palestine : agir maintenant - L`observatoire des armements

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palestine : agir maintenant - L`observatoire des armements
n° 88 - 1er trimestre 2001 — 40 FF. /
6,1 €
Dessin paru dans Le Monde du 10 avril 2001
ISSN 0296-1199
DA MOCLÈS
PALESTINE : AGIR MAINTENANT
Vers un nouveau mouvement
de paix en Israël ?
• Conférence des Nations unies :
attirer l’attention sur les armes légères
• Impact du transfert des activités
d’entretien des SNA à Brest
• Notes de lecture
REVUE DE RÉFLEXIONS ET D'ÉCHANGES SUR LA PAIX,
LES CONFLITS ET LA SÉCURITÉ MUTUELLE
D AMOCLÈS
S O M M A I R E
• Conflit israélo-palestinien
Vers un nouveau mouvement de paix en Israël ?
Gush Shalom : Quatre-vingts thèses
pour un nouveau camp de la paix en Israël
.....................................
4
Responsable de la rédaction :
.....................................................
6
Rapport : Palestine, agir maintenant ................................................................... 13
Appel à la création urgente
d’une force d’interposition en Palestine
...........................................................
17
• Campagne
Le Terrible, enfant de la prolifération nucléaire française ............... 18
• De Brest à Toulon
Transfert des activités d’entretien des SNA :
quel impact à Brest ? ............................................................................................................ 20
• Conférence des Nations unies de 2001
Attirer l’attention sur les armes légères
Revue trimestrielle de réflexions
et d’échanges sur la paix, les
conflits et la sécurité mutuelle
...........................................................
22
• Étude
.........................................
28
.................................................................................................
29
.......................................................................................................................
32
La coopération militaire française en question
Patrice Bouveret
Comité de rédaction :
Bruno Barrillot,
Patrice Bouveret,
Belkacem Elomari,
Bernard Ravenel,
Michel Robert,
Jean-Luc Thierry
187 montée de Choulans
F-69005 Lyon
Tél. 04 78 36 93 03
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Attention nouvelle
adresse e-mail :
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• Bonnes feuilles
La mondialisation armée
• Notes de lecture
• Bulletin d'abonnement ...................................................................................................... 35
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du Centre de documentation
et de recherche sur la paix
et les conflits sur Internet :
Ont participé à ce numéro :
Bruno Barrillot
Patrice Bouveret
Christian Brunier
Xavier Collard
Belkacem Elomari
Guy Morvan
Bernard Ravenel
Michel Robert
Thierry Sauvin
Claude Serfati
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de Documentation et de Recherche
sur la Paix et les Conflits.
1er trimestre 2001
É DITORIAL
L’
inversion de calendrier ne devrait pas toucher seulement les élections
présidentielles et législatives… En effet, le ministère de la défense avait annoncé que la
loi de programmation militaire 2003-2008 (traçant les grandes lignes directrices pour
l’organisation de la défense et des armées et surtout fixant les priorités pour la
fabrication des équipements militaires) serait soumise au vote durant le printemps
2001. Or, à ce jour, aucune date n’a encore été fixée sur l’ordre du jour parlementaire,
aucun document n’a été soumis aux députés, les commissions de la défense des deux
assemblées n’ont pas encore nommé les rapporteurs pour avis…
Plusieurs raisons sont évoquées officieusement du possible report du vote de la loi
après les élections présidentielles et législatives d’avril et juin 2002 : un désaccord sur
le montant des crédits alloués à l’équipement des armées pour les années à venir entre
le président de la République et le premier ministre… Jacques Chirac, qui au début de
son septennat a mis en route le chantier de la professionnalisation de l’armée souhaite
que les crédits d’équipements — qui représentent grosso modo la moitié de l’ensemble
des dépenses militaires — soient de l’ordre de 92 milliards de francs par an, en
augmentation par rapport au budget actuel… Le ministère des finances propose une
enveloppe oscillant aux alentours de 82 milliards de francs, en fait au mieux le
maintien des dépenses à leur niveau actuel…
En période pré-électorale, cette querelle de chiffres pourrait bien faire « mauvais genre »
face aux priorités d’ordre social comme le plein emploi, la santé, l’éducation, etc.
D’autant qu’il est maintenant admis par tous que la France n’a plus d’ennemi à ses
portes… Et cela sans compter le fait que la cohabitation ne favorise pas l’élaboration
d’un compromis, même s’il faut bien chercher pour trouver des différences entre les
conceptions de la gauche et de la droite en matière de défense…
Une seconde divergence se superpose à celle sur le montant des dépenses : la question
de l’intégration militaire au niveau européen. En effet, Paul Quilès, le président de la
commission de la défense lors d’un récent colloque à l’Assemblée nationale en janvier
dernier a affirmé lors de son intervention « qu’il serait préférable qu’il n’y ait pas pour
l’instant de nouvelle loi de programmation militaire » car si elle « devait être présentée
au Parlement dans les mois qui viennent, elle ne pourrait véritablement prendre en
compte l’exigence européenne ». Se demandant même si « cette absence de
programmation […] ne pourrait pas avoir un effet salutaire »…
D’accord, mais pour cela il faudrait que le débat sorte des cercles restreints dans
lesquels il est confiné et qu’une inversion soit opérée au niveau de l’élaboration
de la loi de programmation militaire. En effet, de manière schématique
actuellement ce sont les états-majors qui établissent leur « catalogue » sur lequel le
gouvernement opère un premier tri et ensuite le débat se déroule dans les assemblées
parlementaires sur les montants alloués…
La discussion porte sur les moyens sans qu’il y ait auparavant un véritable débat
politique et public sur les objectifs de la défense. En effet, quand le projet de loi est
déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat, il est déjà quasi bouclé…
les parlementaires ne peuvent intervenir que sur la marge du projet.
Damoclès
3
Damoclès n° 88
INTIFADA
Vers un nouveau
mouvement de paix
en Israël ?
G
ush Shalom (Bloc de la paix ; mouvement créé en 1993) vient de rédiger
un texte — publié par le quotidien Ha’aaretz du 13 avril dernier — sous
forme de quatre-vingts points afin de provoquer un débat au sein
de la société israélienne sur le développement d’un nouveau camp
de la paix en Israël. Un document important à l’heure où les lueurs
d’espoirs d’un règlement du conflit israélo-palestinien semblent
plus éloignées que jamais…
Bernard Ravenel
4
« La rupture du vieux camp de la paix rend nécessaire la création d’un nouveau camp israélien de la paix
qui soit dans la réalité, remis à jour, efficace et fort, qui
puisse influencer le public israélien et provoquer une
réévaluation complète des vieux axiomes, afin d’effectuer un changement du système politique israélien. »
« Pour ce faire, le nouveau camp de paix doit amener
l’opinion publique à une réévaluation courageuse du
« récit » national et le débarrasser des faux mythes. Il
doit tâcher d’unir les versions historiques des deux
peuples dans un « récit » simple, exempt de tromperies
historiques, qui sera acceptable par les deux parties. »
Avec cette double thèse (n° 76 et 77), le mouvement
pacifiste radical israélien, Gush Shalom, dont l’animateur le plus connu est Uri Avnery 1, fixe l’ambition stratégique du projet. Dans le contexte où il se situe, il faut
mesurer la portée de cette démarche.
En effet, chaque jour qui passe, il devient toujours plus
violemment évident qu’en Palestine s’est mise en mouve-
ment une machine infernale tragique dont en ne voit pas
l’issue. Une tragédie qui semble bouleverser toutes les
coordonnées de la logique politique, de la négociation : les
protagonistes désormais sont les mitrailleuses lourdes des
tanks israéliens et les actes de terrorisme de groupes extrémistes. La gauche et les pacifistes israéliens sont marginalisés et Yasser Arafat qui condamne les attentats en est
affaibli. Toutes les voies ou sentiers de la paix ont été
détruits : Madrid, Oslo, Camp David sont les noms de
l’illusion d’une époque révolue. En Palestine, c’est l’addition et la multiplication de deux tragédies, celle des Juifs
et celle des Palestiniens chassés de leurs terres et humiliés
dans leur dignité. Et chacune des parties ne voit pas — ou
mal — la tragédie de l’autre : Jérusalem est le lieu symbolique de cette précipitation vers la catastrophe.
L’échec de Ehud Barak et le succès d’Ariel Sharon
ont initié l’extraordinaire accélération de ce processus
destructif. Destructif non seulement pour les Palestinien
auxquels Ariel Sharon ne reconnaît aucun droit sinon
celui de la sujétion mais aussi pour Israël. Aux journalistes du Figaro qui lui demandent si dans cette manière
de procéder Israël ne risque pas de perdre son identité,
Ariel Sharon répond : « Nous pouvons compter sur les
1er trimestre 2001
VERS UN NOUVEAU MOUVEMENT DE PAIX EN ISRAËL ?
Palestiniens pour que cela n’arrive jamais. » Ariel
Sharon, le « guerrier », affirme, contre l’avis de beaucoup d’Israéliens pourtant angoissés par le terrorisme,
que l’identité et la vie d’Israël se fondent sur la guerre
continuelle. Le terrorisme devient ainsi produit et ressource essentielle de sa politique. On ne voit pas d’issue.
Les Palestiniens les plus favorables à la paix entre les
deux peuples se demandent si ce qui se passe ne
démontre pas que le seul moyen d’arriver à des négociations vraies ne passe pas à travers l’action violente.
C’est dans ce contexte dramatique qu’en Israël, dans
la société civile, émerge une opposition à cette folle politique. Cette contestation prend différentes formes : appels
d’intellectuels et d’écrivains, refus de jeunes soldats ou
de rappelés — près d’un millier de cas connus — de faire
leur service dans les territoires occupés. C’est la prise de
conscience progressive du mouvement La Paix maintenant qui s’autonomisant enfin du Parti travailliste, rompt
le silence en décembre dernier pour demander l’évacuation des colonies de peuplement 2. Mais le moteur principal a été et reste l’action courageuse et initialement très
minoritaire du mouvement Gush Shalom qui dès le début
de l’Intifada a entendu se manifester. Et maintenant, à travers son analyse de la situation, il a senti la nécessité d’un
saut qualitatif pour être à la hauteur des défis terribles qui
sont devant lui. D’où ces thèses qui apparaissent comme
un tournant culturel fondamental de la problématique du
mouvement de paix israélien. Elles contribuent à dépasser la fragilité d’un mouvement devenu incapable
d’accomplir une double opération :
— vaincre la résignation diffuse de ceux qui ne veulent
pas la guerre mais qui, se sentant incapables d’unifier
une réelle volonté de paix, estiment ne pouvoir rien faire
pour l’empêcher, faisant ainsi, involontairement, le jeu
des va-t-en guerre ;
— dépasser la simple exigence immédiate « Nous ne
voulons pas la guerre » par sa détermination à vouloir
savoir où sont les racines de la guerre, à les étudier et à
les attaquer.
Or, ces racines, les thèses le démontrent, sont historico-politiques et seules leur connaissance non superficielle permet de dépasser l’émotivité immédiate, de
s’appuyer sur une argumentation politique forte pour
fonder une proposition qui fait de la logique de paix la
condition du changement. Ce qui est un fait historique
nouveau dans la mesure où aujourd’hui, comme le rappelle la thèse 11, « vu la vitesse de développement des
armes de destruction de masse, d’autres rounds d’hostilité pourraient mener à la destruction de toutes les parties en conflit ».
Pour renverser l’hégémonie culturelle de la violence,
cette nécessité historique contraint à qualifier politiquement cette paix permettant le passage d’un pacifisme
immédiat et émotif comme choix éthique, à un pacifisme
qui se situe d’emblée dans la sphère politique, là où se
joue le destin de la guerre et de la paix. Au MoyenOrient comme ailleurs 3.
Quels rapports ce nouveau mouvement de paix pourrait-il avoir avec cet autre mouvement socio-politique
qu’est l’Intifada ? Comment celle-ci va-t-elle se situer
par rapport à la logique de guerre qui semble l’emporter ?
À ces questions comme à d’autres, l’Intifada est déjà
confrontée. À partir de ces thèses, Gush Shalom établit
les fondements d’un dialogue politique inévitable pour
définir ensemble une politique commune au MoyenOrient, une politique de paix au Moyen-Orient, c’est-àdire une politique fondée sur l’application du droit.
▲
1) Uri Avnery, qui a combattu dans les rangs de la Haganah en 1948,
a été très tôt un acteur du dialogue israélo-palestinien. Il a écrit
en particulier Mon frère l’ennemi (Éditions Liana Lévi) en 1986
où il raconte treize ans de combat pour une paix judéo-arabe.
2) Le Monde, du 6 décembre 2000.
3) Lire la préface de Michel Warschawski au livre d’Isabelle Avran,
Israël-Palestine : les inventeurs de la paix, Éditions l’Atelier, 2001.
Il y écrit notamment : « … il faut reconstruire un discours
de paix qui puisse être commun aux deux peuples, il faut inventer
la paix » (p. 11).
inq ans après Barcelone qui avait défini un partenariat
euro-méditerranéen, la conférence de Marseille en
novembre 2000 se proposait de redéfinir le rapport
politique entre les deux rives de la mer commune avec l’adoption d’une « Charte de paix et de stabilité ».
À cette occasion, nous avons publié un document rédigé par
Bernard Ravenel analysant le contexte et les
enjeux de ce processus dit « de Barcelone ».
112 pages
C
Disponible auprès du CDRPC,
187 montée de Choulans, 69005 Lyon
75 F. / 114,34 €
port compris
5
Damoclès n° 88
GUSH
S
HALOM
Quatre-vingts
thèses
pour un nouveau camp
de la paix en Israël
1. Le processus de la paix s’est effondré et a entraîné
avec lui une grande partie du camp israélien de la paix.
2. Les circonstances passagères, telles que des questions
personnelles ou partisanes, les échecs de la conduite,
l’intérêt politique personnel, les développements politiques nationaux et mondiaux — tous ceux-ci sont
comme la mousse au-dessus des vagues. Si importants
qu’ils puissent être, ils ne peuvent pas, en juste proportion, expliquer totalement l’effondrement.
3. La véritable explication peut seulement être trouvée
sous la surface, aux racines du conflit historique entre les
deux nations.
4. Le processus Madrid-Oslo a échoué parce que les
deux côtés cherchaient à réaliser des buts contradictoires.
5. Les buts de chacun des deux côtés ont émané de leurs
intérêts nationaux de base. Ils ont pris forme à partir de
leurs récits historiques, par leurs vues disparates du
conflit au cours des cent vingts dernières années. La version historique nationale israélienne et la version historique nationale palestinienne sont entièrement contradictoires, dans leur ensemble et dans tous les détails.
6
6. Les négociateurs et les décideurs du côté israélien ont
agi dans l’oubli complet du récit national palestinien.
Même lorsqu’ils ont eu une sincère bonne volonté d’arriver à une solution, leurs efforts ont été condamnés à
échouer car ils ne pouvaient pas comprendre les désirs,
les traumatismes, les craintes et les espoirs nationaux des
Palestiniens. Même s’il n’y a aucune symétrie entre les
deux parties, l’attitude palestinienne était semblable.
7. La résolution d’un aussi long conflit historique est
possible seulement si chaque côté est capable de comprendre le monde spirituel-national de l’autre et disposé
à l’approcher comme un égal. Une attitude peu sensible,
condescendante et autoritaire exclut n’importe quelle
possibilité d’une solution d’accord.
8. Le gouvernement de Ehud Barak, qui avait inspiré tellement d’espoir, a été affecté par toutes ces attitudes,
d’où, l’énorme abîme entre sa promesse initiale et les
résultats désastreux.
9. Une partie significative du vieux camp de paix (également appelé « sioniste de gauche » ou « collège électoral
raisonnable ») est pareillement affectée et s’est donc
effondrée avec le gouvernement qu’elle a soutenu.
10. Le premier rôle d’un nouveau camp israélien de la
paix doit donc être de se débarrasser des faux mythes et
de la vision unilatérale du conflit. Ceci ne signifie pas
que le récit israélien doive automatiquement être rejeté et
le récit palestinien être accepté sans contestation. Mais la
situation exige l’écoute avec un esprit ouvert et la compréhension de l’autre position dans le conflit historique,
afin de jeter un pont entre les deux récits nationaux.
11. Toute autre manière mènera à la poursuite éternelle
du conflit, avec des périodes de tranquillité apparente et
de conciliation fréquemment interrompues par des éruptions d’actions hostiles violentes entre les deux nations et
entre Israël et le monde arabe. Vu la vitesse de développement des armes de destruction de masse, d’autres
rounds d’hostilité pourraient mener à la destruction de
toutes les parties en conflit.
1er trimestre 2001
Les racines du conflit
12. Le conflit israélo-palestinien est la suite du désaccord historique entre le mouvement sioniste et le peuple
arabe palestinien, un désaccord qui a commencé à la fin
du XIXe siècle et qui est encore à conclure.
13. Le mouvement sioniste était essentiellement, une
réaction juive à l’apparition en Europe des mouvements
nationaux, qui étaient hostiles aux Juifs. Après avoir été
rejetés par les nations européennes, certains Juifs décidèrent de s’établir en nation indépendante et suivant le
nouveau modèle européen, pour installer leur propre État
national où ils pourraient être les maîtres de leur propre
destin. Le principe de la séparation, qui a formé la base
de l’idée sioniste, a eu des conséquences à long terme.
La doctrine sioniste de base, celle qu’une minorité ne
peut pas exister dans un État national homogène selon le
modèle européen, a conduit plus tard à l’exclusion pratique de la minorité nationale dans l’État sioniste qui vint
à l’existence cinquante ans après.
14. Des motifs traditionnels et religieux ont conduit le
mouvement sioniste vers la Palestine (Eretz Israël en
hébreu) et la décision a été prise d’établir l’État juif sur
cette terre. La maxime était : « Une terre sans peuple
pour un peuple sans terre. » Cette maxime a été non seulement inspirée par l’ignorance, mais également par
l’arrogance générale envers les peuples non-européens
qui existait en Europe à ce moment-là.
15. La Palestine n’était pas vide — pas à la fin du
XIXe siècle ni à aucune autre période. À ce moment-là, il
y avait un demi-million de personnes habitant en
Palestine, 90 % d’entre eux étaient des Arabes. Cette
population s’est opposée naturellement, à l’incursion
d’une autre nation sur ses terres.
16. Le mouvement national arabe a émergé presque
simultanément avec le mouvement sioniste, pour combattre au début l’empire ottoman et ensuite les régimes
coloniaux qui lui ont succédé à la fin de la Première
Guerre mondiale. Un mouvement national indépendantiste
arabe palestinien s’est développé dans le pays après que
les Anglais eurent créé un État séparé appelé « Palestine »
et dans le cours de la lutte contre l’infiltration sioniste.
17. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, il y a
eu une lutte continuelle entre les deux mouvements nationalistes, le sionisme juif et le mouvement arabe palestinien qui, tous les deux, ont aspiré à réaliser leurs buts —
qui s’opposent entièrement — sur le même territoire.
Cette situation demeure sans changement à ce jour.
18. Comme la persécution juive en Europe s’intensifiait,
et comme les pays du monde fermaient leurs portes aux
Juifs essayant de se sauver de l’enfer, le mouvement sioniste a ainsi gagné en force. L’Holocauste qui a pris les
vies de six millions de Juifs, a donné la puissance morale
et politique à la revendication sioniste. Cela a conduit à
l’établissement de l’État d’Israël.
19. Les Palestiniens, étant témoins de la croissance de la
population juive sur leur terre, ne pouvaient pas com-
D OCUMENT
prendre pourquoi on leur demandait de payer le prix des
crimes commis contre les Juifs par les Européens. Ils se
sont violemment opposés à la poursuite de l’immigration
juive et à l’acquisition des terres par les Juifs.
20. L’oubli total par chacun des deux peuples de l’existence nationale de l’autre a inévitablement mené aux perceptions fausses et tordues qui ont pris racine profondément dans la conscience collective de ces deux peuples.
Ces perceptions affectent leur attitude de l’un envers
l’autre jusqu’à ce jour.
21. Les Arabes ont considéré que les Juifs avaient été
implantés dans le pays par l’impérialisme occidental afin
de subjuguer le monde arabe et prendre le contrôle de ses
trésors. Cette conviction a été renforcée par le fait que le
mouvement sioniste a essayé, dès le début, d’obtenir une
alliance avec au moins une puissance occidentale
(Allemagne, Grande-Bretagne, France, États-Unis) pour
surmonter la résistance arabe. Les résultats étaient une
coopération pratique et une communauté d’intérêts entre
l’entreprise sioniste et les forces impérialistes et colonialistes, dirigées contre le mouvement national arabe.
22. Les Juifs, d’autre part, ont été convaincus que la
résistance arabe à l’entreprise sioniste — prévue pour
sauver les Juifs des flammes de l’Europe — était la
conséquence de la nature meurtrière des Arabes et de
l’islam. À leurs yeux, les combattants arabes étaient des
« gangsters », et les soulèvements du temps ont été appelés des « émeutes ». (En fait, dans les années 1920, le
chef sioniste le plus extrême, Ze’ev Jabotinsky, était
presque seul à reconnaître que la résistance arabe à l’installation sioniste était une réaction inévitable, normale et
de ce point de vue une juste réaction d’un peuple « indigène » défendant son pays contre les envahisseurs étrangers. Ze’ev Jabotinsky a également reconnu le fait que les
Arabes dans le pays étaient une entité nationale indépendante et ridiculisa des tentatives faites pour suborner les
chefs d’autres pays arabes afin de mettre un terme à la
résistance arabe palestinienne. Cependant, la conclusion
de Ze’ev Jabotinsky était d’ériger un « mur d’acier » face
aux Arabes et de briser leur résistance par la force.
23. La contradiction totale dans la perception des faits
affecte chaque aspect du conflit. Par exemple, les Juifs
ont interprété leur lutte pour « le travail juif » comme un
effort social progressiste de transformer une nation de
négociants et de spéculateurs en une nation d’ouvriers et
de fermiers. Les Arabes, d’autre part, l’ont vue comme
tentative criminelle de la part des sionistes de les déposséder de les expulser du marché du travail et de créer, sur
leur terre, une économie juive indépendante, sans Arabe.
24. Les sionistes étaient fiers de leur « Rédemption par
la terre ». Ils l’avaient achetée à sa juste valeur avec de
l’argent rassemblé par des Juifs du monde entier. Les
« Olim » (nouveaux immigrés, littéralement pèlerins) qui
avait été des intellectuels et des négociants dans leur
ancienne vie, maintenant gagnaient leur vie à la sueur de
leur front. Ils ont cru qu’ils avaient réalisé tout ceci par
moyen paisible et sans déposséder un seul Arabe. Pour
7
Damoclès n° 88
les Arabes c’était un récit cruel de dépossession et
d’expulsion : les Juifs ont acquis les terres de riches propriétaires fonciers arabes absents et ensuite ils ont de
force expulsé les fellahin qui, pendant des générations, y
avaient vécu et avaient gagné leur vie sur ces terres. Pour
les aider dans cet effort, les sionistes ont engagé la police
turque et, plus tard, la police britannique. Les Arabes
regardaient cela désespérément pendant que les terres
leur étaient prises.
25. Contre la proclamation sioniste d’avoir avec succès
« transformé le désert en jardin », les Arabes ont cité les
témoignages des voyageurs européens qui décrivaient la
Palestine comme une terre peuplée depuis plusieurs
siècles et florissante à l’égal de n’importe lequel de ses
voisins régionaux.
L’indépendance et le désastre
8
26. Le contraste entre les deux versions nationales a
atteint un sommet lors de la guerre de 1948, une guerre
appelée « la guerre de l’indépendance » ou même « la
guerre de libération » par les Juifs, et « El Naqba », le
désastre, par les Arabes.
27. Alors que le conflit s’intensifiait dans la région, et
avec l’impact retentissant de l’Holocauste, les Nations
unies décidaient de diviser le pays en deux États, juif et
arabe. Jérusalem et ses environs étaient censés rester une
unité indépendante, sous juridiction internationale. Aux
Juifs étaient attribués 55 % de la terre y compris le
Néguev non peuplé.
28. Le mouvement sioniste a accepté le plan de partition, convaincu que la question cruciale était d’établir
une base ferme pour la souveraineté juive. Lors des
réunions à huis clos, David Ben-Gourion n’a jamais
caché son intention d’augmenter, à la première occasion,
le territoire donné aux Juifs. C’est pourquoi la déclaration de l’indépendance d’Israël n’a pas défini les frontières du pays et le pays est resté sans frontières définies
jusqu’à ce jour.
29. Le monde arabe n’a pas accepté le plan de partition
et l’a considéré comme une vile tentative des Nations
unies, qui était essentiellement alors un club des nations
occidentales et communistes, de diviser un pays qui ne lui
appartenait pas. La remise de la majeure partie du pays à
la minorité juive, qui représentait un seul tiers de la population, l’a rendu plus impardonnable à leurs yeux.
30. La guerre lancée par les Arabes suivant le plan de
partition était, inévitablement, une guerre « ethnique »,
un type de guerre dans lequel chaque côté cherche à
conquérir autant de terre que possible et expulse la population de l’autre côté. Une telle campagne (qui plus tard
a été dénommée « nettoyage ethnique ») implique toujours des expulsions et des atrocités.
31. La guerre de 1948 était une prolongation directe du
conflit sioniste-arabe dans lequel chaque côté a cherché à
atteindre ses objectifs. Les Juifs ont voulu établir un État
national homogène qui serait aussi grand que possible.
Les Arabes ont voulu supprimer l’entité juive sioniste
qui avait été établie en Palestine.
32. Les deux côtés ont pratiqué le nettoyage ethnique
comme partie intégrale du combat. Il n’y avait pas beaucoup d’Arabes restant dans les territoires conquis par les
Juifs et aucun Juif n’est resté dans les territoires conquis
par les Arabes. Cependant, comme les territoires conquis
par les Juifs étaient de loin plus grands que ceux capturés
par les Arabes, le résultat n’était pas équilibré. (L’idée
d’un « échange de population » et d’un « transfert » a été
évoquée dans les organisations sionistes, dès les années
1930. Effectivement cela signifiait l’expulsion de la
population arabe du pays. De l’autre côté, beaucoup
parmi les Arabes ont cru que les sionistes devraient
retourner vers là d’où ils étaient venus).
33. Le mythe du « petit nombre face au grand nombre »
a été cultivé par les Juifs pour décrire la situation de la
communauté juive de six cent cinquante mille personnes
contre le monde arabe entier de plus de cent millions. La
communauté juive a perdu 1 % de ses membres dans la
guerre. Les Arabes ont dépeint un tableau complètement
différent : une population arabe fragmentée, sans direction nationale pour parlementer, sans commandement
unifié dirigeant ses maigres forces, avec peu d’armes et
la plupart du temps désuètes, confrontée à une communauté juive extrêmement bien organisée, bien entraînée
dans l’utilisation de ses armes. Les pays arabes voisins
ont trahi les Palestiniens et, quand ils ont finalement
envoyé leurs armées, ils se sont principalement comportés en concurrents les uns des autres, sans coordination et
aucun plan commun. Du point de vue social et militaire,
les possibilités de combat du côté israélien étaient de
loin supérieures à ceux des États arabes, qui avaient à
peine émergé de l’ère coloniale.
34. Selon le projet des Nations unies, l’État juif était
censé inclure une population arabe s’élevant à environ
40 %. Pendant la guerre, l’État juif a étendu ses frontières et a fini par s’approprier 78 % de la surface du
pays. Ce secteur était presque exempt d’Arabes. Les
populations arabes de Nazareth et de quelques villages
en Galilée sont demeurées presque accidentellement ; les
villages dans ce triangle avaient été donnés à Israël au
terme d’un marchandage avec le roi Abdallah et n’ont
pas pu, en conséquence, être évacués.
35. Dans la guerre un total de sept cent cinquante mille
Palestiniens ont été déracinés. Certains d’entre eux ont
fui par crainte des combats, comme les populations
civiles le font dans chaque guerre. Certains ont été chassés par des actes de terreur tels que le massacre de DirYassin. D’autres ont été systématiquement expulsés au
cours du nettoyage ethnique.
36. Non moins important que l’expulsion est le fait
qu’on n’ait pas permis aux réfugiés de retourner dans
leurs maisons quand les combats furent terminés, comme
cela se pratique après une guerre conventionnelle. Bien
au contraire, le nouvel Israël a vu le déplacement des
1er trimestre 2001
POUR UN NOUVEAU CAMP DE LA PAIX EN ISRAËL
Arabes tout à fait comme une bénédiction et a procédé à
la démolition totale de quatre cent cinquante villages
arabes. De nouveaux villages juifs ont été construits sur
les ruines et de nouveaux noms hébreux leur ont été donnés. Les maisons abandonnées dans les villes étaient
repeuplées avec de nouveaux immigrés.
« Un État juif »
37. La signature des accords de cessez-le-feu à la fin de
la guerre de 1948 n’a pas apporté un terme au conflit historique. Celui-ci a, en fait, atteint des degrés nouveaux et
plus intensifs.
38. Le nouvel État d’Israël a consacré ses premières
années à consolider son caractère national homogène
comme « État juif ». Des grandes surfaces du territoire
ont été expropriées au détriment des « absents » (les
réfugiés), de ceux officiellement désignés comme
« absents de fait » (des Arabes qui sont physiquement
restés en Israël, mais à qui on n’a pas permis de devenir
des citoyens) et même des arabes citoyens d’Israël, à la
plupart desquels les terres ont été retirées. Sur ces terres
un réseau dense de communautés juives a été créé. Les
« immigrés » juifs ont été invités à venir en masse et
même cajolés. Ce grand effort a multiplié plusieurs fois
la puissance de l’État, rien qu’en quelques années.
39. Dans le même temps l’État a vigoureusement
conduit une politique pour effacer l’entité palestinienne
comme entité nationale. Avec l’aide israélienne, le
monarque de Transjordanie, Abdallah, prit le contrôle de
la rive occidentale et depuis lors il y a, en effet, une
garantie militaire israélienne de l’existence du royaume
de la Jordanie.
40. La raison principale du traité entre Israël et le royaume hashémite, qui est resté en vigueur pendant trois
générations, était d’empêcher l’établissement d’un État
indépendant arabe-palestinien, qui était considéré —
alors et maintenant — comme un obstacle à la réalisation
de l’objectif sioniste.
41. Un changement historique s’est produit à la fin des
années 1950 du côté palestinien quand Yasser Arafat et
ses associés ont fondé le mouvement du Fatah conçu pour
libérer le mouvement palestinien de la surveillance des
gouvernements arabes. Ce n’est pas par accident que ce
mouvement a émergé après l’échec de la grande conception pan-arabe dont le représentant le plus renommé était
Gamal Abd-el Nasser. Jusqu’à ce moment-là beaucoup de
Palestiniens avaient espéré être absorbés dans une nation
unie pan-arabe. Quand cet espoir s’est dissipé, l’identité
palestinienne nationale indépendante est réapparue.
42. L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a
été créée par Gamal Abd-el Nasser pour empêcher une
action palestinienne autonome qui aurait pu l’impliquer
dans une guerre peu désirée avec Israël. L’organisation a
été prévue pour imposer l’autorité égyptienne au-dessus
des Palestiniens. Cependant, après la défaite arabe dans
la guerre de juin 1967, le Fatah, mené par Yasser Arafat,
a pris le contrôle de l’OLP et a été depuis l’unique représentant des Palestiniens.
« La guerre des six jours »
43. La guerre de juin 1967 est vue sous une lumière très
différente par les deux côtés, comme chaque incident au
cours des cent vingt dernières années. Selon le mythe
israélien, c’était une guerre défensive désespérée, qui a
miraculeusement rapporté beaucoup de terres dans les
mains d’Israël. Selon le mythe palestinien, les chefs de
l’Égypte, de la Syrie et de la Jordanie sont tombés dans
un piège tendu par Israël afin de capturer tout ce qui restait de la Palestine.
44. Beaucoup d’Israéliens croient que « la guerre de six
jours » est la racine de tout le mal et que c’est seulement
après qu’Israël, alors progressiste et aimant la paix, s’est
transformé en conquérant et occupant. Cette conviction
leur permet de soutenir la pureté absolue du sionisme et
de l’État d’Israël jusqu’à ce moment-là dans l’histoire et
de préserver leurs vieux mythes. Il n’y a aucune vérité
dans cette légende.
45. La guerre de 1967 était encore une autre phase de la
vieille lutte entre les deux mouvements nationaux. Elle
n’a pas changé d’essence ; elle a seulement changé de
circonstances. Les objectifs essentiels du mouvement
sioniste — un État juif, son expansion, et une colonisation — progressaient à grands pas. Les circonstances
particulières ont rendu impossible dans cette guerre, un
nettoyage ethnique étendu mais plusieurs centaines de
milliers de Palestiniens ont été néanmoins expulsés.
46. Par le plan de partition de 1947, 55 % du territoire
(de Palestine) était attribué à Israël, ensuite 23 % ont été
annexés durant la guerre de 1948 et maintenant les 22 %
restants, à travers « la ligne verte » (la ligne d’armistice
avant 1967), ont été également annexés. En 1967 Israël
par inadvertance a regroupé les Palestiniens (y compris
des réfugiés) sous son autorité.
47. Dès la fin de la guerre, le mouvement de colonisation
a commencé. Presque chaque faction politique dans le
pays a participé à ce mouvement depuis le messianique et
nationaliste « Gush Emunim » jusqu’au mouvement
« gauchiste » uni des Kibboutz. Les premiers colons ont
reçu un large appui de la plupart des politiciens, de
gauche et de droite, de Yigal Alon (la colonie juive de
Hebron) à Shimon Peres (la colonie de Kdumim).
48. Le fait que tous les gouvernements d’Israël aient
cultivé et développé les colonies, quoique à des degrés
différents, montre que l’aspiration aux colonies ne se
limitait à aucun camp idéologique spécifique et s’étendait au mouvement sioniste tout entier. On a suscité le
sentiment qu’une petite minorité conduisait le mouvement des colonies, mais c’était illusoire. Seul un effort
soutenu de la part de tous les organismes gouvernementaux depuis 1967 et jusqu’à ce jour a pu produire l’infrastructure législative, stratégique et budgétaire exigée
pour un effort aussi durable et coûteux.
9
Damoclès n° 88
49. L’infrastructure législative incorpore la prétention
fallacieuse que l’autorité d’occupation est le propriétaire
« des terres, propriété de l’État », bien que ce soient les
réserves de terre essentielles de la population palestinienne. Il est de soit évident que le mouvement des colonies viole le droit international.
50. Le conflit entre les partisans du « plus grand Israël »
et ceux du « compromis territorial » est essentiellement
un conflit sur la manière de réaliser l’aspiration sioniste
de base : un État juif homogène sur un territoire aussi
grand que possible. Les partisans du « compromis » soulignent la question démographique et veulent empêcher
l’inclusion de la population palestinienne dans l’État.
Les partisans du « plus grand Israël » mettent l’accent
sur la question géographique et croient (en privé ou
publiquement) qu’il est possible d’expulser la population
non juive du pays (nom de code : « transfert »).
51. L’état-major de l’armée israélienne a joué un rôle
important dans la planification et la construction des
colonies. Il a réalisé la carte des colonies (élaborée avec
Ariel Sharon) : des blocs de colonies et des routes de
déviation, latérales et longitudinales, de sorte que la rive
occidentale et la bande de Gaza soient découpées en
morceaux et que les Palestiniens soient emprisonnés
dans des enclaves isolées, chacune étant entourée par des
colonies et des forces d’occupation.
52. Les Palestiniens ont utilisé plusieurs méthodes de
résistance, principalement des raids à travers les frontières de Jordanie et du Liban et des attaques à l’intérieur
d’Israël et partout dans le monde. Ces actes sont qualifiés de « terroristes » par les Israéliens tandis que les
Palestiniens les considèrent comme la résistance légitime
d’une nation occupée. La direction de l’OLP, dirigée par
Yasser Arafat, a été longtemps considérée par les
Israéliens comme une direction terroriste, mais elle a été
progressivement reconnue internationalement comme
« représentant légitime unique » des Palestiniens.
53. Quand les Palestiniens se sont rendu compte que ces
actions ne mettaient pas un terme à la vague de colonisation, qui leur a graduellement retiré la terre de dessous les
pieds, ils ont lancé à la fin de 1987 l’Intifadah — un soulèvement de la base dans tous les secteurs de la population. Durant cet Intifadah, mille cinq cents Palestiniens
ont été tués, parmi eux des centaines d’enfants, un chiffre
plusieurs fois supérieur à celui des pertes israéliennes.
Le processus de paix
10
54. La guerre d’octobre 1973 — qui a débuté avec la
victoire par surprise des forces égyptiennes et syriennes
et a culminé avec leur défaite — a convaincu Yasser
Arafat et ses proches associés que l’action militaire ne
permettra pas d’atteindre les objectifs nationaux palestiniens. Il a décidé de s’embarquer sur une voie politique
pour conclure un accord avec Israël et pour permettre,
au moins par la négociation, la réalisation partielle des
buts nationaux.
55. Pour engager ce processus, Yasser Arafat a établi
pour la première fois des contacts avec des personnalités
israéliennes qui pouvaient avoir un impact sur l’opinion
publique et sur la politique gouvernementale en Israël.
Ses émissaires (Hamami et Issam Sartawi) ont rencontré
des figures publiques israéliennes, les pionniers de paix
qui en 1975 établirent « le Conseil israélien pour la paix
israélo-palestinienne ».
56. Ces contacts ainsi que la fatigue croissante de
l’Intifadah ressentie par les Israéliens, le retrait jordanien
de la rive occidentale, les changements des conditions
internationales (l’effondrement du bloc communiste, la
guerre du Golfe) ont conduit à la conférence de Madrid
et, plus tard, aux accords d’Oslo.
Les accords d’Oslo
57. Les accords d’Oslo ont eu des qualités positives et
négatives.
58. Du côté positif, ces accords ont amené Israël à
reconnaître pour la première fois officiellement le peuple
palestinien et sa direction nationale et ont amené le mouvement national palestinien à reconnaître l’existence
d’Israël. À cet égard l’accord (et les lettres qui l’ont précédé) ont eu une importance historique primordiale.
59. En effet, les accords ont donné au mouvement
national palestinien une base territoriale sur la terre
palestinienne, la structure d’un « État en formation » et
des forces armées — éléments qui devaient jouer un
rôle important dans la lutte palestinienne en cours. Pour
les Israéliens, les accords ont ouvert les portes au
monde arabe et ont mis un terme aux attaques palestiniennes — aussi longtemps que les accords sont demeurés en vigueur.
60. La faille la plus réelle dans ces accords était que les
deux côtés ont espéré atteindre des objectifs entièrement
différents. Les Palestiniens les ont considérés comme des
accords provisoires préparant le terrain à la fin de l’occupation, l’établissement d’un État palestinien sur tous les
territoires occupés. De leur côté, les gouvernements
israéliens respectifs les ont considérés comme une
manière de maintenir l’occupation dans de grands secteurs de la rive occidentale et de la bande de Gaza, avec
le gouvernement autonome palestinien remplissant le
rôle d’une agence auxiliaire de sécurité protégeant Israël
et les colonies.
61. Oslo n’a donc pas représenté le commencement
d’un processus pour mettre fin au conflit mais, plutôt,
une nouvelle phase différente du conflit.
62. Comme les espérances des deux côtés étaient très
divergentes et comme chacun est demeuré entièrement
lié à son propre « récit » national, chaque section des
accords a été interprétée différemment. Finalement, bien
des points de ces accords n’ont pas été respectés, principalement par Israël (le troisième retrait, les quatre passages protégés, etc.).
1er trimestre 2001
POUR UN NOUVEAU CAMP DE LA PAIX EN ISRAËL
63. Pendant toute la période du « processus d’Oslo »
Israël, a continué sa vigoureuse expansion des colonies,
principalement en en créant de nouvelles sous divers
prétextes, élargissant celles qui existaient, établissant un
réseau minutieux de routes de « déviation », expropriant
les terres, démolissant des maisons et déracinant les
plantations, etc. Les Palestiniens, de leur côté, ont passé
leur temps à établir leur force, dans le cadre des accords
et en dehors. En fait, la confrontation historique a continué, inchangée, sous l’apparence de négociations et du
« processus de paix », qui est devenu un substitut de la
paix réelle.
64. En opposition avec son image, qui s’est renforcée
après son assassinat, Yitzhak Rabin a maintenu le
conflit actif « sur le terrain », tout en organisant simultanément un processus politique pour réaliser la paix aux
conditions israéliennes. Comme il était un adepte du
récit « sioniste » et a accepté sa mythologie, il a souffert
d’une crise de conscience quand ses espoirs pour la paix
ont été en contradiction avec sa conception du monde
conceptuel. Il s’avère qu’il a commencé à intérioriser
quelques parties du récit historique palestinien seulement à la fin de sa vie.
65. Le cas de Shimon Peres est beaucoup plus grave. Il
s’est créé une image internationale de conciliateur et a
même adapté son langage pour refléter cette image (« le
nouveau Moyen-Orient ») tandis qu’il restait essentiellement un faucon sioniste traditionnel. Ceci est apparu
clairement dans la courte et violente période où il a servi
comme premier ministre après l’assassinat de Yitzhak
Rabin et encore dans son acceptation actuelle du rôle de
porte-parole et d’apologiste d’Ariel Sharon.
66. L’expression la plus claire du dilemme israélien a
été fournie par Ehud Barak qui est venu au pouvoir complètement convaincu de sa capacité de couper le nœud
gordien du conflit historique dans une course dramatique, à la manière d’Alexandre le Grand. Ehud Barak a
approché le problème en ignorant totalement le récit
palestinien et en méprisant son importance. Il a présenté
ses propositions comme des ultimatums et était consterné et furieux par leur rejet.
67. À ses yeux et à ceux de la partie israélienne dans
son ensemble, Ehud Barak a « retourné chaque pierre »
et a fait aux Palestiniens des « propositions plus généreuses que n’importe quel premier ministre précédent ».
En échange, il voulait que les Palestiniens s’engagent à
« terminer le conflit ». Les Palestiniens ont considéré
ceci comme une prétention absurde puisque Ehud Barak
leur demandait effectivement d’abandonner leur aspiration nationale fondamentale, telle que le droit au retour,
la souveraineté sur Jérusalem-Est et sur le Mont du
Temple. En outre, alors qu’Ehud Barak présentait les
revendications pour l’annexion de territoire comme une
question de pourcentages négligeables (« blocs de colonies »), selon des calculs palestiniens, ceci s’est élevé à
une annexion réelle de 20 % de la terre au-delà de la
ligne verte.
68. Selon la vision palestinienne, ils avaient déjà fait le
compromis décisif en acceptant d’établir leur État à
l’intérieur de la ligne verte, dans simplement 22 % de
leur patrie historique. Par conséquent, ils pouvaient seulement accepter les changements de frontière mineurs
dans le contexte de permutations territoriales. La position israélienne traditionnelle est que les acquis de la
guerre de 1948 sont des faits établis qui ne peuvent pas
être discutés et le compromis exigé doit se fixer sur les
22 % restant.
69. Comme cela se produit avec la plupart des termes et
des concepts, le mot « concession » a des significations
différentes pour les deux côtés. Les Palestiniens croient
qu’ils ont « déjà concédé 78 % » de leur terre quand ils
sont d’accord pour en accepter 22 %. Les Israéliens
croient qu’ils « concèdent » quand ils sont d’accord pour
accorder à la partie palestinienne ces mêmes 22 % (la
rive occidentale et la bande de Gaza.
70. Le sommet de camp David, l’été 2000, qui a été
imposé à Yasser Arafat contre sa volonté, était prématuré et a poussé les choses à leur paroxysme. Les
demandes d’Ehud Barak, présentées au sommet comme
celles de Bill Clinton, étaient que les Palestiniens acceptent de finir le conflit en cédant sur le droit au retour et
sur le retour lui-même, en acceptant des arrangements
compliqués sur Jérusalem-Est et le Mont du Temple,
sans obtenir de souveraineté sur eux ; qu’ils soient
d’accord sur de grandes annexions territoriales sur la
rive occidentale et la bande de Gaza, sur une présence
militaire israélienne dans d’autres grands secteurs et sur
le contrôle israélien des frontières séparant l’État palestinien du reste du monde. Aucun chef palestinien ne
voudrait jamais signer un tel accord et ainsi le sommet
s’est terminé dans l’impasse et l’arrêt des carrières de
Bill Clinton et Ehud Barak.
L’Intifadah d’El-Aqsa
71. La rupture du sommet, l’élimination de tout espoir
d’un accord entre les deux parties et la position inconditionnellement pro-israélienne des Américains, a mené
inévitablement à un autre round de confrontations violentes, qui ont gagné le titre d’Intifadah d’El-Aqsa. Pour
les Palestiniens, c’est un soulèvement national justifié
contre l’occupation prolongée, qui n’a aucune fin en vue
et qui permet le retrait continuel et quotidien de leur terre
de dessous leurs pieds. Pour les Israéliens, c’est un accès
de terrorisme meurtrier. Les auteurs de ces actes apparaissent aux Palestiniens comme des héros nationaux et
aux Israéliens comme des criminels impitoyables qui
doivent être liquidés.
72. Les médias officiels en Israël ne mentionnent plus le
mot des « colons », mais parlent des « résidents » contre
qui toute attaque est un crime contre des civils. Les
Palestiniens considèrent les colons comme l’avant-garde
d’une force ennemie dangereuse dont l’intention est de
les déposséder de leurs terres et elle doit être défaite.
11
Damoclès n° 88
73. Une grande partie du « camp de la paix » israélien
s’est désintégré pendant l’Intifadah al-Aqsa et il s’avère
que plusieurs de ses convictions ont eu des pieds d’argile. Particulièrement après que Ehud Barak ait « retourné
chaque pierre » et ait fait « des propositions plus généreuses que n’importe quel premier ministre précédent »,
le comportement palestinien fut incompréhensible à cette
partie du « camp de la paix », puisqu’il n’avait jamais
opéré une révision complète du « récit sioniste » et
n’avais pas intériorisé le fait qu’il y a aussi « un récit
palestinien ». La seule explication restante était que les
Palestiniens avaient dupé le camp israélien de paix,
qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de faire la paix et
que leur vrai but était de jeter les Juifs à la mer, comme
la droite sioniste l’a toujours déclaré.
74. Comme résultat, la ligne de division entre la « droite »
et la « gauche » sioniste a disparu. Les chefs du parti travailliste ont rejoint le gouvernement d’Ariel Sharon et
sont devenus ses apologistes les plus efficaces (Shimon
Peres) et même l’opposition gauchiste formelle (Yossi
Sarid) a participé. Ceci montre que le récit sioniste est
toujours le facteur décisif unificateur de toutes les
facettes du système politique en Israël, rendant insignifiantes les distinctions entre Rehavam Zeevi et Avraham
Burg, Yitzhak Levi et Yossi Sarid.
75. Il y a un déclin notable de la bonne volonté palestinienne de rouvrir un dialogue avec les forces israéliennes de paix, conséquence de la déception totale « du
gouvernement de gauche » qui avait inspiré tellement
d’espoir après les années Netanyahou, et aussi conséquence du fait qu’indépendamment de petits groupes
radicaux de paix, on n’a entendu aucune indignation
israélienne aux réactions brutales des forces d’occupation. La tendance à serrer les rangs, typiques chez
n’importe quelle nation dans une guerre de la libération,
rend possible que des forces nationalistes et religieuses
extrêmes du côté palestinien s’opposent à toute tentative
de coopération israélo-palestinienne.
Un nouveau camp de la paix
12
76. La rupture du vieux camp de paix rend nécessaire la
création d’un nouveau camp israélien de paix qui soit
dans la réalité, remis à jour, efficace et fort, qui puisse
influencer le public israélien et provoquer une réévaluation complète des vieux axiomes afin d’effectuer un
changement du système politique israélien.
77. Pour ce faire, le nouveau camp de paix doit amener
l’opinion publique à une réévaluation courageuse du
« récit » national et le débarrasser des faux mythes. Il
doit tâcher d’unir les versions historiques des deux
peuples dans un « récit » simple, exempt de tromperies
historiques, qui sera acceptable par les deux parties.
78. Tout en faisant ceci, il doit également instruire le
public israélien qu’à côté de tous les aspects beaux et
positifs de l’entreprise sioniste, une injustice terrible a
été faite aux Palestiniens. Cette injustice, qui a connu un
sommet pendant la « Naqba », nous oblige à en assumer
la responsabilité et à la corriger autant qu’il est possible.
79. Avec une nouvelle compréhension du passé et du
présent, le nouveau camp de paix doit formuler un plan
de paix basé sur les principes suivants :
i) Un État palestinien indépendant et libre sera établi à
côté d’Israël.
ii) La ligne verte sera la frontière entre les deux États. Si
cela est convenu entre les deux parties, des échanges
territoriaux limités peuvent être possibles.
iii) Les colonies israéliennes seront évacuées du territoire de l’État palestinien.
iv) La frontière entre les deux États sera ouverte aux
mouvements des personnes et des marchandises, selon
des arrangements pris d’un commun accord.
v) Jérusalem sera la capitale des deux États — Jérusalem
occidentale, la capitale d’Israël et Jérusalem-Est, la capitale de la Palestine. L’État de Palestine aura la souveraineté complète sur Jérusalem-Est, y compris Haram alSharif (le Mont du Temple). L’État d’Israël aura la
souveraineté complète sur Jérusalem occidental, y compris le Mur occidental et le quartier juif. Les deux États
concluront un accord sur l’unité de la ville au niveau
physique municipal.
vi) Israël reconnaîtra, en principe, le droit des
Palestiniens au retour comme un droit de l’homme
inaliénable. La solution pratique au problème proviendra d’un accord basé sur des considérations justes,
loyales et pratiques et inclura le retour sur le territoire
de l’État de Palestine, le retour sur l’État d’Israël et des
compensations.
vii) Les ressources en eau seront contrôlées conjointement
et allouées par accord, équitablement et loyalement.
viii) Un accord de sécurité entre les deux États assurera
la sécurité de chacun et prendra en compte les besoins
spécifiques de sécurité d’Israël aussi bien que de la
Palestine.
ix) Israël et la Palestine coopéreront avec d’autres États
de la région, pour établir une communauté du MoyenOrient modelée sur l’Union européenne.
80. La signature d’un accord de paix et son exécution
honnête de bonne foi mènera à une réconciliation historique entre les deux nations, basée sur l’égalité, la coopération et le respect mutuel.
Traduction réalisée
par Guy Morvan
POUR
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P.O. Box 3322, Tel Aviv 61033, Israël
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Internet : http://www.gush-shalom.org
1er trimestre 2001
POUR UN NOUVEAU CAMP DE LA PAIX EN ISRAËL
RAPPORTPalestine :
agir maintenant
E
n complément au débat sur le mouvement de paix en Israël,
nous publions de large extraits du rapport de la mission d’information
qui s’est rendue en Palestine et Israël du 20 au 26 janvier 2001*.
Ramallah (en zone A) nous avons rencontré
des ONG palestiniennes, des membres de la
coordination PNGO, des représentants des
courants politiques palestiniens, la
Coordination politique de l’Intifada, des personnalités du
monde artistique et culturel, des universitaires.
À Jérusalem, nous avons pris contact avec le consulat
et ses services culturels, et avec la représentation de
l’Union européenne en Palestine ; la délégation a été invitée à participer à un « petit déjeuner de travail » par la
délégation parlementaire européenne présente du 21 au
28 janvier 2001 en Israël-Palestine. Nous avons rencontré
également des représentants d’ONG israéliennes du
« camp de la paix » et le député Asmi Bishara, un représentant élu des Palestiniens citoyens israéliens. La délégation s’est rendue en outre « sur le terrain ». Nous avons
souhaité porter une attention particulière aux conditions
régnant dans les zones rurales, hors des zones A.
À Haïfa où la minorité palestinienne est importante,
nous avons rencontré la coordination des ONG arabes
« Ittijah » qui travaille en étroite coopération avec le
PNGO en Cisjordanie et à Gaza et avec le Forum des
ONG palestiniennes du Liban. Nous avons pu prendre
connaissance des documents transmis la veille par le
Haut Comité de suivi des citoyens arabes d’Israël à la
Commission officielle d’enquête sur les événements du
mois d’octobre 2000, où treize citoyens israéliens arabes
ont trouvé la mort.
D’autre part nous nous sommes rendus à deux
reprises dans les villages et bourgades de la région de
Ramallah et entre Ramallah et Naplouse (en zone B et C)
une première fois pour faire le point avec un animateur
de l’association PARC sur les problèmes de développement agraire et d’aménagement du territoire en
Cisjordanie depuis l’Intifada ; et une seconde fois pour
À
évaluer les méthodes et l’impact des actions mises en
œuvre par les militaires israéliens pour réprimer par des
procédés violents ou insidieux les manifestations de
résistance à l’occupation.
Nous avons visité enfin au sud de Jérusalem la ville
et la région d’Hébron, où la présence militaire israélienne, en protection d’une colonie intégriste israélienne au
centre de la ville — théoriquement de zone A, instaure
un régime d’état de siège et une situation psychologique
particulièrement tendue en raison des provocations quotidienne des colons.
L’intérêt pour la situation des villages vise à compenser la couverture médiatique insuffisante sur ce qui
se passe hors des villes ou de leurs abords. Pour les
Palestiniens, la défense des territoires et la survie des
villages actuellement assiégés et harcelés par l’armée
israélienne et les colons armés revêt une charge symbolique et politique essentielle. Les villages bien entendu
ne sont pas peuplés que de paysans mais aussi de salariés qui y habitent et qui normalement vont travailler en
zone B ou A. […]
*Cette mission d’information a été décidée suite au forum civil
Euromed à Marseille qui s’est déroulé en novembre 2000
(cf. Damoclès n° 86 et n° 87). Elle était composée de : Jean-Paul
Chagnollaud, professeur des Universités ; Thierry Fabre,
chercheur à la Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme ;
Pierre Galand, du Comité européen de coordination pour la
Palestine (CECP) ; Alain Joxe, directeur de recherche à l’École des
hautes études en sciences sociales ; Monique Prim du Forum des
citoyens de la Méditerranée et de Giovanna Tanzarella, de la
Coordination du réseau culture du forum civil Euromed.
POUR
TOUT CONTACT
Forum des citoyens de la Méditerranée :
Tél : 01 42 43 06 15 • e Mail [email protected]
13
Damoclès n° 88
Le sens stratégique
de la répression israélienne
Le bruit court que tels « sièges » de villages par coupure de route, d’eau ou d’électricité survient en représailles pour tel ou tel incident ou tir ou assassinat
d’Israéliens, survenus parfois très loin de là. Dans la
région de collines du nord de Ramallah on parlait en janvier d’une représailles pour un meurtre de colon survenu
dans la région de Tulkarem. On souhaiterait presque que
cela fonctionne ainsi. La dimension la plus exaspérante
de leurs action c’est leur caractère aléatoire et inexplicable. On attribue aux Israéliens une rationalité vengeresse qui peut être n’existe pas, en tout cas pas dans tous
les cas, car le harcèlement est ubiquitaire et constant.
Les interventions militaires de Tsahal en Cisjordanie
ont l’allure de décisions locales micro-stratégiques.
Parfois même le style et la durée de la coupure peut
dépendre des gradés inférieurs de l’armée, à qui est explicitement laissé une responsabilité autonome dans le cadre
de consignes générales variables. Cette autonomie ellemême est un facteur de risque aléatoire particulier auquel
s’ajoute l’imprévisibilité des tirs et des interventions violentes des milices des colonies, auxquelles l’armée
n’oppose pas d’obstacle. Néanmoins les actions locales
sont toujours faites en fonction d’une connaissance globale de la carte des routes et de la géographie des flux.
Les responsables Palestiniens estiment qu’il ne s’agit
pas seulement d’une tactique de « punishment », de
représailles collectives disproportionnées certes, mais au
coup par coup comme la propagande israélienne le prétend, mais plutôt d’une stratégie plus politique visant à la
soumission à long terme par une attrition prolongée et
une guerre économique et psychologique sans relâche
contre la population civile. La mission d’information se
rallie à cette interprétation, sur la base des détails précis
que nous avons relevés.
Ce plan d’opérations correspond à une école bien
précise de manipulation déstabilisante. Mais il est clair
que la répression exercée sous cette forme, l’impunité
des responsables de cette oppression, le danger quotidien, l’humiliation répétitive, et la violation permanent
des droits de l’homme, ne peut que susciter — et non
apaiser — de nouvelles réactions violentes.
La résistance palestinienne au quotidien
14
On constate d’ailleurs, avec un étonnement admiratif,
qu’en fait la réaction compensatrice à ce harcèlement
n’est pas essentiellement violente : la consigne est partout désormais que la vie doit continuer, les camions doivent passer, les enfants doivent aller à l’école, les boutiques doivent rester ouvertes, les services sociaux et les
activités économiques ne doivent pas être interrompus…
Il s’est développé une culture de la résistance quotidienne
qui consiste en des réactions très rapides des habitants,
des chauffeurs de taxis et bus, des services locaux et
municipaux, dans l’invention de ripostes « logistiques »
efficaces. Un barrage de route peut être effacé ou violé
s’il n’est pas gardé par des tireurs. Chaque village encer-
clé cherche à se rouvrir sur le réseau routier en remettant
en service des chemins ruraux. Un bon nombre de chemins ont même été améliorés durablement par un passage de bulldozer. Les campagnes sont ainsi remplies de
files de taxis collectifs et de camions qui cahotent sur des
pistes et à chaque croisement s’échangent des informations sur l’état des barrages ; celles-ci sont répercutées en
temps réel sur l’ensemble du réseau, par les téléphones
portables devenus un instrument vital pour contrer
l’action israélienne.
La science des contournements s’organise avec un
coût élevé en temps perdu, usure du matériel, fatigue.
Malgré les carences alimentaires et l’obstacle systématique aux déplacements médicaux, des malades, des blessés, des femmes en couches, que les Israéliens ont appliqué en octobre, novembre, décembre 2000 et appliquent
encore en janvier 2001 aux villages assiégés, quand ils
en ont l’occasion ; malgré le grand nombre de récoltes
détruites ou non récoltées depuis novembre, malgré le
blocus il existe une résistance tenace et astucieuse de
tous les instants qui implique une volonté civique de survie et des solidarités exemplaires.
La visite organisée par l’ONG PARC (Palestinian
Agricultural Relief Committees) a permis de mieux définir le caractère détaillé et acharné d’une lutte populaire
des villages pour la défense de leur terroir qui a déjà une
longue histoire. Ce qui explique la résistance particulièrement vive opposée par les habitants dans la phase
actuelle de l’Intifada et des opérations de siège et de harcèlement que nous décrivons dans le paragraphe suivant.
Du fait du régime d’occupation militaire et de la législation israélienne qui donne pleins pouvoir à l’armée pour
gérer l’eau et décréter un terrain d’intérêt militaire, l’arbitraire presque total règne, en dernière instance, dans les
Territoires en ce qui concerne les régimes fonciers le
régime de l’eau, la circulation des personnes et des biens.
Les populations en zone C sont donc incessamment en
lutte pour limiter les empiétements des colonies qui
s’appuient en dernière instance sur le régime militaire et
les abus ou agressions ou destructions de l’armée. Mais le
recours aux moyens légaux demeure possible en avantdernier recours. La lutte pour le maintien des propriétés
palestiniennes passe aujourd’hui par la mise en terrasses
et la mise en culture de terres normalement laissées en
jachère… Ces aménagements sont politiques autant
qu’économiques : une terre non cultivée, au titre de la loi
ottomane peut toujours être reprise par l’État.
PARC gère en Cisjordanie et à Gaza d’importants crédits de développement et d’aménagement rural, en relation directe avec les municipalités et les regroupements
techniques divers. L’amorce d’une modernisation de
l’agriculture se mesure au nombre des silos intercommunaux, des station d’épuration des eaux usées, des châteaux d’eaux, des réservoirs d’eaux pluviales, des puits
profonds, des dessertes par chemins vicinaux carrossables
pour évacuation des récoltes ou importation d’engrais. La
campagne autour de Ramallah est normalement dans une
phase de modernisation qui bénéficie d’ailleurs de l’aide
européenne et de la Banque mondiale. Les actions israéliennes visent explicitement à freiner ou à détruire les
1er trimestre 2001
PALESTINE : AGIR MAINTENANT
acquis des dernières modernisations. Exemples : des tranchées ont été creusées pour fermer l’accès à un silo intercommunal, une station d’épuration des eaux usées prototype subventionné par la France est privée d’électricité ;
en octobre novembre les coupures de routes ont empêché
l’évacuation des récoltes et leur commercialisation des
réservoirs sont systématiquement la cible des colons postés en snipers dans les colonies toujours en surplomb ou
sur les routes de contournements.
Dans le contexte de l’Intifada PARC a également mis
en place tout un réseau pour l’écoulement de la production d’huile d’olive, qui malgré les difficultés de la récolte s’est avérée exceptionnelle. À travers l’association
« El Marsad » s’organise une campagne de boycott des
produits des colonies, qui en Cisjordanie s’étend aux
produits israéliens, avec comme objectif de promouvoir
des produits et des productions de substitution palestiniens et arabes.
Une Intifida de village
Il faut éviter de croire que ce système est une espèce
d’escarmouche inoffensive de bande dessinée, et qu’on
se promène autour du village d’Astérix, bien qu’il y ait
quelque chose de cela. Les Romains occupants sont toujours ridicules, mais ici, les militaires comme les colons
tirent avec des fusils d’assaut sur des populations totalement désarmées. Ce qui n’était pas tout à fait le cas en
ville, pendant l’Intifada. La mission a pu observer ainsi,
par hasard au détour d’une route moyenne, une petite
route locale montant vers un village, coupée par un
fossé profond, et à coté une petite « garnison de barrage »
soit cinq à dix hommes en casque lourd et gilets pareballes, dont un gradé, qui tiraient, comme à l’exercice,
sur des enfants qui leur lançaient des pierres et sautaient
comme des cabris derrière des tas de pierres ou des
arbres à cent mètres de là.
Après avoir d’abord pris notre groupe pour cible en
lui ordonnant de partir, comme nous continuions d’avancer, le gradé, un jeune homme de vingt ans accepta
d’expliquer ce qu’il faisait :
— Vous voyez ce qu’ils font, disait-il, réellement indigné, ils nous jettent des pierres !
Autrement dit l’armée était en état de légitime défense.
— Mais qui a fait ce fossé ?
— C’est nous ! ce matin
— Pourquoi ?
Interdiction de rester, interdiction d’aller au village,
interdiction de poser des questions. Le chauffeur de taxi
à peine nerveux préférait partir. Cependant les tireurs ne
cessaient pas un seul instant de tirer, et les enfants de
sautiller Quelques pierres atterrissaient mollement aux
pieds des Romains furieux.
Renseignements pris le barrage avait été organisé
après sept heures du matin mais avant le passage du bus
scolaire. Comme le bus se présentait normalement vers
huit heures, les enfants avaient été obligés de descendre
à pied pour le rejoindre sur la route principale. Le poste
militaire avait ordonné au bus scolaire de repartir, tout en
ordonnant aux enfants de rentrer au village. Certains
frustrés d’école, étaient restés au contact pour faire leur
Intifada. Le bilan de l’affrontement connu plus tard par
téléphone, fut de deux jeunes blessés, dont un gravement
touché à la tête. À l’heure qu’il est personne ne peut dire
si ce village est encore assiégé ou pas et sur quelle décision et pour quelle raison ancienne ou nouvelle.
Coordination politique
L’actuelle Intifada s’est dotée d’une coordination
politique, née, à l’origine, d’un comité de défense des
étudiants de Bir Zeit soumis à la répression de l’Autorité
palestinienne bien avant l’Intifada. Ce comité s’est
ensuite perpétué avec des taches de coordination liées à
l’Intifada qu’elle a au début accompagnée puis encadrée
pour mettre en œuvre une certaine coordination tactique.
Elle regroupe aujourd’hui quatorze organisations politiques (toutes les composantes de l’OLP plus le Hamas
et le Djihad, entre autre). Elle a une importance particulière en Cisjordanie du fait que l’Autorité palestinienne
est en général plus présente à Gaza qu’à Ramallah, ce
qui semblerait se traduire par une relative autonomie et
une liaison plus nécessaire avec les mouvements de base.
Cette coordination a désigné un porte-parole commun et
s’entend sur les lignes principales qui définissent la
résistance actuelle sans aucune divergence notable entre
ses composantes. Contrairement à ce que l’on avait vu
lors de la première Intifada, les Palestiniens considèrent
comme on l’a vu que la vie doit continuer. Ce style
s’accompagne d’une volonté déterminée de ne plus cesser la résistance au régime d’occupation : « Cette
Intifada sera la dernière, dit-on, elle ne cessera pas
avant la fin de l’occupation ! »
Rôle de la société civile
La défense des villages c’est à la fois :
— la défense d’une souveraineté pratique sur les mouvements dans le futur territoire national ;
— la défense de la circulation des flux vitaux entre terroirs, villages et villes.
Cette défense en zone B et C, sous contrôle de
l’armée israélienne, est nécessairement prise en charge
par la société civile elle-même, car l’armée israélienne
demeure maîtresse du terrain. Quant à l’Autorité palestinienne, même si elle est présente en zone B, elle n’y n’a
que des compétences civiles ; la police palestinienne est
trop faible pour créer un rapport de force.
Dans cet espace, la violence de l’occupation israélienne se manifeste sans relâche d’une façon semi-aléatoire. Mais la défense palestinienne se construit aussi
sans cesse par des actions populaires de base, largement
spontanées ou improvisées par les réseaux familiaux,
professionnels et économiques, appuyés par les organes
techniques de l’Autorité et par la coordination politique
de l’Intifada, toutes ces instances organisationnelles et
décisionnelles apparaissent comme des lieux de la capacité démocratique de la société civile plutôt que de
l’autorité centrale. C’est dans cette perpective que la solidarité des ONG, du mouvement associatif, des syndicats
15
Damoclès n° 88
et des élus locaux en Europe peut trouver ses correspondants naturels et contribuer à la résistance et à la vie de
la société démocratique palestinienne.
Conclusions et recommandations
L’information concrète sur les actions israéliennes a
été importante, pour interpréter le but politique et stratégique des provocations militaires incessantes en zone B
et C, au moment même ou la phase finale spectaculaire
et « optimiste » de la conférence de Taba occupait les
médias. La mission est arrivée à quelques conclusions
sur ce tournant qui reposent en grande partie sur les
observations concrètes, autant et plus que sur l’analyse
des déclarations d’intentions.
Au chapitre des « recommandations » de campagne,
nous formulons des propositions qui tiennent compte à la
fois de la situation dramatique des Territoires, des perspectives de reprise de la négociation et du rapport des
forces locales et internationales.
Conclusions politiques,
diplomatiques et stratégiques
16
1. Au vu des incidents et des conduites militaires
israéliennes en Cisjordanie, de leur coordination
constantes avec les groupes paramilitaires des colons
armées, il est clair que la dynamique militaire permanente
n’a pas cessé un instant de mettre en place sur le terrain,
pendant cette période et jusque en janvier 2001 un dispositif d’oppression visant l’instauration d’une ségrégation
permanente et humiliante et parfois cruelle entre les habitats palestiniens soumis à régimes divers. Ce régime
d’occupation révisé cherche la soumission des populations civiles aux réseaux de colonies dominantes par la
menace de tirs possibles et l’usure morale provoquée par
les actions militaires de coupures semi-aléatoires.
2. L’authenticité des négociations de Taba dans ces
conditions nous a paru extrêmement douteuse, la continuité de la stratégie militaire sur le terrain paraissant beaucoup plus concertée, et plus projetée dans le long terme,
que les cartographies changeantes et les concessions avortées de Taba. L’expression de l’indignation de Yasser
Arafat en direct à Davos était tout à fait logique au vu de
la situation en Cisjordanie et à celle, pire encore, qui sévit
à Gaza. Le refus par Barak d’une ultime rencontre à
Stockholm ou ailleurs, provoqué par « le ton » de Yasser
Arafat, fait partie d’un spectacle médiatique et l’échec de
Taba est « programmé », bien en amont, par le niveau
insupportable et continu de la répression israélienne.
3. On doit maintenant voir, percevoir, comprendre,
admettre que les accords qui ont conduit au découpage
des Territoires en zone A, B et C, s’il fut à l’origine, un
plan dynamique d’évacuation échelonnée devant durer
un an au plus, s’est figé aujourd’hui en un découpage qui
correspond à un redéploiement des troupes d’occupation
et à l’établissement sous trois régimes d’occupation différenciés, d’un régime d’apartheid, quadrillé par les barrages volants de Tsahal et l’observation et les tirs para-
militaires des colonies israélienne et le maintien aléatoire
de coupures et d’incidents armées autour de la zone A.
4. La prise de pouvoir de Sharon sera d’abord un fait
militaire. Il devra décider de la continuation ou de l’arrêt
des opérations de répression, fondées sur une action
militaire appuyées par des groupes paramilitaires, lancées sous Barak et Netanyahou. Ce système, s’il se fige
sous Sharon, aura bien été mis en place sous Barak. Il
pose la question de la démocratie israélienne, et malgré
l’inertie de la gauche et du camp de la paix en Israël, on
peut s’attendre à moyen terme à une prise de conscience
nouvelle de la société israélienne.
5. Cette réévaluation des sept années d’Oslo et des
quatre mois d’Intifada invite l’opinion européenne à
comprendre qu’on entre dans une nouvelle logique et
dans un processus de paix qui doit être refondé par la
société internationale sur la base du retour aux principes
juridiques (respect des résolutions de l’ONU, respect de
la 4e convention de Genève) du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et du respect des minorités. Les
États-Unis ont cru devoir mettre tout cela entre parenthèse et ont échoué à définir une paix juste.
Recommandations
En se basant sur le document « Palestine : agir maintenant » adopté par le Forum civil Euromed, le
12 novembre 2000, la mission d’information précise les
recommandations suivantes :
• Refonder en politique et en droit le processus de paix
dans le but de mettre en mouvement des instances précises de l’ONU, du CICR, de l’Union européenne, de
l’OSCE, les partis politiques, des organisations internationales politiques et religieuses. Et notamment, exiger l’application des résolutions 194, 242, 338 du
Conseil de sécurité.
• Le conflit israélo-palestinien n’étant pas une guerre de
religion mais portant sur le droit d’un peuple à disposer d’une terre face à un processus colonial, le thème
dominant des manifestations de solidarité peut être la
dénonciation d’un nouveau régime d’apartheid en voie
de consolidation.
• Dans l’hypothèse que le combat sera long, organiser
une solidarité concrète avec les modes locaux et populaires de résistance à l’oppression.
• Prendre au pied de la lettre la demande de protection
internationale et mettre à l’ordre du jour l’envoi d’une
force internationale de protection et au moins d’un
contingent d’observateurs comparables aux observateurs d’Hébron.
• En cas de crime contre l’humanité avéré ou de crime
de guerre, saisir rapidement le TPI ou les tribunaux
compétents.
• Les pressions sur l’État d’Israël dirigé par Sharon doivent se faire désormais sous menace de sanctions. Il
faut exiger de l’Union européenne qu’elle applique les
sanctions prévues par l’article 2 des accords d’association avec Israël.
▲
1er trimestre 2001
PALESTINE : AGIR MAINTENANT
Appel à la création urgente
A
u Forum Civil Euromed
de Marseille (10-12 novembre
2000), les ONG ont adopté
une résolution intitulée
« Palestine, Agir maintenant ».
Elle mandatait une mission
d’information en Palestine qui
a pu constater que le bouclage
des Territoires rend la vie
quotidienne de la population
civile insupportable.
Le processus des négociations
d’Oslo sous médiation
américaine a tourné sous nos
yeux à la guerre de siège et à
la catastrophe humanitaire.
Les Palestiniens sont victimes
de l’impunité totale dont
dispose l’État israélien, qui
refuse l’application des
résolutions de l’ONU et le
respect des Conventions
de Genève (cf. les extraits du
rapport pages précédentes).
N
ous demandons aux ONG
concernées et aux citoyens de
signer ce texte qui en appelle à
une prise de position
européenne aujourd’hui
d’autant plus nécessaire que
les États-Unis viennent
d’opposer leur veto au Conseil
de sécurité de l’ONU à une
résolution prévoyant l’envoi
d’une force internationale
d’observation dans les
Territoires palestiniens.
Appel à l’initiative des
membres de la mission des
ONG Euromed en Palestine
avec le soutien de :
Association France-Palestine,
Association médicale francopalestinienne (AMFP),
Fédération internationale des
ligues des droits de l’homme
(FIDH), Ligue française des
droits de l’homme, MRAP,
Palestine 33.
d’une force d’interposition en Palestine
slo avait énoncé le principe de « l’échange de la Terre pour la paix » et d’un « règlement
entre les parties », dans la mesure où la communauté internationale avait échoué à imposer les résolutions. On acceptait sous pression américaine la mise entre parenthèse du
droit. Mais pendant sept ans de négociation on a assisté à des remises en cause successives
des calendriers et des engagements intérimaires signés par les gouvernements d’Israël. En
même temps, Israël menait une politique systématique d’expropriation et de colonisation des
terres qu’il devait rendre aux Palestiniens en Cisjordanie, Jérusalem et Gaza. La définition des
enjeux territoriaux et le principe de l’échange furent ainsi constamment rognés, avant même la
négociation finale.
O
Faute d’accord, le découpage des territoires palestiniens en zone A, B, et C, qui était à l’origine un plan dynamique d’évacuation échelonné et de restitution progressive de la souveraineté, s’est figé désormais en un régime d’apartheid.
Le « bouclage complet » décrété tout dernièrement par M. Sharon est un véritable siège qui
enferme les sept villes principales dans leur zone A mais qui, en outre, organise l’isolement des
villages des zones B et C dans des compartiments étanches, préparés par le système routier
des rocades reliant les colonies. Les milices paramilitaires des colons armés et le contrôle militaire général permettent une interruption totale de tous les flux vitaux maintenus difficilement
depuis octobre. D’où le début de famine, les distributions de vivres sous couvert de l’ONU.
M. Sharon risque ainsi de provoquer des violences désespérées, incontrôlables, qui seront
le prétexte d’une escalade de massacres. Cette stratégie est mal décrite par les médias qui
n’osent pas en donner l’image exacte. La répression que le gouvernement Sharon réserve aux
Palestiniens, en violation de la quatrième Convention de Genève, est une manœuvre militariste
que déplore même le général Powell, actuel secrétaire d’État américain, car elle risque d’entraîner la région dans la guerre.
L’opinion publique internationale doit être plus claire que ses gouvernements. Créer une
répression bien pire que le statut d’avant Oslo, transformer l’occupation en apartheid, instaurer
un régime permanent de déni des droits d’autodétermination, est politiquement inadmissible
pour des démocrates.
Nous demandons donc à l’Union européenne, en particulier aux États européens, à la troïka
(Suède, Belgique et Commission européenne), à M. Patten, chargé des relations extérieures, et
à M. Solana, chargé de la Pesc :
• de reprendre clairement les rênes d’un nouveau processus de paix en s’appuyant notamment
sur les principes de sécurité et de paix partagée, issus de la conférence sur le partenariat
euro-méditerranéen de Barcelone ;
• de désigner le gouvernement israélien comme responsable de violations graves des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, du droit international, du droit international humanitaire
et en particulier de la quatrième Convention de Genève ;
• de mettre en œuvre les sanctions économiques et juridiques qui s’imposent dans le cadre des
conventions et traités et notamment ceux qui lient les membres de l’Union européenne à l’État
d’Israël ;
• de réaffirmer le caractère imprescriptible des résolutions de l’Assemblée générale et du
Conseil de sécurité de l’ONU s’appliquant à la Palestine ;
• de décider d’urgence l’envoi d’une force d’interposition permettant la sauvegarde de la population palestinienne et sa protection contre l’usage excessif de la force militaire par les
troupes d’occupation et de préparer ainsi le retrait de l’armée israélienne de Cisjordanie et de
Gaza dans le cadre d’un règlement global fondé sur les résolutions de l’ONU.
▲
MERCI DE DIFFUSER, SIGNER ET RENVOYER CET APPEL À :
FCM, 12, impasse Franklin, 93200 Saint-Denis, fax : 01 42 43 85 55 • e-mail : [email protected]
17
Damoclès n° 88
CAMPAGNE
Le Terrible, enfant
de la prolifération
nucléaire française
L
es journées du désarmement nucléaire qui ont réunies quelque cent
vingt personnes du 4 au 6 mai dernier à Saintes (Charente-Maritime) ont été
l’occasion du lancement d’une campagne contre la construction d’un
quatrième sous-marin nucléaire pour laquelle l’Observatoire des armes
nucléaires a édité la brochure-argumentaire. Présentation.
Christian Brunier
a campagne d’interpellation « Dites NON au
quatrième sous-marin nucléaire ! », lancée à
l’initiative du Man, du Mouvement de la Paix et
de Stop Essais répond à l’exigence de nombreux acteurs de paix français. En effet, l’essentiel des
crédits accordés à la modernisation de notre arsenal
nucléaire est englouti par le quatrième sous-marin
nucléaire de la nouvelle génération (SNLE-NG Le
Terrible), par ses missiles M51 et ses nouvelles têtes
nucléaires, dont la commande a été confirmée, le 28 juillet 2000, par le ministre de la défense, Alain Richard.
Cette campagne prolonge celle lancée en juin 1999, par
les mêmes organisations, pour obtenir un moratoire sur le
laser Mégajoule, pièce maîtresse du programme Palen 1,
qui à lui seul, risque de ponctionner douze milliards de
nos francs sur les finances publiques 2. Il ne s’agit pas
d’une campagne Don quichottesque de plus contre le
lobby militaro-nucléaire mais bien d’une invitation à faire
acte d’objection. La signification de cette attitude civique
pourrait se résumer en deux propositions :
— les milliards gaspillés à accroître la menace nucléaire
menacent notre « sécurité commune », sans aucune
justification stratégique ;
L
18
— la modernisation de notre arsenal nucléaire, notamment le quatrième SNLE-NG détourne de la satisfaction des besoins fondamentaux des sommes colossales,
creusant la fracture sociale ici et dans les pays du Sud.
Ce raisonnement de bon sens prévaut aujourd’hui au
sein des deux mille associations formant le réseau mondial Abolition 2000 qui considèrent que le maintien des
arsenaux nucléaires est une source fondamentale d’insécurité car il perpétue un monde de dominations et non de
coopérations. De plus, il stérilise des ressources financières et scientifiques qui manquent cruellement pour
résoudre des grands fléaux de notre époque (lutte contre
les maladies, la faim, les catastrophes naturelles ; pour
l’éducation, le travail, des sociétés démocratiques). C’est
pourquoi cette « objection civique » n’est ni française, ni
« défaitiste », elle est planétaire comme les revendications fortes exprimées à Seattle ou à Porto Alegre. Oui,
les peuples aspirent à vivre en paix, ils ne veulent pas
que les « grands argentiers du monde » décident à leur
place de leur destin.
L’initiative des associations françaises œuvrant pour
la paix et la prévention des conflits se situe dans un
contexte mondial délétère. Les puissances nucléaires ont
renouvelé à New York, le 19 mai 2000, leur « engagement sans équivoque […] de réaliser l’élimination totale
de leurs arsenaux nucléaires » mais elles se gardent
1er trimestre 2001
LA FRANCE ET LA PROLIFÉRATION NUCLÉAIRE
d’adopter des mesures concrètes et un calendrier contraignant. Les cinq « Grands » poursuivent le développement
de leurs arsenaux et les pays du seuil (Inde, Pakistan,
Israël…), en dénonçant la duplicité des États-parties au
Traité de non-prolifération (TNP), saisissent ce prétexte
pour refuser de le signer. Il n’est pas un diplomate qui ne
se plaigne, en privé, de l’absence de résultats de la
Conférence du désarmement de Genève. Kofi Annan luimême, secrétaire général de l’ONU a tenté d’alerter la
communauté internationale de ce blocage en lançant
l’idée d’une conférence sur les dangers nucléaires, proposition restée lettre morte jusqu’à présent.
Porter le débat sur la place publique
À cet égard, l’attitude de la France est tout à fait symptomatique. Elle retire du service ses armements obsolètes
ou contestés au plan international (Hadès, démantèlement
des missiles du plateau d’Albion, fermeture du site de
Moruroa) en présentant à l’ONU ces mesures unilatérales
comme un pas vers le désarmement nucléaire. Pendant ce
temps, elle engage plus de 350 milliards de francs dans la
modernisation de la Fost (Force océanique stratégique)
qui, à elle seule, représente 80 % de ses capacités propres
de représailles nucléaires. L’un des objectifs de cette campagne est de stigmatiser cette sorte de schizophrénie
nucléaire. Le second est de mettre à l’ordre du jour des
enjeux de société, la nécessité d’un débat public sur le
désarmement nucléaire et l’obligation pour la France de
s’y conformer, à la veille d’échéances importantes.
La première qui s’impose est la Loi de programmation
militaire 2003-2008 qui devrait être votée dans quelques
mois, si elle n’est pas repoussée au printemps prochain.
Les discussions — semble-t-il laborieuses — entourant la
préparation de ce plan pluriannuel sont élaborées en
dehors de toute consultation démocratique, dans l’ombre
des cabinets ministériels et des commissions parlementaires concernés. Toutes les associations attachées à la
paix, au désarmement et au développement s’en émeuvent
et vont prendre des initiatives concrètes dans les semaines
à venir. Les élections du printemps 2002 — présidentielle
et législatives — offrent une seconde possibilité de porter
sur la place publique, le débat sur la défense et les moyens
qu’on lui consent. Le prochain président et/ou le nouveau
gouvernement pourraient donner une impulsion décisive à
la cause du désarmement nucléaire mais ils n’y parviendront pas sans l’appui d’une opinion publique éclairée. En
anticipant ces prochaines échéances, les initiateurs de
cette campagne veulent mettre toutes les chances du
désarmement nucléaire de leur côté. Ils invitent les
citoyen-ne-s qui étaient tenus à l’écart des choix les
concernant, à s’impliquer dans ce débat.
En exprimant un « NON » catégorique au quatrième
sous-marin nucléaire de la nouvelle génération, c’est un
vaste pan du programme militaro-nucléaire qui
s’effondre tel un château de cartes. Ce NON ne manquera pas d’être interprété par le gouvernement comme un
démenti à sa politique d’armement. Mais cette opposi-
L
a dissémination
des armes nucléaires
est un risque redoutable pour l’avenir
de la paix. Pour
enrayer cette dérive,
la plupart des États
de la planète se sont
engagés dans le
traité de non-prolifération nucléaire.
Mais cet accord
international est
inégal : d’un côté,
il autorise les cinq
membres permanents du Conseil
de sécurité à disposer de leurs arsenaux et de l’autre, il interdit aux
autres États d’entrer dans le club des puissances nucléaires.
Les puissances nucléaires se sont ainsi arrogé le droit de poursuivre la modernisation de leurs arsenaux. Dix ans après la fin
de la guerre froide, la France poursuit son programme de sousmarins nucléaires dits de « nouvelle génération » auquel s’ajoutent de nouveaux missiles et de nouvelles têtes nucléaires. Elle
se place ainsi en mauvais élève de la prolifération.
En écho à des propositions de nombreuses personnalités, ce
livre lance des perspectives pour que la France fasse le premier pas vers l’élimination par étapes d’un arsenal nucléaire
qui n’a plus d’ennemi déclaré.
▲
La France et la prolifération nucléaire
Les sous-marins nucléaires de la nouvelle génération
Bruno Barrillot
80 pages • 72 FF / 10,98 € (port compris)
C/o CDRPC, 187, montée de Choulans, 69005 Lyon
tion est aussi constructive, car elle permet d’amorcer un
processus visant à l’élimination totale et programmée
des armes nucléaires françaises. Le soutien concret et la
vigilance de chacun et de tous peut contribuer à construire cette « mondialisation de la paix » en marche ! Qui
pouvait présager de la conclusion d’une convention
interdisant les armes chimiques en janvier 1993, d’un
traité interdisant tout essai nucléaire (CTBT) en septembre 1996, d’un traité bannissant les mines antipersonnel
en décembre 1997 ? Ces armes ou ces expériences n’ont
pas été « désinventées » clament les faux-prophètes,
certes, mais elles ont été interdites. Alors disons NON au
projet de quatrième sous-marin Le Terrible, enfant de la
prolifération nucléaire française et saisissons cette chance d’inventer la paix durable qu’il saborde !
▲
1) Palen : Préparation à la limitation des essais nucléaires.
2) Jean-Michel Boucheron, Défense, Projet de loi de finances pour
2001, Rapport, n° 2624, annexe n° 40, 6 novembre 2000.
19
Damoclès n° 88
…
DE Transfert
BREST À TOULON
des activités
d’entretien des SNA :
quel impact à Brest ?
D
es bruits courent sur l’eau annonçant le regroupement des activités
d’entretien des sous-marins français sur le port du Ponant. Les six sousmarins nucléaires d’attaque (SNA) français affectés à Toulon seraient
transférés, avec leur équipage, sur le site de Brest, là où se tiennent déjà les
sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). Au second semestre 2001,
la marine française disposera de quatre SNLE (dont deux de nouvelle
génération) et de six SNA de type « Améthyste ». Analyse.
Thierry Sauvin*
20
En fait, dans un contexte de rationalisation des activités, il est proposé de concentrer en un lieu unique
l’entretien des sous-marins. Brest aurait été pressenti
compte tenu des compétences acquises en ce domaine.
Enfin, ce qui plaide en faveur de Brest, ce sont les
dimensions des sous-marins du futur (programme
« Barracuda ») qui succéderont aux SNA. Non seulement, ils seront plus longs (de 73 à 85 mètres) mais aussi
plus imposants. Leur poids passerait de 2 500 à
4 000 tonnes. La mise en service du premier exemplaire
est prévue pour 2010 [Husson, 2000]. Seule la base sousmarine de Brest et les équipements spécifiques de l’Île
longue sont en mesure de répondre, pour le moment, aux
besoins d’entretien de ces sous-marins du troisième type.
Enfin, l’installation de l’état-major de la Force océanique
*Maître de conférences en sciences économiques et chercheur
au groupe E3D-CEDEM à la Faculté de droit et de sciences
économiques de Brest.
stratégique (Fost) à Brest, le 1er juillet 2000, qui a autorité sur l’escadrille de SNA de Toulon, conforte cet objectif de transfert progressif de ces activités sur le site de
Brest [Le Télégramme, 6 septembre 2000].
À court terme, ce transfert d’activité se traduira par
une augmentation du plan de charge de l’arsenal au détriment de celui de Toulon. Toutefois, si nous abordons
véritablement la question du développement du territoire
brestois, c’est-à-dire du « Système productif brestois »
(SPB), nous devons nous interroger sur l’impact de ce
transfert d’activité sur la dynamique territoriale. En fait,
loin d’accroître l’attractivité du territoire, ces activités,
probablement recluses au sein de l’Île longue (base des
SNLE) n’auront pas ou peu de retombées économiques
sur le SPB. Il est fort possible que cette spécialisation
dans les activités d’entretien de sous-marins nucléaires
contribue à dégrader l’image du site brestois qui, pour
nombre d’acteurs, reste attachée au militaire et à ses couleurs d’origine, le gris et le noir (le gris pour les bâtiments
de surface et le noir pour les sous-marins). En outre, le
nucléaire n’a pas une bonne image vis-à-vis du public.
Cette activité, où le culte du secret atteint son paroxysme,
risque d’affaiblir l’attractivité du territoire, attractivité si
1er trimestre 2001
SOUS-MARINS NUCLÉAIRES D’ATTAQUE
recherchée aujourd’hui pour séduire les entreprises en
quête de lieux d’implantation. La nature de l’activité n’est
donc pas neutre sur la dynamique du territoire.
Ce projet de regroupement des activités d’entretien
des sous-marins français ne va donc pas dans le sens
d’une ouverture vers d’autres activités industrielles qui
pourraient émanciper les acteurs du site de Brest.
Rappelons que nombre d’entreprises industrielles liées à
la défense se trouvent confrontées à des contraintes de
dépendance historique et d’enfermement dans des trajectoires irréversibles sur le moyen terme (investissements
antérieurs en actifs spécifiques 1, subordination professionnelle, manque d’incitation à l’innovation). Ces entreprises sont donc soumises à des irréversibilités qui limitent leur capacité de réaction et d’adaptation au nouvel
environnement économique [Chalaye et al., 1997].
Conscientes de leurs spécificités et de l’existence d’un
environnement marqué par l’incertitude, les entreprises
manifestent une certaine méfiance vis-à-vis de tout projet visant, par exemple, la diversification dans des activités civiles. De par leur histoire et la nature des relations
qu’ils ont eues avec la DCN-Brest, les acteurs ne se
connaissent pas et la méfiance qui règne entre eux n’est
guère propice à l’émergence et à la réalisation des projets
de développement [Sauvin, 2000]. En fait, concernant les
activités industrielles liées à la défense, la zone d’emploi
de Brest s’apparente, à bien des égards, à un simple
ensemble, c’est-à-dire à une juxtaposition d’acteurs qui
se méfient. Il est alors vital de transformer cet ensemble
en un système, c’est-à-dire en un ensemble d’acteurs en
interaction dynamique organisé autour d’un projet.
Plutôt que de céder aux sirènes du court terme reposant sur une approche purement allocative, c’est-à-dire
de transfert d’activité de Toulon à Brest, faisons preuve
d’audace et proposons des projets de « civilisation » où
se mêlent les dimensions économique, ludique, culturelle
et environnementale. Ces projets, non circonscrits à la
seule dimension économique mais fondés sur les spécificités et les compétences locales, mobiliseraient de
nombreux acteurs du site brestois. Toutefois, si les projets ne manquent pas, encore faut-il que les acteurs
acceptent un tel jeu coopératif.
Il est donc nécessaire qu’interviennent des « développeurs », c’est-à-dire des animateurs dont la mission serait,
à partir d’un projet, d’initier et de développer dans la
durée des interactions entre acteurs qui, de par leur histoire, se sont, jusque là, ignorés. « Lus et approuvés » par
les pouvoirs publics (État, collectivités territoriales, agence de développement de pays, etc.), ces projets permettraient de rapprocher les acteurs et ceux-ci, progressivement, apprendraient à travailler ensemble. Nombre
d’acteurs, qui, jusque là refoulaient leur créativité,
deviendraient alors des auteurs. L’acteur joue un rôle que
la société lui attribue (intériorisation et respect, par
exemple, des normes et des règles), comme un musicien
se rapportant fidèlement à sa partition. L’auteur, en
revanche, est un créateur dans le sens où il peut construire
BIBLIOGRAPHIE
• Chalaye M.-N., De Penanros R., Sauvin T.,
La diversification dans quelques grands groupes
industriels liés à la défense, stratégies, expériences
et leçons, Rapport réalisé pour la Communauté
urbaine de Brest, 1997.
• Husson D., « Barracuda : un sous-marin du
IIIe millénaire », L’Armement, n° 71, octobre 2000.
• Maillat D., Kebir L., « Learning region et système
territoriaux de production », RERU, n° 3, 1999.
• Pecqueur B., « L’action économique, un métier
en complète évolution depuis quinze ans »,
Les Cahiers de l’expansion régionale,
numéro spécial, 2000.
• Sauvin T., « Les plates-formes offshores
et la construction d’un système productif
local dans la zone d’emploi de Brest »,
Cahiers économiques de Bretagne, n° 3, 2000.
autre chose, c’est le musicien qui s’écarte de sa partition
grâce à l’interprétation ou à l’improvisation. L’homme
qui serait à la fois acteur et auteur aurait la capacité de
penser autrement et par conséquent de faire force de propositions. Non seulement il y aurait intégration par le projet permettant de construire des relations de confiance
mais aussi émergence d’une dynamique innovatrice grâce
au retour de l’auteur. Un processus d’apprentissage naîtrait, une sorte d’apprentissage de l’interaction [Maillat,
Kébir, 1999, p. 436]. Le territoire deviendrait alors producteur de ressources spécifiques, ressources qui en renforceraient l’attractivité. Il ne s’agit pas de ressembler
aux autres territoires mais de s’en différencier. « C’est la
différence qui devient le vecteur de développement »
[Pecqueur, 2000]. C’est à cette condition que la zone
d’emploi de Brest, terme ne renvoyant qu’une image passive du territoire, deviendrait un véritable système productif dynamique, évolutif et attractif.
▲
21
1) Il s’agit d’une part d’actifs matériels spécifiques (biens
d’équipement spécialisés) et, d’autre part, d’actifs immatériels
(compétences spécifiques détenues par les travailleurs). Ces actifs
ne peuvent être redéployés sur le court et le moyen terme sans perte
de valeur. Leur existence confine l’entreprise sur une trajectoire
technologique, limitant par-là sa réactivité.
Damoclès n° 88
CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES
L
22
e 9 juillet prochain va s’ouvrir à New York la « Conférence des Nations unies
sur le commerce illicite des armes légères sous tous ses aspects ». Cette conférence
représente l’aboutissement d’une prise de conscience de la communauté internationale —
datant du milieu des années 1990 — à la fois du fléau que représentent
la disponibilité et la circulation de ces armes dans de nombreuses régions du monde
et également l’impasse dans laquelle se trouvaient les instances onusiennes
pour déboucher sur des mesures concrètes de désarmement.
Le 20 juillet 2001, lors de la clôture de cette conférence, les États présents auront-ils réussi à
se mettre d’accord sur un véritable plan d’action pour combattre la prolifération des armes
légères ? À l’issue des travaux préparatoires la question se pose. En effet, la tenue d’une
conférence de ce type est précédée, comme il est d’usage, de la mise en place d’un comité
préparatoire chargé d’élaborer le document soumis à la discussion et d’un certain nombre de
rencontres permettant de négocier les grandes lignes de ce document.
À l’issue du troisième comité préparatoire, qui s’est tenu en mars dernier à New York, bien
des questions restaient encore en suspens, les négociations véritables n’ont pas encore
commencé. L’intitulé de la conférence est limité à la question du trafic illicite, mais il est clair
que pour l’essentiel, les transferts d’armes légères étaient au départ tout ce qu’il y a de plus
« licite » dans le cadre des réglementations actuelles… Tarir le flux des armes en circulation
nécessite de renforcer les législations, mettre en place un code de conduite international doté
de véritables instruments de suivi des armes et de contrôle. Ici on touche un domaine
extrêmement sensible au niveau des prérogatives des États, de leur souveraineté.
Nombre de pays s’accorderaient à ce niveau d’une déclaration politique mais se refusent
à l’élaboration d’un accord contraignant accompagné des instruments ad hoc…
C’est la cas de pays comme Cuba, Israël par exemple, mais aussi des États-Unis !
Concernée au premier chef, la société civile s’est également emparée de cette question.
À plusieurs reprises, à travers la revue Damoclès ou dans les études de l’Observatoire des
transferts d’armements, nous avons abordé cette question des armes légères. Le document
que nous publions ci-après reflète les principales préoccupations mises en avant par
l’ensemble des ONG membres du Réseau d’action international sur les armes légères
(Raial/Iansa), né en mai 1999. Étant donnée la diversité du réseau, toutes les
recommandations ne reflètent pas nécessairement la position de chacun des membres
du Raial/Iansa qui regroupe à ce jour trois cent vingt organisations provenant de plus
de soixante-dix pays, dont en France les ONG regroupées au sein du collectif « Armes
légères… la balle est dans notre camp ! ». Collectif piloté par Amnesty international
et l’Observatoire des transferts d’armements.
Patrice Bouveret
1er trimestre 2001
CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES
Attirer l’attention
sur les armes légères
D OCUMENT
D
ans toutes les régions du monde, la
prolifération et l’usage incontrôlé des
armes légères menacent la sécurité
des individus, entravent la bonne gestion des affaires publiques, contribuent à la violation des droits humains, et enfin, contrecarrent
la justice sociale, le développement et la paix.
Les armes légères servent à tuer plus d’un demi million de personnes chaque année 1. En outre, pour une personne tuée, plus encore sont blessées et traumatisées.
Ces tragédies se produisent dans le cadre de conflits
nationaux, sub-nationaux et régionaux, ainsi que dans le
contexte de répression des droits politiques et de violation du droit à l’autodétermination. La grande facilité
avec laquelle on peut se procurer les armes légères est
également liée au nombre élevé de crimes violents, de
violences familiales, de suicides et d’accidents. Bien que
les informations concernant le nombre total des meurtres
et blessures dus aux armes légères dans les zones de
conflit soient lacunaires, les recherches montrent que,
même après la fin des conflits, le taux de mortalité reste
élevé si les armes continuent à circuler 2.
Les armes légères ne sont pas à elles seules cause de
violence, mais elles contribuent notablement à transformer les conflits sociaux et politiques et à les rendre beaucoup plus violents. Qu’il s’agisse de crime, de violation
des droits humains, de conflit politique, de violence
familiale ou de suicide, la disponibilité des armes légères
intensifie les conflits et accélère l’escalade qui rend la
violence meurtrière. Les armes légères constituent les
instruments principaux de la violence exercée par les criminels ainsi que par les groupes militaires et paramilitaires corrompus. Leur utilisation accroît le nombre de
victimes et favorise la transformation des enfants en
tueurs. Les victimes des armes légères comptent souvent
parmi elles les catégories les plus vulnérables de la
société : les femmes 3, les enfants 4, les personnes handicapées et les pauvres. Les femmes, par exemple, constituent une partie importante des victimes des armes
légères, mais ne représentent qu’une petite part des utilisateurs de ces armes. Les armes légères alimentent également la peur et l’instabilité qui provoquent à leur tour
des millions de réfugiés et de personnes déplacées. Un
grand nombre de ces tragédies d’origine humaine pourrait être évité si la prolifération des armes légères était
contrôlée — au niveau national et international — dans
DU
R AIAL /I ANSA
le cadre plus large de mesures s’attaquant aux causes
premières du conflit.
Les membres du Raial/Iansa reconnaissent que le
commerce international et la prolifération des armes
légères sont un phénomène complexe qui touche tous les
niveaux de la société dans toutes les régions du monde.
Les recherches, bien qu’incomplètes, suggèrent que le
détournement des armes légères a de nombreuses causes.
Des interactions complexes se tissent entre les secteurs
public et privé, légal et illégal, national et international.
Depuis la fin de la Guerre froide, la nature des conflits a
changé. En outre, les lieux d’approvisionnement ainsi que
les réseaux de détournement des armes légères licites et
illicites se sont multipliés de manière très inquiétante 5.
En dépit des parallèles et des liens qui les unissent, le
trafic de drogue et celui des armes légères présentent de
nombreuses différences. La plupart des armes légères
sont dans un premier temps des articles légaux, vendus
aux États ou directement aux civils. Ayant une longue
durée de vie, elles sont souvent vendues et revendues à
de nombreuses reprises, ce qui facilite le passage du
marché légal vers le marché illégal. Les trafiquants
d’armes répondent à une demande, et fourniront en
armes toute personne pouvant se les offrir, qu’elle soit
engagée dans une guerre civile ou membre d’une bande
de délinquants dans un quartier défavorisé. En conséquence, il est malaisé de distinguer les armes alimentant
les « conflits » des armes alimentant la « criminalité ».
Dans certaines régions, il est d’ailleurs impossible de
distinguer les deux. Les marchés illégaux sont en effet
alimentés par le détournement d’armes légères appartenant aux marchés légaux et ce, par des moyens divers :
ventes illégales, vols, marchés secondaires mal contrôlés, etc. Toute stratégie globale visant à endiguer le commerce illicite des armes légères sous tous ses aspects ne
doit donc pas ignorer les marchés légaux. De plus, certains aspects du commerce légal d’armes légères peuvent
être contraires à la législation internationale existante,
ainsi que l’a souligné le Groupe d’experts gouvernementaux de l’ONU dans son rapport de 1999.
Les armes légères sont aujourd’hui les armes les plus
utilisées dans les conflits qui sévissent sur notre planète.
La souffrance des pays et régions qui sont le théâtre de
conflits armés est exacerbée par les flux d’armes légères,
car leur existence prolonge ces conflits et augmente la
violence de leur impact sur les combattants comme sur
23
Damoclès n° 88
les civils. En Afrique du Sud, les armes légères alimentent la violence criminelle, qui a été désignée comme
« la plus grande menace pour les droits humains » à
laquelle devait faire face la jeune démocratie. Elles grèvent également le développement, et gaspillent les ressources économiques. En Amérique latine, par exemple,
la violence alimentée par les armes légères absorbe plus
de 14 % du produit national brut. Même dans les pays
riches, considérés comme « pacifiques », les armes
légères illicites sont fortement impliquées dans la criminalité, et sont considérées comme un danger public
majeur. Les pays qui ne sont pas en guerre souffrent eux
aussi de la violence et de la criminalité qui résultent de la
grande accessibilité des armes légères et de leur détournement vers les marchés illégaux.
Le programme d’action international
résultant de la Conférence des
Nations unies de 2001
A
fin de réduire le trafic des armes légères et de petit
calibre sous tous ses aspects, les membres du
Raial/Iansa recommandent d’envisager le problème, lors
de la conférence, sous différents angles. À l’objectif du
Raial/Iansa — à savoir, le renforcement de la sécurité
individuelle et de la société civile en réduisant la menace
pour la vie que constituent la prolifération et l’usage
incontrôlé des armes légères — fait écho la préoccupation de la communauté internationale devant le constat
selon lequel les flux d’armes non contrôlés favorisent les
conflits et entravent les efforts pour la paix et le développement. Étant donné que la responsabilité de traiter les
problèmes résultant du trafic des armes légères incombe
aux États, le Raial/Iansa estime que la conférence devrait
élaborer un programme d’action international comprenant les éléments suivants :
1. La prévention et la lutte
contre transferts illicites
24
Prévenir et lutter contre le trafic des armes légères et
de petit calibre devrait être une priorité absolue pour tous
les États membres des Nations unies. À cette fin, les
efforts doivent comprendre un large éventail de mesures,
incluant le marquage, l’amélioration du contrôle des
importations, des exportations, des transferts et de
l’usage final des armes légères. De plus, il a été prouvé
que l’absence de réglementation sur le courtage des
armes, au niveau international, favorise de manière
significative le trafic. Les membres du Raial/Iansa reconnaissent que des actions dans ce sens sont entamées au
niveau régional — au sein de l’Organisation des États
américains, de l’Organisation de l’unité africaine, de la
Communauté économique des États d’Afrique de
l’Ouest, de l’Union européenne, la Communauté de
développement de l’Afrique australe et aussi de la
Communauté d’Afrique de l’Est —, et au niveau interna-
tional — grâce au projet de Protocole des Nations unies
contre la production illicite et le trafic des armes à feu,
leurs composants et munitions — ainsi qu’à travers les
directives sur les transferts d’armes internationaux formulées en 1996 par la Commission pour le désarmement
des Nations unies. Cependant, nous estimons que la
conférence de l’ONU de 2001 devrait mettre en place
des mécanismes visant à réduire le commerce illicite des
armes légères et de petit calibre, et faire en sorte de définir un calendrier de mise en œuvre d’un tel programme.
Nous demandons aux États membres de l’ONU,
lors de la conférence de 2001 :
• D’agir en priorité pour la rédaction, la ratification, et la
mise en œuvre de projets régionaux appropriés, ainsi
que pour l’établissement d’un calendrier pour la réalisation et l’évaluation de ces actions.
• De conclure un accord général et juridiquement
contraignant sur le marquage et la « traçabilité » des
armes, afin de réaliser un système de marquage des
armes approprié et fiable lors de leur production et/ou
de leur importation, un registre répertoriant les informations concernant la production, la possession, et le
transfert — notamment d’État à État — des armes,
ainsi qu’un accord international pour la « traçabilité »
des armes par les autorités compétentes.
• De s’accorder à l’échelle internationale sur les définitions de courtier en armes et de transporteur, et mettre
en place des procédures de contrôle de leurs activités
qui soient contraignantes, incluant un engagement de
la part de tous les États d’exiger des courtiers (ceux
qui exercent sur leur territoire ou ceux qui comptent
parmi leurs ressortissants) de consigner leurs transactions dans des registres et de les soumettre à autorisation. Toute activité violant ces règles devraient être
considérée comme une infraction de nature criminelle,
même si la cargaison mise en cause ne pénètre ni sur le
territoire d’un pays ayant signé l’accord, ni sur celui
du pays dont le négociant ou intermédiaire est ressortissant, ni encore sur celui du pays où il exerce.
• De renforcer la coopération entre les services de renseignements concernés ainsi que ceux chargés de
l’application des lois, et de mettre en place des mécanismes internationaux d’échanges d’informations, dans
le but d’évaluer et de lutter contre le commerce illicite
des armes légères.
• De soutenir, lorsqu’il sera soumis à la signature, la
ratification et la mise en œuvre du Protocole des
Nations unies sur les armes à feu prévoyant notamment le contrôle de l’importation, de l’exportation et
des transits intérieurs.
2. Le contrôle des transferts légaux
Les membres du Raial/Iansa admettent que la charte
des Nations unies reconnaît aux États le droit d’exporter
et d’importer des armes pour les fins légitimes que sont
1er trimestre 2001
DOCUMENT : ATTIRER L’ATTENTION SUR LES ARMES LÉGERES
l’autodéfense et le maintien de la loi. Cependant, les
États engagés dans le commerce d’armes ont également
le devoir de respecter les règles internationales relatives
aux droits humains, au droit humanitaire et aux bonnes
relations interétatiques.
Afin d’empêcher et de réduire la prolifération et
l’usage incontrôlé des armes légères et de petit calibre, de
lutter contre le détournement des armes depuis les marchés légaux vers les marchés illégaux, les États membres
de l’ONU devraient arrêter un ensemble de normes et de
mesures visant à renforcer les contrôles sur les transferts
légaux de ces armes vers les acteurs publics et privés.
Le but des normes concernant les transferts interétatiques est d’empêcher le transfert d’armes qui pourraient
être utilisées pour la répression, l’agression, l’exacerbation d’un conflit ou la déstabilisation régionale. De plus,
et afin d’empêcher le détournement des armes de leurs
utilisateurs et buts légitimes, les mécanismes de contrôle
de l’utilisation finale prévue et des utilisateurs finaux
devraient de même être contrôlés et renforcés conformément aux accords passés.
Si elles sont adoptées lors de la conférence de l’ONU
de 2001, ces normes compléteront à certains égards les
règles concernant l’importation, l’exportation et le transit
interétatique de marchandises contenues dans le
Protocole sur les armes à feu.
Nous demandons aux États membres de l’ONU,
lors de la conférence de 2001 :
• D’adopter un accord international chargé de promouvoir
le contrôle du commerce légal des armes, incluant des
critères internationaux stricts concernant les transferts et
des procédures de contrôle de leur mise en œuvre.
• De développer des règles relatives à l’exportation,
l’importation, et le transit interétatique.
• De mettre en œuvre des mesures effectives chargées de
garantir et de contrôler l’usage final des armes légères,
et d’empêcher le détournement de ces armes de la destination qui leur a été assignée. Ces critères devraient
s’appuyer sur les normes internationales existantes
relatives aux droits humains, au droit humanitaire et
aux bonnes relations interétatiques.
• De soutenir, lorsqu’il en sera au stade de la signature,
la ratification et la mise en œuvre du Protocole sur les
armes à feu des Nations unies concernant l’importation, l’exportation et le transit commercial.
• D’établir des règles internationales pour un contrôle
rigoureux du commerce des armes.
3. Le contrôle de la disponibilité, de l’utilisation
et du stockage des armes légères
sur le territoire même des États
Une grande partie du commerce illicite des armes
légères et de petit calibre est due aux détournements de
ces armes des marchés légaux vers les marchés illégaux.
Il y a dans le monde autant d’armes détenues par les par-
ticuliers que d’armes appartenant aux États, et leur
détournement alimente également les stocks illicites. On
estime à plus de cinq cent mille le nombre d’armes
légères volées chaque années aux particuliers ; ces armes
tombant par définition aux mains de criminels 6. Il apparaît que dans bien des pays la majorité des armes légères
utilisées par les criminels ont initialement appartenu,
légalement, à des particuliers ou des États.
Les États qui mettent en place des contrôles stricts
des armes à feu possédées par les civils ne sont pas pour
autant protégés des armes importées illégalement depuis
d’autres États. Par exemple, la moitié des pistolets utilisés par les criminels dans des pays comme le Mexique,
la Jamaïque, le Canada et le Japon est importée illégalement. Les pays dont la réglementation est peu efficace
jouent souvent un rôle majeur dans l’approvisionnement
des stocks illicites d’armes légères des pays voisins
même si ceux-ci ont mis en place une réglementation
plus stricte. En outre, l’absence de toute réglementation
nationale efficace rend plus difficile la distinction entre
les armes légères obtenues légalement et celles possédées illégalement, ainsi que la lutte contre le trafic. Par
conséquent, la mise en application d’une réglementation
nationale minimale est essentielle.
Dans sa résolution de 1997, la commission des
Nations unies pour la prévention du crime et la justice
pénale a reconnu la nécessité de tels efforts. Elle a émis
le souhait que les pays qui ne l’avaient pas encore fait
garantissent l’existence d’un réglementation nationale
minimale qui suppose de soumettre la détention d’une
arme à feu à une autorisation, de recenser les acquisitions d’armes à feu, et de les stocker en sécurité. Ces
mesures autorisent un usage légitime des armes à feu par
les civils, mais réduit le risque d’usage incontrôlé et de
détournement depuis les marchés légaux vers les marchés illégaux. Il est essentiel qu’existe une coopération
entre les États pour qu’ils puissent développer une véritable capacité de lutte contre le détournement des armes
légères légalement détenues par des civils vers le marché
illégal. Cela exige de mettre en œuvre et de renforcer les
lois en toute transparence.
Nous demandons aux États membres de l’ONU,
lors de la conférence de 2001 :
• De s’accorder sur un dispositif garantissant d’une part
les normes et les procédures de la gestion des stocks
d’armes légères — dont celles en possession de
l’armée, de la police, des services de sécurité privés, et
des civils —, et d’autre part prévoyant l’enregistrement et le stockage.
• D’encourager et soutenir la mise en œuvre d’initiatives
nationales visant à réglementer l’accès des civils aux
armes légères et de petit calibre, ainsi que l’a souligné
la résolution de 1997 de la commission des Nations
unies pour la prévention du crime et la justice pénale.
• De fournir un soutien technique pour aider les États à
mettre en œuvre ces mesures.
25
Damoclès n° 88
4. La collecte et la destruction des surplus
d’armes présents dans la société civile
et dans les régions en conflit
Les surplus d’armes sont une autre source de trafic. Il
est fréquent que des armes ayant été utilisées dans des
conflits, émanant de surplus, des armes de police, ou
encore des armes utilisées par des criminels, soient réutilisées dans des circuits parallèles. Des normes et des
règles doivent être établies quant à la destruction des
armes légères et de petit calibre ayant été confisquées,
ainsi que des surplus constitués des armes de cette catégorie. Le peu d’importance attribuée à la question de la
destruction des surplus a facilité la prolifération et le
commerce illégal des armes légères. Les programmes de
collecte d’armes dans les zones ayant connu des conflits
sont déterminants pour assurer une paix durable — car
sans de tels programmes le risque de violence demeure 7.
Il en est de même pour les programmes visant à faciliter
la restitution par les civils d’armes obtenues illégalement, défectueuses ou interdites 8.
Nous demandons aux États membres de l’ONU,
lors de la conférence de 2001 :
• De s’accorder sur des normes concernant la destruction
des surplus d’armes légères et d’engager des démarches
pour qu’elle soit effectuée de manière régulière.
• De reconnaître et soutenir le rôle et la contribution des
groupes appartenant à la société civile dans la destruction des surplus d’armes ainsi que des armes interdites
et défectueuses.
• D’envisager la constitution d’un fonds international
destiné à aider les pays à collecter et détruire les armes
en surplus.
5. Accroître la transparence
et la responsabilisation
Les efforts internationaux en vue d’améliorer
l’échange d’informations et la transparence sont importants pour lutter contre le trafic et réduire la prolifération
ainsi que l’usage incontrôlé des armes légères et de petit
calibre. La transparence et la responsabilisation — c’està-dire l’obligation de rendre des comptes — sont également importantes pour la vérification de la mise en
œuvre des accords internationaux. Enfin, nous souhaitons la mise en place de mécanismes plus efficaces pour
aider au contrôle et au renforcement des accords internationaux sur les armes, notamment les embargos.
26
Nous demandons aux États membres de l’ONU,
lors de la conférence de 2001 :
• De signer des accords, concernant l’échange d’informations, prévoyant d’augmenter le nombre d’informations officielles accessibles, de manière à améliorer la
transparence.
• D’exiger de la part des États membres la publication
de rapports annuels complets et détaillés concernant
les transferts d’armes, et d’identifier les besoins pour
la mise en œuvre d’un vote de leurs députés sur la
politique de transfert d’armes qu’ils pratiquent.
• D’encourager la création d’inventaires régionaux et
internationaux recensant les informations relatives à la
production, les transferts et les achats d’armes légères
et de petit calibre et ce, à partir du registre des Nations
unies sur les transferts d’armes conventionnelles ou
par le biais d’un autre système.
• De s’accorder sur des critères stricts permettant d’évaluer le respect par les États des embargos décidés par
la communauté internationale, et de considérer comme
un délit grave toute vente ou tout transport d’armes ne
respectant pas un embargo.
6. Soutenir la recherche
et l’échange d’information
La collecte et l’échange d’information sont importants pour aider à la réalisation des politiques concrètes,
au développement de meilleures pratiques, ainsi qu’à la
consolidation et à l’évaluation des pratiques existantes
en vue d’une harmonisation par le haut des contrôles mis
en place par les partenaires régionaux et internationaux.
Les sources d’informations actuellement disponibles sur
les effets et l’offre d’armes légères, ainsi que sur la
conformité aux accords relatifs aux armes de ce type,
sont morcelées. De plus, les informations sur l’ensemble
des initiatives engagées aux niveaux local, régional et
international sont incomplètes. Un effort commun
devrait être fait, lors de la conférence, pour partager les
informations sur les programmes d’action. Une meilleure
collecte et un meilleur échange des informations contribueraient à la mise en place des politiques d’action, au
renforcement des accords existants et enfin à l’évaluation
des mesures prises.
Nous demandons aux États membres de l’ONU,
lors de la conférence de 2001 :
• De mettre au point des procédures pour recenser les
meilleures initiatives prises dans le cadre des efforts
faits en vue de réduire la diffusion illicite et l’usage
incontrôlé des armes légères et de petit calibre, et de
s’assurer que l’information les concernant soit diffusée.
• De faire en sorte que soient disponibles des ressources
pour améliorer la collecte de données concernant le commerce, le trafic et l’usage incontrôlé des armes légères.
• De promouvoir et soutenir le dialogue intergouvernemental et le dialogue entre les gouvernements et la
société civile, au sujet de la prolifération et de l’usage
incontrôlé des armes légères.
7. Les mesures pour lutter contre la demande
Alors que l’attention de la Conférence se concentrera
probablement sur les mesures visant à réduire le trafic
des armes légères, le Raial/Iansa tient à faire savoir que,
selon lui, les mesures pour prendre en charge les facteurs
engendrant la demande en armes légères méritent autant
1er trimestre 2001
DOCUMENT : ATTIRER L’ATTENTION SUR LES ARMES LÉGERES
d’attirer l’attention. Cette demande, qu’elle émane
d’individus, d’acteurs non gouvernementaux ou d’États,
est alimentée par l’insécurité, la privation, l’oppression
et l’instabilité. Une situation économique, politique et
sociale saine crée les conditions pour une paix et une
sécurité durables, et par conséquent réduit la demande en
armes légères. Une politique de développement social
qui n’ignore ni la prévention de la criminalité ni les
modèles de santé publique de prévention des accidents
renforce la lutte contre les racines même de la violence.
Il est donc souhaitable d’encourager la mise en place
d’un certain nombre de mesures plus précises, dont :
l’inversion des cultures de la violence, et la mise en
avant de la non-possession comme la norme ; la lutte
contre la pauvreté, l’inégalité et le sous-développement ;
la promotion de la bonne gestion des affaires publiques,
le respect des droits humains et la responsabilisation ; la
réforme des services de sécurité et de police, notamment
par l’inclusion dans tous les programmes de formation
de notions de base concernant les droits humains et le
droit humanitaire.
Nous demandons aux États membres de l’ONU,
lors de la conférence de 2001 :
• De soutenir les efforts fournis en vue de l’amélioration des programmes des Nations unies pour la démobilisation, le désarmement et la reconversion des
anciens combattants.
• De reconnaître l’impact des armes légères sur les
enfants, les femmes et les autres groupes vulnérables ;
et de s’engager à mettre fin à l’utilisation des enfants
soldats.
• De s’efforcer de manière prioritaire à identifier les
moyens de résoudre les problèmes qui permettent à la
demande en armes de se perpétuer.
• D’inclure dans leurs programmes de développement la
problématique de la prévention des conflits.
• De développer des programmes d’éducation et de prise
de conscience au niveau local, national et régional, en
lien avec les initiatives de la société civile, de manière
à accentuer l’implication des populations, soutenir les
efforts faits dans la lutte contre la prolifération des
armes, et enfin dénoncer et inverser les éventuelles
« cultures de l’arme à feu ».
• De promouvoir la bonne gestion des affaires
publiques, le respect des droits humains et la responsabilisation, en appliquant ces principes dans le domaine
de la sécurité et dans la réforme de la police.
8. Mise en œuvre et suivi de la conférence
L’établissement de programmes financiers pour
garantir les ressources nécessaires à la mise en œuvre des
accords internationaux et régionaux est nécessaire si l’on
veut qu’ils soient efficaces. La coopération et l’assistance techniques sont indispensables pour la réalisation de
tels programmes 9.
Il n’existe pas de solution simple aux problèmes complexes. Tout effort pour réduire le trafic des armes légères
exigera une démarche globale impliquant la société civile
et les gouvernements concernés agissant aux niveaux
local, national et international. Bien que les différents
volets de la démarche retenue seront nécessairement assurés séparément par différentes institutions, une coopération et une coordination doivent impérativement s’opérer,
tant au niveau local qu’au niveau régional.
Nous demandons aux États membres de l’ONU,
lors de la conférence de 2001 :
• De soutenir les initiatives régionales existantes et à
venir, et d’élaborer des orientations et des mécanismes
destinés à favoriser leur mise en œuvre.
• D’identifier les méthodes pour fournir les ressources
(financières, techniques et humaines) pour aider les
pays, sur leur demande, à mettre en œuvre les législations nationales et régionales, ainsi que les accords
internationaux.
• De reconnaître le rôle joué par les organisations —
locales, nationales et internationales — émanant de la
société civile dans la lutte contre la prolifération et
l’usage incontrôlé des armes légères, et de réserver des
fonds à des programmes ambitieux de contrôle et de
sensibilisation publique.
• De mettre en place un processus de suivi régulier de la
mise en œuvre des décisions prises dans le cadre de la
conférence, permettant d’évaluer son avancement et
d’identifier les étapes ultérieures. Ce processus peut
inclure des rapports rédigés annuellement par les États
et décrivant leurs actions pour la mise en œuvre du
plan d’action international, ainsi que la tenue d’une
conférence d’évaluation en 2004 ou 2005.
Traduction réalisée par Xavier Collard
1) Nations unies, International Study on Firearm Regulation (revised),
1997 ; Wendy Cukier, Antoine Chapdelaine et Cindy Collins,
« Globalization and Small/Firearms: A public health perspective »,
Development, 42 (40), pp. 40-44.
2) CICR, La disponibilité des armes et la situation des civils
dans les conflits armés, Genève, CICR, 1999.
3) W. Cukier, Firearms and Women, IPU, juin 2000.
4) CDC, « Rates of Homicide, Suicide and Firearm Related Death
among Children », CDC Weekly Report 46 (5), 1997.
5) Lora Lumpe, (éd.), Running Guns: The Global Black Market
in Small Arms, Londres, Zed, 2000.
6) Philip Cook, Stephanie Molliconi et Thomas B. Cole,
« Regulating Gun Markets », The Journal of Criminal Law
and Criminology, 86, n° 1, pp. 59-91, 1995.
7) CICR, op. cit., 1999.
8) S. Meek, Buy or Barter: History and Prospects for Voluntary
Weapons Collection Programs, Institute for Security Studies,
Monographie n° 22, mars 1998.
9) P. A. Alves et D. B. Cipollone, Curbing Illicit Trafficking in Small
Arms and Sensitive Technologies, Unidir, Genève, 1998.
27
O B S E R V A T O I R E
Damoclès n° 88
des transferts d’armements
ÉTUDELa coopération militaire
française en question
L’
étude que vient de réaliser Belkacem Elomari
se veut une contribution au débat sur le type
de coopération militaire développé par la France
mis en question aujourd’hui tant par les médias,
que par les ONG et, de manière plus feutrée,
par certains parlementaires. Présentation.
Belkacem Elomari
D
28
epuis la fin des guerres coloniales, la France
a développé une politique de coopération
militaire — sur la base d’accords dont la plupart sont tenus secrets — avec les pays nouvellement indépendants. Pourtant, même si le gouvernement de Lionel Jospin a réintégré la coopération militaire
dans le cadre de la politique étrangère de la France —
désormais, la France ne partage plus le monde entre ses
anciennes colonies et le reste du monde… — les questions demeurent. D’autant que les exportations
d’armements font également partie de la politique étrangère et engendre de nouvelles relations militaires avec
les pays acquéreurs. En Europe de l’Est par exemple, la
France noue des alliances pour pouvoir s’introduire sur
ce nouveau marché des armes. Cette conjonction tripartite entre l’industrie d’armement, les forces armées et les
États a donné naissance à ce que l’on désigne
aujourd’hui sous le nom de « coopération militaire et de
défense ». Ces nouvelles perspectives assignées à la
coopération militaire visent d’une part à maintenir
l’influence française tant sur son « ex-pré carré » africain
que sur le continent européen en passe de retrouver,
après la guerre froide, une autonomie politique vis-à-vis
de ses anciens « tuteurs » tant Américains que
Soviétiques et d’autre part, à soutenir l’industrie
d’armement française.
Au terme de cette étude, nous formulons huit recommandations destinées à améliorer à la fois la transparence et le contrôle démocratique de la politique française
de coopération militaire :
1 Publier les textes complets des accords de défense et
de coopération militaire ;
2 Privilégier l’aide à la sécurité et au maintien de la
paix ;
3 Transparence appliquée à la coopération militaire ;
4 Révision des accords en cohérence avec les traités
internationaux ;
5 Respect des conventions internationales et intégration de la coopération militaire dans la politique
globale d’aide au développement ;
6 Lier accords de défense et de coopération militaire
et participation au Registre de l’ONU ;
7 Associer les accords de défense et de coopération
militaire avec les initiatives européennes en matière
de transparence ;
8 Mieux contrôler les développements de la coopération militaro-industrielle.
▲
La coopération militaire française en question
Belkacem Elomari
112 pages • 72 FF / 10,98 € (port compris)
1er trimestre 2001
À LIRE : LA MONDIALISATION ARMÉE
BONNES
FEUILLES
La mondialisation armée
L
es quelques pages extraites de la
conclusion du dernier ouvrage de
Claude Serfati — que nous
reproduisons ci-contre — donnent le
ton de ce stimulant essai qui vient
tordre le coup à quelques idées
fausses sur « la mondialisation [est]
porteuse de paix » et rappeler que la
« production d’armes se révèle un
terrain d’investissement plus que
jamais attractif pour le capital
financier ». À l’heure de la
mondialisation, ce n’est plus la
politique, mais l’économie qui serait
« désormais la continuation de la
guerre par d’autres moyens »…
L’auteur s’attache à décrire
la nouvelle étape de la militarisation,
soulignant que « situé au croisement
du politique, l’appareil militaroindustriel américain a trouvé dans
la mondialisation les bases d’un
nouveau départ ». Et les États-Unis
le moyen de maintenir leur
suprématie. L’initiative du système
de défense antimissile NMD en est
le signal le plus clair.
Patrice Bouveret
La mondialisation armée
Le déséquilibre de la terreur
Claude Serfati
Textuel, coll. La Discorde,
Paris, 2001, 174 p., 110 FF.
Claude Serfati
À la fin du XXe siècle, une étape supplémentaire dans
la course aux armements a été franchie. Selon les données du Sipri, la chute des dépenses militaires mondiales
a pris fin en 1996 ; en 1999, elles ont même augmenté,
pour la première fois depuis 1988.
Les États-Unis, certains pays européens, la Russie, la
Chine, l’Asie du Sud-Est, le Brésil et la Turquie ont principalement contribué à cette hausse. Si elle devait se
confirmer, cette hausse signifierait que la période 19881996 n’a été qu’une parenthèse dans l’évolution tendancielle des dépenses militaires observées depuis la fin de
la seconde guerre mondiale. On ne peut néanmoins
s’arrêter à des données statistiques.
Au-delà, on doit noter la transformation des conditions
de production d’armes et le rôle central qu’y tiennent le
capital financier, l’intégration croissante des technologies
militaires et civiles, la multiplication des types d’armes de
destruction massive (chimiques et bactériologiques), mais
également leur prolifération rendue plus aisée. La militarisation de la planète à l’aube du XXIe siècle présente des
dangers redoutables. Les armes produites sont destinées à
être utilisées, comme toute l’histoire, et encore plus tragiquement celle du XXe siècle, l’a montré. […]
La mondialisation :
vers des droits cosmopolites ?...
La description de la militarisation de la planète et de
l’ampleur des guerres qui la traversent faite dans les chapitres précédents pourra sembler excessivement pessimiste. Pour de nombreux observateurs, la mondialisation
ouvre à l’humanité des possibilités insoupçonnées en
matière de relations pacifiques, tout en s’inscrivant dans
une lente montée d’une sorte de régulation internationale
des conflits entre nations. Les théoriciens des relations
internationales soulignent en effet que l’histoire moderne
est marquée par plusieurs étapes décisives dans la constitution d’un « ordre mondial ». Le monde a longtemps
vécu sur les principes admis lors des traités de
29
Damoclès n° 88
Westphalie (1648) qui ne devaient prendre effet pleinement qu’au XIXe siècle. Selon ces traités, le monde est
composé d’États souverains qui ne reconnaissent aucune
autorité supérieure. La loi internationale, quand elle existe,
doit au mieux se borner à établir des règles de coexistence
minimale entre les États et les peuples. Au XIXe siècle, les
États, tout en continuant à faire la guerre, renforcent les
dispositifs diplomatiques destinés à prévenir les conflits.
Le Concert européen qui durera de 1815 à 1870 ménage
des conférences réunissant les grandes puissances.
Ensuite, des conférences sur la paix sont organisées (à
La Haye en 1899 et 1907) pour réglementer le commerce
des armes. Le conflit qui éclate en Europe en 1914
montre les limites de l’exercice. L’ampleur des massacres (des millions de morts durant les quatre années de
guerre) conduit à quelques tentatives dans l’après-guerre,
par exemple cette réunion des soixante-quatre États
membres de la Société des Nations à Genève (19321934), pour initier un processus de désarmement total.
30
La création de l’Onu correspond à une conception
différente de (sinon opposée à) celle véhiculée par le
Concert des Nations. Les États constituent certes la base
de l’organisation mise en place, mais un système de
droits et principes universels, c’est-à-dire transcendant
les États, est adopté. La notion de sécurité collective fait
son apparition, la charte des Nations unies prévoit la
mise sur pied d’un état-major militaire placé sous la responsabilité d’un Conseil de sécurité. Les Nations unies
ont également fourni un cadre favorable à la décolonisation, à l’aide humanitaire (Déclaration universelle des
droits de l’homme de 1948). Son apport le plus positif
est peut-être d’avoir favorisé l’explosion des ONG 1
(Organisations non gouvernementales), permettant
l’émergence d’un contre-pouvoir citoyen en face des
États. Celui-ci a pris de l’ampleur au cours de la décennie quatre-vingt-dix. On souligne également l’importance qu’a prise la mise en place de tribunaux de justice
internationaux qui peuvent poursuivre des dirigeants
pour crimes de guerre contre l’humanité.
Certains estiment que la mondialisation produit une
véritable révolution copernicienne dans le domaine des
relations internationales. L’émergence de « droits cosmopolites » souhaités par Kant est l’œuvre d’une « communauté internationale » en train de forger les instruments et les institutions qui permettent de faire reculer
les guerres et le militarisme 2. Les ONG développent des
réseaux transnationaux qui militent pour le respect des
droits de l’homme et renforcent les pouvoirs de la société civile contre les abus des États. Au-delà de cette posture défensive, les ONG préfigurent ou annoncent ce que
pourrait être une « démocratie globale ». L’Onu pourrait
voir son organisation profondément remaniée avec un
droit d’appel des individus devant l’Onu, la formation
d’une « seconde chambre représentant l’assemblée des
peuples » à côté de celle composée aujourd’hui des
États, l’usage du référendum, etc. 3 Maurice Bertrand
considère que « l’intégration politique du monde est
devenue inévitable et [qu’]elle est en cours de réalisation » 4, ce qui annonce la fin de « l’ordre militaire » et
l’apparition de la « mondialisation du “système de sécurité” ». Cette expression désigne un mode (ou un système) de sécurité composé d’ensembles d’institutions et de
méthodes par lesquelles les peuples assurent leur sécurité
contre les risques d’agression — ou autres dangers —
qui les menacent. Jean-Paul Jean rappelle que les tribunaux pénaux internationaux qui ont été créés à l’issue du
conflit en ex-Yougoslavie et pour le génocide au
Rwanda traduisent « une avancée décisive de la lutte
contre des criminels de guerre. Mais ces deux exemples
ne sont que le balbutiement d’une véritable justice pénale internationale » 5.
... ou le renforcement
d’un ordre social inégalitaire ?
Les analyses précédentes soulignent à juste titre que
l’humanité est engagée dans une nouvelle étape de son
histoire, et qu’il est urgent de trouver des réponses adaptées à ces nouvelles exigences. Mais il faut d’abord
constater que l’Onu n’a pas réussi à construire la paix :
les conflits ont fait plus de morts depuis 1945 que durant
la seconde guerre mondiale. Les critiques sont nombreuses mais l’une des plus fortes probablement est que
l’Onu a permis la pérennisation de la situation héritée de
la seconde guerre mondiale. Le siège de membre permanent au Conseil de sécurité réservé à cinq pays a reflété
d’une part le partage du monde décidé à Yalta. ll a permis d’autre part que ces pays gèrent avec plus ou moins
de succès leurs zones d’influences respectives. Maurice
Bertrand rappelle que les agressions des pays membres
permanents du Conseil de sécurité contre un autre pays
(et en particulier celles perpétrées par l’URSS en
Hongrie, en Tchécoslovaquie et en Afghanistan ; par les
États-Unis, au Guatemala, dans d’autres pays
d’Amérique latine, au Vietnam ; par la France, en
Indochine et en Algérie) n’ont pu être empêchées 6. Les
deux seuls cas d’action collective patronnés par l’Onu, la
guerre de Corée en 1950 et celle du Golfe en 1990, n’ont
pu exister que parce que les intérêts vitaux des ÉtatsUnis étaient en jeu. En fait, Monique ChemillerGendreau rappelle que le texte fondateur de l’Onu permettait le renforcement de la domination de certains pays
(les membres permanents du Conseil de sécurité) qui se
« sont auto-légitimés de manière définitive et ont validé
durablement leur puissance » 7, Pierre de Senarclens
parle du « mythe démocratique » de l’Onu, au sein
duquel siègent des dirigeants d’États tyranniques,
dépourvus d’une quelconque légitimité démocratique, et
d’autres n’ayant aucune souveraineté réelle 8.
Avec la disparition de l’URSS, un nouvel ordre mondial s’est installé au sein duquel la place de l’Onu est un
peu plus marginalisée, alors que les États-Unis agissent
avec plus de désinvolture vis-à-vis de l’organisation
internationale. On sait que les États-Unis refusent depuis
1er trimestre 2001
À LIRE : LA MONDIALISATION ARMÉE
des années de payer l’intégralité de leur quote-part à
l’organisation. Il s’agit d’un geste de portée symbolique,
compte tenu du montant dérisoire des arriérés en souffrance pour ce pays si riche (1,5 milliard de dollars, soit,
pour fixer les idées, bien moins que le coût d’un bombardier furtif B-2 estimé à 2,5 milliards de dollars). Mais un
autre symbole, autrement plus fort, est le fait que ce soit
le P-DG de CNN, Ted Turner, qui a payé à l’Onu, avant
le 31 décembre 2000, la somme nécessaire (34 millions de
dollars) pour qu’un accord amiable intervienne entre les
États-Unis et l’Onu (Le Monde du 24-25 décembre 2000).
Selon Le Monde, certains fonctionnaires en place à New
York se sont réjouis de ce geste, soulignant qu’il inaugurait la « participation de la société civile à l’Onu », lls
doivent dans ce cas se féliciter d’une initiative récente
prise par le secrétaire général de l’Onu. Présentant cette
initiative, intitulée Global Compact (quelque chose
comme un « contrat mondial »), une expression qu’il
avait déjà utilisée quelques mois auparavant au forum de
Davos, M. Kofi Annan a déclaré que dans un « monde de
défis communs, les Nations unies et les milieux d’affaires
sont en train de trouver des terrains d’entente [...] la
confrontation a été remplacée par la coopération et les
Joint ventures ». Ce programme comprend l’engagement
du respect des droits humains, du travail et de l’environnement par les groupes industriels signataires. On y
retrouve des groupes tels que Nike, Shell, McDonald’s,
BP Amoco, Novartis, dont les associations de protection
de l’environnement et les organisations syndicales pourraient documenter à loisir la façon dont elles violent ces
droits 9. Même si ce n’était pas le cas, le fait que des
groupes multinationaux dont la puissance financière est
énorme soient associés à l’activité d’une organisation
internationale telle que l’Onu en dit long sur le degré de
soumission au capital privé auquel est arrivée la « communauté internationale ».
d’excellents commissaires tels que Monti pour la concurrence, Lamy pour le commerce et Liikanen pour le commerce électronique et l’industrie. » 10
La « marchandisation de la planète » est donc rien
moins que l’expression des forces anonymes du marché.
Derrière la « main invisible » de la mondialisation, il y a
plus que jamais la « dimension politique », c’est-à-dire le
bras secourable des politiques néolibérales des gouvernements et des organisations internationales, et au besoin la
« poigne de fer » du militarisme. Et ceci pour défendre
des rapports économiques et sociaux profondément
inégalitaires qui perpétuent un mode de développement
non soutenable pour la majeure partie de la population
de la planète, mais également par les destructions environnementales et écologiques qu’il produit.
La situation actuelle indique que la sécurité de
l’humanité va bien au-delà des questions de défense :
elle doit intégrer les dimensions environnementales, alimentaires, sanitaires, mais aussi la sécurité de l’emploi,
ou plus simplement le droit au travail dont sont également privés des centaines de millions d’individus.
Pourtant, les réponses apportées par les politiques néolibérales aux fléaux du chômage, aux tragédies sanitaires,
aux destructions environnementales aggravent ces maux
et l’insécurité de ceux qui en sont victimes. Elles ne
peuvent qu’intensifier les mesures et accroître les
dépenses qui sont nécessaires à la défense des « droits
de propriété », c’est-à-dire d’un régime de propriété privée qui est pourtant une source majeure de cette insécurité. Dans ces conditions, les solidarités « transfrontières »
mais également entre les différentes composantes du
« mouvement social » et salarial, si elles se consolidaient, seraient la meilleure antidote aux réponses
« sécuritaires » et militaristes que dessinent les anciens
et nouveaux « maîtres du monde ».
▲
L’insécurité produite par
la « marchandisation » de la planète
Ce qui se passe aujourd’hui à l’Onu n’est qu’une
étape supplémentaire du rôle majeur joué par les grands
groupes industriels et financiers privés dans la nouvelle
architecture juridique et institutionnelle mondiale. Ces
groupes ont fortement influencé l’agenda des organisations internationales qui ont relayé et cherché à légitimer
les politiques néolibérales menées par les gouvernements. Depuis deux décennies, le FMI, la Banque mondiale, l’OCDE et, depuis sa création en 1995, l’OMC ont
centré leurs exigences sur des programmes de privatisation et de déréglementation des marchés et des industries. En Europe, ces exigences ont trouvé, selon le responsable d’un des plus puissants groupes de pression
(The European Roundtable of Industrialists) une oreille
plus que favorable auprès de la Commission : « Lorsque
des hommes d’affaires comme moi ont un problème qui
intègre une dimension politique, nous avons accès à
1) Les ONG à vocation internationale etaient 176 en 1909,
832 en 1951 et 5 472 en 1996.
2) M. Kaldor, op. cit.
3) Voir A. Mc Grew, The Tronsformotion of Democrocy?
Globolizotion ond Territorial Democrocy, Polity Press,
Cambridge, 1997.
4) M. Bertrand, La fin de l’ordre militoire, Presses de Sciences Po,
Paris, 1996, p. 63.
5) J.-P. Jean, « La justice, pilier ou béquille de la democratie ? »,
Le Monde diplomatique, janvier 2001.
6) M. Bertrand, op. cit., p. 110.
7) M. Chemiliier-Gendreau, « Les bases et les conditions de la
démocratie internationale », La pensée, janvier-février-mars 1997.
8) P. de Senarclens, Mondialisation, souveraineté et théories des
relations internationales, Armand Colin, Paris, 1998, p. 187.
9) Voir « Tangled up in Blue », dossier realisé
par Corporate Watch, disponible sur Internet.
10)Corporate Europe Observer, Issue 7, disponible sur Internet.
31
Damoclès n° 88
Notes de lecture
“Bons pour le service”
L’expérience de la caserne
en France à la fin du XIXe siècle
Odile Roynette
Belin, Paris, 2000, 461 p., 149 FF/22,71 €
Les Poilus
La France sacrifiée
Pierre Miquel
Plon, Paris, 2000, 523 p., 149 FF/22,71 €
travers les conscrits encasernés des
années 1872-1905 et les Poilus
« bons pour le carnage » de la guerre
1914-198 ce sont cinquante ans de
l’histoire de la nation française et de
son armée que nous sommes invités à
relire. Les deux ouvrages fort différents
sont complémentaires, le premier issu
d’une thèse s’inspirant de l’histoire culturelle à la mode, le second présentant
une synthèse des connaissances sur la
guerre vécue par les combattants d’août
1914 à novembre 1918.
Odile Roynette part de la défaite militaire de 1871, des débats qu’elle suscite sur la régénération du pays pour
décrire la mise en place d’un service
militaire obligatoire faisant vivre en
caserne, pour un à trois ans, deux
jeunes français sur trois. Elle analyse
formes et modèles de la régionalisation progressive du recrutement avant
de centrer son travail sur le vécu des
conscrits. Les ruptures avec leur
milieu d’origine, les valeurs que la discipline des armées entend leur inculquer, les souffrances que les jeunes
endurent — à travers ce dressage —
sont une donnée majeure de la
construction d’une identité masculine
faite de virilité, d’honneur, de camaraderie qui trouvera à s’exercer sur les
champs de bataille.
La réalité sera — la Grande Guerre
venue — fort éloignée des entraînements et des manœuvres. Pierre
Miquel en fait revivre les étapes
comme les transformations des
À
32
marches à la mort des pantalons
rouges en 1914 — où les combattants
sont fauchés par les mitrailleuses et les
canons allemands sans jamais voir
l’ennemi — au répit inconfortable des
premières tranchées. Sont ensuite mis
en avant les aveuglements des étatsmajors lançant, au mépris des hécatombes, offensives sur offensives de
1915 à 1917, l’incroyable résistance
des Poilus de Verdun au rouleau compresseur industriel allemand, le nouveau visage que prend alors l’affrontement des camps épuisés — les
mutineries et la révolution russe en
témoignaient. Une bonne mise en
scène de 1918 intitulée « Les martyrs
de la victoire » rappelle l’emploi massif des gaz dans l’offensive
Luddendorf, la nouvelle utilisation des
grenades, des chars et de l’aviation
dans des combats toujours aussi meurtriers, les manœuvres politiques et
diplomatiques des gouvernements allemands pour éviter l’invasion de leur
territoire national. Ainsi sont jetées les
bases d’une guerre de trente ans, le
pacifisme français (incarné par
Aristide Briand) ne pouvant enrayer la
volonté de puissance des milieux militaires et industriels allemands, Fédérés
en 1933-34 par Hitler. Son projet de
nouvel Empire allemand et d’Europe
nazie échouera en 1945, au prix de
dizaines de millions de nouveaux
morts.
Michel Robert
te, début des années soixante a conduit
les éditeurs à publier — ou rééditer —
des ouvrages sur ce sujet.
Ce livre — paru pour la première fois
en 1975 aux Éditions François
Maspéro — se veut « un aide-mémoire » que Pierre Vidal-Naquet a
construit en rassemblant et commentant différents documents d’époque,
afin de permettre à tout un chacun de
ne pas oublier les crimes commis au
nom de la France et de « reprendre un
travail jusqu’à présent inachevé :
celui de la mémoire ».
Un regret toutefois, la nouvelle « préface inédite de l’auteur » laisse le lecteur sur sa faim… On aurait aimé y
trouver une interrogation plus poussée
sur les raisons de ce silence qui a
entouré durant toutes ces années cette
pratique barbare… « Ce n’est pas de
la censure, mais plutôt de l’indifférence », explique Pierre Vidal-Naquet. Un
peu court.
Patrice Bouveret
Dictionnaire
de la pensée stratégique
François Géré
avec le concours de Thierry Widemann,
Arnaud Blin et Jean-Damien Pô
Larousse, coll. Les référents, Paris,
2000, 318 p. 110 FF/16,8 €
a stratégie imprègne de nombreux
secteurs de la société. Mais que
recouvre exactement ce terme ? Ce
dictionnaire permet d’étayer les différents paradigmes de ce terme et offre
une véritable boite à outils de la pensée stratégique et de la mise en pratique que cette connaissance a inspiré
aux hommes. Ainsi au fil des 130
notions et d’une centaine de stratèges,
le lecteur pourra se constituer son
propre bagage stratégique, bien utile
en cette période de transition.
P. B.
L
Les crimes de l’armée française
Algérie 1954-1962
Dossier réuni par Pierre Vidal-Naquet
La Découverte/Poche, Paris, 2001,
172 p., 42 FF/6,40 €
e retour sur la scène médiatique de
la question de la torture pratiquée
par l’armée française durant la guerre
d’Algérie à la fin des années cinquan-
L
1er trimestre 2001
NOTES DE LECTURE
Le nouveau contexte des
échanges et ses règles cachées
Information, stratégie
et guerre économique
Éric Denece
L’Harmattan, Paris, 2001, 254 p.,
140 FF/21,34 €
e passage de la civilisation industrielle à celle de l’information doit
être considéré pour l’auteur comme
l’une des grandes mutations de l’histoire de l’humanité. La révolution de
l’information qui s’accompagne
d’autres mutations technologiques
essentielles, bouleverse nos modes
d’organisation et de production, mais
aussi de communication, de consommation, d’enseignement et de loisirs.
Cette révolution, dont nous mesurons à
peine les premiers effets, offre une
quantité considérable d’opportunités
nouvelles et présente un nouveau paradigme pour les activités économiques.
Pour nombre d’acteurs, le nouvel environnement des échanges peut paraître
difficile à déchiffrer, d’autant que sa
complexité va de pair avec une
conflictualité accrue. En effet, la compétition économique se durcit et projette les acteurs économiques au cœur
d’une tourmente à laquelle ils étaient
peu préparés. Beaucoup sont déroutés,
certains sont éliminés, faute d’avoir su
s’adapter à temps. Ni condamnation,
ni apologie du libéralisme, ce livre
invite à une meilleure compréhension
des nouveaux phénomènes régissant
les échanges économiques internationaux.
Belkacem Elomari
L
pays riverains de cette « mer des paradoxes » Berceau de trois religions
d’importance (judaïsme, christianisme, islam) et accoucheuse de nombreuses civilisations, la Méditerranée
est loin d’être, comme le démontre
Paul Balta, un ensemble homogène
mais plutôt un espace de « fortes affirmations identitaires » génératrices de
guerres comme de métissages « qui
ont contribué à la naissance de
l’humanisme ». Cet ouvrage permet de
dépasser les clichés opposant Nord et
Sud et de montrer en quoi les destins
des deux rives sont liés « pour le
P. B.
meilleur et le pire ».
1) Vers une sécurité commune en Méditerranée.
Démilitariser le concept de sécurité,
Bernard Ravenel, CDRPC, Lyon, 112 p.
75 FF/114,34 € (port compris).
Palestiniens et Israéliens
Le moment de vérité
Sous la direction de Jean-Paul
Chagnollaud, Régine Dhoquois-Cohen
et Bernard Ravenel
L’Harmattan, Paris, 2000, 208 p.
Chroniques de Bagdad
1997-1999
La guerre qui n’avoue pas son nom
Alice Bséréni
L’Harmattan, 2000, 242 p., 120 FF/18,29 €
eux ouvrages faisant le point sur
des régions-clés du Moyen-Orient
au cours de la dernière décennie du
XXe siècle. En douze articles, des spécialistes proches de la revue Confluences Méditerranée analysent donc le
bilan (au printemps 2000) du processus de paix engagé entre 1991 et 1994
entre Yasser Arafat et les dirigeants
israéliens. Tous les enjeux sont pris en
compte : ceux que posent la sécurité
d’Israël — sa redéfinition nécessaire à
l’âge des menaces nucléaires régionales — comme la multiplication des
implantations coloniales juives cherchant à étouffer Jérusalem-Est, ceux
que présentent la construction de
D
Méditerranée. Défis et enjeux
Paul Balta
L’Harmattan, Les Cahiers de Confluences,
Paris, 2000, 212 p., 110 FF/16,77 €
n complément de l’ouvrage que
nous avons publié sur les questions
de la sécurité en Méditerranée (1), le
lecteur tirera profit de la lecture de
cette vaste fresque que cet ancien journaliste du Monde, spécialiste du
monde arabo-musulman, dresse des
E
l’Autorité nationale palestinienne et le
problème des réfugiés palestiniens ou
la question de l’eau à mieux partager,
les difficultés économiques et les pressions internationales (États-Unis,
Union européenne ou Vatican).
Un excellent jeu de cartes aide à comprendre pourquoi les négociations —
contrairement aux espoirs occidentaux
— n’ont cessé de piétiner. De 1993 à
2000, au-delà des principes affichés
— « des droits légitimes et politiques
mutuels », passage d’un Accord intérimaire au Statut définitif — tous les
gouvernements israéliens de Rabin et
Pérès à Barak en passant par
Netanyahou ont pratiqué la même
politique sur le terrain : redéploiement
des forces militaires plutôt que retrait,
construction d’autoroutes enserrant
leurs colonies, refus aux Palestiniens
du lancement du port de Gaza comme
d’une liaison directe GazaCisjordanie, bouclages répétés des territoires palestiniens. Ainsi Israël
entend négocier en position de force,
maintenir un éventuel État palestinien
à l’état de protectorat avec une économie en sous-traitance.
De nombreux autres enseignements
sont apportés par les auteurs, notamment dans les remarquables articles
sur l’historique des implantations de
colonies « sionistes » en terre palestinienne de 1948 à 1999 et sur
Jérusalem dans le processus de paix.
Ils aident à saisir comment ce
« moment de vérité » a pu aussi facilement basculer à nouveau dans la
violence.
Le travail d’Alice Bséréni est d’un ton
différent. Témoignage militant fondé
sur des voyages réguliers à Bagdad et
une liste d’interviews où figurent surtout journalistes et artistes irakiens, il
donne un aperçu au quotidien de la vie
des Irakiens soumis au régime de
l’embargo onusien et des frappes militaires américano-britanniques. Le style
est chaleureux, la démonstration
inégalement convaincante. À lire, toutefois, pour prendre conscience du climat de mésinformation duquel nous
dépendons constamment, malgré les
organisati.ons humanitaires, avec parfois la complicité de la communauté
internationale.
M. R.
33
Damoclès n° 88
Éthiopie-Érythrée
frères ennemis
de la Corne de l’Afrique
Fabienne Le Houérou
L’Harmattan, Paris, 2000, 160 p.,
120 FF/18,29 €
n travail d’historienne exemplaire
par ses méthodes et par l’éclairage
qu’il nous apporte sur les évolutions
politiques et sociales de cette région
d’Afrique de l’Est. Cela pourrait
d’ailleurs aussi s’intituler Érythrée
1890-1991 l’invention d’une nation.
À partir de multiples enquêtes de terrain et d’interviews où la caméra vidéo
peut accompagner l’entretien oral,
Fabienne Le Houérou renouvelle
l’approche des problèmes contemporains en Afrique : elle croise l’analyse
des témoignages oraux avec ceux des
archives classiques et des ouvrages
déjà publiés pour expliquer l’affrontement des trente dernières années entre
l’Éthiopie et l’Érythrée.
De cette démonstration on peut retenir :
l’inégal héritage colonial des États
actuels de l’Éthiopie n’ayant connu
que cinq années d’occupation italienne, l’Érythrée l’ayant subie durant un
demi-siècle fournissant à l’armée italienne des dizaines de milliers de supplétifs les « ascaris ». C’est l’étape
coloniale qui fixe la frontière entre les
territoires.
La volonté de domination des Éthiopiens (sous tutelle amhara de Ménélik
à Hailé-Sélassié et au colonel
Menguestu) entendant réunir tous les
peuples et ethnies sous leur direction
patriotique, chrétiens et musulmans
ensemble, le poids de la guerre d’indépendance érythréenne déclenchée en
1961 qui finit par opposer deux fronts
populaires se réclamant du marxismeléninisme (1978-1991).
La manière dont se forme à travers la
mobilisation érythréenne une élite
féminine de jeunes combattantes
(30 % des 100 000 soldats) dont la réinsertion politique et sociale pose de
nombreux problèmes, la paix venue. On
lira avec grand intérêt ce « chapitre
femme » comme l’étude de la reprise
de la guerre fratricide en 1998-1999
dans un climat économique fort changé.
Dominique Lorenz
Les Arènes, Paris, 2001, 609 p.,
178 FF/27,14 €
Histoire secrète de la bombe
atomique française
André Bendjebbar
U
34
Affaires atomiques
En annexe, des entretiens de dirigeants
d’Addis-Abeba et Asmara du Front de
libération tigréen, les cartes sont insuffisantes ce qui n’enlève rien à la grande qualité de cet ouvrage.
M. R.
Le Cherche midi, Paris, 2000, 407 p.,
138 FF/21,04 €
« Sociétés sous contrôle »
Manière de voir
Le Monde diplomatique
Les moyens de la puissance
n° 56, mars-avril 2001, 98 p., 45 FF/6,86 €
omme le rappelle Ignacio Ramonet
en ouverture de ce fort instructif
recueil, « l’individu est proclamé
“libre”, mais, en fait, le périmètre de
sa liberté ne cesse de rétrécir ». Et
comme fil conducteur — ou plus exactement comme fil tutélaire — se trouve 1984, le roman prémonitoire de
Georges Orwell, référence obligatoire
pour qui veut évoquer le thème de la
surveillance, du contrôle social…
D’autant qu’avec l’essor des nouvelles
technologies, Big Brother peut
s’immiscer jusque dans les replis de
votre ordinateur, vous suivre à la trace
de vos déplacements via le portable et
de vos achats via la puce de votre carte
de paiement, contournant « les fragiles
remparts qui protègent notre vie privée ». Ce recueil articule les différentes facettes du contrôle social diffus
qui se développe aujourd’hui dans nos
sociétés permettant à la dynamique de
la mondialisation et du libéralisme de
s’imposer partout, exigeant « de chacun l’abdication de son autonomie » à
son plus grand profit…
P. B.
Les activités militaires
du CEA (1945-2000)
Jean-Damien Pô
C
PS. Le Monde diplomatique a rassemblé
vingt ans d’archives sur un cédérom
fonctionnant indifféremment sur Mac et
PC. Plus de 17 000 articles, reportages,
analyses, tableaux, etc., publiés dans le
mensuel entre janvier 1980 et décembre
2000 et servis par un puissant logiciel de
recherche. Un outil indispensable
disponible contre 320 FF / 48,78 €
(frais de port inclus) à l’adresse suivante :
Cédérom Le Monde diplomatique,
60646 Chantilly Cedex.
Ellipses – Fondation pour la Recherche
Stratégique, Paris, 2001, 271 p.
es deux premiers ouvrages
s’appuient sur le registre du « secret
nucléaire » enfin dévoilé. Certes, ils
citent des documents nouveaux, mais
les faits sont connus et déjà publiés
dans maints ouvrages. Dominique
Lorenz a le mérite de retracer l’histoire
de la prolifération nucléaire. Elle
dénonce les idées « habituellement »
reçues de la distinction entre
nucléaires civil et militaire, distinction
qui permet allègrement aux puissances
nucléaires de vendre les secrets de la
bombe. Ce parcours dont la lecture est
passionnante se termine par un point
d’orgue sur la partie immergée de
« l’iceberg » nucléaire iranien. De
quoi accréditer la notion d’« État
voyou » génératrice d’un nouvel avatar de la course aux armements ?
André Benjebbar retrace la genèse
de la bombe française de la deuxième
guerre mondiale à 1968 où la France
faisait exploser sa première bombe
thermonucléaire. Il y a, bien sûr, des
documents inédits et des témoins nouveaux, et ce livre sera très utile à ceux
qui n’auraient pas accès aux ouvrages
quasi introuvables de Bertrand
Goldschmidt ou encore aux mémoires
du général Ailleret, pour ne citer que
ces témoins-clés. Sur un point particulier, on regrettera que l’auteur se soit
simplement contenté de mentionner un
accident grave – jusque-là non connu
— survenu lors d’un essai souterrain à
In Ecker le 18 mars 1963, développant
L
3ème trimestre 2000
NOTES DE LECTURE
plutôt ce que tout le monde sait déjà
sur l’accident du 1er mai 1962 où se
trouvaient les ministres Messmer et
Palewski. Un ouvrage en définitive
assez conforme que le lecteur complétera utilement – pour partie — par la
lecture de L’Amérique contre de
Gaulle de Vincent Jauvert (voir
Damoclès n° 87).
Jean-Damien Pô, plus modeste
dans le ton, apporte dans Les moyens
de la puissance des éléments fort peu
connus de l’histoire concrète de la
bombe française et du fonctionnement
de la Direction des applications mili-
taires (Dam) du Commissariat à
l’énergie atomique. Le livre se termine
avec les restructurations de la Dam
après l’arrêt des essais, chapitre dont
on complétera l’information par la lecture du dernier Cahier de
l’Observatoire des armes nucléaires
françaises (n° 6, mai 2001). Cette analyse d’un organisme clé de la puissance de la France, sous ses aspects technologique, politique et stratégique, se
termine par la question « À quoi sert
la Dam ? » à laquelle Jean-Damien Pô
esquisse une réponse : « La Dam sert à
la France à tenir son rang dans la com-
pétition technologique qui, dans le système international de l’âge nucléaire,
tend à se substituer à l’épreuve de la
guerre réelle. » Ce n’est pas notre
point de vue, mais la réponse de
l’auteur semble synthétiser la pensée
de ceux qui – au cœur du système
nucléaire français – envisagent l’avenir du CEA militaire. Ce livre constitue un éclairage des plus pertinents
dans le débat sur l’avenir de la dissuasion nucléaire française.
Bruno Barrillot
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RAITRE
V I E N T D E PA
U
tilisées pour la première fois contre l’Irak,
les armes à l’uranium appauvri ont provoqué un
immense débat chez les vétérans américains qui a
rebondi en Europe, près de dix ans plus tard,
après leur emploi intensif dans les Balkans.
Les décideurs militaires n’ignoraient nullement les
« dommages collatéraux » provoqués par l’emploi
de ces armes tant sur les populations que les
militaires. Ainsi, en France, les experts ont pris
d’importantes précautions pour la mise au point
de ces munitions. Aujourd’hui, ces mêmes
« experts » informent les cabinets ministériels et
les parlementaires sur la prétendue innocuité de
l’uranium appauvri !
Les gouvernements des pays producteurs —
américain et français notamment — n’envisagent
pas de renoncer à ces munitions à l’uranium
appauvri considérées comme du dernier cri
technologique. Pour éviter les indiscrétions, les
industriels utilisent un nom de code — staballoy
— ou retirent la mention de ces armes de leurs
catalogues… Et continuent la production !
Dès la fin des années 1950, les diplomates des
Nations unies ont débattu de l’interdiction des
armes utilisant des matières nucléaires, comme
l’uranium appauvri. Ces discussions ont cessé
curieusement au moment même où de telles armes
étaient utilisées sur le champ de bataille irakien.
La communauté internationale et la société civile
doivent reprendre le dossier pour que soit
appliqué le principe de précaution et faire interdire
les munitions à l’uranium appauvri à l’instar des
armes chimiques ou des mines antipersonnel.
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sur les questions de paix et de guerre, de désarmement et de militarisation. Les études du CDRPC
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de la militarisation et agir en pleine connaissance pour un véritable désarmement.