit » simple, exempt de tromperies historiques, qui sera acceptable par les deux parties. 78. Tout en faisant ceci, il doit également instruire le public israélien qu’à côté de tous les aspects beaux et positifs de l’entreprise sioniste, une injustice terrible a été faite aux Palestiniens. Cette injustice, qui a connu un sommet pendant la « Naqba », nous oblige à en assumer la responsabilité et à la corriger autant qu’il est possible. 79. Avec une nouvelle compréhension du passé et du présent, le nouveau camp de paix doit formuler un plan de paix basé sur les principes suivants : i) Un État palestinien indépendant et libre sera établi à côté d’Israël. ii) La ligne verte sera la frontière entre les deux États. Si cela est convenu entre les deux parties, des échanges territoriaux limités peuvent être possibles. iii) Les colonies israéliennes seront évacuées du territoire de l’État palestinien. iv) La frontière entre les deux États sera ouverte aux mouvements des personnes et des marchandises, selon des arrangements pris d’un commun accord. v) Jérusalem sera la capitale des deux États — Jérusalem occidentale, la capitale d’Israël et Jérusalem-Est, la capitale de la Palestine. L’État de Palestine aura la souveraineté complète sur Jérusalem-Est, y compris Haram alSharif (le Mont du Temple). L’État d’Israël aura la souveraineté complète sur Jérusalem occidental, y compris le Mur occidental et le quartier juif. Les deux États concluront un accord sur l’unité de la ville au niveau physique municipal. vi) Israël reconnaîtra, en principe, le droit des Palestiniens au retour comme un droit de l’homme inaliénable. La solution pratique au problème proviendra d’un accord basé sur des considérations justes, loyales et pratiques et inclura le retour sur le territoire de l’État de Palestine, le retour sur l’État d’Israël et des compensations. vii) Les ressources en eau seront contrôlées conjointement et allouées par accord, équitablement et loyalement. viii) Un accord de sécurité entre les deux États assurera la sécurité de chacun et prendra en compte les besoins spécifiques de sécurité d’Israël aussi bien que de la Palestine. ix) Israël et la Palestine coopéreront avec d’autres États de la région, pour établir une communauté du MoyenOrient modelée sur l’Union européenne. 80. La signature d’un accord de paix et son exécution honnête de bonne foi mènera à une réconciliation historique entre les deux nations, basée sur l’égalité, la coopération et le respect mutuel. Traduction réalisée par Guy Morvan POUR TOUT CONTACT Gush Shalom P.O. Box 3322, Tel Aviv 61033, Israël e-mail : [email protected] Internet : http://www.gush-shalom.org 1er trimestre 2001 POUR UN NOUVEAU CAMP DE LA PAIX EN ISRAËL RAPPORTPalestine : agir maintenant E n complément au débat sur le mouvement de paix en Israël, nous publions de large extraits du rapport de la mission d’information qui s’est rendue en Palestine et Israël du 20 au 26 janvier 2001*. Ramallah (en zone A) nous avons rencontré des ONG palestiniennes, des membres de la coordination PNGO, des représentants des courants politiques palestiniens, la Coordination politique de l’Intifada, des personnalités du monde artistique et culturel, des universitaires. À Jérusalem, nous avons pris contact avec le consulat et ses services culturels, et avec la représentation de l’Union européenne en Palestine ; la délégation a été invitée à participer à un « petit déjeuner de travail » par la délégation parlementaire européenne présente du 21 au 28 janvier 2001 en Israël-Palestine. Nous avons rencontré également des représentants d’ONG israéliennes du « camp de la paix » et le député Asmi Bishara, un représentant élu des Palestiniens citoyens israéliens. La délégation s’est rendue en outre « sur le terrain ». Nous avons souhaité porter une attention particulière aux conditions régnant dans les zones rurales, hors des zones A. À Haïfa où la minorité palestinienne est importante, nous avons rencontré la coordination des ONG arabes « Ittijah » qui travaille en étroite coopération avec le PNGO en Cisjordanie et à Gaza et avec le Forum des ONG palestiniennes du Liban. Nous avons pu prendre connaissance des documents transmis la veille par le Haut Comité de suivi des citoyens arabes d’Israël à la Commission officielle d’enquête sur les événements du mois d’octobre 2000, où treize citoyens israéliens arabes ont trouvé la mort. D’autre part nous nous sommes rendus à deux reprises dans les villages et bourgades de la région de Ramallah et entre Ramallah et Naplouse (en zone B et C) une première fois pour faire le point avec un animateur de l’association PARC sur les problèmes de développement agraire et d’aménagement du territoire en Cisjordanie depuis l’Intifada ; et une seconde fois pour À évaluer les méthodes et l’impact des actions mises en œuvre par les militaires israéliens pour réprimer par des procédés violents ou insidieux les manifestations de résistance à l’occupation. Nous avons visité enfin au sud de Jérusalem la ville et la région d’Hébron, où la présence militaire israélienne, en protection d’une colonie intégriste israélienne au centre de la ville — théoriquement de zone A, instaure un régime d’état de siège et une situation psychologique particulièrement tendue en raison des provocations quotidienne des colons. L’intérêt pour la situation des villages vise à compenser la couverture médiatique insuffisante sur ce qui se passe hors des villes ou de leurs abords. Pour les Palestiniens, la défense des territoires et la survie des villages actuellement assiégés et harcelés par l’armée israélienne et les colons armés revêt une charge symbolique et politique essentielle. Les villages bien entendu ne sont pas peuplés que de paysans mais aussi de salariés qui y habitent et qui normalement vont travailler en zone B ou A. […] *Cette mission d’information a été décidée suite au forum civil Euromed à Marseille qui s’est déroulé en novembre 2000 (cf. Damoclès n° 86 et n° 87). Elle était composée de : Jean-Paul Chagnollaud, professeur des Universités ; Thierry Fabre, chercheur à la Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme ; Pierre Galand, du Comité européen de coordination pour la Palestine (CECP) ; Alain Joxe, directeur de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales ; Monique Prim du Forum des citoyens de la Méditerranée et de Giovanna Tanzarella, de la Coordination du réseau culture du forum civil Euromed. POUR TOUT CONTACT Forum des citoyens de la Méditerranée : Tél : 01 42 43 06 15 • e Mail [email protected] 13 Damoclès n° 88 Le sens stratégique de la répression israélienne Le bruit court que tels « sièges » de villages par coupure de route, d’eau ou d’électricité survient en représailles pour tel ou tel incident ou tir ou assassinat d’Israéliens, survenus parfois très loin de là. Dans la région de collines du nord de Ramallah on parlait en janvier d’une représailles pour un meurtre de colon survenu dans la région de Tulkarem. On souhaiterait presque que cela fonctionne ainsi. La dimension la plus exaspérante de leurs action c’est leur caractère aléatoire et inexplicable. On attribue aux Israéliens une rationalité vengeresse qui peut être n’existe pas, en tout cas pas dans tous les cas, car le harcèlement est ubiquitaire et constant. Les interventions militaires de Tsahal en Cisjordanie ont l’allure de décisions locales micro-stratégiques. Parfois même le style et la durée de la coupure peut dépendre des gradés inférieurs de l’armée, à qui est explicitement laissé une responsabilité autonome dans le cadre de consignes générales variables. Cette autonomie ellemême est un facteur de risque aléatoire particulier auquel s’ajoute l’imprévisibilité des tirs et des interventions violentes des milices des colonies, auxquelles l’armée n’oppose pas d’obstacle. Néanmoins les actions locales sont toujours faites en fonction d’une connaissance globale de la carte des routes et de la géographie des flux. Les responsables Palestiniens estiment qu’il ne s’agit pas seulement d’une tactique de « punishment », de représailles collectives disproportionnées certes, mais au coup par coup comme la propagande israélienne le prétend, mais plutôt d’une stratégie plus politique visant à la soumission à long terme par une attrition prolongée et une guerre économique et psychologique sans relâche contre la population civile. La mission d’information se rallie à cette interprétation, sur la base des détails précis que nous avons relevés. Ce plan d’opérations correspond à une école bien précise de manipulation déstabilisante. Mais il est clair que la répression exercée sous cette forme, l’impunité des responsables de cette oppression, le danger quotidien, l’humiliation répétitive, et la violation permanent des droits de l’homme, ne peut que susciter — et non apaiser — de nouvelles réactions violentes. La résistance palestinienne au quotidien 14 On constate d’ailleurs, avec un étonnement admiratif, qu’en fait la réaction compensatrice à ce harcèlement n’est pas essentiellement violente : la consigne est partout désormais que la vie doit continuer, les camions doivent passer, les enfants doivent aller à l’école, les boutiques doivent rester ouvertes, les services sociaux et les activités économiques ne doivent pas être interrompus… Il s’est développé une culture de la résistance quotidienne qui consiste en des réactions très rapides des habitants, des chauffeurs de taxis et bus, des services locaux et municipaux, dans l’invention de ripostes « logistiques » efficaces. Un barrage de route peut être effacé ou violé s’il n’est pas gardé par des tireurs. Chaque village encer- clé cherche à se rouvrir sur le réseau routier en remettant en service des chemins ruraux. Un bon nombre de chemins ont même été améliorés durablement par un passage de bulldozer. Les campagnes sont ainsi remplies de files de taxis collectifs et de camions qui cahotent sur des pistes et à chaque croisement s’échangent des informations sur l’état des barrages ; celles-ci sont répercutées en temps réel sur l’ensemble du réseau, par les téléphones portables devenus un instrument vital pour contrer l’action israélienne. La science des contournements s’organise avec un coût élevé en temps perdu, usure du matériel, fatigue. Malgré les carences alimentaires et l’obstacle systématique aux déplacements médicaux, des malades, des blessés, des femmes en couches, que les Israéliens ont appliqué en octobre, novembre, décembre 2000 et appliquent encore en janvier 2001 aux villages assiégés, quand ils en ont l’occasion ; malgré le grand nombre de récoltes détruites ou non récoltées depuis novembre, malgré le blocus il existe une résistance tenace et astucieuse de tous les instants qui implique une volonté civique de survie et des solidarités exemplaires. La visite organisée par l’ONG PARC (Palestinian Agricultural Relief Committees) a permis de mieux définir le caractère détaillé et acharné d’une lutte populaire des villages pour la défense de leur terroir qui a déjà une longue histoire. Ce qui explique la résistance particulièrement vive opposée par les habitants dans la phase actuelle de l’Intifada et des opérations de siège et de harcèlement que nous décrivons dans le paragraphe suivant. Du fait du régime d’occupation militaire et de la législation israélienne qui donne pleins pouvoir à l’armée pour gérer l’eau et décréter un terrain d’intérêt militaire, l’arbitraire presque total règne, en dernière instance, dans les Territoires en ce qui concerne les régimes fonciers le régime de l’eau, la circulation des personnes et des biens. Les populations en zone C sont donc incessamment en lutte pour limiter les empiétements des colonies qui s’appuient en dernière instance sur le régime militaire et les abus ou agressions ou destructions de l’armée. Mais le recours aux moyens légaux demeure possible en avantdernier recours. La lutte pour le maintien des propriétés palestiniennes passe aujourd’hui par la mise en terrasses et la mise en culture de terres normalement laissées en jachère… Ces aménagements sont politiques autant qu’économiques : une terre non cultivée, au titre de la loi ottomane peut toujours être reprise par l’État. PARC gère en Cisjordanie et à Gaza d’importants crédits de développement et d’aménagement rural, en relation directe avec les municipalités et les regroupements techniques divers. L’amorce d’une modernisation de l’agriculture se mesure au nombre des silos intercommunaux, des station d’épuration des eaux usées, des châteaux d’eaux, des réservoirs d’eaux pluviales, des puits profonds, des dessertes par chemins vicinaux carrossables pour évacuation des récoltes ou importation d’engrais. La campagne autour de Ramallah est normalement dans une phase de modernisation qui bénéficie d’ailleurs de l’aide européenne et de la Banque mondiale. Les actions israéliennes visent explicitement à freiner ou à détruire les 1er trimestre 2001 PALESTINE : AGIR MAINTENANT acquis des dernières modernisations. Exemples : des tranchées ont été creusées pour fermer l’accès à un silo intercommunal, une station d’épuration des eaux usées prototype subventionné par la France est privée d’électricité ; en octobre novembre les coupures de routes ont empêché l’évacuation des récoltes et leur commercialisation des réservoirs sont systématiquement la cible des colons postés en snipers dans les colonies toujours en surplomb ou sur les routes de contournements. Dans le contexte de l’Intifada PARC a également mis en place tout un réseau pour l’écoulement de la production d’huile d’olive, qui malgré les difficultés de la récolte s’est avérée exceptionnelle. À travers l’association « El Marsad » s’organise une campagne de boycott des produits des colonies, qui en Cisjordanie s’étend aux produits israéliens, avec comme objectif de promouvoir des produits et des productions de substitution palestiniens et arabes. Une Intifida de village Il faut éviter de croire que ce système est une espèce d’escarmouche inoffensive de bande dessinée, et qu’on se promène autour du village d’Astérix, bien qu’il y ait quelque chose de cela. Les Romains occupants sont toujours ridicules, mais ici, les militaires comme les colons tirent avec des fusils d’assaut sur des populations totalement désarmées. Ce qui n’était pas tout à fait le cas en ville, pendant l’Intifada. La mission a pu observer ainsi, par hasard au détour d’une route moyenne, une petite route locale montant vers un village, coupée par un fossé profond, et à coté une petite « garnison de barrage » soit cinq à dix hommes en casque lourd et gilets pareballes, dont un gradé, qui tiraient, comme à l’exercice, sur des enfants qui leur lançaient des pierres et sautaient comme des cabris derrière des tas de pierres ou des arbres à cent mètres de là. Après avoir d’abord pris notre groupe pour cible en lui ordonnant de partir, comme nous continuions d’avancer, le gradé, un jeune homme de vingt ans accepta d’expliquer ce qu’il faisait : — Vous voyez ce qu’ils font, disait-il, réellement indigné, ils nous jettent des pierres ! Autrement dit l’armée était en état de légitime défense. — Mais qui a fait ce fossé ? — C’est nous ! ce matin — Pourquoi ? Interdiction de rester, interdiction d’aller au village, interdiction de poser des questions. Le chauffeur de taxi à peine nerveux préférait partir. Cependant les tireurs ne cessaient pas un seul instant de tirer, et les enfants de sautiller Quelques pierres atterrissaient mollement aux pieds des Romains furieux. Renseignements pris le barrage avait été organisé après sept heures du matin mais avant le passage du bus scolaire. Comme le bus se présentait normalement vers huit heures, les enfants avaient été obligés de descendre à pied pour le rejoindre sur la route principale. Le poste militaire avait ordonné au bus scolaire de repartir, tout en ordonnant aux enfants de rentrer au village. Certains frustrés d’école, étaient restés au contact pour faire leur Intifada. Le bilan de l’affrontement connu plus tard par téléphone, fut de deux jeunes blessés, dont un gravement touché à la tête. À l’heure qu’il est personne ne peut dire si ce village est encore assiégé ou pas et sur quelle décision et pour quelle raison ancienne ou nouvelle. Coordination politique L’actuelle Intifada s’est dotée d’une coordination politique, née, à l’origine, d’un comité de défense des étudiants de Bir Zeit soumis à la répression de l’Autorité palestinienne bien avant l’Intifada. Ce comité s’est ensuite perpétué avec des taches de coordination liées à l’Intifada qu’elle a au début accompagnée puis encadrée pour mettre en œuvre une certaine coordination tactique. Elle regroupe aujourd’hui quatorze organisations politiques (toutes les composantes de l’OLP plus le Hamas et le Djihad, entre autre). Elle a une importance particulière en Cisjordanie du fait que l’Autorité palestinienne est en général plus présente à Gaza qu’à Ramallah, ce qui semblerait se traduire par une relative autonomie et une liaison plus nécessaire avec les mouvements de base. Cette coordination a désigné un porte-parole commun et s’entend sur les lignes principales qui définissent la résistance actuelle sans aucune divergence notable entre ses composantes. Contrairement à ce que l’on avait vu lors de la première Intifada, les Palestiniens considèrent comme on l’a vu que la vie doit continuer. Ce style s’accompagne d’une volonté déterminée de ne plus cesser la résistance au régime d’occupation : « Cette Intifada sera la dernière, dit-on, elle ne cessera pas avant la fin de l’occupation ! » Rôle de la société civile La défense des villages c’est à la fois : — la défense d’une souveraineté pratique sur les mouvements dans le futur territoire national ; — la défense de la circulation des flux vitaux entre terroirs, villages et villes. Cette défense en zone B et C, sous contrôle de l’armée israélienne, est nécessairement prise en charge par la société civile elle-même, car l’armée israélienne demeure maîtresse du terrain. Quant à l’Autorité palestinienne, même si elle est présente en zone B, elle n’y n’a que des compétences civiles ; la police palestinienne est trop faible pour créer un rapport de force. Dans cet espace, la violence de l’occupation israélienne se manifeste sans relâche d’une façon semi-aléatoire. Mais la défense palestinienne se construit aussi sans cesse par des actions populaires de base, largement spontanées ou improvisées par les réseaux familiaux, professionnels et économiques, appuyés par les organes techniques de l’Autorité et par la coordination politique de l’Intifada, toutes ces instances organisationnelles et décisionnelles apparaissent comme des lieux de la capacité démocratique de la société civile plutôt que de l’autorité centrale. C’est dans cette perpective que la solidarité des ONG, du mouvement associatif, des syndicats 15 Damoclès n° 88 et des élus locaux en Europe peut trouver ses correspondants naturels et contribuer à la résistance et à la vie de la société démocratique palestinienne. Conclusions et recommandations L’information concrète sur les actions israéliennes a été importante, pour interpréter le but politique et stratégique des provocations militaires incessantes en zone B et C, au moment même ou la phase finale spectaculaire et « optimiste » de la conférence de Taba occupait les médias. La mission est arrivée à quelques conclusions sur ce tournant qui reposent en grande partie sur les observations concrètes, autant et plus que sur l’analyse des déclarations d’intentions. Au chapitre des « recommandations » de campagne, nous formulons des propositions qui tiennent compte à la fois de la situation dramatique des Territoires, des perspectives de reprise de la négociation et du rapport des forces locales et internationales. Conclusions politiques, diplomatiques et stratégiques 16 1. Au vu des incidents et des conduites militaires israéliennes en Cisjordanie, de leur coordination constantes avec les groupes paramilitaires des colons armées, il est clair que la dynamique militaire permanente n’a pas cessé un instant de mettre en place sur le terrain, pendant cette période et jusque en janvier 2001 un dispositif d’oppression visant l’instauration d’une ségrégation permanente et humiliante et parfois cruelle entre les habitats palestiniens soumis à régimes divers. Ce régime d’occupation révisé cherche la soumission des populations civiles aux réseaux de colonies dominantes par la menace de tirs possibles et l’usure morale provoquée par les actions militaires de coupures semi-aléatoires. 2. L’authenticité des négociations de Taba dans ces conditions nous a paru extrêmement douteuse, la continuité de la stratégie militaire sur le terrain paraissant beaucoup plus concertée, et plus projetée dans le long terme, que les cartographies changeantes et les concessions avortées de Taba. L’expression de l’indignation de Yasser Arafat en direct à Davos était tout à fait logique au vu de la situation en Cisjordanie et à celle, pire encore, qui sévit à Gaza. Le refus par Barak d’une ultime rencontre à Stockholm ou ailleurs, provoqué par « le ton » de Yasser Arafat, fait partie d’un spectacle médiatique et l’échec de Taba est « programmé », bien en amont, par le niveau insupportable et continu de la répression israélienne. 3. On doit maintenant voir, percevoir, comprendre, admettre que les accords qui ont conduit au découpage des Territoires en zone A, B et C, s’il fut à l’origine, un plan dynamique d’évacuation échelonnée devant durer un an au plus, s’est figé aujourd’hui en un découpage qui correspond à un redéploiement des troupes d’occupation et à l’établissement sous trois régimes d’occupation différenciés, d’un régime d’apartheid, quadrillé par les barrages volants de Tsahal et l’observation et les tirs para- militaires des colonies israélienne et le maintien aléatoire de coupures et d’incidents armées autour de la zone A. 4. La prise de pouvoir de Sharon sera d’abord un fait militaire. Il devra décider de la continuation ou de l’arrêt des opérations de répression, fondées sur une action militaire appuyées par des groupes paramilitaires, lancées sous Barak et Netanyahou. Ce système, s’il se fige sous Sharon, aura bien été mis en place sous Barak. Il pose la question de la démocratie israélienne, et malgré l’inertie de la gauche et du camp de la paix en Israël, on peut s’attendre à moyen terme à une prise de conscience nouvelle de la société israélienne. 5. Cette réévaluation des sept années d’Oslo et des quatre mois d’Intifada invite l’opinion européenne à comprendre qu’on entre dans une nouvelle logique et dans un processus de paix qui doit être refondé par la société internationale sur la base du retour aux principes juridiques (respect des résolutions de l’ONU, respect de la 4e convention de Genève) du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et du respect des minorités. Les États-Unis ont cru devoir mettre tout cela entre parenthèse et ont échoué à définir une paix juste. Recommandations En se basant sur le document « Palestine : agir maintenant » adopté par le Forum civil Euromed, le 12 novembre 2000, la mission d’information précise les recommandations suivantes : • Refonder en politique et en droit le processus de paix dans le but de mettre en mouvement des instances précises de l’ONU, du CICR, de l’Union européenne, de l’OSCE, les partis politiques, des organisations internationales politiques et religieuses. Et notamment, exiger l’application des résolutions 194, 242, 338 du Conseil de sécurité. • Le conflit israélo-palestinien n’étant pas une guerre de religion mais portant sur le droit d’un peuple à disposer d’une terre face à un processus colonial, le thème dominant des manifestations de solidarité peut être la dénonciation d’un nouveau régime d’apartheid en voie de consolidation. • Dans l’hypothèse que le combat sera long, organiser une solidarité concrète avec les modes locaux et populaires de résistance à l’oppression. • Prendre au pied de la lettre la demande de protection internationale et mettre à l’ordre du jour l’envoi d’une force internationale de protection et au moins d’un contingent d’observateurs comparables aux observateurs d’Hébron. • En cas de crime contre l’humanité avéré ou de crime de guerre, saisir rapidement le TPI ou les tribunaux compétents. • Les pressions sur l’État d’Israël dirigé par Sharon doivent se faire désormais sous menace de sanctions. Il faut exiger de l’Union européenne qu’elle applique les sanctions prévues par l’article 2 des accords d’association avec Israël. ▲ 1er trimestre 2001 PALESTINE : AGIR MAINTENANT Appel à la création urgente A u Forum Civil Euromed de Marseille (10-12 novembre 2000), les ONG ont adopté une résolution intitulée « Palestine, Agir maintenant ». Elle mandatait une mission d’information en Palestine qui a pu constater que le bouclage des Territoires rend la vie quotidienne de la population civile insupportable. Le processus des négociations d’Oslo sous médiation américaine a tourné sous nos yeux à la guerre de siège et à la catastrophe humanitaire. Les Palestiniens sont victimes de l’impunité totale dont dispose l’État israélien, qui refuse l’application des résolutions de l’ONU et le respect des Conventions de Genève (cf. les extraits du rapport pages précédentes). N ous demandons aux ONG concernées et aux citoyens de signer ce texte qui en appelle à une prise de position européenne aujourd’hui d’autant plus nécessaire que les États-Unis viennent d’opposer leur veto au Conseil de sécurité de l’ONU à une résolution prévoyant l’envoi d’une force internationale d’observation dans les Territoires palestiniens. Appel à l’initiative des membres de la mission des ONG Euromed en Palestine avec le soutien de : Association France-Palestine, Association médicale francopalestinienne (AMFP), Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), Ligue française des droits de l’homme, MRAP, Palestine 33. d’une force d’interposition en Palestine slo avait énoncé le principe de « l’échange de la Terre pour la paix » et d’un « règlement entre les parties », dans la mesure où la communauté internationale avait échoué à imposer les résolutions. On acceptait sous pression américaine la mise entre parenthèse du droit. Mais pendant sept ans de négociation on a assisté à des remises en cause successives des calendriers et des engagements intérimaires signés par les gouvernements d’Israël. En même temps, Israël menait une politique systématique d’expropriation et de colonisation des terres qu’il devait rendre aux Palestiniens en Cisjordanie, Jérusalem et Gaza. La définition des enjeux territoriaux et le principe de l’échange furent ainsi constamment rognés, avant même la négociation finale. O Faute d’accord, le découpage des territoires palestiniens en zone A, B, et C, qui était à l’origine un plan dynamique d’évacuation échelonné et de restitution progressive de la souveraineté, s’est figé désormais en un régime d’apartheid. Le « bouclage complet » décrété tout dernièrement par M. Sharon est un véritable siège qui enferme les sept villes principales dans leur zone A mais qui, en outre, organise l’isolement des villages des zones B et C dans des compartiments étanches, préparés par le système routier des rocades reliant les colonies. Les milices paramilitaires des colons armés et le contrôle militaire général permettent une interruption totale de tous les flux vitaux maintenus difficilement depuis octobre. D’où le début de famine, les distributions de vivres sous couvert de l’ONU. M. Sharon risque ainsi de provoquer des violences désespérées, incontrôlables, qui seront le prétexte d’une escalade de massacres. Cette stratégie est mal décrite par les médias qui n’osent pas en donner l’image exacte. La répression que le gouvernement Sharon réserve aux Palestiniens, en violation de la quatrième Convention de Genève, est une manœuvre militariste que déplore même le général Powell, actuel secrétaire d’État américain, car elle risque d’entraîner la région dans la guerre. L’opinion publique internationale doit être plus claire que ses gouvernements. Créer une répression bien pire que le statut d’avant Oslo, transformer l’occupation en apartheid, instaurer un régime permanent de déni des droits d’autodétermination, est politiquement inadmissible pour des démocrates. Nous demandons donc à l’Union européenne, en particulier aux États européens, à la troïka (Suède, Belgique et Commission européenne), à M. Patten, chargé des relations extérieures, et à M. Solana, chargé de la Pesc : • de reprendre clairement les rênes d’un nouveau processus de paix en s’appuyant notamment sur les principes de sécurité et de paix partagée, issus de la conférence sur le partenariat euro-méditerranéen de Barcelone ; • de désigner le gouvernement israélien comme responsable de violations graves des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, du droit international, du droit international humanitaire et en particulier de la quatrième Convention de Genève ; • de mettre en œuvre les sanctions économiques et juridiques qui s’imposent dans le cadre des conventions et traités et notamment ceux qui lient les membres de l’Union européenne à l’État d’Israël ; • de réaffirmer le caractère imprescriptible des résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité de l’ONU s’appliquant à la Palestine ; • de décider d’urgence l’envoi d’une force d’interposition permettant la sauvegarde de la population palestinienne et sa protection contre l’usage excessif de la force militaire par les troupes d’occupation et de préparer ainsi le retrait de l’armée israélienne de Cisjordanie et de Gaza dans le cadre d’un règlement global fondé sur les résolutions de l’ONU. ▲ MERCI DE DIFFUSER, SIGNER ET RENVOYER CET APPEL À : FCM, 12, impasse Franklin, 93200 Saint-Denis, fax : 01 42 43 85 55 • e-mail : [email protected] 17 Damoclès n° 88 CAMPAGNE Le Terrible, enfant de la prolifération nucléaire française L es journées du désarmement nucléaire qui ont réunies quelque cent vingt personnes du 4 au 6 mai dernier à Saintes (Charente-Maritime) ont été l’occasion du lancement d’une campagne contre la construction d’un quatrième sous-marin nucléaire pour laquelle l’Observatoire des armes nucléaires a édité la brochure-argumentaire. Présentation. Christian Brunier a campagne d’interpellation « Dites NON au quatrième sous-marin nucléaire ! », lancée à l’initiative du Man, du Mouvement de la Paix et de Stop Essais répond à l’exigence de nombreux acteurs de paix français. En effet, l’essentiel des crédits accordés à la modernisation de notre arsenal nucléaire est englouti par le quatrième sous-marin nucléaire de la nouvelle génération (SNLE-NG Le Terrible), par ses missiles M51 et ses nouvelles têtes nucléaires, dont la commande a été confirmée, le 28 juillet 2000, par le ministre de la défense, Alain Richard. Cette campagne prolonge celle lancée en juin 1999, par les mêmes organisations, pour obtenir un moratoire sur le laser Mégajoule, pièce maîtresse du programme Palen 1, qui à lui seul, risque de ponctionner douze milliards de nos francs sur les finances publiques 2. Il ne s’agit pas d’une campagne Don quichottesque de plus contre le lobby militaro-nucléaire mais bien d’une invitation à faire acte d’objection. La signification de cette attitude civique pourrait se résumer en deux propositions : — les milliards gaspillés à accroître la menace nucléaire menacent notre « sécurité commune », sans aucune justification stratégique ; L 18 — la modernisation de notre arsenal nucléaire, notamment le quatrième SNLE-NG détourne de la satisfaction des besoins fondamentaux des sommes colossales, creusant la fracture sociale ici et dans les pays du Sud. Ce raisonnement de bon sens prévaut aujourd’hui au sein des deux mille associations formant le réseau mondial Abolition 2000 qui considèrent que le maintien des arsenaux nucléaires est une source fondamentale d’insécurité car il perpétue un monde de dominations et non de coopérations. De plus, il stérilise des ressources financières et scientifiques qui manquent cruellement pour résoudre des grands fléaux de notre époque (lutte contre les maladies, la faim, les catastrophes naturelles ; pour l’éducation, le travail, des sociétés démocratiques). C’est pourquoi cette « objection civique » n’est ni française, ni « défaitiste », elle est planétaire comme les revendications fortes exprimées à Seattle ou à Porto Alegre. Oui, les peuples aspirent à vivre en paix, ils ne veulent pas que les « grands argentiers du monde » décident à leur place de leur destin. L’initiative des associations françaises œuvrant pour la paix et la prévention des conflits se situe dans un contexte mondial délétère. Les puissances nucléaires ont renouvelé à New York, le 19 mai 2000, leur « engagement sans équivoque […] de réaliser l’élimination totale de leurs arsenaux nucléaires » mais elles se gardent 1er trimestre 2001 LA FRANCE ET LA PROLIFÉRATION NUCLÉAIRE d’adopter des mesures concrètes et un calendrier contraignant. Les cinq « Grands » poursuivent le développement de leurs arsenaux et les pays du seuil (Inde, Pakistan, Israël…), en dénonçant la duplicité des États-parties au Traité de non-prolifération (TNP), saisissent ce prétexte pour refuser de le signer. Il n’est pas un diplomate qui ne se plaigne, en privé, de l’absence de résultats de la Conférence du désarmement de Genève. Kofi Annan luimême, secrétaire général de l’ONU a tenté d’alerter la communauté internationale de ce blocage en lançant l’idée d’une conférence sur les dangers nucléaires, proposition restée lettre morte jusqu’à présent. Porter le débat sur la place publique À cet égard, l’attitude de la France est tout à fait symptomatique. Elle retire du service ses armements obsolètes ou contestés au plan international (Hadès, démantèlement des missiles du plateau d’Albion, fermeture du site de Moruroa) en présentant à l’ONU ces mesures unilatérales comme un pas vers le désarmement nucléaire. Pendant ce temps, elle engage plus de 350 milliards de francs dans la modernisation de la Fost (Force océanique stratégique) qui, à elle seule, représente 80 % de ses capacités propres de représailles nucléaires. L’un des objectifs de cette campagne est de stigmatiser cette sorte de schizophrénie nucléaire. Le second est de mettre à l’ordre du jour des enjeux de société, la nécessité d’un débat public sur le désarmement nucléaire et l’obligation pour la France de s’y conformer, à la veille d’échéances importantes. La première qui s’impose est la Loi de programmation militaire 2003-2008 qui devrait être votée dans quelques mois, si elle n’est pas repoussée au printemps prochain. Les discussions — semble-t-il laborieuses — entourant la préparation de ce plan pluriannuel sont élaborées en dehors de toute consultation démocratique, dans l’ombre des cabinets ministériels et des commissions parlementaires concernés. Toutes les associations attachées à la paix, au désarmement et au développement s’en émeuvent et vont prendre des initiatives concrètes dans les semaines à venir. Les élections du printemps 2002 — présidentielle et législatives — offrent une seconde possibilité de porter sur la place publique, le débat sur la défense et les moyens qu’on lui consent. Le prochain président et/ou le nouveau gouvernement pourraient donner une impulsion décisive à la cause du désarmement nucléaire mais ils n’y parviendront pas sans l’appui d’une opinion publique éclairée. En anticipant ces prochaines échéances, les initiateurs de cette campagne veulent mettre toutes les chances du désarmement nucléaire de leur côté. Ils invitent les citoyen-ne-s qui étaient tenus à l’écart des choix les concernant, à s’impliquer dans ce débat. En exprimant un « NON » catégorique au quatrième sous-marin nucléaire de la nouvelle génération, c’est un vaste pan du programme militaro-nucléaire qui s’effondre tel un château de cartes. Ce NON ne manquera pas d’être interprété par le gouvernement comme un démenti à sa politique d’armement. Mais cette opposi- L a dissémination des armes nucléaires est un risque redoutable pour l’avenir de la paix. Pour enrayer cette dérive, la plupart des États de la planète se sont engagés dans le traité de non-prolifération nucléaire. Mais cet accord international est inégal : d’un côté, il autorise les cinq membres permanents du Conseil de sécurité à disposer de leurs arsenaux et de l’autre, il interdit aux autres États d’entrer dans le club des puissances nucléaires. Les puissances nucléaires se sont ainsi arrogé le droit de poursuivre la modernisation de leurs arsenaux. Dix ans après la fin de la guerre froide, la France poursuit son programme de sousmarins nucléaires dits de « nouvelle génération » auquel s’ajoutent de nouveaux missiles et de nouvelles têtes nucléaires. Elle se place ainsi en mauvais élève de la prolifération. En écho à des propositions de nombreuses personnalités, ce livre lance des perspectives pour que la France fasse le premier pas vers l’élimination par étapes d’un arsenal nucléaire qui n’a plus d’ennemi déclaré. ▲ La France et la prolifération nucléaire Les sous-marins nucléaires de la nouvelle génération Bruno Barrillot 80 pages • 72 FF / 10,98 € (port compris) C/o CDRPC, 187, montée de Choulans, 69005 Lyon tion est aussi constructive, car elle permet d’amorcer un processus visant à l’élimination totale et programmée des armes nucléaires françaises. Le soutien concret et la vigilance de chacun et de tous peut contribuer à construire cette « mondialisation de la paix » en marche ! Qui pouvait présager de la conclusion d’une convention interdisant les armes chimiques en janvier 1993, d’un traité interdisant tout essai nucléaire (CTBT) en septembre 1996, d’un traité bannissant les mines antipersonnel en décembre 1997 ? Ces armes ou ces expériences n’ont pas été « désinventées » clament les faux-prophètes, certes, mais elles ont été interdites. Alors disons NON au projet de quatrième sous-marin Le Terrible, enfant de la prolifération nucléaire française et saisissons cette chance d’inventer la paix durable qu’il saborde ! ▲ 1) Palen : Préparation à la limitation des essais nucléaires. 2) Jean-Michel Boucheron, Défense, Projet de loi de finances pour 2001, Rapport, n° 2624, annexe n° 40, 6 novembre 2000. 19 Damoclès n° 88 … DE Transfert BREST À TOULON des activités d’entretien des SNA : quel impact à Brest ? D es bruits courent sur l’eau annonçant le regroupement des activités d’entretien des sous-marins français sur le port du Ponant. Les six sousmarins nucléaires d’attaque (SNA) français affectés à Toulon seraient transférés, avec leur équipage, sur le site de Brest, là où se tiennent déjà les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). Au second semestre 2001, la marine française disposera de quatre SNLE (dont deux de nouvelle génération) et de six SNA de type « Améthyste ». Analyse. Thierry Sauvin* 20 En fait, dans un contexte de rationalisation des activités, il est proposé de concentrer en un lieu unique l’entretien des sous-marins. Brest aurait été pressenti compte tenu des compétences acquises en ce domaine. Enfin, ce qui plaide en faveur de Brest, ce sont les dimensions des sous-marins du futur (programme « Barracuda ») qui succéderont aux SNA. Non seulement, ils seront plus longs (de 73 à 85 mètres) mais aussi plus imposants. Leur poids passerait de 2 500 à 4 000 tonnes. La mise en service du premier exemplaire est prévue pour 2010 [Husson, 2000]. Seule la base sousmarine de Brest et les équipements spécifiques de l’Île longue sont en mesure de répondre, pour le moment, aux besoins d’entretien de ces sous-marins du troisième type. Enfin, l’installation de l’état-major de la Force océanique *Maître de conférences en sciences économiques et chercheur au groupe E3D-CEDEM à la Faculté de droit et de sciences économiques de Brest. stratégique (Fost) à Brest, le 1er juillet 2000, qui a autorité sur l’escadrille de SNA de Toulon, conforte cet objectif de transfert progressif de ces activités sur le site de Brest [Le Télégramme, 6 septembre 2000]. À court terme, ce transfert d’activité se traduira par une augmentation du plan de charge de l’arsenal au détriment de celui de Toulon. Toutefois, si nous abordons véritablement la question du développement du territoire brestois, c’est-à-dire du « Système productif brestois » (SPB), nous devons nous interroger sur l’impact de ce transfert d’activité sur la dynamique territoriale. En fait, loin d’accroître l’attractivité du territoire, ces activités, probablement recluses au sein de l’Île longue (base des SNLE) n’auront pas ou peu de retombées économiques sur le SPB. Il est fort possible que cette spécialisation dans les activités d’entretien de sous-marins nucléaires contribue à dégrader l’image du site brestois qui, pour nombre d’acteurs, reste attachée au militaire et à ses couleurs d’origine, le gris et le noir (le gris pour les bâtiments de surface et le noir pour les sous-marins). En outre, le nucléaire n’a pas une bonne image vis-à-vis du public. Cette activité, où le culte du secret atteint son paroxysme, risque d’affaiblir l’attractivité du territoire, attractivité si 1er trimestre 2001 SOUS-MARINS NUCLÉAIRES D’ATTAQUE recherchée aujourd’hui pour séduire les entreprises en quête de lieux d’implantation. La nature de l’activité n’est donc pas neutre sur la dynamique du territoire. Ce projet de regroupement des activités d’entretien des sous-marins français ne va donc pas dans le sens d’une ouverture vers d’autres activités industrielles qui pourraient émanciper les acteurs du site de Brest. Rappelons que nombre d’entreprises industrielles liées à la défense se trouvent confrontées à des contraintes de dépendance historique et d’enfermement dans des trajectoires irréversibles sur le moyen terme (investissements antérieurs en actifs spécifiques 1, subordination professionnelle, manque d’incitation à l’innovation). Ces entreprises sont donc soumises à des irréversibilités qui limitent leur capacité de réaction et d’adaptation au nouvel environnement économique [Chalaye et al., 1997]. Conscientes de leurs spécificités et de l’existence d’un environnement marqué par l’incertitude, les entreprises manifestent une certaine méfiance vis-à-vis de tout projet visant, par exemple, la diversification dans des activités civiles. De par leur histoire et la nature des relations qu’ils ont eues avec la DCN-Brest, les acteurs ne se connaissent pas et la méfiance qui règne entre eux n’est guère propice à l’émergence et à la réalisation des projets de développement [Sauvin, 2000]. En fait, concernant les activités industrielles liées à la défense, la zone d’emploi de Brest s’apparente, à bien des égards, à un simple ensemble, c’est-à-dire à une juxtaposition d’acteurs qui se méfient. Il est alors vital de transformer cet ensemble en un système, c’est-à-dire en un ensemble d’acteurs en interaction dynamique organisé autour d’un projet. Plutôt que de céder aux sirènes du court terme reposant sur une approche purement allocative, c’est-à-dire de transfert d’activité de Toulon à Brest, faisons preuve d’audace et proposons des projets de « civilisation » où se mêlent les dimensions économique, ludique, culturelle et environnementale. Ces projets, non circonscrits à la seule dimension économique mais fondés sur les spécificités et les compétences locales, mobiliseraient de nombreux acteurs du site brestois. Toutefois, si les projets ne manquent pas, encore faut-il que les acteurs acceptent un tel jeu coopératif. Il est donc nécessaire qu’interviennent des « développeurs », c’est-à-dire des animateurs dont la mission serait, à partir d’un projet, d’initier et de développer dans la durée des interactions entre acteurs qui, de par leur histoire, se sont, jusque là, ignorés. « Lus et approuvés » par les pouvoirs publics (État, collectivités territoriales, agence de développement de pays, etc.), ces projets permettraient de rapprocher les acteurs et ceux-ci, progressivement, apprendraient à travailler ensemble. Nombre d’acteurs, qui, jusque là refoulaient leur créativité, deviendraient alors des auteurs. L’acteur joue un rôle que la société lui attribue (intériorisation et respect, par exemple, des normes et des règles), comme un musicien se rapportant fidèlement à sa partition. L’auteur, en revanche, est un créateur dans le sens où il peut construire BIBLIOGRAPHIE • Chalaye M.-N., De Penanros R., Sauvin T., La diversification dans quelques grands groupes industriels liés à la défense, stratégies, expériences et leçons, Rapport réalisé pour la Communauté urbaine de Brest, 1997. • Husson D., « Barracuda : un sous-marin du IIIe millénaire », L’Armement, n° 71, octobre 2000. • Maillat D., Kebir L., « Learning region et système territoriaux de production », RERU, n° 3, 1999. • Pecqueur B., « L’action économique, un métier en complète évolution depuis quinze ans », Les Cahiers de l’expansion régionale, numéro spécial, 2000. • Sauvin T., « Les plates-formes offshores et la construction d’un système productif local dans la zone d’emploi de Brest », Cahiers économiques de Bretagne, n° 3, 2000. autre chose, c’est le musicien qui s’écarte de sa partition grâce à l’interprétation ou à l’improvisation. L’homme qui serait à la fois acteur et auteur aurait la capacité de penser autrement et par conséquent de faire force de propositions. Non seulement il y aurait intégration par le projet permettant de construire des relations de confiance mais aussi émergence d’une dynamique innovatrice grâce au retour de l’auteur. Un processus d’apprentissage naîtrait, une sorte d’apprentissage de l’interaction [Maillat, Kébir, 1999, p. 436]. Le territoire deviendrait alors producteur de ressources spécifiques, ressources qui en renforceraient l’attractivité. Il ne s’agit pas de ressembler aux autres territoires mais de s’en différencier. « C’est la différence qui devient le vecteur de développement » [Pecqueur, 2000]. C’est à cette condition que la zone d’emploi de Brest, terme ne renvoyant qu’une image passive du territoire, deviendrait un véritable système productif dynamique, évolutif et attractif. ▲ 21 1) Il s’agit d’une part d’actifs matériels spécifiques (biens d’équipement spécialisés) et, d’autre part, d’actifs immatériels (compétences spécifiques détenues par les travailleurs). Ces actifs ne peuvent être redéployés sur le court et le moyen terme sans perte de valeur. Leur existence confine l’entreprise sur une trajectoire technologique, limitant par-là sa réactivité. Damoclès n° 88 CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES L 22 e 9 juillet prochain va s’ouvrir à New York la « Conférence des Nations unies sur le commerce illicite des armes légères sous tous ses aspects ». Cette conférence représente l’aboutissement d’une prise de conscience de la communauté internationale — datant du milieu des années 1990 — à la fois du fléau que représentent la disponibilité et la circulation de ces armes dans de nombreuses régions du monde et également l’impasse dans laquelle se trouvaient les instances onusiennes pour déboucher sur des mesures concrètes de désarmement. Le 20 juillet 2001, lors de la clôture de cette conférence, les États présents auront-ils réussi à se mettre d’accord sur un véritable plan d’action pour combattre la prolifération des armes légères ? À l’issue des travaux préparatoires la question se pose. En effet, la tenue d’une conférence de ce type est précédée, comme il est d’usage, de la mise en place d’un comité préparatoire chargé d’élaborer le document soumis à la discussion et d’un certain nombre de rencontres permettant de négocier les grandes lignes de ce document. À l’issue du troisième comité préparatoire, qui s’est tenu en mars dernier à New York, bien des questions restaient encore en suspens, les négociations véritables n’ont pas encore commencé. L’intitulé de la conférence est limité à la question du trafic illicite, mais il est clair que pour l’essentiel, les transferts d’armes légères étaient au départ tout ce qu’il y a de plus « licite » dans le cadre des réglementations actuelles… Tarir le flux des armes en circulation nécessite de renforcer les législations, mettre en place un code de conduite international doté de véritables instruments de suivi des armes et de contrôle. Ici on touche un domaine extrêmement sensible au niveau des prérogatives des États, de leur souveraineté. Nombre de pays s’accorderaient à ce niveau d’une déclaration politique mais se refusent à l’élaboration d’un accord contraignant accompagné des instruments ad hoc… C’est la cas de pays comme Cuba, Israël par exemple, mais aussi des États-Unis ! Concernée au premier chef, la société civile s’est également emparée de cette question. À plusieurs reprises, à travers la revue Damoclès ou dans les études de l’Observatoire des transferts d’armements, nous avons abordé cette question des armes légères. Le document que nous publions ci-après reflète les principales préoccupations mises en avant par l’ensemble des ONG membres du Réseau d’action international sur les armes légères (Raial/Iansa), né en mai 1999. Étant donnée la diversité du réseau, toutes les recommandations ne reflètent pas nécessairement la position de chacun des membres du Raial/Iansa qui regroupe à ce jour trois cent vingt organisations provenant de plus de soixante-dix pays, dont en France les ONG regroupées au sein du collectif « Armes légères… la balle est dans notre camp ! ». Collectif piloté par Amnesty international et l’Observatoire des transferts d’armements. Patrice Bouveret 1er trimestre 2001 CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES Attirer l’attention sur les armes légères D OCUMENT D ans toutes les régions du monde, la prolifération et l’usage incontrôlé des armes légères menacent la sécurité des individus, entravent la bonne gestion des affaires publiques, contribuent à la violation des droits humains, et enfin, contrecarrent la justice sociale, le développement et la paix. Les armes légères servent à tuer plus d’un demi million de personnes chaque année 1. En outre, pour une personne tuée, plus encore sont blessées et traumatisées. Ces tragédies se produisent dans le cadre de conflits nationaux, sub-nationaux et régionaux, ainsi que dans le contexte de répression des droits politiques et de violation du droit à l’autodétermination. La grande facilité avec laquelle on peut se procurer les armes légères est également liée au nombre élevé de crimes violents, de violences familiales, de suicides et d’accidents. Bien que les informations concernant le nombre total des meurtres et blessures dus aux armes légères dans les zones de conflit soient lacunaires, les recherches montrent que, même après la fin des conflits, le taux de mortalité reste élevé si les armes continuent à circuler 2. Les armes légères ne sont pas à elles seules cause de violence, mais elles contribuent notablement à transformer les conflits sociaux et politiques et à les rendre beaucoup plus violents. Qu’il s’agisse de crime, de violation des droits humains, de conflit politique, de violence familiale ou de suicide, la disponibilité des armes légères intensifie les conflits et accélère l’escalade qui rend la violence meurtrière. Les armes légères constituent les instruments principaux de la violence exercée par les criminels ainsi que par les groupes militaires et paramilitaires corrompus. Leur utilisation accroît le nombre de victimes et favorise la transformation des enfants en tueurs. Les victimes des armes légères comptent souvent parmi elles les catégories les plus vulnérables de la société : les femmes 3, les enfants 4, les personnes handicapées et les pauvres. Les femmes, par exemple, constituent une partie importante des victimes des armes légères, mais ne représentent qu’une petite part des utilisateurs de ces armes. Les armes légères alimentent également la peur et l’instabilité qui provoquent à leur tour des millions de réfugiés et de personnes déplacées. Un grand nombre de ces tragédies d’origine humaine pourrait être évité si la prolifération des armes légères était contrôlée — au niveau national et international — dans DU R AIAL /I ANSA le cadre plus large de mesures s’attaquant aux causes premières du conflit. Les membres du Raial/Iansa reconnaissent que le commerce international et la prolifération des armes légères sont un phénomène complexe qui touche tous les niveaux de la société dans toutes les régions du monde. Les recherches, bien qu’incomplètes, suggèrent que le détournement des armes légères a de nombreuses causes. Des interactions complexes se tissent entre les secteurs public et privé, légal et illégal, national et international. Depuis la fin de la Guerre froide, la nature des conflits a changé. En outre, les lieux d’approvisionnement ainsi que les réseaux de détournement des armes légères licites et illicites se sont multipliés de manière très inquiétante 5. En dépit des parallèles et des liens qui les unissent, le trafic de drogue et celui des armes légères présentent de nombreuses différences. La plupart des armes légères sont dans un premier temps des articles légaux, vendus aux États ou directement aux civils. Ayant une longue durée de vie, elles sont souvent vendues et revendues à de nombreuses reprises, ce qui facilite le passage du marché légal vers le marché illégal. Les trafiquants d’armes répondent à une demande, et fourniront en armes toute personne pouvant se les offrir, qu’elle soit engagée dans une guerre civile ou membre d’une bande de délinquants dans un quartier défavorisé. En conséquence, il est malaisé de distinguer les armes alimentant les « conflits » des armes alimentant la « criminalité ». Dans certaines régions, il est d’ailleurs impossible de distinguer les deux. Les marchés illégaux sont en effet alimentés par le détournement d’armes légères appartenant aux marchés légaux et ce, par des moyens divers : ventes illégales, vols, marchés secondaires mal contrôlés, etc. Toute stratégie globale visant à endiguer le commerce illicite des armes légères sous tous ses aspects ne doit donc pas ignorer les marchés légaux. De plus, certains aspects du commerce légal d’armes légères peuvent être contraires à la législation internationale existante, ainsi que l’a souligné le Groupe d’experts gouvernementaux de l’ONU dans son rapport de 1999. Les armes légères sont aujourd’hui les armes les plus utilisées dans les conflits qui sévissent sur notre planète. La souffrance des pays et régions qui sont le théâtre de conflits armés est exacerbée par les flux d’armes légères, car leur existence prolonge ces conflits et augmente la violence de leur impact sur les combattants comme sur 23 Damoclès n° 88 les civils. En Afrique du Sud, les armes légères alimentent la violence criminelle, qui a été désignée comme « la plus grande menace pour les droits humains » à laquelle devait faire face la jeune démocratie. Elles grèvent également le développement, et gaspillent les ressources économiques. En Amérique latine, par exemple, la violence alimentée par les armes légères absorbe plus de 14 % du produit national brut. Même dans les pays riches, considérés comme « pacifiques », les armes légères illicites sont fortement impliquées dans la criminalité, et sont considérées comme un danger public majeur. Les pays qui ne sont pas en guerre souffrent eux aussi de la violence et de la criminalité qui résultent de la grande accessibilité des armes légères et de leur détournement vers les marchés illégaux. Le programme d’action international résultant de la Conférence des Nations unies de 2001 A fin de réduire le trafic des armes légères et de petit calibre sous tous ses aspects, les membres du Raial/Iansa recommandent d’envisager le problème, lors de la conférence, sous différents angles. À l’objectif du Raial/Iansa — à savoir, le renforcement de la sécurité individuelle et de la société civile en réduisant la menace pour la vie que constituent la prolifération et l’usage incontrôlé des armes légères — fait écho la préoccupation de la communauté internationale devant le constat selon lequel les flux d’armes non contrôlés favorisent les conflits et entravent les efforts pour la paix et le développement. Étant donné que la responsabilité de traiter les problèmes résultant du trafic des armes légères incombe aux États, le Raial/Iansa estime que la conférence devrait élaborer un programme d’action international comprenant les éléments suivants : 1. La prévention et la lutte contre transferts illicites 24 Prévenir et lutter contre le trafic des armes légères et de petit calibre devrait être une priorité absolue pour tous les États membres des Nations unies. À cette fin, les efforts doivent comprendre un large éventail de mesures, incluant le marquage, l’amélioration du contrôle des importations, des exportations, des transferts et de l’usage final des armes légères. De plus, il a été prouvé que l’absence de réglementation sur le courtage des armes, au niveau international, favorise de manière significative le trafic. Les membres du Raial/Iansa reconnaissent que des actions dans ce sens sont entamées au niveau régional — au sein de l’Organisation des États américains, de l’Organisation de l’unité africaine, de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, de l’Union européenne, la Communauté de développement de l’Afrique australe et aussi de la Communauté d’Afrique de l’Est —, et au niveau interna- tional — grâce au projet de Protocole des Nations unies contre la production illicite et le trafic des armes à feu, leurs composants et munitions — ainsi qu’à travers les directives sur les transferts d’armes internationaux formulées en 1996 par la Commission pour le désarmement des Nations unies. Cependant, nous estimons que la conférence de l’ONU de 2001 devrait mettre en place des mécanismes visant à réduire le commerce illicite des armes légères et de petit calibre, et faire en sorte de définir un calendrier de mise en œuvre d’un tel programme. Nous demandons aux États membres de l’ONU, lors de la conférence de 2001 : • D’agir en priorité pour la rédaction, la ratification, et la mise en œuvre de projets régionaux appropriés, ainsi que pour l’établissement d’un calendrier pour la réalisation et l’évaluation de ces actions. • De conclure un accord général et juridiquement contraignant sur le marquage et la « traçabilité » des armes, afin de réaliser un système de marquage des armes approprié et fiable lors de leur production et/ou de leur importation, un registre répertoriant les informations concernant la production, la possession, et le transfert — notamment d’État à État — des armes, ainsi qu’un accord international pour la « traçabilité » des armes par les autorités compétentes. • De s’accorder à l’échelle internationale sur les définitions de courtier en armes et de transporteur, et mettre en place des procédures de contrôle de leurs activités qui soient contraignantes, incluant un engagement de la part de tous les États d’exiger des courtiers (ceux qui exercent sur leur territoire ou ceux qui comptent parmi leurs ressortissants) de consigner leurs transactions dans des registres et de les soumettre à autorisation. Toute activité violant ces règles devraient être considérée comme une infraction de nature criminelle, même si la cargaison mise en cause ne pénètre ni sur le territoire d’un pays ayant signé l’accord, ni sur celui du pays dont le négociant ou intermédiaire est ressortissant, ni encore sur celui du pays où il exerce. • De renforcer la coopération entre les services de renseignements concernés ainsi que ceux chargés de l’application des lois, et de mettre en place des mécanismes internationaux d’échanges d’informations, dans le but d’évaluer et de lutter contre le commerce illicite des armes légères. • De soutenir, lorsqu’il sera soumis à la signature, la ratification et la mise en œuvre du Protocole des Nations unies sur les armes à feu prévoyant notamment le contrôle de l’importation, de l’exportation et des transits intérieurs. 2. Le contrôle des transferts légaux Les membres du Raial/Iansa admettent que la charte des Nations unies reconnaît aux États le droit d’exporter et d’importer des armes pour les fins légitimes que sont 1er trimestre 2001 DOCUMENT : ATTIRER L’ATTENTION SUR LES ARMES LÉGERES l’autodéfense et le maintien de la loi. Cependant, les États engagés dans le commerce d’armes ont également le devoir de respecter les règles internationales relatives aux droits humains, au droit humanitaire et aux bonnes relations interétatiques. Afin d’empêcher et de réduire la prolifération et l’usage incontrôlé des armes légères et de petit calibre, de lutter contre le détournement des armes depuis les marchés légaux vers les marchés illégaux, les États membres de l’ONU devraient arrêter un ensemble de normes et de mesures visant à renforcer les contrôles sur les transferts légaux de ces armes vers les acteurs publics et privés. Le but des normes concernant les transferts interétatiques est d’empêcher le transfert d’armes qui pourraient être utilisées pour la répression, l’agression, l’exacerbation d’un conflit ou la déstabilisation régionale. De plus, et afin d’empêcher le détournement des armes de leurs utilisateurs et buts légitimes, les mécanismes de contrôle de l’utilisation finale prévue et des utilisateurs finaux devraient de même être contrôlés et renforcés conformément aux accords passés. Si elles sont adoptées lors de la conférence de l’ONU de 2001, ces normes compléteront à certains égards les règles concernant l’importation, l’exportation et le transit interétatique de marchandises contenues dans le Protocole sur les armes à feu. Nous demandons aux États membres de l’ONU, lors de la conférence de 2001 : • D’adopter un accord international chargé de promouvoir le contrôle du commerce légal des armes, incluant des critères internationaux stricts concernant les transferts et des procédures de contrôle de leur mise en œuvre. • De développer des règles relatives à l’exportation, l’importation, et le transit interétatique. • De mettre en œuvre des mesures effectives chargées de garantir et de contrôler l’usage final des armes légères, et d’empêcher le détournement de ces armes de la destination qui leur a été assignée. Ces critères devraient s’appuyer sur les normes internationales existantes relatives aux droits humains, au droit humanitaire et aux bonnes relations interétatiques. • De soutenir, lorsqu’il en sera au stade de la signature, la ratification et la mise en œuvre du Protocole sur les armes à feu des Nations unies concernant l’importation, l’exportation et le transit commercial. • D’établir des règles internationales pour un contrôle rigoureux du commerce des armes. 3. Le contrôle de la disponibilité, de l’utilisation et du stockage des armes légères sur le territoire même des États Une grande partie du commerce illicite des armes légères et de petit calibre est due aux détournements de ces armes des marchés légaux vers les marchés illégaux. Il y a dans le monde autant d’armes détenues par les par- ticuliers que d’armes appartenant aux États, et leur détournement alimente également les stocks illicites. On estime à plus de cinq cent mille le nombre d’armes légères volées chaque années aux particuliers ; ces armes tombant par définition aux mains de criminels 6. Il apparaît que dans bien des pays la majorité des armes légères utilisées par les criminels ont initialement appartenu, légalement, à des particuliers ou des États. Les États qui mettent en place des contrôles stricts des armes à feu possédées par les civils ne sont pas pour autant protégés des armes importées illégalement depuis d’autres États. Par exemple, la moitié des pistolets utilisés par les criminels dans des pays comme le Mexique, la Jamaïque, le Canada et le Japon est importée illégalement. Les pays dont la réglementation est peu efficace jouent souvent un rôle majeur dans l’approvisionnement des stocks illicites d’armes légères des pays voisins même si ceux-ci ont mis en place une réglementation plus stricte. En outre, l’absence de toute réglementation nationale efficace rend plus difficile la distinction entre les armes légères obtenues légalement et celles possédées illégalement, ainsi que la lutte contre le trafic. Par conséquent, la mise en application d’une réglementation nationale minimale est essentielle. Dans sa résolution de 1997, la commission des Nations unies pour la prévention du crime et la justice pénale a reconnu la nécessité de tels efforts. Elle a émis le souhait que les pays qui ne l’avaient pas encore fait garantissent l’existence d’un réglementation nationale minimale qui suppose de soumettre la détention d’une arme à feu à une autorisation, de recenser les acquisitions d’armes à feu, et de les stocker en sécurité. Ces mesures autorisent un usage légitime des armes à feu par les civils, mais réduit le risque d’usage incontrôlé et de détournement depuis les marchés légaux vers les marchés illégaux. Il est essentiel qu’existe une coopération entre les États pour qu’ils puissent développer une véritable capacité de lutte contre le détournement des armes légères légalement détenues par des civils vers le marché illégal. Cela exige de mettre en œuvre et de renforcer les lois en toute transparence. Nous demandons aux États membres de l’ONU, lors de la conférence de 2001 : • De s’accorder sur un dispositif garantissant d’une part les normes et les procédures de la gestion des stocks d’armes légères — dont celles en possession de l’armée, de la police, des services de sécurité privés, et des civils —, et d’autre part prévoyant l’enregistrement et le stockage. • D’encourager et soutenir la mise en œuvre d’initiatives nationales visant à réglementer l’accès des civils aux armes légères et de petit calibre, ainsi que l’a souligné la résolution de 1997 de la commission des Nations unies pour la prévention du crime et la justice pénale. • De fournir un soutien technique pour aider les États à mettre en œuvre ces mesures. 25 Damoclès n° 88 4. La collecte et la destruction des surplus d’armes présents dans la société civile et dans les régions en conflit Les surplus d’armes sont une autre source de trafic. Il est fréquent que des armes ayant été utilisées dans des conflits, émanant de surplus, des armes de police, ou encore des armes utilisées par des criminels, soient réutilisées dans des circuits parallèles. Des normes et des règles doivent être établies quant à la destruction des armes légères et de petit calibre ayant été confisquées, ainsi que des surplus constitués des armes de cette catégorie. Le peu d’importance attribuée à la question de la destruction des surplus a facilité la prolifération et le commerce illégal des armes légères. Les programmes de collecte d’armes dans les zones ayant connu des conflits sont déterminants pour assurer une paix durable — car sans de tels programmes le risque de violence demeure 7. Il en est de même pour les programmes visant à faciliter la restitution par les civils d’armes obtenues illégalement, défectueuses ou interdites 8. Nous demandons aux États membres de l’ONU, lors de la conférence de 2001 : • De s’accorder sur des normes concernant la destruction des surplus d’armes légères et d’engager des démarches pour qu’elle soit effectuée de manière régulière. • De reconnaître et soutenir le rôle et la contribution des groupes appartenant à la société civile dans la destruction des surplus d’armes ainsi que des armes interdites et défectueuses. • D’envisager la constitution d’un fonds international destiné à aider les pays à collecter et détruire les armes en surplus. 5. Accroître la transparence et la responsabilisation Les efforts internationaux en vue d’améliorer l’échange d’informations et la transparence sont importants pour lutter contre le trafic et réduire la prolifération ainsi que l’usage incontrôlé des armes légères et de petit calibre. La transparence et la responsabilisation — c’està-dire l’obligation de rendre des comptes — sont également importantes pour la vérification de la mise en œuvre des accords internationaux. Enfin, nous souhaitons la mise en place de mécanismes plus efficaces pour aider au contrôle et au renforcement des accords internationaux sur les armes, notamment les embargos. 26 Nous demandons aux États membres de l’ONU, lors de la conférence de 2001 : • De signer des accords, concernant l’échange d’informations, prévoyant d’augmenter le nombre d’informations officielles accessibles, de manière à améliorer la transparence. • D’exiger de la part des États membres la publication de rapports annuels complets et détaillés concernant les transferts d’armes, et d’identifier les besoins pour la mise en œuvre d’un vote de leurs députés sur la politique de transfert d’armes qu’ils pratiquent. • D’encourager la création d’inventaires régionaux et internationaux recensant les informations relatives à la production, les transferts et les achats d’armes légères et de petit calibre et ce, à partir du registre des Nations unies sur les transferts d’armes conventionnelles ou par le biais d’un autre système. • De s’accorder sur des critères stricts permettant d’évaluer le respect par les États des embargos décidés par la communauté internationale, et de considérer comme un délit grave toute vente ou tout transport d’armes ne respectant pas un embargo. 6. Soutenir la recherche et l’échange d’information La collecte et l’échange d’information sont importants pour aider à la réalisation des politiques concrètes, au développement de meilleures pratiques, ainsi qu’à la consolidation et à l’évaluation des pratiques existantes en vue d’une harmonisation par le haut des contrôles mis en place par les partenaires régionaux et internationaux. Les sources d’informations actuellement disponibles sur les effets et l’offre d’armes légères, ainsi que sur la conformité aux accords relatifs aux armes de ce type, sont morcelées. De plus, les informations sur l’ensemble des initiatives engagées aux niveaux local, régional et international sont incomplètes. Un effort commun devrait être fait, lors de la conférence, pour partager les informations sur les programmes d’action. Une meilleure collecte et un meilleur échange des informations contribueraient à la mise en place des politiques d’action, au renforcement des accords existants et enfin à l’évaluation des mesures prises. Nous demandons aux États membres de l’ONU, lors de la conférence de 2001 : • De mettre au point des procédures pour recenser les meilleures initiatives prises dans le cadre des efforts faits en vue de réduire la diffusion illicite et l’usage incontrôlé des armes légères et de petit calibre, et de s’assurer que l’information les concernant soit diffusée. • De faire en sorte que soient disponibles des ressources pour améliorer la collecte de données concernant le commerce, le trafic et l’usage incontrôlé des armes légères. • De promouvoir et soutenir le dialogue intergouvernemental et le dialogue entre les gouvernements et la société civile, au sujet de la prolifération et de l’usage incontrôlé des armes légères. 7. Les mesures pour lutter contre la demande Alors que l’attention de la Conférence se concentrera probablement sur les mesures visant à réduire le trafic des armes légères, le Raial/Iansa tient à faire savoir que, selon lui, les mesures pour prendre en charge les facteurs engendrant la demande en armes légères méritent autant 1er trimestre 2001 DOCUMENT : ATTIRER L’ATTENTION SUR LES ARMES LÉGERES d’attirer l’attention. Cette demande, qu’elle émane d’individus, d’acteurs non gouvernementaux ou d’États, est alimentée par l’insécurité, la privation, l’oppression et l’instabilité. Une situation économique, politique et sociale saine crée les conditions pour une paix et une sécurité durables, et par conséquent réduit la demande en armes légères. Une politique de développement social qui n’ignore ni la prévention de la criminalité ni les modèles de santé publique de prévention des accidents renforce la lutte contre les racines même de la violence. Il est donc souhaitable d’encourager la mise en place d’un certain nombre de mesures plus précises, dont : l’inversion des cultures de la violence, et la mise en avant de la non-possession comme la norme ; la lutte contre la pauvreté, l’inégalité et le sous-développement ; la promotion de la bonne gestion des affaires publiques, le respect des droits humains et la responsabilisation ; la réforme des services de sécurité et de police, notamment par l’inclusion dans tous les programmes de formation de notions de base concernant les droits humains et le droit humanitaire. Nous demandons aux États membres de l’ONU, lors de la conférence de 2001 : • De soutenir les efforts fournis en vue de l’amélioration des programmes des Nations unies pour la démobilisation, le désarmement et la reconversion des anciens combattants. • De reconnaître l’impact des armes légères sur les enfants, les femmes et les autres groupes vulnérables ; et de s’engager à mettre fin à l’utilisation des enfants soldats. • De s’efforcer de manière prioritaire à identifier les moyens de résoudre les problèmes qui permettent à la demande en armes de se perpétuer. • D’inclure dans leurs programmes de développement la problématique de la prévention des conflits. • De développer des programmes d’éducation et de prise de conscience au niveau local, national et régional, en lien avec les initiatives de la société civile, de manière à accentuer l’implication des populations, soutenir les efforts faits dans la lutte contre la prolifération des armes, et enfin dénoncer et inverser les éventuelles « cultures de l’arme à feu ». • De promouvoir la bonne gestion des affaires publiques, le respect des droits humains et la responsabilisation, en appliquant ces principes dans le domaine de la sécurité et dans la réforme de la police. 8. Mise en œuvre et suivi de la conférence L’établissement de programmes financiers pour garantir les ressources nécessaires à la mise en œuvre des accords internationaux et régionaux est nécessaire si l’on veut qu’ils soient efficaces. La coopération et l’assistance techniques sont indispensables pour la réalisation de tels programmes 9. Il n’existe pas de solution simple aux problèmes complexes. Tout effort pour réduire le trafic des armes légères exigera une démarche globale impliquant la société civile et les gouvernements concernés agissant aux niveaux local, national et international. Bien que les différents volets de la démarche retenue seront nécessairement assurés séparément par différentes institutions, une coopération et une coordination doivent impérativement s’opérer, tant au niveau local qu’au niveau régional. Nous demandons aux États membres de l’ONU, lors de la conférence de 2001 : • De soutenir les initiatives régionales existantes et à venir, et d’élaborer des orientations et des mécanismes destinés à favoriser leur mise en œuvre. • D’identifier les méthodes pour fournir les ressources (financières, techniques et humaines) pour aider les pays, sur leur demande, à mettre en œuvre les législations nationales et régionales, ainsi que les accords internationaux. • De reconnaître le rôle joué par les organisations — locales, nationales et internationales — émanant de la société civile dans la lutte contre la prolifération et l’usage incontrôlé des armes légères, et de réserver des fonds à des programmes ambitieux de contrôle et de sensibilisation publique. • De mettre en place un processus de suivi régulier de la mise en œuvre des décisions prises dans le cadre de la conférence, permettant d’évaluer son avancement et d’identifier les étapes ultérieures. Ce processus peut inclure des rapports rédigés annuellement par les États et décrivant leurs actions pour la mise en œuvre du plan d’action international, ainsi que la tenue d’une conférence d’évaluation en 2004 ou 2005. Traduction réalisée par Xavier Collard 1) Nations unies, International Study on Firearm Regulation (revised), 1997 ; Wendy Cukier, Antoine Chapdelaine et Cindy Collins, « Globalization and Small/Firearms: A public health perspective », Development, 42 (40), pp. 40-44. 2) CICR, La disponibilité des armes et la situation des civils dans les conflits armés, Genève, CICR, 1999. 3) W. Cukier, Firearms and Women, IPU, juin 2000. 4) CDC, « Rates of Homicide, Suicide and Firearm Related Death among Children », CDC Weekly Report 46 (5), 1997. 5) Lora Lumpe, (éd.), Running Guns: The Global Black Market in Small Arms, Londres, Zed, 2000. 6) Philip Cook, Stephanie Molliconi et Thomas B. Cole, « Regulating Gun Markets », The Journal of Criminal Law and Criminology, 86, n° 1, pp. 59-91, 1995. 7) CICR, op. cit., 1999. 8) S. Meek, Buy or Barter: History and Prospects for Voluntary Weapons Collection Programs, Institute for Security Studies, Monographie n° 22, mars 1998. 9) P. A. Alves et D. B. Cipollone, Curbing Illicit Trafficking in Small Arms and Sensitive Technologies, Unidir, Genève, 1998. 27 O B S E R V A T O I R E Damoclès n° 88 des transferts d’armements ÉTUDELa coopération militaire française en question L’ étude que vient de réaliser Belkacem Elomari se veut une contribution au débat sur le type de coopération militaire développé par la France mis en question aujourd’hui tant par les médias, que par les ONG et, de manière plus feutrée, par certains parlementaires. Présentation. Belkacem Elomari D 28 epuis la fin des guerres coloniales, la France a développé une politique de coopération militaire — sur la base d’accords dont la plupart sont tenus secrets — avec les pays nouvellement indépendants. Pourtant, même si le gouvernement de Lionel Jospin a réintégré la coopération militaire dans le cadre de la politique étrangère de la France — désormais, la France ne partage plus le monde entre ses anciennes colonies et le reste du monde… — les questions demeurent. D’autant que les exportations d’armements font également partie de la politique étrangère et engendre de nouvelles relations militaires avec les pays acquéreurs. En Europe de l’Est par exemple, la France noue des alliances pour pouvoir s’introduire sur ce nouveau marché des armes. Cette conjonction tripartite entre l’industrie d’armement, les forces armées et les États a donné naissance à ce que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de « coopération militaire et de défense ». Ces nouvelles perspectives assignées à la coopération militaire visent d’une part à maintenir l’influence française tant sur son « ex-pré carré » africain que sur le continent européen en passe de retrouver, après la guerre froide, une autonomie politique vis-à-vis de ses anciens « tuteurs » tant Américains que Soviétiques et d’autre part, à soutenir l’industrie d’armement française. Au terme de cette étude, nous formulons huit recommandations destinées à améliorer à la fois la transparence et le contrôle démocratique de la politique française de coopération militaire : 1 Publier les textes complets des accords de défense et de coopération militaire ; 2 Privilégier l’aide à la sécurité et au maintien de la paix ; 3 Transparence appliquée à la coopération militaire ; 4 Révision des accords en cohérence avec les traités internationaux ; 5 Respect des conventions internationales et intégration de la coopération militaire dans la politique globale d’aide au développement ; 6 Lier accords de défense et de coopération militaire et participation au Registre de l’ONU ; 7 Associer les accords de défense et de coopération militaire avec les initiatives européennes en matière de transparence ; 8 Mieux contrôler les développements de la coopération militaro-industrielle. ▲ La coopération militaire française en question Belkacem Elomari 112 pages • 72 FF / 10,98 € (port compris) 1er trimestre 2001 À LIRE : LA MONDIALISATION ARMÉE BONNES FEUILLES La mondialisation armée L es quelques pages extraites de la conclusion du dernier ouvrage de Claude Serfati — que nous reproduisons ci-contre — donnent le ton de ce stimulant essai qui vient tordre le coup à quelques idées fausses sur « la mondialisation [est] porteuse de paix » et rappeler que la « production d’armes se révèle un terrain d’investissement plus que jamais attractif pour le capital financier ». À l’heure de la mondialisation, ce n’est plus la politique, mais l’économie qui serait « désormais la continuation de la guerre par d’autres moyens »… L’auteur s’attache à décrire la nouvelle étape de la militarisation, soulignant que « situé au croisement du politique, l’appareil militaroindustriel américain a trouvé dans la mondialisation les bases d’un nouveau départ ». Et les États-Unis le moyen de maintenir leur suprématie. L’initiative du système de défense antimissile NMD en est le signal le plus clair. Patrice Bouveret La mondialisation armée Le déséquilibre de la terreur Claude Serfati Textuel, coll. La Discorde, Paris, 2001, 174 p., 110 FF. Claude Serfati À la fin du XXe siècle, une étape supplémentaire dans la course aux armements a été franchie. Selon les données du Sipri, la chute des dépenses militaires mondiales a pris fin en 1996 ; en 1999, elles ont même augmenté, pour la première fois depuis 1988. Les États-Unis, certains pays européens, la Russie, la Chine, l’Asie du Sud-Est, le Brésil et la Turquie ont principalement contribué à cette hausse. Si elle devait se confirmer, cette hausse signifierait que la période 19881996 n’a été qu’une parenthèse dans l’évolution tendancielle des dépenses militaires observées depuis la fin de la seconde guerre mondiale. On ne peut néanmoins s’arrêter à des données statistiques. Au-delà, on doit noter la transformation des conditions de production d’armes et le rôle central qu’y tiennent le capital financier, l’intégration croissante des technologies militaires et civiles, la multiplication des types d’armes de destruction massive (chimiques et bactériologiques), mais également leur prolifération rendue plus aisée. La militarisation de la planète à l’aube du XXIe siècle présente des dangers redoutables. Les armes produites sont destinées à être utilisées, comme toute l’histoire, et encore plus tragiquement celle du XXe siècle, l’a montré. […] La mondialisation : vers des droits cosmopolites ?... La description de la militarisation de la planète et de l’ampleur des guerres qui la traversent faite dans les chapitres précédents pourra sembler excessivement pessimiste. Pour de nombreux observateurs, la mondialisation ouvre à l’humanité des possibilités insoupçonnées en matière de relations pacifiques, tout en s’inscrivant dans une lente montée d’une sorte de régulation internationale des conflits entre nations. Les théoriciens des relations internationales soulignent en effet que l’histoire moderne est marquée par plusieurs étapes décisives dans la constitution d’un « ordre mondial ». Le monde a longtemps vécu sur les principes admis lors des traités de 29 Damoclès n° 88 Westphalie (1648) qui ne devaient prendre effet pleinement qu’au XIXe siècle. Selon ces traités, le monde est composé d’États souverains qui ne reconnaissent aucune autorité supérieure. La loi internationale, quand elle existe, doit au mieux se borner à établir des règles de coexistence minimale entre les États et les peuples. Au XIXe siècle, les États, tout en continuant à faire la guerre, renforcent les dispositifs diplomatiques destinés à prévenir les conflits. Le Concert européen qui durera de 1815 à 1870 ménage des conférences réunissant les grandes puissances. Ensuite, des conférences sur la paix sont organisées (à La Haye en 1899 et 1907) pour réglementer le commerce des armes. Le conflit qui éclate en Europe en 1914 montre les limites de l’exercice. L’ampleur des massacres (des millions de morts durant les quatre années de guerre) conduit à quelques tentatives dans l’après-guerre, par exemple cette réunion des soixante-quatre États membres de la Société des Nations à Genève (19321934), pour initier un processus de désarmement total. 30 La création de l’Onu correspond à une conception différente de (sinon opposée à) celle véhiculée par le Concert des Nations. Les États constituent certes la base de l’organisation mise en place, mais un système de droits et principes universels, c’est-à-dire transcendant les États, est adopté. La notion de sécurité collective fait son apparition, la charte des Nations unies prévoit la mise sur pied d’un état-major militaire placé sous la responsabilité d’un Conseil de sécurité. Les Nations unies ont également fourni un cadre favorable à la décolonisation, à l’aide humanitaire (Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948). Son apport le plus positif est peut-être d’avoir favorisé l’explosion des ONG 1 (Organisations non gouvernementales), permettant l’émergence d’un contre-pouvoir citoyen en face des États. Celui-ci a pris de l’ampleur au cours de la décennie quatre-vingt-dix. On souligne également l’importance qu’a prise la mise en place de tribunaux de justice internationaux qui peuvent poursuivre des dirigeants pour crimes de guerre contre l’humanité. Certains estiment que la mondialisation produit une véritable révolution copernicienne dans le domaine des relations internationales. L’émergence de « droits cosmopolites » souhaités par Kant est l’œuvre d’une « communauté internationale » en train de forger les instruments et les institutions qui permettent de faire reculer les guerres et le militarisme 2. Les ONG développent des réseaux transnationaux qui militent pour le respect des droits de l’homme et renforcent les pouvoirs de la société civile contre les abus des États. Au-delà de cette posture défensive, les ONG préfigurent ou annoncent ce que pourrait être une « démocratie globale ». L’Onu pourrait voir son organisation profondément remaniée avec un droit d’appel des individus devant l’Onu, la formation d’une « seconde chambre représentant l’assemblée des peuples » à côté de celle composée aujourd’hui des États, l’usage du référendum, etc. 3 Maurice Bertrand considère que « l’intégration politique du monde est devenue inévitable et [qu’]elle est en cours de réalisation » 4, ce qui annonce la fin de « l’ordre militaire » et l’apparition de la « mondialisation du “système de sécurité” ». Cette expression désigne un mode (ou un système) de sécurité composé d’ensembles d’institutions et de méthodes par lesquelles les peuples assurent leur sécurité contre les risques d’agression — ou autres dangers — qui les menacent. Jean-Paul Jean rappelle que les tribunaux pénaux internationaux qui ont été créés à l’issue du conflit en ex-Yougoslavie et pour le génocide au Rwanda traduisent « une avancée décisive de la lutte contre des criminels de guerre. Mais ces deux exemples ne sont que le balbutiement d’une véritable justice pénale internationale » 5. ... ou le renforcement d’un ordre social inégalitaire ? Les analyses précédentes soulignent à juste titre que l’humanité est engagée dans une nouvelle étape de son histoire, et qu’il est urgent de trouver des réponses adaptées à ces nouvelles exigences. Mais il faut d’abord constater que l’Onu n’a pas réussi à construire la paix : les conflits ont fait plus de morts depuis 1945 que durant la seconde guerre mondiale. Les critiques sont nombreuses mais l’une des plus fortes probablement est que l’Onu a permis la pérennisation de la situation héritée de la seconde guerre mondiale. Le siège de membre permanent au Conseil de sécurité réservé à cinq pays a reflété d’une part le partage du monde décidé à Yalta. ll a permis d’autre part que ces pays gèrent avec plus ou moins de succès leurs zones d’influences respectives. Maurice Bertrand rappelle que les agressions des pays membres permanents du Conseil de sécurité contre un autre pays (et en particulier celles perpétrées par l’URSS en Hongrie, en Tchécoslovaquie et en Afghanistan ; par les États-Unis, au Guatemala, dans d’autres pays d’Amérique latine, au Vietnam ; par la France, en Indochine et en Algérie) n’ont pu être empêchées 6. Les deux seuls cas d’action collective patronnés par l’Onu, la guerre de Corée en 1950 et celle du Golfe en 1990, n’ont pu exister que parce que les intérêts vitaux des ÉtatsUnis étaient en jeu. En fait, Monique ChemillerGendreau rappelle que le texte fondateur de l’Onu permettait le renforcement de la domination de certains pays (les membres permanents du Conseil de sécurité) qui se « sont auto-légitimés de manière définitive et ont validé durablement leur puissance » 7, Pierre de Senarclens parle du « mythe démocratique » de l’Onu, au sein duquel siègent des dirigeants d’États tyranniques, dépourvus d’une quelconque légitimité démocratique, et d’autres n’ayant aucune souveraineté réelle 8. Avec la disparition de l’URSS, un nouvel ordre mondial s’est installé au sein duquel la place de l’Onu est un peu plus marginalisée, alors que les États-Unis agissent avec plus de désinvolture vis-à-vis de l’organisation internationale. On sait que les États-Unis refusent depuis 1er trimestre 2001 À LIRE : LA MONDIALISATION ARMÉE des années de payer l’intégralité de leur quote-part à l’organisation. Il s’agit d’un geste de portée symbolique, compte tenu du montant dérisoire des arriérés en souffrance pour ce pays si riche (1,5 milliard de dollars, soit, pour fixer les idées, bien moins que le coût d’un bombardier furtif B-2 estimé à 2,5 milliards de dollars). Mais un autre symbole, autrement plus fort, est le fait que ce soit le P-DG de CNN, Ted Turner, qui a payé à l’Onu, avant le 31 décembre 2000, la somme nécessaire (34 millions de dollars) pour qu’un accord amiable intervienne entre les États-Unis et l’Onu (Le Monde du 24-25 décembre 2000). Selon Le Monde, certains fonctionnaires en place à New York se sont réjouis de ce geste, soulignant qu’il inaugurait la « participation de la société civile à l’Onu », lls doivent dans ce cas se féliciter d’une initiative récente prise par le secrétaire général de l’Onu. Présentant cette initiative, intitulée Global Compact (quelque chose comme un « contrat mondial »), une expression qu’il avait déjà utilisée quelques mois auparavant au forum de Davos, M. Kofi Annan a déclaré que dans un « monde de défis communs, les Nations unies et les milieux d’affaires sont en train de trouver des terrains d’entente [...] la confrontation a été remplacée par la coopération et les Joint ventures ». Ce programme comprend l’engagement du respect des droits humains, du travail et de l’environnement par les groupes industriels signataires. On y retrouve des groupes tels que Nike, Shell, McDonald’s, BP Amoco, Novartis, dont les associations de protection de l’environnement et les organisations syndicales pourraient documenter à loisir la façon dont elles violent ces droits 9. Même si ce n’était pas le cas, le fait que des groupes multinationaux dont la puissance financière est énorme soient associés à l’activité d’une organisation internationale telle que l’Onu en dit long sur le degré de soumission au capital privé auquel est arrivée la « communauté internationale ». d’excellents commissaires tels que Monti pour la concurrence, Lamy pour le commerce et Liikanen pour le commerce électronique et l’industrie. » 10 La « marchandisation de la planète » est donc rien moins que l’expression des forces anonymes du marché. Derrière la « main invisible » de la mondialisation, il y a plus que jamais la « dimension politique », c’est-à-dire le bras secourable des politiques néolibérales des gouvernements et des organisations internationales, et au besoin la « poigne de fer » du militarisme. Et ceci pour défendre des rapports économiques et sociaux profondément inégalitaires qui perpétuent un mode de développement non soutenable pour la majeure partie de la population de la planète, mais également par les destructions environnementales et écologiques qu’il produit. La situation actuelle indique que la sécurité de l’humanité va bien au-delà des questions de défense : elle doit intégrer les dimensions environnementales, alimentaires, sanitaires, mais aussi la sécurité de l’emploi, ou plus simplement le droit au travail dont sont également privés des centaines de millions d’individus. Pourtant, les réponses apportées par les politiques néolibérales aux fléaux du chômage, aux tragédies sanitaires, aux destructions environnementales aggravent ces maux et l’insécurité de ceux qui en sont victimes. Elles ne peuvent qu’intensifier les mesures et accroître les dépenses qui sont nécessaires à la défense des « droits de propriété », c’est-à-dire d’un régime de propriété privée qui est pourtant une source majeure de cette insécurité. Dans ces conditions, les solidarités « transfrontières » mais également entre les différentes composantes du « mouvement social » et salarial, si elles se consolidaient, seraient la meilleure antidote aux réponses « sécuritaires » et militaristes que dessinent les anciens et nouveaux « maîtres du monde ». ▲ L’insécurité produite par la « marchandisation » de la planète Ce qui se passe aujourd’hui à l’Onu n’est qu’une étape supplémentaire du rôle majeur joué par les grands groupes industriels et financiers privés dans la nouvelle architecture juridique et institutionnelle mondiale. Ces groupes ont fortement influencé l’agenda des organisations internationales qui ont relayé et cherché à légitimer les politiques néolibérales menées par les gouvernements. Depuis deux décennies, le FMI, la Banque mondiale, l’OCDE et, depuis sa création en 1995, l’OMC ont centré leurs exigences sur des programmes de privatisation et de déréglementation des marchés et des industries. En Europe, ces exigences ont trouvé, selon le responsable d’un des plus puissants groupes de pression (The European Roundtable of Industrialists) une oreille plus que favorable auprès de la Commission : « Lorsque des hommes d’affaires comme moi ont un problème qui intègre une dimension politique, nous avons accès à 1) Les ONG à vocation internationale etaient 176 en 1909, 832 en 1951 et 5 472 en 1996. 2) M. Kaldor, op. cit. 3) Voir A. Mc Grew, The Tronsformotion of Democrocy? Globolizotion ond Territorial Democrocy, Polity Press, Cambridge, 1997. 4) M. Bertrand, La fin de l’ordre militoire, Presses de Sciences Po, Paris, 1996, p. 63. 5) J.-P. Jean, « La justice, pilier ou béquille de la democratie ? », Le Monde diplomatique, janvier 2001. 6) M. Bertrand, op. cit., p. 110. 7) M. Chemiliier-Gendreau, « Les bases et les conditions de la démocratie internationale », La pensée, janvier-février-mars 1997. 8) P. de Senarclens, Mondialisation, souveraineté et théories des relations internationales, Armand Colin, Paris, 1998, p. 187. 9) Voir « Tangled up in Blue », dossier realisé par Corporate Watch, disponible sur Internet. 10)Corporate Europe Observer, Issue 7, disponible sur Internet. 31 Damoclès n° 88 Notes de lecture “Bons pour le service” L’expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle Odile Roynette Belin, Paris, 2000, 461 p., 149 FF/22,71 € Les Poilus La France sacrifiée Pierre Miquel Plon, Paris, 2000, 523 p., 149 FF/22,71 € travers les conscrits encasernés des années 1872-1905 et les Poilus « bons pour le carnage » de la guerre 1914-198 ce sont cinquante ans de l’histoire de la nation française et de son armée que nous sommes invités à relire. Les deux ouvrages fort différents sont complémentaires, le premier issu d’une thèse s’inspirant de l’histoire culturelle à la mode, le second présentant une synthèse des connaissances sur la guerre vécue par les combattants d’août 1914 à novembre 1918. Odile Roynette part de la défaite militaire de 1871, des débats qu’elle suscite sur la régénération du pays pour décrire la mise en place d’un service militaire obligatoire faisant vivre en caserne, pour un à trois ans, deux jeunes français sur trois. Elle analyse formes et modèles de la régionalisation progressive du recrutement avant de centrer son travail sur le vécu des conscrits. Les ruptures avec leur milieu d’origine, les valeurs que la discipline des armées entend leur inculquer, les souffrances que les jeunes endurent — à travers ce dressage — sont une donnée majeure de la construction d’une identité masculine faite de virilité, d’honneur, de camaraderie qui trouvera à s’exercer sur les champs de bataille. La réalité sera — la Grande Guerre venue — fort éloignée des entraînements et des manœuvres. Pierre Miquel en fait revivre les étapes comme les transformations des À 32 marches à la mort des pantalons rouges en 1914 — où les combattants sont fauchés par les mitrailleuses et les canons allemands sans jamais voir l’ennemi — au répit inconfortable des premières tranchées. Sont ensuite mis en avant les aveuglements des étatsmajors lançant, au mépris des hécatombes, offensives sur offensives de 1915 à 1917, l’incroyable résistance des Poilus de Verdun au rouleau compresseur industriel allemand, le nouveau visage que prend alors l’affrontement des camps épuisés — les mutineries et la révolution russe en témoignaient. Une bonne mise en scène de 1918 intitulée « Les martyrs de la victoire » rappelle l’emploi massif des gaz dans l’offensive Luddendorf, la nouvelle utilisation des grenades, des chars et de l’aviation dans des combats toujours aussi meurtriers, les manœuvres politiques et diplomatiques des gouvernements allemands pour éviter l’invasion de leur territoire national. Ainsi sont jetées les bases d’une guerre de trente ans, le pacifisme français (incarné par Aristide Briand) ne pouvant enrayer la volonté de puissance des milieux militaires et industriels allemands, Fédérés en 1933-34 par Hitler. Son projet de nouvel Empire allemand et d’Europe nazie échouera en 1945, au prix de dizaines de millions de nouveaux morts. Michel Robert te, début des années soixante a conduit les éditeurs à publier — ou rééditer — des ouvrages sur ce sujet. Ce livre — paru pour la première fois en 1975 aux Éditions François Maspéro — se veut « un aide-mémoire » que Pierre Vidal-Naquet a construit en rassemblant et commentant différents documents d’époque, afin de permettre à tout un chacun de ne pas oublier les crimes commis au nom de la France et de « reprendre un travail jusqu’à présent inachevé : celui de la mémoire ». Un regret toutefois, la nouvelle « préface inédite de l’auteur » laisse le lecteur sur sa faim… On aurait aimé y trouver une interrogation plus poussée sur les raisons de ce silence qui a entouré durant toutes ces années cette pratique barbare… « Ce n’est pas de la censure, mais plutôt de l’indifférence », explique Pierre Vidal-Naquet. Un peu court. Patrice Bouveret Dictionnaire de la pensée stratégique François Géré avec le concours de Thierry Widemann, Arnaud Blin et Jean-Damien Pô Larousse, coll. Les référents, Paris, 2000, 318 p. 110 FF/16,8 € a stratégie imprègne de nombreux secteurs de la société. Mais que recouvre exactement ce terme ? Ce dictionnaire permet d’étayer les différents paradigmes de ce terme et offre une véritable boite à outils de la pensée stratégique et de la mise en pratique que cette connaissance a inspiré aux hommes. Ainsi au fil des 130 notions et d’une centaine de stratèges, le lecteur pourra se constituer son propre bagage stratégique, bien utile en cette période de transition. P. B. L Les crimes de l’armée française Algérie 1954-1962 Dossier réuni par Pierre Vidal-Naquet La Découverte/Poche, Paris, 2001, 172 p., 42 FF/6,40 € e retour sur la scène médiatique de la question de la torture pratiquée par l’armée française durant la guerre d’Algérie à la fin des années cinquan- L 1er trimestre 2001 NOTES DE LECTURE Le nouveau contexte des échanges et ses règles cachées Information, stratégie et guerre économique Éric Denece L’Harmattan, Paris, 2001, 254 p., 140 FF/21,34 € e passage de la civilisation industrielle à celle de l’information doit être considéré pour l’auteur comme l’une des grandes mutations de l’histoire de l’humanité. La révolution de l’information qui s’accompagne d’autres mutations technologiques essentielles, bouleverse nos modes d’organisation et de production, mais aussi de communication, de consommation, d’enseignement et de loisirs. Cette révolution, dont nous mesurons à peine les premiers effets, offre une quantité considérable d’opportunités nouvelles et présente un nouveau paradigme pour les activités économiques. Pour nombre d’acteurs, le nouvel environnement des échanges peut paraître difficile à déchiffrer, d’autant que sa complexité va de pair avec une conflictualité accrue. En effet, la compétition économique se durcit et projette les acteurs économiques au cœur d’une tourmente à laquelle ils étaient peu préparés. Beaucoup sont déroutés, certains sont éliminés, faute d’avoir su s’adapter à temps. Ni condamnation, ni apologie du libéralisme, ce livre invite à une meilleure compréhension des nouveaux phénomènes régissant les échanges économiques internationaux. Belkacem Elomari L pays riverains de cette « mer des paradoxes » Berceau de trois religions d’importance (judaïsme, christianisme, islam) et accoucheuse de nombreuses civilisations, la Méditerranée est loin d’être, comme le démontre Paul Balta, un ensemble homogène mais plutôt un espace de « fortes affirmations identitaires » génératrices de guerres comme de métissages « qui ont contribué à la naissance de l’humanisme ». Cet ouvrage permet de dépasser les clichés opposant Nord et Sud et de montrer en quoi les destins des deux rives sont liés « pour le P. B. meilleur et le pire ». 1) Vers une sécurité commune en Méditerranée. Démilitariser le concept de sécurité, Bernard Ravenel, CDRPC, Lyon, 112 p. 75 FF/114,34 € (port compris). Palestiniens et Israéliens Le moment de vérité Sous la direction de Jean-Paul Chagnollaud, Régine Dhoquois-Cohen et Bernard Ravenel L’Harmattan, Paris, 2000, 208 p. Chroniques de Bagdad 1997-1999 La guerre qui n’avoue pas son nom Alice Bséréni L’Harmattan, 2000, 242 p., 120 FF/18,29 € eux ouvrages faisant le point sur des régions-clés du Moyen-Orient au cours de la dernière décennie du XXe siècle. En douze articles, des spécialistes proches de la revue Confluences Méditerranée analysent donc le bilan (au printemps 2000) du processus de paix engagé entre 1991 et 1994 entre Yasser Arafat et les dirigeants israéliens. Tous les enjeux sont pris en compte : ceux que posent la sécurité d’Israël — sa redéfinition nécessaire à l’âge des menaces nucléaires régionales — comme la multiplication des implantations coloniales juives cherchant à étouffer Jérusalem-Est, ceux que présentent la construction de D Méditerranée. Défis et enjeux Paul Balta L’Harmattan, Les Cahiers de Confluences, Paris, 2000, 212 p., 110 FF/16,77 € n complément de l’ouvrage que nous avons publié sur les questions de la sécurité en Méditerranée (1), le lecteur tirera profit de la lecture de cette vaste fresque que cet ancien journaliste du Monde, spécialiste du monde arabo-musulman, dresse des E l’Autorité nationale palestinienne et le problème des réfugiés palestiniens ou la question de l’eau à mieux partager, les difficultés économiques et les pressions internationales (États-Unis, Union européenne ou Vatican). Un excellent jeu de cartes aide à comprendre pourquoi les négociations — contrairement aux espoirs occidentaux — n’ont cessé de piétiner. De 1993 à 2000, au-delà des principes affichés — « des droits légitimes et politiques mutuels », passage d’un Accord intérimaire au Statut définitif — tous les gouvernements israéliens de Rabin et Pérès à Barak en passant par Netanyahou ont pratiqué la même politique sur le terrain : redéploiement des forces militaires plutôt que retrait, construction d’autoroutes enserrant leurs colonies, refus aux Palestiniens du lancement du port de Gaza comme d’une liaison directe GazaCisjordanie, bouclages répétés des territoires palestiniens. Ainsi Israël entend négocier en position de force, maintenir un éventuel État palestinien à l’état de protectorat avec une économie en sous-traitance. De nombreux autres enseignements sont apportés par les auteurs, notamment dans les remarquables articles sur l’historique des implantations de colonies « sionistes » en terre palestinienne de 1948 à 1999 et sur Jérusalem dans le processus de paix. Ils aident à saisir comment ce « moment de vérité » a pu aussi facilement basculer à nouveau dans la violence. Le travail d’Alice Bséréni est d’un ton différent. Témoignage militant fondé sur des voyages réguliers à Bagdad et une liste d’interviews où figurent surtout journalistes et artistes irakiens, il donne un aperçu au quotidien de la vie des Irakiens soumis au régime de l’embargo onusien et des frappes militaires américano-britanniques. Le style est chaleureux, la démonstration inégalement convaincante. À lire, toutefois, pour prendre conscience du climat de mésinformation duquel nous dépendons constamment, malgré les organisati.ons humanitaires, avec parfois la complicité de la communauté internationale. M. R. 33 Damoclès n° 88 Éthiopie-Érythrée frères ennemis de la Corne de l’Afrique Fabienne Le Houérou L’Harmattan, Paris, 2000, 160 p., 120 FF/18,29 € n travail d’historienne exemplaire par ses méthodes et par l’éclairage qu’il nous apporte sur les évolutions politiques et sociales de cette région d’Afrique de l’Est. Cela pourrait d’ailleurs aussi s’intituler Érythrée 1890-1991 l’invention d’une nation. À partir de multiples enquêtes de terrain et d’interviews où la caméra vidéo peut accompagner l’entretien oral, Fabienne Le Houérou renouvelle l’approche des problèmes contemporains en Afrique : elle croise l’analyse des témoignages oraux avec ceux des archives classiques et des ouvrages déjà publiés pour expliquer l’affrontement des trente dernières années entre l’Éthiopie et l’Érythrée. De cette démonstration on peut retenir : l’inégal héritage colonial des États actuels de l’Éthiopie n’ayant connu que cinq années d’occupation italienne, l’Érythrée l’ayant subie durant un demi-siècle fournissant à l’armée italienne des dizaines de milliers de supplétifs les « ascaris ». C’est l’étape coloniale qui fixe la frontière entre les territoires. La volonté de domination des Éthiopiens (sous tutelle amhara de Ménélik à Hailé-Sélassié et au colonel Menguestu) entendant réunir tous les peuples et ethnies sous leur direction patriotique, chrétiens et musulmans ensemble, le poids de la guerre d’indépendance érythréenne déclenchée en 1961 qui finit par opposer deux fronts populaires se réclamant du marxismeléninisme (1978-1991). La manière dont se forme à travers la mobilisation érythréenne une élite féminine de jeunes combattantes (30 % des 100 000 soldats) dont la réinsertion politique et sociale pose de nombreux problèmes, la paix venue. On lira avec grand intérêt ce « chapitre femme » comme l’étude de la reprise de la guerre fratricide en 1998-1999 dans un climat économique fort changé. Dominique Lorenz Les Arènes, Paris, 2001, 609 p., 178 FF/27,14 € Histoire secrète de la bombe atomique française André Bendjebbar U 34 Affaires atomiques En annexe, des entretiens de dirigeants d’Addis-Abeba et Asmara du Front de libération tigréen, les cartes sont insuffisantes ce qui n’enlève rien à la grande qualité de cet ouvrage. M. R. Le Cherche midi, Paris, 2000, 407 p., 138 FF/21,04 € « Sociétés sous contrôle » Manière de voir Le Monde diplomatique Les moyens de la puissance n° 56, mars-avril 2001, 98 p., 45 FF/6,86 € omme le rappelle Ignacio Ramonet en ouverture de ce fort instructif recueil, « l’individu est proclamé “libre”, mais, en fait, le périmètre de sa liberté ne cesse de rétrécir ». Et comme fil conducteur — ou plus exactement comme fil tutélaire — se trouve 1984, le roman prémonitoire de Georges Orwell, référence obligatoire pour qui veut évoquer le thème de la surveillance, du contrôle social… D’autant qu’avec l’essor des nouvelles technologies, Big Brother peut s’immiscer jusque dans les replis de votre ordinateur, vous suivre à la trace de vos déplacements via le portable et de vos achats via la puce de votre carte de paiement, contournant « les fragiles remparts qui protègent notre vie privée ». Ce recueil articule les différentes facettes du contrôle social diffus qui se développe aujourd’hui dans nos sociétés permettant à la dynamique de la mondialisation et du libéralisme de s’imposer partout, exigeant « de chacun l’abdication de son autonomie » à son plus grand profit… P. B. Les activités militaires du CEA (1945-2000) Jean-Damien Pô C PS. Le Monde diplomatique a rassemblé vingt ans d’archives sur un cédérom fonctionnant indifféremment sur Mac et PC. Plus de 17 000 articles, reportages, analyses, tableaux, etc., publiés dans le mensuel entre janvier 1980 et décembre 2000 et servis par un puissant logiciel de recherche. Un outil indispensable disponible contre 320 FF / 48,78 € (frais de port inclus) à l’adresse suivante : Cédérom Le Monde diplomatique, 60646 Chantilly Cedex. Ellipses – Fondation pour la Recherche Stratégique, Paris, 2001, 271 p. es deux premiers ouvrages s’appuient sur le registre du « secret nucléaire » enfin dévoilé. Certes, ils citent des documents nouveaux, mais les faits sont connus et déjà publiés dans maints ouvrages. Dominique Lorenz a le mérite de retracer l’histoire de la prolifération nucléaire. Elle dénonce les idées « habituellement » reçues de la distinction entre nucléaires civil et militaire, distinction qui permet allègrement aux puissances nucléaires de vendre les secrets de la bombe. Ce parcours dont la lecture est passionnante se termine par un point d’orgue sur la partie immergée de « l’iceberg » nucléaire iranien. De quoi accréditer la notion d’« État voyou » génératrice d’un nouvel avatar de la course aux armements ? André Benjebbar retrace la genèse de la bombe française de la deuxième guerre mondiale à 1968 où la France faisait exploser sa première bombe thermonucléaire. Il y a, bien sûr, des documents inédits et des témoins nouveaux, et ce livre sera très utile à ceux qui n’auraient pas accès aux ouvrages quasi introuvables de Bertrand Goldschmidt ou encore aux mémoires du général Ailleret, pour ne citer que ces témoins-clés. Sur un point particulier, on regrettera que l’auteur se soit simplement contenté de mentionner un accident grave – jusque-là non connu — survenu lors d’un essai souterrain à In Ecker le 18 mars 1963, développant L 3ème trimestre 2000 NOTES DE LECTURE plutôt ce que tout le monde sait déjà sur l’accident du 1er mai 1962 où se trouvaient les ministres Messmer et Palewski. Un ouvrage en définitive assez conforme que le lecteur complétera utilement – pour partie — par la lecture de L’Amérique contre de Gaulle de Vincent Jauvert (voir Damoclès n° 87). Jean-Damien Pô, plus modeste dans le ton, apporte dans Les moyens de la puissance des éléments fort peu connus de l’histoire concrète de la bombe française et du fonctionnement de la Direction des applications mili- taires (Dam) du Commissariat à l’énergie atomique. Le livre se termine avec les restructurations de la Dam après l’arrêt des essais, chapitre dont on complétera l’information par la lecture du dernier Cahier de l’Observatoire des armes nucléaires françaises (n° 6, mai 2001). Cette analyse d’un organisme clé de la puissance de la France, sous ses aspects technologique, politique et stratégique, se termine par la question « À quoi sert la Dam ? » à laquelle Jean-Damien Pô esquisse une réponse : « La Dam sert à la France à tenir son rang dans la com- pétition technologique qui, dans le système international de l’âge nucléaire, tend à se substituer à l’épreuve de la guerre réelle. » Ce n’est pas notre point de vue, mais la réponse de l’auteur semble synthétiser la pensée de ceux qui – au cœur du système nucléaire français – envisagent l’avenir du CEA militaire. Ce livre constitue un éclairage des plus pertinents dans le débat sur l’avenir de la dissuasion nucléaire française. Bruno Barrillot Retrouvez toute l’actualité du Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits sur Internet : w w w. o b s a r m . o r g ✁ BULLETIN D‘ABONNEMENT Abonnement 4 numéros (un an) : France : 160 FF / 24,39 € Europe : 200 FF / 30,49€ Autres pays : 220 FF / 33,54 € Etudiants, chômeurs, tarif réduit : 120 FF / 18,29 € Nom .......................................................................................................................................................... Prénom ................................................................................................................................................... Adresse .................................................................................................................................................. ........................................................................................................................................................................ 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Les décideurs militaires n’ignoraient nullement les « dommages collatéraux » provoqués par l’emploi de ces armes tant sur les populations que les militaires. Ainsi, en France, les experts ont pris d’importantes précautions pour la mise au point de ces munitions. Aujourd’hui, ces mêmes « experts » informent les cabinets ministériels et les parlementaires sur la prétendue innocuité de l’uranium appauvri ! Les gouvernements des pays producteurs — américain et français notamment — n’envisagent pas de renoncer à ces munitions à l’uranium appauvri considérées comme du dernier cri technologique. Pour éviter les indiscrétions, les industriels utilisent un nom de code — staballoy — ou retirent la mention de ces armes de leurs catalogues… Et continuent la production ! Dès la fin des années 1950, les diplomates des Nations unies ont débattu de l’interdiction des armes utilisant des matières nucléaires, comme l’uranium appauvri. Ces discussions ont cessé curieusement au moment même où de telles armes étaient utilisées sur le champ de bataille irakien. La communauté internationale et la société civile doivent reprendre le dossier pour que soit appliqué le principe de précaution et faire interdire les munitions à l’uranium appauvri à l’instar des armes chimiques ou des mines antipersonnel. À commander au 128 pages 91 FF / 13,87 € port compris CDRPC 187 montée de Choulans F-69005 Lyon Chèques à l'ordre du CDRPC : CCP Lyon 3305 96 S IIn nffo or rm me er r e ett a ag giir r p po ou ur r lla a p pa aiix x Le CDRPC a pour objectif de diffuser l'information et de participer à des actions de recherche et de formation sur les questions de paix et de guerre, de désarmement et de militarisation. Les études du CDRPC constituent des moyens d'information uniques et indispensables à qui veut comprendre les mécanismes de la militarisation et agir en pleine connaissance pour un véritable désarmement.