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thibaut binard
diagonal doce
poèmes
Clepsydre
ÉDITIONS DE LA DIFFÉRENCE
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Cioran : « le Réel me donne de l’asthme. »
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LA FANFARE DES AMIBES
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Danse de phalanges
Ma truite
Mon huître
Mon uppercut
Mon otarie
En ligne droite et en slalom
Je te vénère par tendres
Chuchotis
Les trompettes se cassent en te laissant passer.
Mon petit faon lubrique
Mon « déjà-là » aux yeux verts et au si beau cul
Souffle sur la bougie
De mon ironie
Ma claque
Mon lapin bondissant
Mes lunettes magiques
Je te lèche tout entière et tu n’es pas en sucre
Pas en miel
Pas en vin
Tu es un timbre sur mon timbre et nous découvrons
ton adresse.
L’étau de l’angoisse opère en abricot.
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Quand elle me regarde de haut, elle est arabe, mage,
hiéroglyphes d’ébène sur poing soufflé.
Sourcils.
Pupilles.
Cils.
Caractère de pinceau sur soupir blanc.
Quand elle me regarde de bas, elle est commerçante,
espagnole, canaille,
Un élan vert protégé par un chignon à l’encre
de Chine.
Sa chevelure broussailleuse révèle tous les ordres mais
un à la fois.
Je tourne la tête et elle n’est plus la même ou l’est devenue
à nouveau. Elle se tisse, se bricole en un rien de temps.
Elle constitue et ce faisant restitue à une sorte d’image
idéale de la beauté, d’image idéale de la femme, d’image
idéale du désir, d’une image pour rien au monde idéale.
Mon souffle tournoie autour de son philtre.
Sa polyphonie me suffoque
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Mes mains n’étaient plus des serres, des ergots
Et ce n’étaient pas des reptiles, des fanions inquiétants,
ni des seringues, des monocles sur ma nuque,
Sur mes lèvres.
Partout – dans tous les mots, des petits doigts défaisaient
les nœuds, les coiffaient de plumes, les peignaient et
construisaient avec leurs cheveux des petits ponts, des
gondoles, des balançoires et le langage tremblait sur ses
assises, était ébranlé, fermait enfin sa gueule.
Un infinitif fusait parfois entre la fontaine de nos bouches ;
j’ouvrais les portières pour le voir partir du coin de l’œil ;
je lui aurais bien craché à la face.
Nous nous cherchions les os avec des gants d’autruche.
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Il y avait la drogue et puis il y a eu le café. Celui-ci a
formé une nappe de mercure pour recouvrir le premier
élément et de l’extermination volontaire le monde passa
soudain à travers des nerfs liés l’un à l’autre et formant
des arcs qui fusaient et sympathisaient. Alors, la vie est
devenue plus compacte, plus tendue, plus contact. Alors
la vie est passée de la dilatation spleenesque sweet weed
à la puissance ascensionnelle du cafesito del amor. Cette
densification eut une conséquence drastique sur le temps :
celui-ci était devenu plus court. Pour continuer la
métaphore spatiale, le temps avait pris la forme d’une
fibrille et cette fibrille, pourrait-on dire, constituait le sens
d’une vie, romantiquement et éternellement parlant, et
l’index de cette notion ne comprenait plus les mots
« relativisme », « apprentissage par la lecture », « dogmes
et ontologies ». L’agression était agression du bon goût,
de la norme, de la face maussade de notre feuille
hivernale ; elle était une férocité hilare et échaudée. Le
jus d’une orange enamourée par le soleil aspergeait alors
les gencives. Le café va très bien avec les cigarettes, le
baiser aussi, et tandis que s’allumaient et que se
consumaient les cigarettes, deux impératifs jouaient entre
eux et se poursuivaient sans rire. Tu dois. Tu peux. Tu
peux faire cela avec moi. C’est comme ça. C’est bien
comme ça. Oui. Je peux t’assurer que nous sommes dans
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la bonne direction. Ça se précipite. Oui, tu dois faire
comme cela. La découverte d’une telle conjonction est
déroutante pour celui qui pense et se ravit de pouvoir
conserver dans sa petite librairie personnelle les acquis
de tous les ouvrages que celle-ci a accueillis ; elle lui fait
dire « Dis donc, mec, est-ce que tu te rends compte que
tu es dépendant, possédé, est-ce que tu réalises que tu
dois ? ». « Quelque chose. » « Au café. » Ce que l’on doit
est difficile à saisir : à proprement parler, s’agit-il d’une
chose, d’un sentiment ou d’un état de forme ? On en
connaît bon nombre qui ont congédié le café de leurs
mœurs ; ils ont par la même occasion laissé tomber
des petits plaisirs comme la femme accrochée à l’anse
de la tasse, le lit sur lequel cette tasse trouvait, aussi
inconfortable fût-elle, une place, les nuits blanches
accompagnées, etc. Ils sont retournés à la drum ’n bass.
Ou au yoga. Ou à l’étude. Quant à moi, je suis resté encore
un moment à profiter de la décision.
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L’Argentine aspire son maté
Et la terre, la paille,
Et les débris secs des générations
Se muent en sève incandescente.
Ce sont des Siciliens
Perchés sur des bateaux
Qui infiltrent des chants
Et leurs révolutions, qui brassent avec leurs bras
Tendus haut
Le magma
De leur passion latine
Allongée sur une nouvelle île.
Triangle, terre plate où de l’autre côté,
Fermente le maté
Aspiré par une Argentine.
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Leur hanche tournicote. Des lèvres lippues, traversées
de canaux d’encre, gorgées de sang noir, de plancher, de
poussière et de sueur, embrassent la joue de l’enfant. Elles
poussent un long rire, qui se répercute sur les vieilles
statues et les armoires vétustes, un rire de femme à barbe,
dégustent d’un doigt une décoction au miel, sur leurs hauts
talons et, soudain, sont hideuses, germent de toutes parts,
tendent au ciel leurs arêtes dantesques, gémissent et noient
le soleil de leurs yeux glauques. D’un coup de cul, elles
sont par terre et grignotent le regard avec leur face
immortelle. Tragiques, pleines de plis, elles se relèvent
et interrompent le Temps en quelques attitudes.
Pause.
Femme grasse au vestiaire. Copinage de bourrelets. Le
bestiaire est lancé dans des cris d’animaux. De l’or dans
les cheveux, elles s’épouillent en silence puis se flattent
tendrement. Le travail recommence et les fait picorées de
dards et de venin. Une main sur la lune, l’autre dans un
théâtre, inlassablement, comme un animal préféré, elles
épousent la qualité qu’on leur prête
avant d’ôter le masque et de vivre
à moitié.
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Ouvrage publié avec le concours de la Communauté française
de Belgique.
© SNELA La Différence, 30 rue Ramponeau, 75020 Paris, 2008.
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